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Raison

Variantes Singulier Pluriel
Féminin raison raisons

Définitions de « raison »

Trésor de la Langue Française informatisé

RAISON, subst. fém.

I. − Sens subjectif, toujours au sing., le plus souvent avec art. déf.
A. − Principe pensant; mode de pensée.
1. [P. oppos. à l'instinct de l'animal] Faculté qu'a l'esprit humain d'organiser ses relations avec le réel; son activité considérée en général tant dans le domaine pratique que dans le domaine conceptuel. Synon. pensée, intelligence, esprit, connaissance.Si l'on prétend que l'homme a une ame et que les autres animaux n'en ont point, quelle différence caractéristique trouve-t-on entre la raison humaine et la raison des bêtes? En existe-t-il quelqu'autre que celle du plus au moins? (Senancour, Rêveries, 1799, p. 249).S'il était dépourvu de toute faculté de raison, Macaron [un chat] semblait doué de réactions et de sentiments humains: la tendresse, l'amour, l'indifférence, la jalousie, la tristesse (Alma, avr. 1987, n o6, p. 109, col. 1).V. asymptote ex. 2, intelligence I A 1 a ex. de Flaubert:
1. Si les sociétés humaines se distinguent des sociétés animales, c'est à cause justement de l'existence préalable chez les hommes de la faculté d'abstraire et de généraliser et par-delà de l'attention volontaire. Si la raison est fille de la cité, c'est donc parce que d'abord la cité a été fille de la raison. Traité sociol., 1967, p. 67.
2. Ensemble des facultés intellectuelles considérées du point de vue de leur état et de leur usage (capacité, force, intensité) par rapport à la normale. Synon. esprit.Sentir sa raison chanceler, vaciller, chavirer, sombrer; douter de sa raison; la raison s'altère, s'affaiblit, diminue, s'obscurcit, s'égare; une lueur, une étincelle de raison. J'ai fait un déjeûner délicieux avec ce galant homme! J'en suis encore tout égrillard, je sens encore ma raison endommagée par le vin d'Espagne (Borel, Champavert, 1833, p. 169).Une minute, ils se dévorèrent des yeux. Le Roux n'osait descendre sa main vers sa poche. Il vit lentement la raison revenir aux yeux de Zidore. Il comprit qu'on ne se battrait pas (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 174):
2. Elle affligea mon enfance par des accès de mélancolie et des crises de larmes. Sa tendresse pour moi allait jusqu'à troubler sa raison, si lucide et si ferme en toutes choses. A. France, Pt Pierre, 1918, p. 10.
Loc. verb.
Avoir, garder, conserver (toute) sa raison. Jouir de (toutes) ses facultés intellectuelles. Synon. avoir (toute) sa tête, sa lucidité.Il a toute sa raison. Il m'a fait approcher, et m'a prié d'une voix faible de prendre les arrangemens nécessaires pour qu'il pût être enterré sur une colline voisine, d'où la vue porte sur la Lombardie (Krüdener, Valérie, 1803, p. 268).Eux les pas fous, qui avaient toute leur raison, qu'ils disaient (Céline, Voyage, 1932, p. 77).
Perdre la raison. Perdre l'usage de ses facultés intellectuelles ou devenir fou. Marguerite: (...) Vous êtes jaloux, mon beau gentilhomme. La Môle: Oh! à en perdre la raison (Dumas père, Reine Margot, 1847, iii, 7etabl., 8, p. 101).Mon petit garçon a perdu la raison à l'âge où l'on n'en a pas encore (A. France, Livre ami, 1885, p. 68).En 1788, Georges III perdit la raison (Lefebvre, Révol. fr., 1963, p. 221).P. exagér. Suivre un parti déraisonnable, hors du bon sens. Quoi! Vous avez fait ce mauvais marché? il faut que vous ayez perdu la raison (Ac.1798-1878).
Recouvrer la/sa raison. Retrouver sa lucidité. Roulant au hasard, je me rappelle les signaux que j'avais semés pour retrouver la route de ce dédale incliné. Je les cherchais vainement. Le désespoir me saisit (...). Mais j'aperçois l'une de ces marques qui me conduit à une autre. Il n'en fallut pas davantage pour relever mes esprits abattus. Dès-lors je recouvre ma raison et mes forces (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 141).
3.
a) [P. oppos. au cœur en tant que siège de l'affectivité, source du sentiment, de la passion et p. oppos. à la volonté en tant que source du caprice] Faculté de bien juger, de discerner le vrai du faux, le bien du mal; ensemble des qualités de celui ou de celle qui sait se rendre maître de ses impulsions, de son imagination, notamment dans son comportement, dans ses actes. Synon. sagesse, bon sens, discernement, jugement, mesure.Que sont l'éloquence et la raison à l'imbécillité suffisante, et au parti pris de l'orgueil? (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 626).J'essayai alors de lui expliquer [à ma femme] qu'il n'y a rien de plus sérieux au monde que la poésie (...). Je me butais perpétuellement à ce qu'elle appelait le bon sens, la raison, cette excuse éternelle des cœurs secs et des esprits étroits (A. Daudet, Femmes d'artistes, 1874, p. 105).V. avertir ex. 9, entendre ex. 16, fierté ex. 3, inébranlable ex. 2, mépriser A ex. de Stendhal, raisonneur A 1 ex. de Sainte-Beuve:
3. C'est cette proportion de froide raison et de passion, de fougue et de logique, d'ivresse joyeuse et de travail douloureux dont tous les maîtres nous donnent l'exemple, qui constitue la force du génie. Arts et litt., 1935, p. 84-7.
SYNT. a) Écouter, suivre la/sa raison; être guidé, éclairé par la raison; se fier, obéir à la/sa raison; abdiquer sa raison; manquer de raison; invoquer, faire valoir la raison; avoir recours, faire appel à la raison (pour convaincre qqn); s'adresser à la raison de qqn. b) Qqc. choque, offense, insulte, outrage la raison; la raison commande, désapprouve, réprouve qqc., s'oppose à qqc. c) Jugement, langage, voix, yeux de la raison; (faire qqc.) au nom de la raison; (dépasser les, sortir des) limites de la raison; la droite, ferme, sage, saine, solide raison. d) Conforme, contraire à la raison.
[Avec la fonction de déterm.] Mariage de raison. Mariage dans lequel l'intérêt, les considérations matérielles, les convenances sociales priment le sentiment. Ce que le monde appelle un mariage de raison, c'est-à-dire un mariage où le cœur n'est pas plus consulté que les yeux (...) je l'appelle un mariage d'aliéné (Augier, Post-scriptum, 1869, p. 124).Il se marie, c'est vrai, mais je crois que ça, c'est plutôt un mariage de raison! et que celle qu'il a, comme on dit, dans la peau, c'est la petite qui était avec vous (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, i, 21, p. 24).P. métaph. Les centristes expliquent en privé que Barre leur « pompe l'air ». « Broutilles, affirme un proche de Barre, ils ont beau s'envoyer des piques en permanence, ils sont d'accord sur le fond et ont besoin les uns des autres. C'est un mariage de raison par énervement mutuel. » (Le Nouvel Observateur, 3-9 nov. 1988, p. 55, col. 3).
Loc. diverses
Contre toute raison. D'une manière complètement déraisonnable, contraire à la logique, au bon sens. Une preuve d'aveuglement des gens qui, contre tout bon sens et contre toute raison, préfèrent tout à l'aveu de l'iniquité commise (Affaire Dreyfus, 1899, p. 242).Quand un homme est en prison, au secret, incapable de se défendre, abandonné de tous parce que toute tentative pour le sauver serait vaine, il n'y a qu'une femme amoureuse qui puisse, contre toute raison, tenter quand même quelque chose... et réussir (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 25).
(Il faut, qqn sait, veut) raison garder. Rester dans les limites du bon sens, de la mesure, de la sagesse. [Philippe le Bel] jugea bientôt que cette affaire de Sicile était épuisante et sans issue et il s'efforça de la liquider avec avantage et avec honneur. Il appliquait déjà sa maxime: « Nous qui voulons toujours raison garder » (Bainville, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 76).Ce premier film d'une série d'« Histoires vraies », proposée par Pascale Breugnot, laisse bien augurer de la suite. Si toutefois les auteurs et réalisateurs savent, comme ce soir, raison garder en traitant la réalité avec réserve et surtout sans se croire obligés d'y mêler leurs propres commentaires (Le Figaro, 23 avr. 1987, p. 36, col. 5).
Entendre raison. Se laisser convaincre de prendre un parti raisonnable. Puisque tu ne veux entendre raison, je saurai bien te soustraire à cette influence (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 145).V. entendre I B 2 a β ex. de Lacretelle.[Le plus souvent dans une tournure factitive] Faire entendre raison à qqn. Ils n'en pouvaient plus. Ils s'étaient emballés, disputés. L'un voulait retourner à Clermont pour sauver son Évelyne, l'autre ne parvenait pas à lui faire entendre raison. Ils avaient failli rompre, se quitter. Ils en étaient venus aux mains, aux coups (J. Lanzmann, Le Jacquiot, 1986, p. 185).
Se rendre à la raison. Même sens. Voilà brièvement ce que j'avais à dire, Et si tu ne veux pas te rendre à la raison, Moi, je saurai du moins gouverner ma maison (Moréas, Iphigénie, 1900, i, 4, p. 34).
Revenir à la raison. Revenir à une attitude raisonnable. Ce soir, le terrible facteur a jeté dans notre boîte une longue lettre d'un crétin grec, d'un idiot d'Athènes qui veut bien me faire des réprimandes historiques [à propos d'un article sur le sultan Abdul-Hamid] et me donner le conseil de revenir à la raison en lâchant une religion d'imposture (Bloy, Journal, 1903, p. 205).
Parler raison (à qqn). Tenir des propos raisonnables; essayer de convaincre quelqu'un de prendre un parti raisonnable. Quand cette fille-là riait, il n'y avait pas moyen de parler raison. Tout le monde riait avec elle (Mérimée, Carmen, 1845, p. 60).[Le fermier:] C'en est encore deux des Combettes, qui ont une discussion à propos d'une borne (...) de père en fils, les Lenfant et les Yvonnot sont toujours à se chamailler (...). J'ai eu beau leur parler raison, vous les avez entendus, ils se mangent (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 118).P. ext. [Sans compl.] Devenir accommodant; revenir à une attitude raisonnable. Voilà parler raison. C'est parler raison cela (Ac.).
Mettre qqn à la raison. Faire revenir quelqu'un à une attitude raisonnable, conforme au bon sens. Du ton qu'il eût pris pour mettre à la raison un enfant têtu: − Qu'avez-vous tous, toi et les autres? fit-il (Bernanos, Joie, 1929, p. 650).P. anal. Réduire quelqu'un par la force. Cette laide populace a été mise à la raison (Borel, Champavert, 1833, p. 70).
Ramener, rappeler qqn à la raison. Faire revenir quelqu'un à une vision raisonnable, normale des choses. Il fallait que des gens (...) vinssent le rappeler à la raison, au présent, aux présences (Jacob, Cornet dés, 1923, p. 112).L'article d'information [dans la presse] reflète presque toujours le milieu où l'on a convié son auteur. Les erreurs sont imputables d'abord au théâtre. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne doive pas ramener parfois à la raison l'amateur de scandale ou le diffamateur (Vilar, Tradition théâtr., 1963, p. 116).
En partic. [La raison en tant que faculté des grandes personnes et qui ne vient aux enfants que plus tard, progressivement] Croître en force et en raison; âge* de raison. Quelle jouissance que celle d'avoir des enfans, qui resserrent encore ces nœuds [entre un homme et une femme dans le mariage], que celle de les voir croître, et de guider leurs premiers pas, de développer leur raison! (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 370).Sa petite, âgée de deux ans, une enfant (...) qui avait déjà de la raison comme une femme. On pouvait la laisser seule (Zola, Assommoir, 1877, p. 509).
b) P. méton. Caractère de ce qui est conforme à la logique, au bon sens; signification raisonnable de quelque chose. Synon. sens.Cette critique, pleine de raison, de sel et d'esprit (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 38).Toutes les paroles de Jeanne [d'Arc] qui nous ont été transmises respirent la plus ardente pitié, mais sont empreintes aussi d'un bon sens exquis, d'une raison parfaite (Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 147).Il n'y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 76):
4. Comment s'étonner si le public reste indifférent et froid devant des œuvres vides d'idées, trop souvent dépourvues de raison, et que l'on ne saurait estimer qu'au prix qu'elles ont coûté? « C'est fort cher, donc ce doit être beau. » Viollet-Le-Duc, Archit., 1863, p. 450.
Loc. Sans rime* ni raison.
4. Le plus souvent en log. et dans le lang. des sc. [P. oppos. à l'intuition, à la connaissance intuitive] Intelligence en tant que source de l'activité conceptuelle et visant à la connaissance discursive; faculté qui ordonne discursivement les faits et les notions, qui démontre, qui calcule. En employant le mot raison (...), nous entendrons désigner principalement la faculté de saisir la raison des choses, ou l'ordre suivant lequel les faits, les lois, les rapports, objets de notre connaissance, s'enchaînent et procèdent les uns des autres (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 21).Le savoir scientifique vaut pour tous, parce qu'il est en nous l'œuvre de ce qu'il y a de plus impersonnel, de ce qui est commun à tous: la raison (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 97).V. intelligence I A 1 b ex. de Foulq.-St-Jean 1962, I A 1 d ex. de P. Guillaume, et ex. 16, 17:
5. Comment attribuerez-vous telle partie des connaissances humaines à la mémoire, à l'imagination, à la raison, si lorsque vous demandez par exemple à un enfant de démontrer sur une planche une proposition de géométrie, il ne peut y parvenir sans employer à la fois sa mémoire, son imagination et sa raison? Condorcet, Organ. instr. publ., 1792, p. 466.
[En relation de type synon.] Raison raisonnante*, démonstrative, spéculative. La raison discursive (l'intelligence des rapports) (S. Weil, Pesanteur, 1943, p. 61).
[Avec la fonction de déterm.] Être de raison. V. être2II A.
[P. allus. littér. à Molière, Les Femmes savantes, ii, 7: Et le raisonnement en bannit la raison] V. raisonnement I A 1.
P. anal., notamment dans le domaine de la création artist. [P. oppos. à la sensibilité] Synon. de réflexion, logique, intelligence.La raison n'est, dans aucun art, l'ennemie de l'inspiration; elle en est, au contraire, le régulateur nécessaire et l'alliée la plus sûre (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 109).Le mariage équilibré des sens et de la raison, cher aux méditerranéens (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 136).
5. PHILOS. Faculté des principes.
a) [S'oppose à l'expérience] Pouvoir de former les principes; p. méton., ensemble de ces principes, indépendants de l'expérience et que l'on peut connaître par le raisonnement, par la réflexion. Il n'en est pas d'un principe de jurisprudence, d'un axiome de la raison, comme d'un fait accidentel et contingent (Proudhon, Propriété, 1840, p. 201).Dans les thèses classiques [comme celles de Descartes et de Kant], se perpétuait une sorte d'équilibre instable entre l'homme comme liberté et l'homme comme raison, entre l'homme comme pur principe d'initiative et l'homme comme compréhension d'un ordre aperçu et accepté (F. Alquié, Solitude de la Raison, 1966 [1946], p. 11).V. absolu ex. 69, 76, 81:
6. Les Grecs ont parlé du dialogue comme du lieu où se pratique la Raison. Dans cet esprit, la logique du dialogue devrait déterminer l'épistémologie, la Raison qui se dévoile à elle-même, la première philosophie, toute la philosophie. Fidèle à cette tradition très occidentale, lorsque Hegel croyait trouver la Raison dans l'Histoire, il s'empressait de la décrire en termes dialogiques: l'Esprit du Monde se concrétise dans les institutions par une alternance de thèses, d'antithèses et de synthèses. G. Dispaux, La Log. et le Quotidien, 1984, p. 8.
En partic.
[Chez Kant] Raison ou raison pure ou raison spéculative ou raison théorique. Tout ce qui dans la pensée est à priori, indépendant de l'expérience (s'oppose à expérience); en partic., faculté qui ramène à l'unité les règles de l'entendement sous des principes, qui recherche l'inconditionné, qui prétend à la synthèse totale (s'oppose à expérience et à entendement). Les idées de la raison; les paralogismes de la raison pure. La faculté en nous, à laquelle se rapportent les principes marqués des caractères d'universalité et de nécessité, les principes purs a priori, est la raison, la raison pure (Cousin, Philos. Kant, 1857, p. 43).Un « fait de la raison » est un véritable monstre dans une philosophie comme la sienne [celle de Kant], où tout ce qui est « fait » appartient au monde des phénomènes, et tout ce qui est « raison » au monde intelligible (Lévy-Bruhl, Mor. et sc. mœurs, 1903, p. 58).Pour la raison spéculative, Dieu n'est pas un être ou un objet, mais d'abord un idéal, en ce sens qu'il représente l'unité suprême et stimule ainsi la tendance synthétique de l'esprit, puis une idée (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1262).
Raison pure pratique ou raison pratique. Raison pure dans son usage pratique, c'est-à-dire en tant qu'elle détermine la volonté. Les postulats de la raison pratique. C'est par la loi que se révèle à nous la raison pure pratique, et cette loi a pour caractère d'exclure des maximes de la volonté toute règle qui repose soit sur l'expérience, soit sur une volonté extérieure, de ne laisser subsister pour elles d'autre règle que la forme objective d'une loi en général (V. Delbos, La Philos. prat. de Kant, 1926, p. 430).Établissant entre la raison théorique et la raison pratique une différence de niveau au profit de la seconde, il [Kant] privilégiait en un sens le fidéisme aux dépens du rationalisme (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 96).
[Chez Lalande] Raison constituante. Intelligence créatrice, intuitive, immuable, commune à tous. Raison constituée. Ensemble de règles, de principes, variables selon les personnes et selon les époques, sur lesquels se fondent nos raisonnements. Il faut distinguer dans la raison (...) la raison constituée et la raison constituante. − La première, certainement variable (...), est la raison telle qu'elle existe à un moment donné (Lalande, Raison et normes, 1948, p. 16).La raison constituée définit le piège où perpétuellement la raison constituante risque de se prendre au mot de sa propre sagesse (G. Gusdorf, Traité de Métaphys., 1956, p. 455).
