La langue française

Accueil > Dictionnaire > Définitions du mot « jeter »

Jeter

Définitions de « jeter »

Trésor de la Langue Française informatisé

JETER, verbe trans.

I. − Qqn jette qqc.
A. − Envoyer à quelque distance.
1. Envoyer (dans une direction), le plus souvent de manière violente ou agressive et pour atteindre un but. Synon. lancer.
a) [L'obj. désigne un inanimé concr.]
α) Qqn jette qqc.Julien de Médicis (...) est loué par son biographe (...) pour son habileté à manier le cheval, à lutter et à jeter la lance (Taine, Philos. art, t. 1, 1865, p. 198).
Qqn jette qqc. + compl. locatif.Des grandes-duchesses en haillons dont on avait assassiné (...) les fils en jetant des pierres dessus (Proust, Temps retr.,1922, p. 854).
Qqn jette qqc. + compl. d'obj. second.Les soldats repoussent le peuple, qui leur jette des cailloux (Musset, Lorenzaccio,1834, III, 3, p. 175).
Emploi pronom. réciproque indir. Ils se dépêchaient, s'en jetant [des seaux d'eau] dans les jambes, dans le dos (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 374).Ces nymphes couraient, bavardaient, combattaient, se jetaient des fleurs, inventaient mille jeux pour se divertir (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 231).
β) Jeter qqc. à la face, à la figure, au nez, à la tête, au visage de qqn. Synon. envoyer, balancer (fam.), flanquer (fam.).Il nous a jeté de la boue au visage (Flaub., Tentation,1856, p. 548).Alban hors de lui roula en boule le beau programme qu'il comptait garder comme souvenir, et le jeta à la tête de l'infâme (Montherl., Bestiaires,1926, p. 386).
Emploi pronom. réciproque indir. Lantier avait voulu une soupe à l'huile (...); et, comme Adèle trouvait ça infect, ils se sont jeté la bouteille d'huile à la figure (Zola, Assommoir,1877, p. 549).
Au fig.
Dire sans ménagement ou reprocher brutalement. À toute occasion, il lui jetait au front de sèches vérités (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 252):
1. − Je vous en prie, dis-je, ne me jetez pas ainsi ma jeunesse à la tête. Je m'en sers aussi peu que possible; je ne crois pas qu'elle me donne droit à tous les privilèges ou à toutes les excuses. Je n'y attache pas d'importance. Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 157.
Emploi pronom. réciproque indir. À tous instants, ils se jettent à la face l'affaire Dreyfus (Barrès, Cahiers, t. 5, 1907, p. 105).
Offrir quelque chose (parfois quelqu'un) à quelqu'un, sans qu'il l'ait demandé. Il s'imaginait que j'allais lui jeter ma fille à la tête (Ac.).
Faire un étalage déplaisant de. Jeter ses richesses à la tête de qqn.
γ) Loc. verb. fig.
Jeter son bonnet* par dessus les moulins; jeter des fleurs* à qqn; jeter de l'huile* sur le feu; jeter la (première) pierre* à qqn; jeter des pierres* dans le jardin de qqn; jeter de la poudre* aux yeux.
Pop. N'en jetez plus (la cour est pleine). N'ajoutez rien, ni reproches ni compliments, cela suffit. Soyons, s'il te plaît, toi, coquette, moi, bien mis, Mangeons comme de droit, buvons comme permis (...) Toi : N'en jetez plus, la cour est pleine! (Verlaine, Œuvres compl., t. 3, Élégies, 1893, p. 67):
2. Gabrielle : Je n'y peux rien! Je ne la trouve [votre bouche] ni très jolie, ni très fraîche, ni très appétissante!... Ponta Tulli (...) : Ça va! Ça!... N'en jetez plus! Bernstein, Secret,1913, II, 6, p. 20.
b) [L'objet désigne un animé]
Qqn jette qqn + compl. locatif.Le capitaine Colette n'embrassait pas les enfants (...). S'il m'embrassait peu, du moins il me jetait en l'air, jusqu'au plafond que je repoussais des deux mains et des genoux, et je criais de joie (Colette, Sido,1929, p. 82).
FAUCONN. Jeter le faucon (du poing). Le lancer sur sa proie. (Dict. xixes., Lar. Lang. fr.).
Loc. verb. fig. Jeter le chat* aux jambes de qqn.
2. En partic. Envoyer (vers le bas), laisser ou faire tomber.
a) [Le suj. désigne une pers.; l'obj. désigne un inanimé]
Qqn jette qqc.Le jeune Châteaubedeau faisait grand vacarme dans sa tour et jetait des moellons par les meurtrières (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 110).
[P. méton. du suj.] Le passage d'une escadrille jetant des bombes ou mitraillant le sol (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 311).
α) BOXE. Jeter l'éponge*.
β) MAR. Jeter l'ancre*, une bouée, le grappin*, un filet, le loch, la sonde.
Qqn jette qqc. + compl. locatif.Jeter (à) bas*. C'est (...) de toutes ces vieilles baraques vermoulues et penchées (...) que des balles pleuvaient. (...) on leur jetait sur la tête meubles, fourneaux, pots de fleurs, armoires; on les écrasait comme dans des mortiers (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 252).Le soldat a jeté son fardeau par terre et regarde le Rhin (Claudel, Feuilles Saints,1925, p. 666).Dans la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière (Camus, Étranger,1942, p. 1180).
[P. méton. du suj.] Des tombereaux jetaient leur charge à terre (Zola, Ventre Paris,1873, p. 628).
b) [Le suj. et l'obj. désignent une pers.] Qqn jette qqn + compl. prép.Pénétrant dans la prison, les assassins jetaient les prisonniers par les fenêtres (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 181).La femme, la Juive, levait toute droite sa jambe; (...) Dodoche flatté d'être regardé par les trois seuls hommes en chapeau du bal, l'a prise à bras-le-corps et l'a jetée dans l'orchestre (Goncourt, Journal,1863, p. 1229).
Emploi pronom. réfl. Quand on se jette d'un trait du haut de la tour Eiffel on doit sentir des choses comme ça. On voudrait se rattraper dans l'espace (Céline, Voyage,1932, p. 48).Une fusée rouge éclate soudain dans le ciel (...). Aussitôt les deux compagnons se jettent au sol (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 239).Nada court sur la jetée, et se jette à la mer (Camus, État de siège,1948, p. 300).
Loc. verb. fig. Se jeter à l'eau*.
c) [Le suj. et l'obj. désignent un inanimé concr.] Littér. Rien n'est plus douloureusement calme qu'un crépuscule d'automne. Les rayons pâlissent dans l'air frissonnant, les arbres vieillis jettent leurs feuilles (Zola, Th. Raquin,1867, p. 68).
3. CONSTRUCTION
a) Disposer, établir un pont (dans l'espace, d'un point à un autre).
GÉNIE MILIT. De façon provisoire et souvent à la hâte. Les Prussiens avaient jeté des ponts à Baccarach et dans plusieurs autres endroits (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 91):
3. Il fallut donc se placer sur la rive droite de l'Alpon, de manière à pouvoir tomber sur les derrières de l'ennemi qui attaquerait Vérone, et par là soutenir cette place par la rive gauche, ce que l'on n'eût pu faire si l'on eût jeté le pont sur la rive gauche de l'Alpon... Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 548.
TRAV. PUBL. De façon durable. De la ville neuve où je suis logé, on passe dans la vieille ville en traversant un pont jeté sur le North Loch, marais jadis profond, aujourd'hui desséché (Michelet, Chemins Europe,1874, p. 110).C'était en 1878, quand la province foisonnait dans les hôtels, sur les boulevards et ce pont gigantesque jeté entre le Champ-de-Mars et le Trocadéro (A. Daudet, Trente ans Paris,1888, p. 140).
b) Littér. [Aspect accompli] De la rade, un pont (...) jette ses arches, élevées en ogives, sur la rivière de Bayruth (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 150).
B. − Envoyer quelque chose à (un animé), pour la lui donner. Synon. fam. balancer.
1. [L'obj. second désigne un animal] Jeter un os à un chien, des miettes aux oiseaux. Les corps [des chefs français] furent jetés aux vautours (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 52).Elle [une pie] prenait tout ce qu'on lui jetait, comestible ou non, et, selon le caprice de l'heure, le mangeait ou le cachait dans quelque coin (Pergaud, De Goupil,1910, p. 246).
Loc. verb. fig. Jeter sa part aux chiens*; cela n'est pas bon à jeter aux chiens*; jeter des perles* aux pourceaux; jeter sa langue aux chats*, aux chiens*.
2. [L'obj. second désigne une pers.] Une jeune femme s'avança en jetant une bourse à un écuyer vert (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 66).
Loc. verb. fig. Jeter son gant*, son mouchoir* à qqn.
3. Littér. [L'obj. second désigne un inanimé] La terre est immobile quand elle reçoit la graine que lui jette le laboureur (Barrès, Cahiers, t. 11, 1917, p. 228).
C. − Lancer ou rejeter (une chose usagée, encombrante, inutile).
1. Qqn jette qqc.Les blessés redressés jetaient leur fusil, l'équipement, la musette, et partaient en courant (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 286).
Qqn jette qqc. + compl. prép. introduit par à.Jeter à la poubelle. Il retourne à l'instant chez lui, jette au feu tous ses certificats de service (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 509).Le Kaani, pittoresque? Ce qu'a de pittoresque une vieille paire de bottes éculées et crottées. Jetez-moi ça au fumier (Barrès, Cahiers, t. 11, 1914, p. 49).Je jette au panier ce document périmé (Sartre, Mots,1964, p. 201).
Loc. verb. fig. Jeter l'argent* par les fenêtres; jeter les/ses armes*; jeter le froc* aux orties; presser l'orange et jeter l'écorce*; jeter du lest*; jeter le manche après la cognée*; jeter le masque*; jeter au vent*, en l'air*.
2. [Le suj. désigne un cervidé] Jeter sa tête. Perdre naturellement ses bois. (Ds Ac., Littré, Lar. Lang. fr.).
D. − P. ext.
1. Qqn jette qqc. (+ compl. prép.).
a) Mettre, déposer (le plus souvent avec vivacité ou à la hâte, et/ou de façon désordonnée). La petite mère, dit-il à la femme, en espagnol, en jetant son manteau dans un coin, on ne bavarde pas chez vous? (Ponson du Terr., Rocambole, t. 5, 1859, p. 155).Le soir même il prenait le train après avoir jeté à la poste une lettre adressée à M. le comte André de Jussat (Bourget, Disciple,1889, p. 223):
4. Soudain, on l'appelle du dehors : « Patron! On repêche un macchab.. Amenez-vous! On sera aux premières! « Vite, Lecouvreur jette son tablier; le père Deborger gardera la boutique. Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 90.
[L'obj. désigne un animal] Le petit cochon noir fut livré pour quarante-cinq francs cinquante (...). Aussitôt, l'animal fut soulevé, jeté en travers sur le cou de Braunens, les pattes de chaque côté (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 74).
En partic.
α) [L'obj. désigne un vêtement] Mettre sommairement, à la hâte. Jeter un châle sur ses épaules, sur le dos de qqn. S'étant jeté un manteau sur les épaules, elle mena ses amies et le graveur dans le jardin (France, Dieux ont soif,1912, p. 312).
BEAUX-ARTS. Jeter une draperie. La disposer de manière élégante, avec une négligence étudiée. Les draperies [du buste du Piron] sont largement jetées (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 7, 1867 [1864], p. 464).
Loc. verb. fig. Jeter un manteau*, le manteau* de Noé; jeter un voile* sur qqc.
β) [L'obj. désigne un aliment] Mettre rapidement, déposer vivement. Prenez six gros oignons, trois racines de carottes, une poignée de persil; hachez le tout et le jetez dans une casserole, où vous le ferez chauffer (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 340).
Loc. verb. pop. Se jeter qqc. dans le gosier. Le manger, le boire; [p. ell. de verre] s'en jeter un (derrière la cravate). Boire un verre. Y a Gabriel (...) qui nous invite tous (...) à venir s'en jeter un en le regardant faire son numéro. S'en jeter un et j'espère bien plusieurs (Queneau, Zazie,1959, p. 186).
γ) [L'obj. désigne des signes d'écriture, un dessin] Jeter (sur le papier). Écrire, tracer à la hâte. Malgré lui, il traçait ces lignes (...). Il avait d'abord jeté les croquis rapidement; il s'appliqua ensuite à conduire le fusain avec lenteur (Zola, Th. Raquin,1867, p. 172).Le peintre-né, le coloriste, jette à peine une esquisse de traits généraux. Tout de suite il veut colorer (Mauclair, De Watteau à Whistler,1905, p. 72).Je ne sais plus à la suite de quelle lecture, de quelle conversation ou de quel rêve, j'ai jeté ces lignes sur le papier? (Martin du G., Souv. autobiogr.,1945, p. cxxvii).[P. méton.] Jeter ses idées sur le papier. (Dict. xxes.).
δ) [L'obj. désigne un poids] Déposer (avec plus ou moins de force et de vivacité). Jeter un poids dans le plateau d'une balance. (Dic. xxes.).
Au fig. Jeter son épée* dans la balance; jeter son autorité* dans ce débat.
ε) Vieilli. [L'obj. désigne une œuvre, un personnage] Au part. passé. Particulièrement réussi. Synon. pop. torché.Quant au don Juan de Namouna, à cette forme nouvelle du roué (...), il était si charmant, si hardiment jeté, il était l'occasion de si beaux vers (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 13, 1857, p. 367).Cette lettre de Marceau enflamma le régiment (...). − C'est jeté, hein! disait le brigadier-trompette (D'Esparbès, Tumulte,1905, p. 141).
b) Spécialement
ARCHITECTURE
α) Jeter les bases, les fondations, les fondements d'(un édifice). Commencer la construction de. Ce fut le calife Abdérame Ierqui jeta les fondements de la mosquée de Cordoue vers la fin du viiiesiècle (Gautier, Tra los montes,1843, p. 310).Ils [les premiers rapatriés] jetèrent les fondements du temple (...). Les travaux interrompus par la jalousie des samaritains, furent repris en la deuxième année de Darius et achevés la sixième (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1002).
Au fig. Amorcer ou permettre le développement de, établir les grandes lignes de. Jeter les bases d'une science, d'une théorie. Peppin reprend l'Exarchat, le donne au pape, et jette les fondements de la royauté temporelle des pontifes (Chateaubr., Ét. ou Disc. hist., t. 3, 1831, p. 246).Avant la cinquantaine, il posséderait à son actif nombre de découvertes; et, surtout, il aurait déjà jeté les bases de cette méthode personnelle, encore confuse (Martin du G., Thib., Consult., 1928, p. 1130).Les mesures prises au cours des dernières années ont permis de jeter les bases de la nouvelle orientation que le gouvernement entendait donner à sa politique économique (Amén. terr.,1964, p. 22).
β) Au part. passé. Construit (sur un terrain en pente). Il y avait quelques beaux palais d'ambassadeurs jetés sur les terrasses en pente de Galata (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 350).Il (...) passa devant le mélancolique cimetière de Pradeau, jeté au flanc de la colline (Sand, Jeanne,1844, p. 30).
FOND. Jeter (une figure) en moule; jeter (une statue) en bronze, jeter (un objet) en fonte. Couler dans un moule; couler dans un métal. Les Florentins (...) voulaient jeter en bronze les portes du baptistère (Stendhal, Hist. peint. Ital., t. 1, 1817, p. 123).
Au fig., littér. Couler. L'arme où l'on sert est le moule où l'on jette son caractère, où il se change et se refond pour prendre une forme générale imprimée pour toujours (Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 23).
Emploi pronom. réfl. à sens passif. Mais le goût et les mœurs ne se jettent pas d'une seule fonte. Le passé traîne ses restes dans le présent (Chateaubr., Rancé,1844, p. 12).
IMPR. Jeter un (du) blanc. Mettre une interligne entre deux lignes. Jeter une (des) espace(s). Mettre une espace entre deux mots. Il ne s'ensuit pas cependant qu'on doive jeter des espaces égales entre chaque mot, ou entre chaque lettre lorsqu'elles doivent être exceptionnellement espacées (E. Leclerc, Nouv. manuel typogr.,1932, p. 8).
JEUX
Jeter une carte. La jouer. Jeter des cartes. À certains jeux (comme le piquet ou l'écarté), se défaire de certaines cartes pour en prendre d'autres. J'ai jeté les piques (Ac.1878-1935).
Jeter les dés. Les lancer sur la table de jeu. Au fig. Les dés* sont jetés. P. anal. Le sort* en est jeté.
c) Au fig. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Placer en dernier recours. C'est dans un prêtre qu'on jette sa dernière confiance (Montherl., Malesta,1946, II, 4, p. 471).
2. Qqn (ou p. méton. qqc.) jette qqn (en un lieu).Vieilli et fam. Déposer sans s'arrêter longtemps. Il y a deux manières d'aller à Vitré (...) ou bien vous prenez la digilence de Rennes qui vous jette en passant sur la place (Nerval, Nouv. et fantais.,1855, p. 151).Vous n'avez pas quelque course pressée, docteur Roudine? Je vous jetterais, en route. J'ai une place pour vous dans mon auto (Bourget, Némésis,1918, p. 239).
E. − Jeter qqc. + compl. prép.
1. [L'obj. désigne une lumière ou une ombre] Jeter sur.Synon. de projeter.Les réflecteurs, qui jetaient toute la lumière sur le puits, éclairaient vivement les rampes de fer (Zola, Germinal,1885, p. 1151).Le maréchal et son ouvrier (...) jetaient sur le mur de grandes ombres brusques (Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p. 21):
