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Amour
Sommaire
- Définitions de « amour »
- Étymologie de « amour »
- Phonétique de « amour »
- Fréquence d'apparition du mot « amour » dans le journal Le Monde
- Évolution historique de l’usage du mot « amour »
- Citations contenant le mot « amour »
- Images d'illustration du mot « amour »
- Traductions du mot « amour »
- Synonymes de « amour »
- Antonymes de « amour »
- Combien de points fait le mot amour au Scrabble ?
Variantes | Singulier | Pluriel |
---|---|---|
Masculin | amour | amours |
Définitions de « amour »
Trésor de la Langue Française informatisé
AMOUR, subst. masc. (except. fém.)
Attirance, affective ou physique, qu'en raison d'une certaine affinité, un être éprouve pour un autre être, auquel il est uni ou qu'il cherche à s'unir par un lien généralement étroit. L'amour, c'est beaucoup plus que l'amour (titre d'un roman de Jacques Chardonne, 1937) :Wiktionnaire
Nom commun - ancien français
amour \Prononciation ?\ féminin et parfois masculin
-
Amour de Dieu, amour filial, paternel, maternel etc.
- Et ensi ausi as gens et ses parons puet estre aucune amours espéciaus, pour l’amour de charité, ki en Dieu est fondée. — (Jean le Bel, Li ars d’amour, de vertu et de boneurte, XIVe siècle)
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Amitié, fidélité.
-
Par amour
- amicalement, par fidélité
-
Par amour
-
Sentiment amoureux entre deux individus.
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Pour verdure ne pour pree
Ne pour fueille ne pour flour
Nule chançons ne m’agree,
Sene muet de fine amour. — (Gace Brulé, XIIe siècle)
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(Par métonymie) Amoureux, objet de l’amour.
-
Amours, vous me feïstes
Mon fin cuer trichier,
Qui tel savour meïstes
En son douz baisier. — (Blondel de Nesle, Cuer desirrous apaie, XIIe siècle)
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Amours, vous me feïstes
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Pour verdure ne pour pree
-
Amour, acte sexuel.
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Li jovencel tout li plusor
Erent si espris de s’amor — (Vie de sainte Marie l’Égyptienne, ms. 23112 de la BnF, f. 335r. b. Marie à cette époque est prostituée.)
-
Li jovencel tout li plusor
Nom commun - français
amour \a.muʁ\ masculin (généralement féminin au pluriel, et parfois même au singulier, dans la langue littéraire, voir la définition 8 et surtout la note qui suit les définitions)
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Sentiment intense et agréable qui incite les êtres à s’unir.
- […] car l’amour est fort comme la Mort. — (Cantique des Cantiques, VIII, 6, la Bien-Aimée, traduction d’A. Robert, P.S.S. in La Bible de Jérusalem)
- Non, l’amour, sentiment naïf et chaste qui se voile de pudeur et de fierté au sanctuaire du cœur, n’est point cette tendresse cavalière qui répand les larmes de la coquetterie par les yeux du masque de l’innocence ! — (Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842)
- […] l’entière affection de cet homme, qui répondit par un amour unique à un unique amour, tout avait réconcilié cette pauvre femme avec la vie. — (Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844)
- Or savez-vous quels sont ses deux instincts naturels, irrésistibles dans l’ordre psychique? c’est l’amour et la liberté. Ces deux instincts naturels se sont socialement combattus jusqu’à présent ; il a fallu que l’homme immolât ou plutôt subordonnât l’un à l’autre. — (Alexandre Dumas fils, La question du divorce, 1880, 12e éd., p. 131)
- Déjà, Jacques aimait Yasmina, follement, avec toute l’intensité débordante d’un premier amour chez un homme à la fois très sensuel et très rêveur en qui l’amour de la chair se spiritualisait, revêtait la forme d’une tendresse vraie… — (Isabelle Eberhardt, Yasmina, 1902)
- L’amour, par l’enthousiasme qu’il engendre, peut produire le sublime sans lequel il n’y aurait point de morale efficace. — (Georges Sorel, Réflexions sur la violence, chapitre VII, La morale des producteurs, 1908, p. 342)
- L’homme a inventé les dieux et il a créé l’amour avec son cortège de sensibleries ridicules ou criminelles. L’amour a donné naissance au poète, puis au psychologue et, pour couronner l’humaine sottise, à cet enfonceur de portes ouvertes qui s’est baptisé psychanalyste. Le paladin du refoulement et l’écuyer servant la Haute Dame Libido. — (Victor Méric, Les Compagnons de l’Escopette, Éditions de l’Épi, Paris, 1930, page 118)
- Personne que je sache, n’a encore osé dire que l’amour tel qu’on l’imagine de nos jours est la négation pure et simple du mariage que l’on prétend fonder sur lui. — (Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident, 1946)
- Je percevais au tremblement de leur voix, au miel de leurs paroles, cette terrible servitude qui les liait à ce qu’on nomme l’amour, d’un mot trop doux parce qu’on ne veut pas lui donner son véritable visage de bestialité et d’animalité. — (Jean Rogissart, Hurtebise aux griottes, L’Amitié par le livre, Blainville-sur-Mer, 1954, p. 32)
-
Je veux mourir ès amoureux combats,
Soûlant l'amour, qu'au sang je porte enclose,
Toute une nuit au milieu de tes bras. — (Pierre de Ronsard, Je veux mourir pour tes beautés, Maîtresse)
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Affection profonde pour quelqu’un ou quelque chose. (Psychologie) Affect éprouvé lié à la libido qui fait tendre le sujet vers un objet affectif qui peut être une autre personne ou une partie d’une autre personne ou un objet[3].
- […] ce cœur qui s’ignorait soi-même avait tourné toutes ses pensées vers ses enfants, qu’elle s’était mise à adorer de toutes les forces virginales de l’amour maternel, le plus beau et le plus sain de tous. — (Gustave Aimard, Les Trappeurs de l’Arkansas, Éditions Amyot, Paris, 1858)
- De toutes les villes du département du Nord, Douai est, hélas! celle qui se modernise le plus, où le sentiment innovateur a fait les plus rapides conquêtes, où l’amour du progrès social est le plus répandu. — (Honoré de Balzac, La Recherche de l’Absolu, 1834)
- […] j’avais tâché d’en donner l’impression à Françoise en ne laissant pas paraître devant elle ma souffrance, parce que, même au moment où je l’éprouvais avec une telle violence, mon amour n’oubliait pas qu’il lui importait de sembler un amour heureux, un amour partagé, surtout aux yeux de Françoise qui, n’aimant pas Albertine, avait toujours douté de sa sincérité. — (Marcel Proust, Albertine disparue, in À la recherche du temps perdu, 1927)
- Je regarde MM. les délibérants aux assemblées d’élection et les députés aux États-généraux comme des juges aux pieds desquels tous ceux qu’anime l’amour du bien public doivent apporter le tribut de leurs pensées. — (Comte de Sanois, Questions proposées à toutes les assemblées, par un membre de la noblesse de celle de Meaux, 13 mars 1789)
- « Amour cérébral ? » Ne m’ennuyez pas avec cette sottise. Direz-vous que l’amour qui précipitait ces foules ingénues vers le tombeau du Christ était cérébral ? Et croyez-vous qu’on aime autrement la France ? — (Vercors, La marche à l’étoile, éditions de Minuit, 1943, éd. 1946, p.29)
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(Par extension) (Mélioratif) Plaisir, intérêt, voire obsession.
- Elle accomplissait humblement et avec amour toutes les minuties de la vie vulgaire au Chalet, elle s’en servait comme d’un frein pour enserrer le poème de sa vie idéale, à l’instar des Chartreux qui régularisent la vie matérielle et s’occupent pour laisser l’âme se développer dans la prière. — (Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844)
- Dupin a reproché aussi aux Morvandeaux leur amour de la chicane. Ce reproche me surprend de la part d’un avocat-plaidant (de 1800 à 1811), mais enfin l’accusation est fondée. — (Abbé Guignot, Essai sur Quarré-les-Tombes; ses sarcophages mérovingiens et sa station préhistorique, Tours, impr. Bousrez, 1895, page 48)
- Le soir est venu. Il se lève une grande lune ronde, un grand plateau d’étain que doivent considérer avec amour, en ce moment, l’artilleur à barbe noire et le ténor. — (Jean Giraudoux, Retour d’Alsace - Août 1914, 1916)
- Cette glace fondait un tantinet à midi mais regelait le soir, et, chaque matin, on commençait par la repolir avec amour. — (Louis Pergaud, Deux Veinards, dans Les Rustiques, nouvelles villageoises, 1921)
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Copulation, relation sexuelle, union charnelle.
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Qu’il me baise des baisers de sa bouche.
Tes amours sont plus délicieuses que le vin ;
L’arôme de tes parfums est exquis. — (Cantique des Cantiques, I, 2, la Bien-Aimée, traduction d’A. Robert, P.S.S. in La Bible de Jérusalem) - 3º L’amour physique. […] Tout le monde connaît l’amour fondé sur ce genre de plaisir; quelque sec et malheureux que soit le caractère, on commence par là à seize ans. — (Stendhal, De l’Amour, 1822)
- Pourtant, comme il arrive à quelques officiers que leur vie errante et des timidités cachées sous une apparence martiale ont condamnés à des amours de passage, Scilly connaissait trop peu les femmes pour apprécier combien était réelle cette naïveté et à quelle profondeur d’ignorance du mal vivaient les deux Marie-Alice. — (Paul Bourget, Cruelle Énigme, 1885)
- Le crapaud manque de tendances sociales. C’est un solitaire, un ermite. Sauf au printemps pour l’amour, il ignore ses semblables. — (Jean Rostand, La vie des crapauds, 1933)
- Née d’amours fugitives à l’avant dernier printemps, Fuseline, la petite fouine […], était, […], venue de la lisière du bois de hêtres et de charmes. — (Louis Pergaud, L’horrible délivrance, in De Goupil à Margot, 1921)
- Car l’amour est un art, comme la musique. Il donne des émotions du même ordre, aussi délicates, aussi vibrantes, parfois peut-être plus intenses. — (Pierre Louÿs, Aphrodite, Mercure de France, Paris, 1896)
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Qu’il me baise des baisers de sa bouche.
- Ce qui est aimé.
- Personne aimée.
- Il y avait parmi ces Sauvages un vieillard nommé Chactas, qui, par son âge, sa sagesse, et sa science dans les choses de la vie, était le patriarche et l’amour des déserts. — (François-René de Chateaubriand, Atala, ou Les Amours de deux sauvages dans le désert)
- Chose aimée.
- Ils plaignent la famille des oiseaux, la bergeronnette […], et le rouge-gorge dont la rose, ses amours, s’effeuille au vent. — (Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, 1842)
- Moi, je crois sans vous faire tort, que vous avez quelque nouvel amour en tête. — (Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre, acte I scène II)
- Personne aimée.