P. anal. Ensemble des principes directeurs qui régissent une activité intellectuelle, notamment scientifique. Confronter, étape par étape, les exigences si rigoureuses de la raison historique avec la pratique, combien hésitante, incertaine ou aventurée, qui a été et demeure encore trop souvent celle des historiens (Marrou, Connaiss. hist., 1954, p. 235).
b) [Le plus souvent avec adj.] Faculté de concevoir l'infini, l'absolu; p. méton., l'infini lui-même, la norme absolue (généralement identifiés à Dieu ou personnifiés par Dieu). Synon. absolu, logos, Verbe.Raison divine, première, suprême, éternelle, infinie. La souveraine raison, l'omni-science, et la suprême vérité, ne sont qu'une seule et même manière d'être (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 269).Les stoïciens interprètent l'ordre social comme un aspect de la raison universelle qui régit le monde (Hist. sc., 1957, p. 1557).V. intelligence I A 1 d ex. de Cournot, logos A 1 ex. de Maine de Biran:
7. Les choses créées sont la splendeur de l'idée immuable que le Père engendre et qu'il aime sans fin: idée, raison, Verbe sacré, lumière qui (...) rayonne de créatures en créatures, de causes en effets, jusqu'à ne plus produire que des phénomènes contingens et passagers... Ozanam, Philos. Dante, 1838, p. 197.
(Théorie de la) raison impersonnelle*.
6. PHILOS., HIST. DES IDÉES. Raison (naturelle) (s'oppose à la foi en tant que source de la connaissance révélée). Principe universel, source de toute connaissance véritable, juste. Vouloir déprimer l'orgueil de la raison pour relever le bienfait de la révélation (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 50).Le concile a défini que l'homme en général, c'est-à-dire l'homme qu'étudie la philosophie, est constitué de telle sorte que par sa raison naturelle il peut connaître Dieu avec certitude (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 864):
8. C'est fatalement que l'humanité cultivée a brisé le joug des anciennes croyances; elle a été amenée à les trouver inacceptables; est-ce sa faute? Peut-on croire ce que l'on veut? Il n'y a rien de plus fatal que la raison. Renan, Avenir sc., 1890, p. 333.
[Au xviiies., éventuellement avec une majuscule, la raison considérée comme idéal de progrès intellectuel, moral, scientifique visant le bonheur de l'humanité] Le triomphe, le règne de la raison; le flambeau, les lumières de la raison; le siècle de la raison. Le vaisseau de la raison doit avoir son gouvernail: c'est la saine politique (Danton, 1793ds Doc. hist. contemp., p. 66).D'autres valeurs de guerre permirent à la Raison de remplacer l'absolu par l'exaltation: le peuple, la nation, qui, dans le combat au moins, sont aussi des communions (Malraux, Voix sil., 1951, p. 480).Malgré tant de schémas qui glorifient en cette époque [la première moitié du XVIIIe s.] « l'âge de la raison » et le triomphe d'un discours qui théorise le vaste champ du savoir, un certain enchantement naît d'une sensibilité toute neuve qui, déjà, s'exacerbe en développant une métaphysique du sentiment et des ombres (L. Jerphagnon, Hist. des gdes philos., 1980, p. 203).
[La Raison divinisée sous la Convention en 1793] Déesse* de la Raison. Lorsque la République aura institué le culte de la Raison, vous ne refuserez pas votre adhésion à une religion si sage (A. France, Dieux ont soif, 1912, p. 79).Une « fête de la Liberté » était prévue le 20 brumaire (10 novembre): afin de célébrer la victoire de la philosophie sur le fanatisme, la Commune s'empare de Notre-Dame; une montagne s'édifie dans le chœur; une actrice personnifie la Liberté; la Convention, mise au courant, se rend à la cathédrale, baptisée « temple de la Raison », et assiste à une nouvelle célébration de la fête civique (Lefebvre, Révol. fr., 1963, p. 377).
[Notamment dans des ouvrages didact. de sc. hum., gén. suivi d'un adj., la raison en tant que norme de pensée collective] Ensemble des idées morales et politiques, des faits relatifs aux sciences et aux arts, propre à une époque, à un pays, à une civilisation. Synon. culture, civilisation.Raison moderne. Avant de détourner nos regards de Kant, remarquons que c'est beaucoup d'avoir dit que l'homme n'est pas fait seulement pour apprendre, qu'il n'agit pas uniquement en vertu de ce qu'il sait, mais qu'il recèle en lui des pouvoirs qui lui communiquent des impulsions. Nous trouvons là un des jalons qui marquent les progrès de la philosophie jusqu'au point culminant où la phrénologie a permis d'établir cette science sur des bases solides et conformes à la raison contemporaine (Broussais, Phrénol., leçon 1, 1836, p. 23).Les formes de sensibilité que l'art d'Extrême-Orient exprime sont entrées si avant dans la raison occidentale, qu'elles déterminent aujourd'hui l'un des aspects les plus splendides de son symbolisme régénéré (Faure, Hist. art, 1921, p. 228).
B. − [En constr. syntagm. ou dans des loc.] Ce qui s'accorde avec ce mode de pensée.
1. [P. oppos. à tort, exprime qu'une pensée ou qu'un acte est conforme à une norme de vérité]
À raison. En étant dans le vrai; sans se tromper. Il faudra trois jours à un spécialiste pour parvenir à ouvrir ce coffre blindé, réputé − à raison − inviolable (Le Figaro, 6 mars 1987, p. 9, col. 2).À tort* ou à raison.
Avoir raison (de faire qqc.). Être fondé à penser ou à agir comme on le fait. Avoir bien, infiniment, joliment, parfaitement, mille fois raison (de faire qqc.). Ce que vous n'avez pas voulu pour vous, ce que vous avez eu raison de repousser (Gambetta, 1873ds Fondateurs 3eRépubl., p. 300).La doctrine la plus moderne a respecté cet illogisme apparent, et elle a eu raison (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 7).[Le plus souvent dans des propos rapportés au style dir.] Avoir raison (contre qqn). Être dans le vrai, voir juste (sur un point particulier). Vous aviez raison, monsieur, cette fille était un ange. Tenez, me dit-il, lisez cette lettre (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 33).[Sénèque] affirme que la postérité s'étonnera que son âge ait méconnu des vérités si palpables. Il avait raison contre le genre humain tout entier, ce qui équivaut à peu près à avoir tort (Flammarion, Astron. pop., 1880, p. 617).En partic., fam. Avoir le dernier mot dans une discussion. Il arrive que l'exercice du commandement absolu, l'habitude d'avoir toujours raison à tout prix, pervertisse certains esprits et les pousse à s'arroger l'omnipotence dans l'État (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 235):
9. − Vous êtes d'une incroyable imprudence, reprit le comte avec aigreur, vous l'exposez [un enfant malade] au froid de la rivière et l'asseyez sur un banc de pierre. − Mais, mon père, le banc brûle, s'écria Madeleine. − Ils étouffaient là-haut, dit la comtesse. − Les femmes veulent toujours avoir raison! dit-il en me regardant. Balzac, Lys, 1836, p. 67.
Donner raison à qqn (contre qqn). Approuver son point de vue ou sa conduite. Elle confessait sa mobilité et la facilité de caractère qui la porte à donner toujours raison au dernier qui lui parle (Delacroix, Journal, 1854, p. 149).Lui donner raison [à la bonne] contre sa femme, était (...) impossible (Maupass., Contes et nouv., t. 2, M. Parent, 1886, p. 589).En partic. [Le suj. désigne un fait, un phénomène] Correspondre aux options, aux prédictions d'une personne. Les désastreux progrès de l'érosion des sols sur les pentes parfois infimes des plaines américaines semblent avoir donné raison aux tenants des champs perpendiculaires à la pente (Meynier, Paysages agraires, 1958, p. 92).
2. [Exprime qu'une pensée ou qu'un acte est équitable, conforme à une norme, à une juste mesure]
Comme de raison. Comme il est juste, normal, comme il convient (de procéder dans un cas précis). Léon [Daudet] donne le bras à son père, qui a besoin d'être soutenu; moi, comme de raison, j'offre mon bras à MmeDaudet (Goncourt, Journal, 1894, p. 702).Il a dit tout à coup au boss qu'il allait partir pour venir passer les fêtes au lac Saint-Jean (...). Le boss ne voulait pas, comme de raison; quand les hommes se mettent à prendre des congés de dix et quinze jours en plein milieu de l'hiver, autant vaudrait casser le chantier de suite (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 138).
Plus que de raison. Plus qu'il est juste, normal, convenable ou sage. Ça c'est vrai que vous êtes changée, madame Jeanne, et plus que de raison (Maupass., Une Vie, 1883, p. 223).Une race militaire, plus sensible que de raison au prestige physique d'une haute taille (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 320).
Vieilli. C'est (bien) raison que. C'est (bien) juste, normal, naturel que. C'est bien raison que chacun soit maître chez soi (Ac.).
Dans le lang. jur.
À telle fin que de raison. [Indique que ce qu'on fait peut être utile sans préciser à quoi] Synon. de à toutes fins utiles (v. fin1B 1).L'imposture est visible; peu de personnes, je crois, y ont été trompées. Cependant je vous prie, à telle fin que de raison, de vouloir bien déclarer que cet écrit n'est pas de moi (Courier, Pamphlets pol., À réd. Courrier français, 1823, p. 200).
(Pour valoir, pour servir, pour être ordonné) ce que de raison. Pour valoir, pour servir, pour être ordonné ce qui sera conforme à la justice, à l'équité. (Dict. xixeet xxes.).
Vieilli. Raison écrite. Droit romain considéré comme modèle du droit rationnel. Depuis que Rome ne commandait plus au monde par l'épée des légions, elle le régentait avec deux textes, le droit canonique et le droit romain. Elle recommandait ce droit non-seulement comme vérité, comme raison écrite, mais aussi comme autorité. Elle lui cherchait une légitimité dans l'ancienne domination de l'Empire, dans son histoire (Michelet, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. i).
II. − Sens objectif, souvent au plur., notamment sous infra II A 2 et 3.
A. −
1. Ce qui rend compte d'un fait, d'un phénomène. Synon. cause, explication, origine, fondement, (le) pourquoi, principe.
a) Notamment en philos., et dans le lang. des sc. Chercher, donner, fournir, trouver la raison exacte, la principale raison d'un phénomène, une raison satisfaisante à un événement; analyser, comprendre, expliciter, ignorer les raisons de quelque chose. Vous êtes-vous demandé la raison du charme qu'on trouve parfois à fouiller ces annales de la luxure [les estampes libertines], enfouies dans les bibliothèques ou perdues dans les cartons des marchands (...)? (Baudel., Salon, 1846, p. 132).Les recherches qui ont été faites sur l'Allemagne nazie et les raisons profondes de l'hitlérisme (Traité sociol., 1968, p. 412).V. supra I A 4 ex. de Cournot:
10. Nous ne pouvons nous contenter de formules simplement juxtaposées et qui ne s'accorderaient que par un hasard heureux; il faut que ces formules arrivent pour ainsi dire à se pénétrer mutuellement. L'esprit ne sera satisfait que quand il croira apercevoir la raison de cet accord, au point d'avoir l'illusion qu'il aurait pu le prévoir. H. Poincaré, Mécan. nouv., Mém., 1905, p. 21.
Raison d'être (de qqc.). V. être11reSection II A 2.
Raison dernière ou dernière raison (des choses). Explication parfaite. Les sciences positives prétendraient vainement saisir l'essence divine ou raison dernière des choses (E. Boutroux, Contingence, 1874, p. 154).
HIST. DE LA PHILOS. [Chez Leibniz et chez ses héritiers] (Principe de la) raison suffisante. Principe selon lequel tout ce qui arrive a une cause, une raison d'être à priori. [Leibnitz] entreprenait de rattacher toute sa doctrine au principe de la raison suffisante, c'est-à-dire à cet axiome: qu'une chose ne peut exister d'une certaine manière s'il n'y a une raison suffisante pour qu'elle existe de cette manière plutôt que d'une autre (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 32).
Didact. [Avec adj. indiquant la nature de la cause] Il n'existe pas de raison climatique apparente qui expliquerait pourquoi ces indigènes [australiens] ont la peau si foncée et le nez si large (Haddon, Races hum., trad. par A. Van Gennep, 1930, p. 280).La segmentation des sociétés primitives en un grand nombre de petits agrégats particuliers, reposant sur le sexe, l'âge, des raisons économiques, magiques ou religieuses (Hist. sc., 1957, p. 1582).
b) Dans des loc., dans le lang. cour.
Demander raison de qqc. à qqn. Demander l'explication de quelque chose. Ses deux enfants [de madame Willemsens] trottaient à travers le clos, grimpaient sur les terrasses (...) ils admiraient des graines, des fleurs, étudiaient des insectes, et venaient demander raison de tout à leur mère (Balzac, Grenadière, 1842, p. 238).
Faire raison de qqc. Donner l'explication d'un phénomène. [Mon père] faisait raison de la baleine de Jonas, du haut de ses certitudes biologiques (Aymé, Vaurien, 1931, p. 17).Faire raison de qqc. à qqn. [Par recoupement de infra II B 1] Rendre compte de ce qu'on fait. Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration (Code civil, 1804, art. 1993, p. 358).
Se faire une raison. [Gén. dans des propos rapportés au style dir.] Fam. Accepter une situation, fût-ce à contre-cœur, dès l'instant qu'on n'y peut rien changer. Synon. se résigner.Si vous vouliez faire de ma fille une couveuse, il fallait le dire [dit madame Fitz-Gérald à son gendre] (...). Au reste, il paraît que ça lui convient. − Ça ne me convient pas, maman, dit madame de Rias, mais je me fais une raison! (Feuillet, Mariage monde, 1875, p. 118).Allons, la patronne, disait un ouvrier, faut vous faire une raison, votre boîte, elle est vieille (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 240).
Rendre raison de qqc. (à qqn). Donner, fournir une explication rationnelle de quelque chose. Ce fait [la chute, le péché] dont il s'agit de rendre raison (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 344).[Charles et Claude Perrault et leurs amis] prièrent leur frère le docteur de leur rendre raison de cette question si obscure [de la Grâce] (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 5, 1851, p. 257).[Fréq. avec nom de chose comme suj.] Toute la suite des faits qui composent sa vie [de Jeanne d'Arc] ne nous rendent pas complètement raison de son héroïsme (Barrès, Mystère, 1923, p. 180).Le hasard ne peut rendre raison de l'anti-hasard (Ruyer, Cybern., 1954, p. 139).[Par recoupement de infra II B 1] Rendre des comptes; se justifier. On veut que le désert ait été pour lui [Jésus] une autre école (...). Mais le Dieu qu'il trouvait là n'était pas le sien. C'était tout au plus le Dieu de Job, sévère et terrible, qui ne rend raison à personne (Renan, Vie Jésus, 1863, p. 72).
2. Ce qui légitime, justifie une manière d'être, d'agir ou de penser. Synon. mobile, motif.Les premiers petits succès qu'on a, nous donnent une joie infinie (...) parce qu'on acquiert des raisons de s'estimer soi-même (Stendhal, Corresp., 1808, p. 321).Être jolie et avoir dix-huit ans, ce sont de fortes raisons d'optimisme (R. Bazin, Blé, 1907, p. 133):
11. La peine d'Olivier s'atténuait; mais il ne faisait rien pour cela, il s'y complaisait presque: ce fut pendant longtemps sa seule raison de vivre. Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1256.
SYNT. a) Raison d'un acte, d'une attitude, d'un choix, d'une colère, d'une conduite, d'une démarche, d'un échec, d'un refus; raison d'agir, d'espérer. b) [Le plus souvent au plur.] Connaître, savoir les raisons de qqn; indiquer, donner ses raisons à qqn; s'inventer des raisons; avoir, se trouver cent, mille raisons de faire qqc.; se sentir toutes les raisons du monde de faire qqc.; des raisons qui amènent, conduisent, déterminent, obligent qqn à faire qqc., empêchent qqn de faire qqc.; les raisons qui tiennent à qqc., échappent à qqn.
Raison + adj. déterminatif indiquant son degré de vérité, de crédibilité ou son intensité.Raison acceptable, (peu) avouable, contestable, plausible, valable; raison bizarre, cachée, confuse, évidente, frappante, futile, grave, impérieuse, majeure, obscure, patente, précise, tangible; fausse, forte, puissante, solide raison. Lorsqu'elle avait de bonnes raisons, elle les donnait plutôt que d'en inventer de mauvaises (A. France, Putois, 1904, p. 60).V. supra ex. de R. Bazin:
12. Son état d'esprit devint semblable à celui d'un homme surpris à l'aube par son unique maîtresse dans le lit d'une fille ignoble, et qui ne pourrait pas s'expliquer à lui-même comment il a pu se laisser tenter la veille. Il ne trouvait ni excuse, ni même une raison sérieuse. Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 100.
Expr. Ce sont de mauvaises raisons. Ce sont des prétextes. Mademoiselle de Mussy : (...) Pourquoi n'aidez-vous pas votre fille de boutique, au lieu de faire des jabots? Est-ce que j'ai besoin de jabots, moi? Madame Mairet : On ne peut pas travailler à deux sur votre garniture. Mademoiselle de Mussy : Ce sont de mauvaises raisons que cela. J'ai vu quelquefois chez mademoiselle Juliette plus de cinq ouvrières occupées à la même robe (Leclercq, Prov. dram., Mariage manqué, 1835, 5, p. 78).
Raison + adj. déterminatif ou, plus rarement, compl. prép. de indiquant son origine ou sa cause.Raison administrative, disciplinaire, humanitaire, matérielle, officielle, particulière, tactique, technique, utilitaire. Il y avait eu (...), pour faire l'expédition [la grande expédition de Tadémaït], des raisons diplomatiques, des raisons que les gens qui savent se racontent à Paris, en déjeunant (Mille, Barnavaux, 1908, p. 136).[Des candidats à une formation] peuvent cependant exprimer, dans leur demande, une préférence pour une autre désignation, à condition de la motiver (raisons de famille, facilités de logement) (Encyclop. éduc., 1960, p. 367).
Loc. et expr.