5. ... quelques arbustes à large feuille, quelques jeunes touffes de platanes et de sycomores jetaient une tache d'ombre sur l'herbe, pour nous abriter et tenir les chevaux au frais. Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 21.
Au fig.
Jeter un éclairage, un jour, une clarté, une lumière (+ adj.) sur. Éclairer de façon nouvelle, expliquer de façon inédite. Ces phénomènes (...) jettent un grand jour sur ces mêmes propriétés qu'ils nous montrent en action (Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. v).Elle [la classification de Gerhardt] a jeté une vive clarté sur l'étude de presque toutes les matières volatiles (Berthelot, Synth. chim.,1876, p. 153).Les recherches paléobotaniques poursuivies depuis un demi-siècle ont jeté une vive lumière sur l'évolution du règne végétal (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 2, 1964, p. 763).
Jeter une ombre sur. Assombrir, ternir. Le désir unanime des délégués socialistes au Parlement est (...) d'éviter tout ce qui pourrait jeter une ombre sur la visite officielle de l'Italie à la France (Jaurès, Paix menacée,1914, p. 13).
2. [L'obj. désigne un sentiment, une disposition d'esprit]
a) Synon. produire, susciter.Jeter l'effroi, l'épouvante, la terreur. Son rire franc jetait de la joie autour d'elle (Maupass., Une Vie,1883, p. 5).La baisse des assignats jette un trouble extrême dans toutes les transactions (Jaurès, Ét. soc.,1901, p. 113).
Loc. verb. Jeter un froid*.
b) Jeter sur.Faire tomber sur. Jeter le ridicule sur qqn. Je vois qu'il jette le plus terrible soupçon sur Rouvier (Barrès, Cahiers, t. 5, 1907, p. 184).En cinq ans une auto n'est plus qu'un vieux clou ruineux, qui jette le discrédit sur son propriétaire (J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 143).
II. − Qqn/qqc. jette qqc./qqn + compl. prép.
A. − Pousser, diriger avec force ou violence (dans une direction donnée). Leur mère s'élança, furieuse, et, les prenant chacun par un bras, elle les jeta dans l'appartement en les secouant avec vigueur (Maupass., Contes et nouv., t. 1, En fam., 1881, p. 334).Tout à coup, une explosion formidable tombe sur nous. Je tremble jusqu'au crâne, (...) une odeur brûlante de soufre me pénètre les narines (...). La terre s'est ouverte devant moi. Je me sens soulevé et jeté de côté, plié, étouffé et aveuglé à demi dans cet éclair de tonnerre (Barbusse, Feu,1916, p. 184).Entre les phrases, les cahots jetaient les interlocuteurs l'un sur l'autre (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 327).
[L'obj. désigne un animal attelé ou monté ou un moyen de locomotion] Diriger de façon délibérée. Une malle-poste au grand galop se précipitait comme une trombe (...) d'une secousse de ses guides, il [le postillon] les jeta [les chevaux] dans le débord (Flaub., Cœur simple,1877, p. 59).Phil (...) jeta sa bicyclette d'un côté et son propre corps de l'autre, sur l'herbe crayeuse du talus (Colette, Blé en herbe,1923, p. 81).Il avait, presque sans ralentir, jeté la voiture dans un chemin de traverse. Ils roulèrent encore un moment puis il freina brusquement et rangea l'auto au bout du chemin sous un bouquet d'arbres (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 157).
Vx et région. Jeter une porte. La claquer. D'autres (...) disaient : je n'y tiens plus! et sortaient au milieu d'un acte d'Hernani en jetant la porte de leur loge avec violence (MmeV. Hugo, Hugo,1863, p. 132).Jansoulet s'arrêta, dégrisé de sa colère, puis avec un geste de dégoût s'élança dehors, en jetant les portes (A. Daudet, Nabab,1877, p. 136).
[Le suj. désigne une force naturelle] Qu'il était charmant! ce petit lac, où le vent jetait quelquefois les pommes de pin de la forêt (Krüdener, Valérie,1803, p. 50).Le fleuve vient de jeter encore un noyé sur sa rive (Dumas père, Tour Nesle,1832, II, 2, p. 28).Voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui (...) soulève la mer en montagnes d'eau, (...) et jette aux brisants les grands navires (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Horla, 1886, p. 1103).
B. − En partic.
1. Littér. et vieilli. Jeter qqn à + inf.Envoyer quelqu'un pour. Cela ira à destination par mon fils. Jetez un de vos clercs à me le ramener (Druon, Reine étranglée,1955, p. 106).
2. Expressions
a) Jeter qqn + compl. prép. désignant un lieu de détention.Jeter au cachot, dans les fers, aux oubliettes, en prison. Dans beaucoup de kommandos des sous-officiers se croisaient les bras. On les jetait en cellule, on les rossait, on les faisait jeûner, ils n'en démordaient pas (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 262).
P. anal. Croyez-moi, faites la part du feu et assoupissez tout cela par un mariage. − Je jetterais plutôt ma fille au fond d'un couvent! répondit l'inflexible matrone (Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 206).
Emploi pronom. réfl. MlleAïssé (...) déclara que si on [le Régent] continuait de l'obséder, elle se jetterait dans un couvent (Sainte-Beuve, Portr. littér., t. 3, 1844-64, p. 143).
b) Jeter qqn + compl. prép. désignant un supplice.Jeter au feu; jeter les chrétiens aux lions.
c) Loc. verb.
Jeter dehors*, sur le pavé*, à la porte*, à/dans la rue*.
Pop. Jeter qqn. Mettre à la porte. Se faire jeter. Se faire mettre à la porte.
Jeter (une femme) à la rue*, au trottoir*.
Jeter une femme (à la tête, dans les bras, dans le lit d'un homme). La pousser avec insistance vers lui. Mademoiselle Merquem est la mère de l'enfant, M. de Montroger en est le père, et voilà ce qui l'empêche d'épouser les jeunes personnes qu'on lui jette à la tête? (Sand, MlleMerquem,1868, p. 78).Pourquoi Mohammed me l'avait-il donnée? (...) avait-il obéi à une pensée plus complexe, plus pratique, moins généreuse en jetant dans mon lit cette fille qui m'avait plu? (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Allouma, 1889, p. 1315).Un mois après, cet assureur à belle moustache lui jetait son amie dans les bras, friand de voir son trouble et son embarras en face des femmes (Montherl., Célibataires,1934, p. 856).
Jeter bas*, à bas, à terre. Faire tomber. Synon. abattre.
[L'obj. désigne un inanimé concr.] L'ouragan a jeté bas les tilleuls l'un après l'autre (Barrès, Cahiers, t. 6, 1908, p. 94).Vous ne sauriez imaginer (...) quelle horreur me saisit quand je vis s'accomplir ce crime [la démolition du château d'Issy]. Jeter à bas ce radieux édifice! (Rodin, Art,1911, p. 13).L'amas des cimes mi-rompues par le choc sur le sol fut tel qu'elles prenaient de loin l'aspect d'un édifice jeté bas par un tremblement de terre (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 48).
[L'obj. désigne une pers.] Le vent embusqué dans les saules l'avait assaillie à la gorge et quasiment jetée par terre (Guèvremont, Survenant,1945, p. 27):
6. Ils [les soldats] avaient tiré (...). Les cinq autres coups avaient jeté bas la Brûlé et le porion Richomme (...). La vieille, la gorge ouverte, s'était abattue toute raide et craquante comme un fagot de bois sec... Zola, Germinal,1885, p. 1509.
Au fig. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] Synon. de détruire, ruiner.Dans l'intervalle il avait détruit la République romaine et restauré en 1849 cette papauté qu'il voulait jeter bas en 1831 (Hugo, Nap. le Pt,1852, p. 18).La réapparition de Larsan, en gare de Bourg, avait jeté bas tous les plans de voyage de M. et MmeDarzac (G. Leroux, Parfum,1908, p. 35).
3. ART MILIT.
a) Jeter qqn dans.Faire intervenir inopinément, en comptant sur un effet de surprise :
7. ... soit que, − ce qui (...) serait le projet du général Foch − nous jetions nos dernières forces dans une attaque sur tous les fronts, et prenions des gages sérieux, avant que les Américains se soient mis en branle. Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 809.
b) Jeter (un pays) contre (un autre). Faire entrer en conflit. La classe ouvrière allemande s'opposerait (...) à toute tentative criminelle pour jeter l'un contre l'autre les deux peuples voisins (Jaurès, Paix menacée,1914, p. 227).
4. ÉCON. Jeter sur le marché
a) Faire intervenir (un élément de capital) en vue d'une action efficace. Jeter des actions sur le marché. (Dict. xxes.).
b) Mettre dans les circuits économiques
pour être vendu. L'imprimerie a pu jeter rapidement sur le marché, moyennant des frais généraux réduits, de nombreux exemplaires, tous excellents, d'un même ouvrage (Civilis. écr.,1939, p. 14-5).
pour produire. Il était très supérieur aux jeunes gens que l'école hôtelière jette sur le marché par promotions (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 227).
C. − Au fig. Qqc./qqn jette qqn + compl. prép.
1. Pousser avec force. Jeter qqn dans qqc.Il résistait aux offres de la vicomtesse qui lui voulait faire vendre sa charge et le jeter dans la magistrature (Balzac, Gobseck,1830, p. 381).Madeleine (...) ne pouvait ressentir aucun intérêt pour un étranger que le hasard avait jeté dans sa vie comme un accident (Fromentin, Dominique,1863, p. 112).Belombre, qu'une vie fort agitée avait jeté dans le théâtre (Gautier, Fracasse,1863, p. 167).
Emploi pronom. réfl. S'élancer. Se pénétrer des exercices de saint Ignace tout en se jetant dans la mêlée des intrigues politiques, n'est-ce point la perfection et comme la sainteté de la perversion? (Blondel, Action,1893, p. 9).
2. [Le compl. prép. désigne une pers.] Pousser vers. C'est cela que j'ai fait en l'épousant, j'ai obéi à cet imbécile emportement qui nous jette vers la femelle (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Cas de div., 1886, p. 1069).J'ai honte. Une brusque franchise me jette vers elle (Colette, Cl. s'en va,1903, p. 50).Deux amants que l'amour jetait l'un vers l'autre, par-dessus la souffrance (Camus, Peste,1947, p. 1273).
3. [Le compl. prép. désigne un sentiment, une attitude] Jeter qqn dans, à (rare) qqc.Mettre brusquement dans. Synon. plonger.Jeter dans le désespoir, dans l'embarras, dans le trouble. Ce spectacle grotesque jetait les deux guerriers à des transports de joie bruyante (Courteline, Train 8 h 47,1888, 2epart., I, p. 90).Ce bavardage jette mes voisines dans une gaîté immodérée (Colette, Cl. à l'école,1900, p. 212).Elle voyait bien que Samuel élevait Christophe autrement qu'elle n'était élevée. Et cela la jetait dans une grande incertitude (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 199):
8. ... le soir livide qui descendait, les feuillages noirs du jardin, les meubles presque indistincts dans l'ombre, jetaient Otto dans une telle extase, qu'il ne songeait pas à avancer. Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 247.
Loc. verb. Jeter hors de soi, hors de ses gonds*. Mettre brusquement dans une colère folle. Il y avait encore les récits des abominations de la commune, qui le jetaient hors de lui, en blessant son respect de la propriété et son besoin d'ordre (Zola, Débâcle,1892, p. 600).
III. − Qqn/qqc. jette qqc.Mouvoir (une partie de son corps); faire sortir de soi.
A. − Diriger vivement (dans une direction donnée).
1. Jeter les coudes en arrière, les jambes en avant. Comment t'appelles-tu? Pour me regarder le gars jette la tête trop en arrière (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 48).Il m'aperçoit, (...) change de visage et jette les bras au ciel (Sartre, Mots,1964, p. 22):
9. − Et à ton idée, comment est-ce qu'il marche, le gendarme à pied? − Il jette son pied en claquant la route. C'est bien connu. Au lieu de moi... Tenez, regardez-moi marcher... Aymé, Jument,1933, p. 196.
Jeter les bras autour du cou de qqn. Entourer de ses bras le cou de quelqu'un avec vivacité, pour l'embrasser ou lui marquer son affection. Si tu t'étais éveillée, tu aurais jeté les bras autour de son cou, et peut-être ne serait-elle pas partie (Mauriac, Mal Aimés,1945, I, 1, p. 161).
Emploi intrans. , CHORÉGR. , rare Exécuter un jeté (v. ce mot II A). Lancée en l'air par son danseur, elle [une danseuse] « jette » en tournant (Levinson, Danse,1924, p. 264).
2. Jeter un regard, un (coup d') œil; jeter les yeux, les regards (éventuellement suivi d'un compl. prép.). Poser un regard plus ou moins rapide (sur); parcourir du regard. Elle ne jetait cependant les yeux ni à droite ni à gauche, de crainte de voir des choses dans les branches (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 467).Ne laissez pas amortir le feu, les enfants! Et Maria (...) ouvrait la petite porte du foyer, jetait un coup d'œil et s'en allait vers la pile de bois sans tarder (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 116).Rhadidja prenait l'argent que Costals lui fourrait dans la main, sans jamais y jeter un regard (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1437).
Au fig. Jeter les yeux, son regard, ses vues (sur qqn). Avoir sur lui des vues particulières. On lui cherche un époux (...). Il ne s'en est pas présenté encore, parce que tout le monde a des engagements; moi-même j'ai jeté mes vues autre part (Dumas père, Noce et enterrement,1826, I, 5, p. 82).
3. Jeter un sourire (+ adj.), un regard (+ adj.), un coup d'œil à qqn. Lui faire un signe d'intelligence; lui sourire, le regarder de telle ou telle façon. Au coude des rues, elle tournait un peu la tête, jetait un fin sourire à Coupeau (Zola, Assommoir,1877, p. 435):
10. « ... Il y a même un moment, tout au début, où il faut sauter par dessus un précipice : si on réfléchit, on ne le fait pas. Je sais que je ne sauterai plus jamais. » « Pourquoi? » Elle me jette un regard ironique et ne répond pas. Sartre, Nausée,1938, p. 183.
Emploi pronom. réfl. indir. Toutes les dames parurent se consulter en se jetant le même coup d'œil (Balzac, Femme aband.,1832, p. 264).
B. − Faire sortir de soi; émettre.
1. [Le suj. désigne un animé] Jeter des larmes. Le reptile jetait son venin (Ac.). En m'échappant à quelques pas de mes marmots, (...) secrètement, j'eusse jeté quelques pleurs bien amers (Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 103).
Littér. Jeter (bas) qqn. Mettre au monde, accoucher de. On peut compter dans Paris beaucoup de mères de famille qui sont sur la paille et qui jettent un enfant au monde sans linge pour le recevoir (Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 152).[Albret, à sa fille enceinte :] si tu accomplis ce que je t'ordonne, (...) tu jetteras bas un héros, un homme, et non un enfant « peureux et rechigné » (D'Esparbès, Roi,1901, p. 12).
[Avec un compl. d'obj. second] Les locataires de l'hôtel lui marchaient presque sur les pieds, en lui jetant des bouffées de tabac au visage (Zola, M. Férat,1868, p. 63).Marroca reprit, en me parlant dans la bouche, me jetant son haleine chaude au fond de la gorge (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Marroca, 1882, p. 791).
Jeter un baiser à qqn. Lui donner un baiser rapide. Jetant un baiser à son père, sur cette joue mal rasée qu'une heure auparavant il croyait abhorrer sans retour, il se leva vivement (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1939, p. 238).
a) Loc. verb. fig.
Jeter (tout) son feu*, feu* et flammes; jeter du jus*; jeter son venin*.
Fam. et vieilli. Jeter un mauvais, un vilain coton; ne pas jeter un beau coton. Être mal en point (sous l'aspect de la santé, de la réputation ou des affaires). Édouard Fould ne jette pas non plus un très beau coton. Son affaire n'est pas bonne (Mérimée, Lettres Viollet-le-Duc,1869, p. 164).
Pop. et fam. En jeter un coup. Travailler avec ardeur, s'activer. Synon. usuel en mettre un coup (fam. et pop.).Allons, mes enfants, jetons-en un coup, c'est pas long quand tout le monde s'y met (Barbusse, Feu,1916, p. 149).
b) En partic.
[Le suj. désigne une colonie d'abeilles] Jeter (un essaim). Essaimer. Ces abeilles n'ont point jeté cette année (Ac.).
[Le suj. est un cheval] Jeter sa gourme*. Au fig., cf. ibid.
[Le suj. est un cerf] Jeter ses fumées. Fienter. (Dict. xixeet xxes.).
2. [Le suj. désigne un végétal] Produire, pousser. Les feuilles de pervenche sont opposées, ovales, pointues, à pétioles courts, portées sur des tiges rampantes et qui jettent par-tout des racines (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog., t. 2, 1821, p. 586).
Emploi abs. Les arbres commencent à jeter (Ac.).
P. métaph. Ses instincts (...) ont éclaté tout à coup (...) dans la serre chaude de la richesse. Et, à mesure que la température s'élève autour de lui, ses vanités jettent de nouvelles pousses, de nouveaux bourgeons (Augier, Pierre de touche,1854, p. 107).
3. [Le suj. désigne un animé ou littér., un inanimé]
