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Forcer

Définitions de « forcer »

Trésor de la Langue Française informatisé

FORCER, verbe.

I.− Exercer une vive pression sur.
A.− Emploi trans. [Les masseurs qui] moulaient, pétrissaient, écrasaient sous leurs paumes ointes les muscles un à un, tiraient et forçaient les jointures (Martin du G., Devenir,1909, p. 60).La grande barre de fer, où quatre hommes sont attelés, s'arrête de forcer les charpentes (Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 223).
Fausser en exerçant une pression trop forte. Sous peine de forcer la barre, il ne faut pas serrer un côté du châssis avant d'avoir arrêté l'autre par les coins (E. Leclerc, Nouv. manuel typogr.,1932, p. 294).
Faire pénétrer en poussant fort. Synon. bourrer.L'étable de troncs bruts entre lesquels on avait forcé des chiffons et de la terre (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 58).
Faire céder, fracturer. Forcer un coffre, une serrure :
1. Je vois un type sans col, chemise sale, gilet ouvert et pantalon à raies, en train de forcer des robinets à bière. Malraux, Espoir,1937, p. 589.
B.− Emploi abs. Avant que la nécessité s'impose à nous de forcer à bloc et que le corps crie sous le cric (Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 63).Le menton appuyé sur la nuque de Paul, forçant avec sa grande force de charpentier, avec ses vingt-six ans solides (Giono, Batailles ds mont.,1937, p. 121).
Forcer + compl. locatif.Pièces qui s'emboîtent juste et qui forcent l'une sur l'autre (Romains, Vie unan.,1908, p. 258).Le petit taureau qui joyeusement chargeait le picador, forçait sur le fer (Montherl., Bestiaires,1926, p. 421).Un bateau longeait la rive... Il forçait contre courant (Céline, Mort à crédit,1936, p. 254).
II.− Augmenter la force, l'intensité de quelque chose au delà de la limite normale.
A.− Augmenter l'intensité, le rythme de quelque chose. Synon. intensifier, pousser, renforcer.
1. Emploi trans. Forcer l'allure, le pas. Il força les feux, pour chauffer les pièces (Huysmans, Là-bas,t. 2, 1891, p. 39).Aline calcula-t-elle mal la dose? ou voulut-elle la forcer?... Elle en prit tant, qu'une heure après elle était morte (Gide, Journal,1902, p. 112).
Rem. Vieilli ou région. Augmenter. Elle forçait ses approvisionnements comme si Paris eût été menacé d'un siège (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 163). Un courage inutile assaillit le Survenant. Une ardeur nouvelle força son sang (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 191).
Forcer de (vieilli).Et la noire gondole força de rames, se glissant le long des palais de marbre (Bertrand, Gaspard,1841, p. 212).Elle fuyait (...) poursuivie par les sangliers qui filaient ventre à terre. J'avais beau forcer de vitesse, je n'arrivais pas (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 156).
Au fig. Pousser trop loin. Synon. exagérer, outrer.Forcer son style, son talent. Quand il faut s'arrêter, il continue. On veut forcer l'analyse, et tout se disperse en atomes (Reybaud,J. Paturot,1842,p. 282).Ça nous faisait en calculant juste, sans forcer du tout les chiffres, à peu près dans les trois millions (Céline, Mort à crédit,1936, p. 518).
Forcer les limites. Aller au delà de. Prenez garde à votre défaut. Vous forcez les limites de la nature humaine; vous la faussez par votre grandeur (Renan, Drames philos.,Abbesse Jouarre, 1886, V, 2, p. 673).
Forcer le ton. Exagérer. Les mauvais Français nous accusent de forcer le ton et de faire parade de sentiments conventionnels (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 180).
Emploi pronom. Sa voix frêle se força si drôlement sur la dernière syllabe qu'il crut devoir achever par une petite toux aiguë de coquette (Bernanos, Imposture,1927, p. 383).
2. Forcer sur.Insister avec excès. Synon. en rajouter (fam.).Je forçais un peu sur la note... je faisais de la consolation... je faisais ce que je pouvais... Alors elle tournait en fontaine... − Pleurez pas madame! Pleurez pas!... (Céline, Mort à crédit,1936, p. 663):
2. À la vérité, il forçait un peu sur le sublime : c'était un homme du xixesiècle qui se prenait, comme tant d'autres, comme Victor Hugo lui-même, pour Victor Hugo. Sartre, Mots,1964, p. 15.
B.− Hâter la croissance de plantes, la maturation de fruits (cf. forçage).
Au fig. Modifier artificiellement ce qui vient de la nature. Mais, je vous demande, est-ce qu'on peut forcer son tempérament. C'est de naissance! (Bernanos, Imposture,1927, p. 468):
3. ... je ne vis vraiment, que si je fuis la vie au sens courant du terme, dans l'exaltation ou dans la création; et ce qui doit se passer dans les autres moments, c'est qu'exaspéré de ne point parvenir à vivre autrement, je veux alors, si je puis dire forcer [it. ds le texte] la vie, la susciter, fût-ce artificiellement... Du Bos, Journal,1926, p. 104.
C.− Imposer à (une personne, un animal) un effort au-delà de ses capacités physiques normales. Forcer un cheval. Tu as modifié ton programme, tu as couru une épreuve qui n'est pas faite pour toi, tu as forcé ton organisme (Montherl., Olymp.,1924, p. 318).
III.− Dominer en usant de la force, de la violence. Synon. contraindre.
A.− [Le compl. désigne un animé]
1. Poursuivre (un gibier) jusqu'à ce qu'il soit à bout de force. Synon. réduire aux abois.Partout ils [les loups, les renards] trouveront un lièvre à forcer ou un agneau à ravir (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 86):
4. Dans les bois des environs, on forçait un malheureux cerf et le grand hourvari des aboiements arrivait jusqu'à nous. Un vieux monsieur à cheval est passé, sanglé dans son habit rouge et le nez surmonté d'un binocle. Green, Journal,1938, p. 158.
Forcer (qqn) dans (ou autre compl. locatif).Synon. acculer, cerner.Forcer l'ennemi dans ses derniers retranchements. Le réduire à merci :