Raison d'État. Principe selon lequel le salut de l'État prime toutes les normes de la société y compris celles de la morale et du droit. Faire intervenir, objecter la raison d'État; arguer de la raison d'État (pour); agir au nom de la raison d'État; condamner pour raison d'État. Messieurs, j'examine la raison d'état (...) Marat l'invoquait aussi bien que Louis XI; elle a fait le deux septembre après avoir fait la Saint-Barthélemy; (...) c'est elle qui a dressé les guillotines de Robespierre et c'est elle qui dresse les potences de Haynau! (Hugo, Actes et par., 1, 1875, p. 349).La raison d'État, le « fait du prince » (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 39):
13. ... la raison d'État n'est pas autre chose que le mensonge invoqué pour la protection des castes fondées sur l'exploitation de la patrie, contrairement à l'intérêt général de tous les Français, qui, après tout, constituent la France elle-même, la France de pensée, la France d'action, la France d'idéal. Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 61.
P. méton., rare, au plur. Motifs invoqués au nom de la raison d'État. Elle ne serait pas la première que les terribles raisons d'État auraient fait trembler et pleurer (A. Daudet, Rois en exil, 1879, p. 312).
Au fig. Les sots croient que plaisanter, c'est ne pas être sérieux, et qu'un jeu de mots n'est pas une réponse (...) il est de leur intérêt qu'il en soit ainsi. C'est raison d'État, il y va de leur existence (Valéry, Tel quel I, 1941, p. 46).
P. anal. Raison(s) de famille. C'est une raison de famille qui a fait ce mariage (Ac.).
Raison d'être (d'une pers.). V. être11reSection II A 2.
Raison de plus pour + inf.; p. ell., raison de plus! [Dans des propos rapportés au style dir., sert à enchérir sur un argument] Éva: Voici une belle occasion... mon séjour ici, ne fût-il que de quinze jours... Le Prince: Comment quinze jours? Nous sommes convenus d'un mois! Éva: Raison de plus!... Ce séjour est préjudiciable à mes intérêts (Sardou, Rabagas, 1872, iv, 4, p. 174).− C'est très difficile de trouver une chambre à Chicago, dit-il. − Raison de plus pour en chercher une tout de suite (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 312).
À raison de + subst. Pour un motif précisé, explicite. Un taupin, dans la mauvaise acception du terme, est esclave de l'algorithme dont il se croit maître à raison de sa seule virtuosité technique (Gds cour. pensée math., 1948, p. 342).Le Président de la République ne peut pour les actes de sa fonction être poursuivi à raison de crimes ou de délits, sauf si ceux-ci offraient matière à l'accusation de haute trahison (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 430).[Avec valeur causale seule, par recoupement de supra II A 1] J'ai peur de cette justice qui ne vaut pas mieux que la nôtre, et où votre adversaire a des intelligences, à raison de ses anciennes fonctions (Balzac, Lettres Étr., t. 2, 1842, p. 77).Le préfet de police [à Paris] exerce aussi des attributions de police judiciaire normalement confiées aux préfets (...) à raison de l'abondance et de la multiplicité des cas de criminalité dans la région parisienne (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 406).À raison de + pron. À raison de quoi (vieilli). On l'accusait (...) d'avoir en même temps offensé la personne du roi, et, de ce non content, provoqué à offenser ladite personne. À raison de quoi Jacquinot proposait de le mettre en prison et l'y retenir douze années (Courier, Pamphlets pol., Procès, 1821, p. 91).
En raison de + subst. [Par recoupement de supra II A 1] Synon. de à cause de ou, p. ext., synon. de en considération de, eu égard à, vu.Sous la monarchie constitutionnelle et surtout sous l'empire de la constitution de 1848, la loi tendait à les composer [les conseils institués pour servir d'organes au public] de membres élus ou qui étaient appelés, de droit, en raison de fonctions particulières dont ils étaient investis (Vivien, Ét. admin., t. 1, 1859, p. 83).Le métal le plus convenable pour le doublage des navires est le cuivre, mais en raison de son prix élevé on le remplace souvent par le laiton, la tôle galvanisée ou le zinc en feuilles (Bourde, Trav. publ., 1929, p. 217).Le pin maritime, qui a un assez grand nombre de partisans, en raison de (...) la facilité de la reprise des plantations et des semences dans les sols arides, de la rapidité de sa croissance (Forêt fr., 1955, p. 36).
À plus forte raison. V. fort1III B 1.
Avec (juste, quelque) raison. Avec un motif légitime ou (par recoupement de supra I B 1) en étant fondé (à faire ce qu'on fait, à dire ce qu'on dit), sans se tromper. Buridan: Le roi a appris avec peine les massacres qui désolent sa bonne ville de Paris; il suppose avec quelque raison, que les meurtriers se réunissent à la tour de Nesle (Dumas père, Tour Nesle, 1832, iv, 7etabl., 10, p. 81).On a dit avec raison que la base de la société chinoise est la famille (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 204).V. juste I A 2 b ex. de Courier.
Sans raison. Sans aucun motif ou sans motif apparent. Quand la taxe varie avec elle [la loi, le règlement], c'est de la justice, mais quand la taxe ne change pas, que l'impôt s'élève ou s'abaisse sans raison, c'est de l'arbitraire (E. de Girardin, 1847ds Pradelle, Serv. P.T.T. Fr., 1903, p. 165).[Également fréq. dans les tours sans raison aucune, non sans raison, non sans quelque raison] Et (...) la presse de recommencer ses incursions contre le pouvoir, l'accusant, non sans raison du reste, ici de favoritisme, là de routine (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 293).[Avec valeur causale seule, par recoupement de supra II A 1] Parfois (...) l'enfant qui se plaint d'avoir mal à la tête se met à vomir sans raison (Quillet Méd.1965, p. 360).
Pour ou, plus rarement, par la/cette raison que + ind. Pour un motif précis, explicite ou (par recoupement de supra II A 1, avec simple valeur causale) synon. de parce que, à cause de, puisque. Par cette seule raison que, pour la simple, la bonne, l'excellente raison, la raison évidente que. Elle n'aurait pas eu de grâce (...) que j'en serais toujours devenu amoureux, par la raison que j'avais dix-huit ans, que mon cœur était affamé (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 37).C'est de ce point de vue et pour cette raison [l'exactitude dans la description des phénomènes sociaux] que les grands romans [de Balzac et de Hugo notamment] de ce temps [le XIXes.] peuvent être considérés comme d'importants documents d'histoire sociale (Traité sociol., 1967, p. 300).
Le plus souvent au plur.
Pour ou, plus rarement, par une/des raison(s) + adj. déterminatif ou + de suivi d'un subst. Pour raison médicale; pour raison de santé*; pour des raisons pratiques; pour des raisons de commodité, de convenances personnelles, d'efficacité, d'hygiène, d'opportunité, de sécurité, de service. Si, par une raison d'économie, on ne peut faire un canal de drainage, faut-il au moins descendre les fondations du mur d'amont plus bas que celles du mur d'aval (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 21).Des enfants dont la situation est particulière pour des raisons physiologiques, psychiques, sociales ou familiales (Encyclop. éduc., 1960, p. 88).
[Sert à exprimer l'idée de la multiplicité des motifs d'un acte ou des causes d'un phénomène, sans obligatoirement les préciser] Pour diverses, maintes raisons; pour une quantité, (tout) un tas de raisons; pour de multiples raisons; pour toute une série, toutes sortes de raisons; pour bien des raisons; pour telle et telle raison; pour cette raison et pour beaucoup, bien d'autres. Je ne puis rester ici par une foule de raisons (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 318).Si jamais, pour une raison quelconque, il y avait conflit entre l'Allemagne et l'Angleterre (Affaire Dreyfus, 1899, p. 257).Il existe sur le papier des clubs [d'athlétisme] qui ne sont pas viables, pour des raisons variées, alors que certains centres populeux n'ont jamais songé à former une société (Jeux et sports, 1967, p. 1246).
Pour une raison ou pour une autre. Pour un motif quelconque dont l'importance n'est pas précisée. Et si ma femme, pour une raison ou pour une autre, télégraphiait (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 10).
Pour une raison ou des raisons à qqn connue(s); pour une/des raison(s) à moi/à lui connue(s). Pour un motif précis que je ne peux/qu'il ne peut communiquer. Pour des raisons à moi connues, je désirerais avoir des renseignements certains sur un étranger de distinction qui se trouve actuellement à Paris (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 385).Le 30 juillet, après la défection des troupes royales, alors que le feu avait partout cessé et que le drapeau tricolore flottait sur les Tuileries, notre homme mit le nez dehors et désira se rendre, pour une raison à lui connue, au coin de la Bastille et du faubourg Saint-Antoine (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 185).Pour raison à vous connue. ,,Pour un sujet, pour un motif que je n'ai pas besoin de vous dire`` (Ac.). Je n'en dirai pas davantage, pour raison à vous connue (Ac.).
Pour raison de quoi. [Par recoupement de supra II A 1] Synon. de à cause de quoi. (Dict. xixeet xxes.).
Avoir ses raisons (de + inf.). Savoir pourquoi on fait quelque chose sans se sentir obligé de communiquer ses motifs. Ne touchez pas au texte. Si l'auteur a écrit ça, c'est qu'il a ses raisons (Renard, Journal, 1900, p. 571).Tchen pouvait avoir ses raisons de se taire (Malraux, Cond. hum., 1933, p. 188).
Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. V. cœur II A 3.
Ce n'est pas une raison pour + inf. ou pour que ou il n'y a pas de raison pour + inf. ou pour que. Ce n'est pas un (ou il n'y a pas de) motif suffisant pour + inf. ou pour que. Il s'agit souvent de construire à grands frais un canal de plusieurs kilomètres pour porter de l'eau à trente ou quarante propriétaires possédant à eux tous 200 ou 300 hectares et devant retirer chacun de l'opération un bénéfice immédiat et réalisable de plusieurs milliers de francs. Vraiment il n'y a pas de raison pour que tous les contribuables de France ne réclament pas des cadeaux de ce genre (Chardon, Trav. publ., 1904, p. 165).L'histoire n'est pas encore telle qu'elle devrait être. Ce n'est pas une raison pour faire porter à l'histoire telle qu'elle peut s'écrire le poids d'erreurs qui n'appartiennent qu'à l'histoire mal comprise (M. Bloch, Apol. pour hist., 1944, p. 27).Fam. Ce n'est pas une raison! Oh, oh, mon ami, voici une charge qui est bien mal installée! Vous êtes nouveau venu au régiment, c'est vrai, mais ce n'est pas une raison! (Courteline, Train 8 h 47, 1888, 1repart., 2, p. 22).
3. Gén. au plur.
a) Argument pour convaincre, preuve pour démontrer, notamment dans le cours d'une discussion. Raison pertinente, péremptoire, probante; de sottes raisons; énoncer, énumérer, étaler, exposer ses raisons; être ébranlé par les raisons de qqn. Nous ne disputons pas, nous ne réfutons personne, nous ne contestons rien, nous acceptons comme bonnes toutes les raisons alléguées en faveur de la propriété (Proudhon, Propriété, 1840, p. 153).Elle était très maternelle, elle trouvait des raisons très convaincantes (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 695):
14. M. Marc Ribert m'enseignait que Racine était une perruque et une vieille savate. J'embrassai cette opinion aveuglément parce qu'elle était contraire à celle de M. Bonhomme, mon professeur. C'était pour moi une raison décisive. A. France, Vie fleur, 1922, p. 374.
Loc. et expr.
Entrer dans les raisons de qqn. ,,Admettre son point de vue; se laisser convaincre`` (Rob.).
Se rendre aux raisons de qqn. Être convaincu par ses arguments. Je ne puis contester ces avantages (...), je me rends à vos raisons; (...) je me décide définitivement à continuer l'usage de mon fusil à pierre (La Hêtraie, Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 165).
Comparaison* n'est pas raison.
La raison du plus fort est toujours la meilleure. V. fort2I B.
Fam. [Dans des propos rapportés au style dir.; exprime l'irritation d'une personne face aux objections incessantes de son interlocuteur] Pas de raisons! Pas tant de raisons! − (...) mais (...) vous allez abîmer votre châle... − Pas tant de raisons!... la terre est fraîche − dit la Louve (Sue, Myst. Paris, t. 9, 1843, p. 168).− « D'abord qui êtes-vous, pour que je vous dresse procès? » Pécuchet se rebiffa, criant à l'injustice. − « Pas de raisons! Suivez-moi! » (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 87).
b) P. ext., dans des loc. figées, vieilli
α) Propos, arguments (pour plaider sa cause). Un pèlerin agenouillé près d'elle [une jeune femme] lui chuchote à l'oreille de galantes raisons [dans l'Embarquement pour Cythère] (Gautier, Guide Louvre, 1872, p. 178).
Dire ses raisons à qqn. Dire ce qu'on a sur le cœur. C'était là qu'elle allait souvent dire ses raisons au bon Dieu, parce qu'elle n'y était pas dérangée et qu'elle pouvait s'y tenir cachée derrière les grandes herbes folles (Sand, Fr. le Champi, 1848, p. 79).
β) Fam. [Le plus souvent dans des propos rapportés au style dir.] Discussion qui s'envenime; querelle.
Avoir des raisons (avec qqn). Avoir un démêlé, une altercation avec quelqu'un. Synon. avoir des paroles (v. parole II A).Le vieux Claude en me voyant s'était levé, devinant à ma tête que j'allais encore avoir ce qu'il appelait « des raisons » (Gyp, Pot de réséda, 1892, p. 219).Un laquais parut. C'était le jeune fiancé qui avait eu des raisons avec le concierge, jusqu'à ce que la duchesse, dans sa bonté, eût mis entre eux une paix apparente (Proust, Guermantes 1, 1920, p. 587).
Chercher des raisons à qqn. Chercher querelle. Madame Laure: (...) Ils sont creux vos radis. Crainquebille: Aujourd'hui, vous me cherchez des mauvaises raisons. Vous êtes mal réveillée (A. France, Crainquebille, 1905, 1ertabl., 2).C'est Paul Flan, qui me cherche des raisons, à cause de mon absence de trois jours (L. Daudet, Entremett., 1921, p. 81).Empl. pronom. réfl. indir. − (...) On ne te bat donc pas? − Si quelquefois (...). Mon père en est tout embêté, et ils se cherchent des raisons avec ma mère (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 175).
4. Constr. en loc. Satisfaction que l'on demande, que l'on obtient; réparation d'un tort.
a) Avoir raison de qqn. Vaincre sa résistance; triompher de lui au cours d'une lutte (avec ou sans violence physique) ou dans le cadre d'une compétition. Ah! la Providence me prépare une vieillesse bien triste, entre l'ingratitude et la révolte de tous les miens... Du reste, mes petits amis, il ne faudrait pas croire que vous aurez raison de moi par des moyens pareils (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 188).[Le lieutenant:] Ça chauffe, et bien. Les Franzoses résistent avec courage, mais les nôtres en auront raison (L. Daudet, Ciel de feu, 1934, p. 186):
15. Il eut beau danser et regarder de travers, ainsi qu'on le disait, Polycarpe Balandrin de Lyon [un lutteur] ne fut pas assez grand pour avoir raison du « petit crapaud d'Espagne », qui le battit en un clin d'œil et fit ensuite mordre coup sur coup la poussière aux trois autres furibonds: Simplice Agné, Kapdal et l'Anglais Hill, encore intacts. Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 65.
Au fig. Avoir raison d'un caprice, de la routine. J'aime et j'admire au delà de toute expression les personnes qui, par leur esprit d'à-propos (...) ont raison de la bêtise des choses et de la méchanceté des hommes (Courteline, Client sér., Ami des lois, 1894, p. 201).Personne n'a jamais eu raison de la terreur d'un enfant (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1452).
Vieilli. Avoir raison d'une offense. En obtenir réparation (par un duel). Francisque lui montrant un ordre: L'ordre est signé par elle [la vice-reine] de vous tenir chez vous jusqu'à l'heure où le secrétaire pourra vous parler. Mes gens sont en bas qui attendent. Lopez: J'aurai raison d'une telle offense; je vous suis (Lemercier, Pinto, 1800, iii, 13, p. 101).
[Le suj. désigne une chose] Ce fut la faim et la névrose, qui finalement eurent raison de ce brave garçon (Verlaine, Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 153).Son indifférence a eu raison de moi et peut-être de mon amour (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 202).
P. anal. [L'obj. désigne une chose] Venir à bout de quelque chose. L'air vif de la nuit, quelques ablutions à la pompe de la cour eurent vite raison de ce petit malaise (A. Daudet, Nabab, 1877, p. 27).Le bois est un des matériaux qui résiste le moins à l'injure du temps. L'eau, le feu, les transports ont eu vite raison des rares spécimens [de mobilier français du haut moyen âge] qui auraient pu nous parvenir (Viaux, Meuble Fr., 1962, p. 31).
b) Vieilli
α) Demander raison à qqn ou de qqc. à qqn. Demander réparation d'un affront, d'une insulte, d'une lâcheté, autrefois par les armes. Ce n'est pas à vous, homme de soixante-sept ans, que je demanderai raison des insultes faites à mademoiselle Mirouët, mais à votre fils (Balzac, U. Mirouët, 1841, p. 231).Vous avez devant vous le capitaine Frémizon des troupes coloniales! Au nom de mes camarades et des passagers de ce bateau justement indignés par votre inqualifiable conduite, j'ai l'honneur de vous demander raison! (Céline, Voyage, 1932, p. 149).[Par recoupement de supra II A 2] Demander l'explication, le motif d'une conduite, d'un acte. Vous pensiez trouver votre belle-mère ici (...) mais elle nous a abandonnés, ainsi que votre père, et je vais leur en demander raison (Augier, Fils Giboyer, 1862, p. 73).
Rendre raison à qqn. Réparer une offense par le duel. Monsieur, vous êtes un insolent, et vous me rendrez raison (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 126).
β) Faire raison à qqn ou de qqc. à qqn. Réparer une offense ou un préjudice. On alla se battre (...) trois contre trois. Potel et Renard ne voulurent jamais permettre que Masence Gilet fît raison à lui seul aux officiers (Balzac, Rabouill., 1842, p. 374).V. apport ex. 5.
