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Fortune

Variantes Singulier Pluriel
Féminin fortune fortunes

Définitions de « fortune »

Trésor de la Langue Française informatisé

FORTUNE, subst. fém.

A.− MYTH. Divinité qui présidait aux aléas de la destinée humaine, et qui distribuait les biens et les maux selon son caprice. La statue de la Fortune; les Romains adoraient la Fortune, sacrifiaient à la Fortune (Ac.1798-1932).Les Rostres, le temple de la Paix, ceux de Jupiter Stator et de la Fortune, les arcs de Titus et de Sévère, se dessinoient à demi dans les ombres (Chateaubr., Martyrs, t. 1, 1810, p. 271).Si jamais les changements et l'inconstance de la déesse Fortune ont pu faire éclater en sanglots et en harmonieux commentaires un barde (Musset dsLe Temps,1831, p. 31):
1. Ô toi que l'univers adore, Ô toi que maudit l'univers, Fortune, dont la main, du couchant à l'aurore, Dispense les lauriers, les sceptres et les fers, Ton aveugle courroux nous garde-t-il encore Des triomphes et des revers? Delavigne, Messéniennes,1824, p. 37.
1. [P. réf. aux attributs avec lesquels elle est traditionnellement représentée (la corne d'abondance ou le gouvernail qu'elle tient à la main, le bandeau qu'elle porte sur les yeux, la roue sur laquelle elle se tient en équilibre, le char qu'elle dirige)] Il [Cérizet] s'était endormi dans un beau rêve (...). Mais il eut un réveil auquel il ne s'attendait point; il trouva la Fortune debout, lui versant à flots ses cornes dorées, dans la personne de madame Cardinal (Balzac, Pts bourg.,1850, p. 195).La Fortune est femme, et, quoiqu'on la dise aveugle, du haut de sa roue, elle distingue parfois dans la foule un cavalier de naissance et de mérite (Gautier, Fracasse,1863, p. 43).
Loc. proverbiale. Attacher un clou à la roue de la fortune. ,,Trouver moyen de la fixer`` (Ac. 1798-1932).
2. Au fig. [P. réf. aux pouvoirs qui lui sont attribués] Puissance fictive et mystérieuse qui dispense au hasard les biens et les maux. Les caprices de la fortune; la fortune est aveugle, changeante, inconstante; courtiser la fortune; être favorisé par la fortune. Plus d'une fois ces entretiens m'ont fourni la preuve que la fortune, en distribuant les places, fait parfois de bien lourdes bévues (Jouy, Hermite,t. 1, 1811, p. 289).Qu'au moment même où la fortune recommence à nous sourire, nos finances aillent à la faillite, notre économie à la ruine, c'en serait fait décidément du rang, de l'ordre, de l'avenir de la France (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 117):
2. Ce que mon âge trop tendre, ma trop courte expérience et une vie abritée m'empêchèrent de voir, c'est la fortune et ses coups : la fortune qui triomphe des caractères les plus fermes et change en un instant les conditions des hommes. France, Vie fleur,1922, p. 482.
B.− Tour favorable ou défavorable que prend une situation, un événement, sans que l'on puisse l'expliquer autrement que par la chance, le hasard.
1. [Sans précision concernant l'issue favorable ou défavorable de la situation] Il m'est permis de vivre du produit d'un travail que j'aime, sans tenter la fortune inconsistante du cabotage (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 93).Elle s'intéressait à tout. Et elle était prête à la bonne comme à la mauvaise fortune. En somme, une optimiste (Rolland, J.-Ch.,Buisson ard., 1911, p. 1285).
Loc. et expr.
a) Verbe + fortune
α) Courir (la) fortune (de). Risquer (de). C'est le vallon de Rochelie où, à minuit, on court fortune de voir le pied-fourchu (Pourrat, Gaspard,1922, p. 232).
β) Tenter (la) fortune (de). S'engager dans une entreprise dont l'issue est aléatoire. Il [A. de Musset] avait à peine vingt ans, lorsque pour la première fois, il voulut tenter la fortune des planches (Zola, Doc. littér.,Musset, 1881, p. 99).
b) La fortune de + subst.
α) La fortune des armes. Les aléas de la guerre, des combats. La découverte, (...) la lente pénétration, (...) la conquête pacifique et (...) la perte, jouée à la fortune des armes et des alliances, du Canada par les Français (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 336).Un général jacobin (...) d'humble extraction, porté par la fortune des armes (Arnoux, Roi,1956, p. 335).
β) (Dîner, recevoir) à la fortune du pot. (Dîner, offrir un repas) sans cérémonie, en s'accommodant de ce qu'il y a. Synon. à la bonne franquette.J'avais l'intention de le faire souper avec nous, à la fortune du pot (Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 87).Il ne restait qu'à inviter les amis, à la fortune du pot, et à parler encore, tard dans la nuit (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1635).
Rem. Ac. 1798-1932, Besch. 1845 et Rob. enregistrent l'expr. vieillie courir la fortune du pot. ,,S'exposer à faire mauvaise chère, en allant dîner dans une maison où l'on n'est point attendu`` (Ac. 1932).
c) De fortune
α) Loc. adv., vieilli. Par hasard. Je regardais et laissais M. le Maire fouler, fourrager tout mon pré (...) quand de fortune passent Pierre Houry d'Azai, Louis Bézard et sa femme (Courier, Pamphlets pol.,Gaz. vill., 1823, p. 187).J'avais rencontré de fortune à Paris, sous l'Empire, MmeMocenigo dont les ancêtres furent sept fois honorés du dogat (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 374).
Rem. On relève également la loc. adv. par fortune avec le même sens. Quand, par fortune, il ne pouvait éviter les regards de l'officier de service (Id., ibid., t. 2, 1848, p. 658).
β) Loc. adj. (précédée d'un subst.)
[Le subst. désigne un inanimé] Improvisé, réalisé à la hâte et avec ce dont on dispose. Installation, moyens, outil de fortune. La nuit, ils [les bergers] logeront dans des étables de fortune ou sous des frondaisons naissantes (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 232).Le spécialiste a fabriqué pour son arme un petit chevalet de fortune (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 145):
3. Dans le moment même, il s'occupait de faire fermer, par les gens du château, cette poterne par une sorte de porte de fortune en attendant mieux, faite de planches et de vieux bahuts que l'on avait sortis de la bâtisse du jardinier. G. Leroux, Parfum,1908, p. 51.
MAR. Voile de fortune ou, absol., fortune, fortune carrée. Voile carrée supplémentaire que les goélettes, les cotres, etc., hissent afin de pallier l'insuffisance de vent. Le radeau recula de deux toises sur le grelin fortement tendu. La voile de fortune carguée, les dispositions furent prises pour une assez longue station (Verne, Enf. cap. Grant,t. 3, 1868, p. 72).À 9 heures une brise légère du N. E. se lève, nous établissons la fortune carrée (Charcot, Expéd. antarct. fr.,1906, p. 295).
[Le subst. désigne une pers.] D'occasion; chargé d'une fonction, d'une mission ne relevant pas des attributions ordinaires. Des pompiers de fortune faisaient la chaîne. Et on découvrait tout à coup sous le casque le visage noir d'un ami (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 13).
2. [La fortune est envisagée sous son aspect favorable] Coup de fortune; être en fortune, manquer de fortune; une heureuse, une rare fortune. Synon. chance, succès.Plus tard au cours de ma vie, j'ai bien souvent remercié le ciel de cette fortune que j'ai eue d'être lorrain et non pas de Nancy (Barrès, Cahiers,t. 1, 1896-98, p. 47).Il accordait un piano qu'il avait découvert chez un habitant. Cette bonne fortune est rare pour un amateur de musique (Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 175):
4. Maître Saval l'interrogea sur tous les hommes qu'il allait recevoir, ajoutant : « Ce serait pour un étranger une extraordinaire bonne fortune que de rencontrer, d'un seul coup, tant de célébrités réunies chez un artiste de votre valeur ». Romantin, conquis, répondit : « Si ça peut vous être agréable, venez ». Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Soirée, 1883, p. 1271.
Loc. et expr.
a) Chercher fortune. Rechercher les occasions susceptibles de procurer ce que l'on désire (richesses, gloire, etc.) Synon. brusquer2*, busquer2* fortune.Devant la ferme, s'agitaient une douzaine de soldats, des maraudeurs, sans doute des affamés qui cherchaient fortune (Zola, Débâcle,1892, p. 157).Vingt-cinq ans plus tôt, un cousin de son père, fidèle à la tradition basque, était parti chercher fortune en Argentine; il s'y était considérablement enrichi (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 246).
b) Bonne fortune
α) Vx, région. Synon. de bonne aventure.Se faire dire la bonne fortune (J. Humbert, Nouv. gloss. genev.,1852, p. 213).
β) Succès amoureux. Un homme à bonnes fortunes. Mes bonnes fortunes se bornaient, comme celles de Jean-Jacques, à baiser la main (Michelet, Mémorial,1822, p. 188):
5. Il paraît qu'il avait été irrésistible, que toutes les femmes en étaient amoureuses, et qu'il eut de ces bonnes fortunes qui comptent dans la vie d'un homme. Je me souviens d'un dîner d'artistes (...) où quelqu'un le présenta comme ayant eu, en son temps, les plus jolies femmes de Paris. Léautaud, In memor.,1905, p. 186.
(Aller, être) en bonne fortune. (Aller, être) à un rendez-vous galant. Tu te peignes devant ton miroir, et t'en vas, fat, en bonne fortune chez ta maîtresse désolée (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 262).Le garçon a cru que nous étions en bonne fortune... Il nous a offert un cabinet particulier (H. Bataille, Maman Colibri,1904, p. 6).
γ) Bonne fortune d'expression, de style. Expression, style particulièrement original(e), réussi(e). Synon. fam. trouvaille.Charles aimait ses naïvetés, ses mots d'enfant spirituel; non que Marthe eût de l'esprit, mais elle avait ces bonnes fortunes d'expression, ces vivacités (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 231):
6. L'île de la Cité, comme dit Sauval, qui à travers son fatras a quelquefois de ces bonnes fortunes de style, « l'île de la Cité est faite comme un grand navire enfoncé dans la vase et échoué au fil de l'eau vers le milieu de la Seine ». Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 142.
c) De fortune, par fortune, loc. adv. Par bonheur. Si, par fortune, rien ne se détraque, au bout des quatre heures, la même personne tire le même ressort, et la machine s'arrête (Vigny, Lettre Lord***, 1829, p. 262).Au milieu de l'effondrement militaire dans la métropole, elle [la Marine nationale] était, par fortune, intacte (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 68).
3. [La fortune est envisagée sous son aspect défavorable] Dieu vous préserve de mal et de fortune (Ac.1798-1878).Synon. adversité, infortune, malchance.
Loc. et expr.
α) À ses (risques), périls et fortune (vieilli). À ses risques et périls. Ma coutume est de donner mes griffonnages aux libraires, qui les impriment à leurs périls et fortune; et tout ce que j'exige d'eux, c'est de n'y pas mettre mon nom (Courier, Lettres Fr. et It.,1810, p. 830).
β) Faire contre (mauvaise) fortune bon cœur. Ne pas se laisser décourager par l'adversité. Je fus un peu émue, mais je pensai qu'il était de mon devoir de faire contre fortune bon cœur, et je ne pleurai pas (Sand, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 80).Il faisait contre fortune bon cœur, se disant que c'était de l'hygiène de ne prendre qu'un repas léger le soir (Montherl., Célibataires,1934, p. 884):
7. ... il se rappela qu'un de ses maîtres, qui avait fait la plus belle carrière médicale de son temps, ayant échoué la première fois à l'Académie pour deux voix seulement, avait fait contre mauvaise fortune bon cœur et était allé serrer la main du concurrent élu. Proust, Sodome,1922, p. 1071.
γ) Fortune de mer. Accidents de toute nature auxquels sont soumis les navigateurs. Là où il a chanté un fait d'armes ou décrit une bataille navale ou une fortune de mer, il a choisi des paroles dures, âpres et déplaisantes (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 287).
Spéc., DR. MAR. ,,Tout risque fortuit atteignant le navire et les marchandises et dont l'armateur doit répondre`` (Cap. 1936).