a) Émettre (un son) avec plus ou moins de force et de brusquerie. Synon. pousser.Jeter une exclamation, des cris d'allégresse. Mais le coq matinal A jeté son chant clair (Dumas père, Hamlet,1848, I, 3, p. 174).Les cornets à pistons jetaient leurs notes claires (Zola, Curée,1872, p. 557).Dans les campaniles (...), les lourdes cloches se balançaient et jetaient leurs appels graves au large du ciel (Coppée, Bonne souffr.,1898, p. 24).Ils ont lâché un coup [de fusil] en l'air comme une femme nerveuse jette un cri (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 145).
Loc. verb., fam. Jeter les hauts cris*.
Emploi pronom. réciproque indir. Nous traînions de pied en pied, (...) nous hélant en passant devant les enclos comme des pâtres, avec ce cri qu'ils se jettent pour s'appeler (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 73).Sur les collines (...), les moulins surmenés se jetaient l'un à l'autre leur cri déchirant (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1379).
b) Dire avec vivacité et brusquerie [souvent en incise]. Il était sorti (...) et en rentrant, avait jeté à sa belle-mère : « Eh bien, voilà : en t'abandonnant un quart de la succession, je puis te mettre dehors! » (Goncourt, Journal,1894, p. 668).Mais c'est moi qui lui ai fait connaître tout cela, jette-t-elle avec un redressement colère de la tête, tout, vous entendez bien, tout (Proust, Temps retr.,1922, p. 714).
Emploi pronom. réciproque indir. :
11. Il sait ce que sont ces combats africains, ces deux lignes affrontées qui se voient et se jettent des insultes, au milieu des rafales formidables du feu, la joie, la haine, visibles sur tous les fronts... Psichari, Voy. centur.,1914, p. 85.
Au part. passé, en cont. exclam., pop. Bien jeté! Bien dit. Synon. bien envoyé.Je voudrais voir, émit-il simplement, − que je sois obligé de faire deux fois, chez moi, la même observation. − Bien jeté! admira Lampieur (Garco, Homme traqué,1922, p. 66).
4. Faire jaillir, répandre. Les petits dauphins de cuivre, qui jettent un fil d'eau par la gueule (Zola, Ventre Paris,1873, p. 718).La cheminée [de la masure] jetait sur le ciel un filet de fumée bleue (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Saut, 1882, p. 10).
En partic.
a) [L'obj. désigne une lumière] Grâce à la vive clarté que jetait un cabaret, il reconnut décidément Jean Valjean (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 568).La lanterne jetait une grande clarté devant nous (Maupass., Contes et nouv., t. 2, MllePerle, 1886, p. 634).Les épaisses lames d'acier des haches montaient de nouveau, jetaient un éclair au soleil, retombaient avec un bruit sourd sur les grosses racines (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 64).
P. anal. Ses yeux ne jetaient plus qu'une grise lueur (Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 24).Quand Alban bougeait, l'œil jetait un éclair (Montherl., Bestiaires,1926, p. 526).
Au fig. Jeter de l'éclat, un vif éclat; p. ell. pop., en jeter. Faire beaucoup d'effet, jouir d'un brillante réputation. Synon. pop. jeter du jus*.Cette faveur, en harmonie avec l'éclat que jetait Birotteau dans son arrondissement (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 65).Byron jette toujours un vif éclat, tandis que Walter Scott n'est plus guère lu que par les pensionnaires (Zola, Romanc. natur., Balzac, 1881, p. 43).La juiverie de Babylone a jeté autant d'éclat que celle de Jérusalem (Tharaud, An prochain,1924, p. 297).
b) [L'obj. désigne une odeur] Synon. de exhaler.Non loin du bourg, j'entrais dans cette lande qui jette vers le soir une odeur de lavande (Brizeux, Marie,1840, p. 23).
IV. − Emplois pronom. spécifiques
A. − Qqn se jette + compl. prép.
1. Se précipiter, s'élancer. Se jeter au secours de qqn. Le 2 août 1914, en apprenant la nouvelle de ce jour, je me suis jeté sur ma grammaire allemande que j'ai mise en pièces (Green, Journal,1932, p. 98).Simon se jetait sur l'homme, tête en avant, le frappait en pleine poitrine et le rejetait en arrière (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 235).
P. anal. Si un loup se jette sur un troupeau, il ne le dévore pas tout entier sur le champ (Lamennais, Paroles croyant,1834, p. 99).
En partic.
Se jeter au cou, dans les bras de qqn. S'élancer vers lui pour lui témoigner son affection, pour l'embrasser. Elle se jetait dans mes bras (...), elle me disait : − C'est que tu ne sais pas combien je t'aime! (Dumas fils, Dame Camélias,1848, p. 194).Elle se jetait à son cou (...). Elle lui mordait les lèvres, le dévorait de baisers (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 68).
Emploi pronom. réciproque. Marguerite : Il y eut un temps, Emmanuel, où, en nous revoyant après deux mois d'absence, nous nous serions jetés dans les bras l'un de l'autre (Dumas père, P. Jones,1838, I, 5, p. 137).
Se jeter aux genoux, aux pieds de qqn. Se précipiter à ses genoux, à ses pieds, pour le supplier. Tous ceux qui entourent Gessler (...) tâchent d'attendrir le barbare qui le condamne au plus affreux supplice; le vieillard, grand-père de l'enfant, se jette aux pieds de Gessler (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 12):
12. silvio : Pouvais-tu espérer qu'il me pardonnerait jamais? lucciana : J'espérais que tu te jetterais à ses pieds, lui disant : « Mon père, j'aime Lucciana et je regrette ma folie ». Salacrou, Terre ronde,1938, I, 4, p. 159.
Au fig. Se jeter à la tête de qqn. Aller vers quelqu'un avec empressement sans être désiré; lui faire des avances. Il ne tiendrait qu'à moi d'être invité par ce monsieur (...) mais moi, je ne me jette pas à la tête des gens (Kock, Compagn. Truffe,1861, p. 133).Claudine, qu'est-ce qu'on va faire de vous, si vous vous jetez comme ça à la tête des gens? Voyons, voyons, contenez un peu cette expansivité désordonnée! (Colette, Cl. Paris,1901, p. 88).
Se jeter sur la nourriture/sur + subst. désignant un aliment. Se précipiter sur quelque chose et consommer avec voracité. Ils se jettent sur la nourriture (...) d'abord occupés tout entiers à avaler, la bouche et le tour de la bouche graisseux comme des culasses (Barbusse, Feu,1916, p. 29).
Se laisser tomber. Elle se jetait toute habillée sur son lit (...) et fermait les yeux (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 86).Trempé de sueur, il s'est jeté sur la banquette, du côté de l'ombre (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 684).
2. Au fig. S'engager dans, se consacrer à quelque chose avec une passion immodérée. Jetez-vous tête baissée dans le travail (Flaub., Corresp.,1862, p. 20).Il se jetait dans la chronique scandaleuse. En cinq minutes, je sus avec détails toutes les coucheries illégitimes de la semaine (Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 125):
13. Freud a nommé chez la mère « complexe de Jocaste » l'attachement passionné, jaloux et possesseur dont parfois elle agrippe son fils; dans certains cas, elle s'y jette inconsciemment pour n'avoir pas trouvé auprès de son mari la réalisation de l'idéal viril qu'elle s'était formé... Mounier, Traité caract.,1946, p. 98.
Loc. verb. fig. Se jeter dans la gueule* du loup.
B. − Qqc. se jette + compl. prép.
1. Littér. S'abattre, se précipiter. Synon. tomber.
a) [Avec mouvement] Un précipice de quatre-vingts pieds à peu près, du haut duquel se jette une cascade superbe (Dumas père, Angèle,1834, II, 5, p. 145).Le temps est devenu tout à coup mauvais, un orage s'est jeté sur ce beau pays, où il n'avait pas plu depuis huit mois (Hugo, Fr. et Belg.,1885, p. 206).Le fabricant d'archets fait entrer à force le bout carré de la vis dans le trou du bouton, en ayant bien soin que cette vis ne se jette pas de côté (Maugin, Maigre, Nouv. manuel luthier,1929, [1869], p. 160).
b) [Sans mouvement] Un rhumatisme s'est jeté sur mon articulation, de sorte que je boite et souffre toujours (Flaub., Corresp.,1879, p. 246).
2. [Le suj. désigne un cours d'eau] Se jeter dans.Se déverser dans. Il s'y jette [dans un port] une rivière de huit à dix pieds de largeur (Voy. La Pérouse,t. 1, 1797, p. 133).Une petite rivière qui se jette dans la Sarthe (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 250).Quittant le bassin de l'Oubangui, on rejoint à Batangafo les eaux qui se jettent dans le lac Tchad (Gide, Voy. Congo,1927, p. 733).
P. anal.
[Avec idée d'écoulement] Des canaux lactifères qui se jettent les uns dans les autres, pour déboucher dans le sinus unique pour chaque glande et situé à la base du trayon (Garcin, Guide vétér.,1944, p. 124).
[Sans idée d'écoulement] Les rues dans les villes européennes se jettent dans d'autres rues : fermées à chacune de leurs extrémités, elles n'ont pas l'air de mener vers le dehors de la ville, on y tourne en rond (Sartre, Sit. III,1949, p. 114).
REM.
Jeté, -ée, adj.,pop. Qui n'a pas la perception de la réalité, qui a perdu conscience de ce qui l'entoure; en partic., ivre. Dans la France d'avant la guerre, on ne boit pas pour se soûler, comme chez l'étranger. Mais pour montrer qu'on sait boire. On n'est jamais complètement jeté, on a un verre « de trop » (Le Nouvel Observateur,21 juin 1980, p. 44).
Prononc. et Orth. : [ʒ(ə)te], (il) jette [ʒ εt]. Ac. 1694 et 1718 : jetter; dep. 1740 : jeter. (Ac. 1740 : suppression par l'abbé d'Olivet d'étymologismes du type appeller, jetter). Conjug. Ac. 1694-1740 : ll, tt pour noter [ε] qui précède dans les adj. et subst. en -el/-elle, -et/-ette et dans les verbes en -eler, -eter : il appelle, il jette; dep. 1762 : introduction de l'accent grave : il harcèle, il achète, etc., à côté de : il appelle, il jette, etc. (D'où une impression d'incohérence). V. Beaulieux, Hist. de l'orth. fr., t. 1, 1927, p. 268 et 169, p. 321 et 322, t. 2, Préface VIII et t. 2, p. 64 et 65 et p. 69 à 96; N. Catach, Les Modifications orth. des dict. de l'Académie Française, 1 et 2, Thèse compl., Paris, 1968. Étymol. et Hist. I. Pronom. A. 1. 2emoitié xes. « se mettre, se porter précipitamment » (St Léger, éd. J. Linskill, 224); 2. 1560 spéc. « se porter avidement, âprement (sur) » (J. Grevin, L'Olimpe, éd. L. Pinvert, p. 273 ds IGLF : le lion [...] se jette sur la pree); 3. 1751 en parlant d'un fleuve atteignant la mer (Encyclop. t. 1, p. 700, s.v. Arno). B. 1. Ca 1050 « se mettre dans la situation, dans l'état, dans la position de » (Alexis, éd. Chr. Storey, 357); 2. 1549 « s'engager, se consacrer à » (Du Bellay, Deffense et Illustration, éd. H. Chamard, p. 109). II. Trans. A. 1. a) Ca 880 « pousser vivement, précipiter (dans) » (Ste Eulalie ds Henry Chrestomathie, no2, vers 19); b) ca 1100 « mettre, placer (vivement, sans soin) » (Roland, éd. J. Bédier, 481); 2. 1568 fig. « mettre dans la disposition, la situation de, réduire à » (Garnier, Porcie, 969, Tragédies, éd. W. Foerster, I, p. 46 ds IGLF). B. 1. Fin xes. « pousser vivement (dehors), expulser, chasser » (avec un adverbe signifiant « dehors, à l'extérieur ») (Passion de Clermont, éd. d'A. S. Avalle, 72); 1130-40 id. sans adverbe donnant cette indication (Wace, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 1104); 2. a) ca 1100 « tirer (de), extraire (au propre) » (Roland, éd. J. Bédier, 444); b) ca 1100 au fig. « tirer (de), faire échapper à » (ibid., 3787); c) 1540 « sortir d'un état, d'une situation, d'une disposition d'esprit » jeter hors de doute (Nicolas Herberay des Essars, Amadis, éd. H. Vaganay, 181 ds IGLF). C. 1. fin xes. « déterminer par le hasard (du jet des dés) » (Passion de Clermont, éd. d'A. S. Avalle, 270 : chi l'aura, Sort an gitad) a. fr. jeter sort différent du sens mod. de jeter un sort (cf. jeter son enchantement II E 3 b); 2. 1549 (Est., s.v. sort : jeter son sort sur aucun, et l'enchanter, voyez Enchanter et Ensorceler). D. 1. a) Ca 1050 « lancer » (Alexis, éd. Chr. Storey, 264); b) 1585 jetter à la face (Du Fail, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, II, 173 ds IGLF); 2. ca 1160 « lancer vers quelqu'un pour lui donner » (Eneas, éd. J.-J. Salverda de Grave, 105); 3. a) ca 1100 « lancer, envoyer vers le bas, faire tomber » geter a terre (Roland, éd. J. Bédier, 464); b) 1160-74 spéc. ancres jeter (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, II, 6484); 4. ca 1200 fauconn. « envoyer en vol libre pour chasser le gibier » (Renart, éd. E. Martin, XI, 1579). E. 1. Ca 1050 « faire jaillir hors de soi, produire » (ici, des larmes) (Alexis, éd. Chr. Storey, 584); 2. ca 1050 « id. » (des cris) (ibid., 73); 1690 jetter les hauts cris (Fur., s.v. cri); 3. a) 1176-81 « proférer, dire » (Chr. de Troyes, Chevalier lion, éd. M. Roques, 1356); b) fin xiiies./début xives. [date ms.] spéc. « proférer une parole magique » jeter (son) enchantement (Merlin, II, 223 ds T.-L.); c) 1350 geter sentensse (Hist. tirées de l'A.T., éd. H. Loh, p. 142, 15-18); 4. ca 1100 « répandre, émettre, rayonner de, diffuser » (Roland, éd. J. Bédier, 1809); 5. ca 1170 « fondre, couler dans un moule » (Rois, éd. E. R. Curtius, III, VII, 23); 6. a) 1322 bot. « engendrer (des tiges), faire croître à partir de soi » (Watriquet de Couvin, Dit de l'arbre royal, éd. A. Scheler, p. 99, 492); b) 1449 en parlant d'une colonie d'insectes, en emploi absolu (Archives du Nord, B 1684, fol. 34 rods IGLF : Pendant le temps que la dite chamberie sarcoit le dit Millot, ung brugon de mouches qui estoit la endroit jetta et tellement que, du pourpris du dit Pierre Besso ou il estoit, il arriva devant l'ostel d'un appelé Jehan); cf. 1636 (Monet, Abrégé du parallèle des langues fr. et lat. : Les abeilles ictent, Examen, emittunt apes). F. 1. a) Ca 1100 « disposer, mettre, placer » (Roland, éd. J. Bédier, 2652); b) 1684 « placer (une draperie) en disposant les plis d'une certaine manière » (Du Fresnoy, Art de Peinture, p. 32 ds Brunot t. 6, p. 732); 2. a) ca 1230 « établir, disposer solidement » jeter un fondement (au propre) (Eustache le Moine, 2148 ds T.-L.); b) début xviies. jeter les fondements au fig. (Larivey, Epistre, éd. Viollet-le-Duc, Anc. Théâtre fr., V, 2 ds IGLF); 3. 1280 « compter, calculer, répartir » (Mémorial des Finances de Robert II, éd. H. Jassemin d'apr. FEW t. 5, p. 15b); 4. a) 1387 « dessiner le projet de travaux de construction » (Compte des travaux Collège de Beauvais ds G. Fagniez, Documents relatifs à l'Histoire de l'Industrie et du Commerce en France, t. 2, p. 132 et 133); b) 1680 jetter sur le papier (Rich. : Quand on commence à composer, il faut jetter sur le papier tout ce qui vient en l'esprit). G. 1. Ca 1100 « lancer pour se débarrasser de » (Roland, éd. J. Bédier, 486); 2. ca 1215 au fig. « rejeter » (Raoul de Houdenc, Eles, 568 ds T.-L., s.v. puer). H. 1. 1130-40 « lancer pour répandre, semer » (Wace, Conception ND, éd. W. R. Ashford, 261); 2. 1604 au fig. jetter l'effroy (Montchrestien, Cartaginois, éd. Petit de Julleville, p. 134 ds IGLF). I. 1. a) Ca 1150 « faire mouvoir, avancer vivement une partie de son corps » (ici, le visage) (Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 3102); fin xiies. « id. » (les bras) (Orson de Beauvais, 174 ds T.-L.); b) 1580 au fig. « engager quelque chose de soi » (Garnier, Antigone, 1792, éd. W. Foerster, p. 52 ds IGLF : Jettant une ame aventureuse a travers les glaives pointus); 2. a) fin xiies. « brandir, frapper de (ici, une masse) » (Moniage Guillaume, 2613 ds T.-L.); b) fin xiies. « asséner (des coups) » (ibid., 2664, ibid.); c) ca 1450 au fig. (Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, XXXIX, 37331, V, 32 : Dieu a jecté sur toy son ire); 3. a) ca 1220 « diriger (les yeux) vers » (J. Renart, Ombre, 913 ds T.-L.); 1erquart xives. [date ms.] (Chanson, ms. Oxford Bodl. Douce 308, Pastourelles, éd. J.-C. Rivière, I, 4, 15 : si me gete un dous regairt); b) 1564 jeter les yeux sur « avoir sur quelqu'un des vues particulières, choisir » (Indice et recueil universel de tous les mots principaux des livres de la Bible, p. 172 vo); c) 1604 jeter l'œil « considérer » (Montchrestien, David, éd. Petit de la Julleville, p. 282 ds IGLF : Jette l'œil seulement sur tes compassions). Du lat. vulg. jectāre; cette forme, attestée notamment en lat. chrét., est aussi à l'orig. des correspondants de jeter dans la plupart des autres lang. romanes et représente le lat. class. jactare, fréquentatif de jacere « jeter » (cf. FEW t. 5, pp. 12-24). Fréq. abs. littér. : 21 089. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 29 179, b) 37 620; xxes. : a) 33 565, b) 23 972. Bbg. Brüch (J.). Über zwei Punkte der romanischen Lautgeschichte... Arch. St. n. Spr. 1915, t. 133, pp. 354-365. - Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 105. - Quem. DDL t. 6, 14.