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(Par extension) Représentation, allégorie du dieu Amour, sous la forme d’un putto ou d’un cupidon.
- C’est, dans un département lointain, une petite propriété que ne décore aucune boule en verre, et où l’œil le mieux exercé ne saurait rencontrer le moindre kiosque japonais, ni le prétentieux bassin de rocailles avec son amour nu en plâtre et son impudique jet d’eau qui retombe. — (Octave Mirbeau, Ma chaumière, dans Lettres de ma chaumière, 1885)
- […]; une colossale figure du « Temps », soulève Terre et cadran sur ses vigoureuses épaules, tandis que des anges joufflus, des Amours pour mieux dire, se jouent tout autour, voletant et dégringolant jusque sur le fronton. — (Gustave Fraipont; Les Vosges, 1895)
- La maîtresse de maison fait aussi distribuer dans la rue, dans les hôtels ou dans les gares, des cartes joliment ornées d’un amour ou d’un nu féminin et qui indiquent la nature et l’adresse de son établissement. — (Alain Corbin, Les filles de noce, 1978)
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(Agriculture) État de fermentation propre à la végétation.
- Amour de la terre, ou terre en amour. Expression dont se servent les jardiniers & les fermiers mêmes. Ils disent : la terre entre en amour, ou est en amour, lorsque les pluies printanières ayant commencé à tomber, & le soleil devenant fort, il s’établit, dans la terre, une fermentation qui fait monter la sève dans les végétaux. — (Abbé Tissier, André Thouin & Auguste Denis Fougeroux de Bondaroy, Encyclopédie méthodique : Agriculture, vol.1, Paris : Panckoucke & Liège : Plomteux, 1787, p.506)
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Quand la terre en amour chante son gai réveil,
Quand le printemps lascif vient réjouir le monde. — (Henry Blaze, Les Deux Muses, dans Revue des deux mondes, vol. 11, 1837, page 116)
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(Par altruisme) Désir d’accomplir le bien d’autrui.
- Voir en autrui un homme et se comporter en homme à son égard, c’est agir moralement ; tout l’« amour spirituel » du Christianisme n’est rien d’autre. — (Max Stirner, L’Unique et sa propriété : Seconde partie - Moi, traduit par Robert L. Leclaire, 1899)
- Dans ses discours, il défendit avec force cette thèse que la stricte observance des lois religieuses doit s’accompagner, pour devenir méritoire, de la pratique de la justice et de l’amour du prochain, envers les juifs comme envers les non-juifs. — (Léon Berman, Histoire des Juifs de France des origines à nos jours, 1937)
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(Au pluriel) (Suisse) Dernières gouttes d’une bouteille de vin servies à une personne aimée[4].
- S’il le trouve convenable, il sert ensuite à tour de rôle aux convives un vin propre, pour revenir ensuite vers l’élue de son cœur à qui il sert « les amours », les dernières gouttes de la bouteille qui ont toutes les vertus, qui portent chance et signifiaient beaucoup. — (Encyclopédie de la vigne, du vin et des alcools, Club Des Amateurs de Vins Exquis)
Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)
Sentiment de vive affection pour quelqu'un ou quelque chose. Amour extrême. Amour ardent. Amour violent. Amour honnête. Amour légitime. Amour naissant. Amour divin. Amour céleste. Amour terrestre. Amour charnel, sensuel. Amour désordonné. Amour conjugal. Amour paternel. Amour filial. Amour mutuel. Amour partagé. Il est souvent suivi d'un complément introduit par la préposition de et signifie : L'objet vers lequel l'amour se porte : L'amour de Dieu, l'amour du prochain, l'amour des créatures, l'amour de la liberté, de la patrie, de la gloire, de la vertu, l'amour des richesses, des plaisirs, l'amour des femmes, L'amour qu'on a pour Dieu, pour le prochain, pour les créatures, etc. Le sujet dans lequel l'amour réside : L'amour des pères, l'amour des mères, l'amour des peuples, etc., L'amour qu'ont les pères et les mères, l'amour qu'ont les peuples, etc. La nature de l'amour en question : Amour de bienveillance, amour de charité, amour d'intérêt, Amour qui procède d'un sentiment de bienveillance, de charité, d'intérêt, etc. Amour de soi. Voyez AMOUR-PROPRE. Pour l'amour de Dieu, Dans la seule vue de plaire à Dieu. Faire quelque chose pour l'amour de Dieu. Cette locution signifie quelquefois, dans le discours familier, Sans aucun intérêt. On lui a donné cela pour l'amour de Dieu. C'est aussi une locution familière aux mendiants, qui demandent qu'on leur fasse l'aumône pour l'amour de Dieu. On l'emploie quelquefois ironiquement pour exprimer qu'une Chose est faite ou donnée à contrecur, ou qu'un don est fait avec lésinerie. On lui en a donné pour l'amour de Dieu. Le plus souvent dans le langage familier cette locution signifie Sans attention, sans soin, négligemment. Ce travail est manqué : il a été fait pour l'amour de Dieu. Pour l'amour de quelqu'un, Par la considération, par l'estime, par l'affection qu'on a pour quelqu'un. C'est une chose que je vous prie de faire pour l'amour de moi. Je voudrais pour l'amour de vous que cela me fût possible.
AMOUR se dit particulièrement de la Passion d'un sexe pour l'autre, et en ce sens il s'emploie souvent absolument. Avoir de l'amour. Donner de l'amour. Inspirer de l'amour. Éprouver de l'amour. Être transporté d'amour. Brûler, languir, mourir d'amour. Il lui parlait d'amour. Il s'est marié par amour. Les passions de l'amour. Plaisir, chagrin, déception d'amour. Faire l'amour, Se livrer à la galanterie. Il passe sa vie à faire l'amour. Il fait l'amour à toutes les femmes. Filer le parfait amour, se dit d'un Amour sincère, fidèle et sans nuages. C'est un vrai remède d'amour, se dit d'une Femme très laide. En termes d'Agriculture et de Jardinage, La terre est en amour, Elle est dans un état de fermentation propre à la végétation. On dit aussi Cette terre n'a point d'amour, est sans amour. Cet ouvrage est fait avec amour, L'artiste s'est complu à le faire, il l'a fait avec plaisir, il l'a fini avec soin.
AMOUR, quand il signifie Passion d'un sexe pour l'autre, est quelquefois féminin au singulier en poésie, et presque toujours féminin au pluriel, même en prose. Premier amour. Une amour violente. De nouvelles amours. De folles amours. Il se dit quelquefois de l'Objet qu'on aime avec passion. Ce prince est l'amour de son peuple. Titus était l'amour de l'univers. Mon cher pays, mon plus grand amour. Mon amour, Terme de tendresse familière. Il se dit pareillement au pluriel pour signifier une Personne que l'on aime passionnément. Être avec ses amours. Quitter ses amours. Prov., Il n'y a point de belles prisons ni de laides amours. Il se dit encore au pluriel des Choses qu'on aime passionnément. Les tableaux, les médailles, les livres sont ses amours.
AMOUR s'écrit avec une majuscule pour désigner les Représentations, en peinture et en sculpture, du dieu Amour. Peindre, sculpter des Amours, de petits Amours. Fig. et fam., C'est un amour, se dit d'une Personne très jolie et surtout d'un enfant. Un amour de désigne une Chose que l'on trouve d'une exécution parfaite, d'un extrême agrément. Un amour de statuette. Un amour de bouquet.
POMME D'AMOUR, Autre nom de la tomate.
Littré (1872-1877)
-
1Sentiment d'affection d'un sexe pour l'autre. Épris d'amour. Brûler d'amour. Un secret amour. Un amour partagé. L'amour des femmes. Lettre d'amour.
Un amour violent aux raisons ne s'amuse
, Régnier, Élég. II.En amour l'innocence est un savant mystère
, Régnier, Sat. XII.Chloris et moi nous nous aimions d'amour
, La Fontaine, Quipr.En un habit à donner de l'amour
, La Fontaine, Or.Le duc de Richemont mourait d'amour pour elle
, Hamilton, Gramm. 9.Seigneur, l'amour toujours n'attend pas la raison
, Racine, Brit. II, 2.L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en son âme ; Tout nous trahit
, Racine, Andr. II, 2.À peine cependant Bajazet m'a parlé ; L'amour fit le serment, l'amour l'a violé
, Racine, Baj. III, 5.L'amour le plus discret Laisse par quelque marque échapper son secret
, Racine, ib. III, 8.Un véritable amour brave la main des Parques
, Corneille, Hor. IV, 4.L'amour entre les rois ne fait pas l'hyménée
, Corneille, Nicom. II, 4.L'amour au désespoir fait gloire encor d'aimer
, Corneille, Agésil. IV, 7.L'amour est un tyran qui n'épargne personne
, Corneille, Cid, V, 4.Il n'y a point, dans le cœur d'une jeune personne, un si violent amour auquel l'intérêt ou l'ambition n'ajoute quelque chose
, La Bruyère, 3.Au féminin.
Mais j'ai grand' peur, enfin, que l'amour soit plus forte
, Régnier, Élég. II.Il disait qu'il m'aimait d'une amour sans seconde
, Molière, Éc. des F. II, 6.Vous ne pouvez aimer que d'une amour grossière
, Molière, Femmes sav. IV, 2.J'ignore le destin de mon amour ardente
, Molière, le Dép. IV, 3.L'aimes-tu d'une amour qui soit si violente ?
Molière, Mélic. I, 2.C'est l'amour, jointe à la tristesse, qui cause la plupart des larmes
, Descartes, Pass. 117.Qu'une première amour est belle ! Qu'on a peine à s'en dégager ! Et qu'on doit plaindre un cœur fidèle, Lorsqu'il est forcé de changer !
Quinault, Atys, IV, 1.Outre que tant d'amour vous serait importune
, La Fontaine, Joconde.Votre amour de la mienne eût dû se défier
, Racine, Baj. V, 6.Amour ignorée
, Racine, Brit. I, 1.De l'amour la plus tendre et la plus malheureuse
, Racine, Bérén. V, 7.Avant que dans son cœur cette amour fût formée
, Racine, Baj. I, 4.Ne l'a point averti de votre amour nouvelle
, Racine, ib. IV, 5.Possédant une amour qui me fut déniée
, Racine, Mithr. III, 5.Sur la foi d'une amour si saintement jurée
, Racine, Andr. II, 1.Tant d'amour n'en peut être effacée
, Racine, Bér. IV, 5.Si d'une égale amour votre cœur est épris
, Voltaire, Zaïre, I, 2.Que vos destins… Coulent toujours trempés d'ambroisie et de miel, Et non sans quelque amour paisible et mutuelle
, Chénier, 92.Au plur. f. De mutuelles amours.