Faire raison de qqn ou, p. anal., d'un animal. En venir à bout; triompher de lui. Un loup ou un renard, les reins à moitié cassés, montre aux chasseurs ses dents blanches et sa gueule noire: les chiens font raison du blessé (Chateaubr., Voy. Amér. et Ital., t. 1, 1827, p. 220).
Se faire raison (soi-même). Se faire justice par sa propre autorité. Il n'est pas permis de se faire raison soi-même (Ac.).
Faire raison (à qqn d'une santé qu'il a portée). Lever son verre et boire à la santé de celui qui vient de boire à la vôtre. Du bras droit il me faisait raison des santés que je portais à sa famille (Raban, Marco Saint-Hilaire, Mém. forçat, t. 1, 1828-29, p. 93).Vous ne refuserez pas de me faire raison encore une fois, dit-il en versant encore à boire et en forçant le créancier à trinquer avec lui (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 240).
B. −
1. Synon. de compte.
a) Livre de raison. V. livre1III A 1 b.
b) DROIT
α) Vieilli. Part d'un associé dans une société commerciale. Synon. intérêt.Sa raison est d'un tiers, d'un cinquième (Ac.).
β) Raison sociale. Nom d'une société constitué, dans le cas d'une société de personnes, des noms des associés personnellement responsables ou du nom de quelques-uns ou d'un de ces associés suivi(s) de la mention et Cie, et sous lequel sont souscrits les engagements sociaux et professionnels de la société. Une fabrique est placée sous une raison sociale; une société change de raison sociale. Son nom [de Beauchêne] ne figurait plus dans la raison sociale, il avait cédé son dernier lambeau de propriété (Zola, Fécondité, 1899, p. 701):
16. Rien n'est changé en revanche [au cours d'une nationalisation] à l'apparence juridique des grandes banques de dépôt ou des compagnies d'assurances; ces sociétés continuent à vivre sous leur raison sociale. Mais tout se passe comme si tous leurs actionnaires s'en étaient retirés, cédant leurs titres à un tiers. Chenot, Entr. national., 1956, p. 25.
P. ext., lang. cour. Nom d'une société quelle que soit la forme juridique de celle-ci. Synon. vieilli raison de commerce*.À côté de votre nom, il faut un autre nom également populaire; Samazelle est en train de monter en flèche, demain tout le monde parlera de lui: Henri Perron et Jean-Pierre Samazelle, ça c'est une raison sociale (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 236).
Vieilli. Raison de commerce. Synon. de raison sociale.Ne vous avait-il pas réglé votre créance en billets signés de la raison de commerce en faillite (...)? (Balzac, Gobseck, 1830, p. 388).Prenez par exemple une des collaborations les plus heureuses et les plus fertiles de ce temps-ci: celle de MM. Meilhac et Halévy. Longtemps ce dernier nom nous a fait l'effet du « et Cie » des raisons de commerce (A. Daudet, Crit. dram., 1897, p. 181).
γ) Au plur. Synon. de titres, parts, droits.Céder ses droits, noms, raisons et actions; être subrogé aux droits, noms, raisons et actions de quelqu'un (Ac.).
2.
a) MATH. Rapport existant entre une quantité et une autre. Le rapport des unités entre elles est ce que nous appellerons la Raison de la série (Proudhon, Créat. ordre, 1843, p. 188):
17. L'homme avoit (...), dès son origine, une connoissance des deux termes extrêmes de l'univers, Dieu et l'homme, la cause et l'effet. Mais pour établir entre eux une proportion qui fût le fondement de l'ordre général et particulier, il falloit un terme moyen, rapport ou raison [it. dans le texte] entre les deux autres... Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 283.
En partic. Raison (d'une progression arithmétique ou géométrique). Nombre constant qu'il faut ajouter (progression arithmétique) ou par lequel il faut multiplier (progression géométrique) un nombre quelconque pour obtenir le suivant. Dans le cas qui nous occupe, nous porterons, à intervalles équidistants, les chiffres 2, 7, 28, 112, qui sont en progression géométrique de raison 4 (Cléret de Langavant, Ciments et bétons, 1953, p. 52).La progression [arithmétique] est croissante si la raison est positive, elle est décroissante si la raison est négative (C. Lebossé, C. Hémery, Algèbre et Analyse, Classes terminales C, D et T, 1967, p. 275).
Locutions
En raison + adj. La loi de 1827 établissait deux sortes de taxes [postales] progressives: 1. celle dont la progression avait lieu en raison combinée de la distance et du poids (...); 2. celle dont la progression avait lieu seulement en raison du poids (Pradelle, Serv. P.T.T. Fr., 1903, p. 48).
En partic. En raison directe de + compl. prép. [Exprime que deux quantités varient dans la même proportion] L'effet d'une force donnée sur une masse donnée, est en raison directe de la force et en raison inverse de la masse (Lagrange, Fonctions analyt., 1797, p. 238).V. inverse I B 3 ex. de Cl. Bernard.En raison inverse* de + compl. prép.
P. ext., lang. cour. En raison directe ou inverse de + compl. prép. [Indique que deux choses varient en proportion directe ou inverse] La beauté [d'un livre d'art] n'est jamais en raison directe de la rareté ou des dépenses engagées (Civilis. écr., 1939, p. 30-1).V. inverse I A ex. de Verne et de Teilhard de Chardin.
(Segment divisé) en moyenne et extrême raison. Segment divisé en deux segments de manière que le rapport du segment entier sur le grand segment soit égal au rapport du plus grand sur le plus petit. De même que la diagonale du carré est incommensurable au côté, un rapport comme la « section d'or » est arithmétiquement irrationnel; il s'agit de la proportion continue présente dans le partage d'un segment en moyenne et extrême raison, telle que a/b = (a + b)/a (Encyclop. univ.t. 131972, p. 650).Ce serait un long chapitre à ouvrir que de suivre depuis l'Antiquité le calcul de ces proportions « idéales », telle que cette « sectio divina », comme l'appelait Kepler (en moyenne et extrême raison) (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 84).
b) Lang. cour., loc. À raison de ou en raison de + subst. précédé d'un déterm. Synon. de à proportion de, en fonction de, suivant.On paya cet ouvrier à raison de l'ouvrage qu'il avait fait (Ac.).Notre connaissance de ce qui sera (...) est en raison de notre connaissance de ce qui est et de ce qui fut (A. France, Pierre bl., 1905, p. 178):
18. ... dans certains repas [dans la Grèce antique], on en parcourait l'échelle [des vins] tout entière, et, au contraire de ce qui se passe aujourd'hui, les verres grandissaient en raison de la bonté du vin qui y était versé. Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 263.
En partic. [S'agissant d'une quantité, le plus souvent d'une somme d'argent] Synon. de sur la base de, en comptant et, en partic., au prix de.Il louerait toutes les fenêtres [d'un immeuble, lors d'une cavalcade], ce qui, à raison de trois francs, en moyenne, produirait un joli bénéfice (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 147).Le son voyage en raison de 332 mètres par seconde (dans l'air, à la température de 0) (Flammarion, Astron. pop., 1880, p. 115).Cet enseignement intéresse les élèves à partir de l'âge de 13 ans et pendant 4 ans à raison de 150 heures par an (Encyclop. éduc., 1960, p. 185).
Rem. L'usage de en raison de dans ce sens est exceptionnel.
Prononc. et Orth.: [ʀ εzɔ ̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Fin xes. « parole, langage, récit » vera raizun (Passion, éd. d'Arco Silvio Avalle, 1), en a. et m. fr.; I. A. 1. fin xes. « ce qui est conforme à la justice, l'équité » de raizon « à juste titre, à bon droit » (ibid., 445); 1135 « ce qui revient à quelqu'un, son droit » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 2100); d'où les expr. a) ca 1130 est resun que « il est juste que » (Lois de Guillaume, éd. J. E. Matzke, 4); 1203 est bien raisons que (Chastellain de Couci, Chansons, éd. A. Lerond, I, 2); 1450 c'est bien la raison que (Myst. vieux Testament, éd. J. de Rothschild, 28179); b) 1532 contre raison (Rabelais, Pantagruel, éd. V. L. Saulnier, XVIII, ligne 9, p. 145: il a faict follement et contre raison de assaillir ainsi mon pays); 1604 contre toute raison (Montchrestien, Les Lacènes, acte I ds Tragédies, éd. L. Petit de Julleville, p. 162); c) 1535 comme de raison « comme il est juste » (J. d'un bourgeois de Paris sous François Ier, éd. V. L. Bourrilly, p. 378); d) 1549 plus que de raison (Est.); e) 1656 à telle fin que de raison (Scarron, Léandre et Héro, 55 ds Œuvres, Paris, J. F. Bastien, t. 7, p. 289); f) 1690, 4 janv. il n'y a point de raison « cela est sans mesure » (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. III, p. 800); g) 1694 dr. pour valoir ce que de raison (Ac.); 2. ca 1170 « ce qui est conforme à la vérité, à la réalité » avoir reison... de + inf. « être fondé à dire ou à faire quelque chose » (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 644); a) ca 1180 aveir tort... aveir raison (Marie de France, Fables, 88, 11 ds T.-L.); b) 1775 donner raison à qqn (Beaumarchais, Barbier, II, 2); c) 1797 à tort ou à raison (Sénac de Meilhan, Émigré, p. 1585). B. 1. Ca 1170 « faculté de bien juger » reisun entendre (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Equitan, 307); d'où expr. a) 1544 mettre qqn à la raison (Bonaventure des Périers, Nlles récréations, éd. K. Kasprzyk, LII, p. 206); en partic. 1673 « réduire quelqu'un par la force » (Hauteroche, Crisp. méd., I, 2 ds Littré); b) 1690 l'âge de raison (Bossuet, 8eAvert., 12, ibid. [1534, Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder, XII, ligne 115, p. 92: tu as de raison plus que d'aage]); c) 1692 parler raison (Bouhours, Rem. nouv. sur la lang. fr., p. 63); 2. ca 1170 « intelligence discursive » (Chrétien de Troyes, op. cit., 10); d'où a) 1641 être de raison « qui n'existe que dans la pensée » (Descartes, Réponses aux 2esobjections ds Œuvres philos., éd. F. Alquié, t. II, p. 557: Dieu [...] n'est qu'un Etre de raison); b) 1826 mariage de raison (Scribe, Varner, Mariage raison, I, 10, p. 393: je contracterai un mariage de raison); 3. ca 1175 « la connaissance naturelle, ici opposée à l'amour » (Chrétien de Troyes, Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 365 et 371); apr. 1433 c'est contre Dieu et raison (Jean Regnier, Fortunes et adversitez, Le Livre de la prison, éd. E. Droz, 4625, p. 162); en partic. 1665 « au xviiies., les acquisitions de la philosophie des lumières » (Saint-Evremond, Conversation maréchal d'Hocquincourt avec P. Canaye [in Guerlac] ds Rob.); 4. ca 1200 « règle de la pensée et de l'action humaine qui permet à l'homme de réfléchir, de connaître; bon sens » (Chanson Guillaume, éd. J. Wathelet-Willem, 1479); d'où expr. a) 1559 perdre la raison (Grévin, La Trésorière ds Théâtre compl. et poés. choisies, éd. L. Pinvert, p. 110); b) 1796 recouvrer la raison (Dupuis, Orig. cultes, p. 208); 5. ca 1210 « ensemble des principes directeurs de la pensée » vivre selonc reson (Guiot, Bible, 49 ds Gdf. Compl.); en partic. a) 1810 raison pure « chez Kant, tout ce qui dans la pensée ne résulte pas de l'expérience » (Staël, Allemagne, t. 4, p. 121); b) 1831 raison spéculative (Lamennais ds L'Avenir, p. 274); 6. 1677 « faculté qui permet de saisir l'être véritable des choses; l'absolu lui-même » une raison première et universelle (Boss., Conn., V, 2 ds Littré). II. A. 1. Ca 1112 « cause, motif d'une action » par quel raisun (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 343); d'où expr. a) ca 1170 sanz reisun (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Bisclavret, 208); 1647 avec raison (Corneille, Héraclius, I, 4, p. 337); b) 1527 par plus forte raison (Isambert, Rec. gén. des anc. lois fr., t. 12, n o151, p. 301); 1580 à plus forte raison (Montaigne, Essais, éd. Villey-Saulnier, II, III, p. 350); c) 1609 la raison d'estat (M. Regnier, Satyres, XI, 27 ds Œuvres compl., éd. G. Raibaud, p. 131); d) 1789 il n'y a pas de raison pour (Sieyès, Tiers état, p. 34); 1802 ce n'est pas une raison pour (Baudry des Loz., Voy. Louisiane, p. 23); e) 1792 raison de plus (Florian, Fables, p. 199); 2. 1119 « ce qui rend compte de quelque chose, ce qui l'explique » (Philippe de Thaon, Comput, 2203 ds T.-L.); d'où expr. a) déb. xiiies. rendre raison [de qqc.] (Raoul de Houdenc, Vengeance Raguidel, 1008 ds Œuvres, éd. M. Friedwagner, t. II, p. 31); b) 1661 faire raison de qqc. « donner l'explication de quelque chose » (Molière, Les Fâcheux, II, 2, vers 331); c) av. 1755 se faire une raison (St-Sim., 296, 42 ds Littré); d) 1829 raison d'être (Cousin, Hist. philos. XVIIIes., p. 553: elles ont leur raison d'être); 3. déb. xiiies. « argument, preuve qu'on avance » tantes bieles paroles et tantes bieles raisons (Henri de Valenciennes, Hist. de l'empereur Henri de Constantinople, éd. J. Longnon, 692, p. 120); d'où expr. a) 1732 entrer dans les raisons de qqn (Lesage, Guzm. d'Alf., IV, 7 ds Littré); b) 1811 comparaison n'est pas raison (Jouy, Hermite, t. 1, p. 302); c) 1813 avoir des raisons avec qqn (J.-F. Rolland, Dict. mauv. lang., p. 115); 4. apr. 1433 « satisfaction que l'on réclame, que l'on obtient » a) faire raison et justice à qqn (Jean Regnier, op. cit., 1rerequête au duc de Bourgogne, 132, p. 174); 1604 pronom. se faire raison de qqn (Montchrestien, David, acte III ds Tragédies, éd. L. Petit de Julleville, p. 218); b) 1544 avoir la raison de qqn (Bonaventure des Périers, op. cit., LXXVIII, p. 277); 1819 avoir raison de qqn (Courier, Lettres Fr. et Ital., p. 887); c) 1580 avoir raison d'une offense (Montaigne, op. cit., I, XXIII, p. 118); d) 1580 demander raison de qqc. (Id., ibid., I, IX, p. 37); e) 1629 tirer sa raison de qqc. « se venger » (Corneille, Mélite, II, 3, vers 491). B. 1. Ca 1200 « compte » (Jean Bodel, Jeu St Nicolas, éd. A. Henry, 811 [mil. xiies. « taxe due » Jeu Adam, éd. W. Noomen, 711]); 1290 livre des Raisons (Charta [...] inter Probat. Hist. Sabol. pag. 346 ds Du Cange, s.v. ratiocinium); 1551 livre de raison (Cotereau, trad. Columelle, I, 8 ds Hug.); 2. 1637 « rapport existant entre deux quantités » (Descartes, Lettre à Huygens, 5 oct. ds Œuvres et Lettres, éd. A. Bridoux, p. 977: à cause que les circonférences ont même raison entre elles que les diamètres); d'où expr. a) 1734 en raison inverse (Voltaire, Lett. philos., XV ds Rob., s.v. inverse); b) 1805 en raison directe de (Cuvier, Anat. comp., t. 2, p. 447); c) 1834 en moyenne et extrême raison (ds Claris, Éc. polytechn., p. 263); d) 1840 la raison d'une progression (Proudhon, Propriété, p. 246: la progression arithmétique dont la raison est 3); 3. 1675 « part de chaque associé dans une société commerciale » la raison de la société (J. Savary, Le Parfait négociant, t. 1, chap. XL, p. 350); 1789 raison de commerce (Beaumarchais, Époques, p. 89); 1807 raison sociale (Code de comm., Paris, livre premier, p. 5). III. Loc. 1. a) 1466 loc. prép. à la raison de « sur la base de » (Jean de Bueil, Jouvencel, éd. L. Lecestre, t. 2, p. 190); cf. 1534 a raison de cent sols (Isambert, op. cit., n o199, p. 385); b) 1514 id. a raison de quoy « à cause de » (Le Grand coutumier de Fr. de 1514, publ. par E. Laboulaye et R. Dareste, Paris, 1868, p. 239); 2. 1546 loc. conj. pour cette raison que (Rabelais, Tiers Livre, éd. M. A. Screech, XX, ligne 41, p. 146); 3. a) 1748 loc. prép. en raison de « à proportion de » (Montesquieu, Esprit des lois, VII, 1, éd. J. Brethe de La Gressaye, t. I, p. 180); b) 1797 id. « à cause de » (Sénac de Meilhan, Émigré, p. 1576: en raison de sa sensibilité). Du lat. rationem, acc. de ratio, propr. « calcul, compte » d'où le sens B 1 livre de raison « livre de compte » usuel jusqu'au xvies.; à partir du sens du lat. class. « justification, argument qui justifie une action » se développe celui de « dispute, discussion » (testament de 615 ds FEW t. 10, p. 113b) d'où enfin « parole, discours » att. en fr. dès la fin du xes. (supra), sens qui s'est maintenu jusqu'au xvies. bien qu'en France, le lat. médiév. ne soit pas att. (mais au xes. chez Hrotsvitha, v. FEW loc. cit. et Flasche, Die begriffliche Entwicklung des Wortes ratio... ds Leipz. Stud. t. 10, p. 57); du sens de « argument, preuve, justification » on arrive à celui de « ce qui est de droit, d'équité », au vies. Leges Burgundionum, 163, 4 (FEW t. 10, p. 114a, v. aussi Flasche, op. cit., p. 31); de même, à partir du sens de « argument » on trouve déjà en lat. class. (Cicéron, Pro Murena, 17, 36) celui de « point de vue acceptable, explication d'un phénomène », distinguant par là ratio de causa « cause réelle »; la philos. médiév. confondant ces deux concepts, cette distinction se perd au Moy. Âge et c'est à la Renaissance, à la faveur de l'empr. de cause que raison retrouve le sens utilisé par Cicéron; enfin le lat. class. connaît aussi le sens de « faculté de connaître le vrai », dû au double sens du gr. λ ο ́ γ ο ς « compte; faculté de connaître ». On retrouve ce même développement de sens dans les autres lang. rom., v. FEW t. 10, p. 114b. Fréq. abs. littér.: 31 296. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 46 699, b) 37 827; xxes.: a) 41 213, b) 48 197. Bbg. Bloomberg (E.). Ét. sém. du mot raison chez Pascal. Orbis Litterarum. 1973, t. 28, pp. 124-137. − Flasche (H.). Die begriffliche Entwicklung des Wortes ratio ... Leipzig, 1936, 275 p.; Das Wort raison im 16 Jahrht. Z. rom. Philol. 1964, t. 80, pp. 291-315. − François (C.). Raison et déraison ds le théâtre de P. Corneille. York, 1980, 180 p. − Hoffmann (P.). De qq. anomalies ds l'emploi des concepts de raison et de nature ds les livres XV et XVI de l'Esprit des lois de Montesquieu. Ét. sur le XVIIIes. Strasbourg, 1980, pp. 41-64. − Merk (G.). L'Étymol. de race. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1969, t. 7, n o1, pp. 177-188; Mots fantômes ou obscurs. R. Ling. rom. 1980, t. 44, p. 298. − Merk Lat. -tione 1982 [1978], pp. 146-151, 1359-1360. − Rauhut (F.). Die Bezeichnungen der Ratio im Zeitalter der frz. Klassik in soziologischer Beleuchtung. In: [Mél. Wandruszka (M.)]. Tübingen, 1971, pp. 270-279. − Sckomm. 1933, pp. 88-89. − Vernay (H.). Autour du mot raison au 16es. Z. rom. Philol. 1964, t. 80, pp. 316-326.

