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Enfoncer

Définitions de « enfoncer »

Trésor de la Langue Française informatisé

ENFONCER, verbe.

I.− Emploi trans.
A.− Faire pénétrer quelque chose avec force (et de manière à vaincre d'éventuelles résistances) vers le fond ou jusqu'au fond.
1. Domaine concr.Il fallut donc enfoncer des pieux dans le lit de la rivière, afin de soutenir le tablier fixe du pont (Verne, Île myst.,1874, p. 274).Il saisit une bouteille et enfonça le tire-bouchon dans le liège crissant (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 11):
1. Quelle était la résistance de la chair? Convulsivement, Tchen enfonça le poignard dans son bras gauche. Malraux, La Condition humaine,1933, p. 182.
P. anal., dans un domaine abstr.Le jeune étranger enfonçoit ses regards dans ce dôme qui lui paraissoit d'une immense profondeur et transparent comme le verre (Chateaubr., Natchez,1826, p. 129).
Locutions
Enfoncer ses racines dans le sol. L'arbre tout entier, (...) avec ses pieds enfoncés dans le sol contre le vent et l'orage (Taine, Philos. art,t. 1, 1865, p. 153).P. métaph. Mais moi j'existe, la racine de mon âme enfoncée dans l'immortalité (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 284).S'ils avaient pu prévoir que l'entreprise aboutirait (...) à enfoncer en terre marocaine les racines de la puissance économique de l'Allemagne (Jaurès, Eur. incert.,1914, p. 395).
Par hyperbole. Enfoncer son coude, son genou... dans le ventre... l'estomac... de qqn. Je profitais des bousculades (...) pour lui enfoncer mon coude entre les côtelettes (Queneau, Exerc. style,1947, p. 31).
Enfoncer un chapeau, une coiffure dans (ou plus rarement sur) la ou sa tête; par brachylogie enfoncer son chapeau (Ac.). Abaisser avec force sa coiffure sur la tête de manière que celle-ci y entre bien avant, soit bien placée au fond. Tout à coup, il se lève, enfonce son chapeau sur son front, sort et clôt sa porte (Borel, Champavert,1833, p. 233).
2. Au fig.
Enfoncer qqc. dans qqc. ou dans qqn.
[L'accent est mis sur une forte résistance] Enfoncer qqc. dans le crâne, la tête, l'esprit de qqn. En pénétrer sa pensée, son esprit. Il n'est pas de tâche plus noble que la nôtre! Enfoncez-vous bien ça dans la tête (Achard, Voulez-vous jouer,1924, I, 3, p. 76):
2. Elle avait ajouté l'idée presque unique qu'elle s'était spécialement forgée et qu'aussi elle répétait chaque fois qu'on la voyait, sans se lasser, et comme pour l'enfoncer dans la tête des autres : « elle aurait dû se soigner radicalement dès le début. » Proust, Le Côté de Guermantes 2,1921, p. 331.
[P. méton. de l'obj. secondaire] Enfoncer qqc. en qqn.Il faut, une bonne fois, vous habituer à mon langage et enfoncer en vous cette idée simple que je n'appartiens à rien ni à personne (Bloy, Journal,1899, p. 373).Était-ce le canon qui sonnait sans relâche, (...) qui enfonçait en nous cette certitude de vaincre? (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 181).
[L'accent est mis sur une répétition, une accumulation] Enfoncer toujours le même clou. Répéter inlassablement la même chose (pour en pénétrer son interlocuteur). Pas de poésie qui puisse, pour s'exprimer, se passer de mots. Enfonçons toujours le même clou dans le même mur (Bremond, Poésie pure,1926, p. 97).
P. anal. Ce vieux clocher d'Eauze, semeur d'heures lentes, vides, pareilles, qui disaient toutes la même chose depuis l'enfance, qui enfonçaient toutes la même pensée, au même endroit du cœur (Vogüé, Morts,1899, p. 270).Cette attente trompée donnait l'illusion que le motif n'est qu'étanché, les redites ne l'ayant pas enfoncé comme un clou dans la mémoire (Saint-Saëns, Portr. et souv.,1909, p. 121).
Enfoncer qqn dans qqc.