Rem. Cette accept. vieillie ne se rencontre que dans les expr. citées supra, les aut. préférant employer l'expr. mauvaise fortune. Il se persuada que (...) la mauvaise fortune qui s'obstinait à le poursuivre à la pêche [pourrait] bien être l'effet d'un sort (Nodier, Trilby, 1822, p. 134). Il faut faire une cure de bonne humeur. Cela consiste à exercer sa bonne humeur contre toute mauvaise fortune (Alain, Propos, 1911, p. 118).
C.− P. ext. Ce qui arrive ou peut arriver aux hommes du fait du hasard, des circonstances; destinée (heureuse ou malheureuse).
1. [Sans précision concernant le caractère heureux ou malheureux de la destinée] Les changements, les vicissitudes de la fortune; suivre la fortune de qqn; être l'artisan de sa fortune. Je ne voulais plus partager en rien la fortune de M. de Staël (Staël, Lettres L. de Narbonne,1792, p. 36).On se souvenait d'ailleurs que Pompée, que Brutus avaient péri pour avoir remis leur fortune au hasard d'un combat de terre (Michelet, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 321):
8. Un consul est quelque chose de plus qu'un homme; il est l'intermédiaire entre l'homme et la divinité. À sa fortune est attachée la fortune publique; il est comme le génie tutélaire de la cité. La mort d'un consul funeste la république. Fustel de Coul., Cité antique,1864, p. 230.
a) Loc. Retour de fortune. Revirement subit d'une situation. À mon retour de l'île d'Elbe, continuait l'Empereur, la tête tourna à Murat de me voir débarqué (...). Il était habitué à mes grands retours de fortune (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 881):
9. Cette humeur, qui a rendu plus d'un marxiste consentant aux fruits trop inévitables de l'évolution sociale, ne leur donne-t-elle pas à présent, par un curieux retour de fortune, quelques motifs de ne pas désespérer de la civilisation? J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 235.
b) P. anal. [En parlant d'un produit de l'activité hum., en partic. une œuvre littér., artistique] Sort favorable ou défavorable. La fortune des livres seroit le sujet d'un bon livre (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 513).Être (...) condamné à garder la chambre, dans un moment où il serait si intéressant de se rendre compte par soi-même de la fortune de sa pièce (Goncourt, Journal,1896, p. 943).
2. [La destinée est envisagée sous son aspect favorable] Élévation dans les biens, les honneurs; réussite sociale. Une brillante fortune; assurer, établir sa fortune, la fortune de qqn. L'ambition des Romains les portait à chercher en Grèce des maîtres dans cet art de l'éloquence qui était chez eux une des routes de la fortune (Condorcet, Esq. tabl. hist.,1794, p. 76).Nul doute qu'une haute fortune ne soit promise à ce jeune et précoce talent (Musset dsRevue des Deux-Mondes,1833, p. 640):
10. Vous pourrez faire fortune, mais il faudra nuire aux misérables, flatter le sous-préfet, le maire, l'homme considéré, et servir ses passions : cette conduite, qui dans le monde s'appelle savoir-vivre, peut, pour un laïque, n'être pas absolument incompatible avec le salut; mais, dans notre état, il faut opter; il s'agit de faire fortune dans ce monde ou dans l'autre, il n'y a pas de milieu. Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 44.
a) Locutions
α) Homme de fortune. Homme qui, parti d'une humble condition, s'est élevé rapidement grâce à son talent ou aux événements. Empereur, je suis duc par la grâce de Dieu. Ces aventures-là vont aux gens de fortune (Hugo, Légende,t. 1, 1859, p. 192).
β) Officier, soldat de fortune. Officier, soldat qui est parvenu à un grade élevé de la hiérarchie militaire grâce à son mérite. Il [Bonaparte] voulut que le pape vînt le sacrer à Paris, lui, un soldat de fortune, en signe de sa déité impériale (Proudhon, Confess. révol.,1849, p. 91):
11. ... un officier de fortune pouvait, à force de valeur, et sur la fin de sa vie, aspirer à la place de major ou de lieutenant-colonel, et devenir le mentor en titre du colonel étourdi, non moins impatient de conseil qu'incapable de commandement. Sainte-Beuve, Prem. lundis,t. 1, 1869, p. 54.
b) [Avec un adj. ou un compl. précisant le domaine de réussite] Un intendant général, l'obligé de Hulot, à qui ce fonctionnaire devait sa fortune administrative, disait avoir aperçu le baron (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 336).La fortune littéraire de M. Daudet et de M. Zola ne s'explique pas tout à fait par leur talent, dont l'essence échappe au plus grand nombre (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 340):
12. Il avait le sens de la chicane. Ayant commencé sa fortune politique par des articles adroitement faits pour lui valoir des poursuites, des procès et quelques semaines de prison, il avait considéré, depuis lors, la presse comme une arme d'opposition, que tout bon gouvernement devait briser. France, Lys rouge,1894, p. 338.
c) P. anal. [En parlant d'une production matérielle ou intellectuelle] Réussite, succès auprès du public. La fortune d'un produit nouveau; la fortune d'une doctrine, d'un livre. Francis Jammes avait écrit, dans le temps, un alexandrin qui fit fortune : « Les Vigny m'emmerdent avec leur dignité » (Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1238):
13. ... je ne me sens point du tout porté à croire que le thé, le café et le sucre, qui ont fait en Europe une fortune si prodigieuse, nous aient été donnés comme des punitions : je pencherois plutôt à les envisager comme des présens... J. de Maistre, Soirées St-Pétersb.,t. 1, 1821, p. 76.
3. [La destinée est envisagée sous son aspect défavorable] Revers de fortune. Coup du sort transformant une bonne situation en une mauvaise. J'ai tout sacrifié, dans ma vie, à la liberté de mon intelligence! Et elle m'est enlevée par ce revers de fortune (Flaub., Corresp.,1875, p. 186).On a beau accepter et prévoir les fatigues, les dégoûts du travail, les revers de la fortune, les trahisons de la vie; on en demeure toujours surpris et accablé (Blondel, Action,1893, p. 329).
D.− Ensemble des richesses, des biens appartenant à une personne ou à un groupe de personnes. Une immense fortune; faire fortune; l'égalité des fortunes. M. Creton et sa femme mènent maintenant un train au-dessus de leur fortune; ils reçoivent comme des princes, (...) ils donnent des fêtes (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 147).S'il ne thésaurisait pas, il avait l'autre joie, la lutte des gros chiffres, les fortunes lancées comme des corps d'armée, les chocs de millions adverses (Zola, Argent,1891, p. 57):
14. ... Joseph restait à la tête d'une fortune considérable, fortune qu'il ne pouvait même plus évaluer avec précision, car elle était touffue, ramifiée, faite d'une multitude de parties dissemblables, faite d'un assemblage confus de biens, meubles et immeubles, de valeurs, d'espèces, de maisons, de châteaux, de terres, de fabriques. Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 158.
SYNT. Fortune médiocre, solide, colossale, fabuleuse; grosse, jolie, énorme fortune; avoir une fortune personnelle; amasser, laisser une fortune; hériter, disposer, jouir d'une fortune; augmenter, gérer, placer, léguer sa fortune; dépenser, dilapider, manger, perdre sa fortune; être en possession d'une fortune; épouser qqn sans fortune, pour sa fortune.
1. Loc. et expr.
a) État, situation de fortune. État des biens, des richesses que possède une personne à une époque déterminée. En regard de chaque nom [était inscrit] le maximum de la somme qu'il pouvait leur emprunter relativement à leur état de fortune (Murger, Scène vie boh.,1851, p. 29).Le gros Chavignat (...) avait fait beaucoup trop d'enfants. C'était fou, dans sa situation de fortune (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 113).
b) Fortune de mer (dr. mar.). ,,Partie de l'avoir de l'armateur engagée dans l'exploitation de son navire et qui est, en vertu d'une fiction juridique, distinguée de sa fortune de terre`` (Lar. comm. 1930; ds Rob., Lar. encyclop., Lar. Lang. fr.).
c) Fortune nationale, publique (écon. pol.). ,,Valeur totale des actifs détenus à une date donnée par tous les agents économiques du pays`` (Combe 1971). Dans certaines sociétés, le nombre des pauvres augmente sans que la fortune publique diminue. Elle est seulement concentrée en un plus petit nombre de mains (Durkheim, Division trav.,1893, p. 228).Rien (...) ne serait possible sans le retour du pays à une puissante activité économique. Cette guerre nous a coûté la moitié de notre fortune nationale (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 631).
2. P. ext. Importante somme d'argent. Finot racontait gaiement que, sans ces mille écus, il serait mort de misère et de douleur. Pour lui, mille écus étaient une fortune (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 260).Avant Notre-Seigneur, on les embaumait [les morts] dans des parfums − des aromates, qu'on appelait − ça coûtait des fortunes (Bernanos, Mouchette,1937, p. 1332):
15. Les autres, élevés dans les collèges de l'État ou dans les lycées, (...) n'étaient ni plus intéressants ni moins étroits. Ceux-là étaient des noceurs, épris d'opérettes et de courses, jouant le lansquenet et le baccarat, pariant des fortunes sur des chevaux, sur des cartes, sur tous les plaisirs chers aux gens creux. Huysmans, À rebours,1884, p. 7.
P. méton. Ce qui est censé rapporter une certaine somme d'argent. Je sais que je tiens plusieurs fortunes dans mes cartons; mais cette conviction est, de toutes, la plus difficile à faire partager (Balzac, Corresp.,1838, p. 476).
3. Au fig., domaine intellectuel, moral.La fortune des nations, c'est leur génie (Lamart., Voy Orient,t. 2, 1835, p. 60).C'était bien leur faute si j'avais perdu, dispersé, dilapidé ma fortune intérieure. Ils m'avaient aidé dans mes folies, secondé dans mes excès (Duhamel, Confess. min.,1920, p. 73):
16. Les deux peuples anciens dont la littérature et l'histoire composent encore aujourd'hui notre principale fortune intellectuelle n'ont dû leur étonnante supériorité qu'à la jouissance d'une patrie libre. Staël, Consid. Révol. fr.,t. 1, 1817, p. 6.
REM.
Fortunément, adv.Par bonheur. Fortunément il n'est pas de coin en Europe où je ne puisse porter un cœur tranquille, un front serein, un pas assuré (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 561).
Prononc. et Orth. : [fɔ ʀtyn]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1160 « puissance qui est censée distribuer le bonheur ou le malheur; représentation allégorique de cette puissance » (Enéas, 685 ds T.-L.); 2. a) 1265 « hasard » (Brun. Lat., éd. Carmody, I, 153, 4); b) fin xiiies. « bonheur » (Recueil général des jeux-partis, éd. A. Långfors, XXXIII, 13 : quant Eür veult et Fortune); c) 1remoitié du xves. « malheur, accident » (Vie de St Eustache, éd. Holger Petersen, 565, p. 207); 3. a) 1270 fortune d'or « or trouvé par hasard » (Ordonnances des roys de France, I, 180); b) 1580 « richesses » (Montaigne, Les Essais, 1. I, chap. XXI, éd. Thibaudet, p. 126). Empr. au lat. class. fortuna « fortune, sort; heureuse fortune; condition, situation » au plur. « biens, richesses »; pour le sens 2 c, cf. le sens de « tempête » (1265 Brun. Lat., éd. Carmody, I, 151; cf. aussi le lat. pop. et l'a. prov. fortuna de ven (xiiies. ds Rayn. et Levy). Fréq. abs. littér. : 9 421. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 22 529, b) 14 940; xxes. : a) 11 019, b) 6 207. Bbg. Hope 1971, p. 39. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, pp. 336-337. − Logre (R.). Ét. de psychol. étymol. Le mot fortune. Vie Lang. 1957, pp. 495-499. − Page (D.). Ét. sém. du mot fortune. Paris, 1951, 322 p. (Thèse Univ. dactyl.). − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 426. − Tallgren (O. J.). Neuphilol. Mitt. 1921, pp. 53-58. − Vardar (B.). Struct. fondamentale du vocab. soc. et pol. en France de 1815 à 1830. Istanbul, 1973, p. 241. − Vidos 1939, p. 26, 402.