5. Les autres vaches, ils me rebousculent, ils me poussent, ils sont les plus forts... Ils sont extrêmement brutaux... Ils me projettent dans l'escalier... Ils écoutent même pas ma mère... Ils me forcent dans la pièce en-dessous... Je prends tous les coups, comme ils viennent... Je résiste plus... Céline, Mort à crédit,1936, p. 390.
P. métaph. La dialectique, poursuivant passionnément cette proie merveilleuse, la pressa, la traqua, la força dans le bosquet des notions pures (Valéry, Variété IV,1938, p. 245):
6. Nous rentrerons sans doute un peu dans nos raisonnemens antérieurs; mais il le faut pour poursuivre et forcer dans son dernier retranchement la théorie de Locke. Cousin, Hist. philos.,t. 2, 1829, p. 439.
2. P. anal. Obtenir de haute lutte. Au combat, ces garçons (...) enfonçaient n'importe quelle troupe et forçaient la victoire (Pourrat, Gaspard,1922, p. 224).L'espoir de forcer la chance (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 220).
Prendre une femme de force. Synon. violer.Un homme qui va forcer sur un lit une femme qu'il épouse parce qu'il n'a pas découvert d'autres moyens de lui voler sa dot (Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 25).
3. SP., rare. Attaquer un adversaire pour le réduire à la défensive (cf. forcing). Tu t'es obstiné à jouer fignolé devant un adversaire qui n'avait plus de souffle, au lieu de le forcer par un jeu rapide (Montherl., Olymp.,1924, p. 291).
B.− [Le compl. d'obj. désigne un inanimé concr.] S'emparer d'un lieu, obtenir le passage vers (un lieu) en recourant à la violence. Forcer une ville. Reconquérir Metz et Strasbourg, et par là forcer les accès faciles de Paris (Barrès, Cahiers,t. 13, 1921-22, p. 179):
7. ... le solitaire se ramasse. C'est forcer le passage ou mourir qu'il faut! Le chien l'étourdit de son hurlement sans oser l'assaillir : il va le charger; déjà il baisse ses défenses. Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 11.
8. Et d'ailleurs tu sais nos conventions, je fonce droit devant moi, toujours. Si la vie n'est qu'un obstacle à forcer, je la force, je sortirai de l'autre côté tout écumant, tout sanglant. Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1381.
Forcer la porte de qqn. Parvenir auprès de quelqu'un malgré la consigne de n'ouvrir à personne :
9. Pardonnez-moi de forcer votre porte. (Regardant vers Christine). Ah! elle est encore là! Je craignais d'arriver trop tard. (Il prend Christine par la main, la fait lever). Vous permettez... et je l'emmène! Montherl., Celles qu'on prend,1950, III, 5, p. 826.
Forcer la consigne. [Même sens] . Decraemer veillait la petite morte. Il n'avait voulu voir personne. Mayet son comptable, un matin, força la consigne (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 145).
Au fig. La pensée d'Hélène avait été prompte à forcer la maison, le repos de Vial (Colette, Naiss. jour,1928, p. 39).Je crois bien que j'ai rêvé d'Allan : cet être qui m'absorbe depuis huit jours va-t-il forcer jusqu'à mon sommeil? (Gracq, Beau tén.,1945, p. 67).
IV.− Mettre dans la nécessité d'accomplir une action.
A.− Forcer à, forcer de.Synon. contraindre, obliger.
1. [Le compl. indir. est un inf.]
a) [À la forme active, la prép. est soit à, soit de (70 % pour à, 30 % pour de dans le corpus littér. TLF)] Ceux-ci entrèrent parce que nous les y forçâmes (Leroux, Parfum,1908, p. 111).[Quelqu'un] qui voudrait m'influencer, me contrôler, m'embrigader. Me forcer à dire autre chose que ce que je voulais dire (Montherl., Notes théâtre,1954, p. 1074).Une sourde inquiétude le forçait à aller et venir (Green, Moïra,1950, p. 39).Cette triste myopie qui le [l'écrivain] forçait à examiner de tout près chaque objet (Sarraute, Ère soupçon,1956, p. 14).
Forcer de + inf.Elle me força de rester immobile et de la regarder sourire (Jouve, Scène capit.,1935, p. 223).Cette indigestion qui te forcera de te refaire en ta maison (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 876).Quelque chose le força d'écouter ce bruit doux et tranquille (Green, Moïra,1950, p. 32):
10. Nous-même qui aspirons à la vie éternelle, nous qui en avons reçu l'espérance, un chant humain suffit pour nous forcer d'aimer, pendant quelques instants, le désespoir... Mauriac, Journal 2,1937, p. 122.
Emploi abs. Attendez! Je ne veux forcer personne. J'ai pour principe d'être correct (Camus, État de siège,1948, p. 217).
Rem. Ne se construit gén. pas avec une complétive. Par exception : ah, qui se donne comme il faut, il forcera bien qu'on l'accepte! (Claudel, Part. midi, 1906, I, p. 1012).
b) [À la forme passive, la préposition est de] Quand il sera forcé par la faim de redescendre (Zola, Germinal,1885, p. 1338):
11. Par exemple, je suis forcé de reconnaître qu'il n'est pas encore bien joli; il est probable que cela viendra plus tard... Loti, Mon frère Yves,1883, p. 194.
Rem. La constr. avec la prép. à est répandue dans les œuvres antérieures au xixes. On la trouve encore parfois sous la plume d'écrivains de la 1remoitié du xixes. Nous espérons être vainqueurs si nous sommes forcés à combattre (Lamart., Corresp., 1832, p. 291; cf. aussi Id., Chute, 1838, p. 996). [Elle] attendait d'être forcée à parler (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 297). Forcée à vivre de mon travail de chaque jour (Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 302). Tu es donc forcée à prendre un brave garçon inférieur (Flaub., Corresp., 1863, p. 124; cf. aussi Id., Hérodias, 1877, p. 152).
2. [Le compl. indir. est un subst. verbal (action ou état); la prép. est toujours à]
[À la forme active] On peut le molester, mais on ne saurait le forcer au travail (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 305).La maladie qui, apparemment, avait forcé les habitants à une solidarité d'assiégés (Camus, Peste,1947, p. 1355):
