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Sort

Variantes Singulier Pluriel
Masculin sort sorts

Définitions de « sort »

Trésor de la Langue Française informatisé

SORT, subst. masc.

A. −
1. Puissance imaginaire à laquelle est prêtée le pouvoir de présider au destin des hommes et de déterminer le déroulement de leur vie lorsque certains événements semblent dus au hasard. Synon. destin, destinée, hasard.Sort fatal, funeste; heureux, mauvais sort; conjurer le mauvais sort; être favorisé par le sort; les cruautés, les malices du sort.
Ironie du sort. V. ironie A.Coup du sort. V. coup C 2 b.
2. [Dans une interj. exprimant la colère, le dépit, l'étonnement] Hé! monstre de sort! on dirait Monsieur Tartarin (A. Daudet, Tartarin de T., 1872, p. 97).Bon sang de sort de bon dieu de bois! s'exclama La Guillaumette qui le suivait de l'œil (Courteline, Train 8 h. 47, 1888, p. 29).Coquin* de sort!
B. −
1.
a) [À propos d'un événement possible] Ce qui échoit, ce qui doit arriver à quelqu'un du fait du hasard ou d'un concours de circonstances. Synon. avenir, destin, destinée, fortune (vx).Avoir confiance en son sort; abandonner qqn à son sort; décider de son sort; le sort qui attend qqn; être maître de son sort. Aussi fus-je fort inquiet sur le sort de Lanrezac jusqu'au moment où j'appris que, grâce aux précautions prises par lui, la cavalerie allemande était maintenue en dehors de la zone de marche de nos colonnes (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 354).Nous tenons notre sort entre nos mains: jamais il n'y eut tant d'espoir sur la terre! (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 96).
[P. méton.] Le sort de Troie, des empires. Moi jamais, dans l'erreur de mes illusions, je n'aspire à régler le sort des nations (Delille, Homme des champs, 1800, p. 56).
b) P. anal. Un à un, les mots de ralliement qui ont exprimé la vie, la modification, l'espérance, la promesse, la « bonne nouvelle », et qui ont servi à agglomérer les énergies indépendantes, ont perdu leurs sucs vitaux. Tel fut le sort réservé, tour à tour, aux mots chrétienté, commune, roi, parlement (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 171).
2. En partic. Situation matérielle ou sociale d'une personne, ou d'une catégorie de personnes. Être heureux, content de son sort; adoucir, améliorer, envier, jalouser le sort de qqn; être résigné à son sort; jouir d'un sort enviable; gémir, se plaindre de son sort; s'intéresser au sort de; le sort des déshérités, des malheureux; sort affreux, déplorable, enviable, heureux, malheureux. Pierre de Bétancourt, frère de l'ordre de saint François (...) fut touché du sort des esclaves, qui n'avoient aucun lieu de refuge pendant leurs maladies (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 509):
Je quittais son bureau ayant arraché quelque concession qui allait adoucir le sort immédiat de mes camarades: l'octroi d'un peu de bois, une attribution de linge, le renouvellement des capotes en mauvais état. Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 341.
Loc. verb. Faire un sort à qqn. Le favoriser, améliorer sa situation matérielle. Il est bien entendu, reprit Mirouët, que je ne donne les cent mille francs qu'au mariage de notre parente, à qui je veux faire un sort par considération pour défunt mon oncle (Balzac, U. Mirouët, 1841, p. 205).
C. −
1. Issue, destination finale d'une chose, d'une affaire en cours. Tel fut le sort de son livre (Ac.1878, 1935).
Sort de la guerre, d'un combat. Issue heureuse ou malheureuse (d'une guerre, d'un combat). Nous n'avions pas encore livré la grande bataille qui devait décider du sort de la guerre (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 366).
Loc. verb., fam. Faire un sort à qqc.
Accorder un traitement de faveur à quelque chose. Ce mot serait passé inaperçu, si vous ne lui aviez fait un sort en le répétant et en le commentant (Ac.1935).
Iron. En finir de manière radicale avec quelque chose. Faire un sort à une bouteille. (Dict. xxes.).
2. FIN. Sort principal. Capital placé pour assurer une rente. Sort principal d'une rente (Ac.1798-1878).
D. −
1. Hasard auquel on se remet pour effectuer un choix, pour décider de l'issue d'une affaire. Désigner par le sort; le sort décide de; tirage au sort. Voilà, chef. On a tiré au sort pour savoir celui qui viendrait. Et le sort est tombé sur moi (Anouilh, Antig., 1946, p. 160).La lecture du verdict de mort, la dégradation du militaire, le tirage au sort du peloton, le chargement des armes (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 162).
Loc. verb. Tirer qqc./qqn au sort. Recourir au hasard pour procéder à un partage, ou effectuer une désignation. Ne vaudrait-il pas mieux (...) tirer au sort trois membres du bureau? (A. Daudet, Tartarin Alpes, 1885, p. 137).
En partic. Mode de recrutement aux armées qui autrefois consistait à laisser désigner les conscrits par le hasard. (Ds Besch. 1845, Lar. 19e, GDEL).
2. ANTIQ. GR. ET LAT.
a) Dé dont on se servait pour rendre des oracles, sur lequel étaient inscrits des caractères dont on trouvait l'explication dans des tables. Les devins ont souvent utilisé les dés ou sorts sacrés, lorsqu'on venait les consulter (Religions1984).
b) Loc. verb. Jeter le sort. Recourir aux dés pour prendre une décision, pour opérer un choix. (Dict. xixeet xxes.).
Proverbe. Le sort en est jeté. [P. réf. à la phrase prononcée par César avant de franchir le Rubicon « alea jacta est »] Advienne que pourra, la décision est prise. Maintenant, le sort en est jeté. Toutes les dispositions sont prises (Billy, Introïbo, 1939, p. 248).
c) Au plur. Procédés magiques censés faire connaître l'avenir. Les païens nommaient Sorts une espèce de divination qui avait lieu, soit au moyen de dés (...); soit en ouvrant au hasard un livre (Bouillet1859).
d) Objets auxquels il est prêté un pouvoir magique pour se préserver des maléfices. Il avait des amulettes et des espèces de sorts suspendus au cou (Chateaubr., Itinér. Paris Jérus., t. 1, 1811, p. 64).
E. − Effet malfaisant qui atteint quelqu'un ou quelque chose, et qui résulte de pratiques de sorcellerie. Synon. maléfice.Il a fallu que j'aille dans le Bas-Diauville pour une vache qui avait l'enfle; ils croyaient que c'était un sort (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 129).[L'abbé] connaissait (...) des paroles mystérieuses pour écarter les sorts (Maupass., Une Vie, 1883, p. 204).
Il y a un sort (fam.). Une mauvaise chance préside à une entreprise. Il y a un sort sur tout ce qu'il fait (Ac.1878-1935).
Mauvais sort. Fatalité qui s'acharne contre quelqu'un, quelque chose, à la suite de paroles ou de pratiques magiques. Des fées barbues projetaient, dans un regard, sur la nouvelle épouse, le mauvais sort (Colette, Mais. Cl., 1922, p. 20).
Loc. verb. Jeter un sort. Lancer à quelqu'un une malédiction, ensorceler quelqu'un. Elle se nommait Marcelle parmi les hommes, était belle comme le jour et avait épousé un magot nommé Dupont, dont elle était folle, car les fées raffolent des magots. Elle jeta un sort sur mon berceau et partit aussitôt pour les pays d'Outre-Mer, avec son magot (France, Pt Pierre, 1918, p. 11).
Prononc. et Orth.: [sɔ:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. a) Fin xes. « puissance imaginaire supposée fixer le cours de la vie; hasard » sort en gitad « tirer au sort; jouer pour faire un partage » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 270); b) 1833 dans un juron, une exclamation marquant le dépit, la colère, l'étonnement tripaillon de sort (Vidal, Delmart, Caserne, p. 147); 1872 coquin de sort! (A. Daudet, Tartarin de T., p. 1); 2. ca 1120 « ce qui échoit, ce qui doit arriver à quelqu'un du fait du hasard, des circonstances; destin, fortune » (Psautier Oxford, 30, 18 ds T.-L.); 3. a) ca 1120 sorz jeterent « recourir aux dés pour prendre une décision » (Philippe de Thaon, Bestiaire, 2467, ibid.); 1609 fig. le sort en est jeté (Malherbe, Poésies, XXXII, 41 ds Œuvres compl., éd. L. Lalanne, t. I, p. 135); b) 1752 « mode ancien de recrutement des armées » tirer au sort pour la milice (Trév., s.v. tirage); 4. 1330 « fonds qui a été placé en rente, capital » (12 janv., Ord., II, 60 ds Gdf.); 1559 sort principal (Amyot, Caton, 45 ds Littré); 5. a) 1546 « condition matérielle et sociale d'une personne » (Rabelais, Tiers Livre, éd. M. A. Screech, Prologue, p. 15); 1561 « destination finale, issue imposée par le hasard » (J. Grevin, César, éd. L. Pinvert, p. 44); b) 1604 le sort des armes (Montchrétien, David, acte IV ds Tragédies, éd. L. Petit de Julleville, p. 226); c) 1827 faire le sort à qqc. « fait valoir quelque chose; satisfaire » (Hugo, Cromwell, Paris Hetzel Quantin, 1881, V, 5, p. 465); cf. 1883 faire un sort à chaque syllabe (Fustier, Suppl. dict. Delvau, p. 552); 1896 faire un sort à qqc. « l'utiliser à son profit » (Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg., p. 272). II. 1. a) Ca 1100 « parole, regard, maléfice qui, selon une croyance supersticieuse, peut produire des effets extraordinaires et presque toujours malfaisants » le plus souvent au plur. (Roland, éd. J. Bédier, 3665); en partic. 1165 au sing. (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 28792); 1807 mauvais sort (Staël, Corinne, t. 1, p. 200); b) 1680 fam. il y a un sort (Sévigné, Corresp., éd. R. Duchène, t. 2, p. 794); 2. ca 1130 « prophétie, oracle » (Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, 426); en partic. au plur. fin xives. « tablettes que l'on tirait au hasard d'une urne et qui portaient les reprises d'un oracle » (Froissart, Chron., éd. L. Mirot, t. 12, p. 221, ligne 8); 3. 1546 « divination pratiquée au moyen d'un ouvrage ouvert au hasard en interprétant le passage qui tombait le premier sous les yeux » sors Homeriques et Virgilianes (Rabelais, op. cit., chap. 10, p. 80, titre); 4. 1811 « objets auxquels on attribue des pouvoirs magiques » des amulettes et des espèces de sorts (Chateaubr., Itinér. Paris Jérus., p. 64). Du lat. class. sortem, acc. de sors qui désignait plusieurs procédés de tirage au sort, en partic. pour consulter les dieux, d'où les sens d'« oracle », « destin, lot, part »; le genre fém. du mot lat. se retrouve parfois en a. et m. fr. ainsi que dans l'ital. sorte et l'esp. suerte. Fréq. abs. littér.: 5 402. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 9 966, b) 7 978; xxes.: a) 6 460, b) 6 309. Bbg. Quem. DDL t. 17, 28, 32.