Je redoutai du roi les cruelles amours
, Racine, Mithr. I, 1.Il déshonora son règne par ses amours monstrueuses
, Bossuet, Hist. I, 10.Commerce amoureux.
Mais ce n'est pas assez expier vos amours
, Racine, Bérén. V, 5.N'allez point par vos pleurs déclarer vos amours
, Racine, Baj. I, 4.L'hymen va succéder à vos longues amours
, Racine, Bér. I, 4.Pâris n'ignorait aucune de ses amours [d'Hélène] quand il lui sacrifia les siennes
, Courier, I, 41.Continuez vos amours avec eux tant qu'il vous plaira
, Molière, les Préc. ridic. 16.Il se dit aussi dans ce sens au plur. m.
Et mes premiers amours, et mes premiers serments
, Voltaire, Œdipe, II, 2.Ces dieux justes vengeurs des malheureux amours
, Delille, Énéide, IV.Et l'on revient toujours à ses premiers amours
, Étienne, Joconde.Vient un danseur, nouveaux amours
, Béranger, Les cinq étages. -
2Locutions diverses. Faire l'amour, courtiser, être en commerce amoureux.
Ah ! lâche, fais l'amour et renonce à l'empire
, Racine, Bérén. IV, 4.Non, non, faites l'amour, et vendez aux amants Vos accueils…
, Régnier, Sat. XII.Comme en faisant l'amour on se doit maintenir
, Régnier, Epît. I.Qui fussent retournés un jour à Mycènes faire l'amour
, Malherbe, VI, 17.Qu'ils viennent vous faire l'amour
, Molière, Préc. 16.Du temps qu'il faisait l'amour à Mme sa femme
, Hamilton, Gramm. 11.Il faisait l'amour avec Mlle de N…
, Sévigné, 534.Il est peu à craindre qu'ils ne sachent pas faire l'amour sans lui
, Rousseau, Ém. v.Est-ce que vous croyez qu'on puisse faire l'amour sans proférer une parole ?
Voltaire, Microm. 6.Raimond fit publiquement l'amour à cette princesse [Éléonore, femme de Louis le Jeune]
, Voltaire, Mœurs, 55.Familièrement. Filer le parfait amour, s'aimer longtemps et constamment.
La maison de Mme de Mortagne tomba fort ; ils [M. et Mme de Mortagne] s'en consolèrent par l'abondance et par filer le parfait amour
, Saint-Simon, 53, 139.C'est un vrai remède d'amour, se dit d'une femme fort laide.
En termes de culture, la terre est en amour, elle est dans un état propre à la végétation.
Être en amour, se dit des femelles des animaux, et signifie être en chaleur.
Maison d'amour, maison de filles.
On trouve dans Paris d'autres maisons d'amour
, Régnier, Sat. X. -
3En général, affection profonde. L'amour des parents pour leurs enfants.
Pour un fils jusqu'où va notre amour
, Racine, Andr. III, 4.Ne vous assurez point sur l'amour qu'il vous porte
, Racine, Mithr. I, 5.Même de mon amour craignant la violence, Autant que je le puis, j'évite sa présence
, Racine, Athal. I, 2.Pour le sang de nos rois vous savez son amour
, Racine, ib. II, 6.Son amour [de la fortune pour certaines femmes] est fragile et se rompt comme verre, Et fait aux plus matois donner du nez en terre
, Régnier, Sat. XI.J'assigne l'envieux cent ans après la vie, Où l'on dit qu'en amour se convertit l'envie
, Régnier, ib. X.Au féminin.
L'empereur qui lui montre une amour infinie [à Sévère]
, Régnier, Poly. I, 4.Excusez l'ardeur d'une amour fraternelle
, Régnier, Hor. I, 5.Le baiser d'amour fraternelle
, La Fontaine, Fab. II, 15.C'est à bon droit Que, seul entre les tiens, par amour singulière, Je t'ai toujours choyé…
, La Fontaine, ib. VIII, 22.Cette amour est extrêmement bonne
, Pascal, Pass. 139.Pour l'amour de quelqu'un, par affection, par considération pour lui. Il le fit pour l'amour de moi.
Je me purgerai pour l'amour de vous
, Sévigné, 382.Amour de Dieu, amour que la créature doit porter à son créateur.
L'âme est faite pour Dieu, et c'est à lui qu'elle devait se tenir attachée et comme suspendue par sa connaissance et par son amour
, Bossuet, La Vallière, Profession.Pour l'amour de Dieu, dans la seule vue de plaire à Dieu, sans aucune vue d'intérêt ; et aussi, ironiquement, sans soin, mal. Cela est fait pour l'amour de Dieu, cela est mal fait.
Ironiquement. Comme pour l'amour de Dieu, se dit pour exprimer une chose faite à contre-cœur, avec lésinerie.
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4En parlant des choses, sentiment vif, attachement qu'on éprouve pour une chose. Amour du plaisir, du jeu.
Si l'amour des grandeurs, la soif de commander…
, Racine, Athal. III, 3.C'est l'amour des grandeurs qui vous rend importune
, Corneille, Cinna, IV, 4.Tout ce que j'ai d'amour pour la vertu
, Fénelon, Tél. IV.Elle a mis son amour à la dévotion
, Régnier, Sat. XII.… quelque excès d'amour qu'il porte à notre bien
, Malherbe, II, 1.Au féminin.
Une certaine amour naturelle qu'on a pour ses sentiments
, Vaugelas, Q. C. VII, 4.L'amour du bien lui était assez naturelle
, Stévrem. II, 183.Absolument.
Nos peines ne deviennent si douloureuses que par les attachements outrés qui nous liaient aux objets perdus… l'excès de nos afflictions est toujours la peine de nos amours injustes
, Massillon, Avent, Afflict.La nature a mis en nous des haines et des amours
, Massillon, Car. Offenses.Telle est la première source de nos amours et de nos haines : l'injustice et la bizarrerie de notre goût
, Massillon, ib.Pour que deux hommes soient parfaits amis, il faut qu'ils aient des opinions opposées, des principes semblables, des haines et des amours diverses
, Chateaubriand, Génie, II, III, 1.Il semblait que toutes les amours du peuple romain fussent courtes et malheureuses
, Perrot D'Ablancourt, Tacite, 97.Dans le langage des arts. Cet ouvrage est fait avec amour, l'artiste s'est complu à le faire.
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5Objet aimé.
J'ai vu mon amour ; mais son visage était pâle
, Chateaubriand, Dargo, chant I.De quel ennui secret ton âme est-elle atteinte ? Me dis-tu : cher amour, épanche ta douleur
, Lamartine, Méd. II, 10.S'il parle à de certaines filles Dont il fit longtemps ses amours
, Béranger, Av. de Bagn.Enfant, rêve encore ! Dors, ô mes amours !
Hugo, F. d'aut. 20.Les rois qui avaient été l'amour de leurs peuples
, Fénelon, Tél. XII.Et fussiez-vous du monde et l'amour et l'effroi…
, Corneille, Nicom. I, 1.Cette Esther, l'innocence et la sagesse même, Que je croyais du ciel les plus chères amours
, Racine, Esth. III, 4.Un jeune lis, l'amour de la nature
, Racine, Athal. II, 9.M'amour pour ma amour, au féminin. Terme caressant dont on se sert envers son mari, sa femme, sa fille, sa maîtresse.
Allez, m'amour, et passez chez votre notaire, afin qu'il expédie ce que vous savez
, Molière, Mal. imag. II, 8. -
6L'Amour, les Amours, divinités de la Fable.
L'Amour n'enfante que des larmes ; Les Amours sont frères des ris
, Hugo, Odes, IV, 2.Fuyez, fuyez, oiseaux d'un noir présage ; Cette nacelle appartient aux Amours
, Béranger, Comm. du Voyage.Je vous revois ; et le temps, trop rapide, Ternit ces yeux où riaient les Amours
, Béranger, Déesse.Dans une taille contrefaite, mais qui s'apercevait peu, sa figure [de Mme la Duchesse] était formée par les plus tendres Amours
, Saint-Simon, 206, 22.Fig. et familièrement. C'est un amour, se dit d'une jeune femme très jolie, d'un enfant très joli, et aussi de quelque objet très joli.
-
7Amour de soi, sentiment naturel qui attache chaque homme à ce qui lui est personnel. L'amour de soi est irrépréhensible, utile, et content quand nos vrais besoins sont satisfaits.
Ce sont deux sortes d'amours qui sont ici toutes choses : l'un est l'amour de soi-même poussé jusqu'au mépris de Dieu, c'est ce qui fait la vie ancienne et la vie du monde ; l'autre, c'est l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris de soi-même, c'est ce qui fait la vie nouvelle du christianisme, et c'est ce qui, étant porté à la perfection, fait la vie religieuse
, Bossuet, La Vallière, Profession. -
8Amour-propre, amour de soi, considéré comme un sentiment excessif pour soi et de préférence sur les autres ; opinion avantageuse de soi-même. Cet homme est pétri d'amour-propre.
C'est [l'amour de la patrie] un véritable amour-propre
, Saint-Évremond, II, 399.Depuis, le péché étant arrivé, l'homme a perdu le premier de ses amours [l'amour pour Dieu] ; et l'amour pour soi-même étant resté seul dans cette grande âme capable d'un amour infini, cet amour-propre s'est étendu et débordé dans le vide que l'amour de Dieu a laissé ; et ainsi il s'est aimé tout seul, et toutes choses pour soi, c'est-à-dire infiniment : voilà l'origine de l'amour-propre
, Pascal, Pensées, part. II, art. 18.Faut-il que l'amour-propre aveugle les esprits !
La Fontaine, Fab. IV, 2.L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs
, La Rochefoucauld, Réflex. 2.Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions
, La Rochefoucauld, ib. 13.Si l'amour-propre était un peu plus délicat, on ne compterait pour louanges que celles qui auraient de pareils assaisonnements
, Fontenelle, Dodart.L'homme que vous voyez si attaché à lui-même par son amour-propre, n'a pas été créé avec ce défaut
, Bossuet, la Vall. - 9En peinture, amour, un certain duvet qui rend la toile très propre à recevoir la colle.
- 10En maçonnerie, espèce d'onctuosité que le plâtre laisse dans les doigts.
- 11Jeu de l'amour, sorte de jeu qui ressemble au jeu de l'oie, et qui se joue avec des tableaux et des dés.
- 12 En termes de fauconnerie, voler d'amour se dit des oiseaux qu'on laisse voler en liberté, afin qu'ils soutiennent les chiens.
-
13Amour en cage, s. m. Terme de botanique. Nom, dans certaines localités, de l'alkékenge et de son fruit.
Pomme d'amour, tomate.