Article lié : Donner sa langue au chat : définition et origine de l’expression

Wiktionnaire

Verbe - français

jeter \ʒə.te\ transitif 1er groupe (voir la conjugaison) (pronominal : se jeter)

  1. Lancer avec la main ou de quelque autre manière.
    • De mon cigare il ne me restait plus qu’un bout entre les lèvres, et, après en avoir aspiré les dernières bouffées, je le jette par-dessus le bord. — (Jules Verne, Claudius Bombarnac, chapitre III, J. Hetzel et Cie, Paris, 1892)
    • Or, le bruit se répandit bientôt que le juif avait jeté l’hostie dans une cuve d’eau bouillante, à la suite de quoi l’eau aurait rougi sans s’altérer. — (Léon Berman, Histoire des Juifs de France des origines à nos jours, 1937)
    • Il saisit rageusement sa perruque, qui lui redonnait pour un soir la chevelure bananoïde de ses chères sixties, et la jette dans le lavabo où elle se met à sombrer comme un transatlantique. — (Jacques Jouet, sur un scénario de François Rivière, Jonathan Cap : Racket à Roland-Garros, Éditions Nathan, 2015, chapitre 1)
    • Mes potes de l’internat ont eu la mauvaise idée de mettre tous les lits en cathédrale et même de jeter un matelas par la fenêtre. — (Gérard Raymond Colin, Et toi hein, à quoi tu sers ? L'opiniâtre, Les éditions du Panthéon, 2012, p. 34)
  2. Mettre sur soi avec quelque promptitude, en parlant d’un vêtement
    • Leurs bras n'étaient couverts que des manches de leurs chemises, et, lorsqu'elles se retirèrent pour s'en retourner chez elles, elles jetèrent sur leur tête et sur leurs épaules une pièce de soie de la longueur d'un schall de cachemire. — (Les Jeunes voyageurs en Europe ou Description raisonnée des divers pays compris dans cette part du monde, traduit de l’anglais sur la douzième édition par P. C. B., tome 3, Paris, 1823, page 59)
    • […], ce même roi de France, faute d'un héraut […], fut contraint de suborner un valet, de l’affubler d'une bannière de trompette avec un trou an milieu , afin que le prétendu héraut passât sa tête au travers, et la jetât sur ses épaules en guise d'une cotte d'armes aux armes de France. — (« Quentin Durward », tome 15 des Œuvres de Walter Scott, traduites et annotées par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret, Paris : chez Furne, Charles Gosselin & Perrotin, 1835, note (p), page 551)
  3. (À la voix passive) Disposer avec une négligence qui a de la grâce.
    • C'était une grande pièce de laine, de couleur écrue, un habit majestueux mais lourd et encombrant. La toge était jetée sur l'épaule gauche, drapée sous le bras droit, avant de repasser sur le bras et l'épaule gauche. Elle était savamment pliée, enroulée et drapée autour du corps, […]. — (Barry S. Strauss, La mort de César, traduit de l’anglais par Clotilde Meyer, Paris : Albin Michel, 2018)
  4. (Par analogie) (Peinture) Donner une certaine disposition aux plis d’une draperie dont on revêt une figure.
    • Pour les figures vêtues, les membres étaient d'abord dessinés en esquisse rapide, puis la draperie était jetée par-dessus, et avec juste assez de plis pour exprimer clairement la forme même, et aussi l'allure de la draperie. — (Jacob Burckhardt, Le Cicérone: guide de l'art antique et de l'art moderne en Italie, tome 1 (Art antique), traduit par A. Gérard, Paris, 1885, chez Didot, 1900, page 181)
  5. Fonder ; asseoir ; établir.
    • Non seulement il invita ses concitoyens à déposer leurs ressentiments et leurs griefs sur l'autel de la patrie, mais il demanda encore que le bienfait de cette pacification fût étendu aux autres peuples, et que la France, introduisant parmi les nations une nouvelle diplomatie, jetât les fondements d'une alliance universelle. — (« ISNARD (Maximin) », dans la Biographie universelle et portative des contemporains; ou, Dictionnaire historique des hommes vivants et des hommes morts depuis 1788 jusqu'à nos jours, tome 10, Paris : chez l'Éditeur, 1836, page 2141)
    • Il pourrait arriver que plusieurs personnes, sans former actuellement une société en nom collectif, convinssent d'en former une à une certaine époque, jetassent les bases de cette société future, et se promissent mutuellement, sous peine de payer une certaine somme à titre de dédit, de régulariser la constitution de cette société par la rédaction d'un acte écrit et par l'accomplissement des formalités de publication. — (D. Dalloz ainé & Armand Dalloz, Répertoire méthodique et alphabétique de législation de doctrine et de jurisprudence, tome 40, Paris, 1859, page 543)
  6. Construire, établir, en parlant d’un pont, et surtout en parlant des ponts que l’on fait à la hâte pour le passage des troupes, des armées.
    • Nous remontâmes alors la Dwina pendant deux jours et jetâmes un pont sur ce fleuve que le deuxième corps entier passa pour atteindre la grande route de Polotsk à Saianétersbourg. — (Campagne de Russie, 1812, d’après le journal illustré d'un témoin oculaire, avec introduction de C-G. Faber Du Faur, Paris : chez Flammarion, 1895, page 23)
    • On parle souvent de la rapidité extraordinaire avec laquelle les Américains ont jeté leur voie ferrée à travers les plaines du Far-West. Mais, qu’on le sache, les Russes ne leur cèdent en rien de ce chef, […]. — (Jules Verne, Claudius Bombarnac, chapitre V, J. Hetzel et Cie, Paris, 1892)
  7. (Figuré) Envoyer prestement en parlant de prisonniers que l’on met en prison.
    • Quand Napoléon III fut empoigné à Boulogne pour avoir donné une seconde représentation du débarquement à Cannes, on le jeta au cachot et on l'emmena à Paris sans lui donner le temps de changer de chemise. — (Arsène Houssaye, Les Confessions, tome IV : Souvenirs d'un demi-siècle 1830-1880, tome 4, Paris : chez E. Dentu, 1885-1891, chap. 4)
    • En 1763, sous un prétexte futile, notre consul, M. Vallière, le vicaire apostolique , le chancelier , les missionnaires , les équipages de quatre navires provençaux, en tout 53 personnes sont jetés aux fers, exposés aux insultes de la populace et employés aux travaux publics. — (Adolphe Berthoud, « Alger avant la conquête », en appendice dans Napoléon III en Algérie, par Octave Teissier, Paris : chez Challamel aîné, Alger : chez Bastide & Toulon : chez J. Renoux, 1865, page 289)
    • Les moines et les prêtres surprirent le pauvre homme, le jetèrent en prison, et le firent conduire à Vienne en Dauphiné, où résidait l’archevêque. Rénier préféra être brûlé vif, plutôt que de rien céder. — (Jean-Henri Merle d'Aubigné, Histoire de la Réformation en Europe au temps de Calvin, tome 2, chapitre 12, Paris : chez Michel Lévy frères, 1878, ThéoTex, 2016, page 496)
  8. (Figuré) (Militaire) Faire entrer promptement.
    • Rien ne lui étoit plus facile que de disputer le passage en jetant son infanterie dans le bois, et en l'appuyant d'un grand corps de cavalerie. — (Relation des campagnes de Rocroi et de Fribourg par Henri de Bessé, Paris : chez N. Delangle, 1826, page XX)
    • Le général Suchet, averti, s'est porté à Rozan, a réuni ses troupes, et a fait reconnaître et observer l'ennemi, qui prit position en avant du camp de Borki, et jeta sa cavalerie dans la plaine. — (Comte Mathieu Dumas, Précis des événemens militaires, ou Essais historiques sur les campagnes de 1800 à 1807, tome 5, Paris : chez Treuttel & Wurtz & Hambourg : chez Perthès & Besser, 1826, page 329)
    • Les hommes se jetèrent dans la bagarre et Jonathan finit par ne plus savoir qui se battait contre qui. — (Jennifer Haymore, Les Sœurs Donovan, tome 1 : Confessions d'une fiancée malgré elle, traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie Dubourg, Editions Milady, 2013, chapitre 7)
  9. (Figuré) Mettre, placer, diriger, envoyer, etc., et souvent avec l’idée d’une certaine violence, de quelque soudaineté ou rapidité dans l’action. — Note : S’emploie dans ce sens tant au sens physique qu’au sens moral.
    • Les écuries du roi et l'hôtel des gardes-du-corps devinrent pour eux un nouveau sujet de désordre; ils s’y précipitèrent en foule et jetèrent l’effroi parmi les valets d'écurie et les palefreniers. — (Anonyme, Histoire de la révolution française depuis l'année 1789, tome 1, Paris : chez Philippe, 1829, page 164)
    • La gloire et les services du vainqueur de Babek offusquaient ce prince ombrageux. Il l’accusa de pratiquer le magisme du feu et d’avoir cherché à le rétablir en Perse. Accuser et condamner, c'était tout un pour le khalife : Afschin fut jeté en prison et mis à mort. — (Adolphe-Noël Desvergers, Arabie, avec une carte de l'Arabie et note sur cette carte, par M. Jomard, Paris : chez Firmin Didot, 1847, page 443)
    • Tenez : faites donc faire un ballot de tout ce qui est envoyable, et me le jetez au roulage. — (L. Spach, Les professeurs de Français en Alsace, dans Revue d’Alsace, volume 14, 1863, page 207)
    • Tout à l’heure, […], j’ai vu un corsage de velours noir se pencher à demi au-dessus d’une fenêtre et de grands yeux noirs jeter un éclair. — (Hippolyte Taine, Voyage en Italie, volume 2, 1866)
    • Ils jettent bien encore des regards de convoitise sur nos bêtes, mais nous nous tenons sur nos gardes, et, nous voyant disposés à nous défendre, ils doivent se dire que le jeu ne vaudrait peut-être pas la chandelle. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 47)
    • Il n’avait pas son fusil et, inconsciemment, jetant un regard circulaire autour de lui, chercha une arme meurtrière. — (Louis Pergaud, La Vengeance du père Jourgeot, dans Les Rustiques, nouvelles villageoises, 1921)
    • Elle soupira en souriant, me jeta un regard de détresse qui signifiait : « Dieu ! que les hommes sont bêtes ! » — (Pierre Louÿs, Trois filles de leur mère, René Bonnel, Paris, 1926, chapitre I)
    • Dans son arrêt rendu le 3 octobre 2019, la CJUE explique que, au regard des motifs mentionnés au paragraphe 4 de l’article 57, la faculté d’exclusion donnée à l’acheteur « est tout particulièrement destinée à lui permettre d’apprécier l’intégrité et la fiabilité de chacun des soumissionnaires » et que son sens est éclairé par le considérant 101 de la directive. Ce dernier mentionne notamment que des candidats doivent pouvoir être exclus lorsqu’ils ont eu, dans l’exécution de marchés, un comportement fautif jetant sérieusement le doute sur leur fiabilité. — (« Le non-respect passé, par une entreprise, d’une obligation de déclaration du recours à la sous-traitance peut constituer une faute grave justifiant l’exclusion d’une procédure de passation de marché public, sous réserve du respect du droit à l’auto-apurement », La Lettre de la DAJ, numéro 282 du 24 octobre 2019)
    • Jeter du ridicule sur quelqu’un.
    • Jeter des soupçons dans l’esprit de quelqu’un.
    • Cette étude historique peut jeter une vive lumière, un grand jour sur les causes de l’événement.
    • Jeter quelqu’un dans le péril, dans un danger.
    • La surprise où les jeta cette nouvelle me fit sourire.
  10. Pousser avec violence.
    • L'une après l'autre elles tombèrent, se brisant à mes pieds, non pas que je les jetasse à terre de rage, mais parce qu'elles me glissèrent des doigts comme si cette découverte passait vraiment mes forces. — (Joseph Conrad, La ligne d'ombre: une confession, traduit de l’anglais par Hélène et Henri Hoppenot, Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1929, page 169)
    • […] ; puis deux hommes me saisirent par les bras pour m'entraîner sur une trentaine de mètres. J’eus l’impression de gravir deux marches avant qu'ils me jetassent à même le sol. — (Emad Jarar, Une nuit à Aden, tome 2, Éditions Iggybook, 2018, chapitre 5 (Aden))
    • (Figuré)Le vice-chancelier Maupeou manda Mme Calas et ses compagnons d'infortune; il leur annonça lui-même les dons du roi. […]. On leur avait dit que si le roi leur accordait une gratification, c’était pour éviter qu’ils prissent à partie le Parlement qui les avait jetés dans l’indigence en même temps que dans le deuil : […]. — (Athanase Coquerel fils, Jean Calas et sa famille: étude historique d'après les documents originaux, Paris : chez Joël Cherbuliez, 1858, page 280)
  11. Pousser, envoyer, lancer hors de soi.
    • M. Constant pressa le bouton d’une sonnerie et jeta un ordre au gardien qui surgit dans l’entre-bâillement de la porte. — (Francis Carco, Les Hommes en cage, Éditions Albin Michel, Paris, 1936, p. 151)
    • Il jeta un crachat qui tomba non loin de Renelle, dit encore : […]. — (Brice Tarvel, Au large des vivants: Ceux des eaux mortes, Éditions Mnémos, 2012, chapitre 3)
    • Il est même dangereux de l'approcher lorsqu'il est renfermé dans une cage; s'il est irrité, il imprime à son corps des secousses violentes et jette son venin au travers des barreaux, à plusieurs pieds de distance. — (Emmanuel Le Maout, « Les Reptiles : Ordre des Ophidiens », Le Jardin des Plantes, 2e partie, Paris : chez Curmer, 1843, page 231)
    • Faut-il étudier l'homme assagi, endormi sous la cendre, — ou, comme fit Pline l'Ancien pour le Vésuve, s'approcher de lui dans son jeune temps, alors qu'il jette sa lave et son feu ? — (Ernst Bendz, François Mauriac : ébauche d'une figure, Göteborg : Elanders Boktryckeri Aktiebolag, 1944, page 108)
    • Le tronc de cet arbre jette une espèce de gomme.
    • Il secoua la tête, jeta un soupir puis essuya son front avec le revers de sa manche de chemise : […]. — (Franz-Olivier Giesbert, L'immortel : 22 balles pour un seul homme, Éditions Flammarion, 2011, chapitre 44)
    • Cette lampe jette un éclat très vif. — Cette fontaine jette beaucoup d’eau.
  12. Produire et mettre dehors un nouvel essaim, en parlant des abeilles.
    • Ces abeilles n’ont point jeté cette année.
  13. Produire des bourgeons ou des scions, en parlant des arbres et des plantes.
    • Les arbres commencent à jeter.
    • Cette vigne a bien jeté du bois.
    • Cet arbre a jeté des scions.
    • La vigne ne jette pas encore.
    1. S’enraciner profondément.
    • Ces arbres ont jeté de profondes racines.
    • (Figuré) Cet abus avait jeté de si profondes racines qu’il était bien difficile de l’extirper.
  14. (En particulier) Produire des liquides corporels en parlant d’ulcères, d’abcès, des croûtes de lait, etc.
    • Cet abcès jette du pus.
    • (Absolument)Ces ulcères, ces pustules jettent beaucoup.
    • Ce cheval jette sa gourme.
  15. (Fonderie) Faire couler du métal fondu dans quelque moule, afin d’en tirer une figure.
    • Jeter une figure, une statue en bronze. — Jeter en moule. — Ce fondeur jette bien.
  16. (Cartes à jouer) Refuser de les jouer, en parlant des cartes.
  17. (Cartes à jouer) Jouer une carte en la posant sur la table de jeu ; s'en défaire pour en prendre d’autres, en parlant de cartes au jeu du piquet ou de l’écarté.
    • Revenant vers Rivelino, j'ai ramassé précieusement la pochette de documents et j’ai sorti trois billets de cinq cents dollars que je lui ai jetés sur la table, comme on jette ses trois derniers atouts maîtres pour terminer la partie. — (Miguel Miranda, Quand les vautours approchent: La première enquête de Mario França, Éditions de l’Aube, 2013)
  18. (Marine) Laisser filer dans la mer.
    • Durant toute la journée du 26, une brise fraîche se fit sentir, qui put faire croire, à juste raison, qu'on approchait de la côte. Dans la matinée on jeta la sonde, mais sans résultats : rassuré sur le voisinage toujours dangereux de la terre, le capitaine poursuivit sa route sans crainte. — (Ferdinand Denis, « Voyage de D. Giovanni Mastai dans l'Amérique du Sud (1823-1824) », dans Le Tour du monde : nouveau journal des voyages, publié sous la direction de M. Édouard Charton et illustré par nos plus célèbres artistes, Librairie Hachette, 1er semestre 1860, page 233)
    • L'homme qui est chargé de jeter le loch pendant le quart, a soin de porter sur un petit cahier ou sur un instrument en cuivre nommé Renard le nombre de nœuds trouvés à chaque fois qu'il a jeté le loch, la direction du vent, le cap du bâtiment et la dérive, avec les heures correspondantes; […]. — (Edmond Dubois, Cours de navigation et d'hydrographie, 2e éditions, Paris : chez Arthus Bertrand, 1869, page 19)
  19. (Pronominal) Entrer, se réfugier précipitamment en quelque endroit.
    • D'un coup d'épée, Keran balaya la flèche en sable qui volait droit sur lui puis il se jeta derrière le tronc d'un pin pour se mettre à couvert. — (Tony L. J. Berger, L'empire sanguinaire, tome 1 :Le trône des loups, Librinova, 2018, chapitre 17)
    • On poursuivit le voleur, mais il se jeta dans une allée obscure et disparut. — Il se jeta dans le plus épais du bois.
    • (Figuré)Se jeter dans un couvent, S’y retirer.
  20. (Pronominal) Se lancer, se précipiter, se porter impétueusement dans, contre, vers quelqu’un ou quelque chose. — Note : Se dit dans ce sens tant au propre qu’au figuré.
    • Ils se jetèrent sur les ennemis comme des lions, tuèrent douze mille six cents hommes, et obligèrent tout le reste de fuir, la plupart blessés et sans armes. — (« Histoire ancienne des Égyptiens, de carthaginois, des Assyriens, des Babyloniens, […] », livre 21 : Suite de l'Histoire des successeurs d'Alexandre, tome 3 des Œuvres complètes de Rollin, avec notes et éclaircissements, […] par Émile Bères, Paris : chez Auguste Desrez, 1837, page 6)
    • Je me jetai dans le travail, je m'occupai de science, de littérature et de politique ; j'entrai dans i« diplomatie à l’avénement de Charles X qui supprima l'emploi que j'occupais sous le feu roi. — (Honoré de Balzac, Scènes de la vie de campagne : Le Lys dans la vallée, 1836, Paris : chez Michel Lévy frères & à la Libraire Nouvelle, 1873, page 305)
    • Après avoir à ses débuts abordé le théâtre, pour lequel il ne se jugeait ni assez recommandé ni assez mûr, il s’était jeté dans le journalisme. Quand je dis jeté, le mot n’est pas exact pour un homme qui ne faisait rien à l’étourdie, et qui se présentait sur le champ de bataille avec cette hardiesse mêlée de prudence qui ne risque beaucoup que pour réussir. — (Eugène Fromentin, Dominique, L. Hachette et Cie, 1863, réédition Gründ, page 133)
    • Soudain retentit un bruit lourd de roues ; et quelques moments après, on vint nous dire que la guillotine était arrivée. Nous nous jetâmes tous dans la rue, comme réjouis. — (Ivan Tourgueniev, L’Exécution de Troppmann, avril 1870, traduction française de Isaac Pavlovsky, publiée dans ses Souvenirs sur Tourguéneff, Savine, 1887)
    • Un combat sanglant s’ensuivit, et les troupes chérifiennes finirent par s'emparer de la place. Le lieutenant du caïd, qui avait organisé la résistance, n'eut que le temps de se jeter sur un cheval et sauva sa tête par une fuite précipitée […]. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 44)
    • Évidemment, je devrais me jeter dans le Seigneur, et ne rien craindre. — (Marcelle Gauvreau, Lettre à Marie-Victorin, 12 décembre 1939, dans Lettres au frère Marie-Victorin, éditions Boréal, Montréal, 2019, page 164)
  21. (Pronominal) S’écouler, en parlant d’un cours d’eau qui est affluent d’un autre.
    • En effet : 1° L’Escaut ne se jette point dans la Meuse, mais dans l'Océan ; tandis que la Sambre se jette dans la Meuse à Namur. — (Jacques Maissiat, Jules César en Gaule, tome 2, Paris : chez Firmin-Didot, 1876, note 2, page 74)
    • Depuis plusieurs heures, là où la Bar se jette dans la Meuse, venant de gauche, au sud, à l’extrémité de l’Armée Corap, on est dans l'impossibilité de joindre les hommes d’Huntziger. — (Louis Aragon, Les Communistes, tome 2, réédition Messidor/Temps actuels, 1982, page 218)
  22. (Pronominal) Se porter avidement sur quelque chose.
    • En même temps plusieurs Chouans se jettent sur les provisions, se les disputent, se les arrachent, et donnent enfin tout l’ignoble spectacle d'une scène de bandits. — (Jacques Duchemin Descepeaux , Lettres sur l'origine de la Chouannerie et sur les Chouans du Bas-Maine, tome 1, Imprimerie royale, 1825, page 325)
    • Instantanément les rats se laissèrent tomber du grillage et se jetèrent sur la nourriture. — (John Steinbeck, « Le Serpent », dans La grande vallée, traduit de l’anglais par Marcel Duhamel et Max Morise, Éditions Gallimard, 1946, Folio, 1994)
  23. (Figuré) (Péjoratif) Quitter son conjoint, son partenaire.
    • Il se fait jeter par sa copine et se venge en détruisant un radar tourelle. — (Titre d’article Autonews, MSN.com, 21 décembre 2020 → lire en ligne)
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