12. Il répondit « oui », voulant forcer son visage à une expression désolée, mais les deux hommes s'étaient pénétrés d'un coup d'œil... Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Hérit., 1884, p. 488.
[À la forme passive] Le bilieux est forcé aux grandes choses par son organisation physique (Stendhal, Hist. peint. Ital.,t. 2, 1817, p. 46).Mais, que veux-tu? On est forcé à des ménagements (Zola, Œuvre,1886, p. 170).[J'étais] un peu gêné, non pas pauvre, mais pauvret, mais soucieux, forcé à une économie de tous les instants (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Divorce, 1888, p. 1095).
Contraint et forcé. [Expression à valeur intensive] [Il] se taisait farouchement, n'ouvrait la bouche, contraint et forcé, que pour nier contre toute évidence (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 78).
B.− Forcer + subst. d'action.Ma rancune revient, de sentir si près de moi celle qui a forcé la tendresse de cette petite Aimée si peu sûre (Colette, Cl. école,1900, p. 65).Mais avant qu'elle eût pu s'écarter, il avait glissé à ses pieds et posé la joue contre sa hanche, comme un enfant qui veut forcer le pardon (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 663).La famille du maquignon donnait l'exemple avec une vigueur qui forçait l'admiration (Aymé, Jument,1933, p. 13).Il avait les yeux fiévreux, une agitation qui cette fois parut forcer l'attention du docteur (Peyré, Matterhorn,1939, p. 225):
13. L'ordre dans lequel les pensées nous sont présentées, toute la composition même du livre n'ont d'autre objet que de gagner, sans jamais le forcer, notre assentiment. Du Bos, Journal,1922, p. 60.
C.− Forcer la main à qqn.Imposer quelque chose à quelqu'un contre son gré. Je n'aime pas cette façon de me forcer la main. Tu me traînes à cet acte. Tu commences, pour m'obliger à finir (Camus, Malentendu,1944, II, 8, p. 159):
14. Drôle de fille! Il fallait toujours qu'elle vous arrachât de haute lutte ce qu'on était tout disposé à lui donner. Henri était certain qu'elle avait machiné sa grossesse, en trichant sur les dates, pour lui forcer la main; et après ça bien sûr, elle s'était convaincue qu'en le mettant devant le fait accompli elle l'avait seulement aidé à prendre conscience de ses vrais désirs. Beauvoir, Mandarins,1954, p. 540.
Avoir la main forcée. Se voir imposer quelque chose contre son gré. Il semble qu'il veuille avoir la main forcée, de façon à être couvert par un ordre, par une imposition ministérielle de son rôle (Goncourt, Journal,1865, p. 199).On le menaçait de se passer de lui, (...) il avait donc la main forcée (Hugo, Corresp.,1852, p. 123).
V.− Verbe pronom.
A.− Se forcer.Faire des efforts pour aller contre une réaction naturelle, pour faire une chose qu'on n'a pas envie de faire. Elle dut lui couper sa viande. − Forcez-vous un peu, répétait-elle. Le vieux restait le nez dans son assiette (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 233).Le moderne ne réussit pas à Londres; parfois les urbanistes anglais se forcent; ils imaginent alors une cage de verre (comme celle du Daily Express, dans Fleet Street) (Morand, Londres,1933, p. 73):
15. Il vint en avant, il vint encore un peu en avant, puis il s'arrêta, comme n'osant pas aller plus loin; pourtant, la nuit était tout à fait venue. Il était dans une nuit d'autant plus noire qu'il y manquait les étoiles, il aurait pu venir sans crainte, alors quoi? Il a dû se raidir, il a dû se dire : « Il faut », et se forcer; puis s'avance, descend la pente. Ramuz, Gde peur mont.,1926, p. 205.
B.− Se forcer à (pour).Synon. se contraindre à, s'obliger à.Se forcer à sortir. Il serrait les mâchoires, mordait ses lèvres pour se forcer à la maîtrise de soi (Montherl., Songe,1922, p. 134).La nécessité de s'imposer dans un sens qui n'était pas celui de sa nature, de se forcer pour rire (Montherl., Songe,1922p. 58).
Rem. Se forcer de est rare. Il se força de ne point allonger le pas malgré qu'il l'eût très élastique (Gide, Caves, 1914, p. 723; cf. aussi Id., ibid., p. 833). Je m'approchai de la bergère, je me forçai d'arriver jusqu'à son corps, qui me terrifiait (Jouve, Scène capit., 1935, p. 200).
Prononc. et Orth. : [fɔ ʀse], (il) force [fɔ ʀs]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Faire céder par la force a) xies. « faire violence (à une femme) » d'apr. FEW t. 3, p. 730a; xiiies. [ms.] (Chr. de Troyes, Chevalier Charrette [var. ms. V] 1321 ds T.-L.); ca 1200 plus gén. (Antioche, éd. P. Paris, VIII, 1381); b) ca 1230 « prendre de vive force une position militaire » ici pronom. (Chevalier deux épées, 9496 ds T.-L.); cf. 1588 Alexandre forçant la ville (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, livre I, chap. 1, p. 30); c) mil. xves. « exercer une pression morale sur autrui » (Ch. d'Orléans, La Retenue d'amours, éd. P. Champion, 83); d) av. 1549 « vaincre, maîtriser ses propres sentiments » forcer sa complexion (Marg., Lett., 78 ds Littré); e) 1552 « s'assurer la maîtrise de quelque chose » forçant ton Destin (Ronsard, Odes, livre V, IX, 27 ds Œuvres complètes, éd. P. Laumonier, t. 3); f) 1573 forcer la porte (Dupuys); 2. pousser au-delà de l'activité normale, de l'état normal a) ca 1210 « fausser, tordre » (Estoire d'Eustachius d'apr. Lar. Lang. fr.); b) 1573 forcer un animal (Dupuys); 1605 [éd.] plantes forcées (O. de Serres, 545 ds Littré); c) 1668 forcer son talent (La Fontaine, Fables, éd. H. Régnier, livre IV, 5, vers 1); d) 1690 forcer son stile (Fur.); e) 1859 emploi abs. « agir avec force, fournir un effort intense » (ici en parlant du vent) (Bonn.-Paris : le vent force lorsqu'il augmente); 1910 (Claudel, Gdes odes, p. 239). Prob. d'un lat. vulg. *fortiare, du lat. fortia, v. force. Fréq. abs. littér. : 4 176. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 7 524, b) 6 477; xxes. : a) 6 494, b) 6 621.