PROVERBES
Il n'y a pas de belles prisons ni de laides amours.
Froides mains, chaudes amours ; la fraîcheur des mains passe pour annoncer un tempérament ardent.
REMARQUE
1. Amour, suivi d'un complément de personne, se dit de celui qui éprouve l'affection et de celui qui l'inspire : Une mère entourée de l'amour de ses enfants ; ce sont les enfants qui aiment. Cette mère inspirée par un amour aveugle de ses enfants ; ce sont les enfants qui sont aimés.
2. Amour a été masculin et féminin dans les deux siècles derniers. Aujourd'hui il n'est susceptible de recevoir les deux genres que quand il signifie la passion d'un sexe pour l'autre ; ailleurs il est masculin. L'Amour, dieu de la Fable, est toujours masculin. Amour au singulier n'est féminin qu'en poésie. Au pluriel, il est féminin non-seulement en poésie, mais dans le parler ordinaire et dans certaines locutions. Des grammairiens ont réclamé contre la conservation de ces deux genres, disant qu'il est temps de ramener partout le singulier et le pluriel au même genre. L'Académie ne prendra pas un tel parti, et il serait fâcheux qu'elle le prît ; car cela ferait aussitôt considérer par le gros des lecteurs comme des fautes les passages de nos auteurs où amour est du féminin, grave dommage pour leur mémoire et pour notre plaisir, comme on le voit en plus d'un cas où le rigorisme mal entendu des grammairiens l'a emporté. Amour au féminin est un archaïsme ; amour, venant de amor, était féminin dans l'ancienne langue, comme tous les noms ainsi dérivés l'étaient et le sont encore : douleur, peur, etc. L'ancien français avait un excellent substantif, amorie, substantif féminin, pour exprimer le règne d'amour, les choses d'amour. Ce mot est regrettable.
SYNONYME
1° AMOUR DE SOI, AMOUR-PROPRE. Aucune distinction entre ces deux termes n'existait au XVIIe siècle, qui confondait dans une commune réprobation l'amour de soi et l'amour-propre. Mais depuis on a distingué entre ces deux expressions : l'une n'implique aucun blâme et indique simplement l'intérêt légitime qu'un homme prend à soi-même ; l'autre indique que l'amour de soi tend à passer les bornes et à s'approcher de l'égoïsme.
2° AMOUR, AMOURETTE. La différence qu'il y a du sérieux au badin, à l'égard d'un même objet, fait celle de l'amour et de l'amourette. Celle-ci amuse simplement, et celui-là occupe,
Guizot.
HISTORIQUE
IXe s. Pro Deo amur
, Serment.
XIe s. Serai ses hom par amur et par feid
, Ch. de Rol. VI. La tue amurz me seit hui en present
, ib. CCXXIV.
XIIe s. Rolant respont, si le dit por amor
, Ronc. p. 44. Por itex cops [il] vous a s'amor donée
, ib. p. 66. Pour amor Deu, pourquoi me rampoinez ?
ib. p. 81. Tout par amor [de bonne volonté] [elle] prendra la loi saintie
, ib. p. 148. Las ! quel amor à duel est departie [séparée]
, ib. p. 163. Nule chançon ne m'agrée S'el ne vient de fine amor
, Couci, I. Tant s'est amours affermée En mon cuer à long sejor
, ib. I. Bien [je] cuidai vivre sans amour Dès or en pais tout mon aé [âge]
, ib. III. Et vous, seigneur, qui par amours amez, Faites ainsi, se jouir en voulez
, ib. XI. N'est pas amors dont on se peut mouvoir
, ib. XVIII. Ainçois me dout [je crains] qu'en trestout mon aage [je] Ne puisse assez lui et s'amour servir
, ib. XI. Lors recommencent leur premieres amors
, Romancero, p. 51. Fait li dunc sainz Thomas : tuz nus estuet murir ; Ne pur mant de justise ne me verrez flechir ; E pur l'amur de Deu voil la mort sustenir
, Th. le Mart. 143.
XIIIe s. [Dieu] Veuillez que vostre mere m'ame de s'amour doue [doue mon âme de son amour]
, Berte, XXXIII. L'amour [amitié] que m'avez faite vous soit de Dieu rendue
, ib. LII. De mauvaise marastre est l'amour mout petite
, ib. LIV. D'amour et de desir tout li cuers lui esprent
, ib. CX. Que fine amors a pris au las
, Chanson dans Berte aux grans piés. Et fit semonre ses amis et ses fievés et par homage et par amours, et assembla si grant ost que ce fu mervelles
, Chr. de Rains, 175. Ci est le Rommant de la Rose Où l'art d'Amors est tote enclose
, la Rose, titre. Car chascun qui de ses amors Oit parler, moult s'en esbaudist
, ib. 2686. Mais de la fole amor se gardent, Dont li cuer esprennent et ardent, Et soit l'amor sans convoitise Qui les faus cuers de prendre atise
, ib. 4609. Se li lais [legs] li avoit esté fes por aumosne ou por amor carnele, li lais seroit de nule valeur
, Beaumanoir, XII, 45. Ci vous pri, que vous metés votre cuer à ce pour l'amour de Dieu et de moi
, Joinville, 194.
XIVe s. Et à ceste maniere d'amisté attraient aucuns la fole amour de deux persones, des queles une est bele et l'autre est laide
, Oresme, Eth. 244. Amour n'obeist pas à crainte ; Ne nullui n'aime par contrainte
, J. Bruyant, dans Ménagier, t. II, p. 22.
XVe s. Si le ferit tantost une estincelle de fine amour au cœur
, Froissart, I, I, 165. [Le roi d'Angleterre annonce aux barons son intention de fonder un ordre de chevalerie.] Si lui accorderent liement, pour ce que leur sembloit une chose honorable, et où toute amour se nourriroit
, Froissart, I, I, 213. Il laissa au pays de Flandres deux comtes, sages chevaliers et vaillans, pour tenir à amour les Flamands, et pour mieux montrer que leurs besognes estoient siennes
, Froissart, I, I, 97. Et lui avoit fait ledit roi plus d'amour et de courtoisie en prison qu'il ne fit au dit messire Hervey
, Froissart, I, I, 212. Et pour ceste cause n'y avoit nulle amour entre les deux [le duc de Bourgogne et le comte de Saint-Pol]
, Commines, II, 5. Qui à la fois dit de bons mots Et chante bien : ma douce amour
, Villon, dans MÉNAGE.
XVIe s. Amour est fin, et sa parole farde Pour mieux tromper : donnez-vous en donc garde
, Marot, I, 337. Ceux qui font tant de clamours, Ne taschent qu'à eux complaire Plus qu'à leurs belles amours
, Marot, II, 350. La chanson fut bien ordonnée Qui dit : m'amour vous est donnée
, Marot, dans MÉNAGE. Je ne veux plus, sous couleur apparente D'un feint amour, vivre si mal contente ; Trop est l'amour chere, honneste et gentille ; Je veux aimer
, Saint-Gelais, 241. L'amour de la vie doit estre oubliée pour la bonne renommée
, Marguerite de Navarre, Lett. 55. Amour ne peult estre receu que de son semblable
, Marguerite de Navarre, ib. 137. Les desnaturées et preposteres amours de son temps
, Montaigne, I, 117. Cette amour naturelle [des parents] les attendrit trop et relasche
, Montaigne, I, 164. Tumber en amour de soy indiscrete
, Montaigne, II, 62. L'amour d'un muletier plus que celle d'un gallant homme
, Montaigne, II, 213. Le jeune homme desesperant de pouvoir jouir de ses amours, en fut si desplaisant, qu'il se noya
, Amyot, Thés. 32. Minos le renvoya franc et quitte, remettant, pour amour de luy, à la ville d'Athenes ce tribut qu'elle luy devoit payer
, Amyot, ib. 22. Cessez le combat pour l'amour de nous
, Amyot, Rom. 29. La vraye amour et bienvueillance qu'ilz luy portoient
, Amyot, Timol. 52. S'estans tous deux enamourez d'une amour, affection et charité divine, qui estoit de servir leur païs
, Amyot, Pélop. 8. Il faut s'aimer d'une amour mutuelle
, Ronsard, 820. Car comme un clou par l'autre est repoussé, L'amour par l'autre est soudain effacé
, Ronsard, 821. L'amour de la femme et l'amour du chien, il ne vaut rien qui ne dit : tien
, Génin, Récréat. t. II, p. 241.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
AMOUR. Ajoutez :Arbre d'amour, le cercis siliquastrum,Baillon, Dict. de botanique, p. 247.
REMARQUE
Dans l'Ecole des maris, III, 9, Léonor, pour exprimer qu'elle a quitté le bal à cause de l'ennui qu'elle ressentait des assiduités des jeunes gens à la mode, dit : Je me suis dérobée au bal pour l'amour d'eux. Pour l'amour de signifie ici simplement : à cause d'eux. De même Malherbe : Un homme m'ayant fait un plaisir et depuis une injure… je dois être quitte du bienfait pour l'amour de l'injure, et lui de l'injure pour l'amour du bienfait, Œuvres, éd. Ad. Regnier, t. II, p. 173. M. A. Espagne (Rev. des langues romanes, 2e série, t. II, p. 80), qui cite ces exemples, dit que ce sont des provençalismes, le provençal disant per amor et, par contraction, parmor, pramo, à cause de : il cite aussi le patois messin où l'on trouve pr' amou que, vu que, attendu que.
Encyclopédie, 1re édition (1751)
AMOUR : il entre ordinairement beaucoup de sympathie dans l’amour, c’est-à-dire, une inclination dont les sens forment le nœud ; mais quoiqu’ils en forment le nœud, il n’en sont pas toujours l’intérêt principal : il n’est pas impossible qu’il y ait un amour exempt de grossiereté.
Les mêmes passions sont bien différentes dans les hommes. Le même objet peut leur plaire par des endroits opposés. Je suppose que plusieurs hommes s’attachent à la même femme : les uns l’aiment pour son esprit, les autres pour sa vertu, les autres pour ses défauts, &c. & il se peut faire encore que tous l’aiment pour des choses qu’elle n’a pas, comme lorsque l’on aime une femme légere que l’on croit solide. N’importe, on s’attache à l’idée qu’on se plaît à s’en figurer ; ce n’est même que cette idée que l’on aime, ce n’est pas la femme légere. Ainsi l’objet des passions n’est pas ce qui les dégrade ou ce qui les anoblit, mais la maniere dont on envisage cet objet. Or j’ai dit qu’il étoit possible que l’on cherchât dans l’amour quelque chose de plus pur que l’intérêt des sens. Voici ce qui me fait le croire. Je vois tous les jours dans le monde qu’un homme environné de femmes, auxquelles il n’a jamais parlé, comme à la Messe, au Sermon, ne se décide pas toujours pour celle qui est la plus jolie, & qui même lui paroît telle : quelle est la raison de cela ? C’est que chaque beauté exprime un caractere tout particulier ; & celui qui entre le plus dans le nôtre, nous le préférons. C’est donc le caractere qui nous détermine ; c’est donc l’ame que nous cherchons : on ne peut me nier cela. Donc tout ce qui s’offre à nos sens ne nous plaît que comme une image de ce qui se cache à leur vûe : donc nous n’aimons les qualités sensibles, que comme les organes de notre plaisir, & avec subordination aux qualités insensibles dont elles sont l’expression : donc il est au moins vrai que l’ame est ce qui nous touche le plus. Or ce n’est pas aux sens que l’ame est agréable, mais à l’esprit : ainsi l’intérêt de l’esprit devient l’intérêt principal, & si celui des sens lui étoit opposé, nous le lui sacrifierions. On n’a donc qu’à nous persuader qu’il lui est vraiment opposé, qu’il est une tache pour l’ame ; voilà l’amour pur.