Wiktionnaire

Nom commun - français

raison \ʁɛ.zɔ̃\ féminin

  1. (Au singulier) Faculté intellectuelle par laquelle l’homme connaît, juge et se conduit.
    • Ce principe de la philosophie cartésienne, je pense, donc je suis, est ce que les adversaires du cartésianisme ont attaqué avec le plus de persévérance; et cela se conçoit, car ce principe admis, l'autorité de la conscience et de la raison s'ensuit nécessairement. — (Jules Simon, Introduction de: « Œuvres de Descartes », édition Charpentier à Paris, 1845)
    • Nous aurions pu discuter à l'infini sans tomber d'accord sur la nécessité qu'évoquait l'inspecteur. C'était, en effet, plus au sentiment qu'à la raison qu'il appartenait, somme toute, de nous départager. — (Francis Carco, Messieurs les vrais de vrai, Les Éditions de France, Paris, 1927)
    • L’esprit de l’islam n'est pas rationnel, au sens grec du terme, puisque Dieu était au-delà de la raison et que « Son ordonnance de l'univers » devait être acceptée et non expliquée. — (Panayiotis Jerasimof Vatikiotis, L’Islam et l’État, 1987, traduction d’Odette Guitard, 1992)
    • Souvent, l'instance pour connaître le monde et prendre le contrôle de soi-même a été désignée sous le nom de « raison ». Celle-ci s'inscrit dans une structure hiérarchique où elle se trouve à représenter le plus haut de l'esprit, alors que les autres instances, imagination, mémoire, perception, sensation, se situent de l'autre côté, en direction du corps. — (Pierre Bertrand, Éloge de la fragilité, éditions Liber, Montréal, 2000, page 121)
    • Sa raison s’affaiblit. — Sa raison s’égare. — Un être privé de raison. — Il a recouvré la raison.
  2. (Au singulier) (En particulier) (Philosophie) Ensemble de principes philosophiques de la connaissance ou de l'action
    • L'âme de Wesley avait besoin d'un feu plus vif. Un jour (24 mai 1738), dans une sorte d’illumination, il entrevit la vraie foi qui est un lien vivant et non une opération de la raison. — (André Maurois, Histoire de l'Angleterre, Fayard & Cie, 1937, p.600)
    • Si Gobineau a été l'objet du dégoût, de la crainte, de l’ostracisme de nos « rationalistes », c'est qu'il s'est élevé à la fois contre leurs faux raisonnements et contre leur absurde principe de la primauté de la raison : […]. — (Louis Thomas, Arthur de Gobineau, inventeur du racisme (1816-1882), Paris : Mercure de France, 1941, page 33)
    • Martin Luther était un défenseur acharné de la foi, […]. Luther blâmait la raison d'être « une belle putain » et la « fiancée du diable ». Il écrivait : « Il n'existe sur Terre, parmi tous les périls, rien de plus dangereux qu'une raison adroite et bien pourvue, surtout si elle s'occupe de questions spirituelles qui touchent à l'âme et à Dieu ». — (David E. Walker, La pauvreté de la foi, dans Le Québec sceptique, n°21, p.32, hiver 1992)
  3. (Au singulier) Faculté de raisonner, d’établir des démonstrations, d’administrer des preuves.
    • La raison discursive.
    • La raison géométrique.
  4. (Au singulier) Le bon sens, le bon usage de la raison, la sagesse, la justesse d’esprit.
    • La parfaite raison fuit toute extrémité,
      Et veut que l’on soit sage avec sobriété.
      — (Molière, Le Misanthrope, Philinte, acte I, scène I, 1667)
    • Il faut que la raison domine tous nos actes. Or, que nous dit la raison : c’est que si le colonel Everest et ses compagnons, harassés par un voyage pénible, manquant peut-être du nécessaire, perdus dans cette solitaire contrée, ne nous trouvaient pas au lieu de rendez-vous, nous serions blâmables à tous égards. — (Jules Verne, Aventures de trois Russes et de trois Anglais, 1872)
  5. (Au singulier) Ce qui est de devoir, de droit, d’équité, de justice.
    • Se rendre à la raison.
    • Réduire quelqu’un à la raison, le ranger, l’amener, le mettre à la raison.
    • La droite raison le veut.
    • C’est la raison même.
    • C’est raison, c’est bien raison que chacun soit maître chez soi.
    • Cela est contre tout droit et raison, contre toute raison.
    • Mettre la raison de son côté.
    • Mettre quelqu’un à la raison signifie réduire quelqu’un par la force.
    • Un homme politique ne doit pas devancer les circonstances. C’est un tort que d’avoir raison trop tôt. On ne fait pas les affaires avec des penseurs. — (Anatole France, Le Lys rouge, 1894, réédition Le Livre de Poche, page 327)
    • Avoir raison, être fondé dans ce qu’on dit, dans ce qu’on fait.
    • Vous avez tort, c’est lui qui a raison.
    • Il a raison contre vous.
    • C’est un homme qui veut toujours avoir raison.
    • Ils prétendent tous deux avoir raison.
    • Il a eu raison de congédier ce domestique.
    • Il a eu raison en cela.
    • Vous n’avez pas eu raison de vous emporter ainsi contre lui.
  6. (Au singulier) Réparation d’un outrage, d’un affront.
    • Demander, tirer raison d’une offense.
    • Demander raison à quelqu’un.
    • Tirer raison de quelqu’un.
    • Faire raison à quelqu’un.
  7. Preuve par discours, par argument.
    • Forte, puissante raison.
    • Raison démonstrative, décisive, péremptoire.
    • Raison valable.
    • Faible raison.
    • Raison plausible, spécieuse.
    • Donnez-nous de meilleures raisons.
    • Je suis frappé, touché de vos raisons.
    • Je me rends à vos raisons.
    • Il m’a payé de mauvaises raisons.
  8. Sujet ; cause ; motif.
    • Nous avons donc toutes sortes de bonnes raisons pour considérer les plantes adventices comme nuisibles, et pour chercher à nous en débarrasser : […]. — (Les mauvaises herbes et leur destruction, dans Almanach de l'Agriculteur français - 1932, page 83, éditions La Terre nationale)
    • Il était question dans la complainte d’un assassin qui expose aux juges les raisons qui l’ont poussé à tuer sa maîtresse. — (Francis Carco, L’Homme de minuit, Éditions Albin Michel, Paris, 1938)
    • Tout est parfaitement en place mais, pour une raison inconnue, la cascadeuse perd le contrôle du véhicule. La grosse américaine grimpe sur le trottoir et s'arrête à l'entrée d'un supermarché. Une femme âgée de 80 ans est tuée sur le coup […]. — (Jean-Marc Lobier, Louis de Funès: Petites et grandes vadrouilles, éd. Robert Laffont, 2014)
  9. (Droit) Titres et prétentions qu’une personne peut avoir. On l’emploie principalement dans ces phrases :
    • Céder ses droits, noms, raisons et actions; être subrogé aux droits, noms, raisons et actions de quelqu’un.
  10. (Droit) Dénomination d’une société par les noms des associés, énoncés de la manière prévue par l’acte d’association pour signer toutes les pièces commerciales.
    • Cette maison de banque est sous la raison, sous la raison sociale Gautier, Lefèvre et compagnie.
  11. (Désuet) La part d’un associé dans le fonds d’une société de commerce.
    • Sa raison est d’un tiers, d’un cinquième. En ce sens il a vieilli; on dit : Son intérêt, sa part est de tant.
  12. (Mathématiques) Différence ou quotient de deux termes consécutifs, dans une progression, suivant qu’il s’agit d’une progression arithmétique ou d’une progression géométrique.
    • Dans le deuxième cas, montrer que le mouvement est uniformément accéléré en vérifiant que la vitesse varie linéairement avec le temps (v = at + b) ou, ce qui est équivalent, en vérifiant que les intervalles entre les points forment une progression arithmétique de raison r = a(Δt)2. — (Roger Duffait, Expériences de physique: CAPES de sciences physiques, Éditions Bréal, 2e édition, 1996, page 213)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

RAISON. n. f.
Faculté intellectuelle par laquelle l'homme connaît, juge et se conduit. L'homme est capable de raison, est doué de raison. La raison est pour les hommes ce que l'instinct est pour les animaux. C'est à sept ans accomplis qu'un enfant est considéré comme ayant atteint l'âge de raison. La raison humaine est bornée. La raison humaine ne saurait atteindre jusque-là. Les lumières de la raison. Cultiver, former sa raison. Il a sa raison, toute sa raison. Sa raison s'affaiblit. Sa raison s'égare. Un être privé de raison. Il a recouvré la raison. Perdre la raison, Tomber en démence. Il se dit, par exagération, d'un Homme qui fait une chose contraire à la raison, au bon sens. Quoi! vous avez fait cette chose absurde? il faut que vous ayez perdu la raison. En termes de Philosophie, Raison pure se dit par opposition à Raison pratique, de la Connaissance intuitive des vérités nécessaires. Kant a écrit un traité intitulé " Critique de la raison pure. " Être de raison, par opposition à Être réel, se dit de Ce qui n'existe que dans l'esprit, dans l'imagination. L'homme à l'état de nature est un être de raison. En mathématiques, le point et la ligne sont des êtres de raison.

RAISON signifie plus particulièrement Faculté de raisonner, d'établir des démonstrations, d'administrer des preuves. La raison discursive. La raison géométrique. Il désigne aussi le Bon sens, le bon usage de la raison, la sagesse, la justesse d'esprit. Cet homme n'a pas de raison. Il est sans raison. Il n'y a pas de raison à ce qu'il fait, à ce qu'il dit. Il n'a pas de raison de se conduire comme il fait. Il manque de raison. Sa conduite est pleine de raison. Je compte sur votre raison. J'en appelle à votre raison. Il a plus de raison que d'imagination. Il a un fonds de raison qui le préserve de bien des fautes. Cela choque la raison. La raison s'y oppose. Parler raison, Parler sagement, raisonnablement. C'est un homme qui parle toujours raison. Il faut autant qu'on peut parler raison aux enfants. Il signifie quelquefois Devenir raisonnable, accommodant, traitable. Voilà parler raison. C'est parler raison cela. Fig. et fam., Il n'y a ni rime ni raison se dit en parlant d'un Raisonnement faux, d'un ouvrage de l'esprit très mal fait, etc. Il n'y a ni rime ni raison à tout ce qu'il dit. Cet auteur a fait une pièce où il n'y a ni rime ni raison. On dit de même : Ce discours, cet écrit n'a ni rime ni raison. Mariage de raison, Mariage où les convenances, les rapports d'état et de fortune ont été plus consultés que l'inclination.

RAISON signifie encore Ce qui est de devoir, de droit, d'équité, de justice. Se rendre à la raison. Réduire quelqu'un à la raison, le ranger, l'amener, le mettre à la raison. La droite raison le veut. C'est la raison même. C'est raison, c'est bien raison que chacun soit maître chez soi. Cela est contre tout droit et raison, contre toute raison. Mettre la raison de son côté. Mettre quelqu'un à la raison signifie Réduire quelqu'un par la force. Avoir raison, Être fondé dans ce qu'on dit, dans ce qu'on fait. Vous avez tort, c'est lui qui a raison. Il a raison contre vous. C'est un homme qui veut toujours avoir raison. Ils prétendent tous deux avoir raison. Il a eu raison de congédier ce domestique. Il a eu raison en cela. Vous n'avez pas eu raison de vous emporter ainsi contre lui. Donner raison à quelqu'un, Prononcer en sa faveur, décider qu'il est fondé en ce qu'il dit ou en ce qu'il fait. Ces enfants m'ont prié de décider entre eux, j'ai donné raison au plus jeune. Il donne toujours raison au dernier qui parle. Entendre raison, Acquiescer à ce qui est juste et raisonnable. Quelque proposition qu'on lui ait faite, il n'a jamais voulu entendre raison. Enfin vous commencez à entendre raison. Il n'entend pas raison là-dessus se dit d'un Homme qui sur quelque point se montre inflexible, sévère, opiniâtre, toujours prêt à se formaliser. Comme de raison, Comme il est juste, comme il est raisonnable de faire. Plus que de raison, Plus qu'il n'est raisonnable. Il a bu plus que de raison. En style de Procédure, Pour valoir, pour servir ce que de raison, pour être ordonné ce que de raison, Pour valoir, pour être ordonné ce qui sera de justice, d'équité.