Wiktionnaire

Verbe - français

forcer \fɔʁ.se\ transitif 1er groupe (voir la conjugaison) (pronominal : se forcer)

  1. Briser, rompre, ouvrir quelque chose avec violence.
    • Ensuite il accompagna le médecin du Zeppelin dans une rue voisine, et força la porte d’une pharmacie où le major choisit les médicaments dont il avait besoin. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 304 de l’édition de 1921)
    • Tu seras étonnée de découvrir cette lettre dans mon coffre, sur un paquet de titres. Il eût mieux valu peut-être la confier au notaire qui te l’aurait remise après ma mort, ou bien la ranger dans le tiroir de mon bureau, le premier que les enfants forceront avant que j’aie commencé d’être froid. — (François Mauriac, Le Nœud de vipères, Grasset, 1933, réédition Le Livre de Poche, page 19)
    • Forcer une porte, une serrure, un coffre.
  2. Fausser, tordre, détériorer par une manœuvre violente.
    • Forcer une clef, forcer une serrure.
    • Forcer un muscle, une articulation.
  3. Prendre par force, enfoncer.
    • Forcer un retranchement, une ville, un passage.
    • Forcer tous les obstacles.
  4. Contraindre ou obliger à quelque chose. — Note : Se dit tant au propre qu’au figuré.
    • Quelque peu disposé que vous parussiez à accepter la place d’académicien, il a cru vraisemblablement entrevoir dans vos yeux une envie d'y être forcé, et s'est persuadé qu'au moment que vous seriez élu vous ne vous feriez plus prier pour occuper une place qu'on ne pourrait plus vous soupçonner d'avoir recherchée : il s'est trompé et vous l'avez refusée. — (« Lettre XXV de Boileau à M. de Lamoignon, Auteuil, le 7 juillet 1703 », dans les Œuvres complètes de Boileau, tome 4, Paris : chez Philippe, 1837, page 108)
    • Forcer quelqu’un à faire quelque chose.
    • Il fut forcé de partir.
    • Forcer les consciences.
    • Forcer les volontés.
    • Forcer son inclination, son humeur.
  5. Obliger à donner son consentement.
    • Forcer le consentement, le vote, etc., de quelqu’un,
  6. Pousser à plus, ou à trop, d'effort.
    • Forcer sa voix, Faire des efforts de voix.
    • Forcer un cheval, Le pousser trop, le faire courir au-delà de ses forces.
    • Forcer le pas, la marche, Presser le pas, se mettre à marcher plus vite.
  7. Pousser à trop de quantité, augmenter inconsidérément.
    • Forcer la dose d’un médicament.
  8. (Chasse) Prendre le gibier avec des chiens de chasse, après l’avoir courue et réduite aux abois.
    • […]; or, on conçoit l'affectueuse et haute estime de tout veneur pour la sagacité de son limier, lorsqu'on songe que, selon cette sagacité, on chasse ou on fait buisson creux , en cela que le limier doit d'abord chercher et trouver l'animal destiné à être ensuite couru et forcé par la meute. — (Eugène Sue, « La meute des petits chiens du Cabinet », chapitre 6 de Latréaumont, 1837, nouvelle édition, tome 1, Paris : chez Charles Gosselin & chez Pétion, 1845, page 169)
  9. (Programmation) Dans certains langages de programmation, instruire le type d’une variable pour quelque chose d’autre que son type original.
    • En C, il est courant, voire naturel, de forcer un pointeur en un entier et vice-versa.
  10. (Jardinage) Faire donner artificiellement plus qu’elles n’auraient donné naturellement, en parlant des plantes.
    • Forcer un arbre fruitier, une vigne.
  11. (Intransitif) Fournir un gros effort, se dépenser.
    • Il est arrivé sans forcer.
    • Prends ton temps, ne force pas.
  12. (Intransitif)(Cartes à jouer) Monter l’enchère.
  13. (Intransitif)(Marine) Faire force.
    • Forcer de voiles, forcer de rames, forcer de vapeur.
  14. (Pronominal) Faire quelque chose avec trop de force et de véhémence.
    • Ne vous forcez point, vous vous ferez mal.
    • Ne vous forcez pas tant.
  15. (Pronominal) Se contraindre, faire effort sur soi-même.
    • Je ne me décide pas à cette démarche sans me forcer un peu.
    • « Il faut se forcer, criait ma mère. Tu le fais exprès, ajoutait-elle comme toujours. » — (Jules Vallès, L’Enfant, G. Charpentier, 1889)
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

FORCER. v. tr.
Briser, rompre, ouvrir quelque chose avec violence. Forcer une porte, une serrure. Forcer un coffre. Forcer une clef, forcer une serrure, Fausser, tordre, détériorer par une manœuvre violente une clef, les ressorts d'une serrure, de manière qu'ils ne peuvent plus jouer. On dit aussi Forcer un muscle, une articulation. Il signifie aussi Prendre par force, Forcer un retranchement. Forcer une ville. On dit dans un sens analogue Forcer un passage. Forcer tous les obstacles. etc. Fig., Forcer la porte de quelqu'un, Entrer chez quelqu'un, quoique sa porte soit défendue. Forcer la consigne, Ne pas s'y conformer, l'enfreindre avec violence. En termes de Chasse, Forcer une bête, La prendre avec des chiens de chasse, après l'avoir courue et réduite aux abois. Forcer un lièvre. Forcer un cerf, un chevreuil. Il signifie en outre Contraindre, obliger à quelque chose, et il se dit tant au propre qu'au figuré. Forcer quelqu'un à faire quelque chose. Il fut forcé de partir. On voulait le forcer à partir. Forcer les consciences. Forcer les volontés. Forcer son inclination, son humeur. On dit aussi Forcer le consentement, le vote, etc., de quelqu'un, Obliger quelqu'un à donner son consentement. Travaux forcés. Voyez TRAVAIL. Cours forcé. Voyez COURS. Fig. et fam., Forcer la main à quelqu'un. Voyez MAIN. Forcer le sens d'un mot, Donner à un mot, à un texte un sens exagéré. Il a forcé le sens de ce passage. Forcer le respect, l'admiration, etc., Les obtenir de ceux mêmes qui ne sont pas disposés à les accorder. Forcer le succès, Vaincre la résistance ou les obstacles qui s'opposaient au succès. Forcer la nature, Vouloir faire plus qu'on ne peut. Forcer son talent, L'enfler pour en tirer plus qu'il ne peut produire. Forcer sa voix, Faire des efforts de voix. Forcer un cheval, Le pousser trop, le faire courir au-delà de ses forces. Forcer le pas, la marche, Presser le pas, se mettre à marcher plus vite. Forcer la dose, Augmenter la quantité prévue d'un médicament. Il se dit aussi figurément. Forcer un arbre fruitier, une vigne, Leur faire donner artificiellement plus qu'ils n'auraient donné naturellement. En termes de Comptabilité, Forcer la recette, Porter en recette plus qu'on n'a reçu. Intransitivement, Forcer en recette, Forcer un employé des finances à payer une somme qu'il devait percevoir et qu'il a négligé de toucher. En termes de Marine, Forcer de voiles, forcer de rames, forcer de vapeur, Faire force de voiles, de rames, de vapeur.

SE FORCER signifie Faire quelque chose avec trop de force et de véhémence. Ne vous forcez point, vous vous ferez mal. Ne vous forcez pas tant. Il signifie aussi Se contraindre, faire effort sur soi-même. Je ne me décide pas à cette démarche sans me forcer un peu. Le participe passé

FORCÉ, ÉE, s'emploie adjectivement et signifie Qui manque de naturel, qui est contraint, affecté. Être forcé dans toutes ses manières. Elle n'a rien de gauche ni de forcé. Contenance forcée. Un rire, un sourire forcé. Il s'emploie de même en parlant des Ouvrages de l'esprit et se dit de Ce qui s'éloigne du naturel, de la vérité, et de ce qui est mal amené, tiré de trop loin, etc. Style forcé. Il y a, dans cette pièce de théâtre, des situations forcées. Comparaison forcée. Rapprochement forcé. Donner à un passage, à une expression un sens forcé. Il se dit pareillement des Figures d'un tableau, quand leur attitude est outrée; du Coloris quand il est excessif; de l'effet quand il est trop cherché.