Enfoncer qqn dans une opinion, un état d'esprit. Le confirmer, l'encourager dans cette opinion, cet état d'esprit. Chaque obus enfonce davantage le peuple de Madrid dans sa foi (Malraux, Espoir,1937, p. 755).Ceci ne ferait que l'enfoncer dans l'opinion qu'il a d'elle, qui n'est pas bonne (Gide, École femmes,1929, p. 1298).
Enfoncer qqn dans une situation (pénible, illicite). Accentuer, aggraver sa situation. Enfoncer qqn dans le vice, dans le mal. Car tout l'enseignement de celui-ci n'a servi qu'à enfoncer l'humanité un peu plus avant dans le gâchis (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1197).
B.− Faire céder par une violente poussée vers l'intérieur.
1. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose] Ouvrez, ou j'enfonce la porte (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 143):
3. ... c'est une tempête. (...). Un coup de mer passa sur la proue du vaisseau, enfonça son pont, et, le traversant en diagonale, emporta sa yole et trois matelots. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 139.
P. plaisant. Enfoncer une porte ouverte. Déployer beaucoup d'efforts pour prouver ce qui est avéré ou pour réaliser ce qui est accompli. La conséquence saute aux yeux. Réclamer cela, c'est enfoncer une porte ouverte (Proust, Guermantes 1,1920, p. 245).
2. [Le compl. d'obj. dir. désigne une ou plusieurs pers.]
a) Enfoncer une armée. Y faire une percée, la défaire. La cavalerie romaine s'ébranle pour enfoncer les barbares (Chateaubr., Martyrs,t. 1, 1810, p. 290).Au combat, ces garçons (...) enfonçaient n'importe quelle troupe et forçaient la victoire (Pourrat, Gaspard,1922, p. 224).
b) Enfoncer un adversaire
Le renverser, l'abattre. La révolte contre la vieille école éclatait dans toute sa fureur. On démolissait Voltaire, on enfonçait Racine (Reybaud, J. Paturot,1842p. 4).Ce n'est pas une petite histoire besogne que d'enfoncer le ministre (Baudel., Hist. extr.,1856, p. 59).
Fam. Le convaincre, emporter son adhésion malgré ses résistances. Donne-moi le manuscrit de l'archer, après-demain nous déjeunons chez les libraires et nous les enfonçons! (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 471).
P. ext. et p. anal. [L'obj. désigne une création de l'esprit humain] Surclasser, surpasser quelque chose. Les pages 322-335 me paraissent enfoncer tout ce qui s'est fait dans ce genre-là (Flaub., Corresp.,1866, p. 89).
II.− Emploi pronom. à sens passif.
A.− Aller vers le fond, jusqu'au fond. Les réservoirs s'emplirent, et le « Nautilus », s'enfonçant peu à peu, disparut sous la nappe liquide (Verne, Île myst.,1874, p. 582).Il souleva la dalle funéraire sous laquelle s'enfonçait un escalier de marbre, et il descendit marche à marche (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 98):
4. C'était bien la vingtième échelle déjà, et la descente continuait. Alors, il les compta : vingt et une, vingt-deux, vingt-trois, et il s'enfonçait, et il s'enfonçait toujours. Une cuisson ardente lui enflait la tête, il croyait tomber dans une fournaise. Zola, Germinal,1885, p. 1368.
P. ext. [Le suj. désigne une pers.]
1. [Avec un compl. prép.] Entrer profondément dans quelque chose.
[dans l'espace] Il s'enfonçait dans l'ombre et la brume (Hugo, Fin Satan,1885, p. 767).S'enfoncer dans un divan, dans un lit. Je m'enfonçai dans un fauteuil et pris un roman (Gobineau, Pléiades,1874, p. 69).
S'enfoncer dans un pays, s'enfoncer dans une direction. Progresser, s'engager profondément à l'intérieur de ce pays ou dans cette direction. Il fallait qu'il commençât par s'enfoncer dans l'intérieur du pays (Staël, Lettr. L. de Narbonne,1792, p. 66).En s'enfonçant vers l'ouest, que cherchait le grand marin génois, sinon à abréger les voyages au pays des épices? (Verne, Enf. cap. Grant,t. 2, 1868, p. 26).
[dans le temps] À mesure que nous enfonçons dans l'avenir (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 237).