Wiktionnaire

Nom commun - ancien français

sort \Prononciation ?\ masculin

  1. Variante de sourt.

Nom commun - français

sort \sɔʁ\ masculin

  1. La destinée considérée comme cause des divers événements de la vie.
    • Le sort en a ainsi ordonné. - Les caprices du sort. - Le sort aveugle. - Le sort jaloux.
    • Nous serons heureux en dépit du sort. - Braver, affronter, supporter les coups du sort. - Se plaindre du sort. - être poursuivi, accablé par le sort.
  2. Effet de la destinée ou de la rencontre fortuite des événements bons ou mauvais.
    • Vous verrez […] que nous serons côte à côte au festin. Quel singulier hasard, en vérité ! Depuis deux heures le sort nous marie… — (Alexandre Dumas, La Reine Margot, 1845, volume I, chapitre V)
    • Le temps était calme et le navire dériva vers l’Équateur, sans que l’équipage se souciât de son sort. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 419 de l’édition de 1921)
    • Nos vétérans, du Québec et du Canada, ont connu les guerres justes. Mais leur sort, lui, trop souvent, ne l’aura pas été. — (Josée Legault, Se souvenir de quoi, au juste?, Le Journal de Montréal, 12 novembre 2020)
  3. (En particulier) Condition ou état d’une personne sous le rapport de la richesse.
    • Ah ! si j’avais de quoi vous faire un sort, je serais tellement heureux que je n’ose ni ne veux y penser. Sans amis, […] m’unir à une douce, pieuse, charmante femme comme vous, Elfy […], ce serait trop de bonheur ! — (Comtesse de Ségur, L’Auberge de l’Ange-Gardien, 1888)
    • Le dogme de la réincarnation […] a malheureusement l’effet pervers de contraindre les déshérités à la résignation, puisque leur lamentable sort présent dépend de mauvaises actions d’une vie antérieure. — (Louis Dubé, La sagesse du dalaï-lama : Préceptes et pratique du bouddhisme tibétain, dans Le Québec sceptique, n°66, été 2008, page 5)
  4. Condition des choses, ce qu'il leur advient.
    • Tel fut le sort de son livre. - Son discours assura le sort de cette proposition. - Ce système eut le sort de beaucoup d’autres.
  5. Manière de décider quelque chose par le hasard.
    • Le sort est tombé sur un tel. - Le sort en a décidé autrement. - Tirer au sort.
  6. (Superstition) Ensemble de paroles, de regards, de caractères, de maléfices par lesquels, suivant une croyance superstitieuse, on peut produire des effets extraordinaires, et presque toujours malfaisants.
    • Ces pauvres gens disent qu’on a jeté un mauvais sort sur leurs troupeaux. - Il prétend qu’on lui a jeté un sort.
    • Et quand la lignée des Monarques est faillie, & que le droit est dévolu aux états, en ce cas il est beaucoup plus sûr d'y procéder par sort, ayant fait chois des plus dignes, ou de ceux qui font égaux, que d'entrer aux termes d'élection: comme il se fît entre les sept Princes de Perse: pourvu que Dieu y soit appelé, en gardant la forme des anciens Hébreux, qui disaient, Seigneur Dieu donne le sort: à fin que tout charme, & sortilège en soit hors. Ainsi le grand Samuel, quand il fut question de faire un Roy nouveau, fît assembler tout le peuple, & le sort fut tiré des douze lignées: & la lignée de Benjamin étant venue, on tira les familles de Benjamin: & en la famille de Cis le sort tomba sus Saül, que Samuel avait au paravant sacré par le mandement de Dieu, afin qu'on ne pensât point que le Royaume fût dévolu fortuitement. — (Jean Bodin, Livre sixième, «Les six livres de la République de J. Bodin», Paris, 1577)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

SORT. n. m.
La destinée considérée comme cause des divers événements de la vie. Le sort en a ainsi ordonné. Les caprices du sort. Le sort aveugle. Le sort jaloux. Nous serons heureux en dépit du sort. Braver, affronter, supporter les coups du sort. Se plaindre du sort. Être poursuivi, accablé par le sort. Il se dit de l'Effet de la destinée, de la rencontre fortuite des événements bons ou mauvais. Je plains votre sort. Son sort est heureux. Son sort est déplorable. Il se plaint continuellement de son sort. Personne n'est content de son sort. Je veux partager votre sort. Ordonnez de mon sort. Vous êtes l'arbitre de mon sort. Mon sort est dans vos mains. C'est un triste sort que le sien. Il se dit particulièrement de la Condition, de l'état d'une personne sous le rapport de la richesse. Cette succession améliorera son sort. Il a réglé par son testament le sort de ses trois enfants. Faire un sort à quelqu'un. Il désigne aussi la Condition des choses. Tel fut le sort de son livre. Son discours assura le sort de cette proposition. Ce système eut le sort de beaucoup d'autres. Fig., Faire un sort à une chose, La propager, la faire valoir. Ce mot serait passé inaperçu si vous ne lui aviez fait un sort en le répétant et le commentant.

SORT désigne encore la Manière de décider quelque chose par le hasard. Le sort est tombé sur un tel. Le sort en a décidé. Tirer au sort. Fig., Le sort en est jeté, Le parti en est pris. Fig., Le sort des armes, Le combat, considéré relativement à l'incertitude du succès. Il a voulu tenter une troisième fois le sort des armes.

SORT Se dit aussi de Paroles, de regards, de caractères, de maléfices par lesquels, suivant une croyance superstitieuse, on peut produire des effets extraordinaires, et presque toujours malfaisants. Ces pauvres gens disent qu'on a jeté un mauvais sort sur leurs troupeaux. Il prétend qu'on lui a jeté un sort. Fig. et fam., Il y a un sort sur tout ce qu'il fait, Rien de ce qu'il fait ne lui réussit.