Littré (1872-1877)

FORCER (for-sé. Le c prend une cédille devant a et o : je forçai, forçons) v. a.
  • 1Faire subir à une chose une violence, une effraction. Mme Colbert ne voulait qu'il la vît [sa future] que le soir ; il força les portes et se jeta à ses pieds, Sévigné, 394. Du sérail, s'il le faut, venez forcer la porte, Racine, Bajaz. II, 3. On força un coffre dont la reine avait emporté la clef, et l'on n'y trouva que des haires, des ceintures armées de pointes de fer, Genlis, Mlle de la Fayette, p. 116, dans POUGENS.

    Forcer une clef, forcer une serrure, tordre une clef, les ressorts d'une serrure, de manière que cette clef, ces ressorts ne peuvent plus jouer.

    Terme d'escrime. Forcer le fer, engager avec force l'épée de son adversaire.

    Terme de manége. Forcer la main, se dit en parlant d'un cheval qui refuse d'obéir, qui s'emporte. On dit aussi forcer à la main, gagner à la main.

    Fig. Forcer la main à quelqu'un, le contraindre à faire quelque chose.

    Avoir la main forcée, faire quelque chose malgré soi.

    Fig. Forcer le sens, y faire quelque violence qui le dénature. En prenant naturellement la gnose pour la connaissance pratique de Dieu et de l'Évangile, vous parlez naturellement, et cela est vrai ; en forçant le sens et substituant à la gnose l'état passif, cela est absurde, Bossuet, Nouv. myst. 15.

    On dit de même : forcer l'analogie. Ce n'est que dans une généralité scolastique et en forçant l'analogie que l'on peut, sur le rapport unique de la similitude d'une seule partie, appliquer le même nom à des espèces qui diffèrent autant entre elles que celle de l'oiseau du tropique, par exemple, et celle du véritable pélican, Buffon, Ois. t. XVI, p. 47, dans POUGENS.

  • 2Prendre, traverser de vive force. Forçons, forçons enfin ces superbes murailles, Du Ryer, Scévole, I, 1. Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine… Reposer tout armé, forcer une muraille, Corneille, Cid, I, 6. Je tiens sa prison même assez mal assurée… Je crains qu'on ne la force, Corneille, Poly. III, 5. Est-ce là celui qui forçait les villes et qui gagnait les batailles ? Bossuet, Louis de Bourbon. On ne l'eut pas plus tôt vu, pied à terre, forcer le premier ces inaccessibles hauteurs, que son ardeur entraîna tout après elle, Bossuet, ib.

    On dit de même : forcer le passage, l'entrée, etc. Quand son bras força notre frontière, Racine, Alex. II, 1. Ses criminels amis en ont forcé l'entrée [du sérail], Racine, Bajaz. V, 7. Forcer le passage du Granique avec très peu de troupes contre une multitude infinie de soldats, Fénelon, Dial. des morts, Pyrrhus, Démétrius.

    Par extension. Forcer la consigne, ne pas s'y conformer, l'enfreindre avec violence.

    Fig. Forcer la porte de quelqu'un, entrer chez quelqu'un malgré la défense qu'il a faite de laisser entrer.

  • 3Triompher de la résistance d'une troupe militaire. Comme on les pensait forcer dans leur retranchement, on eut quelque désavantage, Perrot D'Ablancourt, Arrien, I, 7, dans RICHELET. Pouvions-nous le surprendre, ou forcer les cohortes Qui de jour et de nuit tiennent toutes ses portes ? Corneille, Héracl. IV, 6. Chacun se plaignait de leur brigandage [des bandes de pillards], sans que personne pût les forcer dans leur retraite, Fléchier, Hist. de Théodose, IV, 20. Força les plus mutins, et regagnant le reste…, Racine, Mithr. v, 4. Après qu'on fut entré dans la ville par les brèches, les assiégés se défendirent encore longtemps avec un courage incroyable, et il fallut les poursuivre et les forcer de maison en maison, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. V, p. 197, dans POUGENS.

    Fig. Forcer quelqu'un dans ses retranchements, voy. RETRANCHEMENT.

  • 4Faire violence à une femme. Mme de Valentinois accusa son beau-père non-seulement de lui en avoir conté, mais de l'avoir voulu forcer, Saint-Simon, 44, 2.
  • 5Forcer un cheval, l'excéder de fatigue.

    Se dit aussi des hommes. On les force de travail [les nègres], on leur épargne la nourriture, même la plus commune, Buffon, Hist. nat. hom. Œuv. t. v, p. 147, dans POUGENS.

    Forcer sa main, se fatiguer la main par quelque effort. Ma chère enfant, je ne veux pas forcer ma main ; c'est pourquoi voici le petit secrétaire, Sévigné, 260.

  • 6 Terme de chasse. Forcer une bête, la courre jusqu'aux abois. Forcer un cerf. Il [le loup] est infatigable et c'est peut-être de tous les animaux le plus difficile à forcer à la course, Buffon, Quadrup. t. II, p. 197. Tenez, tenez, le voilà qui court la plaine et force un lièvre qui n'en peut mais, Beaumarchais, Mar. de Figaro, II, 2.
  • 7Surmonter, vaincre. Elle a forcé les vents et dompté leur furie, Malherbe, II, 8. Mais enfin ton humeur force ma patience, Régnier, Élég. II. Forcez l'aveuglement dont vous êtes séduite, Corneille, Médée, I, 5. Si j'aimais assez mal pour essayer mes armes à forcer des périls qu'ont préparés vos charmes, Corneille, Tois. d'or, II, 2. Forcez, rompez, brisez de si honteuses chaînes, Corneille, Nicom. I, 2. Je cède à des raisons que je ne puis forcer, Corneille, ib. V, 1. Notre amour à tous deux ne rencontre qu'obstacles Presque impossibles à forcer, Corneille, Agésil. IV, 3. Forcerai-je moi seul tout l'empire romain ? Mairet, Sophon. v, 1. Nous le vîmes partout ailleurs comme un de ces hommes extraordinaires qui forcent tous les obstacles, Bossuet, Louis de Bourbon. Combien de fois tes yeux forçant ma résistance…, Racine, Alex. IV, 1. C'est en vain que forçant ses soupçons ordinaires, Racine, Bajaz. I, 1.
  • 8 Fig. Faire fléchir le courage. Malgré le mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre, on n'a pu le forcer [Charles I], Bossuet, Reine d'Anglet.