Wiktionnaire

Nom commun - ancien français

fortune \fɔʁ.tyn\ féminin

  1. Richesse
  2. Fortune, destinée, sort.
    • Mère de Dieu, ai-je sujet de m'affliger? Certes, oui, puisque je me trouve dans un péril tel que je ne vois l'heure que je chavire en mer. Ah, Fortune! tu m'es si contraire que j'ai bien raison de te faire des reproches et de me plaindre amèrement de ce que tu m'as mis au haut de ta roue pour me jeter ensuite dans la fange; mais il y a pis, car je suis abandonnée sans pilote à la tourmente en pleine mer, qui court terriblement sur nous. — (Traduction de Francisque Michel, « Un Miracle de Notre-Dame ».)
  3. (Marine) Tempête, orage : → voir fortune de mer vent, accident ; hasard , chance ; épaves, trouvailles [sur terre, ou dans la terre et sur mer].[1]
    • Et quant vint au quart jor unt fortune grant le prit et rompit sa nave — (Dom Martin (1262) cité dans Archéologie navale, Augustin Jal, page 507)
    • Or advint que par la grâce de Dieu que fortune se leva en la mer, et uns orages et tempeste si horrible que Sarrazins furent moult esbahis... — (Mélusine pages 128.26-27)
    • Comment le Duc de Bourgoigne nomme Eude le vaillant eut si grosse fortune sur mer en allant au Saint Sépulcre, et là se rendit à Dieu et voua de faire une chapelle en sa maison au nom de Dieu, de sa glorieuse mère et de monsieur saint Jean l’Evangeliste, et incontinent la tempeste cessa et vint a bon port. — (Commission des antiquités du Departement de la Côte d’Or, Description de miniatures du duc Eudes III de Bourgogne pour la fondation de l’Hôpital de Dijon)

Nom commun - français

fortune \fɔʁ.tyn\ féminin

  1. Hasard, chance.
    • La fortune des armes. J’en courrai la fortune. La mauvaise fortune le poursuit.
    • Au reste, ne cherchez point à vous sauver de ces lieux, vous le tenteriez sans succès, et vous feriez votre fortune plus mauvaise : commencez votre nouveau régime de vie par la patience. — (Marivaux, L’Île des esclaves, 1725)
    • Voici la fortune qui passe… Saisissez-la. Dans une heure il sera trop tard : le maréchal va partir pour un long voyage. — (Michel Zévaco, Le Capitan, chapitre VI, 1906, Arthème Fayard, collection « Le Livre populaire » no 31, 1907)
  2. (Marine) Tempête. → voir fortune de mer et de fortune
  3. (Par extension) Péril en mer, aléa, et donc voile de réserve en cas de tempête : la « fortune carrée ».
    • La fortune est une voile carrée attachée sur une vergue qui se hisse, comme la voile de misaine des bâtiments carrés, à la tête et sur l'avant du mât de misaine — (Émile Littré)
    • La fortune, qui est une grande voile carrée souvent volante, n’est utilisée qu’au vent arrière. La fortune correspond à la misaine sur un phare carré.— (Carnet Maritime; Photographie et culture maritimes, « Typologie des gréements de grands voiliers », 2010)
  4. (Galanterie) Les faveurs d’une femme.
    • Il a eu beaucoup de bonnes fortunes. Un homme à bonnes fortunes.
    • Le patron du Grand-Henri jura qu’il serait discret comme la tombe et conduisit son hôte dans une mauvaise chambre sur laquelle s’ouvrait un méchant cabinet noir. “C’est pour le moins un prince en bonne fortune, songea-t-il. Monseigneur, ajouta-t-il tout haut, c’est ici la chambre des princes.” — (Michel Zévaco, Le Capitan, chapitre X, 1906, Arthème Fayard, collection « Le Livre populaire » no 31, 1907)
  5. (Par extension) Tout ce qui arrive ou peut arriver de bien ou de mal à quelqu’un.
    • Mais Renan avait été trop favorisé durant toute sa vie par la fortune, pour ne pas être optimiste ; il croyait donc que le mal se bornerait à l’obligation de traverser de mauvais jours, […]. — (Georges Sorel, Réflexions sur la violence, chapitre VII, La morale des producteurs, 1908, page 326)
    • Je partageai sa bonne et sa mauvaise fortune.
    • Nous ne pouvons prédire quelle sera la fortune de ce livre, de cet ouvrage. La fortune des états, des empires.
    • Cette doctrine a eu des fortunes très diverses.
  6. Avancement, établissement dans les emplois, dans les honneurs, dans les biens.
    • […] ; la fortune doit être le prix du talent, et du talent seul; c’est à l'homme qui sent ce qu’il vaut de le proclamer, et, pour ma part, s’il y a lieu, j’en aurai le courage. Il me faut 30,000 livres de rente, je ne crois pas valoir moins que cela. — (Julie de Querangal, Philippe de Morvelle, Revue des Deux Mondes, T.2,4, 1833)
  7. (Religion) Divinité païenne qui était censée distribuer, à son gré, le bonheur et le malheur. — Note : S’emploie, par allusion à ce sens, dans un grand nombre de phrases figurées.
    • Gardez-vous donc bien d’imiter le vulgaire, qui met la Fortune au nombre des dieux ; la bizarrerie de sa conduite l’éloigne entièrement du caractère de la divinité, […]. — (Épicure, Lettre à Ménécée, traduction par Jacques Georges Chauffepié (1840))
    • La fortune est aveugle, inconstante, capricieuse, changeante.
    • L’inconstance, le caprice, la bizarrerie, les revers, les rigueurs de la fortune.
    • La fortune distribue inégalement ses faveurs. Il est maltraité de la fortune.
    • La fortune lui sourit. La fortune lui a tourné le dos.
  8. Les biens, richesses, ressources pécuniaires.
    • Pendant que le colonel […] apprenait les éléments de la Banque en déployant l’activité, la prodigieuse intelligence des Provençaux, Dumay réalisa deux fortunes, car il revint avec un chargement de coton acheté à vil prix. — (Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844 ; page 130 de l’édition Houssiaux de 1855)
    • Il est certaines situations dont bénéficient seuls les gens tarés. Ils fondent leur fortune là où des hommes mieux posés et plus influents n’auraient point osé risquer la leur. Certes, Roudier, Granoux et les autres, par leur position d’hommes riches et respectés, semblaient devoir être mille fois préférés à Pierre comme chefs actifs du parti conservateur. Mais aucun d’eux n’aurait consenti à faire de son salon un centre politique ; leurs convictions n’allaient pas jusqu’à se compromettre ouvertement ; en somme, ce n’étaient que des braillards, des commères de province, qui voulaient bien cancaner chez un voisin contre la République, du moment où le voisin endossait la responsabilité de leurs cancans. — (Émile Zola, La Fortune des Rougon, G. Charpentier, Paris, 1871, chapitre III ; réédition 1879, page 95-96)
    • Appartenant à la grande confrérie des conteurs et chanteurs errants, ce troubadour marocain ne possède pour toute fortune qu'un âne famélique, un vieux haïk en lambeaux, une pipe et une blague à kif et un petit instrument primitif à deux cordes, un gimbri, attribut de son état. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 32)
    • Ah ! la bougresse ! Elle est maintenant entretenue par un banquier tchécoslovaque qui a réalisé une fortune colossale pendant la guerre dans les fournitures aux armées. — (Victor Méric, Les Compagnons de l’Escopette, Éditions de l’Épi, Paris, 1930, page 180)
    • Être pauvre parmi les pauvres, c’est beaucoup moins dur qu’au contact de voisins étalant une débordante fortune. — (Ludovic Naudeau, La France se regarde : le Problème de la natalité, Librairie Hachette, Paris, 1931)
    • René Jean Le Mouton de Boisdeftre, héritier et perpétuateur d’une prestigieuse dynastie militaire du Pays d’Alençon ne semblait pas jouir d’une grande fortune. — (François-Joseph Ruggiu, Les élites et les villes moyennes en France et en Angleterre (XVIIe-XVIIIe siècle), L’Harmattan, 1997, page 123)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