Littré (1872-1877)

SORT (sor ; le t ne se lie pas : un sor infortuné ; au pluriel, l's ne se lie pas : des sor infortunés ; cependant quelques-uns la lient : des sor-z infortunés) s. m.
  • 1Destinée, considérée comme cause des événements de la vie, suivant l'idée des anciens. Défions-nous du sort, et prenons garde à nous Après le gain d'une bataille, La Fontaine, Fabl. VII, 13. Chacun songe comment il s'acquittera de sa condition ; mais, pour le choix de la condition et de la patrie, le sort nous le donne, Pascal, Pens. XXV, 80, édit. HAVET. Que si d'un sort fâcheux la maligne inconstance Vient par un coup fatal faire tourner la chance, Boileau, Sat. IV. Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées, Racine, Esth. I, 1. Dans le vulgaire obscur si le sort l'eût placé…, Racine, Ath. II, 7. Montrez-nous, héros magnanimes, Votre vertu dans tout son jour ; Voyons comment vos cœurs sublimes Du sort soutiendront le retour, Rousseau J.-B. Ode à la fortune. Je gémissais du sort qui m'avait amené là, comme si ce sort n'eût pas été mon ouvrage, Rousseau, Confess. II. Quand le sort une fois a marqué sa victime, Rien ne change l'arrêt, injuste ou légitime, Ducis, Macbeth, I, 1. Plus nous sommes heureux, plus le sort nous fait peur, P. Lebrun, le Cid d'And. II, 3.

    On le personnifie quelquefois. Le Sort, de sa plainte touché, Lui donne un autre maître, La Fontaine, Fabl. VI, 9.

  • 2Effet de la destinée, rencontre fortuite des événements. Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures, On pense en être quitte en accusant son sort, La Fontaine, Fabl. V, 11. Je ne crois point que la nature Se soit lié les mains et nous les lie encor Jusqu'au point de marquer dans les cieux notre sort, La Fontaine, ib. VIII, 16. Enfin il faut céder à votre sort ; vous avez soutenu l'État, qui est attaqué par une force invincible et divine, Bossuet, Reine d'Anglet. De quelle importance, de quel éclat, de quelle réputation au dedans et au dehors il était d'être le maître du sort du prince de Condé ! Bossuet, le Tellier. Les dieux me sont témoins qu'à vous plaire bornée, Mon âme à tout son sort s'était abandonnée, Racine, Mithr. III, 5. Peu faite pour être ouvrière, Dans les cartes cherchons mon sort, Béranger, Cartes.
  • 3Il se dit quelquefois pour vie. Tous les miens, à mes yeux, terminèrent leur sort, Voltaire, Alz. I, 1.
  • 4 Particulièrement. État d'une personne par rapport à la condition, à la richesse. Cette succession améliorera son sort. La splendeur de son sort doit hâter sa ruine, Racine, Ath. II, 7.

    Un sort, une condition, avec l'idée de quelque chose de durable et de définitif. Faire un sort à quelqu'un. Votre Excellence m'a gratifié de la conciergerie du château ; c'est un fort joli sort, Beaumarchais, Mar. de Figaro, III, 5. Le sort qu'un bon maître assure toujours à un domestique sincèrement affectionné, Genlis, Théât. d'éduc. la March. de modes, sc. 9.

  • 5 Fig. Condition des choses, comparée au sort des hommes. L'idolâtrie semblait triompher : elle regardait le christianisme comme une nouvelle secte de philosophie qui avait le sort de toutes les autres, Bossuet, Hist. II, 12. Tel fut chez nous le sort du théâtre comique, Boileau, Ep. VII. Le sort que le public a daigné faire à Pyrrhus, tout brillant qu'il a été…, Crébillon, Ép. déd. de Pyrrh. Un homme célèbre qui a assez vécu pour sa réputation, mais trop peu pour le progrès des sciences, Pascal, sentit combien il était important d'assurer le sort de la conception de Torricelli, Condillac, Traité des syst. 16.
  • 6Le sort principal d'une rente, le capital placé (acception vieillie ; on dit : le principal, le capital). Aucun ne leur ouvrit sa bourse [aux trois animaux commerçants] ; Et le sort principal, et les gros intérêts, Et les sergents, et les procès, Et le créancier à la porte Dès devant la pointe du jour…, La Fontaine, Fabl. XII, 7. Si vous voulez m'assurer mon sort principal, Pascal, Prov. VIII.
  • 7 Terme d'antiquité. Le sort ou les sorts, prétendu moyen de connaître l'avenir, à l'aide de dés qu'on jetait. Le sort, qui s'appelle en hébreu phur, fut jeté dans l'urne devant Aman, pour savoir en quel mois et en quel jour on devait faire tuer toute la nation juive, Sacy, Bible, Esther, III, 7. Le sort est l'effet du hasard et comme la décision ou l'oracle de la fortune ; mais les sorts sont les instruments dont on se sert pour savoir quelle est cette décision ; les sorts étaient le plus souvent des espèces de dés sur lesquels étaient gravés quelques caractères ou quelques mots dont on allait chercher l'explication dans des tables faites exprès, Fontenelle, Oracles, I, 18. Les usages étaient différents sur les sorts : dans quelques temples, on les jetait soi-même ; dans d'autres, on les faisait sortir d'une urne, d'où est venue cette manière de parler si ordinaire aux Grecs : le sort est tombé, Fontenelle, ib. Les plus célèbres entre les sorts étaient à Préneste et à Antium, deux petites villes d'Italie, Fontenelle, ib. On consulte aussi l'oracle par le moyen des sorts ; ce sont des bulletins ou des dés qu'on tire au hasard de l'urne qui les contient, Barthélemy, Anach. ch. 36.

    Sort ou sorts homériques ou virgiliens, divination au moyen d'un passage d'Homère ou de Virgile, pris au hasard.

    Sort des apôtres, divination par un passage des Actes des Apôtres

    Sort des saints, pratique par laquelle on cherchait à connaître l'avenir par les premières paroles qui s'offraient en ouvrant l'Écriture sainte.

    Jeter le sort, jeter au sort, se disait autrefois de l'action de jeter les dés pour décider quelque chose, pour faire un partage, etc. On jeta au sort, afin que la dixième partie demeurât dans cette sainte cité, Sacy, Bible, Esdras, II, Néhém. XI, 1. Le sort ayant été jeté pour la famille de Caath, treize villes des tribus de Juda, de Siméon et de Benjamin échurent aux enfants d'Aaron grand prêtre, Sacy, ib. Josué, XXI, 4. Il [David] voit… ses habits partagés, sa robe jetée au sort, Bossuet, Hist. II, 4.

    Fig. Jeter le sort, tirer au sort. Allons jeter le sort pour la dernière fois, Corneille, Androm. I, 3.

    Fig. Le sort en est jeté, le parti en est pris, la chose est décidée. Et quand de mes souhaits je n'aurais jamais rien, Le sort en est jeté, l'entreprise en est faite ; Je ne saurais brûler d'autre feu que du sien, Malherbe, V, 6. Le sort en est jeté, me voilà déclaré piccinniste, Genlis, Veillées du château les Deux réputations.

  • 8Manière de décider une chose par le hasard. Le sort est tombé sur un tel. Tirer au sort. Le sort, dit le prélat, vous servira de loi [pour choisir deux personnes], Boileau, Lutr. I. Le sort est une façon d'élire qui n'afflige personne, il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir sa patrie ; mais, comme il est défectueux par lui-même, c'est à le régler et à le corriger que les grands législateurs se sont surpassés, Montesquieu, Esp. II, 2. Toutes ces épreuves par le sort qui n'étaient que des superstitions, Voltaire, Dict. phil. Épreuve.
  • 9Le sort des armes, le combat considéré relativement à l'incertitude du succès. Est-ce lui qui naguère aux dépens de sa vie Sauva des ennemis votre empereur Décie, Qui leur tira mourant la victoire des mains, Et fit tourner le sort des Perses aux Romains ? Corneille, Poly. I, 3. Qui sera notre appui, si le sort des batailles Vous rend un corps sans vie au pied de nos murailles ? Corneille, Sophon. I, 4. On ne se servit d'artillerie aux siéges des places que sous le roi de France Charles V ; et les lances firent toujours le sort de la bataille dans presque toutes les actions, jusqu'aux derniers temps de Henri IV, Voltaire, Mœurs, 75.
  • 10Il s'est dit pour chance, probabilité. Un mémoire excellent de M. Daniel Bernoulli sur la mesure du sort, Buffon, Ess. arith. mor. Œuv. t. X, p. 113. Selon les lois de l'analyse des sorts… je ne dois point être surpris qu'une chose arrive lorsqu'elle est possible, Diderot, Pens. phil. 21.
  • 11Paroles, caractères, etc. par lesquels les ignorants croient que l'on peut opérer des maléfices. On dit que ce berger a mis un sort dans l'écurie de son maître, et que cela a fait mourir les chevaux. C'est quelque sort qu'il faut qu'il ait jeté sur toi, Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi, Molière, Éc. des f. V, 4. Le peuple romain ne voulait point les prendre [les gerbes recueillies dans les champs de Tarquin], croyant qu'un mauvais sort y était attaché, Staël, Corinne, IV, 5. Crains qu'une vieille, en sa misère, Ne jette un sort sur ton printemps, Béranger, Ch. et laitière. Il paraît que les mauvaises paroles tentent le mauvais sort, et qu'elles portent malheur à ceux qui les disent, Georges Sand, Maîtres sonneurs, 13e veillée.