    Ne pas laisser la liberté de faire ou ne pas faire. Force par ta vaillance Ce monarque au pardon et Chimène au silence, Corneille, Cid, III, 6. Mais l'empire inhumain qu'exercent vos beautés Force jusqu'aux esprits et jusqu'aux volontés, Corneille, Cinna, III, 4. Enfin aux châtiments il se laisse forcer, Corneille, Inscr. mises sous des estampes, VII, Punition des villes rebelles. Si ce fils… à quelque amour encor avait pu vous forcer, Racine, Mithr. II, 4. Mazarin voulut essayer de faire Louis XIV empereur ; le dessein était chimérique ; il eût fallu ou forcer les électeurs ou les séduire, Voltaire, Louis XIV, 6.

    Par extension. Forcer la terre à produire. Qui force la nature a-t-il besoin qu'on l'aide ? Corneille, Médée, IV, 6. Notre sort n'est pas tel qu'on le puisse forcer, Corneille, Sophon. V, 1. L'autre [Condé], et par l'avantage d'une si haute naissance, et par ces grandes pensées que le ciel envoie, et par une espèce d'instinct admirable dont les hommes ne connaissent pas le secret, semble né pour entraîner la fortune dans ses desseins et forcer les destinées, Bossuet, Louis de Bourbon. Assez d'autres viendront, à mes ordres soumis, Se couvrir des lauriers qui vous furent promis, Et, par d'heureux exploits forçant la destinée, Trouveront d'Ilion la fatale journée, Racine, Iphig. IV, 6.

    Il se dit aussi des sentiments, des passions, etc. Apprends d'elle à forcer ton propre sentiment, Corneille, Poly. V, 3. Forcez en ma faveur une trop juste haine, Corneille, Pomp. IV, 2. Si ton cœur demeure insensible, je n'entreprendrai point de le forcer, Molière, Prince d'Él. II, 4. Je ne veux point forcer ton inclination, Molière, l'Avare, IV, 3.

    Forcer le devoir de quelqu'un, contraindre moralement quelqu'un à manquer à son devoir. … Va, songe à ta défense, Pour forcer mon devoir, pour m'imposer silence, Corneille, Cid, v, 1. Elle cherche un combat qui force son devoir, Corneille, ib. V, 3.

    Forcer, avec à suivi d'un infinitif. J'ai forcé ma colère à le laisser parler, Corneille, Nicom. I, 2. Ceux-ci, après soixante et douze ans de guerre continuelle, furent forcés à subir le joug des Romains, Bossuet, Hist. I, 8. Nous sommes forcés à reconnaître nos misères, Bourdaloue, Carême, I, Prière, 339. Que si tous mes efforts ne peuvent réprimer Cet ascendant malin qui vous force à rimer, Boileau, Sat. IX. À prendre ce détour qui l'aurait pu forcer ? Racine, Mithr. IV, 1.

    Forcer, avec de et un infinitif. L'intempérance du malade force quelquefois le médecin d'être cruel, Patru, Plaidoyer 9, dans RICHELET. Et forçons-le de voir Qu'il peut en faisant grâce affermir son pouvoir, Corneille, Cinna, IV, 4. …Jusqu'à ce jour l'univers en alarmes Me forçait d'admirer le bonheur de vos armes, Racine, Alex. V, 3. Et força le Jourdain de rebrousser son cours, Racine, Athal. V, 1. Nous ne réconcilierons jamais le monde avec elle [la vertu], il est vrai ; mais, du moins, nous le forcerons de la respecter, Massillon, Panég. St Jean-Baptiste. Il force les Anglais de se rembarquer, Voltaire, Louis XV, 35.

  • 9 Terme de jeux. Contraindre à jeter une carte forte ou un atout, au whist et au boston.

    Obliger quelqu'un de jouer sans prendre, à l'hombre. Obliger un des joueurs à jouer un as ou le quinola, au reversis.

  • 10Obtenir par force, par importunité. Forcer le consentement, le vote de quelqu'un. Votre tyrannie N'usa de son pouvoir sur la faible Amélie Que pour tromper mes vœux, que pour forcer son choix, Delavigne, Vêp. sicil. II, 4.

    Obtenir par la puissance d'un sentiment. Une vertu qui devait forcer l'estime du monde, Bossuet, Anne de Gonz. Ce n'est point par des paroles qu'on peut forcer l'hommage du monde, c'est par la vertu et l'audace, Vauvenargues, l'Orat. chagr. Il [Jupiter] voulait non que le ciel les reçût [ses enfants], mais qu'il les demandât, et qu'à leur égard l'admiration seule forçât les vœux de la terre, Courier, Éloge d'Hélène.

    Forcer les respects, l'admiration, les obtenir de ceux mêmes qui ne sont pas disposés à les accorder.

  • 11 Terme de jardinage. Forcer une plante, l'obliger à fleurir ou à porter du fruit plus tôt qu'elle ne le ferait naturellement, au risque de la fatiguer.

    Forcer à fruit, tailler long pour avoir plus de fruits.

  • 12Exagérer, outrer. Ne forçons point notre talent ; Nous ne ferions rien avec grâce, La Fontaine, Fabl. IV, 5. Ne forcez point la nature, Sévigné, 135. Dans son système il force un peu ses idées, Bossuet, Var. 15. L'homme impatient force toute chose pour se contenter, Fénelon, Tél. XXIV.

    Forcer sa voix, se dit d'un chanteur qui fait des efforts de voix.

    Forcer nature, faire plus qu'on ne doit ou qu'on ne peut. On a un peu forcé nature pour mériter les bontés de Mlle Clairon, et cela est bien juste ; elle trouvera dans son rôle plusieurs changements, Voltaire, Lett. Mlle Clairon, janv. 1750.

  • 13 Terme de comptabilité. Forcer la recette, passer en recette plus qu'on n'a reçu.

    Forcer quelqu'un en recette, obliger un comptable à verser une recette qu'il a négligé de recevoir.

  • 14Hâter, précipiter. Forcer le pas, la marche.
  • 15 V. n. Terme de marine. Forcer de voiles, augmenter la voilure, de telle sorte que le vent, ayant action sur une plus grande surface de toile, fasse un plus grand effort qui pousse le navire dans la direction qu'on lui assigne, Jal Pour ne rien dérober à M. du Quesne, il faut observer qu'il fit le devoir d'un bon général en envoyant nous dire par le chevalier de Chaumont que nous devions forcer de voiles et aborder les vaisseaux de la tête ennemie, plutôt que de nous laisser gagner par le vent, Villette-Mursay, Combat du 10 février 1675, dans JAL.