FORTUNE. n. f.
Hasard, chance. La fortune des armes. J'en courrai la fortune. Je le rencontrai de fortune, Par hasard La mauvaise fortune le poursuit. Fam., Courir la fortune du pot, S'exposer à faire mauvaise chère, en allant dîner dans une maison où l'on n'est point attendu. À la fortune du pot. Venez dîner à la fortune du pot, En courant la chance d'un bon ou d'un médiocre repas. Inviter à la fortune du pot, Inviter sans cérémonies. Installation de fortune, Installation improvisée et provisoire. Moyen de fortune, Moyen de parer promptement à des besoins urgents. Gouvernail de fortune. Mâture de fortune. Voile de fortune. Bonne fortune, Chance heureuse, heureux hasard. C'est une bonne fortune pour moi de vous rencontrer. Il se dit, en termes de Galanterie, des Faveurs d'une femme. Il a eu beaucoup de bonnes fortunes. Un homme à bonnes fortunes. Être en bonne fortune. Tenter fortune, S'engager dans une entreprise dont le succès dépend en grande partie du hasard, d'événements qu'on ne peut régler ni prévoir. Chercher fortune, Être ou se mettre en quête des occasions qui peuvent procurer ce que l'on désire, comme le bien-être, les richesses, etc. Il est allé chercher fortune aux Indes. Fig. et fam., Faire contre mauvaise fortune bon cœur, Ne pas se laisser abattre par les déceptions, par les événements fâcheux.

FORTUNE se dit encore de Tout ce qui arrive ou peut arriver de bien ou de mal à quelqu'un. Nous courons tous deux même fortune. S'attacher à la fortune de quelqu'un, suivre sa fortune. Changement de fortune. Il a éprouvé l'une et l'autre fortune. Je partageai sa bonne et sa mauvaise fortune. Ma mauvaise fortune, ma bonne fortune a voulu que... On le dit également des Choses. Nous ne pouvons prédire quelle sera la fortune de ce livre, de cet ouvrage. La fortune des États, des empires. Cet homme, cette doctrine a eu des fortunes très diverses. Revers de fortune, Accident, événement fortuit qui change une bonne situation en une mauvaise. Croire qu'on est à l'abri des revers de fortune. On dit aussi Retour de fortune pour désigner un Changement imprévu, qui peut être heureux, une vicissitude bonne ou mauvaise. Il y a d'étranges retours de fortune. Il signifie souvent, dans une acception générale, Avancement, établissement dans les emplois, dans les honneurs, dans les biens. Parvenir à une haute fortune. Affermir sa fortune. Sa fortune est encore chancelante. Il ne doit sa fortune qu'à son propre mérite. Il a été l'artisan de sa fortune. Il se dit aussi de la Divinité païenne qui était censée distribuer, à son gré, le bonheur et le malheur. Le temple de la Fortune. La statue de la Fortune. Les Romains adoraient la Fortune, sacrifiaient à la Fortune. Il s'emploie, par allusion au sens qui précède, dans un grand nombre de phrases figurées. La fortune est aveugle, inconstante, capricieuse, changeante. Les faveurs de la fortune. L'inconstance, le caprice, la bizarrerie, les revers, les rigueurs de la fortune. La fortune distribue inégalement ses faveurs. Il est maltraité de la fortune. Il accuse la fortune de son malheur. La fortune lui sourit. La fortune lui a tourné le dos. La fortune élève les uns, abaisse les autres. S'abandonner à la fortune. La roue de la fortune. Les hommes sont le jouet de la fortune. La fortune a trompé leur espoir. Les jeux, les coups, les caprices de la fortune, Les grands changements qui arrivent aux hommes ou aux États et qui les élèvent ou les abaissent. Brusquer la fortune, Tenter de réussir par des moyens prompts et hasardeux. Fig., Attacher un clou à la roue de la fortune, Trouver moyen de fixer la fortune. Fig., Adorer, encenser la fortune, etc., S'attacher à ceux qui sont en faveur, en crédit. Les biens de la fortune, Les dignités, les honneurs, les richesses. Soldat de fortune se dit d'un Homme de guerre qui, par sa valeur, s'est élevé des derniers rangs aux plus hauts grades. On dit dans le même sens Officier de fortune. Fam. et fig., Chacun est artisan de sa fortune, Chacun est responsable de son sort bon ou mauvais. Il se dit encore simplement pour Biens, richesses, ressources pécuniaires. Faire sa fortune. Faire fortune. C'est un homme sans fortune. Il rassembla les débris de sa fortune. Bien gérer, mal gérer sa fortune. Perdre, dissiper sa fortune. Il fait un bon usage de sa fortune. Mettre sa fortune à couvert. Acquérir de la fortune. Laisser de la fortune à ses enfants. N'avoir point de fortune. C'est là toute ma fortune. Il ne connaît pas le chiffre de sa fortune. Faire une fortune rapide. Fortune solide, bien établie. Fortune mobilière, immobilière. Sa fortune est en terres, est en valeurs. Épouser une jeune fille sans fortune. Dans ce sens très courant, l'expression Revers de fortune, déjà mentionnée ci-dessus, désigne des Dommages d'ordre financier, des pertes d'argent. Il a eu, il a éprouvé de grands revers de fortune. Faire fortune se dit aussi des Choses et signifie Obtenir du succès, être accueilli, goûté. Cette doctrine a fait fortune dans le monde, a fait fortune.

Littré (1872-1877)

FORTUNE (for-tu-n') s. f.
  • 1Terme du polythéisme gréco-romain. Divinité qui présidait aux hasards de la vie. Le temple de la Fortune. Les anciens représentaient la Fortune sous forme d'une femme, tantôt assise et tantôt debout, ayant un gouvernail, avec une roue à côté d'elle, pour marquer son inconstance, et tenant dans sa main une corne d'abondance.

    Il s'écrit en ce sens avec une majuscule.

    Il se dit, par allusion, en un sens analogue au précédent, mais sans majuscule. Je mets cette lettre entre les mains de la fortune sans voir comme elle pourra passer au travers de tant de difficultés et de feux qui nous entourent, Voiture, Lett. 22. Sans mentir, monsieur, la fortune est une grande trompeuse ! bien souvent en donnant aux hommes des charges et des honneurs, elle leur fait de mauvais présents, et pour l'ordinaire elle nous vend bien chèrement les choses qu'il semble qu'elle nous donne, Voiture, Lett. 123. Mais jugeons, je vous supplie, s'il a tenu à lui ou à la fortune qu'il ne soit venu à bout de ce dessein, Voiture, Lett. 74. La fortune est changeante, Tristan, M. de Chrispe, I, 3. Surtout quand à nos yeux la fortune se montre…, Tristan, ib. IV, 2. L'homme à qui la fortune a fait des avantages, Tristan, Mariane, I, 3. La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison ne saurait corriger, La Rochefoucauld, Réflex. mor. 154. La fortune… Il n'arrive rien dans le monde Qu'il ne faille qu'elle en réponde ; Nous la faisons de tous écots, La Fontaine, Fabl. V, 11. Qui ne court après la fortune ? La Fontaine, ib. VII, 12. Mais que vous sert votre mérite ? La fortune a-t-elle des yeux ? La Fontaine, ib. Fortune, qui nous fais passer devant les yeux Des dignités, des biens que jusqu'au bout du monde On suit sans que l'effet aux promesses réponde, Désormais je ne bouge et ferai cent fois mieux, La Fontaine, ib. Fortune aveugle suit aveugle hardiesse, La Fontaine, ib. X, 14. Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures, On pense en être quitte en accusant le sort ; Bref, la fortune a toujours tort, La Fontaine, ib. v, 11. Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne, Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne, La Fontaine, Phil. et Bauc. La fortune veut être prise de force ; les affaires veulent être emportées par la violence, Bossuet, Sermons, Providence, 1. Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s'est pas manqué à lui-même, Bossuet, Reine d'Anglet. Il ne faut pas se flatter ; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales ; mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes quand la fortune nous les pardonne ! Bossuet, ib. Un homme également actif dans la paix et dans la guerre, qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance, Bossuet, ib. Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant ni de forcer la bassesse de notre nature, Bossuet, Duch. d'Orl. Tout vous rit, la fortune obéit à vos vœux, Racine, Brit. II, 2. Mithridate revient ! Ah fortune cruelle ! Racine, Mithr. I, 5. Fortune dont la main couronne Les forfaits les plus inouïs, Du faux éclat qui t'environne Serons-nous toujours éblouis ? Rousseau J.-B. Ode à la fortune. Les destinées des princes et des États sont tellement le jouet de ce qu'on appelle la fortune, que le salut de l'Empereur vint d'un prince protestant, Voltaire, Ann. Emp. Charles-Quint, 1546. Gouvernez la fortune et sachez l'asservir, Voltaire, Adélaïde, II, 7. La fortune fit évanouir tous ces vastes projets, Voltaire, Louis XV, 1.