JETER. (Je jette; nous jetons). v. tr.
Lancer avec la main ou de quelque autre manière. Jeter des pierres. Jeter des fusées, des grenades. Jeter ses armes pour s'enfuir. Jeter quelque chose au vent. Jeter quelque chose à la tête de quelqu'un. Jeter un filet dans l'eau pour pêcher. Jeter quelque chose au feu. Jeter des marchandises à la mer pour alléger le navire. Jeter un châle, un manteau, etc., sur ses épaules, sur les épaules de quelqu'un, Mettre avec quelque promptitude un châle, etc., sur ses épaules, sur les épaules de quelqu'un. On dit aussi Ce vêtement, cette draperie, etc., est jetée avec grâce, avec élégance, en parlant d'un Vêtement, d'une draperie disposés avec une négligence qui a de la grâce. En termes de Peinture, Jeter une draperie, Donner une certaine disposition aux plis de la draperie dont on revêt une figure. Ce peintre jette mal ses draperies. Les plis de cette draperie sont artistement jetés. En termes de Marine, Jeter l'ancre, La faire tomber dans la mer, pour arrêter le navire. Jeter le plomb, la sonde, Laisser tomber la sonde pour connaître la hauteur de l'eau ou la qualité du fond. Jeter le loch, Lancer à la mer le loch pour connaître combien le navire a fait de route pendant un temps donné. Aux jeux de Cartes, Jeter ses cartes, Refuser de les jouer. Il se dit aussi au Piquet, à l'Écarté, des Cartes dont on se défait pour en prendre d'autres. J'ai jeté les piques. Fig., Le sort en est jeté. Voyez SORT. Jeter les fondements d'un édifice, Les asseoir, les établir. Figurément, Jeter les fondements d'un empire, d'un royaume, d'une république, etc., Fonder un empire, etc. Jeter un pont sur une rivière, Construire, établir un pont sur une rivière. Cela se dit surtout en parlant des Ponts que l'on fait à la hâte pour le passage des troupes, des armées. Fig., Jeter de l'huile sur le feu. Voyez HUILE. Fig., Jeter son argent, jeter tout par les fenêtres, Dissiper son bien en folles dépenses. C'est un homme d'ordre et qui ne jette point son argent par les fenêtres. Fig. et fam., Jeter une chose à la tête de quelqu'un, La lui offrir sans qu'il la demande. Par extension, Il s'imaginait que j'allais lui jeter ma fille à la tête. On dit de même Se jeter à la tête de quelqu'un, à la tête des gens, S'offrir à eux avec empressement et sans être recherché. Fig. et fam., Jeter quelque chose au nez, à la figure de quelqu'un, Le lui reprocher. Fig. et fam., Jeter la pierre à quelqu'un. Voyez PIERRE. Fig. et fam., Jeter de la poudre aux yeux. Voyez POUDRE. Fig. et fam., Jeter le froc aux orties. Voyez FROC. Fig. et fam., Jeter le grappin sur quelqu'un. Voyez GRAPPIN. Prov. et fig., Jeter le manche après la cognée. Voyez MANCHE. Prov. et fig., Jeter son bonnet par-dessus les moulins. Voyez BONNET. Prov. et fig., Il n'en jetterait pas sa part aux chiens; Jeter sa langue aux chiens. Voyez CHIEN. Fig. et fam., Il n'est pas bon à jeter aux chiens. Voyez BON. Fig., Jeter un voile sur quelque chose, Le passer sous silence. Fig., Jeter quelqu'un dans un cachot, dans les fers, Le mettre ou le faire mettre au cachot, en prison. Fig., En termes de Guerre, Jeter des hommes, jeter de l'infanterie, de la cavalerie dans la bataille. Jeter des munitions, des vivres, etc., dans une place, Les y faire entrer promptement.

JETER s'emploie aussi figurément, tant au sens physique qu'au sens moral, dans l'acception de Mettre, placer, diriger, envoyer, etc., et souvent avec l'idée d'une certaine violence, de quelque soudaineté ou rapidité dans l'action. Il fut malgré lui jeté dans cette affaire. Jeter rapidement ses idées sur le papier. Jeter un regard, des regards de compassion sur une personne. Jeter les yeux sur quelqu'un, sur quelque chose. Jeter un regard sur le passé. Jeter l'effroi, l'épouvante dans une maison, dans le camp, etc. Jeter du ridicule sur quelqu'un. Jeter des soupçons dans l'esprit de quelqu'un. Cette étude historique peut jeter une vive lumière, un grand jour sur les causes de l'événement. Jeter quelqu'un dans le péril, dans un danger. Jeter dans l'inquiétude. Votre refus me jette dans un grand embarras. La surprise où les jeta cette nouvelle me fit sourire. Jeter les yeux sur quelqu'un signifie quelquefois Avoir sur quelqu'un des vues particulières. Il a jeté les yeux sur ce jeune homme pour en faire son gendre. Jeter les yeux sur une brochure, La parcourir superficiellement. Jeter des propos, Avancer des propos qui vont indirectement à insinuer ou découvrir quelque chose. Ce ministre a jeté des propos de paix, de guerre. Fig. et fam., Jeter son dévolu sur quelque chose, Choisir cette chose entre plusieurs autres.

JETER se dit quelquefois dans le sens de Pousser avec violence, tant au propre qu'au figuré. Jeter un homme par terre. Les vents nous jetèrent sur un écueil. La tourmente politique les avait jetés loin de leur patrie.

SE JETER signifie dans cette acception Entrer, se réfugier précipitamment en quelque endroit. On poursuivit le voleur, mais il se jeta dans une allée obscure et disparut. Il se jeta dans le plus épais du bois. Fig., Se jeter dans un couvent, S'y retirer.

SE JETER signifie encore, tant au propre qu'au figuré, Se lancer, se précipiter, se porter impétueusement dans, contre, vers quelqu'un ou quelque chose. Se jeter par la fenêtre. Se jeter dans le feu, dans un puits, dans la mer. Se jeter sur une chaise, sur un lit. Se jeter au cou de quelqu'un pour l'embrasser. Se jeter à genoux. Se jeter aux genoux de quelqu'un. Je me jette à vos pieds. Il s'est jeté dans mes bras. Se jeter sur quelqu'un pour le maltraiter. Il se jeta sur son ennemi. Le chat se jette sur la souris. Il se jeta au milieu des ennemis. Il se jette dans le travail à corps perdu. Se jeter dans la dévotion. Abandonner un excès pour se jeter dans l'excès contraire. Se jeter volontairement dans le péril. Ce fleuve, cette rivière se jette dans la mer, dans un lac, etc. Se jeter sur quelque chose signifie quelquefois S'y porter avidement. Les soldats se jetèrent sur ces provisions. Fig. et fam., Jeter une maison, une cloison, un mur, etc., par terre, Démolir, abattre une maison, une cloison, etc. On dit dans le même sens Jeter bas. En termes de Marine, Jeter son navire à la côte, ou Se jeter à la côte, S'y échouer exprès, afin d'éviter un danger plus grand.

JETER signifie aussi Pousser, envoyer, lancer hors de soi. Le reptile jetait son venin. Le tronc de cet arbre jette une espèce de gomme. Cette fontaine jette beaucoup d'eau. Le volcan jette des feux. Un tison qui jette des étincelles. Cette lampe jette un éclat très vif. Jeter un soupir, un cri. Fig. et fam., Jeter les hauts cris. Voyez CRI. Fig. et fam., Il a jeté tout son venin, Dans l'emportement de la colère, il a dit tout ce qu'il avait sur le cœur contre quelqu'un. Fig. et fam., Jeter son feu, tout son feu. Jeter feu et flamme. Voyez FEU.

JETER se dit particulièrement des Ulcères, des abcès, etc. Cet abcès jette du pus. Absolument, Ces ulcères, ces pustules jettent beaucoup. Il se dit aussi des Enfants qui ont des croûtes de lait. Il se dit également des Chevaux. Ce cheval jette sa gourme. Fig. et fam., Jeter sa gourme. Voyez GOURME.

JETER se dit en outre des Abeilles qui produisent et mettent dehors un nouvel essaim. Ces abeilles n'ont point jeté cette année. Il se dit encore des Arbres et des plantes qui produisent des bourgeons ou des scions. Cette vigne a bien jeté du bois. Cet arbre a jeté des scions. Absolument, Les arbres commencent à jeter. La vigne ne jette pas encore. Jeter de profondes racines, S'enraciner profondément. Il se dit au propre et au figuré. Ces arbres ont jeté de profondes racines. Cet abus avait jeté de si profondes racines qu'il était bien difficile de l'extirper. En termes de Vénerie, Ce cerf jette sa tête, Il perd son bois.

JETER, en termes de Fonderie, signifie Faire couler du métal fondu dans quelque moule, afin d'en tirer une figure. Jeter une figure, une statue en bronze. Jeter en moule. Ce fondeur jette bien.

Littré (1872-1877)

JETER (jeté. Le t se double quand la syllabe qui suit est muette : je jette, je jetterai) v. a.