    Fig. Il y a un sort, il semble qu'un sortilége, qu'une mauvaise chance préside à… Savez-vous bien qu'il y a un sort dans ce tourbillon [la cour] qui empêche d'abord de sentir le charme du repos et de la tranquillité ? Sévigné, 12 janv. 1680. Il faut que ce soit un sort, voyez-vous, Dancourt, Maison de camp sc. 4. J'ai écrit maintes lettres à M. Basili ; mais il y a un sort sur toute ma correspondance, Courier, Lett. I, 325.

HISTORIQUE

XIe s. N'i remeindrat ne sorz [sortilége] ne falserie, Ch. de Rol. CCLVIII.

XIIe s. Je dis : li miens Deus tu es, es tues mains les meies sorz, Liber psalm. p. 37.

XIIIe s. Quant Judas deguerpi les disciples par traïson, les autres apostles getierent sors por veoir qui deust estre mis en son leu ; li sors en vint sor Mathias, Latini, Trésor, p. 566.

XIVe s. Ma sors ha esté la premiere ; chascuns des autres, là où sa sort charra [tombera], venra [viendra] en ceste guise, Bercheure, f° 32, verso. E ! royne Calabre, bien i veïstes cler ; Mes peres vous oï bien vo sort declarer, Baud. de Seb. IV, 485.

XVe s. Si disent les sorts de mon pays et les devins d'Egypte, que je dois estre sire et roi de tout le monde, Froissart, II, III, 26. Vous ne menrez [mènerez] les deux pucelles plus avant par vos enchantemens… icy ne vauldront vos sors [sortiléges] ; car il vous fault mourir, Perceforest, t. VI, f° 35. Madame getta son sort [fit ses opérations de divination], mais trouva que ce lignage n'avoit gueres de povoir, et viendroit ung chevalier qui tous les mettroit à mort, ib. t. IV, f° 135.

XVIe s. Puys doncques que tel est ou ma sort ou ma destinée, ma deliberation est servir et es ungs et es aultres, Rabelais, Pant. III, Prol. Or ne sont pas les sieges des damnez Sans quelque sort et jugement donnez, Du Bellay, J. IV, 52, recto. Heureux et trois et quatre fois Le sort des armes et des lois ! Du Bellay, J. IV, 67, recto. Des tesmoings que son bon sort luy fournit tout à propos, Montaigne, I, 255. Par ainsi ne mettoit il pas tout son argent au hasard de la fortune, ains une petite partie de son sort principal [capital] seulement, et en tiroit un bien gros profit de l'usure, Amyot, Caton, 45. Icelle maison est louée à iceluy louandier au sort de l'année precedente par mesme loyer, Nouv. coust. gén. t. IV, p. 903. Apportez moy les œuvres de Virgile, et, par trois fois avec l'ongle les ouvrans, explorerons, par les vers du nombre entre nous convenu, le sort futur de vostre mariage ; car, comme par sorts homeriques, souvent on a rencontré sa destinée, Rabelais, III, 10. Le sort, l'usure et les interetz je pardonne, Rabelais, III, 15.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

SORT, (Jurisprud.) On entend par ce terme, le hasard produit dans les partages ; après avoir formé les lots, ils se distribuent ou par choix ou par convention, ou enfin on les tire au sort. Dans ce dernier cas, on fait autant de petits billets qu’il y a de lots, & l’on écrit sur l’un premier lot, & sur l’autre second lot, & ainsi des autres. On mêle ensuite ces billets après les avoir pliés ou roulés, & on les fait tirer l’un après l’autre, un pour chaque héritier, suivant l’ordre de progéniture ; & selon le billet qui échet, on écrit dans le partage que le premier lot est advenu à un tel, le second à un tel, voyez Lots & Partage. (A)

Sort, (Critiq. sacr.) maniere de décider les choses par le hasard. Cet usage est très-convenable dans plusieurs occasions, sur-tout dans celles où il n’y a aucune raison de préférence. Alors l’auteur des Proverbes a raison de dire que le sort termine toute dispute. Son usage étoit fréquent chez les Hébreux, comme cela paroît dans plusieurs endroits de l’Ecriture. La terre promise fut partagée au sort. Les Levites reçurent leur lot par le même moyen. Dans le jour de l’expiation, on jettoit le sort sur les deux boucs, pour savoir lequel des deux seroit immolé. David distribua par le sort les rangs aux vingt-quatre bandes de prêtres qui devoient servir dans les temples. Quand il fut question de remplir la place de Judas dans l’apostolat, le sort tomba sur saint Matthias. Enfin la robe de Jésus-Christ fut jettée au sort.

Mais la maniere de tirer le sort chez les Juifs, n’est pas marquée fort distinctement dans l’Ecriture ; & nous n’en voyons qu’une sorte exprimée dans Salomon. On jettoit les sorts (apparemment des billets) dans le pan d’une robe, d’où, après les avoir bien mêlés, on les tiroit pour la décision.

Le mot sort désigne encore dans l’Ecriture l’effet du sort, le partage. La méchante femme doit être le partage des pécheurs, sors peccatorum, Ecclés. xxv. 26. c’est-à-dire, que le pécheur mérite de souffrir la mauvaise humeur d’une méchante femme plutôt que l’homme vertueux ; mais malheureusement le sort ne le décide pas toujours ainsi. (D. J.)

Sorts, (Théologie payenne) sortes. Le sort est l’effet du hasard, & comme la décision ou l’oracle de la fortune ; mais les sorts sont les instrumens dont on se sert pour savoir quel|e est cette décision.

Les sorts étoient le plus souvent des espece de dés, sur lesquels étoient gravés quelques caracteres ou quelques mots dont on alloit chercher l’explication dans des tables faites exprès. Les usages étoient différens sur les sorts. Dans quelques temples on les jettoit soi-même ; dans d’autres on les faisoit sortir d’une urne, d’où est venue cette maniere de parler si ordinaire aux Grecs, le sort est tombé.

Ce jeu de dés étoit toujours précédé de sacrifices & de beaucoup de cérémonies ; apparemment les prêtres savoient manier les dés ; mais s’ils ne vouloient pas prendre cette peine, ils n’avoient qu’à les laisser aller ; ils étoient toujours maîtres de l’explication.

Les Lacédémoniens allerent un jour consulter les sorts de Dodone, sur quelque guerre qu’ils entreprenoient ; car outre les chênes parlans, & les colombes & les bassins & l’oracle, il y avoit encore des sorts à Dodone. Après toutes les cérémonies faites, sur le point qu’on alloit jetter les sorts avec beaucoup de respect & de vénération, voilà un singe du roi des Molosses, qui étant entré dans le temple, renverse les sorts & l’urne. La prêtresse effrayée dit aux Lacédémoniens qu’ils ne devoient pas songer à vaincre, mais seulement à se sauver ; & tous les écrivains assurent que jamais Lacédémone ne reçut un présage plus funeste.

Les plus célébres entre les sorts étoient à Préneste & à Antium, deux petites villes d’Italie. A Préneste étoit la fortune, & à Antium les fortunes. Voy. Sorts de Préneste.

Les fortunes d’Antium avoient cela de remarquable, que c’étoient des statues qui se remuoient d’elles-mêmes, selon le témoignage de Macrobe, l. I. c. xxiij. & dont les mouvemens différens, ou servoient de réponse, ou marquoient si l’on pouvoit consulter les sorts.