RAISON se dit aussi de la Réparation d'un outrage, d'un affront. Demander, tirer raison d'une offense. Demander raison à quelqu'un. Tirer raison de quelqu'un. Faire raison à quelqu'un. Demander à quelqu'un raison de quelque chose, Demander à quelqu'un qu'il rende compte d'une chose qu'il a faite ou dite, qu'il en explique les motifs. On lui a demandé raison de sa conduite, de ses discours. Rendre raison de quelque chose, En rendre compte, en expliquer les motifs, les causes. Je suis prêt à rendre raison de ma conduite. Rendre raison à quelqu'un, Se battre en duel avec lui. Se faire raison soi-même, à soi-même, Se faire justice par force, de sa propre autorité. Il n'est pas permis de se faire raison soi-même. Faire raison, Lever son verre et boire à la santé de qui vient de boire à la vôtre. Il signifie aussi Tenir tête à quelqu'un en buvant autant que lui. Fig., Avoir raison de quelqu'un, Triompher de lui. L'adversité n'eut pas raison de lui. Dans toutes les acceptions qui précèdent, Raison n'a point de pluriel.

RAISON signifie aussi Preuve par discours, par argument; dans cette acception, il a un pluriel. Forte, puissante raison. Raison démonstrative, décisive, péremptoire. Raison valable. Faible raison. Raison plausible, spécieuse. Donnez-nous de meilleures raisons. Je suis frappé, touché de vos raisons. Je me rends à vos raisons. Il m'a payé de mauvaises raisons. Fam., Pas tant de raisons, Façon de parler dont, un supérieur se sert envers un inférieur, pour lui imposer silence et lui marquer que ses objections et ses répliques déplaisent. Pop., Avoir des raisons avec quelqu'un, Avoir des difficultés, se quereller avec lui.

RAISON signifie encore Sujet, cause, motif. Juste raison. Quelle raison avez-vous d'en user comme vous faites? Je ne sais pas les raisons qu'il a eues d'entreprendre cette affaire. J'ai de bonnes raisons pour en user ainsi. J'ai des raisons de croire. Il vous a repris avec raison. Vous m'attaquez sans raison. La raison suffisante d'un fait, La cause qui suffit à le produire et à l'expliquer. Le principe de raison suffisante. À plus forte raison, Avec d'autant plus de sujet, par un motif d'autant plus fort. Si l'on est obligé de faire du bien aux étrangers, à plus forte raison en doit-on faire à ses parents. Pour raison à moi connue, de moi connue, Pour un sujet, pour un motif que je ne veux pas faire connaître. Je ne ferai pas ce que vous voulez, pour raison à moi connue. On dit aussi Pour raison à vous connue, Pour un sujet, pour un motif que je n'ai pas besoin de vous dire. Je n'en dirai pas davantage, pour raison à vous connue. Raison d'État. Voyez ÉTAT.

RAISON se dit, en termes de Procédure, des Titres et prétentions qu'une personne peut avoir. On l'emploie principalement dans ces phrases : Céder ses droits, noms, raisons et actions; être subrogé aux droits, noms, raisons et actions de quelqu'un. En termes de Commerce, il désigne la Dénomination d'une société par les noms des associés, énoncés de la manière prévue par l'acte d'association pour signer toutes les pièces commerciales. Cette maison de banque est sous la raison, sous la raison sociale Gautier, Lefèvre et compagnie. Il désignait aussi la Part d'un associé dans le fonds d'une société de commerce. Sa raison est d'un tiers, d'un cinquième. En ce sens il a vieilli; on dit : Son intérêt, sa part est de tant. Livre de raison, Registre où un négociant porte tous ses comptes par doit et avoir. Il a vieilli; on dit Grand livre. On appelait aussi Livre de raison Celui où un chef de famille écrivait, en même temps que ses dépenses et recettes quotidiennes, le journal des divers événements de sa maison.

RAISON, en termes de Mathématiques, désigne la Différence ou le quotient de deux termes consécutifs, dans une progression, suivant qu'il s'agit d'une proportion arithmétique ou d'une proportion géométrique. On entend aussi par Raison directe ou inverse une Proportionnalité directe ou inverse.

À RAISON DE, EN RAISON DE, loc. prépositives. À proportion de, sur le pied de. On paya cet ouvrier à raison de l'ouvrage qu'il avait fait. Vous m'en tiendrez compte à raison du profil que vous en tirerez. Je vous paierai cette étoffe à raison de dix francs le mètre. Il doit être payé en raison du temps qu'il y a mis. L'industrie de l'homme croît en raison de ses besoins. En termes de Physique, Les espaces parcourus par un corps qui tombe sont en raison directe des carrés des temps. L'intensité de la lumière est en raison inverse des carrés de la distance du corps lumineux. Les attractions de deux points matériels sont en raison inverse des carrés des distances.

EN RAISON DE signifie aussi Vu, en considération de. En raison de son extrême jeunesse. En raison des circonstances.

POUR RAISON DE QUOI, loc. conj. dont on se sert en style d'affaires et qui signifie À cause de quoi.

À TELLE FIN QUE DE RAISON, loc. adv. dont on se sert en style d'affaires pour exprimer qu'On fait une chose dans la pensée qu'elle pourra être utile, sans dire précisément à quoi Il fit faire un procès-verbal de l'état des lieux, à telle fin que de raison. Il signifie aussi, dans le style familier, À tout événement.

Littré (1872-1877)

RAISON (rè-zon) s. f.
  • 1Faculté par laquelle l'homme connaît, juge et se conduit. Puisqu'il est certain que la raison des hommes ne s'étend pas si loin que la vérité des choses, Guez de Balzac, lett. 14, liv. I. Vous serez toujours… un esprit chaussé tout à rebours, Une raison malade et toujours en débauche, Molière, l'Ét. II, 14. Montaigne est incomparable… pour convaincre si bien la raison de son peu de lumière et de ses égarements, qu'il est difficile, quand on fait un bon usage de ses principes, d'être tenté de trouver des répugnances dans les mystères, Pascal, Entretien avec M. de Saci. Notre raison est toujours déçue par l'inconstance des apparences, Pascal, Pens. I, 1, édit. HAVET. Examinons donc ce point, et disons : Dieu est, ou il n'est pas ; mais de quel côté pencherons-nous ? la raison n'y peut rien déterminer ; il y a un chaos infini qui nous sépare, Pascal, ib. X, 1. Soumission et usage de la raison, en quoi consiste le vrai christianisme, Pascal, ib. XXV, 182. Instinct et raison, marques de deux natures, Pascal, XXV, 15. L'homme n'agit point par la raison qui fait son être, Pascal, ib. XXV, 27. Deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison, Pascal, ib. XIII, 7. L'âme, devenue captive du plaisir, devient ennemie de la raison, Bossuet, la Vallière. Ce serait à nous à condamner notre raison comme aveugle et téméraire, et non pas à notre raison de trouver à redire aux œuvres de Dieu, Bourdaloue, Dim. de la Quinquagés. Dominic. t. I, p. 448. Qui ne sait qu'elle fut admirée dans un âge où les autres ne sont pas encore connues ; qu'elle eut de la sagesse en un temps où l'on n'a presque pas encore de la raison ? Fléchier, Mme d'Aiguillon. Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison D'un charme bien plus doux enivre la raison, Boileau, Sat. IV. Et quelle âme, dis-moi, ne serait éperdue Du coup dont ma raison vient d'être confondue ? Racine, Andr. III, 1. Cette fière raison dont on fait tant de bruit, Contre les passions n'est pas un sûr remède ; Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit, Deshoulières, Poés. t. I, p. 34. Rien ne sied mieux à notre raison que des conclusions un peu timides, Fontenelle, Dodart. La raison nous propose un trop petit nombre de maximes certaines, et notre esprit est fait pour en croire davantage, Fontenelle, Dial. V, Morts anc. mod. On se sert de la raison comme d'un instrument pour acquérir les sciences ; et on se devrait servir au contraire des sciences comme d'un instrument pour perfectionner sa raison, Rollin, Traité des Ét. V, 2. La raison peut se définir une faculté de notre âme par laquelle nous découvrons la certitude des choses obscures ou douteuses en les comparant avec des choses qui nous sont évidemment connues, Dumarsais, Œuv. t. VI, p. 6. Le cœur ne manque guère de trahir la raison, quelque leçon qu'il en ait reçue, Staal, Mém. t. III, p. 123. La raison a un empire naturel ; elle a même un empire tyrannique : on lui résiste, mais cette résistance est son triomphe, Montesquieu, Espr. XXVIII, 38. M. Locke a développé à l'homme la raison humaine, comme un excellent anatomiste explique les ressorts du corps humain, Voltaire, Dict. phil. Locke. Le caractère de la raison le plus marqué, c'est le doute, c'est la délibération, c'est la comparaison, Buffon, Nature des anim. La raison des femmes est une raison pratique, qui leur fait trouver très habilement les moyens d'arriver à une fin connue, mais qui ne leur fait pas trouver cette fin, Rousseau, Ém. v. De toutes les facultés de l'homme, la raison, qui n'est, pour ainsi dire, qu'un composé de toutes les autres, est celle qui se développe le plus difficilement et le plus tard, Rousseau, ib. II. La froide raison n'a jamais rien fait d'illustre, et l'on ne triomphe des passions qu'en les opposant l'une à l'autre, Rousseau, Hél. IV, 12. On dit communément que les animaux sont bornés à l'instinct, et que la raison est le partage de l'homme ; ces deux mots instinct et raison, qu'on n'explique point, contentent tout le monde, et tiennent lieu d'un système raisonné, Condillac, Trait. anim. II, 5.

    Fig. Il n'est que les lumières de votre foi [ô Dieu] qui puissent redresser ses jugements [de l'homme], ouvrir les yeux de son âme, être la raison de son cœur, lui apprendre à se connaître, Massillon, Avent, Dispos.

    Avoir sa raison, toute sa raison, jouir de la plénitude de ses facultés intellectuelles.

    Âge de raison, âge où les enfants commencent à jouir de la raison. De petits enfants avant l'âge de raison, Bossuet, 3e avert. 12. Il était cher à toute la maison, N'étant encor dans l'âge de raison, Gresset, Ver-vert, I.

    Un être de raison, voy. ÊTRE 2, n° 3.

    Perdre la raison, devenir fou. Je pense mille fois le jour au chevalier de Grignan, et ne puis pas m'imaginer qu'il puisse soutenir cette perte [celle de Turenne] sans perdre la raison, Sévigné, 201. Il faut qu'il écoute mes détails cruels, qu'il entre dans mes colères, qu'il me dise que j'ai raison pour m'empêcher de la perdre tout à fait, Sévigné, à Moulceau, 1er mars 1684.

    Perdre la raison, se dit aussi d'un homme qui fait quelque chose de contraire à la raison, au bon sens. Il faut que vous ayez perdu la raison, pour avoir tenu ce langage.

    Terme de métaphysique. Raison pure ou intuitive, se dit par opposition à raison empirique ou connaissances expérimentales. Son traité [de Kant] sur la nature de l'entendement humain, intitulé Critique de la raison pure, parut il y a trente ans, et cet ouvrage fut longtemps inconnu ; mais, lorsqu'enfin on découvrit les trésors d'idées qu'il renferme, il produisit une telle sensation en Allemagne, que presque tout ce qui s'est fait depuis en littérature comme en philosophie, vient de l'impulsion donnée par cet ouvrage, Staël, Allem. III, 6.

    Culte de la Raison, culte célébré pour la première fois dans l'église métropolitaine de Paris, le 20 brumaire an II (10 nov. 1793), et bientôt imité dans toute la France.

  • 2Raison se dit de la somme de vérités que les hommes admettent uniformément ; cette raison est souvent nommée raison impersonnelle. À la vérité, une raison est en moi ; car il faut que je rentre sans cesse en moi-même pour la trouver ; mais la raison supérieure qui me corrige dans le besoin et que je consulte n'est point à moi, et elle ne fait point partie de moi-même ; cette règle est parfaite et immuable, je suis changeant et imparfait… nous recevons sans cesse et à tout moment une raison supérieure à nous… c'est elle par qui les hommes de tous les siècles et de tous les pays sont comme enchaînés autour d'un certain centre immobile, Fénelon, Exist. 55 et 56.
  • 3Raison se dit quelquefois absolument pour logos, Verbe. Au-dessus de notre faible raison, restreinte à certains objets, nous avons reconnu une raison première et universelle…, Bossuet, Conn. V, 2. Où est-elle cette raison suprême ? n'est-elle pas le Dieu que je cherche ? Fénelon, Exist. 60. Le philosophe [Lao-tseu], né dans une des provinces centrales de la Chine, à la fin du VIIe siècle avant notre ère, admet pour premier principe de toutes choses, comme les platoniciens et les stoïciens, la raison, être sublime, indéfinissable, qui n'a de type que lui-même, Abel Rémusat, Instit. Mém. inscr. et belles-lettr. t. VII, p. 51.
  • 4Le bon usage de la faculté de raison, bon sens, justesse d'esprit, sagesse. La raison règle enfin l'ardeur qui les emporte, Corneille, Cinna, I, 3. Ce discours, quoique même un peu hors de saison, Pourrait avoir du moins quelque ombre de raison, Corneille, Perthar. I, 4. La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété, Molière, Mis. I, 1. …Souffrez qu'enfin la raison vous éclaire, Boileau, Poés. div. XXVII. La raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie, Boileau, Art p. I. Il savait qu'il ne faut attaquer les passions des hommes, pour les réduire à la raison, que quand elles commencent à s'affaiblir par une espèce de lassitude, Fénelon, Tél. X. La raison tient de la vérité, elle est une ; l'on n'y arrive que par un chemin, et l'on s'en écarte par mille, La Bruyère, XI. Alzire au désespoir, mais pleine de raison, En invoquant la mort commente le Phédon, Gilbert, le Dix-huitième siècle.

    Raison écrite, se dit du droit romain dans les pays où on le consulte. Quand la compilation de Justinien parut, elle fut reçue dans les provinces du domaine des Goths et des Bourguignons comme loi écrite ; au lieu que dans l'ancien domaine des Francs, elle ne le fut que comme raison écrite, Montesquieu, Esp. XXVIII, 12.

    Parler raison, parler raisonnablement. Combien de gens qui, dans la vie, Se conduisent en fous, et qui parlent raison ! Imbert, Jaloux sans amour, I, 5.

    D'après Bouhours, cette locution était rejetée par quelques-uns ; aujourd'hui elle est reçue.

    Parler raison, signifie quelquefois devenir raisonnable, traitable. Voilà parler raison. C'est parler raison, cela.

    Mariage de raison, mariage où l'on consulte plus la convenance que l'inclination. Ils sont convenus de terminer à l'amiable par un mariage de raison, Al. Duval, le Prisonnier, SC. 14.

    Il n'y a ni rime ni raison, voy. RIME.

  • 5Dans un sens assez récent, raison se dit, absolument, pour exprimer la somme croissante d'idées bonnes et justes qui est dans une société. Le père eût poussé plus loin la sainte haine qu'il avait contre la raison, Saint-Évremond, Convers. du P. Canaye. Il a été plus facile aux Hérules, aux Vandales, aux Goths et aux Francs, d'empêcher la raison de naître, qu'il ne serait aujourd'hui de lui ôter sa force quand elle est née, Voltaire, Ode XII, note. La raison n'est-elle pas le préservatif de l'intolérance et du fanatisme ? Rousseau, Hél. II, 18. La raison finira par avoir raison, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 23 janv. 1757. Vous aimez la raison et la liberté, mon cher et illustre confrère, et on ne peut guère aimer l'une sans l'autre, D'Alembert, ib. 19 janv 1769. La raison peut se comparer à une montre ; on ne voit point marcher l'aiguille, elle marche cependant ; et ce n'est qu'au bout de quelque temps qu'on s'aperçoit du chemin qu'elle a fait, D'Alembert, Dial. Christ. et Descart. … Une raison hardie, De ce vieil univers nouvelle maladie, Calcule ses devoirs, et discute vos droits, Sous la pourpre avilie interroge les rois, Delille, Pitié, IV. La raison contemporaine, la somme de vérités et de principes qui est propre à chaque époque.
  • 6Ce qui est de devoir, de droit, d'équité, de justice. Ah ! qu'avec peu d'effet on entend la raison, Quand le cœur est atteint d'un si charmant poison ! Corneille, Cid, II, 5. Philinte : Mais qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite ? - Alceste : Qui je veux ? La raison, mon bon droit, l'équité, Molière, Mis. I, 1. Il ne sera pas hors de raison qu'il donne…, Pascal, Prov. v. C'est de Lopès de Véga que P. Corneille a emprunté le caractère du Menteur, dont il disait avec tant de modestie et si peu de raison, qu'il donnerait deux de ses meilleures pièces pour l'avoir imaginé, Marmontel, Œuv. t. VI, p. 157.

    Ce qui est raisonnable. Il en est comme avec ceux qui nous ouvrent leur bourse, et nous disent : prenez ; nous en usons honnêtement et nous nous contentons de la raison, Molière, G. Dand. II, 1.

    Avoir raison, être fondé dans ce qu'on dit ou fait. Les Juifs, contraints enfin d'avouer que le Messie n'était pas venu dans le temps qu'ils avaient raison de l'attendre selon leurs anciennes prophéties, tombèrent dans un autre abîme, Bossuet, Hist. II, 10. Tite-Live a raison de dire qu'il n'y eut jamais de peuple où la frugalité, où l'épargne, où la pauvreté aient été plus longtemps en honneur [qu'à Rome], Bossuet, ib. III, 6. Ce fut depuis le retour de ses bonnes grâces qu'elle [la duchesse de la Ferté] me dit un jour : Tiens, mon enfant, je ne vois que moi qui aie toujours raison, Staal, Mém. t. I, p. 269. Celui qui vous amusera le plus en quelque genre que ce soit, aura toujours raison avec vous, Voltaire, Lett. à Mme du Deffant, 2 sept. 1770.