Cet Amour est cependant véritable, & on ne peut le confondre-avec l’amitié ; car dans l’amitié, c’est l’esprit qui est l’organe du sentiment : ici ce sont les sens. Et comme les idées qui viennent par les sens, sont infiniment plus puissantes que les vûes de la réflexion, ce qu’elles inspirent est passion. L’amitié ne va pas si loin ; c’est pourtant ce que je ne voudrois pas décider ; cela n’appartient qu’à ceux qui ont blanchi sur ces importantes questions.
Il n’y a pas d’amour sans estime, la raison en est claire. L’amour étant une complaisance dans l’objet aimé, & les hommes ne pouvant se défendre de trouver un prix aux choses qui leur plaisent, leur cœur en grossit le mérite ; ce qui fait qu’ils se préferent les uns aux autres, parce que rien ne leur plaît tant qu’eux-mêmes.
Ainsi non-seulement on s’estime avant tout, mais on estime encore toutes les choses qu’on aime, comme la chasse, la musique, les chevaux, &c. Et ceux qui méprisent leurs propres passions, ne le font que par réflexion & par un effort de raison ; car l’instinct les porte au contraire.
Par une suite naturelle du même principe, la haine rabaisse ceux qui en sont l’objet, avec le même soin que l’amour les releve. Il est impossible aux hommes de se persuader que ce qui les blesse n’ait pas quelque grand défaut, c’est un jugement confus que l’esprit porte en lui-même.
Et si la réflexion contrarie cet instinct (car il y a des qualités qu’on est convenu d’estimer, & d’autres de mépriser) alors cette contradiction ne fait qu’irriter la passion ; & plûtôt que de céder aux traits de la vérité, elle en détourne les yeux. Ainsi elle dépouille son objet de ses qualités naturelles, pour lui en donner de conformes à son intérêt dominant ; ensuite elle se livre témérairement & sans scrupule à ses préventions insensées.
Amour du Monde. Que de choses sont comprises dans l’amour du monde ! Le libertinage, le desir de plaire, l’envie de dominer, &c. L’amour du sensible & du grand ne sont nulle part si mêlés ; je parle d’un grand mesuré à l’esprit & au cœur qu’il touche. Le génie & l’activité portent à la vertu & à la gloire : les petits talens, la paresse, le goût des plaisirs, la gaieté, & la vanité, nous fixent aux petites choses ; mais en tous c’est le même instinct, & l’amour du monde renferme de vives semences de presque toutes les passions.
Amour de la gloire. La gloire nous donne sur les cœurs une autorité naturelle qui nous touche, sans doute, autant qu’aucune de nos sensations, & nous étourdit plus sur nos miseres qu’une vaine dissipation : elle est donc réelle en tout sens.
Ceux qui parlent de son néant véritable, soûtiendroient peut-être avec peine le mépris ouvert d’un seul homme. Le vuide des grandes passions est rempli par le grand nombre des petites : les contempteurs de la gloire se piquent de bien danser, ou de quelque misere encore plus basse. Ils sont si aveugles, qu’ils ne sentent pas que c’est la gloire qu’ils cherchent si curieusement, & si vains qu’ils osent la mettre dans les choses les plus frivoles. La gloire, disent-ils, n’est ni vertu ni mérite ; ils raisonnent bien en cela : elle n’en est que la récompense. Elle nous excite donc au travail & à la vertu, & nous rend souvent estimables, afin de nous faire estimer.
Tout est très-abject dans les hommes, la vertu, la gloire, la vie : mais les choses les plus petites ont des proportions reconnues. Le chêne est un grand arbre près du cerisier ; ainsi les hommes à l’égard les uns des autres. Quelles sont les inclinations & les vertus de ceux qui méprisent la gloire ! l’ont-ils méritée ?
Amour des Sciences et des Lettres. La passion de la gloire, & la passion des sciences, se ressemblent dans leur principe ; car elles viennent l’une & l’autre du sentiment de notre vuide & de notre imperfection. Mais l’une voudroit se former comme un nouvel être hors de nous ; & l’autre s’attache à étendre & à cultiver notre fonds : ainsi la passion de la gloire veut nous aggrandir au-dehors, & celle des sciences au-dedans.
On ne peut avoir l’ame grande, ou l’esprit un peu pénétrant, sans quelque passion pour les Lettres. Les Arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature ; les Arts & les Sciences embrassent tout ce qu’il y a dans la pensée de noble ou d’utile ; desorte qu’il ne reste à ceux qui les rejettent, que ce qui est indigne d’être peint ou enseigné. C’est très-faussement qu’ils prétendent s’arrêter à la possession des mêmes choses que les autres s’amusent à considérer. Il n’est pas vrai qu’on possede ce qu’on discerne si mal, ni qu’on estime la réalité des choses, quand on en méprise l’image : l’expérience fait voir qu’ils mentent, & la réflexion le confirme.
La plûpart des hommes honorent les Lettres, comme la religion & la vertu, c’est-à-dire, comme une chose qu’ils ne peuvent [1], ni connoître, ni pratiquer, ni aimer.
Personne néanmoins n’ignore que les bons Livres sont l’essence des meilleurs esprits, le précis de leurs connoissances & le fruit de leurs longues veilles : l’étude d’une vie entiere s’y peut recueillir dans quelques heures ; c’est un grand secours.
Deux inconvéniens sont à craindre dans cette passion : le mauvais choix & l’excès. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s’attachent à des connoissances peu utiles ne seroient pas propres aux autres : mais l’excès peut se corriger.
Si nous étions sages, nous nous bornerions à un petit nombre de connoissances, afin de les mieux posséder : nous tâcherions de nous les rendre familieres & de les réduire en pratique ; la plus longue & la plus laborieuse théorie n’éclaire qu’imparfaitement ; un homme qui n’auroit jamais dansé, possederoit inutilement les regles de la danse : il en est de même des métiers d’esprit.
Je dirai bien plus : rarement l’étude est utile lorsqu’elle n’est pas accompagnée du commerce du monde. Il ne faut pas séparer ces deux choses : l’une nous apprend à penser, l’autre à agir, l’une à parler, l’autre à écrire ; l’une à disposer nos actions, & l’autre à les rendre faciles. L’usage du monde nous donne encore l’avantage de penser naturellement, & l’habitude des Sciences, celui de penser profondément.
Par une suite nécessaire de ces vérités, ceux qui sont privés de l’un & de l’autre avantage par leur condition, étalent toute la foiblesse de l’esprit humain. La nature ne porte-t-elle qu’au milieu des cours & dans le sein des villes florissantes, des esprits aimables & bienfaits ? Que fait-elle pour le laboureur préoccupé de ses besoins ? Sans doute elle a ses droits, il en faut convenir. L’art ne peut égaler les hommes ; il les laisse loin les uns des autres dans la même distance où ils sont nés, quand ils ont la même application à cultiver leurs talens : mais quels peuvent être les fruits d’un beau naturel négligé ?
Amour du Prochain. L’amour du prochain est de tous les sentimens le plus juste & le plus utile : il est aussi nécessaire dans la société civile, pour le bonheur de notre vie, que dans le christianisme pour la félicité éternelle.
Amour des sexes. L’amour, partout où il est, est toûjours le maître. Il forme l’ame, le cœur & l’esprit selon ce qu’il est. Il n’est ni petit ni grand, selon le cœur & l’esprit qu’il occupe, mais selon ce qu’il est en lui-même ; & il semble véritablement que l’amour est à l’ame de celui qui aime, ce que l’ame est au corps de celui qu’elle anime.
Lorsque les amans se demandent une sincérité réciproque pour savoir l’un & l’autre quand ils cesseront de s’aimer, c’est bien moins pour vouloir être avertis quand on ne les aimera plus, que pour être mieux assûrés qu’on les aime lorsqu’on ne dit point le contraire.
Comme on n’est jamais en liberté d’aimer ou de cesser d’aimer, l’amant ne peut se plaindre avec justice de l’inconstance de sa maîtresse, ni elle de la légereté de son amant.
L’amour, aussi-bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel, & il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre.
Il n’y a qu’une sorte d’amour : mais il y en a mille différentes copies. La plûpart des gens prennent pour de l’amour le desir de la joüissance. Voulez-vous sonder vos sentimens de bonne-foi, & discerner laquelle de ces deux passions est le principe de votre attachement : interrogez les yeux de la personne qui vous tient dans ses chaînes. Si sa présence intimide vos sens & les contient dans une soûmission respectueuse, vous l’aimez. Le véritable amour interdit même à la pensée toute idée sensuelle, tout essor de l’imagination dont la délicatesse de l’objet aimé pourroit être offensée, s’il étoit possible qu’il en fut instruit : mais si les attraits qui vous charment font plus d’impression sur vos sens que sur votre ame ; ce n’est point de l’amour, c’est un appétit corporel.
Qu’on aime véritablement ; & l’amour ne fera jamais commettre des fautes qui blessent la conscience ou l’honneur.
Un amour vrai, sans feinte & sans caprice,
Est en effet le plus grand frein du vice ;
Dans ses liens qui sait se retenir,
Est honnéte-homme, ou va le devenir.
L’Enfant Prodigue, Comédie.
Quiconque est capable d’aimer est vertueux : j’oserois même dire que quiconque est vertueux est aussi capable d’aimer ; comme ce seroit un vice de conformation pour le corps que d’être inepte à la génération, c’en est aussi un pour l’ame que d’être incapable d’amour.
Je ne crains rien pour les mœurs de la part de l’amour, il ne peut que les perfectionner ; c’est lui qui rend le cœur moins farouche, le caractere plus liant, l’humeur plus complaisante. On s’est accoûtumé en aimant à plier sa volonté au gré de la personne chérie ; on contracte par-là l’heureuse habitude de commander à ses desirs, de les maîtriser & de les réprimer ; de conformer son goût & ses inclinations aux lieux, aux tems, aux personnes : mais les mœurs ne sont pas également en sûreté quand on est inquiété par ces saillies charnelles que les hommes grossiers confondent avec l’amour.