    La roue de la fortune, les accidents divers dans la vie des hommes et dans le sort des États.

    Fig. Attacher un clou à la roue de la fortune, trouver moyen de fixer la fortune.

    La roue de la fortune ou la roue de fortune, s'est dit aussi, dans le temps qu'on tirait la loterie, de la roue où l'on mettait les numéros, qu'on mêlait en faisant tourner la roue.

    Les jeux, les coups, les caprices de la fortune, les grands changements qui arrivent aux hommes ou aux États et qui les élèvent ou les abaissent.

    Fig. Adorer, encenser la fortune, sacrifier à la fortune, etc. s'attacher à ceux qui sont en faveur, en crédit.

    Tenter la fortune, et, plus familièrement, brusquer la fortune, tenter de réussir par des moyens prompts et hasardeux. Laissons de leur amour la recherche importune ; Poussons à bout l'ingrat et tentons la fortune : Voyons si, par mes soins sur le trône élevé, Il osera trahir l'amour qui l'a sauvé, Racine, Bajaz. IV, 4.

  • 2Ce qui advient par la volonté de la Fortune, chance, hasard. Il est certain qu'Alexandre courut grande fortune non-seulement de la vie, mais…, Vaugelas, Q. C. 380. Je voudrais bien savoir s'il y a quelque astrologue qui eût pu dire en me voyant il y a deux ans dans la rue Saint-Denis avec ma rotonde [sorte de fraise], que je courrais bientôt fortune de ramer dans les galères d'Alger ou d'être mangé par les poissons de la mer Atlantique, Voiture, Lett. 42. M. le prince ne courait aucune fortune, s'il lui plaisait de revenir à la cour, Retz, III, 271. Si vous voulez m'assurer mon sort principal [mon capital], qu'il ne coure fortune, Pascal, Prov. 8. Non-seulement, dit-il, nous courons fortune de tout perdre, mais le temple de la grande Diane va tomber dans le mépris, Bossuet, Hist. II, 12. De quelque manière que vous jetiez les dés, ils amèneront toujours les mêmes points ; voilà une étrange fortune ! Chateaubriand, Génie, I, V, 3.

    Tenter fortune, s'engager dans des entreprises dont l'issue dépend de chances qu'on ne peut ni calculer ni prévoir.

    Chercher fortune, chercher les occasions qui peuvent procurer ce que l'on désire, biens, honneurs, faveurs de femmes, etc. Témoignez seulement que vous cherchez fortune, La Fontaine, Cand. Cela fit que, sans renoncer à ses prétentions [sur une dame], il se mit à chercher fortune ailleurs, Hamilton, Gramm. 6.

    On disait autrefois, dans un sens analogue : busquer fortune, Dict. de l'Académie (ce mot, aujourd'hui inusité, n'est pas à son rang alphabétique ; c'était une locution espagnole, buscar, chercher, introduite au XVIe et au XVIIe siècle).

    La fortune des armes, les hasards, les chances de la guerre.

    Familièrement. La fortune du pot, le dîner tel qu'il se trouve. Venez dîner avec nous à la fortune du pot.

    De fortune, de bonne fortune, de grande fortune, par fortune, loc. adv. Par hasard, par grand hasard. De bonne fortune il ne faisait point du tout de vent, Voiture, Lett. 9. Comme elle disait ces mots, Le loup, de fortune, passe, La Fontaine, Fables, IV, 15. Je l'avais sous mes pieds rencontré par fortune, Molière, Sgan. 22. Le p. Tellier était à Marly comme tous les vendredis ; et, de grande fortune, d'Antin était allé faire une course à Paris, Saint-Simon, 268, 126. Avant-hier advint que de fortune Je rencontrai ce Guignard sur la brune, Voltaire, Hypocr.

  • 3Bonne fortune, heureuse circonstance, chance heureuse. Que celui qui l'occupe a de bonne fortune ! Corneille, Nic. I, 2. Je porte peu d'envie à sa bonne fortune, Corneille, Œdipe, I, 3.

    Bonne fortune, la bonne aventure, ce qui arrivera à chacun. Écoutez, vous autres, y a-t-il moyen de me dire ma bonne fortune ? Molière, Mar. forc. 10. Une bande de ces personnes qu'on appelle égyptiens, qui, rôdant de province en province, se mêlent de dire la bonne fortune, Molière, Fourber. III, 3.

    Bonne fortune, faveurs d'une femme. Il se vante d'avoir eu cette bonne fortune. Il se donnait continuellement comme un homme à bonnes fortunes, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 249, dans POUGENS. Le petit Germain, sur qui pleuvaient de tous côtés les bonnes fortunes, Hamilton, Gramm. 6. Que, pour vous faire croire homme à bonne fortune, Vous passez en hiver des nuits au clair de lune À souffler dans vos doigts…, Regnard, Distrait, IV, 6. L'homme à bonnes fortunes, titre d'une comédie de BARON. Amazan refusait constamment toutes les bonnes fortunes qui se présentaient à lui, Voltaire, Babyl. 6.

    Fortune, dans le sens de bonne fortune en galanterie. Vous est-il point encore arrivé de fortune ? Molière, Éc. des femmes, I, 6. Moreau avait été galant ; il eut des fortunes distinguées et quantité que sa figure et sa discrétion lui procurèrent, Saint-Simon, 189, 20.

    Être en bonne fortune, être à un rendez-vous donné par une maîtresse. Pour troubler un homme en bonne fortune, Hamilton, Gramm. 6.

    Dans un sens dérivé, mais particulier. En bonne fortune, en cachette, avec mystère. Mme de Caylus se laissa aller à des rendez-vous en bonne fortune avec Mme de Maintenon à Versailles ou à Saint-Cyr, Saint-Simon, 168, 267. M. le prince avait envoyé proposer à ce père [de la Tour] de le venir voir en bonne fortune la nuit et travesti, Saint-Simon, 225, 19. Je faisais celui-là [travail], comme on dit, en bonne fortune, et je n'avais voulu communiquer mon projet à personne, Rousseau, Conf. IX.

  • 4Mauvaise fortune, adversité, suite d'événements fâcheux. Il [le prince de Condé] apprit à l'Espagne trop dédaigneuse quelle était cette majesté que la mauvaise fortune ne pouvait ravir à de si grands princes [les Stuarts exilés], Bossuet, Louis de Bourbon. Il supporta la mauvaise fortune sans faiblesse, comme il jouit de la bonne sans orgueil, Fléchier, Hist. de Théodose, I, 1.
  • 5Il se prend quelquefois pour bonheur. Peut-être que vous avez jugé que cette fortune était tellement au delà de ce que je devais espérer, qu'il vous fallait avec loisir chercher des termes pour me la rendre croyable, Voiture, Lett. 1. Peut-être la fortune est prête à vous quitter, Racine, Esther, III, 1. À mon fils Xipharès je dois cette fortune, Racine, Mithrid. V, 5. Il n'est point de fortune à mon bonheur égale, Racine, Théb. v, 4.

    Il est en fortune, il gagne tout ce qu'il veut.

    Fig. Être en fortune, être en verve, en crédit. Je répondis à tout, car j'étais en fortune, Sévigné, 521.

    En un sens opposé, malheur. Dieu vous préserve de mal et de fortune. Lors de mon coin vous me verrez sortir Incontinent, de crainte de fortune, La Fontaine, Sav.

    Contre fortune bon cœur, c'est-à-dire il faut faire face avec courage contre les accidents que la fortune inflige. Allons, allons, madame, ne vous affligez point ; contre fortune bon cœur, Baron, Coq. et fausse prude, V, 2. On dit aussi sans ellipse : Faites, il fit contre fortune bon cœur.

    Terme de pratique. À ses risques, périls et fortune, loc. adv. qui signifie que tous les risques sont mis à la charge de la personne dont il s'agit.

    Se dit aussi dans le langage ordinaire, avec le même sens. Qu'il est beau de détromper à ses risques et fortunes un indifférent sur des choses qui lui importent ! Diderot, Essai sur la vertu. Ma coutume est de donner mes griffonnages aux libraires, qui les impriment à leurs périls et fortunes, Courier, Lett. II, 24.

    La bonne et la mauvaise fortune, l'une et l'autre fortune, la prospérité et l'adversité. Égal dans les événements de l'une et l'autre fortune, Hamilton, Gramm. 5.

  • 6 Terme de marine. Fortune de mer, les accidents qui arrivent aux navigateurs, naufrages, tempêtes, pirates, etc.

    Fortune de vent, gros temps, temps pendant lequel les vents sont forcés.

    Voile de fortune, voile qui ne se porte que pendant l'orage.

    Gouvernails, mâts, etc. de fortune, gouvernails, mâts qui ne servent que momentanément.