Résumé

  • 1° Communiquer un mouvement avec la main.
  • 2° Mettre avec quelque promptitude un manteau, un châle, etc.
  • 3° Jeter un pont.
  • En termes de marine, lancer dans la mer ou ailleurs.
  • 5° Se débarrasser de.
  • 6° Jouer ou écarter, en parlant de cartes.
  • 7° Mettre, placer, diriger, non sans quelque idée de violence ou du moins de rapidité.
  • En termes de guerre, faire entrer.
  • En termes de marine, jeter à la côte, jeter à la bande.
  • 10° Jeter l'oiseau, en fauconnerie.
  • 11° Jeter un blanc, une espace, en imprimerie.
  • 12° Il se dit des couleurs qu'on donne à un tableau.
  • 13° Diriger quelque partie du corps d'un certain côté.
  • 14° Pousser avec violence, faire tomber.
  • 15° Fig. Mettre quelqu'un dans une certaine manière d'être.
  • 16° Fig. Jeter loin, jeter dans, reporter à une époque éloignée.
  • 17° Faire subir.
  • 18° Il se dit aussi des choses abstraites que l'on assimile à quelque chose qui se jette.
  • 19° Jeter sur le papier, écrire, tracer à la hâte.
  • 20° Faire signifier, dénoncer.
  • 21° Rejeter sur, attribuer.
  • 22° Il se dit de l'argent, des valeurs qu'on fait entrer dans la circulation.
  • 23° Jeter l'argent, être prodigue.
  • 24° Calculer avec des jetons.
  • 25° Jeter au sort, décider quelque chose par la voie du sort.
  • 26° Pousser, envoyer, lancer hors de soi.
  • 27° Jeter des œufs, être ovipare.
  • 28° Produire et mettre dehors un nouvel essaim.
  • 29° Produire des bourgeons ou des scions.
  • 30° Produire, rendre de l'humeur.
  • 31° Jeter sa tête, ses fumées, en termes de vénerie.
  • 32° Faire couler dans un moule du métal fondu.
  • 33° Jeter, en termes de potier, de chandelier.
  • 34° Se jeter, être jeté.
  • 35° Être prodigué, en parlant de l'argent.
  • 36° Se lancer soi-même.
  • 37° Se précipiter, se porter impétueusement.
  • 38° Faire une expédition militaire.
  • 39° Entrer, se réfugier précipitamment en quelque endroit.
  • 40° Aller, se rendre imprudemment.
  • 41° Fig Prendre, accepter, se laisser aller.
  • 42° Se jeter au travers, à la traverse, entre, venir déranger.
  • 43° Se jeter sur, en parlant d'humeurs, de maladies.
  • 44° Se jeter sur, parler de.
  • 45° Avoir recours.
  • 1Communiquer un mouvement avec la main ou de quelque autre manière. Comme il continuait, je me sentis extrêmement tentée de lui jeter un livre à la tête, Sévigné, 12 juin 1680. L'Anglais [le chevalier Talbot] a promis au roi sur sa tête et si positivement de guérir Monseigneur dans quatre jours, et de la fièvre et du dévoiement, que, s'il n'y réussit, je crois qu'on le jettera par les fenêtres, Sévigné, 8 nov. 1680. De sorte que Ludre, Coëtlogon et Rouvroy sont parties ce matin pour aller à Dieppe et se faire jeter trois fois dans la mer, Sévigné, 27. On jeta de l'eau sur les restes de l'embrasement, Sévigné, 20. Je jette quelquefois dans votre paquet les petits billets de l'abbé Bigorre, qui sait très bien ses nouvelles de Rome, Sévigné, 28 déc. 1689. C'est afin que, la poste de Provence arrivant, il [un commis de la poste] jette le paquet à celle de Bretagne, qui part le même jour, Sévigné, 25 mai 1680. Comme un frondeur fait tourner avec sa fronde la pierre qu'il veut jeter loin de lui, Fénelon, Tél. X. Il avale les dés et presque le cornet, jette le verre d'eau dans le trictrac, et inonde celui contre qui il joue, La Bruyère, XI. Quoi ! misérable, lui dit-il, me prends-tu donc pour un bâtard ? et en même temps il lui jeta sa coupe à la tête, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 134, dans POUGENS. Avant ce temps-là, un grec [homme appartenant à la religion grecque] jetait par la fenêtre un plat dans lequel un latin avait mangé, quand il ne pouvait pas jeter le latin lui-même, Voltaire, Lett. Chabanon, 18 janv. 1768. Les femmes, parées magnifiquement, étaient aux fenêtres, et jetaient des fleurs et des parfums sur les vainqueurs, Raynal, Hist. phil. I, 25.

    En termes de marine, faire le jet. Si, par tempête ou par la chasse de l'ennemi, le capitaine se croit obligé, pour le salut du navire, de jeter en mer une partie de son chargement, Art. 410 du Code de commerce.

    Fig. Adieu, ma chère comtesse ; jetez mes amitiés, mes compliments, mes embrassades, comme vous jugerez à propos, Sévigné, 26 oct. 1688.

    Jeter la plume au vent, voy. PLUME.

    Fig. Jeter de la poudre aux yeux, voy. POUDRE.

    Fig. Jeter de l'huile sur le feu, dans le feu, voy. HUILE, n° 2.

    Fig. Jeter le manche après la cognée, voy. MANCHE, s. m.

    Fig. Jeter la pierre à quelqu'un, voy. PIERRE.

    Fig. Jeter quelque chose au nez de quelqu'un, lui en faire objection, reproche (locution des gens de cour, dit de Caillères, en 1690). C'est un étrange fait du soin que vous prenez à me venir toujours jeter mon âge au nez, Molière, Éc. des mar. I, 1.

    Fig. Jeter son bonnet par-dessus les moulins, voy. BONNET, n° 1. Y jeter son bonnet, voy. BONNET, n° 2.

    Fig. Jeter sa langue aux chiens, voy. CHIEN, n° 3.

    Fig. N'être pas bon à jeter aux chiens, voy. CHIEN, n° 3.

    Fig. Il n'en jette pas sa part aux chiens, voy. CHIEN, n° 3.

    Fig. Jeter un os à quelqu'un, voy. os.

    Jeter son coussinet sur quelque chose, s'arranger de manière à l'obtenir par adresse ; locution tirée de l'usage de marquer sa place, de la retenir, en y mettant son coussin.

    Fig. Jeter quelque chose aux pieds de quelqu'un, lui en faire l'offre, l'abandon. Donnons-lui ce triomphe ; honneurs, lauriers, pouvoirs, Jetons tout à ses pieds ; je veux tout lui devoir, Delavigne, Paria, II, 5.

  • 2Jeter un châle, une mante, un manteau, etc. sur ses épaules, sur les épaules de quelqu'un, mettre avec quelque promptitude un châle, etc. sur ses épaules, sur les épaules de quelqu'un. Moi… qui n'avais précisément songé qu'à jeter sur moi une mauvaise robe, Marivaux, Marianne, 8e part. Ces pensées bouleversèrent tellement Mme de Maintenon, qu'il lui fut impossible de rester dans son lit ; elle jeta une robe sur ses épaules…, Genlis, Mme de Maintenon, t. II, p. 158, dans POUGENS.

    Ce vêtement, cette draperie, etc. est jetée avec grâce, avec élégance, en parlant d'un vêtement, d'une draperie disposés avec quelque négligence mais non sans grâce.

    Terme de peinture. Jeter une draperie, donner une certaine disposition aux plis de la draperie dont on revêt une figure. Les plis de cette draperie sont bien jetés.

    Fig. Jeter un voile sur quelque chose, le passer sous silence. Je ne veux point lever un œil présomptueux Vers le voile sacré que vous jetez sur eux [des secrets], Voltaire, Brutus, III, 3.

  • 3Jeter un pont sur une rivière, construire, établir un pont sur une rivière ; surtout en parlant des ponts que l'on fait à la hâte pour le passage des troupes, des armées. Scipion, ayant jeté un pont sur le Tésin, fit passer ses troupes, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. I, p. 404.

    Jeter les fondements d'un édifice, voy. FONDEMENT ; le langage technique dit plutôt : construire, poser, bâtir, maçonner les fondements d'un édifice.

    Fig. Il jeta les fondements de la religion, Bossuet, Hist. I, 7.

  • 4 Terme de marine. Jeter l'ancre, laisser tomber, de l'endroit du navire où elle est retenue, une ancre qui doit aller mordre la terre et s'y fixer, à l'effet de maintenir sur un point de la mer le navire que son câble lie à l'ancre, Jal L'expression jeter l'ancre a été d'usage lorsque les ancres étaient maniables ; mais, à présent qu'elles ont une pesanteur considérable, on dit toujours : laisser tomber l'ancre, ou bien mouiller, Legoarant

    Fig. Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages, Vers la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Lamartine, Méd. I, 13.

    Jeter le plomb, la sonde, lancer à la mer un plomb de sonde attaché à une corde mesurée, pour connaître la profondeur de l'eau ou la qualité du fond.

    Fig. Jeter son plomb, jeter ses plombs sur quelque chose, porter ses vues sur quelque chose, former un dessein pour parvenir à quelque chose, essayer, faire une tentative.

    Jeter le loch, lancer à la mer le loch pour connaître, par la longueur de la corde qui le retient, combien le na vire a fait de route pendant un temps donné.

    Jeter les grappins d'abordage, lancer d'un navire à un autre les grappins enchaînés, dont l'effet est de rapprocher et de tenir l'un à côté de l'autre deux bâtiments qui vont se battre bord à bord, Jal

    Fig. Jeter le grappin sur quelqu'un, se rendre maître de son esprit.

  • 5Se débarrasser de. Il jeta ce qu'il tenait à la main. Le traître avait jeté ces gages précieux, Pour n'être point connu par ces marques sanglantes, Voltaire, Mérope, II, 5. Ils tirent à vingt pas ; ils jettent aussitôt leurs fusils ; et… se précipitant entre les hommes et les chevaux, ils tuent les chevaux avec leurs poignards et attaquent les hommes, le sabre à la main, Voltaire, Louis XV, 34.

    Jeter les armes, jeter ses armes, les quitter, cesser de combattre. Dans les chutes fréquentes qu'ils [les soldats français] faisaient, leurs armes s'échappaient de leurs mains ; elles se brisaient ou se perdaient dans la neige ; s'ils se relevaient, c'était sans elles ; car ils ne les jetèrent point, la faim et le froid les leur arrachèrent, Ségur, Hist. de Nap. IX, II.

    Fig. et familièrement. Jeter le froc aux orties, voy. FROC.

    Fig. Jeter loin, dédaigner. Ne jetez pas si loin les livres de la Fontaine, il y a des fables qui vous raviront et des contes qui vous charmeront, Sévigné, 6 mai 1671.

  • 6Aux jeux de cartes, jeter ses cartes, les jouer. Avec les sept carreaux il avait quatre piques, Et, jetant le dernier, m'a mis dans l'embarras, Molière, Fâcheux, II, 2. J'ai jeté l'as de cœur, avec raison, me semble, Molière, ib.

    Jeter se dit aussi au piquet, à l'écarté, des cartes que l'on écarte, dont on se défait pour en prendre d'autres. J'ai jeté les cœurs. J'aurais eu une quinte, mais j'ai jeté mon jeu. Jeter les cartes, cesser la partie.

    Bassement et par un mauvais jeu de mots, jeter du cœur sur du carreau, jeter des fusées, vomir.

  • 7Mettre, placer, diriger, non sans quelque idée de violence ou du moins de rapidité. Un tourbillon de vent vous jette violemment sous une arche, Sévigné, 25. Vous, ma chère fille… vous que j'ai toujours aimée et souhaité d'avoir près de moi, voyez quel orage vous jette au bout du monde, Sévigné, 11 déc. 1675. M. de Rennes le désire [un domestique] d'une manière à ne pouvoir lui refuser ; nous y jetons un homme qui nous paraît bon, Sévigné, 3 juill. 1680. Dieu, qui suit toutes les parcelles de nos corps en quelque endroit du monde que la corruption ou le hasard les jette, Bossuet, Duch. d'Orl. Venez maintenant, pécheurs, quels que vous soyez, en quelques régions écartées que la tempête de vos passions vous ait jetés, Bossuet, Anne de Gonz. Quelle ardeur inquiète Parmi vos ennemis en aveugle vous jette ? Racine, Brit. I, 3. Où j'avais ouï dire que mon père avait été jeté par les vents, Fénelon, Tél. I. Je le jetai dans une voiture, et nous retournâmes à la maison, Marivaux, Fausses confid. I, 14. J'ignore en quels climats nous jette la tempête, Voltaire, Oreste, II, 1. Pour adoucir en moi cette âpre dureté Des climats où mon sort en naissant m'a jeté, Voltaire, Orphel. IV, 4. Cette province vit pour la première fois les Portugais en 1535, et ce fut une tempête qui les y jeta ; mais ils ne s'y établirent qu'en 1599, Raynal, Hist. phil. IX, 17.

    Fig. N'admirez-vous point où mon cœur me jette et m'égare ? je suis toute seule, je suis toute attendrie…, Sévigné, 1er oct. 1684.

    Fig. Jeter dans les bras, remettre à la garde, à la protection. Hé bien ! pour un enfant qu'ils ne connaissent pas, Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras…, Racine, Athal. III, 3.

    Jeter dans un couvent, faire entrer dans un couvent. Broglie était un si furieux amant, qu'il fut une des raisons qui la jetèrent [une dame] aux Carmélites, Sévigné, 2 oct. 1689.

    Fig. et poétiquement, jeter au lit de, obliger une femme à devenir épouse de. Ma déroute la jette au lit de Massinisse, Corneille, Sophon. III, 7.

    Fig. Faire entrer dans une société. Un autre incident me jeta dans des sociétés nouvelles, Marmontel, Mém. IX.

    Jeter quelqu'un dans un cachot, dans les fers, le mettre ou le faire mettre en prison. Celui qui avait pour lui les armées fut vainqueur, jeta son rival dans les fers, et, plus puissant qu'il ne l'avait espéré, se trouva le maître de toutes les provinces, Raynal, Hist. phil. VII, 5.

  • 8 Terme de guerre. Jeter des hommes, jeter une troupe, jeter des munitions, des vivres, etc. dans une place, les y faire entrer promptement dans le besoin. Buckingham est forcé de ramener en Angleterre ses troupes diminuées de moitié, sans même avoir jeté du secours dans la Rochelle, et n'ayant paru que pour en hâter la ruine, Voltaire, Mœurs, 176.

    Poster en avant ou d'une manière aventureuse. La 15e division restait encore ; le vice-roi l'appelle ; elle s'avance en jetant une brigade à gauche dans le faubourg, et une à droite dans la ville, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2.

  • 9 Terme de marine. Jeter son navire à la côte, l'y échouer exprès, afin d'éviter un danger plus grand.

    Jeter à la bande, rassembler, sur un seul point, des marchandises qui étaient éparses, afin de faire contre-poids.

  • 10 Terme de fauconnerie. Jeter l'oiseau du poing, le lancer après la proie. On dit : jeter le faucon et lâcher l'autour.
  • 11 Terme d'imprimerie. Jeter un blanc, ménager, laisser un blanc.

    On dit de même : jeter une espace, une interligne.

  • 12Jeter une couleur sur, donner une couleur à. Le peintre a jeté une teinte grise sur son tableau.

    Fig. La tristesse que l'idée de votre délicate santé a jetée sur toutes mes pensées, Sévigné, 9 mai, 1680. On admira comment Molière avait pu jeter tant de comique sur un sujet qui paraissait fournir plus de pédanterie que d'agrément, Voltaire, Vie de Molière.

    Dans un sens analogue, jeter l'ombre, les ténèbres, produire l'obscurité. Et l'enfer, couvrant tout de ses vapeurs funèbres, Sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres, Racine, Esth. Prologue. Quand la nuit sombre Sur ces coupables murs viendra jeter son ombre, Voltaire, Sémiram. I, 3.

    Par extension. Tant le sort entre nous a jeté de mystère ! Crébillon, dans DESFONT.

  • 13Diriger quelque partie du corps d'un certain côté. Il jeta la tête en arrière.

    Jeter les yeux, la vue, les regards sur, regarder, considérer. L'acteur ayant récité ce vers qui contenait l'éloge d'Amphiaraüs : il ne veut point paraître homme de bien et juste, mais l'être effectivement, tout le monde jeta les yeux sur Aristide, et lui en fit l'application, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. III, p. 135, dans POUGENS. C'est donc là le dernier [regard] que tu jettes sur elle ! Voltaire, Tancr. V, 6. Sur ce billet au moins daignez jeter la vue, Voltaire, Triumv. III, 2.

    Fig. Jeter les yeux sur quelqu'un, signifie quelquefois avoir sur quelqu'un des vues particulières. Il a jeté les yeux sur ce jeune homme pour en faire son gendre. Par moi seule éloigné de l'hymen d'Octavie… Silanus, sur qui Claude avait jeté les yeux…, Racine, Brit. I, 1.

  • 14Pousser avec violence, faire tomber. Ô toi qui n'attends plus que la cérémonie Pour jeter à mes pieds ma rivale punie, …Poison, me sauras-tu rendre mon diadème ? Corneille, Rodog. V, 1. Quand dans le sein d'Araspe un poignard enfoncé Le jette aux pieds du prince, Corneille, Nicom. V, 8. À côté de son maître il le jette sans vie, Voltaire, Mérope, V, 6.

    Jeter par terre, jeter à terre, faire tomber à terre. Jeter un homme par terre. Il crache sur le lit et jette son chapeau à terre, La Bruyère, XI. Il n'est pas rare de voir les litornes se rassembler au nombre de deux ou trois mille dans un endroit où il y a des alises mûres, et elles les mangent si avidement qu'elles en jettent la moitié par terre, Buffon, Ois. t. V, p. 419, dans POUGENS.

    Jeter une maison, une cloison, un mur, etc. par terre, démolir, abattre une maison, une cloison, etc. Nos maisons ont été jetées par terre, Sacy, Bible, Jérémie, IX, 19.

    On dit dans le même sens : jeter bas.

    Fig. Un même instant conclut notre hymen, et la guerre Fit naître notre espoir et le jeta par terre, Corneille, Hor. I, 3.

    Jeter une porte en dedans, la forcer en en faisant sauter la serrure. Il est un moyen de jeter en dedans cette légère porte, Beaumarchais, Mar. de Fig. II, 13.

  • 15 Fig. Mettre quelqu'un dans une certaine manière d'être. Soulever votre peuple, et jeter votre armée Dedans les intérêts d'une reine opprimée, Corneille, Nicom. IV, 2. De Vinius par là gagnant la bienveillance, Il a su le jeter dans une autre espérance, Corneille, Othon, III, 1. Vous mettez par-dessus tout cela des remerciements, des douceurs charmantes, des agréments qui nous jettent dans la confusion, Sévigné, 30 mars 1689. Il s'agit d'une addition au livre XIV, qui a jeté M. Jurieu dans d'étranges emportements, Bossuet, Var. 2e avert. § 11. Dans quel trouble, seigneur, jetez-vous mon esprit ! Racine, Bérén. I, 3. Dans quels égarements l'amour jeta ma mère ! Racine, Phèdre, I, 3. De ce refus bizarre où seraient les raisons ? Il pourrait me jeter en d'étranges soupçons, Racine, Athal. II, 5. Cette idolâtrie des richesses qui me jette dans des gains injustes, Massillon, Avent, Dispos.