Un passage de Ciceron, au liv. II. de la divination, où il dit que l’on consultoit les sorts de Préneste par le consentement de la fortune, peut faire croire que cette fortune savoit aussi remuer la tête, ou donner quelqu’autre signe de ses volontés.

Nous trouvons encore quelques statues qui avoient cette même propriété. Diodore de Sicile & Quint-Curce disent que Jupiter-Ammon étoit porté par quatre-vingt prêtres dans une espece de gondole d’or, d’où pendoient des coupes d’argent ; qu’il étoit suivi d’un grand nombre de femmes & de filles qui chantoient des hymnes en langue du pays, & que ce dieu porté par ses prêtres, les conduisoit en leur marquant par quelques mouvemens où il vouloit aller.

Le dieu d’Héliopolis de Syrie, selon Macrobe, en faisoit autant : toute la différence étoit qu’il vouloit être porté par les gens les plus qualifiés de la province, qui eussent long-tems auparavant vécu en continence, & qui se fussent fait raser la tête.

Lucien, dans le traité de la déesse de Syrie, dit qu’il a vu un Apollon encore plus miraculeux ; car étant porté sur les épaules de ses prêtres, il s’avisa de les laisser là, & de se promener par les airs, & cela aux yeux d’un homme tel que Lucien, ce qui est considérable.

Dans l’Orient les sorts étoient des fleches, & aujourd’hui encore les Turcs & les Arabes s’en servent de la même maniere. Ezéchiel dit que Nabuchodonosor mêla ses fleches contre Ammon & Jérusalem, & que la fleche sortit contre Jérusalem. C’étoit-là une belle maniere de résoudre auquel de ces deux peuples il feroit la guerre.

Dans la Grece & dans l’Italie on tiroit souvent les sorts de quelque poëte célebre, comme Homere ou Eurypide ; ce qui se présentoit à l’ouverture du livre, étoit l’arrêt du ciel. L’histoire en fournit mille exemples. Voyez Sorts d’Homere.

On voit même que quelques 200 ans après la mort de Virgile, on faisoit déja assez de cas de ses vers pour les croire prophétiques, & pour les mettre en la place des sorts qui avoient été à Préneste ; car Alexandre Severe encore particulier, & dans le tems que l’empereur Héliogabale ne lui vouloit pas de bien, reçut pour réponse dans le temple de Préneste cet endroit de Virgile dont le sens est : « Si tu peux surmonter les destins contraires, tu seras Marcellus ». Voyez Sorts de Virgile.

Les sorts passerent jusque dans le christianisme ; on les prit dans les livres sacrés, au-lieu que les payens les prenoient dans leurs poetes. S. Augustin, dans l’épître cxix. à Januarius, paroît ne desapprouver cet usage que sur ce qui regarde les affaires du siecle. Grégoire de Tours nous apprend lui-même quelle étoit sa pratique ; il passoit plusieurs jours dans le jeune & dans la priere ; ensuite il alloit au tombeau de saint Martin, où il ouvroit tel livre de l’Ecriture qu’il vouloit, & il prenoit pour la réponse de Dieu le premier passage qui s’offroit à ses yeux. Si ce passage ne faisoit rien au sujet, il ouvroit un autre livre de l’Ecriture.

D’autres prenoient pour sort divin la premiere chose qu’ils entendoient chanter en entrant dans l’église. Voyez Sorts des Saints.

Mais qui croiroit qu’Héraclius délibérant en quel lieu il feroit passer l’hyver à son armée, se détermina par cette espece de sort ? Il fit purifier son armée pendant trois jours ; ensuite il ouvrit le livre des évangiles, & trouva que son quartier d’hyver lui étoit marqué dans l’Albanie. Etoit-ce là une affaire dont on pût espérer de trouver la décision dans l’Ecriture ?

L’Eglise est enfin venue à-bout d’exterminer cette superstition ; mais il lui a fallu du tems. Du moment que l’erreur est en possession des esprits, c’est une merveille, si elle ne s’y maintient toujours. (D. J.)

Sorts d’Homere, (Divinat. du paganisme.) sortes Homericæ ; espece de divination. Elle consistoit à ouvrir au hasard les écrits d’Homere, & à tirer à la premiere inscription de la page qui se présentoit à la vûe, un augure ou pronostic, de ce qui devoit arriver à soi-même & aux autres, ou des regles de conduite convenables aux circonstances dans lesquelles on se trouvoit. Les Grecs donnoient à ce genre de divination le nom de στοιχειομαντεία, ῥαψῳδομαντεία, ῥαψωδομαντική.

L’antiquité payenne semble avoir regardé ceux qui avoient le talent supérieur de la poésie, comme des hommes inspirés ; ils se donnoient pour tels ; ils assuroient qu’ils parloient le langage des dieux, & les peuples les ont cru sur leur parole. L’Iliade & l’Odyssée sont remplis d’un si grand nombre de traits de religion & de morale ; ils contiennent dans leur étendue une si prodigieuse variété d’événemens, de sentences & de maximes appliquables à toutes les circonstances de la vie, qu’il n’est pas étonnant que ceux qui par hasard ou de dessein formé, jettoient les yeux sur ces poëmes, ayent cru y trouver quelquefois des prédictions ou des conseils : il aura suffi que le succès ait justifié de tems en tems la curiosité des personnes, qui dans des situations embarrassantes on eu recours à cet expédient, pour qu’on se soit insensiblement accoutumé à regarder les écrits de ce poëte, comme un oracle toujours prêt à rendre des réponses à quiconque voudroit l’interroger. On ne peut s’imaginer à quel point les hommes portent la crédulité, lorsqu’ils sont agités par la crainte. ou par l’espérance.

Ce n’étoit point-là un de ces préjuges qui ne regnent que sur le vulgaire ; de grands personnages de l’antiquité, ceux principalement qui aspiroient à gouverner les autres, n’ont pas été exempts de cette chimere. Mais ce ne fut point par cette idée superstitieuse que Socrate dans sa prison, entendant réciter ces vers qu’Homere met dans la bouche d’Achille ; j’arriverai le troisieme jour à la fertile Phthie,

Ἤματί κεν τριτάτῳ φθίην ἐρίβωλον ἱκοίμην,


se mit à dire qu’il n’avoit donc plus que trois jours à vivre ; il badinoit sur l’équivoque du mot φθίην, qui signifie le pays de Phthie, & la corruption ou la mort ; cependant ce badinage qu’il fit en présence d’Eschine, ne fut point oublié, parce qu’il mourut trois jours après.

Valere-Maxime raconte que Brutus eut le triste présage du sort qui l’attendoit à la bataille de Philippe. Le hasard lui ayant offert cet endroit de l’Iliade, où Patrocle se plaint que « le cruel destin & le fils de Latone lui ont ôté la vie ».

Ἀλλά με μοῖρ᾿ ὀλοὴ καὶ Λητoῦς έκτανεν υἱός.


L’application que cette illustre romain s’en fit à lui-même, fut justifiée par l’événement.

Si l’on en croit Lampride, l’empereur Macrin curieux d’apprendre dans le même poëte, si son regne seroit long & heureux, tomba sur ces vers qu’on peut rendre ainsi. « Vieillard, vous êtes furieusement serré par de jeunes guerriers ; votre force est anéantie, & vous êtes menacé d’une triste vieillesse » :

Ὦ γέρον, ἦ μάλα δή σε νέοι τείρουσι μαχηταί,
Σὴ δὲ βίη λέλυται, χαλεπὸν δέ σε γῆρας ὀπάζει
.

Comme cet empereur étoit déja avancé en âge, lorsqu’il parvint à la souveraine puissance, qu’il ne régna que quatorze mois, & que Héliogable n’étoit âgé que d’un pareil nombre d’années, lorsqu’il lui ôta la vie avec l’empire ; on trouva dans ces paroles une prédiction de la mort tragique de Macrin.

Au reste, Homere ne fut pas le seul dont les vers eussent le privilege d’être regardés comme renfermant des oracles ; les Grecs firent quelquefois le même honneur à ceux d’Eurypide ; il paroît par un endroit d’Hérodote, qu’on croyoit que les poésies de Musée contenoient aussi des présages. Cet historien raconte qu’Onomacrite qui faisoit profession d’interpréter ou de développer ces sortes de prédictions, fut banni d’Athenes par Hipparque, fils de Pisistrate, pour avoir altéré les écrits de ce poëte & y avoir inséré un vers qui portoit, que les îles adjacentes à celles de Lemnos, seroient submergées.