    Fortune, nom d'une vergue et d'une voile dont on se sert à bord de certains navires qui ont le gréement des goëlettes. La fortune est une voile carrée attachée sur une vergue qui se hisse, comme la voile de misaine des bâtiments carrés, à la tête et sur l'avant du mât de misaine, Jal

  • 7La fortune de quelqu'un, ce qui peut lui arriver de bien ou de mal. Me faire la faveur d'assurer particulièrement trois d'entre elles [personnes] que, quelque loin que me jette ma fortune, la meilleure partie de moi-même sera toujours au lieu où elles seront, Voiture, Lett. 38. Donc, comme à vous servir j'attache ma fortune, Corneille, Ment. III, 5. Chacun, à ses périls, peut suivre sa fortune, Corneille, Perthar. III, 2. Jamais il n'a été en ma puissance de concevoir comme on trouve écrit dans le ciel jusqu'aux plus petites particularités de la fortune du moindre homme, Molière, Am. magn. III, 1. [Le prince de Condé] mande à ses agents dans la conférence [pour la paix des Pyrénées], qu'il n'est pas juste que la paix de la chrétienté soit retardée davantage à sa considération, qu'on ait soin de ses amis, et, pour lui, qu'on lui laisse suivre sa fortune, Bossuet, Louis de Bourbon. Demeurons toutefois pour troubler leur fortune, Racine, Andr. II, 1. Sa fortune dépend de vous plus que de moi, Racine, Brit. II, 4. Les biens qu'il avait abandonnés pour suivre la fortune de son maître, Hamilton, Gramm. 6. Je résolus de m'attacher à elle, de courir sa fortune, Rousseau, Conf. v.

    Il se dit aussi des choses. La fortune d'un livre. La fortune des empires.

  • 8Plus particulièrement, la fortune de quelqu'un, son heureuse fortune, les succès qu'il obtient. Cromwell alors se fit nommer gouverneur d'Irlande ; il partit avec l'élite de son armée, et fut suivi de sa fortune ordinaire, Voltaire, Mœurs, 181. Soliman envoie le bacha Mustapha assiéger Malte ; rien n'est plus connu que ce siége où la fortune de Soliman échoua, Voltaire, Ann. Emp. Maximilien II, 1565.
  • 9Il se dit, au pluriel, des variations du sort, de la destinée. En racontant toutes ses fortunes et tous ses longs voyages, D'Urfé, Astrée, I, 2. Je désire seulement d'avoir bientôt l'honneur de vous voir, et que toutes mes fortunes soient tellement jointes aux vôtres, que je ne sois jamais heureux ni malheureux qu'avec vous, Voiture, Lett. 35. Quoique nous lisions de lui, si faut-il avouer que vos fortunes sont aussi merveilleuses que les siennes, Voiture, Lett. 3. Il ne manque à vos fortunes que d'avoir été criminelle d'État, et voici que je vous en fais naître une belle occasion, Voiture, Lett. 31. Il [l'amour] a droit de régner sur les âmes communes, Non sur celles qui font et défont les fortunes, Corneille, Att. III, 4. Hors de l'ordre commun il [le sort] nous fait des fortunes, Corneille, Hor. II, 3. Quant au surplus des fortunes humaines, Les biens, les maux, les plaisirs et les peines…, La Fontaine, Belphégor. Nous parlions des fortunes d'Horace, Molière, l'Ét. IV, 6. Les fortunes du chevalier de Grammont y furent longtemps diverses dans l'amour et dans le jeu, Hamilton, Gramm. 5. Jetons la vue sur les fortunes galantes de son altesse, avant la déclaration de son mariage, Hamilton, ib. 3. Élevé par cette illusion au dernier degré de la gloire, vous vous convaincrez par vous-même de la vanité des fortunes, Vauvenargues, Médit. sur la foi. À la nécessité soumettons nos fortunes, Briffaut, Ninus II, IV, 10.

    On le dit aussi des choses. Cette doctrine a eu des fortunes très diverses.

  • 10Revers de fortune, accident qui change une bonne situation en une mauvaise.

    Retour de fortune, vicissitude dans la destinée, dans l'état des choses. Il y a de singuliers retours de fortune.

  • 11L'état, la condition où l'on est. Se contenter de sa fortune. Je me souhaiterais la fortune d'Éson, Malherbe, II, 12. Le capitaine de vaisseau touché de ma fortune prit amitié pour moi, Molière, l'Av. V, 3. Il goûtait un véritable repos dans la maison de ses pères qu'il avait accommodée peu à peu à sa fortune présente, sans lui faire perdre les traces de l'ancienne simplicité, Bossuet, le Tellier. Poursuivie par ses ennemis implacables qui avaient eu l'audace de lui faire son procès, tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d'heure, Bossuet, Reine d'Angleterre. Que si quelqu'un, mes vers, alors vous importune, Pour savoir mes parents, ma vie et ma fortune, Boileau, Ép. X. Ma fortune va prendre une face nouvelle, Racine, Andr. I, 1. Heureux qui satisfait de son humble fortune…, Racine, ib. Vous avez entendu sa fortune [de Joas], Racine, Athal. II, 7.

    Il se dit aussi au pluriel. Dans les fortunes médiocres, l'ambition encore tremblante se tient si cachée qu'à peine se connaît-elle elle-même, Bossuet, le Tellier. Ô mère, ô femme, ô reine admirable et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étaient quelque chose ! Bossuet, Reine d'Anglet.

    Une grande fortune, une condition élevée. Il n'y a rien qui se soutienne plus longtemps qu'une médiocre fortune ; il n'y a rien dont on voie mieux la fin qu'une grande fortune, La Bruyère, VI.

    Chacun est artisan de sa fortune, c'est-à-dire en général nos succès dépendent de nous.

    Il fut l'artisan de sa fortune, il ne dut qu'à lui ses bons succès.

  • 12Élévation de quelqu'un dans la condition, le rang, les honneurs, les emplois, les richesses. Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune D'un courtisan flatteur la présence importune, Corneille, Cinna, II, 1. Lui donner moyen de pousser sa fortune, Sévigné, 607. Je ne vais point au Louvre adorer la fortune, Boileau, Sat. II. Enfin je me dérobe à la joie importune De tant d'amis nouveaux que me fait la fortune, Racine, Bérén. I, 4. Ai-je donc élevé si haut votre fortune Pour mettre une barrière entre mon fils et moi ? Racine, Brit. I, 2. Pardonnez à l'éclat d'une illustre fortune Ce reste de fierté qui craint d'être importune, Racine, Andr. III, 6. Il a commencé de bonne heure et dès son adolescence à se mettre dans les voies de la fortune, La Bruyère, VI. Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune, elle n'est pas faite à cinquante ; l'on bâtit dans sa vieillesse, et l'on meurt quand on en est aux peintres ou aux vitriers, La Bruyère, ib. La révolte du comte de Soissons fut la plus dangereuse ; elle était appuyée par le duc de Bouillon, fils du maréchal, qui le reçut dans Sedan, par le duc de Guise, petit-fils du balafré, qui, avec le courage de ses ancêtres, voulait en faire revivre la fortune, Voltaire, Mœurs, 176.

    Les biens de la fortune, les richesses, les honneurs, les emplois.

    Faire fortune, s'élever haut dans les honneurs, les emplois, les richesses. Faire fortune est une si belle phrase et qui dit une si bonne chose, qu'elle est d'un usage universel, La Bruyère, VI. Il faut une sorte d'esprit pour faire fortune et surtout une grande fortune ; ce n'est ni le bon ni le bel esprit, ni le grand, ni le sublime, ni le fort, ni le délicat ; je ne sais précisément lequel c'est ; j'attends que quelqu'un veuille m'en instruire, La Bruyère, ib.

    Fig. Faire fortune, en parlant des choses, obtenir du succès, réussir. Depuis la paix, mon vin fait encore plus de fortune en Angleterre qu'en a fait mon livre [l'Esprit des lois], Montesquieu, Correspondance, 61. Toutes ces pièces ont été imprimées, leur fortune est faite, Diderot, les Saisons. Je puis assurer à Votre Majesté que ces mots précieux à la raison ont fait autant de fortune que son bel éloge de l'impératrice reine, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 30 mars 1781. Mot qui courut dans le monde et fit fortune, Marmontel, Mém. V.

    Faire la fortune de quelqu'un, le faire parvenir à une position élevée. Cette créature avait fait la fortune de bien des gens, Sévigné, 348. Aimez vos domestiques, portez-les à Dieu, faites leur fortune, mais ne leur en faites jamais une grande, Maintenon, Avis à la duch. de Bourgogne.

    Faire sa fortune, parvenir à une position élevée. Son esprit [du comte d'Estrées] est si fort tourné sur les sciences et sur ce qui s'appelle les belles-lettres, que, s'il n'avait une fort bonne réputation et sur mer et sur terre, je croirais qu'il serait du nombre de ceux que le bel esprit empêche de faire leur fortune, Sévigné, 599. Il y a une différence si immense entre celui qui a sa fortune toute faite et celui qui la doit faire, que ce ne sont pas deux créatures de la même espèce, Voltaire, Lett. Cideville, 26 sept. 1733. Vous qui vous exposez à la plainte importune De ceux dont la valeur a fait votre fortune, Voltaire, Orphel. IV, 2.

    Homme de fortune, celui qui est parti de petits commencements et s'est élevé soit par son mérite soit par les circonstances. C'était un homme de fortune comme vous, Bourdaloue, Carême, I, Pensées de la mort, 16.

    Soldat de fortune, homme de guerre qui s'est élevé des derniers grades aux plus élevés par ses propres efforts. Il ne fit choix, pour un emploi si important et si délicat, que d'un soldat de fortune et par conséquent incapable de lui donner de l'ombrage et de se faire chef de parti, Vertot, Révol. rom. XIV, p. 349. Rosen, étranger et soldat de fortune jusqu'à avoir tiré au billet pour maraude, Saint-Simon, 25, 32. Le duc de Vendôme, parvenu enfin au généralat après avoir passé par tous les degrés depuis celui de garde du roi, comme un soldat de fortune, commandait en Catalogne, où il gagna un combat et il prit Barcelone, Voltaire, Louis XIV, 17. Dioclétien n'était qu'un soldat de fortune, Voltaire, Mœurs, 8.

    Officier de fortune, soldat devenu officier. Les gentilshommes seuls en ont eu l'honneur [d'une affaire politique] ; les officiers de fortune et les bas officiers ont refusé de donner, ayant peu d'envie, disaient-ils, de combattre avec la noblesse, et peu de chose à espérer d'elle, Courier, Lett. particulière.

    Officier de fortune, s'est dit autrefois des officiers qui vendaient leurs services ou s'engageaient à qui voulait les payer. L'officier de fortune, titre d'un roman de W. Scott.