    Un mât force quand il supporte un trop grand effort.

    Forcer de rames, ramer aussi fort qu'il est possible.

  • 16 Terme de jeux. Jeter une carte supérieure à celle qui a d'abord été jouée.
  • 17Se forcer, v. réfl. Faire trop d'efforts, mettre trop de véhémence à quelque chose. Ne vous forcez pas tant.
  • 18S'efforcer. Seigneur, voyez César, forcez-vous à lui plaire, Corneille, Pomp. II, 4.
  • 19Être surmonté. Ô malheur qui ne se peut forcer ! Molière, l'Ét. II, 14.
  • 20Faire effort sur soi-même. Forcez-vous, avalez cette médecine. Sa colère, seigneur, s'est forcée un moment, Mairet, Mort d'Asdrub. v, 3. Ah ! forcez-vous, de grâce, à des termes plus doux, Corneille, Perth. II, 5. Je me force au respect…, Corneille, Androm. V, 2. Ainsi Néron commence à ne se plus forcer, Racine, Brit. III, 8. …Et je ne puis penser Qu'à feindre si longtemps vous puissiez vous forcer, Racine, Mithr. III, 5.

REMARQUE

1. Des grammairiens ont essayé d'indiquer une nuance de sens entre forcer à et forcer de suivis d'un infinitif. Mais l'usage des auteurs ne permet aucune distinction réelle.

2. On trouve dans Saint-Simon : Forcer d'argent, payer une grosse somme : Dubois pensait déjà au cardinalat, et au besoin qu'il aurait de forcer d'argent à Rome, Saint-Simon, 480, 209. Il est probable que c'est une mauvaise lecture, et qu'il faut lire foncer, voy. FONCER 2.

HISTORIQUE

XIIIe s. Glorieus sire pere… Aiés merci de m'ame, car li cors est forcés, Ch. d'Ant. VIII, 1382.

XVe s. Par moy ton cueur jà forcéne sera, Orléans, 1.

XVIe s. Il est bon quelquefois de forcer sa complexion pour le plaisir de ses amis, Marguerite de Navarre, Lett. 78. Alexandre, forceant la ville de Gaza, Montaigne, I, 4. Les mouvements forcez [involontaires] de nostre visage, Montaigne, I, 97. On me faisoit gouster la science par une volonté non forcée, et de mon propre desir, Montaigne, I, 195. La sagesse ne force pas nos conditions naturelles [elle ne nous empêche pas d'être hommes], Montaigne, II, 20. Le peuple alloit souvent forceant ou destournant les propositions du senat, en y ostant ou adjoustant quelque chose, Amyot, Lyc. 10. Au demeurant, de forcer ses ennemis qui tenoient les cymes des cousteaux, et les en dechasser à force, il n'y voyoit point de moyen, Amyot, Fab. 16. Si l'on ne luy [à Annibal] baille point moyen de combattre, il est force forcée ou qu'il se ruine de soy mesme s'il demeure, ou…, Amyot, ib. 30. Il veit forcer et violer ses filles estans encore à marier, Amyot, Timol. 19. Ces plantes, forcées par chaleur artificielle, se perdent à peu d'occasion en leur premier âge, De Serres, 545.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

* FORCER, v. act. (Gramm.) ce mot pris au simple a un grand nombre d’acceptions différentes. C’est surmonter une résistance par un emploi violent des forces du corps : c’est ainsi qu’on force une porte, un retranchement, &c. Forcer un cerf, c’est l’épuiser par une longue poursuite, afin de le prendre vif. On force une clé ou une serrure, quand on en dérange par effort le méchanisme. On force de voiles, de rames, en les multipliant autant qu’il est possible pour augmenter la vîtesse d’un bâtiment. On force à la paume, au billard, à beaucoup de jeux de cette nature, en déployant à un coup toute sa force. On force à un jeu de cartes, en obligeant certaines cartes à paroître, ou un joüeur à joüer en certaines circonstances déterminées. Forcer se dit au figuré d’une détermination de la volonté par des motifs qui donnent quelque chagrin, & sans lesquels elle se seroit autrement déterminée. Il me forcera quelques jours, par le trouble qu’il me cause, à lui parler durement. Forcer son esprit, son génie, son talent, c’est s’appliquer à des choses pour lesquelles on n’étoit point né. Un style est forcé par une singularité de constructions ou d’expressions qui a peiné l’auteur, & qui peine le lecteur. Forcer la recette, c’est passer en recette plus qu’on n’a reçû. Voyez dans les articles suivans d’autres acceptions du même mot.

Forcer un Cheval, (Manége.) c’est en outrer l’exercice ; c’est le surmener ; c’est l’estrapasser ; c’est exiger de lui des actions au dessus de sa capacité & de ses forces ; c’est le solliciter encore durement & rigoureusement à des mouvemens dont l’exécution ne lui coûte ou ne lui est impossible, que parce que le moment où on l’y invite est précisément l’instant où ses membres ne sont en aucune maniere disposés à l’action à laquelle on voudroit le conduire. Voyez Tems. (c)

Forcer la main, (Manége.) c’est de la part de l’animal en fuir non-seulement l’obéissance, mais chercher à se soustraire entierement à ses effets, & en vaincre réellement la puissance.

Cette action peut être placée au rang des plus dangereuses défenses, sur-tout lorsque le cheval en a contracté l’habitude.

La trop grande sensibilité d’une bouche importunée & même offensée, une sujétion ou excessive ou trop constante, des entreprises peu réfléchies & au-dessus des forces & de la capacité de l’animal, un caractere & une nature rébelle, des sentimens rigoureux, mérités en apparence, mais plus propres à irriter & à révolter qu’à produire un changement qu’on ne devoit attendre que de la patience & de la douceur ; telles sont les causes ordinaires du vice dont il s’agit.

Tout cheval qui force la main, tire communément ou en s’encapuchonnant, ou en roidissant le cou & en portant au vent.

Celui qui s’arme peche le plus souvent par le défaut de legereté, par le défaut de bouche, par la mauvaise conformation de son devant presque toûjours foible, bas & chargé ; & celui qui porte au vent, par la trop grande délicatesse des parties exposées à l’impression du mors.

Ce n’est pas dans une allure extrèmement prompte & pressée que l’un & l’autre forceront la main : il est même assez rare que dans l’action du pas ils tâchent de se rédimer ainsi de toute contrainte ; mais le trot & le galop semblent leur en faciliter plus particulierement les moyens.