[Dans une situation] Plus je m'enfonçais dans mes pensées, et plus ma colère augmentait (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 102).Je m'enfonce ici dans le « farniente » et les délices de l'insouciance (M. de Guérin, Corresp., 1834, p. 164):
5. Nous nous enfonçons dans le bourgeois d'une manière épouvantable et je ne désire pas voir le vingtième siècle. Flaubert, Corresp.,1865, p. 176.
[dans une activité] S'absorber entièrement en elle. Toute l'Europe centrale se réfugie contre l'ennui, s'enfonce dans la lecture des journaux (Tharaud, An prochain,1924, p. 278).
2. [Sans compl. prép.] Péj. Aller vers une situation de plus en plus grave. Je dis que ces gens-là s'enfoncent et se ruinent (Proudhon, Propriété?1840, p. 263).Saint-Bertrand s'enfonce, se dégrade! (Flaub., Corresp.,1865, p. 105):
6. Eh bien, c'est que, quelquefois, j'ai une espèce de jouissance à vous laisser vous enfoncer, vous enfoncer, vous enliser, à voir ce qui arriverait si cela continuait... Cocteau, Les Parents terribles,1938, I, 2, p. 193.
B.− Céder, s'abaisser sous la pression de quelque chose. Voilà ses genoux qui se tordent; ses côtes s'enfoncent (Flaub., Tentation,1874, p. 140):
7. ... le pied broyait des coupes d'or et des têtes humaines, et à chaque pas on sentait qu'on marchait sur de la chair, que quelque chose s'enfonçait sous vous et que des soupirs montaient. Flaubert, Smarh,1839, p. 67.
III.− Emploi intrans. Aller vers le fond, jusqu'au fond de quelque chose. La terre était humide, les chevaux enfonçaient (Barante, Hist. ducs Bourg.,t. 4, 1824, p. 74).Je sentais ta peau sous la chemisette, et mon doigt enfonçait un peu... C'était très bon... (Zola, Curée,1872, p. 482):
8. Brusquement, il enfonce. Il enfonce de deux ou trois pouces. Décidément il n'est pas dans la bonne route; il s'arrête pour s'orienter. Tout à coup il regarde à ses pieds. Ses pieds ont disparu. Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 547.
Au fig. [En parlant d'une pers.] Être dans une situation qui empire, qui s'aggrave de plus en plus. On se sent enfoncer, pour ainsi dire, dans la barbarie (Guizot, Hist. civilisation,Leçon no6, 1828, p. 27).Je ne me heurtais pas : j'enfonçais; je perdais pied (Gide, Journal,1904, p. 145):
9. Je vois la France baisser d'heure en heure, s'abîmer comme une Atlantide. Pendant que nous sommes là, à nous quereller, ce pays enfonce. Michelet, Le Peuple,1846, p. 39.
Rem. La docum. atteste le subst. masc. enfonçage : cassage de carreaux et enfonçage de portes (Goncourt, Journal, 1889, p. 1039) et le subst. fém. enfonçade : C'est une enfonçade qu'on te prépare, et sérieuse (Flaub., Corresp., 1860, p. 366) qui signifient tous deux « action d'enfoncer quelque chose ».
Prononc. et Orth. : [ɑ ̃fɔ ̃se], (j')enfonce [ɑ ̃fɔ ̃:s]. Enq. : /ãfõs/ (il) enfonce. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Prend une cédille devant a et o : nous enfonçons, j'enfonçai(s). Étymol. et Hist. 1. Ca 1150 « pourvoir d'un fonds » (Charroi Nîmes, éd. Mac Millan, 984); 2. 1278 enfonsé « chargé de » (Sarrazin, Rom. de Ham, éd. A. Henry, 1488); ca 1393 yeuls enfoncés (Ménagier, II, 152 ds T.-L.); 3. 1587 « pousser afin de briser une unité » (Lanoue, Disc., p. 291 ds Gdf. Compl.). Dér. de fons, fonds*; préf. en-*, dés. -er. Fréq. abs. littér. : 4 112. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 349, b) 7 501; xxes. : a) 6 954, b) 5 572. Bbg. Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 66. − Gottsch. Redens. 1930, p. 198, 215, 280. − Guiraud (P.). Le Champ morpho-sém. du mot tromper. B. Soc. Ling. 1968, t. 63, pp. 96-109. − Orr (J.). Some ambivalent words and etymology. In : Words and sounds. Oxford, 1953, pp. 209-214. − Quem. 2es. t. 1 1970; t. 3 1972.