  • 13Les grandes fortunes, les personnes élevées par le rang, par les honneurs, les emplois, les richesses. Chacun est jaloux de ce qu'il est… surtout les grandes fortunes veulent être traitées délicatement ; elles ne prennent pas plaisir qu'on remarque leur défaut, Bossuet, Sermons, la Mort, 1.
  • 14Richesses, biens. Jouir d'une grande fortune. Il est sans fortune. Il n'a point de fortune. Si sa fortune était petite, Elle était sûre tout au moins, La Fontaine, Fabl. IV, 2. Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ; La dame de ces biens, quittant d'un œil marri Sa fortune ainsi répandue…, La Fontaine, ib. VII, 10. Figurez-vous quelle joie ce peut être que de relever la fortune d'une personne que l'on aime, Molière, l'Avare, I, 2. Un zèle de la justice qui assure la fortune des particuliers, Bossuet, le Tellier. Si elle eût eu la fortune des ducs de Nevers ses pères, Bossuet, Ann. de Gonz. Une grande puissance ou une grande fortune annonce le mérite et le fait plus tôt remarquer, La Bruyère, VI. On ne peut mieux user de sa fortune que fait Périandre : elle lui donne du rang, du crédit, de l'autorité, La Bruyère, ib. Il arrive, je ne sais par quels chemins, jusqu'à donner en revenu à l'une de ses filles pour sa dot ce qu'il désirait lui-même d'avoir en fonds pour toute fortune pendant sa vie, La Bruyère, ib. Triste condition de l'homme et qui dégoûte de la vie ! il faut suer, veiller, fléchir, dépendre pour avoir un peu de fortune, ou la devoir à l'agonie de nos proches, La Bruyère, ib. Vous qui ne devez peut-être qu'aux malheurs publics et à des gains odieux ou suspects l'accroissement de votre fortune, Massillon, Carême, Aumône. Vous demandez comment on fait ces grandes fortunes, c'est parce qu'on est heureux, Voltaire, Jeannot et Colin. Ceux qui avaient partie de leur fortune sur la compagnie des Indes, n'ont qu'à se recommander aux directeurs de l'hôpital ; on a bien raison d'appeler son bien fortune ; car un moment le donne, un moment l'ôte, Voltaire, Lett. d'Argental, 2 août 1761. Ses agents font des fortunes incroyables, Raynal, Hist. phil. III, 37.

    Homme de fortune, homme riche. L'Huillier, homme de fortune, prenait un soin singulier de l'éducation du jeune Chapelle, son fils naturel, Voltaire, Vie de Molière.

    Être mal avec la fortune, être besogneux, n'être pas riche. C'était une des plus belles femmes de la ville, assez magnifique pour vouloir aller de pair avec celles qui l'étaient le plus, mais trop mal avec la fortune pour pouvoir en soutenir la dépense, Hamilton, Gramm. 6.

    Faire fortune, gagner de la richesse.

    Je n'ai que faire d'aller en Hollande, ma fortune est faite, se disait, par raillerie, à un homme faisant beaucoup de promesses.

  • 15 Terme de droit coutumier. Fortune d'or, d'argent, or, argent trouvé dans la terre.
  • 16Demi-fortune, voy. ce mot à son rang.

REMARQUE

1. Faut-il dire des bonnes fortunes ou de bonnes fortunes ? J. J. Rousseau, dans l'exemple cité au n° 3, a dit : des bonnes fortunes ; on peut dire en effet ainsi quand on considère la locution comme un seul mot. Mais on peut aussi dire de bonnes fortunes, en considérant bonnes fortunes en deux mots.

2. À propos du vers d'Horace cité au n° 9, Voltaire dit : " Ce mot de fortunes au pluriel ne doit jamais être employé sans épithète : bonnes et mauvaises fortunes, fortunes diverses, mais jamais des fortunes. " Les exemples qui accompagnent celui de Corneille montrent que la remarque de Voltaire est trop étroite.

HISTORIQUE

XIIIe s. De fortune me tourne diversement la roe, Berte, XXXIII. Fortune secort les hardiz, Si comme conte li escriz, Ren. 13609. Fortune comprent ce qui avient à home de bien et de mal, Latini, Trésor, p. 530. Por ce, dient li plusor, que fortune est aveugle, et qu'elle tornoie tozjors sa roe en non veant, Latini, ib. p. 441.

XIVe s. L'en ne conseille pas des choses qui aviennent à la fortune, si comme seroit trouver un tresor à cas d'aventure, Oresme, Eth. 66. Une question est à savoir se l'en a plus grant mestier d'amis en bonnes fortunes ou en infortunes, Oresme, ib. 288. Par fortune de feu, qui, d'aventure ou autrement, se povoit prendre ou estre boutez par aucuns malfaitteurs, Ord. des rois de Fr. t. III, p. 668.

XVe s. Si j'estois pris ou arresté par aucun cas de fortune, Froissart, I, I, 108. Leurs vaisseaux eurent si grand fortune sur mer… que plusieurs de leurs nefs furent peries…, Froissart, I, I, 159. [Le sire de l'Esparre] eut une fortune de vent sur mer qui le bouta en la mer d'Espaigne, Froissart, II, II, 4. Congnoistre que les graces et bonnes fortunes viennent de Dieu, Commines, I, 4. Que chascun se retyre en son logis et se tienne prest, sans soy esbayr de fortune qui advienne, Commines, I, 13. Toutes ces grandes fortunes leur sont advenues en trois mois d'espace [il s'agit d'une suite de malheurs qu'on vient d'énumérer], Commines, VIII, 17.

XVIe s. Combien que ce tapissier, par fortune de maladie, fust devenu sourd, Marguerite de Navarre, Nouv. XLV. Une fortune ne vient jamais seule, Despériers, Contes, v. Après sa mort vous aurez la maison, si elle n'est vendue, alienée, ou tombée en fortune de feu, Despériers, ib. LI. En recognoissance d'une si illustre fortune [victoire], Montaigne, I, 19. J'avoy, de fortune, en mes coffres…, Montaigne, I, 95. La condition de sa fortune [richesse] le luy permettoit, Montaigne, I, 281. Regardez pour quoy celuy là s'en va courre fortune de son honneur et de sa vie à tout son espée, Montaigne, IV, 167. Si s'embarqua tout incontinent, et eut le temps si à propos, qu'il traversa la mer sans fortune [accident] jusques à Brindes, Amyot, Caton, 29. Hannibal estoit lors vieil et cassé, sans force ne puissance aucune, comme un homme que la fortune avoit de tout poinct ruiné et foulé aux pieds, Amyot, Flam. 39. Il est force que nous tentions encore la fortune, Amyot, Pomp. 105. Je luy appris encore à dire souvent… interesser, prendre la garantie, faire fortune, courir risque… et mille autres termes en cette façon, à quoy on connoit aujourduy une belle ame, D'Aubigné, Conf. II, 1. Nous ne sommes ny à l'empereur ny au roy de France, mais soldats de fortune, qui la cherchons partout où nos advertissements nous guident, Carloix, VI, 18. Quand il [Charles-Quint] sceust que non [que la victoire de Saint-Quentin n'avait pas été poursuivie], il dict qu'en son aage et en ceste fortune de victoire, il ne se fust arresté en si beau chemin, Brantôme, Charles-Quint. La fortune aide à trois sortes de personnes, aux fols, aux yvrognes et aux petits enfants, Oudin, Curios. fr. Mieux vaut une once de fortune qu'une livre de sagesse, Cotgrave Contre fortune, force aucune, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 277. En ce monde fortune et infortune abonde, Leroux de Lincy, ib. p. 292.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

FORTUNE.
3Ajoutez :

Faire la bonne fortune de quelqu'un, d'un ouvrage, assurer son succès (locution vieillie). Rodogune se présente à Votre Altesse avec quelque sorte de confiance, et ne peut croire qu'après avoir fait sa bonne fortune, vous dédaigniez de la prendre en votre protection, Corneille, Rod. Epître.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

FORTUNE, s. m. (Morale) ce mot a différentes acceptions en notre langue : il signifie ou la suite des évenemens qui rendent les hommes heureux ou malheureux, & c’est l’acception la plus générale ; ou un état d’opulence, & c’est en ce sens qu’on dit faire fortune, avoir de la fortune. Enfin lorsque ce mot est joint au mot bon, il désigne les faveurs du sexe ; aller en bonne fortune, avoir des bonnes fortunes (& non pas, pour le dire en passant, de bonnes fortunes, parce que bonne fortune est traité ici comme un seul mot). L’objet de cette derniere acception est trop peu sérieux pour obtenir place dans un ouvrage tel que le nôtre ; ce qui regarde le mot fortune pris dans le premier sens, a été suffisamment approfondi au mot Fatalité ; nous nous bornerons donc à dire ici quelque chose sur le mot fortune, pris dans la seconde acception.

Il y a des moyens vils de faire fortune, c’est-à-dire d’acquérir des richesses ; il y en a de criminels, il y en a d’honnêtes.

Les moyens vils consistent en général dans le talent méprisable de faire bassement sa cour ; ce talent se réduit, comme le disoit autrefois un prince de beaucoup d’esprit, à savoir être auprès des grands sans humeur & sans honneur. Il faut cependant observer que les moyens vils de parvenir à l’opulence, cessent en quelque maniere de l’être lorsqu’on ne les employe qu’à se procurer l’étroit nécessaire. Tout est permis, excepté le crime, pour sortir d’un état de misere profonde ; de-là vient qu’il est souvent plus facile de s’enrichir, en partant de l’indigence absolue, qu’en partant d’une fortune étroite & bornée. La nécessité de se délivrer de l’indigence, rendant presque tous les moyens excusables, familiarise insensiblement avec ces moyens ; il en coûte moins ensuite pour les faire servir à l’augmentation de sa fortune.