De tout ce que nous venons de dire, il s’ensuit que le véritable amour est extrèmement rare. Il en est comme de l’apparition des esprits ; tout le monde en parle, peu de gens en ont vû. Maximes de la Rochefoucauld.
Amour conjugal. Les caracteres de l’amour conjugal ne sont pas équivoques. Un amant, dupe de lui-même, peut croire aimer sans aimer en effet : un mari sait au juste s’il aime. Il a joüi : or la joüissance est la pierre de touche de l’amour ; le véritable y puise de nouveaux feux : mais le frivole s’y éteint.
L’épreuve faite, si l’on connoît qu’on s’est mépris, je ne sai de remede à ce mal que la patience. S’il est possible, substituez l’amitié à l’amour : mais je n’ose même vous flatter que cette ressource vous reste. L’amitié entre deux époux est le fruit d’un long amour, dont la joüissance & le tems ont calmé les bouillans transports. Pour l’ordinaire sous le joug de l’hymen, quand on ne s’aime point on se hait, ou tout au plus les génies de la meilleure trempe se renferment dans l’indifférence.
Des vices dans le caractere, des caprices dans l’humeur, des sentimens opposés dans l’esprit, peuvent troubler l’amour le mieux affermi. Un époux avare prend du dégoût pour une épouse qui, pensant plus noblement, croit pouvoir régler sa dépense sur leurs revenus communs : un prodigue au contraire méprise une femme œconome.
Pour vivre heureux dans le mariage, ne vous y engagez pas sans aimer & sans être aimé. Donnez du corps à cet amour en le fondant sur la vertu. S’il n’avoit d’autre objet que la beauté, les graces & la jeunesse, aussi fragile que ces avantages passagers, il passeroit bien-tôt comme eux : mais s’il s’est attaché aux qualités du cœur & de l’esprit, il est à l’épreuve du tems.
Pour vous acquérir le droit d’exiger qu’on vous aime, travaillez à le mériter. Soyez après vingt ans aussi attentif à plaire, aussi soigneux à ne point offenser, que s’il s’agissoit aujourd’hui de faire agréer votre amour. On ne conserve un cœur que par les mêmes moyens qu’on a employés pour le conquérir. Des gens s’épousent, ils s’adorent en se mariant ; ils savent bien ce qu’ils ont fait pour s’inspirer mutuellement de la tendresse ; elle est le fruit de leurs égards, de leur complaisance, & du soin qu’ils ont eu de ne s’offrir de part & d’autre qu’avec un certain extérieur propre à couvrir leurs défauts, ou du moins à les empêcher d’être desagréables. Que ne continuent-ils sur ce ton là quand ils sont mariés ? & si c’est trop, que n’ont-ils la moitié de leurs attentions passées ? Pourquoi ne se piquent-ils plus d’être aimés quand il y a plus que jamais de la gloire & de l’avantage à l’être ? Quoi, nous qui nous estimons tant, & presque toûjours mal à propos ; nous qui avons tant de vanité, qui aimons tant à voir des preuves de notre mérite, ou de celui que nous nous supposons, faut-il que sans en devenir ni plus loüables ni plus modestes, nous cessions d’être orgueilleux & vains dans la seule occasion peut-être où il va de notre profit & de tout l’agrément de notre vie à l’être ?
Amour paternel. Si la raison dans l’homme, ou plûtôt l’abus qu’il en fait, ne servoit pas quelquefois à dépraver son instinct, nous n’aurions lien à dire sur l’amour paternel : les brutes n’ont pas besoin de nos traités de morale, pour apprendre à aimer leurs petits, à les nourrir & à les élever ; c’est qu’elles ne sont guidées que par l’instinct : or l’instinct, quand il n’est point distrait par les sophismes d’une raison captieuse, répond toûjours au vœu de la Nature, fait son devoir, & ne bronche jamais. Si l’homme étoit donc en ce point conforme aux autres animaux, dès que l’enfant auroit vû la lumiere, sa mere le nourriroit de son propre lait, veilleroit à tous ses besoins, le garantiroit de tout accident, & ne croiroit pas d’instans dans sa vie mieux remplis que ceux qu’elle auroit employés à ces importans devoirs. Le pere de son côté contribueroit à le former ; il étudieroit son goût, son humeur & ses inclinations, pour mettre à profit ses talens : il cultiveroit lui-même cette jeune plante, & regarderoit comme une indifférence criminelle, de l’abandonner à la discrétion d’un gouverneur ignorant, ou peut-être même vicieux.
Mais le pouvoir de la coûtume, malgré la force de l’instinct, en dispose tout autrement. L’enfant est à peine né, qn’on le sépare pour toûjours de sa mere ; elle est ou trop foible ou trop délicate ; elle est d’un état trop honnête pour allaiter son propre enfant. En vain la Nature a détourné le cours de la liqueur qui l’a nourri dans le sein maternel, pour porter aux mammelles de sa dure marâtre deux ruisseaux de lait destinés désormais pour sa subsistance : la Nature ne sera point écoutée, ses dons seront rejettés & méprisés : celle qu’elle en a enrichie, dût-elle en périr elle-même, va tarir la source de ce nectar bienfaisant. L’enfant sera livré à une mere empruntée & mercenaire, qui mesurera ses soins au profit qu’elle en attend.
Quelle est la mere qui consentiroit à recevoir de quelqu’un un enfant qu’elle sauroit n’être pas le sien ? Cependant ce nouveau né qu’elle relegue loin d’elle sera-t-il bien véritablement le sien, lorsqu’après plusieurs années, les pertes continuelles de substance que fait à chaque instant un corps vivant auront été réparées en lui par un lait étranger qui l’aura transformé en un homme nouveau ? Ce lait qu’il a sucé n’étoit point fait pour ses organes : ç’a donc été pour lui un aliment moins profitable que n’eût été le lait maternel. Qui sait si son tempérament robuste & sain dans l’origine n’en a point été altéré ? qui sait si cette transformation n’a point influé sur son cœur ? l’ame & le corps sont si dépendans l’un de l’autre ! s’il ne deviendra pas un jour, précisément par cette raison, un lâche, un fourbe, un malfaiteur ? Le fruit le plus délicieux dans le terroir qui lui convenoit, ne manque guere à dégénérer, s’il est transporté dans un autre.
On compare les Rois à des peres de famille, & l’on a raison : cette comparaison est fondée sur la nature & l’origine même de la royauté.
Le premier qui fut Roi, fut un soldat heureux,
dit un de nos grands Poëtes (Mèrope, Tragédie de M. de Voltaire) : mais il est bon d’observer que c’est dans
la bouche d’un tyran, d’un usurpateur, du meurtrier
de son Roi, qu’il met cette maxime, indigne d’être
prononcée par un Prince équitable : tout autre que
Poliphonte eût dit :
Un pere étoit naturellement le chef de sa famille ; la famille en se multipliant devint un peuple, & conséquemment le pere de famille devint un Roi. Le fils aîné se crut sans doute en droit d’hériter de son autorité, & le sceptre se perpétua ainsi dans la même maison, jusqu’à ce qu’un soldat heureux ou un sujet rebelle devint la tige premiere d’une nouvelle race.
Un Roi pouvant être comparé à un pere, on peut réciproquement comparer un pere à un Roi, & déterminer ainsi les devoirs du Monarque par ceux du chef de famille, & les obligations d’un pere par celles d’un Souverain : aimer, gouverner, récompenser, & punir, voilà, je crois, tout ce qu’ont à faire un pere & un Roi.
Un pere qui n’aime point ses enfans est un monstre : un roi qui n’aime point ses sujets est un tyran. Le pere & le roi sont l’un & l’autre des images vivantes de Dieu, dont l’empire est fondé sur l’amour. La Nature a fait les peres pour l’avantage des enfans : la société a fait les Rois pour la félicité des peuples : il faut donc nécessairement un chef dans une famille & dans un État : mais si ce chef est indifférent pour les membres, ils ne seront autre chose à ses yeux que des instrumens faits pour servir à le rendre heureux. Au contraire, traiter avec bonté ou sa famille ou son État, c’est pourvoir à son intérêt propre. Quoique siége principal de la vie & du sentiment, la tête est toûjours mal assise sur un tronc maigre & décharné.
Même parité entre le gouvernement d’une famille & celui d’un État. Le maître qui régit l’une ou l’autre, a deux objets à remplir : l’un d’y faire régner les mœurs, la vertu & la piéte : l’autre d’en écarter le trouble, les desastres & l’indigence : c’est l’amour de l’ordre qui doit le conduire, & non pas cette fureur de dominer, qui se plaît à pousser à bout la docilité la mieux éprouvée.
Le pouvoir de récompenser & punir est le nerf du gouvernement. Dieu lui-même ne commande rien, sans effrayer par des menaces, & inviter par des promesses. Les deux mobiles du cœur humain sont l’esprit & la crainte. Peres & Rois, vous avez dans vos mains tout ce qu’il faut pour toucher ces deux passions. Mais songez que l’exacte justice est aussi soigneuse de récompenser, qu’elle est attentive à punir. Dieu vous a établis sur la terre ses substituts & ses représentans : mais ce n’est pas uniquement pour y tonner ; c’est aussi pour y répandre des pluies & des rosées bienfaisantes.
L’amour paternel ne differe pas de l’amour propre. Un enfant ne subsiste que par ses parens, dépend d’eux, vient d’eux, leur doit tout ; ils n’ont rien qui leur soit si propre. Aussi un pere ne sépare point l’idée de son fils de la sienne, à moins que le fils n’affoiblisse cette idée de propriété par quelque contradiction ; mais plus un pere s’irrite de cette contradiction, plus il s’afflige, plus il prouve ce que je dis.
Amour filial et fraternel. Comme les enfans n’ont nul droit sur la volonté de leurs peres, la leur étant au contraire toûjours combattue, cela leur fait sentir qu’ils sont des êtres à part, & ne peut pas leur inspirer de l’amour propre, parce que la propriété ne sauroit être du côté de la dépendance. Cela est visible : c’est par cette raison que la tendresse des enfans n’est pas aussi vive que celle des peres ; mais les lois ont pourvû à cet inconvénient. Elles sont un garant aux peres contre l’ingratitude des enfans, comme la nature est aux enfans un ôtage assûré contre l’abus des Lois. Il étoit juste d’assûrer à la vieillesse ce qu’elle accordoit à l’enfance.