Wiktionnaire

Verbe - français

enfoncer \ɑ̃.fɔ̃.se\ transitif 1er groupe (voir la conjugaison) (pronominal : s’enfoncer)

  1. Mettre au fond, pousser vers le fond, faire pénétrer bien avant.
    • Des torrents d'eau, […], ruisselaient sur le cortège. Certains enfonçaient le cou dans leur macferlane, d'autres inclinaient leurs capuchons pointus. — (Paul et Victor Margueritte, Le Désastre, p.257, 86e éd., Plon-Nourrit & Cie)
    • Recule vite, cherche le dur, le sec, ou tu es perdu. Tu croiras t'échapper en avançant […]. Tu t'enfonces davantage […]. — (Jean Rogissart, Passantes d’Octobre, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1958)
    • Enfoncer des pieux, des pilotis. — Enfoncer un clou dans la muraille.
    • Enfoncer le burin dans le cuivre. — Il lui enfonça son épée dans le corps.
  2. Rompre, briser en poussant, en pesant, etc.
    • Coconnas, qui n’avait point encore achevé d’enfoncer la porte de Mercandon, quoiqu’il s’escrimât de tout son cœur, fut pris dans ce brusque refoulement. — (Alexandre Dumas, La Reine Margot, 1845, volume I, chapitre IX)
    • Mais il y a la beauté de l’effort, objectera-t-on, même si cet effort est inutile ; on n’enfonce pas les portes ouvertes, soit ! — (Franc-Nohain [Maurice Étienne Legrand], Guide du bon sens, Éditions des Portiques, 1932)
    • Le même soir, quelques officiers de la commune enfoncèrent sa porte, visitèrent ses papiers, ses effets, harpèrent ce qui pouvait leur convenir et apposèrent les scellés sur les portes. — (Une agonie de soixante-quinze jours: journal inédit de Louis-Marie Debost - août 1793-avril 1794, page 54, Librairie Académique Perrin, 1932)
  3. (Militaire) Percer, rompre, renverser en y pénétrant, en parlant d'une ligne de front.
    • Enfoncer un bataillon, enfoncer un escadron, enfoncer les rangs, etc.
  4. Presser fortement, pour bien faire sentir la pression.
    • Enfoncer les éperons à un cheval.
  5. (Intransitif) Aller au fond.
    • La nacelle enfonça dans l’eau. — Un cheval qui enfonce dans la boue jusqu’au poitrail.
    • (Absolument)Lebrac, aux trois quarts enlisé, céda à leurs appels et voulut tourner bride. Impossible, ses extrémités inférieures jusqu’à mi-jambes étaient prises et il enfonçait toujours, toujours, lentement : […] — (Louis Pergaud, Un sauvetage, dans Les Rustiques, nouvelles villageoises, 1921)
  6. (Pronominal) Rentrer dans quelque chose, être aspiré, absorbé par quelque chose.
    • La sirène meugle. Les non-voyageurs descendent. Derniers cris. L’Itabera s'enfonce dans la nuit amazonienne. — (Albert Londres, L’Homme qui s'évada, p.167, Les éditions de France, 1928)
    • Je marchais à la limite des vaguelettes, là où les pieds s’enfoncent peu dans le sable lisse et frais. Le léger ressac effaçait aussitôt l'empreinte de mes pas. — (Michel Goeldlin, Panne de cerveau, page 45, Alban, 2004)
    • Les racines de cet arbre s’enfoncent horizontalement dans ce mur.
  7. (Pronominal) (Figuré) Se donner tout entier à quelque chose ; s’y absorber entièrement.
    • Cet homme s’enfonce dans l’étude, dans la débauche, dans le jeu.
    • S’enfoncer dans de profondes rêveries. — S’enfoncer dans ses méditations,
  8. (Pronominal) Faire de mauvaises affaires ; échouer dans une entreprise.
    • J’étais écœurée de son attitude, elle jouait les étonnées et essayait de me persuader que c'était Jojo qui avait tapé ce courrier. Elle devait se payer ma tête, mais plus elle essayait de me persuader, plus elle s'enfonçait, […]. — (Catherine Podgorski, Charlatan, Scélérat, Menteur! Je vous présente mon employeur, Éditions Publibook, 2001, page 68)
    • Ce banquier a fait de mauvaises spéculations : il s’est enfoncé. — Une affaire qui s’enfonce.
  9. (Pronominal) Être entraîné dans une situation négative, sans pouvoir ou sans vouloir réagir.
    • Plus les années passaient et plus je m’enfonçais dans le mensonge.
  10. (Pronominal) (Figuré) Avancer en pénétrant.
    • Le bateau s'enfonce dans l'obscurité. Le projecteur fixé au-dessus du chalut éclaire les eaux vertes et écumantes qu'accompagne le cortège des mouettes. — (Jacky Durand, La nuit où le hareng sort, Libération, 29/11/2010, page 30-31)
  11. Avoir le dessus.
    • LYON[…] Pas d’ouvrage d’avance ; sitôt qu’il y a un ralentissement dans les commandes, l’ouvrier jeûne. De plus, sa situation vis-à-vis du patron est belligérante ; dès que deux hommes traitent seul à seul, c’est à qui des deux enfoncera l’autre. — De là, une haine réciproque ; voyez les insurrections de 1831, 1835 ; il y a trente mille hommes de troupe ici. — (Hippolyte Taine, Carnets de voyage : Notes sur la province, 1863-1865, Hachette, 1897)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