Toutes les leçons que j’ai prescrites en parlant du cheval qui fuit avec fougue & avec impétuosité, malgré les efforts que l’on fait pour le retenir, voyez Emporter (s’) tous les principes que j’ai établis relativement à celui qui s’arme, voyez Encapuchonner (s’) & relativement à des bouches égarées (voyez Egarée) doivent être ici mis en usage pour corriger l’animal de cette défense.

Je ne conseillerai point de recourir, à l’exemple de quelques écuyers, à toutes les voies de rigueur, de solliciter des chevaux vifs & vigoureux à des courses longues & furieuses, de les pousser jusqu’à perte d’haleine, de les extrapasser entre des piliers ou vis-à-vis d’un mur quelconque, de leur lier les testicules avec un ruban de laine ou de soie auquel on a pratiqué un nœud coulant, & de tirer ce même ruban avec force au moindre mouvement qui annonce leur desobéissance, &c. de pareils préceptes, dont l’exécution est infiniment périlleuse, sont écrits, il est vrai, dans des ouvrages qui ont jour de la plus grande réputation, mais ils ne sauroient en imposer qu’à des hommes dépourvûs de toute lumiere, & ils confirment ceux qui sont éclairés dans la persuasion où ils sont que le plus beau nom n’est souvent dû qu’à la fortune de celui qui l’acquiert, & qu’à l’aveuglement d’une multitude d’ignorans qui décident.

Les seules ressources que se permet un véritable maître, sont celles qui émanent du fond de l’art, que le raisonnement suggere, & dont l’expérience garantit toûjours le succès.

Nul cheval ne peut forcer la main, si elle n’est dans une certaine opposition avec sa bouche : ainsi une main extrèmement legere, & qui à peine imprimera sur cette partie une sorte d’appui, ne fournira certainement à l’animal aucun prétexte à la résistance. Je conviendrai néanmoins que le vice dont il est question peut être tellement enraciné, que le cheval qui ne se sentira, pour ainsi dire, ni captive ni retenu, profitera peut-être de l’espece de liberté qu’on lui laisse pour se déplacer de l’une ou de l’autre maniere, & pour se dérober ou pour fuir ; mais si le cavalier d’ailleurs instruit de la justesse des proportions qui constituent la science & l’habileté de la main, est attentif à prévenir cette action, ou plûtôt s’il en saisit subtilement le moment précis, en élevant & en éloignant sa main de son corps dans le cas où le cheval voudra s’armer, ou en la mettant près de soi & en la baissant dans celui où il entreprendra de sortir de la ligne perpendiculaire en-avant, il rendra incontestablement la tentative de l’animal inutile.

Nous devons encore supposer que ce tems si nécessaire à rencontrer lui a échappé : le cheval s’encapuchonne, il fuit : alors on ne doit pas le renfermer sur le champ ; il importe au contraire de diminuer promptement le point d’appui leger que l’on tenoit, pour en revenir ensuite au mouvement de la main que je viens de prescrire, & pour rendre & reprendre de nouveau : car le passage subit de ce même point d’appui à un autre qui contraindroit davantage l’animal, lui présenteroit une occasion de faire effort contre la main, de la forcer, & d’en détruire les effets.

Il en est de même du cheval qui s’emporte en tendant le nez ; si le cavalier ne rend dans le moment, l’animal fuira toûjours, il résistera sans cesse & de plus en plus ; tandis que s’il n’est d’abord en aucune façon captivé, il se replacera de lui-même ; & si dans cet instant le cavalier renferme le cheval, cette action seule faite à propos suffira pour l’arrêter. Tout dépend donc ici du tems où l’on doit agir, & non d’une force d’autant plus mal-à-propos employée, qu’elle ne peut jamais être supérieure, & qu’elle ne sert qu’à accroître la défense, bien loin de la réprimer ; & c’est ainsi que l’homme de cheval en triomphe, sauf à châtier d’ailleurs l’animal colere qui s’élance avant de s’abandonner, & à se conformer encore aux maximes déduites dans les articles auxquels j’ai renvoyé. (e)

* Forcer la terre, (Agriculture.) c’est pousser le labour trop profondément, & amener en-dessus une mauvaise terre qui se trouve en quelques cantons sous la bonne terre.

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Étymologie de « forcer »

Force ; provenç. forsar ; espagn. forzar ; portug. forcar ; ital. forzare.

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(XIe siècle) Du latin populaire *fortiare, formé sur le bas latin fŏrtĭa (« force »), pluriel neutre substantivé de fŏrtis (« courageux », « ferme », « brave »).
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Phonétique du mot « forcer »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
forcer fɔrse

Évolution historique de l’usage du mot « forcer »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « forcer »

  • Ne pas se forcer à penser ; mais noter aussitôt chaque pensée qui se propose.
    Alain — Propos I
  • Attendre sa chance est vain, la tenter ne suffit pas, il faut la forcer !
    Paul Carvel — Mots de tête
  • Nul au monde n'a puissance sur le jugement intérieur ; si l'on peut te forcer à dire en plein jour qu'il fait nuit , nulle puissance ne peut te forcer à le penser.
    Alain — Propos
  • Il ne faut pas trop forcer le destin. L'avenir est moins facile à manoeuvrer que le passé. Il faut attendre tel qu'il est prévu.
    François Hertel — Un canadien errant
  • On ne peut pas se forcer à aimer, et c'est là précisément l'amour.
    Georges Perros — Papiers collés
  • Cavaillon : il voulait forcer le monnayeur de la laverie !
    LaProvence.com — Faits divers - Justice | Cavaillon : il voulait forcer le monnayeur de la laverie ! | La Provence
  • On peut conduire un cheval à l'abreuvoir, mais non le forcer à boire.
    Proverbe anglais
  • Vous pouvez amener un enfant à l’école, mais vous ne pouvez pas le forcer à réfléchir.
    Elbert Hubbard
  • La clé de notre salut : c’est de devenir les maîtres des mots que nous prononçons, de forcer le langage à répondre à nos besoins.
    Paul Auster — Cité de verre
  • On ne peut pas forcer les gens à aller au cinéma ! Ou alors, on change de régime...
    Ettore Scola — Le Monde, 9 septembre 2013
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Images d'illustration du mot « forcer »

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Traductions du mot « forcer »

Langue Traduction
Anglais force
Espagnol forzar
Italien vigore
Allemand macht
Chinois
Arabe فرض
Portugais força
Russe сила
Japonais
Basque indarrean
Corse forza
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Synonymes de « forcer »

Source : synonymes de forcer sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « forcer »

Combien de points fait le mot forcer au Scrabble ?

Nombre de points du mot forcer au scrabble : 11 points

Forcer

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