Enfin, Virgile eut la gloire de succéder aux poëtes grecs, & de partager avec eux l’art de prédire les événemens. Voyez Sorts de Virgile. (D. J.)

Sorts de Préneste, (Divinat. des Rom.) les plus célebres de toute l’Italie ; c’est une curiosité raisonnable de chercher à savoir en quoi consistoit cet oracle, & comme il se rendoit.

Ciceron, liv. I I. de la divination, sect. 41. nous apprend que les archives de Préneste portoient, qu’un homme des plus considérables de la ville, nommé Numerius-Suffucius, fut averti par plusieurs songes réitérés & menaçans, d’aller entr’ouvrir un rocher dans un certain lieu ; qu’il y alla, brisa ce rocher, & qu’il en sortit plusieurs sorts ; c’étoit de petits morceaux de bois de rouvre bien taillés & bien polis, sur lesquels étoient écrits des prédictions en caracteres antiques ; on mit ces petits morceaux de bois dans un coffre d’olivier. Pour les consulter, on ouvroit ce coffre, on faisoit mêler ensemble tous ces sorts, par un enfant, il en tiroit un, & c’étoit la réponse que l’oracle donnoit aux consultans. Ce coffre continue Cicéron, est aujourd’hui religieusement gardé, à cause de Jupiter enfant, qui y est représenté avec Junon, tous deux dans le sein de la fortune qui leur donne la mamelle, & toutes les bonnes meres y ont une grande dévotion.

Plutarque prétend qu’on tiroit plusieurs petits morceaux de bois du coffre, & que les caracteres gravés sur chacun étant rassemblés composoient la prophétie ; mais outre que Ciceron dit le contraire, il paroît clairement par un passage de Tite-Live, que chacun de ces sorts contenoit toute la prophétie ; voici les propres termes de l’historien, au commencement du liv. XXII. Faleriis cælum fendi visum velut magno hiatu quaque patuerit ingens lumen effulsisse, sortes sua sponte attenuatas, unamque excidisse ità scriptam, Mars telum suum concutit. « On vit à Faleres le ciel se fendre & s’entrouvrir, & une grande lumiere remplir ce grand vuide. Les sorts diminuerent & s’appetisserent d’eux-mêmes, & il en tomba un où étoient écrites cet paroles, Mars prépare ses armes ».

Les prêtres se servirent habilement de ces sorts pour se procurer du profit & du crédit. Tota res est inventa fallaciis, aut ad quæstum, aut ad superstitionem, dit Ciceron.

Mais que signifient ces mêmes sorts dont parle Tite-Live, qui diminuerent & s’appetisserent d’eux-mêmes, sortes suâ sponte attenuatas ? Peut-être que ces sorts étoient doubles, je veux dire, qu’il y en avoit de grands & de petits, tous semblables, & que les prêtres faisoient tirer les uns ou les autres, selon qu’ils vouloient effrayer ou encourager les consultans. Il est certain qu’en matiere de prodiges, on prenoit à bonne augure les choses qui paroissoient plus grandes que de coutume ; & au contraire, on tenoit à mauvais présage les choses qui paroissoient plus petites qu’elles ne sont naturellement, comme Saumaise l’a prouvé dans ses commentaires sur Solin. Il suit de-là que les sorts appetissés, sortes extenuatæ, pronostiquoient par eux-mêmes un événement sinistre ; mais j’aime à voir ce que les Philosophes pensoient des sorts en général, & ce que devinrent ceux de Préneste en particulier ; Ciceron m’en éclaircit lui-même.

Qu’est-ce à votre avis, que les sorts, disoit-il à un stoïcien ? C’est à-peu-près, comme de jouer au nombre, en haussant & en fermant les doigts, ou de jouer aux osselets & aux dez ; en quoi le hasard, & peut-être une mauvaise subtilité, peuvent avoir quelque part, mais où la sagesse & la raison n’en ont aucune. Les sorts sont donc pleins de tromperie, & c’est une invention, ou de la superstition, ou de l’avidité du gain. La divination par les sorts est désormais entierement décriée. La beauté & l’antiquité du temple de Préneste a véritablement conservé le nom des sorts de Preneste, mais parmi le peuple uniquement ; car y a-t-il quelque magistrat, quelqu’Homme un peu considérable qui y ait le moindre recours ? Par-tout ailleurs on n’en parle plus, & c’est ce qui faisoit dire à Carnéade, qu’il n’avoit jamais vû la fortune plus fortunée qu’à Préneste.

Cependant, il s’en fallut peu qu’ils ne revinssent en crédit du tems de Tibere. Suétone nous apprend, que cet empereur ayant formé le projet de ruiner tous les oracles voisins de Rome, ceux d’Antium, de Cœrès, de Tibur & de Préneste, en fut détourné par la majesté de ces derniers, car s’étant fait remettre le coffre bien formé & bien cacheté, les sorts ne s’y trouverent point, mais ce coffre ne fut pas plutôt reporté dans le temple de Préneste, que les sorts s’y trouverent comme de coutume.

Il n’est pas difficile de reconnoître ici l’adresse des prêtres, qui voulurent relever le crédit de leur ancien oracle ; mais son tems étoit passé, personne ne se rendit sur les lieux pour y avoir recours ; & ce qu’il y a de bien singulier, les sorts de Virgile n’ayant pour eux aucun apparat de religion, emporterent la balance, & succéderent à ceux de Préneste. Voyez Sorts de Virgile. (D. J.)

Sorts de Virgile, (Divinat. du Paganis.) sortes Virgilianæ, divination qui consistoit à ouvrir les œuvres de Virgile, & à en tireb, à l’inspection de la page que le hasard offroit, des présages des événemens futurs.

Le tems ayant insensiblement donné de l’autorité aux poésies de Virgile, les Latins s’accoutumerent de même à les consulter dans les occasions où il leur étoit important de connoître la volonté du ciel. L’histoire des empereurs Romains, sur-tout depuis Trajan, en fournit plusieurs exemples. Le premier dont nous ayons connoissance est celui d’Adrien : inquiet de savoir quels étoient les dispositions de Trajan à son égard, & s’il le désigneroit pour son successeur à l’empire, il prit l’Enéide de Virgile, l’ouvrit au hasard, & y lut ces vers du VI. livre.

Quis procul ille autem ramis insignis olivoe
Sacra ferens ! nosco crines incanaque menta
Regis Romani ; primus qui legibus urbem
Fundabit, curibus parvis & paupere terra
Missus in imperium magnum……

Comme on ne se rend pas difficile sur les choses qui flattent les desirs, quelques legeres convenances qu’Adrien trouva dans ces vers avec son caractere, ses inclinations, le goût qu’il avoit pour la philosophie & pour les cérémonies religieuses, le rassurerent ; & si l’on ajoute foi à Spartien, le fortifierent dans l’espérance qu’il avoit de parvenir à l’empire.

Lampride rapporte qu’Alexandre Severe qui devoit pour lors être très-jeune, puisqu’il n’avoit que treize ans lorsqu’il fut nommé empereur, s’appliquant avec ardeur à l’étude de la Philosophie & de la Musique ; Mammée sa mere lui conseilla de faire plutôt son occupation des Arts & des Sciences nécessaires à ceux qui sont destinés à gouverner les hommes, & qu’Alexandre se conforma d’autant plus volontiers à cet avis, qu’ayant consulté Virgile sur le sort qui lui étoit réservé, il crut y trouver un présage assuré de son élévation à l’empire dans ces fameux vers :

Excudent alii spirantia mollius æra,
Credo equidem, &c.
Tu regere imperio populos, Romane, memento ;
Hæ tibi erunt artes.

Claude le Gothique voulant savoir quelle seroit la durée de son regne, consulta Virgile à l’ouverture du livre, & lut ce vers.

Tertia dum latio regnantem viderit æstas.

alors il tira la conclusion, qu’il n’avoit au plus que trois ans à vivre ; l’auteur qui nous a conservé ce fait, assure que Claude ne survécut en effet que deux ans à cette espece de prédiction ; & que celles qu’il crut de même avoir trouvées dans Virgile sur ce qui devoit arriver à son frere & à sa postérité, eurent aussi leur accomplissement.

On rencontre dans les auteurs plusieurs exemples de cette espece ; Bullengerus en a recueilli une partie dans le traité qu’il a composé sur ce sujet ; mais ceux que l’on vient de rapporter suffisent pour montrer jusqu’où peut aller la superstition humaine. (D. J.)