    Faire naître certains sentiments. Et leur division que je vois à regret Dans mon esprit charmé jette un plaisir secret, Corneille, Cid, II, 5. Cessez, vaines frayeurs, cessez, lâches tendresses, De jeter dans mon cœur vos indignes faiblesses ! Corneille, Cinna, I, 1. [Si] La crainte de vous faire un funeste présent Ne me jetait dans l'âme un remords trop cuisant, Corneille, Rodog. III, 5. Il n'a rien dit, madame, Qui vous doive jeter aucun trouble dans l'âme, Corneille, Nicom. I, 3. Il pouvait, sous l'appât d'une feinte promesse, Jeter dans les soldats un moment d'allégresse, Corneille, Othon, IV, 2. Il est vrai que de passer ma vie sans vous voir y jette une tristesse et une amertume à quoi je ne puis m'accoutumer, Sévigné, 28 mai 1676. On pouvait jeter dans son âme quelques fausses impressions, mais…, Fléchier, duc de Mont. Vous, cependant, allez ; et, sans jeter d'alarmes, à tous mes Tyriens faites prendre les armes, Racine, Athal. II, 6. Vous jetez la discorde au sein de ma famille, Lamotte, Inès de Castro, III, 3. Quelle horreur jetez-vous dans mon cœur étonné ? Voltaire, Marianne, I, 4. Davoust, avec vingt-cinq mille hommes, resta à l'arrière-garde ; pendant qu'il avançait de quelques pas et jetait, sans le savoir, la terreur chez les Russes. la grande armée étonnée leur tournait le dos, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2. Poëtes, j'eus toujours un chant pour les poëtes, Et jamais le laurier qui pare d'autres têtes, Ne jeta d'ombre sur mon front, Hugo, Odes, III, 1.

  • 16 Fig. Jeter loin, jeter dans, obliger à reporter à une époque éloignée ce qu'on veut faire. Je ne voudrais point que vous allassiez repasser la Durance… cela vous jette trop loin dans l'hiver, Sévigné, 1er juill. 1676. Cela [un retard] vous jettera dans le mois de janvier, et c'est pour en mourir, Sévigné, Jour de la Toussaint, 1680.
  • 17Faire subir. Le bon exemple que vous voulez donner [en faisant le jubilé] vous jettera dans de plus grandes fatigues, Sévigné, juillet 1690.

    Mener à. Pour moi, je suis dans l'histoire de France ; les croisades m'y ont jetée, Sévigné, 6 nov. 1675.

    Entraîner à. Pour son style [d'une dame pleine d'affectation], il m'est insupportable, et me jette dans des grossièretés, de peur d'être comme elle, Sévigné, 13 août 1677. Fig. Jeter, se dit aussi des choses abstraites que l'on assimile à quelque chose qui se jette. Seigneur, à découvert, toute âme généreuse D'avoir votre amitié doit se trouver heureuse ; Mais nous n'en voulons plus avec ces dures lois Qu'elle [Rome] jette toujours sur la tête des rois, Corneille, Nicom. V, 10. Si ce nom sur leur front jette tant d'infamie, Corneille, Tois. d'or, I, 2. Et je ne voudrais pas par des efforts trop vains Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins, Molière, D. Garcie, V, 3. Cela [les lettres] rapproche ; on est occupée des pensées que cela jette dans l'esprit, Sévigné, 10 nov. 1675. Je jette cette pensée dans cette lettre, Sévigné, 8 sept. 1680. Vous ririez de voir comme tous les vices et toutes les vertus sont jetés pêle-mêle dans le fond de ces provinces, Sévigné, 21 juin 1680. La main qui jette tout cela [les vertus et les vices] dans son univers sait fort bien ce qu'elle fait, et tire sa gloire de tout, et tout est bien, Sévigné, 21 janv. 1680. Jamais personne n'a jeté des charmes dans l'amitié comme vous faites, Sévigné, 5 nov. 1688.

    Jeter des propos, avancer des propos qui vont indirectement à insinuer ou à découvrir quelque chose. Ce ministre a jeté des propos de paix, de guerre. Puisque le propos en est jeté, il faut que je le suive, Diderot, Salon de 1767, Œuvres, t. XIV, dans POUGENS.

    On dit, dans un sens analogue, jeter des paroles, des pensées. Pour moi, je jette de loin ces paroles en l'air, Sévigné, 22 juill. 1685. Ce sont des pensées que je vous jette, et dont vous ferez tel usage que vous trouverez à propos, Sévigné, 28 fév. 1685.

    Jeter des soupçons contre quelqu'un, faire soupçonner quelqu'un.

    Jeter des brocards, se moquer. Jeter des louanges, louer. Je vous dirai franchement… qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à votre sujet, Molière, l'Avare, III, 5. Vous me jetez tant de louanges au travers de toutes mes imperfections…, Sévigné, 14 juill. 1680.

  • 19Jeter sur le papier, tracer, écrire à la hâte. Jeter ses idées, un plan, une esquisse sur le papier. Voilà tout ce que mon imagination me fait jeter sur ce papier, sans art, sans arrangement, à course de plume, Sévigné, Lett. à Guitaut, 23 janv. 1682. Je respecte le génie et l'éloquence de M. Pascal ; mais plus je les respecte, plus je suis persuadé qu'il aurait lui-même corrigé beaucoup de ces pensées qu'il avait jetées au hasard sur le papier pour les examiner ensuite ; et c'est en admirant son génie que je combats quelques-unes de ses idées, Voltaire, Rem. Pens. Pasc. Préambule.
  • 20Faire signifier, dénoncer. Jeter une excommunication, la publier, la fulminer. L'évêque d'Agen a jeté un monitoire, il y a beaucoup de protestants en prison, Voltaire, Lett. Damilaville, 1er août 1767.

    Jeter les bans d'un mariage, faire les annonces au prône.

    Terme de droit canon. Jeter un dévolu, voy. DÉVOLU.

    Fig. et familièrement. Jeter son dévolu sur, voy. DÉVOLU.

  • 21Rejeter sur, attribuer. Au moindre jour ouvert de tout jeter sur moi, Corneille, Rodog. V, 4. Jeter sur la conduite de Dieu ce qui n'est causé que par le déréglement de l'homme, Fléchier, Serm. I, 29.

    Exciter à parler de. Feignons, pour le jeter sur l'amour de son maître, Molière, Dép. I, 3.

  • 22Il se dit de l'argent, des valeurs qu'on fait entrer dans la circulation. Les appartements du roi [par la fonte des meubles d'argent] ont jeté six millions dans le commerce, Sévigné, 21 déc. 1689.
  • 23Jeter l'argent, être prodigue. L'on dit des merveilles de sa belle âme, et de la générosité de M. le prince de Conti, il jette l'argent héroïquement, Sévigné, 400. Le roi fait des libéralités immenses ; en vérité, il ne faut point se désespérer ; quoiqu'on ne soit pas son valet de chambre, il peut arriver qu'en faisant sa cour, on se trouvera sous ce qu'il jette, Sévigné, 12 janv. 1680. Monseigneur fait des merveilles [à Philisbourg]… jetant l'argent avec choix, disant du bien…, Sévigné, à Bussy, 3 nov. 1688. On lui vient [à Mme de Montespan] demander des charités pour les églises ; elle jette beaucoup de louis d'or partout fort charitablement et de fort bonne grâce, Sévigné, 15 mai 1676. La facilité avec laquelle la plupart jettent l'argent fait soupçonner qu'il ne leur coûte pas beaucoup, Brueys, Grondeur, II, 20.

    Fig. J'admire comme il passe, ce temps… pour moi, vous savez comme je le jette et comme je le pousse jusqu'à ce que vous soyez ici, Sévigné, 5 avr. 1680. Je jetterais le temps à pleines mains comme autrefois, Sévigné, 23 nov. 1689. On avance dans un temps auquel on aspire… on est libérale des jours, on les jette à qui en veut, Sévigné, 10 janv. 1689.

    Jeter son bien, jeter tout par les fenêtres, c'est-à-dire dissiper son bien en folles dépenses.

    Il ne jette pas son bien par la fenêtre, il ne jette pas les épaules de mouton toutes rôties, c'est-à-dire il est bon ménager de son bien.

    On dit aussi : C'est un homme d'ordre et qui ne jette rien.

    Fig. et familièrement. Jeter une marchandise à la tête, l'offrir à vil prix. Si j'avais un conseil à vous donner, ce serait de réduire un peu l'ancien prix établi à Genève, mais de ne point jeter à la tête une édition qu'alors on jette à ses pieds, Voltaire, Lett. Panckoucke, mars 1769.

    Fig. et familièrement. Jeter une chose à la tête de quelqu'un, la lui offrir sans qu'il la demande. Ne pensez pas que je lui jette mon bien à la tête, que je lui jette ma fille à la tête. Les meilleures choses sont dégoûtantes quand elles sont jetées à la tête, Sévigné, 27 mai 1672. Les jours passeront ; j'ai vu que j'en étais avare ; je les jette à la tête présentement, Sévigné, 20 oct. 1679.

  • 24Calculer avec des jetons. Jetez ces sommes-là ; je les ai jetées, et j'ai trouvé qu'elles montent à… Apprendre à jeter.

    Ce sens est vieilli. On disait jeter, parce qu'on se servait de jets ou jetons.

  • 25Jeter au sort, décider quelque chose par la voie du sort. Ils ont partagé entre eux mes vêtements, et ont jeté ma robe au sort, Sacy, Bible, Évang. St Matthieu XXVII, 35.

    Jeter les dés, les lancer hors du cornet pour amener les points.

    Fig. Le dé en est jeté, le parti en est pris.

    On dit dans le même sens : Le sort en est jeté. Le sort en est jeté, monsieur, n'en parlons plus, Corneille, Cid, II, 1.

    Jeter des lots, les tirer au sort.

    Terme d'ancienne coutume. Répartir une imposition.

  • 26Pousser, envoyer, lancer hors de soi. Je cours au temple alors où la lampe allumée Jette, au lieu de lumière, une noire fumée, Rotrou, Antig. V, 5. On prétend que le lendemain le corps de ce prince [le duc d'Orléans assassiné qu'on avait porté dans l'église des Blancs-Manteaux] jeta du sang, lorsque le duc de Bourgogne, qu'on ne connaissait point encore pour l'auteur de cet assassinat et qui voulut faire bonne contenance, se présenta pour lui donner l'eau bénite, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuv. t. III, p. 288, dans POUGENS. L'esprit naturel des habitants ne jetait aucune étincelle, Voltaire, Mœurs, 40. La queue est de la même couleur, mais d'une teinte plus foncée, et jette des reflets dorés d'un très bel effet, Buffon, Ois, t. XII, p. 155. La flamme des trépieds jetait des feux sinistres, Delavigne, Paria, I, 2.

    Jeter des larmes, pleurer. Je jette des larmes de joie, Molière, D. Juan, V, 1.

    Jeter un soupir, un cri, faire un soupir, un cri. Je forcerai mon cœur sans jeter de soupirs, Du Ryer, Scévole, V, 2. L'air résonne des cris qu'au ciel chacun envoie, Albe en jette d'angoisse et les Romains de joie, Corneille, Hor. IV, 2. Léontius fut effrayé ; il jeta quelques soupirs, et se retira fort en colère, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VIII, p. 84. Ce vieillard vénérable A jeté dans mes bras un cri si lamentable, Voltaire, Fanat. IV, 4. Bientôt… mais de la mort la main lourde et muette Vient de toucher la corde [de la lyre du poëte] ; elle se brise et jette Un son plaintif et sourd dans le vague des airs, Lamartine, Méd. II, 5.

    Fig. et familièrement. Jeter les hauts cris, se récrier, se plaindre hautement.

    Jeter des menaces. Jeterai-je toujours des menaces en l'air, Sans que je sache enfin à qui je dois parler ? Corneille, la Suiv. V, 2. Ce n'est plus cette done Elvire qui faisait des vœux contre vous, et dont l'âme irritée ne jetait que menace et ne respirait que vengeance, Molière, D. Juan, IV, 9.

    Fig. et familièrement. Il a jeté tout son venin, c'est-à-dire il a dit, dans l'emportement de sa colère, tout ce qu'il avait sur le cœur.

    Fig. et familièrement. Jeter son feu, tout son feu, voy. FEU, n° 38.

    Jeter feu et flamme, voy. FEU, n° 1.

    Fig. et familièrement. Cet homme jette un vilain coton, voy. COTON.

  • 27Jeter des œufs, être ovipare. Parmi les animaux, les uns jettent des œufs, les autres sont vivipares, Voltaire, Singul. nat. XXIX.
  • 28En parlant des mouches à miel, produire et mettre dehors un nouvel essaim. Les mouches ont jeté deux essaims cette année. Quelques pleines que fussent les ruches prêtes à jeter leur essaim, Rousseau, Conf. VI.

    Absolument. Ces mouches n'ont point encore jeté.

  • 29En parlant des arbres et des plantes, produire des bourgeons ou des scions. Cette vigne a bien jeté du bois. Cet arbre a jeté des scions. Il accourt ; devant lui l'herbe jette des fleurs, Chénier, Hylas.

    Absolument. Les arbres commencent à jeter.

    Jeter de profondes racines, s'enraciner profondément. Les arbres jettent des racines plus profondes les uns que les autres.

    Fig. Cet abus avait jeté de si profondes racines qu'il était difficile de l'extirper.

  • 30Rendre de l'humeur. Cet abcès jette du pus. Il y a quatre jours qu'il prit une fantaisie à ma jambe de s'enfler et de jeter des feux et des sérosités, Sévigné, 15 avr. 1685.

    Absolument. La plaie commence à jeter. Son cautère jette beaucoup.

    Ce cheval jette sa gourme, il a par les narines un écoulement dû à la gourme.

    Fig. Jeter sa gourme, exhaler sa mauvaise humeur, ou, pour un enfant, être hargneux et difficile, ou, pour un jeune homme, se mal conduire, ou, pour un jeune auteur, produire d'abord des choses faibles ou folles. Absolument. On dit qu'un cheval jette, quand il a un écoulement par les narines, et spécialement dans le cas de morve.

  • 31 Terme de vénerie. Ce cerf jette sa tête, il quitte son bois.

    Le cerf jette ses fumées, il se vide.

  • 32Faire couler du métal fondu dans quelque moule afin d'en tirer une figure. Jeter une figure, une statue en bronze. Jeter en moule.

    Jeter en sable, prendre un moule avec du sable.

    Fig. Jeter en sable, avaler d'un trait. Je vais jeter en sable à toi ce petit coup, La Fontaine, Ragotin, II, 7. Si vous lui apprenez qu'il y a un Tigellin qui souffle ou jette en sable un verre d'eau-de-vie…, La Bruyère, XIII.

    Absolument. Ce fondeur jette bien.

    Fig. et familièrement. Cela ne se jette pas en moule, se dit d'un ouvrage qui ne peut se faire qu'avec beaucoup de soin et de temps.

  • 33 Terme de potier d'étain. Jeter sur la pièce, ajuster une anse ou une pièce sur un vase par le moyen d'un moule.

    Terme de chandelier. Jeter des chandelles, des bougies, les fabriquer au moule.

    Terme de passementier. Jeter en soie, couvrir un bouton de soie tournée sur la bobine.

  • 34Se jeter, V. réfl. Être jeté. Les pierres qui se jetaient avec les frondes.
  • 35Être prodigué, en parlant de l'argent. Cet homme [Penautier, lie avec la Brinvilliers] a un nombre infini d'amis d'importance… ils n'oublient rien pour le servir ; on ne doute pas que l'argent ne se jette partout, Sévigné, 10 juill. 1676.
  • 36Se jeter, se lancer soi-même. Me jeter du pont Neuf à bas dans la rivière, Régnier, Sat. VIII. Vous tentez Dieu, et vous vous jetez à terre du haut du pinacle, dans l'espérance de trouver entre deux les mains des anges, Bossuet, Élévat. sur myst. XXIII, 4. Un homme de bon sens ne se jette pas par la fenêtre ; c'est d'une nécessité morale, Bonnet, Essai psychol. ch. 47.

    Par personnification. Ce fleuve, cette rivière se jette dans telle autre, se jette dans la mer, dans un lac, etc. ce fleuve, cette rivière se rend, va se perdre dans telle autre, etc.

    Fig. Vous y voulez tomber [dans le précipice], je m'y jette avec vous, Voltaire, Adélaïde, IV, 5.

    Terme de manége. Se jeter sur l'éperon, sur le talon, sur la jambe droite ou gauche, se dit d'un cheval qui pousse son corps du côté où le cavalier approche l'éperon, le talon ou la jambe, au lieu de céder à ces aides.

    Terme de marine. Se jeter à la côte, y échouer son navire.