    Familièrement, la bête a raison, se dit quand on se rend au sentiment d'une personne qu'on témoigne estimer peu.

    Donner raison à quelqu'un, prononcer en sa faveur. Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 15.

    Donner toute raison, donner complétement raison. Maurin extravaguait, et Albert lui a donné toute raison, et avec une sécheresse extrême pour Léocadie, Genlis, Mères riv. t. III, p. 123, dans POUGENS.

    Entendre raison, acquiescer à ce qui est juste et raisonnable. Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison, Molière, Festin, II, 5. Elle n'entend ni pleurs, ni conseil, ni raison, Racine, Bérén. IV, 7.

    Il n'entend pas raison là-dessus, se dit d'un homme qui se montre sévère, opiniâtre sur quelque point.

    Entendre raison, écouter raison, se dit quelquefois d'une femme qui se rend aux sollicitations d'un amant. Caliste enfin l'inexpugnable Commença d'écouter raison, La Fontaine, Coupe. Une vertu qui ne voulait pas entendre raison, Hamilton, Gramm. 9.

    Se faire une raison, se soumettre à ce qui ne peut être changé. La duchesse de Berry était incapable de se faire une raison, que ce qui venait d'arriver [la mort de Monseigneur] devait arriver tôt ou tard, Saint-Simon, 296, 42. Hé ! mon frère, ne faut-il pas se faire une raison ? Legrand, Triomphe du temps futur, III, 2.

    Mettre quelqu'un à la raison, l'y soumettre. Quand le malheur ne serait bon Qu'à mettre un sot à la raison, La Fontaine, Fabl. VI, 7. Les années m'ont tellement mise à la raison, Mme de Coulanges, Lett. à Mme de Sévigné, p. 132, dans POUGENS.

    Se mettre à la raison, s'y soumettre. Pour éviter la contrainte, Il s'est mis à la raison, Malherbe, II, 2. Votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison, Molière, l'Av. IV, 4. Voyez si on peut mieux se mettre à la raison, Sévigné, 187.

    Mettre à la raison, signifie quelquefois triompher de quelqu'un, réduire par la force, par l'autorité. Il mit ces furieux à la raison. Nous savons, Dieu merci, mettre une femme à la raison, Hauteroche, Crisp. méd. I, 2. Si son sage héros [du Tasse], toujours en oraison, N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison, Boileau, Art p. III. C'est un chicaneur ; je le mettrai à la raison, Picard, M. Musard, sc. 1.

    C'est raison, ce n'est pas raison, il est raisonnable, il n'est pas raisonnable. C'est la raison de le défendre contre l'injustice et le sort qu'on lui fait, Bussy-Rabutin, Hist. amour. des Gaules, Préf. C'est bien raison que la divine Émilie l'emporte sur ces faquins qui…, Voltaire, Lett. Cideville, 6 mai 1735. C'était raison, car le fripon pour être Moins bon garçon, n'en était pas moins beau, Gresset, Ver-vert, IV.

    C'est bien la raison que, il est bien raisonnable, il est bien juste que. Et c'est bien la raison que pour tant de puissance Nous vous rendions du moins un peu d'obéissance, Corneille, Rodog. II, 3. Que pour se faire honneur d'un cœur comme le mien, Ce n'est pas la raison qu'il ne leur coûte rien [aux belles], Molière, Mis. III, 1.

    Fig. Contre toute raison, d'une façon excessive. Il fait un froid et une pluie contre toute raison, Sévigné, 19 juin 1680.

    Il y a raison partout, pour tout, la raison doit mettre une borne, c'est un excès qu'il faut empêcher. Adieu, ma très aimable enfant, je ne veux pas vous fatiguer, il y a raison partout, Sévigné, 3 avr. 1671.

    Fig. Il n'y a point de raison, la chose est excessive, déraisonnable. Elle [Mme de la Fayette] est trop malade, il n'y a point de raison, Sévigné, 4 janv. 1690. Il n'y a pas de raison à toutes les louanges que vous me donnez, il n'y en a point aussi à la longueur de cette lettre, Sévigné, 1er avr. 1671.

    Comme de raison, comme il est juste. Votre peine sera payée comme de raison.

    Plus que de raison, plus qu'il n'est raisonnable. Son vaisseau a péri, il a bu de l'eau salée un peu plus que de raison ; cela lui a tourné la cervelle, Regnard, Ret. imprévu, 18.

    En style de palais. Pour valoir ce que de raison, pour valoir ce qui sera équitable.

  • 7Compte, explication. Le philosophe ennuyé des équivoques et des méprises du poëte, et ne voulant plus entrer en raison avec lui, Guez de Balzac, Déf. de la poés. [La dame] Fut un longtemps si dure et si cruelle, Que Minutol n'en sut tirer raison, La Fontaine, Rich. S'il arrivait des années malheureuses, je me fais bien fort que ma mère entrerait en raison pour prendre du temps et des commodités qui vous faciliteraient le payement de votre ferme, Ch. Sévigné, à d'Herigoyen, dans SÉV. t. VIII, p. 70, édit. RÉGNIER. Saint Ignace rendait cette raison de son choix que dans le parti qu'il prenait…, Bossuet, 5e écrit, 13. Il crut qu'il en aurait quelque raison en la mettant sur l'amour, Hamilton, Gramm. 4. Tout fut confisqué, sans que jamais j'aie eu raison ni nouvelle de ma pauvre pacotille, Rousseau, Conf. v.

    Faire raison, expliquer. Faites-moi raison de ce que Selim tua son père, ses frères et ses neveux, Guez de Balzac, liv. I, lett. 9. Ronsard, fais m'en raison, et vous, autres esprits…, Régnier, Sat. II. Morbleu, fais-moi raison de ce coup effroyable, Molière, les Fâch. II, 2.

    Familièrement. Faites-moi raison d'un tel, expliquez-moi les motifs pour lesquels il en use comme il fait.

    Demander à quelqu'un raison de quelque chose, lui demander qu'il explique une chose qu'il a dite ou faite. Demander à quelqu'un raison de sa vie entière. D'où vient qu'un fils, vers moi noirci de trahison, Ose de mes faveurs me demander raison ? Corneille, Rodog. IV, 6.

    Rendre raison de quelque chose, en expliquer les motifs. Prêt à rendre raison de tout ce qu'il a fait, Corneille, Sertor. V, 2. Qui blâmera les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ? Pascal, Pens. X, 1, éd. HAVET.

    Point de raison, point d'explication. [le maréchal d'Hocquincourt qui disait croire à la religion sans s'en rendre raison] Tant mieux, monseigneur, reprit le Père, d'un ton de nez fort dévot, tant mieux ; ce ne sont point mouvements humains, cela vient de Dieu ; point de raison ! Saint-Évremond, Conversation du P. Canaye. Je ne veux point ici rappeler le passé, Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé, Saint-Évremond, Athal. II, 5.

    Se rendre raison d'une chose, se l'expliquer.

  • 8Satisfaction, contentement sur quelque chose qu'on demande. Je vous ferai avoir raison de vos prétentions. Faites-moi raison de la part que j'ai dans cette succession.
  • 9Réparation d'un outrage, d'un affront. Sans cela je vous demanderais raison de ce que vous m'accusez de l'extrême envie de sortir de ce lieu, Voiture, Lett. 35. Pour se venger, par l'avanie qu'il nous suscita, du peu de raison qu'on lui avait fait du valet dont il s'était plaint avec justice, Tavernier, Voyage de Perse, I, 7. Et, sur les bords du Tibre, une pique à la main, Lui demander raison [à Sylla] pour le peuple romain, Corneille, Sertor. III, 2. Au fils de Jupiter on dit qu'ils se plaignirent, Et n'en eurent point de raison, La Fontaine, Fabl. IV, 12.

    Tirer raison d'une offense, s'en venger. Demain je suis Médée, et je tire raison De mon bannissement et de votre prison, Corneille, Médée, IV, 6. Les lois du monde défendent de souffrir les injures sans en tirer raison, Pascal, Prov. VII.

    Autrefois on disait aussi (ce qui ne se dit plus) tirer la raison, tirer sa raison. Contre le firmament j'ai planté l'escalade Pour tirer la raison de la mort d'Encélade, Racan, Épig. pour un capitan. Il fut toujours permis de tirer sa raison D'une infidélité par une trahison, Corneille, Mél. II, 3. Mourir sans tirer ma raison, Corneille, Cid, I, 9.

    Faire raison, faire réparation. Il [Flaminius] doit savoir qu'un jour il me fera raison D'avoir réduit mon maître [Annibal] au secours du poison, Corneille, Nicom. II, 3. Il me fera raison de cette indignité, Rotrou, Vencesl. I, 1. Vous ne daignâtes me faire aucune raison sur les plaintes que je vous avais faites des manières injurieuses dont vous m'aviez traité dans votre réponse à mon livre des Idées, Arnauld, 4e lett. au P. Malebr. Je m'engage à vous faire faire raison par lui, Molière, Festin, III, 4. Une bonne potence, pendard effronté, me fera raison de ton audace, Molière, l'Avare, V, 4.

    On disait autrefois aussi (ce qui ne se dit plus) faire la raison. Sus, sus, brisons la porte, enfonçons la maison ; Que des bourreaux soudain m'en fassent la raison, Corneille, Médée, V, 7. Faire raison de quelqu'un, s'en venger. Destin avait eu besoin de toute sa sagesse, pour ne pas faire raison d'un homme qui l'avait outragé si cruellement, Scarron, Rom. com. II, 15.

    Avoir raison de quelqu'un, triompher de lui, en venir à bout.

    Fig. L'adversité n'aura pas raison de lui.

    Faire raison, a quelquefois un sens analogue. Sans doute, à le prendre à la rigueur, une petite fosse suffit à tous, et six pieds de terre, comme le disait Mathieu Molé, feront toujours raison du plus grand homme du monde, Chateaubriand, Itin. 6e part.

    Demander raison à quelqu'un, l'appeler en duel. Cette plaisanterie est fort peu de saison, Et sur l'heure, monsieur, j'en demande raison, Collin D'Harleville, Malice pour malice, III, 5. Ils lui demandaient raison. Je vois bien, dit-il, que c'est ce qui vous manque, Courier, Lettres particulières, I.

    Rendre raison à quelqu'un, se battre en duel avec lui.

    Se faire raison soi-même, à soi-même, se faire justice par force, de sa propre autorité. Il [le peuple] commence lui-même à se faire raison, Et vient de déchirer Métrobate et Zénon, Corneille, Nicom. V, 4.

    Faire raison, rendre justice. L'armée à son mérite enfin a fait raison, Corneille, Othon, V, 6.

    Se faire raison, se rendre justice. Qui ne vous craindra point, si les reines vous craignent ? - Elles se font raison lorsqu'elles me dédaignent, Corneille, D. Sanche, IV, 4.

    Faire raison à quelqu'un d'une santé qu'il a portée, boire avec lui à la santé de la personne qu'il a désignée ; la santé qu'il propose étant considérée comme une provocation. On fit raison, le vin ne dura guère, La Fontaine, Rém. À votre santé. - Sénantes en fit raison, Hamilton, Gramm. 4. Il but la santé de chacune des personnes de la compagnie, et fit ensuite raison à tous les vingt l'un après l'autre, Rollin, Hist. anc Œuv. t. VI, p. 589. En même temps il versait du vin dans mon verre, et m'excitait à lui faire raison, Lesage, Gil Bl. I, 2.

    Fig. Jusqu'au col il se plonge, Lui [âne], le conducteur et l'éponge. Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison Firent à l'éponge raison [burent autant que l'éponge, se noyèrent], La Fontaine, Fabl. II, 10.

  • 10Preuve par discours, par argument. La raison du plus fort est toujours la meilleure, La Fontaine, Fabl. I, 10. Une jeune souris, de peu d'expérience, Crut fléchir un vieux chat, implorant sa clémence, Et payant de raisons le Raminagrobis…, La Fontaine, Fabl. XII, 5. Ce sont des gens qui n'entendent point de raison, Molière, Fourber. II, 11. M. de Roannez disait : les raisons me viennent après ; mais d'abord la chose m'agrée ou me choque sans en savoir la raison, et cependant cela me choque par cette raison que je ne trouve qu'ensuite, Pascal, Pens. XXV, 56, éd. HAVET. Il donne pour raison celle-ci de saint Thomas, Pascal, Prov. XVIII. J'ai trouvé… la lettre que vous écrit M. de Chaulnes, fort jolie ; il vous paye de raison ; vous voyez qu'il a fait ce qu'il a pu, Sévigné, 596. Il m'embrassa mille fois, et me donna les plus méchantes raisons du monde, que je pris pour bonnes, Sévigné, 235. Quand on n'a point de bonnes raisons, il n'en faut dire aucune, Sévigné, à Bussy, 20 juin, 1678. Je hais les raisons quand je veux quelque chose, Th. Corneille, l'Inconnu, II, 5. Vous qui dans les détours de vos raisons subtiles…, Boileau, Épître VII. Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue… Toujours dans mes raisons cherche quelque détour, Racine, Andr. II, 2. Tu n'as plus d'autres armes à employer que de bonnes raisons, Fénelon, Dial. des morts anc. dial. IV. La France et l'Espagne combattirent d'abord par des écrits où l'on étala des calculs de banquier et des raisons d'avocat, Voltaire, Louis XIV, 8. Je m'ennuie moi-même de répondre toujours par des raisons à des accusations sans raison, Rousseau, Lett. de la Montagne, 3. Le sage Fontenelle, qui estimait Boindin à beaucoup d'égards et qui en était respecté, lui ayant demandé pourquoi il se livrait si fort à la contradiction : c'est, dit Boindin, que je vois des raisons contre tout, Duclos, Œuv. t. X, p. 59.

    Familièrement. Point tant de raisons ! manière d'imposer silence, et de montrer à quelqu'un que ses objections déplaisent.

  • 11Cause, sujet, motif. Il semble que sa flamme, en cette amour nouvelle, Ne cherche autre raison que de m'être infidèle, Racan, Berg. I, 2, Lycidas. Ainsi votre raison n'est pas raison pour moi, Corneille, Cid, II, 7. C'est donc avec raison que je commence à craindre, Corneille, Héracl. I, 4. Cette raison au moins en mon mal me conforte, Que, s'il n'est supportable, il faudra qu'il m'emporte, Rotrou, Antig. III, 4. S'il a manqué à la parole qu'il m'avait donnée, il a ses raisons pour cela, Molière, Pourc. III, 9. Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses, Pascal, Pens. XXIV, 5, éd. HAVET. Il me semble qu'il ne faut point faire changer de place aux vieilles amours, non plus qu'aux vieilles gens ; la routine fait quelquefois la plus forte raison de leur attachement, Sévigné, 30 juill. 1677. Les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de mon devoir, La Fayette, Princ. de Clèves, Œuv. compl. t. II, p. 253, dans POUGENS. Sans raison il [l'homme] est gai, sans raison il s'afflige, Boileau, Sat. VIII. Il faisait deux pas, et revenait incontinent pour alléguer à Mentor quelque nouvelle raison de différer, Fénelon, Tél. XXIII. On se fait à soi-même des raisons spécieuses pour ne pas s'en éloigner [des occasions mauvaises], Massillon, Carême, Pâques. J'entrai dans les raisons de Sayavedra, et nous convînmes qu'il ne se montrerait point dans les rues de Bologne, Lesage, Guzm. d'Alf. IV, 7. Je ne justifie pas les usages, mais j'en rends les raisons, Montesquieu, Esp. XVI, IV. Rollin prétend qu'Alexandre ne prit la fameuse ville de Tyr qu'en faveur des Juifs, qui n'aimaient pas les Tyriens ; il est pourtant vraisemblable qu'Alexandre eut encore d'autres raisons, Voltaire, Dict. phil. Alexandre. Ceux qui exigent qu'on leur donne la raison d'un effet général, ne connaissent ni l'étendue de la nature ni les limites de l'esprit humain, Buffon, Hist. min. introd. 1re part. Œuv. t. VI, p. 7. Pour découvrir la raison de ce qui est mal, le moyen le plus simple et le plus sûr, c'est de chercher la raison de ce qui est bien, Condillac, Art. d'écr. I, 4. Parmi les préjugés, tout ridicules qu'ils peuvent être, il n'en est point qui n'ait sa raison, ou, pour parler plus exactement, son origine, D'Alembert, Disc. prélim. Encycl. Œuv. t. I, p. 224, dans POUGENS. Suzanne : Elle me déplaît. - Figaro : On dit une raison. - Suzanne : Si je n'en veux pas dire ? Beaumarchais, Mar. de Figaro, I, 1. Raison de plus, monsieur, je reste en mon pays, Collin D'Harleville, Optimiste, V, 2.

    Terme de philosophie. Raison suffisante, se dit, dans le leibnitzianisme, de la cause sans laquelle nous jugeons qu'un fait ne peut avoir lieu.

    Dans le langage général, ce qui suffit à opérer, à expliquer. La mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infestaient la surface ; la baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes, Voltaire, Candide, 3. Il n'y a rien sans une raison suffisante : par conséquent l'ordre dans lequel nos perceptions nous représentent les êtres, a sa raison dans l'ordre qui est entre les êtres mêmes, Condillac, Traité des syst. ch. 8. Il [Descartes] trouvait dans l'extinction des corps lumineux la raison suffisante de l'existence des corps obscurs, Bailly, Hist. de l'astr. mod. t. II, p. 718.