ENFONCER. v. tr.
Mettre au fond, pousser vers le fond, faire pénétrer bien avant. Enfoncer un vase dans l'eau. Enfoncer des pieux, des pilotis. Enfoncer un clou dans la muraille. Enfoncer le burin dans le cuivre. Il lui enfonça son épée dans le corps. S'enfoncer dans la boue. Le plancher s'enfonça. S'enfoncer dans un bois. Enfoncer son chapeau, Faire que la tête entre plus avant dans le chapeau. Il signifie figurément Prendre une attitude de fanfaron; ou Prendre une résolution courageuse, hardie, dans quelque circonstance difficile, périlleuse. Enfoncer les éperons à un cheval, Les lui faire sentir fortement. Avoir les yeux enfoncés dans la tête, Avoir les yeux placés au fond de l'orbite. Un lieu enfoncé, une partie enfoncée, Un lieu, une partie qui n'est pas au niveau du reste, qui forme cavité, ou un endroit profond. Fig. et fam., Avoir l'esprit enfoncé dans la matière, Être épais, lourd d'esprit.

S'ENFONCER signifie figurément Se donner tout entier à quelque chose. Cet homme s'enfonce dans l'étude, dans la débauche, dans le jeu. S'enfoncer dans de profondes rêveries. Fig., Être enfoncé, s'enfoncer dans ses méditations, S'y absorber entièrement. Il signifie encore Faire de mauvaises affaires, échouer dans une entreprise. Ce banquier a fait de mauvaises spéculations : il s'est enfoncé. Une affaire qui s'enfonce.

ENFONCÉ se dit dans cette acception de Quelqu'un qui a le dessous. Le voilà enfoncé.

ENFONCER signifie aussi Rompre, briser en poussant, en pesant, etc. Enfoncer une porte. Ils enfoncèrent le plancher. La bombe enfonça la voûte de la cave. Enfoncer une côte. Fig. et fam., Enfoncer une porte ouverte, Faire un effort pour vaincre un obstacle qui n'existe pas. Enfoncer un bataillon, enfoncer un escadron, enfoncer les rangs, etc., Les percer, les rompre, les renverser en y pénétrant.

ENFONCER s'emploie intransitivement dans le sens d'Aller au fond. La nacelle enfonça dans l'eau. Un cheval qui enfonce dans la boue jusqu'au poitrail. Absolument, Le bateau enfonce. N'allez pas plus loin, nous enfonçons.

Littré (1872-1877)

ENFONCER (an-fon-sé. Le c prend une cédille devant a et o : enfonçons, j'enfonçais) v. a.
  • 1Pousser vers le fond ; faire pénétrer profondément. Enfoncer un vase dans l'eau, un pieu en terre. Il lui enfonça son épée dans le corps. Si quelqu'un crie à l'aide en se noyant, je l'enfoncerai au lieu de lui tendre la main, Perrot D'Ablancourt, Lucien, Timon. Et que, pour signaler son empire nouveau, On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau, Racine, Ath. v, 6. [Le lion] souffrait que dans sa gueule il enfonçât la tête ; Le spectateur en frémissait, Lamotte, Fabl. v, 13. Il y en eut plusieurs qui m'apportèrent de petits clous fort jolis pour m'enfoncer dans les bras et dans les cuisses en l'honneur de Brama, Voltaire, Bababec. Au sein du meurtrier j'enfoncerai mon bras, Voltaire, Mérope, II, 7. Connaissez dans quel sang vous enfoncez vos mains, Voltaire, Scythes, v, 5.

    Fig. Quand les Juifs eurent vu par expérience que tous les messies qu'ils avaient suivis, loin de les tirer de leurs maux, n'avaient fait que les y enfoncer davantage, Bossuet, Hist. II, 10.

    Enfoncer son chapeau dans la tête, faire entrer avant la tête dans le chapeau ; métonymie que l'usage a consacrée ; car on devrait dire enfoncer la tête dans le chapeau ; on dit de même le casque en tête, au lieu de la tête en casque.