La reconnoissance prévient dans les enfans bien nés ce que le devoir leur impose, il est dans la saine nature d’aimer ceux qui nous aiment & nous protegent, & l’habitude d’une juste dépendance fait perdre le sentiment de la dépendance même : mais il suffit d’être homme pour être bon pere ; & si on n’est homme de bien, il est rare qu’on soit bon fils.
Du reste qu’on mette à la place de ce que je dis, la sympathie ou le sang ; & qu’on me fasse entendre pourquoi le sang ne parle pas autant dans les enfans que dans les peres ; pourquoi la sympathie périt quand la soûmission diminue ; pourquoi des freres souvent se haïssent sur des fondemens si légers, &c.
Mais quel est donc le nœud de l’amitié des freres ? Une fortune, un nom commun, même naissance & même éducation, quelquefois même caractere ; enfin l’habitude de se regarder comme appartenant les uns aux autres, & comme n’ayant qu’un seul être ; voilà ce qui fait que l’on s’aime, voilà l’amour propre, mais trouvez le moyen de séparer des freres d’intérêt, l’amitié lui survit à peine ; l’amour propre qui en étoit le fond se porte vers d’autres objets.
Amour de l’estime. Il n’est pas facile de trouver la premiere & la plus ancienne raison pour laquelle nous aimons à être estimés. On ne se satisfait point là-dessus, en disant que nous desirons l’estime des autres, à cause du plaisir qui y est attaché ; car comme ce plaisir est un plaisir de réflexion, la difficulté subsiste, puisqu’il reste toûjours à savoir pourquoi cette estime qui est quelque chose d’étranger & d’éloigné à notre égard, fait notre satisfaction.
On ne réüssit pas mieux en alléguant l’utilité de la gloire ; car bien que l’estime que nous acquérons nous serve à nous faire réüssir dans nos desseins, & nous procure divers avantages dans la société, il y a des circonstances où cette supposition ne sauroit avoir lieu. Quelle utilité pouvoient envisager Mutius, Léonidas, Codrus, Curtius, &c. & par quel intérêt ces femmes Indiennes qui se font brûler après la mort de leurs maris, cherchent-elles en dépit même des lois & des remontrances, une estime à laquelle elles ne survivent point ?
Quelqu’un a dit sur ce sujet, que l’amour propre nourrit avec complaisance une idée de nos perfections, qui est comme son idole, ne pouvant souffrir ce qui choque cette idée, comme le mépris & les injustices, & recherchant au contraire avec passion tout ce qui la flatte & la grossit, comme l’estime & les loüanges. Sur ce principe, l’utilité de la gloire consisteroit en ce que l’estime que les autres font de nous confirme la bonne opinion que nous en avons nous-mêmes. Mais ce qui nous montre que ce n’est point là la principale, ni même l’unique source de l’amour de l’estime ; c’est qu’il arrive presque toûjours que les hommes font plus d’état du mérite apparent qui leur acquiert l’estime des autres, que du mérite réel qui leur attire leur propre estime ; ou si vous voulez, qu’ils aiment mieux avoir des défauts qu’on estime, que de bonnes qualités qu’on n’estime point dans le monde ; & qu’il y a d’ailleurs une infinité de personnes, qui cherchent à se faire considérer par des qualités qu’elles savent bien qu’elles n’ont pas, ce qui prouve qu’elles n’ont pas recours à une estime étrangere, pour confirmer les bons sentimens qu’elles ont d’elles-mêmes.
Qu’on cherche tant qu’on voudra les sources de cette inclination, je suis persuadé qu’on n’en trouvera la raison que dans la sagesse du Créateur. Car comme Dieu se sert de l’amour du plaisir pour conserver notre corps, pour en faire la propagation, pour nous unir les uns avec les autres, pour nous rendre sensibles au bien & à la conservation de la société ; il n’y a point de doute aussi que sa sagesse ne se serve de l’amour de l’estime, pour nous défendre des abaissemens de la volupté, & faire que nous nous portions aux actions honnêtes & loüables, qui conviennent si bien à la dignité de notre nature.
Cette précaution n’auroit point été nécessaire, si la raison de l’homme eût agi seule en lui, & indépendamment du sentiment ; car cette raison pouvoit lui montrer l’honnête, & même le lui faire préférer à l’agréable : mais, parce que cette raison est partiale, & juge souvent en faveur du plaisir, attachant l’honneur & la bienséance à ce qui lui plaît ; il a plû à la sagesse du Créateur de nous donner pour juge de nos actions, non-seulement notre raison, qui se laisse corrompre par la volupté, mais encore la raison des autres hommes, qui n’est pas si facilement séduite.
Amour-propre & de nous-mémes. L’amour est une complaisance dans l’objet aimé. Aimer une chose, c’est se complaire dans sa possession, sa grace, son accroissement ; craindre sa privation, ses déchéances, &c.
Plusieurs Philosophes rapportent généralement à l’amour-propre toute sorte d’attachemens ; ils prétendent qu’on s’approprie tout ce que l’on aime, qu’on n’y cherche que son plaisir & sa propre satisfaction ; qu’on se met soi-même avant tout ; jusques-là qu’ils nient que celui qui donne sa vie pour un autre, le préfere à soi. Ils passent le but en ce point ; car si l’objet de notre amour nous est plus cher, que l’existence sans l’objet de notre amour, il paroît que c’est notre amour qui est notre passion dominante, & non notre individu propre ; puisque tout nous échappe avec la vie, le bien que nous nous étions appropriés par notre amour, comme nôtre, être véritable. Ils répondent que la possession nous fait confondre dans ce sacrifice notre vie & celle de l’objet aimé ; que nous croyons n’abandonner qu’une partie de nous-mêmes pour conserver l’autre : au moins ils ne peuvent nier que celle que nous conservons nous paroît plus considérable que celle que nous abandonnons. Or, dès que nous nous regardons comme la moindre partie dans le tout, c’est une préférence manifeste de l’objet aimé. On peut dire la même chose d’un homme, qui volontairement & de sans-froid meurt pour la gloire : la vie imaginaire qu’il achete au prix de son être réel, est une préférence bien incontestable de la gloire, & qui justifie la distinction que quelques Ecrivains ont mise avec sagesse entre l’amour propre & l’amour de nous-mêmes. Avec l’amour de nous-mêmes, disent-ils, on cherche hors de soi son bohneur ; on s’aime hors de soi davantage, que dans son existence propre ; on n’est point soi-même son objet. L’amour-propre au contraire subordonne tout à ses commodités & à son bien-être : il est à lui-même son objet & sa fin ; desorte qu’au lieu que les passions qui viennent de l’amour de nous-mêmes nous donnent aux choses, l’amour-propre veut que les choses se donnent à nous, & se fait le centre de tout.
L’amour de nous-mêmes ne peut pécher qu’en excès ou en qualité ; il faut que son déreglement consiste en ce que nous nous aimons trop, ou en ce que nous nous aimons mal, ou dans l’un & dans l’autre de ces défauts joints ensemble.
L’amour de nous-mêmes ne peche point en excès : cela paroît de ce qu’il est permis de s’aimer tant qu’on veut, quand on s’aime bien. En effet, qu’est-ce que s’aimer soi-même ? c’est desirer son bien, c’est craindre son mal, c’est rechercher son bonheur. Or j’avoue qu’il arrive souvent qu’on desire trop, qu’on craint trop, & qu’on s’attache à son plaisir, ou à ce qu’on regarde comme son bonheur avec trop d’ardeur : mais prenez garde que l’excès vient du défaut qui est dans l’objet de vos passions, & non pas de la trop grande mesure de l’amour de vous-même. Ce qui le prouve, c’est que vous pouvez & vous devez même desirer sans bornes la souveraine félicité, craindre sans bornes la souveraine misere ; & qu’il y auroit même du déreglement à n’avoir que des desirs bornés pour un bien infini.
En effet, si l’homme ne devoit s’aimer lui-même que dans une mesure limitée, le vuide de son cœur ne devroit pas être infini ; & si le vuide de son cœur ne devoit pas être infini, il s’ensuivroit qu’il n’auroit pas été fait pour la possession de Dieu, mais pour la possession d’objets finis & bornés.
Cependant la religion & l’expérience nous apprennent également le contraire. Rien n’est plus légitime & plus juste que cette insatiable avidité, qui fait qu’après la possession des avantages du monde, nous cherchons encore le souverain bien. De tous ceux qui l’ont cherché dans les objets de cette vie, aucun ne l’a trouvé. Brutus qui avoit fait une profession particuliere de sagesse, avoit crû ne pas se tromper en le cherchant dans la vertu : mais comme il aimoit la vertu pour elle-même, au lieu qu’elle n’a rien d’aimable & de loüable que par rapport à Dieu ; coupable d’une belle & spirituelle idolatrie, il n’en fut pas moins grossierement déçû ; il fut obligé de reconnoître son erreur en mourant, lorsqu’il s’écria : O vertu, je reconnois que tu n’es qu’un misérable fantôme, &c !
Cette insatiable avidité du cœur de l’homme n’est donc pas un mal. Il falloit qu’elle fût, afin que les hommes se trouvassent par-là disposés à chercher Dieu. Or ce que dans l’idée métaphorique & figurée, nous appellons un cœur qui a une capacité infinie, un vuide qui ne peut être rempli par les créatures, signifie dans l’idée propre & littérale, une ame qui desire naturellement un bien infini, & qui le desire sans bornes, qui ne peut être contente qu’après l’avoir obtenu. Si donc il est nécessaire que le vuide de notre cœur ne soit point rempli par les créatures, il est nécessaire que nous desirions infiniment ; c’est-à-dire, que nous nous aimions nous-mêmes sans mesure. Car s’aimer, c’est desirer son bonheur.
Je sai bien que notre nature étant bornée, elle n’est pas capable, à parler exactement, de former des desirs infinis en véhémence : mais si ces desirs ne sont pas infinis en ce sens, ils le sont en un autre ; car il est certain que notre ame desire selon toute l’étendue de ses forces : que si le nombre des esprits nécessaires à l’organe pouvoit croître à l’infini, la véhémence de ses desirs croîtroit aussi à l’infini ; & qu’enfin si l’infinité n’est point dans l’acte, elle est dans la disposition du cœur naturellement insatiable.
Aussi est-ce un grand égarement d’opposer l’amour de nous-mêmes à l’amour divin, quand celui-là est bien réglé : car qu’est-ce que s’aimer soi-même comme il faut ? C’est aimer Dieu ; & qu’est-ce qu’aimer Dieu ? C’est s’aimer soi-même comme il faut. L’amour de Dieu est le bon sens de l’amour de nous-mêmes ; c’en est l’esprit & la perfection. Quand l’amour de nous-mêmes se tourne vers d’autres objets, il ne mérite pas d’être appellé amour ; il est plus dangereux que la haine la plus cruelle : mais quand l’amour de nous-mêmes se tourne vers Dieu, il se confond avec l’amour divin.