Sorts des saints, (Divinat. des Chrétiens.) sortes sanctorum, espece de divination qui vers le troisieme siecle s’est introduite chez les Chrétiens à l’imitation de celles qu’on nommoit parmi les payens, sortes homericæ, sortes virgilianæ.

Elle consistoit à ouvrir au hasard les livres sacrés, dans l’espérance d’y trouver quelques lumieres sur le parti qu’ils avoient à suivre dans telles & telles circonstances ; d’y apprendre, si le succès des événemens qui les intéressoient, seroit heureux ou malheureux, & ce qu’ils devoient craindre ou espérer du caractere, de la conduite, & du gouvernement des personnes auxquelles ils étoient soumis.

L’usage avoit établi deux manieres de consulter la volonté de Dieu par cette voie : la premiere étoit, comme on vient de le dire, d’ouvrir au hasard quelques livres de l’Ecriture-sainte, après avoir imploré auparavant le secours du ciel par des jeûnes, des prieres, & d’autres pratiques religieuses. Dans la seconde qui étoit beaucoup plus simple, on se contentoit de regarder comme un conseil sur ce qu’on avoit à faire, ou comme un présage du bon ou du mauvais succès de l’entreprise qu’on méditoit, les premieres paroles du livre de l’Ecriture, qu’on chantoit dans le moment où celui qui se proposoit d’interroger le ciel par cette maniere, entroit dans une église.

Saint Augustin dans son épître à Januarius, ne paroît condamner cette pratique qu’au sujet des affaires mondaines ; cependant il aime encore mieux qu’on en fasse usage pour les choses de ce siecle, que de consulter les démons.

S. Grégoire évêque de Tours, nous a fait connoître d’une maniere assez particuliere les cérémonies religieuses, avec lesquelles on consultoit les sorts des saints. Les exemples qu’il en donne, & le sien propre, justifient que cette pratique étoit fort commune de son tems, & qu’il ne la desapprouvoit pas.

On en jugera par ce qu’il raconte de lui-même en ces termes : « Leudaste comte de Tours, qui cherchoit à me perdre dans l’esprit de la reine Frédegonde, étant venu à Tours avec de mauvais desseins contre moi ; frappé du danger qui me menaçoit, je me retirai fort triste dans mon oratoire ; j’y pris les pseaumes de David, pour voir si à leur ouverture, je n’y trouverois rien d’où je pusse tirer quelque consolation, & j’en eus une très-grande de ce verset, que le hasard me présenta : Il les fit marcher avec espérance & sans crainte, pendant que la mer enveloppoit leurs ennemis. En effet, ajoute-t-il, Leudaste n’osa rien entreprendre contre ma personne ; car ce comte étant parti de Tours le même jour, & la barque sur laquelle il étoit monté ayant fait naufrage, il auroit été noyé s’il n’avoit pas su nager ».

Ce qu’il rapporte de Meroüée fils de Chilpéric, mérite de trouver place ici, parce qu’on y voit quelles étoient les pratiques de religion auxquelles on avoit recours pour se rendre le ciel favorable, avant que de consulter les sorts des saints, & pour mieux s’assurer de la vérité de la réponse qu’on y cherchoit.

« Méroüée, dit Grégoire de Tours, étant disgracié de Chilpéric son pere, se réfugia dans la basilique de saint Martin ; & ne se fiant point à une pythonisse, qui lui avoit prédit que le roi mourroit cette même année & qu’il lui succéderoit, il mit séparément sur le tombeau du saint, les livres des pseaumes, des rois, & des évangiles ; il veilla toute la nuit auprès du tombeau, & pria saint Martin de lui faire connoître ce qui devoit lui arriver, & s’il régneroit ou non. Ce prince passa les trois jours suivans dans le jeûne, les veilles, & les prieres ; puis s’étant approché du tombeau, il ouvrit d’abord le livre des rois ; & le premier verset portoit ces mots : Comme vous avez abandonné le Seigneur votre Dieu, pour courir après des dieux étrangers, & que vous n’avez pas fait ce qui étoit agréable à ses yeux, il vous a livré entre les mains de vos ennemis. Les passages qui s’offrirent à lui dans le livre des pseaumes, & dans celui des évangiles (passages qu’il seroit inutile de rapporter), ne lui annonçant de même rien que de funeste, il resta long-tems aux piés du tombeau fondant en larmes, & se retira en Austrasie, où il périt malheureusement, trois ans après par les artifices de la reine Frédegonde, sa belle mere ».

Dans cet exemple, on voit que c’est Méroüée qui sans recourir au ministere des clercs de saint Martin de Tours, pose lui-même les livres saints, & les ouvre. Dans celui que l’on va citer toujours d’après le même auteur, on fait intervenir les clercs de l’église, qui joignent leurs prieres à celles du suppliant ; voici comme le même auteur expose ce fait.

« Chramne s’étant révolté contre Clotaire I. & se trouvant à Dijon, les clercs de l’église se mirent en prieres pour demander à Dieu, si le jeune prince réussiroit dans ses desseins, & s’il parviendroit un jour à la couronne. Ils consulterent, comme dans le fait précédent, trois différens livres de l’Ecriture-sainte, avec cette différence, qu’à la place du livre des rois & des pseaumes, ils joignirent ceux du prophete Isaïe, & les épîtres de saint Paul, au livre des Evangiles. A l’ouverture d’Isaïe, ils lurent ces mots : J’arracherai la haie de ma vigne, & elle sera exposée au pillage ; parce qu’au lieu de porter de bons raisins, elle en a produit de mauvais. Les passages des épîtres de saint Paul, & ceux de l’évangile qui se présentoient ensuite, ne parurent pas moins menaçans, & furent regardés comme une prédiction de la mort tragique de ce prince infortuné ».

Non-seulement on employoit les sorts des saints pour se déterminer dans les occasions ordinaires de la vie, mais même dans les élections des évêques, lorsqu’il y avoit partage. La vie de saint Aignan fait foi, que c’est de cette maniere qu’il fut nommé évêque d’Orléans. Saint Euverte qui occupoit le siége de cette ville sur la fin du iv. siecle, se trouvant accablé de vieillesse, & voulant le désigner pour son successeur, le clergé & le peuple s’opposerent vivement à ce choix. Saint Euverte prit la parole, & leur dit : « Si vous voulez un évêque agréable à Dieu, sachez que vous devez mettre Aignan à ma place ». Mais pour leur faire connoître clairement que telle étoit la volonté du Seigneur, après que ce prélat eut indiqué, selon la coutumel un jeûne de trois jours, il fit mettre d’un côté sur l’autel des billets (brevia), & de l’autre, les pseaumes, les épîtres de saint Paul, & les évangiles. Ce que l’historien qu’on vient de citer, appelle ici brevia, étoient comme je l’ai traduit, des billets sur chacun desquels on écrivoit le nom d’un des candidats.

Saint Euverte fit ensuite amener un enfant qui n’avoit point encore l’usage de la parole, & lui commanda de prendre au hasard un de ces billets ; l’enfant ayant obéi, il tira celui qui portoit le nom de saint Aignan, & se mit à lire à haute voix : Aignan est le pontife que Dieu vous a choisi. Mais saint Euverte, continue l’historien, pour satisfaire tout le monde, voulut encore interroger les livres saints ; le premier verset qui se présenta dans les pseaumes, fut : Heureux celui que vous avez choisi, il demeurera dans votre temple. On trouva dans saint Paul ces mots : Personne ne peut mettre un autre fondement que celui qui a été posé ; & enfin dans l’évangile ces paroles : C’est sur cette pierre que je bâtirai mon église. Ces témoignages parurent si décisifs en faveur de saint Aignan, qu’ils réunirent pour lui tous les suffrages, & qu’il fut placé aux acclamations de tout le peuple sur le siége d’Orléans.

Les Grecs aussi-bien que les Latins, consultoient les sorts des saints dans les conjonctures critiques ; Cedrenus rapporte, comme nous l’avons dit en parlant des sorts en général, que l’empereur Héraclius après avoir eu de grands avantages sur Cosroez roi des Perses, se trouvant incertain sur le lieu où il prendroit ses quartiers d’hiver, purifia son armée pendant trois jours ; ce sont les termes de l’historien ; qu’ensuite il ouvrit les évangiles, & qu’il trouva qu’ils lui ordonnoient d’aller hiverner en Albanie.