  • 37Se précipiter, se porter impétueusement. Se jetant à ces mots sur le vin et l'encens, Corneille, Poly. III, 2. Je me jette au-devant du coup qui t'assassine, Corneille, Pomp. IV, 4. Ce que Moïse ayant entendu, il se jeta le visage contre terre, Sacy, Bible, Nombres, XVI, 4. Montgaillard se jeta sur lui comme un furieux… Pont-Gand tire son épée, et lui en donne au travers du corps, et le jette mort, Sévigné, 20 sept. 1675. Le coup de canon… emporta le bras de Saint-Hilaire… le fils de Saint-Hilaire se jette à son père, et se met à crier, Sévigné, 9 août 1675. Un lion affamé vint se jeter sur mon troupeau, Fénelon, Tél. II. César, outré des bruits qu'on répandait contre son honneur et sa réputation, se jette dans la ville, court par les rues…, Vertot, Révol. rom. XIV, 319. Puis tout à coup se jetant sur eux deux : Monsieur, dit-il, s'adressant à l'un d'eux…, Delille, Convers. II. Enfin, lorsque le besoin est extrême, il [le loup] s'expose à tout, il attaque les femmes et les enfants, se jette même quelquefois sur les hommes, devient furieux par ces excès, qui finissent ordinairement par la rage et la mort, Buffon, Quadrup. t. II, p. 187.

    Fig. Sous quel appui tantôt mon cœur s'est-il jeté ? Racine, Mithr. II, 6.

    Familièrement. Se jeter sur la friperie de quelqu'un, l'outrager de paroles.

    Se jeter sur un lit, sur un siége, s'y asseoir, s'y coucher avec précipitation. Il se jeta sur un lit, n'en pouvant plus, Sévigné, 8 déc. 1673. Mme de Clémire, qui n'avait pas fermé l'œil de la nuit précédente, se jeta sur son lit, Genlis, Veillées du chât. t. I, p. 5, dans POUGENS.

    Se jeter à genoux, se mettre précipitamment à genoux. Allez, seigneur, vous jeter à ses pieds, Racine, Andr. II, 5. Le roi, maître de leurs retranchements, se jeta à genoux pour remercier Dieu du premier succès de ses armes, Voltaire, Charles XII, 2. Cette femme éperdue à vos sacrés genoux demande à se jeter, Voltaire, Orphel. III, 1.

    Se jeter au cou de quelqu'un, lui passer les bras autour du cou en l'embrassant. Quand il [le maréchal de Grammont] fut seul avec le père [Bourdaloue qui venait lui annoncer la mort de son fils], il se jeta à son cou, lui disant qu'il devinait bien ce qu'il avait à lui dire, Sévigné, 8 déc. 1673.

    Se jeter dans les bras, entre les bras de quelqu'un, se faire serrer, embrasser par quelqu'un. [Le duc d'Enghien] se jetant entre ses bras [du prince de Condé] et dans le sein paternel, Bossuet, Louis de Bourbon.

    Fig. Se jeter dans les bras, chercher un appui. Ne vous jetez donc point, madame, en d'autres bras, Corneille, Sertor. III, 4. Jetons-nous dans les bras qu'on nous tend avec joie, Racine, Mithr. III, 1.

    Fig. Se jeter à la tête de quelqu'un, et, absolument, se jeter à la tête, s'offrir avec empressement et sans être recherché. Cette conduite de ne vous point jeter à la tête et de laisser place aux désirs de vous voir, Sévigné, à Coulanges, 28 mai 1695.

    Se jeter sur quelque chose, signifie quelquefois s'y porter avidement. Les chasseurs mouraient de faim, ils se jetèrent sur un pâté qu'ils avaient apporté. Les archers français, prenant ce premier avantage pour le gain de la bataille, se jetèrent sur le bagage et se mirent à piller au lieu de combattre, Duclos, Hist. de Louis XI, Œuv. t. III, p. 227, dans POUGENS.

    Se jeter entre les mains, se remettre au pouvoir. Mais un second otage entre mes mains se jette, Corneille, Nicom. V, 7.

    Se jeter dans, se dit aussi de tout ce qui est comparé à quelque abîme. Ce serait d'un malheur vous jeter dans un pire, Corneille, Attila, II, 1. Eutychès, qui ne put combattre cette hérésie qu'en se jetant dans un autre excès, ne fut pas moins fortement rejeté, Bossuet, Hist. I, 11.

    Se jeter à ou dans, tourner ses vues, ses désirs vers. Il se jettera à d'autres desseins, et pensera à se rendre maître de quelques îles, Pascal, Pensées, prophét. 26, éd. FAUGÈRE.

  • 38Se jeter, faire une expédition militaire. Un prince justement irrité se jette sur les terres de son ennemi, Bossuet, 2e sermon, Annonciation, I.

    Attaquer avec impétuosité. Hirtius trouva un endroit [des lignes d'Antoine] faible et moins défendu, qu'il emporta l'épée à la main ; il se jeta ensuite dans le camp, Vertot, Révol. rom. XIV, 326.

  • 39Entrer, se réfugier précipitamment en quelque endroit. On poursuivit le voleur, mais il se jeta dans une allée obscure, et disparut. Il se jette dans une voiture et se fait conduire chez lui. Il se jeta dans la place avec un millier d'hommes.

    Fig. Se jeter dans un couvent, s'y retirer. Je le menacerai de me jeter dans un couvent, Molière, Pourc. I, 4.

    Se jeter dans un désert, s'y réfugier. Je suis en colère contre le monde entier, je m'en vais me jeter dans un désert, Sévigné, à Bussy, 22 sept. 1688.

  • 40Aller, se rendre imprudemment en quelque lieu. Nous ne voulons pas nous aller jeter dans la fureur qui agite notre province, Sévigné, 24 juill. 1675.
  • 41 Fig. Prendre, accepter, se laisser aller. Il faut se jeter promptement dans la soumission que nous devons à la Providence, Sévigné, 20 oct. 1675. Cela est fort honnête à vous de vous jeter dans le vert et le bleu, aussitôt que vous apprenez la mort de notre pauvre cousine, Sévigné, 21 août 1680. Nous avons juré à table de ne nous plus jeter dans de pareils soupers, Sévigné, 31 juill. 1680. M. de Grignan s'est jeté dans cette superfluité [un double menton], Madame de Grignan, à Bussi, dans SÉV. 28 oct. 1685. Une téméraire jeunesse se jetait sans étude et sans connaissance dans les charges de la robe, Fléchier, Lamoignon. Mme de Gerville s'est jetée dans la dévotion, Genlis, Ad. et Théod. t. III, p. 382, dans POUGENS.

    Se jeter en un parti, se ranger du côté de ce parti. Mais, lorsqu'en un parti, Sunnon, l'on s'est jeté, Regarder en arrière est une lâcheté, Saurin, Spart. I, 1. Il leur parla avec tant de hauteur que la plupart, piqués de ses reproches, se jetèrent dans l'armée de Marius, Vertot, Révol. rom. X, 55. On pendit sur-le-champ, par ordre d'Antoine, un grand nombre d'esclaves qui s'étaient jetés dans le même parti, Vertot, ib. XIV, 188.

  • 42Se jeter au travers, à la traverse, entre, venir déranger. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, Molière, Préc sc. 5. On ne vient point ainsi se jeter au travers d'une comédie et troubler un acteur qui parle, Molière, Comtesse, 21. Il n'y a rien sur la terre ni de si bien concerté par la prudence, ni de si bien affermi par le pouvoir, qui ne soit souvent troublé et embarrassé par des événements bizarres qui se jettent à la traverse, Bossuet, 2e sermon, purific. 2. Un nouvel embarras se jeta entre nous, Staal, Mém. t. II, p. 154.
  • 43Se jeter sur, se dit des humeurs, des maladies qui attaquent une partie du corps. La goutte s'est jetée sur l'estomac. La furie de votre sang, qui vous a fait si souvent du ravage, m'empêche de rire quand il se jette ainsi dans votre gorge, Sévigné, 8 oct. 1684. Une humeur de soixante et seize ans s'est jetée sur mes glandes, et le contrôleur général sur mes rescriptions, Voltaire, Lett. Chabanon, 7 mars 1770.

    Impersonnellement. Quand ma petite dernière plaie [à la jambe] a été fermée, il s'est jeté aux environs un feu léger, Sévigné, 7 mars 1685.

  • 44Se jeter sur, parler de. Je ne veux pas me jeter sur les passages des Pères [de l'Église], Bossuet, Lett. 181. Il s'échauffe dans la conversation… de là il se jette sur ce qui se débite au marché, La Bruyère, Théoph. III. Je ferai comme Simonide, qui, n'ayant rien à dire de je ne sais quel athlète, se jeta sur les louanges de Castor et de Pollux, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 14 mai 1773.

    Se jeter au travers, parler sans réticence. Il [Bourdaloue] se jeta sans balancer tout au travers de ses égarements [du prince de Condé] et de la guerre qu'il a faite contre le roi, Sévigné, 25 avr. 1687.

    Se jeter parmi, entreprendre le récit. Mon esprit ne se résoudrait jamais à se jeter parmi tant d'horreurs [la révolution anglaise], si…, Bossuet, Reine d'Anglet.

    Se jeter dans, se laisser aller à. Là-dessus, M. le chancelier s'est jeté dans de grands discours, pour faire voir le pouvoir légitime de la chambre, Sévigné, 17 nov. 1664. À tout hasard je me suis jetée dans ces détails, Sévigné, à Moulceau, 26 mai 1683. Voir de quelle manière je m'y étais pris… pour me jeter dans le style doucereux, Boileau, Prolog. d'opéra, Avert. au lecteur.

  • 45Avoir recours. Chiverny se jeta aux pardons, à l'obscurité et à ce qu'il put trouver d'excuses, Saint-Simon, 71, 174.

    PROVERBE

    Qui bien jettera, son compte trouvera, c'est-à-dire lorsqu'on calcule exactement ses dépenses, on n'outre-passe point son revenu.

HISTORIQUE

Xe s. Enz en l' fou la getterent, com arde tost [ils la jetèrent dans le feu, afin qu'elle brûle tôt], Eulalie.

XIe s. Jo jetai vos choses de la nef par poür [peur] de mort, Lois de Guill. 38. Getet serez sur un malvais somier [bête de somme], Ch. de Rol. XXX. Haubert et haume i getent grant flambur [éclat], ib. CXXXV. À icest coup [ils] en jetent mort sept mille, ib. CCLVII. Jetez mei [sauvez-moi] hui de mort et de calunje [accusation], ib. CCLXXVI.

XIIe s. Cil court plus tost qu'ars [arc] ne gete bougon [flèche], Ronc. 74. Puis i faites jeter [au feu] le glouton souzduiant, ib. 199. Que ma dame ne me jet de prison, Couci, VII.

XIIIe s. Ele l'entent [son ami], si lui geta un ris, Audefroi le Bastard, Romancero, p. 40. Il commança par grant estude entendre diligemment à piteuses oevres, les quex li hermitaiges li avoit enseignié, c'est à savoir lui giter sovant en oroisons, sovantes fois geüner, Légende en prose de Girart, cité dans J. des savants, avril 1860, p. 202. Lors a la male serve un mout grant cri gete, Berte, X. Quant s'estoit relevée, mout grâns soupirs [elle] getoit, ib. XXVIII. Or me veuillez, dous sire, de cest peril jeter, ib. XLII. Et cil asegia Andrenoble, et i dreça trente perrieres qui gitoient en la cité et as murs et as tors, Villehardouin, CLXIX. Il a pris de l'un poing en l'autre Le faucon pour jeter à droit, l'Escoufle. El giete par tout feu et flame, Preste de perdre et cors et ame, la Rose, 9837. Il est voirs [vrai] que, quant il [Romulus et Rémus] furent né, l'on les gita sor une riviere…, Latini, Trés. p. 43. S'il avient qu'aucuns tienne son fief sans fere homage et li sires ne gete pas la main au fief, parce qu'il n'en set mot, Beaumanoir, XIV, 17. Le roy me dist que ce moustier estoit fait en l'onneur du miracle que Dieu fist du dyable que il geta hors du cors de la fille à la veuve femme, Joinville, 279.

XIVe s. Les compaignons de la dicte ville et plusieurs autres du pays environ se esbatoient à jeter à un pourcel pendu à une attache…, Lett. de remission, dans LACURNE. Maudit soit-il de Dieu qui le monde crea, Qui de traire et jetter tout premier s'avisa ! Car oncques hardis homs si ne le purpensa, Guesclin. V. 20037-20060. Jetteront [répartiront] sur eulx les diz habitans leurs dictes tailles, Du Cange, gita. Icellui jour, après souper, le dit Jehan dist qu'il vouloit jetter la pierre [sorte de jeu], et y mettoit un franc au plus hardi, Du Cange, jactare.

XVe s. [Le duc d'Anjou] jeta son avis à aller mettre le siege devant Bergerac, Froissart, II, II, 1. Et eut là certains articles de traités faits, jetés et accordés entre le roi d'Angleterre et le jeune comte, Froissart, I, I, 311. Adonc disoit le roi : Connestable, jetez l'oisel, si verrons comment il chassera et volera, Froissart, II, II, 164. Et comme ils furent si près qu'ils gettoient les lances en arrest, Commines, I, 3. Et si luy avoit emblé ung jeune lyon qui le suivoit, que la lyonnesse qu'il avoit occise avoit jecté [mis bas] celle année, Perceforest, t. II, f° 108.

XVIe s. Ceux-ci, estans bien conjoints ensemble, devroient jetter les fondements d'un si magnifique dessein, Lanoue, 391. Tost après la playe ne jette plus et se consolide, Paré, VII, 5. Se jecter à l'abri des coups dans une place, Montaigne, I, 25. Se jecter dans le vague champ des imaginations, Montaigne, I, 32. Qu'on jecte une poultre entre ces deux tours, Montaigne, II, 366. Ceux-là se vindrent tous ensemble jetter aux piedz de Marcellus, Amyot, Marc. 18. Si c'estoit en hyver, il jettoit seulement une jacquette sur ses espaules, Amyot, Caton, 6. Il jetta Aristobulus hors de toutes ses forteresses, Amyot, Anton. 3. Il se mit à la voile et se jetta en pleine mer, Amyot, ib. 10. … Ny en quelle sorte il les faut mettre en terre à fin qu'ils prennent et jectent mieux, La Boétie, 241. La terre jecte des herbes infinies de toutes sortes, La Boétie, 251. Parlant aux flots, leur jecta ceste voix, La Boétie, 444. Pour bien jeter et dejeter, faut bien entendre et peu parler, Manuel de l'amateur de jetons, par DE FONTENAY, p. 125, 1854. Jecter son lard aux chiens, Cotgrave Jecter la pierre et cacher le bras, Cotgrave

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

JETER. Ajoutez : - REM. On trouve jeter dit pour mettre bas, en parlant des femelles d'animaux. Une bonne jument pleine, un très beau bœuf, une génisse prête à jeter le veau, Avranchin, 29 août 1875. Comparez cela au n° 27 de jeter.

Version électronique créée par François Gannaz - http://www.littre.org - licence Creative Commons Attribution

Étymologie de « jeter »

Du latin jactare (« jeter »).
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Berry, giter ; provenç. gitar, gietar, getar ; espagn. jitar, jetar ; ital. gittare, gettare ; du latin jactare, fréquentatif de jacio (voy. JET).

Version électronique créée par François Gannaz - http://www.littre.org - licence Creative Commons Attribution

Phonétique du mot « jeter »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
jeter ʒœte

Fréquence d'apparition du mot « jeter » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « jeter »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « jeter »

  • Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l’organisation sociale : démoraliser partout et jeter la main du ciel en enfer, les yeux de l’enfer au ciel, rétablir la roue féconde d’un cirque universel dans les puissances réelles et la fantaisie de chaque individu.
    Tristan Tzara — Manifeste dada
  • Le suprême triomphe de la raison est de jeter le doute sur sa propre validité.
    Miguel de Unamuno
  • Pourquoi se jeter à l'eau avant que la barque n'ait chaviré ?
    Proverbe chinois
  • Nous pouvons jeter des pierres, nous plaindre d’elles, trébucher dessus, les escalader, ou les utiliser pour construire.
    William Arthur Ward
  • Celui dont la maison est de verre doit se garder de jeter des pierres aux autres.
    Proverbe allemand
  • Il ne faut jamais jeter la pierre à une femme, ou alors des pierres précieuses.
    Gabriel Domergue
  • Il ne faut pas jeter le manche après la cognée.
    Jean Antoine de Baïf — Mimes, enseignements et proverbes
  • Il ne faut pas jeter la faux en la moisson d'autrui.
    Proverbe français
  • Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu.
    Proverbe français
  • S'instruire, c'est jeter de l'argent et le récupérer plus tard.
    Massa Makan Diabaté — Le lieutenant de Kouta
Voir toutes les citations du mot « jeter » →

Traductions du mot « jeter »

Langue Traduction
Anglais throw away
Espagnol tirar a la basura
Italien buttar via
Allemand wegschmeißen
Chinois 丢弃
Arabe رمى
Portugais jogar fora
Russe выбросить
Japonais 捨てる
Basque bota
Corse ghjittà
Source : Google Translate API

Synonymes de « jeter »

Source : synonymes de jeter sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « jeter »

Combien de points fait le mot jeter au Scrabble ?

Nombre de points du mot jeter au scrabble : 12 points

Jeter

Retour au sommaire ➦