    Fig. Enfoncer son chapeau, prendre une attitude de déterminé, et aussi prendre une résolution hardie. Enfonce ton bonnet en méchant garçon, Molière, Scapin, I, 7. Ce particulier, enfonçant son chapeau sur sa tête, lui répondit qu'il ne s'entendait point en bas-reliefs, Diderot, Salon de 1767, Œuvres, t. XV, p. 158, dans POUGENS.

    Terme de manége. Enfoncer les éperons à un cheval, les lui faire sentir avec violence.

    Fig. Enfoncer à quelqu'un le poignard dans le sein, lui causer un très vif chagrin, une perte cruelle. Mais Mardochée assis aux portes du palais Dans ce cœur malheureux enfonce mille traits, Racine, Esth. II, 1. Enfonçons dans son cœur le trait qui le déchire, Voltaire, Brutus, II, 3.

  • 2Néologisme et populairement. Vaincre, déjouer ou ruiner quelqu'un. Il l'a enfoncé. Je rentrais dans la coulisse au milieu d'un murmure général ; ce qui m'enfonça jusqu'au troisième dessous, Bayard, les Gants jaunes, sc. 1.
  • 3Forcer, briser, faire une ouverture dans les parois. Sus, sus, brisons la porte, enfonçons la maison, Corneille, Médée, v, 7. Si ce peuple une fois enfonce le palais, Corneille, Nicom. v, 6. Cette petite fille de dix-sept ans a donc aimé ce don Quichotte ; et hier il alla avec cinq ou six gardes de M. de Gèvres enfoncer la grille du couvent avec une bûche et des coups redoublés, Sévigné, 534. Du palais de Mérope on enfonce la porte, Voltaire, Mér. v, 5.

    Enfoncer une côte, la briser.

    Fig. Mettre à mal. Ne soyez point juge, si vous ne pouvez enfoncer par force l'iniquité, Bossuet, Polit. IV, I, 8.

    Fig. et familièrement. Enfoncer une porte ouverte, se vanter d'avoir surmonté un obstacle qui n'existait pas.

  • 4 Terme militaire. Mettre une troupe en désordre et la forcer à plier. La bataille recommença pour la troisième fois avec plus de furie et d'acharnement ; enfin le nombre l'emporta ; les Suédois furent rompus, enfoncés et poussés jusqu'à leur bagage, Voltaire, Charles XII, IV. De toutes parts on perce, on enfonce leurs rangs, Saurin, Spart. I, 2. Épaminondas assuré de la victoire s'il peut enfoncer cette aile si redoutable, Barthélemy, Anach. chap. 1.
  • 5Examiner à fond, pénétrer. Au moins n'enfoncent-ils guère leurs affaires, et ne les conduisent que rarement à leur dernier point, Guez de Balzac, 5e disc. sur la cour. Nous trouvons dans leurs esprits des incertitudes quand nous enfonçons avec eux la matière de la communion, Bossuet, Déf. com. Ils n'ont pas, si j'ose le dire, deux pouces de profondeur ; si vous les enfoncez, vous rencontrez le tuf, La Bruyère, VIII. Mme la duchesse d'Orléans n'aurait ni la grâce ni la force nécessaire pour le lui bien enfoncer [convaincre la duchesse de Bourgogne de l'importance du mariage du duc de Berry avec Mademoiselle], Saint-Simon, 267, 99.

    Cet emploi d'enfoncer a vieilli.

  • 6 Terme de tonnelier. Mettre le fond à une futaille.
  • 7Joindre ensemble toutes les parties d'un ouvrage de layetterie.
  • 8 Terme de potier. Enfoncer un plat, le faire plus creux ou plus profond.
  • 9 Terme de graveur. Rendre plus creux.
  • 10 Terme d'imprimerie. Enfoncer une ligne, mettre un cadratin au commencement d'une ligne qui suit immédiatement un alinéa.
  • 11 Terme de fauconnerie. Fondre sur la proie en la poussant jusqu'à la remise. L'épervier vient d'enfoncer la perdrix. Et absolument : l'oiseau enfonce.
  • 12 V. n. Aller au fond. La nacelle enfonça. Enfoncer dans un bourbier jusqu'aux oreilles.

    Par extension. Tirez-moi de cette boue où je ne saurais marcher sans enfoncer tous les jours davantage, Massillon, Car. Pâques. Si je pouvais pénétrer dans le secret des familles, là je trouverais l'innocence prête à enfoncer et préservée du naufrage, Massillon, Or. fun. Villars.