Depuis le huitieme siecle, les exemples de cette pratique deviennent un peu plus rares ; cependant il est certain que cet usage subsista jusque dans le quatorzieme siecle, avec cette seule différence, qu’on ne se préparoit plus à cette consultation par des jeûnes & des prieres, & qu’on n’y joignoit plus cet appareil religieux, que jusqu’alors on avoit cru nécessaire pour engager le ciel à manifester ainsi ses volontés.

L’église tant grecque que latine, conserva sans cesse quelques traces de cet usage. La coutume étoit encore dans le xv. & xvj. siecle quand un évêque étoit élu, que dans la cérémonie de son sacre, immédiatement après qu’on lui avoit mis sur la tête le livre des évangiles, on l’ouvroit au hasard, & le premier verset qui se présentoit, étoit regardé comme un pronostic de ce qu’on avoit à espérer ou à craindre de son caractere, de ses mœurs, de sa conduite, & du bonheur ou du malheur qui lui étoit réservé durant le cours de son épiscopat ; les exemples en sont fréquens dans l’histoire ecclésiastique.

Si l’on en croit un de ses écrivains qui a fait la vie des évêques de Liége, la mort funeste d’Albert évêque de cette ville, lui fut annoncée par ces paroles, que l’archevêque qui le sacroit trouva à l’ouverture du livre des évangiles : Il envoya un de ses gardes avec ordre de lui apporter la tête de Jean ; & ce garde étant entré dans la prison, lui coupa la tête. L’historien ajoute, que ce prélat en fut si frappé, qu’il adressa la parole au nouvel évêque, & lui dit en le regardant avec des yeux baignés de larmes : Mon fils, en vous donnant au service de Dieu, conduisez-vous avec crainte & avec justice, & préparez votre ame à la tentation ; car vous serez un jour martyr. Il fut en effet assassiné par des émissaires de l’empereur Henri VI. & l’Eglise l’honore comme martyr.

On ajoutoit tant de foi à ces sortes de pronostics ; ils formoient un préjugé si favorable ou si desavantageux aux évêques, qu’on les alléguoit dans les occasions les plus importantes, & même dans celles où il étoit question de prononcer sur la canonicité de leur élection.

La même chose se pratiquoit à l’installation des abbés, & même à la réception des chanoines ; cette coutume subsiste encore aujourd’hui dans la cathédrale de Boulogne, dont le diocèse aussi-bien que ceux d’Ypres & de Saint-Omer, a été formé des débris de cette ancienne église, après que la ville de Térouanne eut été détruite par Charles-Quint. Toute la différence qui s’y trouve présentement, c’est qu’à Boulogne, le nouveau chanoine tire les sorts dans le livre des pseaumes, & non dans celui des évangiles. Feu M. de Langle évêque de Boulogne, peu d’années avant sa mort qui arriva en 1722, rendit une ordonnance qui tendoit à abroger cet usage ; il craignoit avec raison qu’il n’eût quelque chose de superstitieux. Il avoit d’ailleurs remarqué, qu’il arrivoit quelquefois que le verset du pseaume que le hasard offroit au nouveau chanoine, contenoit des imprécations, des reproches, ou des traits odieux, qui devenoient pour lui une espece de note de ridicule, ou même d’infamie. Mais le chapitre qui se prétend exempt de la jurisdiction épiscopale, n’eut point égard à cette ordonnance ; & comme suivant la coutume, on inséroit dans les lettres de prise de possession de chaque chanoine le verset du pseaume qui lui étoit tombé à sa réception, le chapitre résolut seulement, qu’à l’avenir on ajouteroit à ces lettres, qu’on ne faisoit en cela que suivre l’ancienne coutume de l’église de Térouanne.

Quant à la seconde maniere de consulter les sorts des saints, elle étoit comme on l’a dit, beaucoup plus simple, & également connue dans les deux églises grecque & latine. Cette maniere consistoit à regarder comme un bon ou un mauvais augure, ou comme une déclaration de la volonté du ciel, les premieres paroles de la sainte Ecriture, qu’on chantoit à l’église dans le moment qu’on y entroit à cette intention : les exemples en sont très-nombreux.

Saint Cyprien étoit si persuadé que Dieu manifestoit quelquefois ses volontés par cette voie, qu’il y avoit souvent recours ; c’étoit pour ce pere de l’Eglise un heureux présage lorsqu’il trouvoit que les premieres paroles qu’il entendoit en mettant le pié dans l’église, avoient quelque relation avec les choses qui l’occupoient.

Il faut cependant convenir que dans le tems où cet usage de consulter les sorts à venir par l’Ecriture, étoit le plus en vogue, & souvent même accompagné d’un grave appareil d’actes de religion ; on trouve différens conciles qui condamnent en particulier les sorts des saints, & en général toute divination faite par l’inspection des livres sacrés. Le concile de Vannes, par exemple, tenu sous Léon I. dans le v. siecle ; le concile d’Agde assemblé l’an 506 ; les conciles d’Orléans & d’Auxerre, l’un de l’an 511, & l’autre de l’an 595, proscrivent les sorts des saints ; & l’on trouve un capitulaire de Charlemagne publié en l’an 789, qui contient aussi la même défense. Mais les termes dans lesquels ces défenses sont conçues, donnent lieu de croire, que la superstition avoit mêlé une infinité de pratiques magiques dans les sorts des saints, & qu’il ne faut peut-être pas confondre la maniere de les consulter condamnée par ces canons, avec celle qui étoit souvent employée dans les premiers siecles de l’Eglise par des personnes éminentes en piété.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que quelques théologiens conviennent en général qu’on ne peut pas excuser les sorts des saints de superstition ; que c’étoit tenter Dieu que de l’interroger ainsi ; que les Ecritures ne contiennent rien dont on puisse conclure, que Dieu ait pris là-dessus aucun engagement avec les hommes, & que cette coutume bien loin d’être autorisée par aucune loi ecclésiastique, a été abrogée dans les tems éclairés ; cependant ces mêmes théologiens oubliant ensuite la solidité des principes qu’ils venoient d’établir, se sont persuadés que dans certaines occasions, plusieurs de ceux qui ont consulté les sorts des saints, y ont été portés par une secrete inspiration du ciel. (D. J.)

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Étymologie de « sort »

Provenç. sort ; espagn. suerte ; ital. sorte ; du lat. sortem. Sors vient de serere, enfiler ; comparez SÉRIE. Les sortes, suivant Mommsen (tr. fr. I, 242), étaient, dans l'origine, des tailles de bois enfilées d'un cordon, et qui, jetées à terre, tombaient en décrivant diverses figures à peu près comme les runes scandinaves.

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Du latin sors, sortis (« tirage au sort », « destin ») qui donne aussi sorte.
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Phonétique du mot « sort »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
sort sɔr

Fréquence d'apparition du mot « sort » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « sort »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « sort »

  • Le tricheur est celui qui corrige le sort, donc le réel : c'est un mystique en son genre.
    Antonin Artaud — Lettre à Steve Passeur, 13 décembre 1931 , Gallimard
  • Plus grande est notre fortune Et plus sombre est notre sort.
    Robert Desnos — Le Bain avec Andromède, Éditions de Flore
  • Personne ne sort de son lit pour dormir par terre.
    Proverbe indien
  • Personne ne sort avant du ventre de sa mère.
    Proverbe arabe
  • Le vin entre et la raison sort.
    Proverbe français
  • Rien ne sort de rien.
    Alcée
  • Lorsque le vin entre, le secret sort.
    Le Talmud
  • La morale, ça ne sort personne de la fosse commune.
    Tahar Ben Jelloun — La réclusion solitaire
  • Le dernier recours de ceux que le sort a frappés est l'idée du sort.
    Emil Michel Cioran
  • Blessé lors de la finale de FA Cup entre Arsenal et Chelsea, César Azpilicueta est sorti du terrain en pleurs.
    Onze Mondial — Arsenal - Chelsea : Azpilicueta sort sur blessure en larmes
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Images d'illustration du mot « sort »

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Traductions du mot « sort »

Langue Traduction
Anglais spell
Espagnol destino
Italien sorte
Allemand schicksal
Chinois 命运
Arabe مصير
Portugais destino
Russe судьба
Japonais 運命
Basque patu
Corse u distinu
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Synonymes de « sort »

Source : synonymes de sort sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « sort »

Combien de points fait le mot sort au Scrabble ?

Nombre de points du mot sort au scrabble : 4 points

Sort

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