Les moyens de s’enrichir peuvent être criminels en morale, quoique permis par les lois ; il est contre le droit naturel & contre l’humanité que des millions d’hommes soient privés du nécessaire comme ils le sont dans certains pays, pour nourrir le luxe scandaleux d’un petit nombre de citoyens oisifs. Une injustice si criante & si cruelle ne peut être autorisée par le motif de fournir des ressources à l’état dans des tems difficiles. Multiplier les malheureux pour augmenter les ressources, c’est se couper un bras pour donner plus de nourriture à l’autre. Cette inégalité monstrueuse entre la fortune des hommes, qui fait que les uns périssent d’indigence, tandis que les autres regorgent de superflu, étoit un des principaux argumens des Epicuriens contre la providence, & devoit paroître sans réplique à des philosophes privés des lumieres de l’évangile. Les hommes engraissés de la substance publique, n’ont qu’un moyen de réconcilier leur opulence avec la morale, c’est de rendre abondamment à l’indigence ce qu’ils lui ont enlevé, supposé même que la morale soit parfaitement à couvert, quand on donne aux uns ce dont on a privé les autres. Mais pour l’ordinaire ceux qui ont causé la misere du peuple, croyent s’acquitter en la plaignant, ou même se dispensent de la plaindre.

Les moyens honnêtes de faire fortune, sont ceux qui viennent du talent & de l’industrie ; à la tête de ces moyens, on doit placer le Commerce. Quelle différence pour le sage entre la fortune d’un courtisan faite à force de bassesses & d’intrigues, & celle d’un négociant qui ne doit son opulence qu’à lui-même, & qui par cette opulence procure le bien de l’état ! C’est une étrange barbarie dans nos mœurs, & en même tems une contradiction bien ridicule, que le commerce, c’est-à-dire la maniere la plus noble de s’enrichir, soit regardé par les nobles avec mépris, & qu’il serve néanmoins à acheter la noblesse. Mais ce qui met le comble à la contradiction & à la barbarie, est qu’on puisse se procurer la noblesse avec des richesses acquises par toutes sortes de voies. Voyez Noblesse.

Un moyen sûr de faire fortune, c’est d’être continuellement occupé de cet objet, & de n’être pas scrupuleux sur le choix des routes qui peuvent y conduire. On demandoit à Newton comment il avoit pû trouver le système du monde : c’est, disoit ce grand philosophe, pour y avoir pensé sans cesse. A plus forte raison réussira-t-on par cette opiniâtreté dans des entreprises moins difficiles, sur-tout quand on sera résolu d’employer toutes sortes de voies. L’esprit d’intrigue & de manége est donc bien méprisable, puisque c’est l’esprit de tous ceux qui voudront l’avoir, & de ceux qui n’en ont point d’autre. Il ne faut d’autre talent pour faire fortune, que la résolution bien déterminée de la faire, de la patience, & de l’audace. Disons plus : les moyens honnêtes de s’enrichir, quoiqu’ils supposent quelques difficultés réelles à vaincre, n’en présentent pas toujours autant qu’on pourroit le penser. On sait l’histoire de ce philosophe, à qui ses ennemis reprochoient de ne mépriser les richesses, que pour n’avoir pas l’esprit d’en acquérir. Il se mit dans le commerce, s’y enrichit en un an, distribua son gain à ses amis, & se remit ensuite à philosopher. (O)

Fortune, (Mythol. Littér.) fille de Jupiter, divinité aveugle, bisarre, & fantasque, qui dans le système du Paganisme présidoit à tous les évenemens, & distribuoit les biens & les maux selon son caprice.

Il n’y en eut jamais de plus révérée, ni qui ait été adorée sous tant de différentes formes. Elle n’est pas cependant de la premiere antiquité dans le monde. Homere ne l’a pas connue, du moins il n’en parle point dans ses deux poemes ; & l’on a remarque que le mot τύχη ne s’y trouve pas une seule fois. Hésiode n’en parle pas davantage, quoiqu’il nous ait laissé une liste très-exacte des dieux, des déesses, & de leurs généalogies.

Les Romains reçûrent des Grecs le culte de la Fortune, sous le regne de Servius Tullius, qui lui dédia le premier temple au marché public ; & sa statue de bois resta, dit-on, toute entiere, après un incendie qui brûla l’édifice. Dans la suite la Fortune devint à Rome la déesse la plus fêtée : car elle eut à elle seule plus de temples que les autres divinités réunies. Tels sont ceux de Fortune favorable, Fortune primigénie, bonne Fortune, Fortune virile, Fortune féminine, Fortune publique, Fortune privée, Fortune libre, Fortune forte, Fortune affermie, Fortune équestre, Fortune de retour, ou Réduce, redux ; Fortune aux mammelles, mammosa ; Fortune stable, manens ; Fortune nouvelle, grande & petite Fortune, Fortune douteuse, & jusqu’à la mauvaise Fortune. La Fortune virile, virilis, étoit honorée par les hommes ; & la Fortune féminine, muliebris, l’étoit par les femmes.

Il ne faut pas s’étonner de ce grand nombre de temples consacrés à la Fortune sous divers attributs, chez un peuple qui la regardoit comme la dispensatrice des biens & des maux.

Néron lui fit bâtir un temple. Elle en avoit un autre à Antium, patrie de cet empereur, aujourd’hui Anzo-Rovinato, petite place maritime auprès de Capo d’Auzo, à 7 lieues d’Ostie vers l’orient d’hyver, & à environ une demi-lieue de Nettuno. On appelloit ce temple, le temple des Fortunes, ou des sœurs Antiatines. L’église de sainte Marie égyptienne à Rome, étoit un des temples de la Fortune virile, dont Palladio a donné la description & les desseins.

Mais le temple de la Fortune le plus renommé dans l’antiquité, étoit à Præneste, la froide Præneste d’Horace, aujourd’hui Palestrine, à 18 milles de Rome. Il ne reste plus de ce fameux temple, qui rendoit cette ville si célebre, que le seul premier mur inférieur, bâti de briques, où on voit une grande quantité de niches posées les unes sur les autres en deux lignes. Ce temple occupoit toute la partie de la montagne, dont les différentes terrasses étoient ornées de différens bâtimens à l’usage des prêtres & des filles destinées au service de la déesse. L’autel étoit presqu’au haut de la montagne, & il n’y avoit au-dessus qu’un bois consacré, & au-dessus du bois, un petit temple dédié à Hercule. C’est le palais Barbérin, peu digne d’attention, excepté par sa belle vûe, qui occupe aujourd’hui l’ancien temple de la Fortune de Præneste, & qui est bâti, à ce qu’on prétend, dans l’endroit même où étoit la statue de cette divinité, & la cassette des sorts.

Vossius a ramasse toute la mythologie de la Fortune dans son II. livre de idolol. cap. xlij. & xliij. & Struvius, dans son synt. antiq. rom. a recueilli tous les différens titres généraux & particuliers que les Romains donnoient à cette déesse. Les médailles, les inscriptions, & les autres monumens des Grecs sont remplis du nom & de l’effigie de la Fortune. On la voit tantôt en habit de femme, avec un bandeau sur les yeux & les piés sur une roue ; tantôt portant sur sa tête un des pôles du monde, & tenant en main la corne d’Amalthée ; ici Plutus enfant est entre ses bras ; ailleurs elle a un soleil & un croissant sur le front ; mais il est inutile d’entrer là-dessus dans un plus long détail. Les attributs de la Fortune sont trop clairs pour qu’on puisse s’y tromper. (D. J.)

Fortune de vent, (Marine.) c’est-à-dire un gros tems où les vents sont forcés. (Z)

Fortune de Mer, (Marine.) ce sont les accidens qui arrivent à la mer, comme d’échouer, de couler-bas d’eau, d’essuyer quelque violente tempête, &c. (Z)

Fortune, Voile de Fortune ; (Marine.) la voile de fortune est la voile quarrée d’une tartane ou d’une galere ; car leurs voiles ordinaires sont latines, ou à tiers point ; & elles ne portent la voile de fortune, qu’on nomme aussi treou, que pendant l’orage : les galiotes en ont aussi. Voyez Treou. (Z)

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Étymologie de « fortune »

Du latin fortuna, lui-même de fors, « sort, hasard ».
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Bourguig. forteugne ; provenç. espagn. et ital. fortuna ; du lat. fortuna, de fors, sort, rapporté à ferre et à la grande racine sanscrite bhar, porter, produire. Quant au suffixe una, qu'on retrouve dans Neptunus, importunus, on le rapproche du suffixe umnus qui est dans Vertumnus ; ce suffixe mnus n'est lui-même qu'une contraction du suffixe participial menus,

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Phonétique du mot « fortune »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
fortune fɔrtyn

Fréquence d'apparition du mot « fortune » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « fortune »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « fortune »

  • J'aime qu'à mes desseins la fortune s'oppose : Car la peine de vaincre en accroît le plaisir.
    Jean Bertaut — Stances
  • Plus grande est notre fortune Et plus sombre est notre sort.
    Robert Desnos — Le Bain avec Andromède, Éditions de Flore
  • Las ! où est maintenant ce mépris de fortune ? Où est ce cœur vainqueur de toute adversité […] ?
    Joachim Du Bellay — Les Regrets
  • L'on voit des hommes tomber d'une haute fortune par les mêmes défauts qui les y avaient fait monter.
    Jean de La Bruyère — Les Caractères, De la cour
  • Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune ; elle n'est pas faite à cinquante ; l'on bâtit dans sa vieillesse, et l'on meurt quand on en est aux peintres et aux vitriers.
    Jean de La Bruyère — Les Caractères, Des biens de fortune
  • La fortune sourit aux audacieux.
    Virgile
  • Qui ose a peu souvent la fortune contraire.
    Mathurin Régnier
  • C'est au courage que va la fortune.
    Quintus Ennius — Annales
  • Les moyens qui rendent un homme propre à faire fortune sont les mêmes qui l'empêchent d'en jouir.
    Antoine Rivaroli, dit le Comte de Rivarol — Discours sur l'homme intellectuel et moral
  • Un jour suffit pour faire monter ou descendre toutes les fortunes humaines.
    Sophocle — Ajax, 131-132 (traduction Mazon)
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Images d'illustration du mot « fortune »

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Traductions du mot « fortune »

Langue Traduction
Anglais wealth
Espagnol fortuna
Italien fortuna
Allemand vermögen
Chinois 财富
Arabe ثروة
Portugais fortuna
Russe состояние
Japonais 幸運
Basque fortuna
Corse fortuna
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Synonymes de « fortune »

Source : synonymes de fortune sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « fortune »

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Fortune

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