    Fig. Mais enfonçons davantage dans les sentiments du ministre, Bossuet, Var. 15. La cour veut toujours unir les plaisirs avec les affaires… enfoncez, vous trouverez partout des intérêts cachés, des jalousies délicates qui causent une extrême sensibilité, et, dans une ardente ambition, des soins et un sérieux aussi triste qu'il est vain, Bossuet, Anne de Gonz. Montrez aux femmes combien elles sont incapables d'enfoncer dans les difficultés du droit, Fénelon, t. XVII, p. 99.

  • 13S'enfoncer, v. réfl. Toucher, pénétrer dans un fond. Le vaisseau s'enfonce dans les vagues. À la seconde journée, deux de leurs moutons s'enfoncèrent dans des marais, Voltaire, Cand. 19. Le terrain qu'il parcourt, semblable à la mer agitée par une violente tempête, s'enfonce ou s'élève sous ses pas [dans un tremblement de terre], Genlis, Veillées du chât. t. I, p. 642. dans POUGENS.

    Par extension. À ces mots il s'enfonça dans son lit, et ne tarda guère à se rendormir, Lesage, Gil Blas, III, 8.

    Fig. Les jours, les mois, les années s'enfoncent et se perdent sans retour dans l'abîme des temps, La Bruyère, XIII.

  • 14Pénétrer fort avant. Je m'enfonçai dans une sombre forêt, où j'aperçus tout à coup un vieillard qui tenait un livre dans sa main, Fénelon, Tél. II. Le fils d'Ulysse s'enfonce dans ces ténèbres horribles, Fénelon, ib. XVIII. Son époux s'enfonça dans un désert sauvage, Delille, Géorg. IV. J'ai couru m'enfoncer dans un bois ténébreux, Legouvé, Épichar. et N. I, 3. Les Russes remplissaient en masse ce chemin creux ; Delzons et ses Français s'y enfoncent tête baissée ; les Russes rompus sont renversés, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes, Il serpente et s'enfonce en un lointain obscur, Lamartine, Méd. I, 1.

    Fig. Vous allez vous enfoncer dans d'étranges épines, Molière, F. de Scap. II, 8. Cette parfaite honnêteté [savoir-vivre] demande qu'on se communique à la vie [au monde], et même qu'on s'y enfonce, Méré, Œuvres posth. t. II, p. 313. Pour me plaindre à vos pieds et m'enfoncer dans votre tristesse, ID. ib. Tous les jours ils s'enfonçaient de plus en plus dans le crime, Bossuet, Hist. II, 1. Ils n'ont fait que s'enfoncer de plus en plus dans l'ignorance, Bossuet, ib. II, 10. Poussé par cette aveugle impression qui le dominait, l'homme s'enfonçait dans l'idolâtrie, sans que rien pût le retenir, Bossuet, ib. II, 2. Plus ils sentent et plus ils souffrent, plus ils s'enfoncent dans la vie et plus ils sont malheureux, Rousseau, Hél. III, 21.

  • 15S'écrouler en tombant dans le fond. Le plancher s'enfonça.
  • 16Présenter un enfoncement, un retrait. Cette contrée occupe cent quatre-vingts lieues de côtes, et s'enfonce dans l'intérieur des terres jusqu'à des montagnes fort hautes, plus ou moins éloignées de l'Océan, Raynal, Hist. phil. VI, 25.

    Être dans un fond. Un jardin fort élevé dans lequel la maison s'enfonçait sur le derrière, Rousseau, Confess. I.

  • 17S'adonner entièrement à, s'absorber dans. S'enfoncer dans de profondes rêveries. Il s'enfonça dans la plus abstraite analyse, Fontenelle, Rolle. Cet ouvrage est suffisant pour ceux qui, comme vous et moi, ne se soucient pas de s'enfoncer dans nos antiquités, Diderot, Sur l'hist. du parl.
  • 18 Populairement. Se ruiner soi-même, se ruiner l'un l'autre. Il s'est enfoncé lui-même. Ils cherchaient mutuellement à s'enfoncer.

HISTORIQUE

XVIe s. Enfoncer le battaillon des ennemis, Montaigne, I, 366. …assise à la senestre, Est la melancholie au sourcil enfonsé, Du Bellay, J. VII, 72, verso. Souvent de cent chevaux, il n'y en aura pas vingt et cinq qui enfoncent, Lanoue, 291. Il vit une dixaine de compagnons des plus determinez qui enfonçoient le chapeau selon leur coutume ordinaire quand on les regardoit en face, D'Aubigné, Vie, LXXIV. La glace creva et enfonça plus de 120 hommes, D'Aubigné, Hist. III, 103.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

* ENFONCER. v. act. C’est déplacer dans un corps d’une forme donnée, une certaine portion de sa surface, de maniere que les parties de cette portion soient après le déplacement, plus voisines d’un point quelconque pris au-dedans du corps, qu’elles ne l’étoient auparavant. La difference qu’il y a entre enfoncer & creuser, c’est que pour enfoncer, il ne s’agit pas d’enlever au corps quelques-unes de ses parties, aulieu qu’il faut lui en enlever pour le creuser. D’ailleurs l’action d’enfoncer suppose de la part du corps plus de résistance que l’action de creuser ; on enfonce une porte, on creuse un fossé.