    À plus forte raison, par un motif d'autant plus fort. Une infinité de larcins que les juges puniraient, et que vous [prêtres] devriez réprimer à bien plus forte raison, Pascal, Prov. VIII. À plus forte raison vous saviez parfaitement tout ce qui regarde l'homme, Fontenelle, Paracelse, Molière.

    Pour raison à moi connue, pour un motif que je ne veux pas faire connaître.

    Pour raison à vous connue, pour un motif qu'il n'est pas nécessaire que je vous explique, que vous connaissez comme moi.

    Familièrement. Conter ses raisons à quelqu'un, l'entretenir de ses affaires, de ses motifs d'agir.

    Populairement. Avoir des raisons avec quelqu'un, contester avec lui.

  • 12Raison d'État, voy. ÉTAT, n° 8.

    On a dit (Biogr. univ. de MICHAUD, art. le P. Joseph) que le mot de raison d'État fut prononcé pour la première fois dans un conseil tenu par Richelieu. Cela est inexact, puisque Régnier l'a employé, comme on voit au mot ÉTAT.

    Raison de famille, considérations d'intérêt qui déterminent la conduite dans une famille. C'est pourtant grand' pitié, qu'on oblige une fille D'épouser un couvent par raison de famille, Hauteroche, Appar. tromp. I, 2.

  • 13 Terme de mathématique. Rapport d'une quantité à une autre quantité. Progression qui marche par raison arithmétique, par raison géométrique. La raison de l'attraction est directe quand on considère les masses, inverse et comme le carré quand on considère les distances. Lorsqu'on augmente dans une raison donnée toutes les températures initiales, on augmente dans la même raison toutes les températures successives, Fourier, Instit. Mém. scienc. 1819 et 1820, t. IV, p. 202.

    Fig. La pensée, qui est la raison commune en laquelle les actes intellectuels conviennent, diffère totalement de l'extension, qui est la raison commune des actes corporels, Descartes, Rép. aux troisièmes object. X.

    Moyenne et extrême raison, proportion dans laquelle un tout est à une de ses deux parties comme celle-ci est à la seconde.

    Premières et dernières raisons, nom d'une théorie célèbre de Newton.

  • 14 Terme de banque et de commerce. Noms des associés rangés et énoncés de la manière déterminée par la société. Cette maison est sous la raison Laffitte et compagnie.

    Raison sociale, nom sous lequel une société est connue à la bourse et dans le commerce. Manufacture des glaces et verreries de Montluçon ; société française en commandite, raison sociale : F. Berlioz et compagnie.

    Part d'un associé dans le fonds d'une société de commerce (vieilli en ce sens ; on dit : son intérêt, sa mise de fonds est de tant). Sa raison est d'un tiers.

    Livre de raison, registre où un négociant porte ses comptes par doit et avoir (vieilli ; on dit grand-livre). Tous banquiers… et marchands en gros… seront obligés de tenir livres de raison en bonne et due forme ; et tous marchands, boutiquiers et vendants en détail, des livres journaux, Règlements des 2 juin et 7 juillet 1667. Le grand-livre ou livre de raison doit contenir tous les comptes généraux et particuliers, auxquels les articles qui sont sur le journal doivent être rapportés, soit en débit, soit en crédit, P. Giraudeau, la Banque rendue facile, p. v.

  • 15 En termes de charpenterie, mettre les pièces de bois en leur raison, les mettre à leurs places respectives.
  • 16 Terme de pratique. Raisons, au pluriel, se dit des titres et prétentions qu'une personne peut avoir. Céder ses droits, noms et raisons.
  • 17S'est dit, dans la marine, pour ration. Raison ou ration est la mesure de biscuit, pitance et boisson qui se distribue à chacun dans le bord, Ms. du XVIIe siècle, dans JAL.
  • 18À telle fin que de raison, locut. adverb. signifiant, en style d'affaires, par précaution, dans la pensée que la chose pourra servir. Il fit faire un état des lieux à telle fin que de raison.

    L'ellipse remplie donne : pour telle fin qu'il sera de raison.

    Dans le langage familier. À tout événement.

  • 19À raison de, loc. prépos. Au taux de, sur le pied de. Sur ce vaisseau la disette de l'eau obligea de ne la distribuer qu'à raison d'un demi-litre par tête. On paya cet ouvrier à raison de l'ouvrage qu'il avait fait. Il fallait que l'homme libre préparât des gens qui fissent ce service, à raison d'un homme pour quatre manoirs, Montesquieu, Esp. XXXI, 25.

    Fig. À raison de, s'emploie comme moyen d'expliquer, de motiver, et est l'équivalent de : à cause de. Il put circuler librement, à raison de son passe-port. Les passions, à raison de l'aveuglement qu'elles causent, sont dangereuses. Cet employé, à raison de ses bons services, vient de recevoir une gratification.

  • 20En raison de, loc. prép. En proportion de. Les corps s'attirent en raison directe de leurs masses, et en raison inverse du carré de leurs distances.

    En raison directe, en augmentant ou diminuant dans le rapport qu'une autre quantité augmente ou diminue. La vitesse d'un corps qui tombe est en raison directe du temps ; l'espace parcouru varie en raison directe du carré du temps.

    En raison inverse, en augmentant ou diminuant dans le rapport qu'une autre quantité diminue ou augmente. Les corps s'attirent en raison inverse du carré des distances. Il y a une estime publique attachée aux différents arts, en raison inverse de leur utilité réelle, Rousseau, Ém. III.

    En raison composée, suivant un rapport dont les termes se multiplient l'un par l'autre.

    Fig. En considérant le luxe des divers peuples les uns à l'égard des autres, il est dans chaque État en raison composée de l'inégalité des fortunes qui est entre les citoyens, et de l'inégalité des richesses des divers États, Montesquieu, Esp. VII, 1. Mon inquiétude est en raison composée des intervalles du temps et du lieu, Rousseau, Hél. I, 13. Le budget… a continuellement augmenté en raison composée, disent les géomètres, de l'avidité des gens de cour et de la patience du peuple, Courier, Lett. X.

    Fig. En raison de, vu, en considération de. L'ambition s'accroît en raison des succès que l'on obtient.

  • 21En style d'affaires, pour raison de quoi, à cause de quoi.

PROVERBES

Où force domine, raison n'a point de lieu.

Selon Dieu et raison, comme cela est légitime.

REMARQUE

D'Alembert a dit : Vous avez toute raison ; mais ces messieurs ne l'entendent pas, Lett. à Volt. 26 oct. 1762. Cette phrase pèche contre la règle d'un nom sans article représenté par le pronom le, la. On peut, il est vrai, ne pas la suivre quand le sens est clair ; mais ici la tournure n'est pas bonne.

HISTORIQUE

XIe s. Si est raisun que il dunge [donne] diz solz, Lois de Guill. 5. Bien [il] sait parler et dreite raison rendre, Ch. de Rol. CCLXXXV.

XIIe s. Se je vous aim, j'i assez ai reson, Couci, II. S'amors ne vaint raison, j'i doi faillir, ib. VIII. Car je n'i voi raison [moyen] de l'eschiver, ib. X. À vous, amans, plus qu'à nule autre gent Est bien raison que ma dolor [je] complaigne, ib. XXII. Raisons dit qu'il me souffise…, ib. p. 119. Guiteclins de Sassoigne a sa raison [discours] fenie, Sax. VII. Dunc ad fait devant sei venir li reis Henris Les evesques ; sis [ainsi les] ad forment à raisun mis, E volt que il li tiengnent ço qu'il li unt promis, Th. le mart. 40. Dame, esgardés i raison ; Par le fil sainte Marie, Je n'aim [n'aime] feme, se vos non, Chrestien de Troyes, dans Ms. de poés. franç. avant 1300, t. III, p. 1264, dans LACURNE.

XIIIe s. Lors revenront toutes gens en char et en os, et leur esconvendra rendre reison de leur uevres, Psautier, f° 196. Mais la raison est si ariere mise, Que ce qu'on doit loer, blasme la gent, Quesnes, Romanc. p. 90. Et la raison pourquoi il l'a laissée là, Berte, CXXII. Il nous samble que vous dites voir, et nous en avés monstré boine raison, Chr. de Rains, p. 3. Et fismes ceste enqueste par les livres des raisons reaulx [comptes royaux], où la valleur devant dicte estoit escrite de long temps, Du Cange, ratiocinium. Il ne pot puis metre reson avant, por quoi il ne soit tenus à repondre, Beaumanoir, IX, 3. Et cil à qui li fruit devoient estre pour reson du testament, Beaumanoir, XII, 12. Ce ne seroit pas resons que li executeur feissent soier [scier] les blés ou vendengier les vignes au coust de l'execussion, Beaumanoir, XIII, 22. Et que vous donrriés au soudanc pour vostre delivrance ? Ce que nous pourrions faire et souffrir par reson, fist le conte, Joinville, 242.

XIVe s. Honneur, prudence et delectations sont de diverses raisons et especes quant à lour bonté, Oresme, Éth. VIII, 12. Mais laissiez-moi aler, s'il vous vient à talent ; Car vous m'avez tenu prisonnier longuement à tort et sans raison…, Guesclin. 13538. C'estoit signe d'aucune grant merveille qui advenir devoit, quant les oiseaux parloient raison humaine, Chr. de St-Denis, t. I, f° 129, dans LACURNE.

XVe s. Monseigneur Jean de Hainaut qui bien est ramentu, et de raison, en ce livre…, Froissart, Prol. Devant le dieu d'amours puissant, Qui me fera de vous raison, Orléans, Ball. 43. Pardonnez au poure chetif, Et par plus fort raison aux bestes, Qui n'ont nul sens acquis es testes, Deschamps, Poésies mss. f° 479. Il y en a eu un qui tant luy a offert de raison [qui tant lui a fait de propositions], qu'elle ne luy a peu refuser, Les 15 joyes du mariage, p. 147, dans LACURNE. Une femme qui est bonne galoise, qui ne refuseroit jamais raison qui la luy offriroit, ib. p. 103. Un prince qui pretendist raison au royaume de Naples, Commines, VIII, 15.

XVIe s. Renger à raison [réduire à la raison], Montaigne, I, 23. C'est un mal duquel j'ay tiré la raison [moyen] de corriger un mal pire, Montaigne, I, 34. Ce n'est pas sans raison qu'on dict que…, Montaigne, I, 35. Demander raison [d'un fait offensant], Montaigne, I, 38. De vray, ou la raison se mocque, ou elle ne doibt viser qu'à…, Montaigne, I, 69. S'addresser aux lois pour avoir raison d'une offense, Montaigne, I, 119. … à plus forte raison…, Montaigne, II, 23. Le chemin par terre estoit bien dangereux, à raison des brigands et voleurs qu'il y avoit par tout, Amyot, Thés. 6. Mais quand et quand en leur disant ces raisons il prit son pavois dessus son bras, et se meit à marcher devant, Amyot, Timol. 16. Et si envoyerent des ambassadeurs vers les Syracusains, pour leur remonstrer qu'ils eussent à leur faire la raison, Amyot, Dion, 51. Ils condamnerent ses adversaires à lui demander pardon, et à lui faire raison de son bien, D'Aubigné, Vie, XXII. Si on eust poursuivy la conqueste de Milan, l'on en eust eu sans doute la raison, Carloix, I, 42. Afin donques que nostre pere de famille tire la raison [rapport] de ses bleds, il s'estudiera à recercher le vrai poinct de leur vente, De Serres, 137. Entre bride et esperon, de toute chose gist la raison, Génin, Récréat. t. II, p. 238. Affection aveugle raison, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 234. Raison fait maison, Leroux de Lincy, ib. p. 411. Quand celuy auquel on avoit beu ne vouloit faire raison à l'autre, tel est le terme dont usent les bons biberons, Pasquier, Recherches, liv. VIII, p. 752, dans LACURNE. Mets raison en toy, ou elle s'y mettra, Cotgrave Necessité est la moitié de raison, Cotgrave

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

RAISON.
12Raison d'État. Ajoutez :

Au sens général de raison politique. Pour Sersale, il n'y a pas d'apparence qu'il soit jamais pape ; en outre de l'éloignement d'une grande partie du sacré collége pour sa personne, il a quantité de neveux, qui sont tous pauvres ; c'est une raison d'État à laquelle on fait la plus grande attention, Lettre de d'Aubeterre au duc de Choiseul, du 17 mai 1769, dans THEINER, Histoire du pontificat de Clément IV, t. I, p. 286.

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Étymologie de « raison »

Bourguig. roison ; provenç. razo, raxio ; catal. rahó ; espagn. razon ; ital. ragione ; du lat. rationem, de ratus, compté, déterminé ; comparez le sanscrit rita, vrai.

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Du latin rationem, accusatif de ratio.
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Phonétique du mot « raison »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
raison rɛzɔ̃

Fréquence d'apparition du mot « raison » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « raison »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « raison »

  • Mais comme chaque chose a sa raison, et que la fantaisie d’un individu me paraît tout aussi légitime que l’appétit d’un million d’hommes et qu’elle peut tenir autant de place dans le monde, il faut, abstraction faite des choses, et indépendamment de l’humanité qui nous renie, vivre pour sa vocation, monter dans sa tour d’ivoire et là, comme une bayadère dans ses parfums, rester, seul, dans nos rêves
    Gustave Flaubert — Correspondance
  • Je dois m’attendre à tout – ayant été l’homme le plus haï et le plus adoré du XVIIIe siècle !… Avec de la gaieté – et même de la bonhomie, j’ai eu des ennemis sans nombre – et n’ai pourtant croisé la route de personne. Or, j’ai trouvé la cause de tant d’inimitiés. Dès ma folle jeunesse, j’ai joué de tous les instruments, mais je n’appartenais à aucun corps de musiciens – les musiciens m’ont détesté. J’ai inventé quelques bonnes machines, mais je n’étais pas du corps des mécaniciens – et l’on a dit du mal de moi. Je faisais des vers et des chansons, mais qui m’eût reconnu pour poète ? – j’étais le fils d’un horloger ! N’aimant pas le jeu de loto, j’ai fait des pièces de théâtre, mais on disait : “De quoi se mêle-t-il ? Ce n’est pas un auteur, car il fait d’immenses affaires”. Faute de rencontrer qui voulût me défendre, j’ai imprimé de grands mémoires pour gagner des procès qu’on m’avait intentés. Les avocats se sont écriés : “Peut-on souffrir qu’un pareil homme prouve sans nous qu’il a raison !” J’ai traité avec les ministres de grands points de réformation dont nos finances avaient besoin, mais l’on disait encore : “De quoi se mêle-t-il, puisqu’il n’est point financier ?” Luttant contre tous les pouvoirs, j’ai relevé l’art de l’imprimerie française par les superbes éditions de Voltaire – mais je n’étais pas imprimeur et j’ai eu tous les marchands pour adversaires. J’ai fait le haut commerce dans les quatre parties du monde – mais je ne m’étais point déclaré négociant. J’ai eu quarante navires à la fois sur la mer – mais, n’étant pas un armateur, on m’a dénigré dans nos ports. Un vaisseau de guerre à moi de cinquante-deux canons a eu l’honneur de combattre en ligne avec ceux de Sa Majesté, mais regardé comme un intrus, j’y ai gagné de perdre ma flottille ! De tous les Français, quels qu’ils soient, je suis celui qui a fait le plus pour la liberté de l’Amérique – mais je n’étais point classé parmi les négociateurs…
    Sacha Guitry — Beaumarchais
  • La raison tue la passion.
    Didier Dubois
  • Le coeur gouverne la raison.
    Laurence-Marie Coupier
  • La haine donne une raison de vivre.
    Michel Bélil — Greenwich
  • Deux gendarmes, un beau dimanche, Chevauchaient le long d'un sentier ; L'un portait la sardine blanche, L'autre, le jaune baudrier. Le premier dit d'un ton sonore : Le temps est beau pour la saison. - Brigadier, répondit Pandore, Brigadier, vous avez raison.
    Gustave Nadaud — Chansons, Pandore ou les Deux Gendarmes
  • La jeunesse est une ivresse continuelle : c'est la fièvre de la santé ; c'est la folie de la raison.
    François, duc de La Rochefoucauld — Maximes
  • Un proverbe n’est pas une raison.
    Voltaire
  • C'est avant tout la poursuite de l'expérience qui importe : la raison suivra toujours, son bandeau phosphorescent sur les yeux.
    André Breton — Le Surréalisme et la Peinture, Gallimard
  • Dada a son origine dans le dictionnaire. C’est terriblement simple. En français cela signifie « cheval de bois ». En allemand « va te faire, au revoir, à la prochaine ». En roumain « oui en effet, vous avez raison, c’est ça, d’accord, vraiment, on s’en occupe », etc. C’est un mot international. Seulement un mot et ce mot comme mouvement.
    Hugo Ball — Manifeste littéraire
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Traductions du mot « raison »

Langue Traduction
Anglais reason
Espagnol razón
Italien motivo
Allemand grund
Chinois 原因
Arabe السبب
Portugais razão
Russe причина
Japonais 理由
Basque arrazoia
Corse ragiò
Source : Google Translate API

Synonymes de « raison »

Source : synonymes de raison sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « raison »

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Nombre de points du mot raison au scrabble : 6 points

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