Enfoncer les éperons à un cheval, (Maréchal.) c’est les lui faire sentir avec violence.

Enfoncer, (Fauconnerie.) se dit de l’oiseau qui fond sur sa proie, en la poussant jusqu’à la remise ; l’épervier vient d’enfoncer la perdrix.

Enfoncer (Jardinage.) s’employe quand les arbres se plantent un peu avant dans la terre, c’est le même terme à peu-près qu’enfoüir.

Enfoncer en terme de Layetterie, c’est joindre ensemble le fond, les côtés, le devant, le dessus & le derriere d’un ouvrage.

Enfoncer en terme d’Orfévre, c’est creuser une piece, & lui donner une certaine capacité, de plate qu’elle étoit, ou distinguer le fond d’avec les autres parties ; ce terme revient à celui d’emboutir, & est la premiere opération de la retrainte.

Enfoncer en terme de Planeur, signifie l’action de faire sortir le bouge du fond, & de le faire distinguer de lui & de l’arrête. On se sert de ce terme apparemment, parce que le fond ne paroît tel que quand le bouge est fait.

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Étymologie de « enfoncer »

En 1, et foncer.

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Verbe dérivé de foncer, avec le préfixe en- → voir fond, fonds et fons.
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Phonétique du mot « enfoncer »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
enfoncer ɑ̃ʃɔ̃se

Fréquence d'apparition du mot « enfoncer » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « enfoncer »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « enfoncer »

  • L’homme est le seul animal qui, pour se reproduire, commence par enfoncer sa langue dans la bouche de sa femelle. Toutes les autres bêtes sans exception trouvent du premier coup quels sont les organes adéquats.
    François Cavanna — Le Saviez-vous ?
  • L'homme est en effet le seul mammifère suffisamment évolué pour penser enfoncer des tisonniers dans l'oeil d'un lieutenant de vaisseau dans le seul but de lui faire avouer l'âge du capitaine.
    Pierre Desproges — Dictionnaire superflu
  • Le simple sentiment d'amour n'est pas un passe-partout qui permet d'enfoncer toutes les portes de la vie quotidienne.
    Michaël Halimi
  • Au cinéma, on ne se découvre pas. On sort pour se cacher, pour se blottir, pour s’enfoncer.
    Philippe Delerm — La Première Gorgée de bière
  • Une société qui ne se pense pas ne peut que s'enfoncer dans la décadence, lentement ou brutalement.
    Alain Touraine — La société invisible
  • Les femmes profitent de tout pour vous enfoncer, elles adorent vous rappeler que vous êtes décevant.
    Yasmina Reza — Heureux les heureux
  • A force de taper sur le clou, on finit par l’enfoncer.
    Proverbe québécois
  • Transposons, scénarisons, n’ayons pas peur d’enfoncer le clou.
    Emmanuel Carrère — Le Royaume
  • Mieux vaut s'enfoncer dans la nuit qu'un clou dans la fesse droite.
    Pierre Dac
  • Dans certains cimetières américains, certains défunts demandent que l'on plante un arbre sur leur tombe. Sans doute ces gens pensent-ils qu'ils ne mourront pas tout à fait si leur ADN passe dans l'arbre dont les racines vont s'enfoncer dans la tombe, proliférer, faire des rejetons... Le fantasme de l'immortalité revisité par la science !
    Alain Corbin — Le Point, Juin 2013
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Traductions du mot « enfoncer »

Langue Traduction
Anglais to press in
Espagnol presionar
Italien per premere
Allemand einpressen
Chinois 按下
Arabe للضغط عليها
Portugais para pressionar
Russe вдавить
Japonais 押し込む
Basque sakatu
Corse per pressà in
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Synonymes de « enfoncer »

Source : synonymes de enfoncer sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « enfoncer »

Combien de points fait le mot enfoncer au Scrabble ?

Nombre de points du mot enfoncer au scrabble : 13 points

Enfoncer

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