J’ai insinué dans ce que je viens de dire, que l’amour de, nous-mêmes allume toutes nos autres affections, & est le principe général de nos mouvemens. Voici la preuve de cette vérité : en concevant une nature intelligente, nous concevons une volonté ; une volonté se porte nécessairement à l’objet qui lui convient : ce qui lui convient est un bien par rapport à elle, & par conséquent son bien : or aimant toûjours son bien, par-là elle s’aime elle-même, & aime tout par rapport à elle-même ; car qu’est-ce que la convenance de l’objet auquel elle se porte, sinon un rapport essentiel à elle ? Ainsi quand elle aime ce qui a rapport à elle, comme lui convenant, n’est-ce pas elle-même qui s’aime dans ce qui lui convient ?
J’avoue que l’affection que nous avons pour les autres, fait quelquefois naître nos desirs, nos craintes, & nos espérances : mais quel est le principe de cette affection, si ce n’est l’amour de nous-mêmes ? Considérez bien toutes les sources de nos amitiés, & vous trouverez qu’elles se réduisent à l’intérêt, la reconnoissance, la proximité, la sympathie, & une convenance délicate entre la vertu & l’amour de nous-mêmes, qui fait que nous croyons l’aimer pour elle-même, quoique nous l’aimions en effet pour l’amour de nous ; & tout cela se réduit à l’amour de nous-mêmes.
La proximité tire de-là toute la force qu’elle a pour allumer nos affections : nous aimons nos enfans parce qu’ils sont nos enfans ; s’ils étoient les enfans d’un autre, ils nous seroient indifférens. Ce n’est donc pas eux que nous aimons, c’est la proximité qui nous lie avec eux, Il est vrai que les enfans n’aiment pas tant leurs peres que les peres aiment leurs enfans : mais cette différence vient d’ailleurs. Voyez Amour paternel & filial. Au reste, comme il y a proximité de sang, proximité de profession, proximité de pays, &c. il est certain aussi que ces affections se diversifient à cet égard en une infinité de manieres : mais il faut que la proximité ne soit point combattue par l’intérêt ; car alors celui-ci l’emporte infailliblement. L’intérêt va directement à nous ; la proximité n’y va que par réflexion : ce qui fait que l’intérêt agit toûjours avec plus de force que la proximité. Mais en cela, comme en toute autre chose, les circonstances particulieres changent beaucoup la proposition générale.
Non-seulement la proximité est une source d’amitié, mais encore nos affections varient selon le degré de la proximité : la qualité d’homme que nous portons tous, fait cette bienveillance générale que nous appellons humanité : homo sum, humani nihil à me alienum puto.
La proximité de la nation inspire ordinairement aux hommes une bienveillance, qui ne se fait point sentir à ceux qui habitent dans leur pays, parce que cette proximité s’affoiblit par le nombre de ceux qui la partagent ; mais elle devient sensible, quand deux ou trois personnes originaires d’un même pays se rencontrent dans un climat étranger. Alors l’amour de nous-mêmes qui a besoin d’appui & de consolation, & qui en trouve en la personne de ceux qu’un pareil intérêt & une semblable proximité doit mettre dans la même disposition, ne manque jamais de faire une attention perpétuelle à cette proximité, si un plus fort motif pris de son intérêt ne l’en empêche.
La proximité de profession produit presque toûjours plus d’aversion que d’amitié, par la jalousie qu’elle inspire aux hommes les uns pour les autres : mais celle des conditions est presque toûjours accompagnée de bienveillance. On est surpris que les Grands soient sans compassion pour les hommes du commun ; c’est qu’ils les voyent en éloignement, les considérant par les yeux de l’amour propre. Ils ne les prennent nullement pour leur prochain ; ils sont bien éloignés d’appercevoir cette proximité ou ce voisinage, eux dont l’esprit & le cœur ne sont occupés que de la distance qui les sépare des autres hommes, & qui font de cet objet les délices de leur vanité.
La fermeté barbare que Brutus témoigne en voyant mourir ses propres enfans, qu’il fait exécuter en sa présence, n’est pas si desintéressée qu’elle paroît : le plus grand des Poëtes Latins en découvre le motif en ces termes :
mais il n’a pas démélé toutes les raisons d’intérêt qui font l’inhumanité apparente de ce Romain. Brutus étoit comme les autres hommes ; il s’aimoit lui-même plus que toutes choses : ses enfans sont coupables d’un crime qui tendoit à perdre Rome, mais beaucoup plus encore à perdre Brutus. Si l’affection paternelle excuse les fautes, l’amour propre les aggrave, quand il est directement blessé : sans doute que Rome eut l’honneur de ce que Brutus fit pour l’amour de lui-même, que sa patrie accepta le sacrifice qu’il faisoit à son amour propre, & qu’il fut cruel par foiblesse plûtôt que par magnanimité.
L’intérêt peut tout sur les ames ; on se cherche dans l’objet de tous ses attachemens ; & comme il y a diverses sortes d’intérêts, on peut distinguer aussi diverses sortes d’affections que l’intérêt fait naitre entre les hommes. Un intérêt de volupté fait naître les amitiés galantes : un intérêt d’ambition fait naître les amitiés politiques : un intérêt d’orgueil fait naître les amitiés illustres : un intérêt d’avarice fait naître les amitiés utiles. Le vulgaire qui déclame ordinairement contre l’amitié intéressée, ne sait ce qu’il dit. Il se trompe en ce qu’il ne connoît généralement parlant, qu’une sorte d’amitié intéressée, qui est celle de l’avarice ; au lieu qu’il y a autant de sortes d’affections intéréssées, qu’il y a d’objets de cupidité. Il s’imagine que c’est être criminel que d’être intéressé, ne considérant pas que c’est le desintéressement & non pas l’intérêt qui nous perd. Si les hommes nous offroient d’assez grands biens pour satisfaire notre ame, nous ferions bien de les aimer d’un amour d’intérêt, & personne ne devroit trouver mauvais que nous préférassions les motifs de cet intérêt à ceux de la proximité & de toute autre chose.
La reconnoissance elle-même n’est pas plus exempte de ce principe de l’amour de nous-mêmes ; car quelle différence y a-t-il au fond entre l’intérêt & la reconnoissance ? C’est que le premier a pour objet le bien à venir, au lieu que la derniere a pour objet le bien passé. La reconnoissance n’est qu’un retour délicat de l’amour de nous-mêmes, qui se sent obligé ; c’est en quelque sorte l’élévation de l’intérêt : nous n’aimons point notre bienfaiteur parce qu’il est aimable, nous l’aimons parce qu’il nous a aimés.
La sympathie, qui est la quatrieme source que nous avons marquée de nos affections, est de deux sortes. Il y a une sympathie des corps & une sympathie de l’ame : il faut chercher la cause de la premiere dans le tempérament, & celle de la seconde dans les secrets ressorts qui font agir notre cœur. Il est même certain que ce que nous croyons être une sympathie de tempérament, a quelquefois sa source dans les principes cachés de notre cœur. Pourquoi pensez-vous que je hais cet homme à une premiere vûe quoiqu’il me soit inconnu ? C’est qu’il a quelques traits d’un homme qui m’a offensé, que ces traits frappent mon ame & réveillent une idée de haine sans que j’y fasse réflexion. Pourquoi au contraire aimé-je une personne inconnue dès que je la vois, sans m’informer si elle a du merite ou si elle n’en a pas ? c’est qu’elle a de la conformité ou avec moi ou avec mes enfans & mes amis, en un mot avec quelque personne que j’aurai aimée. Vous voyez donc quelle part a l’amour de nous-mêmes à ces inclinations mystérieuses & cachées, qu’un de nos Poëtes décrit de cette maniere :
Il est des nœuds secrets, il est des sympathies,
Dont par les doux accords les ames assorties, &c.
Mais si après avoir parlé des sympathies corporelles,
nous entrions dans le détail des sympathies
spirituelles, nous connoîtrions qu’aimer les gens par
sympathie, n’est proprement que chérir la ressemblance
qu’ils ont avec nous : c’est avoir le plaisir de
nous aimer en leurs personnes. C’est un charme pour
notre cœur de pouvoir dire du bien de nous sans
blesser la modestie. Nous n’aimons pas seulement
ceux à qui la Nature donne des conformités avec
nous, mais encore ceux qui nous ressemblent par
art & qui tâchent de nous imiter : ce n’est pas qu’il
ne puisse arriver qu’on haïra ceux de qui l’on est mal
imité : personne ne veut être ridicule ; on aimeroit
mieux être haissable ; ainsi on ne veut jamais de bien
aux copies dont le ridicule réjaillit sur l’original.
Mais sur quels principes d’amour propre peut être fondée cette affection que les hommes ont naturellement pour les hommes vertueux, auxquels néanmoins ils ne se soucient pas de ressembler ? car le vice rend à cet égard des hommages forcés à la vertu ; les hommes l’estiment & la respectent.
Je répons qu’il y a fort peu de personnes qui ayent pour jamais renoncé à la vertu, & qui ne s’imaginent que s’ils ne sont pas vertueux en un tems, ils ne puissent le devenir en un autre. J’ajoûte que la vertu est essentiellement aimable à l’amour de nous-mêmes, comme le vice lui est essentiellement haïssable. La raison en est que le vice est un sacrifice que nous nous faisons des autres à nous-mêmes ; & la vertu un sacrifice que nous faisons au bien des autres de quelque plaisir ou de quelqu’avantage qui nous flattoit. Comment n’aimerions-nous pas la clémence ? elle est toute prête à nous pardonner nos crimes : la libéralité se dépouille pour nous faire du bien : l’humilité ne nous dispute rien ; elle cede à nos prétensions : la tempérance respecte notre honneur, & n’en veut point à nos plaisirs : la justice défend nos droits, & nous rend ce qui nous appartient : la valeur nous défend ; la prudence nous conduit ; la modération nous épargne ; la charité nous fait du bien, &c.
Si ces vertus font du bien, dira-t-on, ce n’est pas à moi qu’elles le font ; je le veux : mais si vous vous trouviez en d’autres circonstances elles vous en feroient : mais elles supposent une disposition à vous en faire dans l’occasion. N’avez-vous jamais éprouvé, qu’encore que vous n’attendiez ni secours ni protection d’une personne riche, vous ne pouvez vous défendre d’avoir pour elle une secrete considération ? Elle naît, non de votre esprit, qui méprise souvent les qualités de cet homme, mais de l’amour de vous-mêmes, qui vous fait respecter en lui jusqu’au simple pouvoir de vous faire du bien ? En un mot, ce qui vous prouve que l’amour de vous-même entre dans celui que vous avez pour la vertu, c’est que vous éprouvez que vous aimez davantage les vertus, à mesure que vous y trouvez plus de rapport & de convenance avec vous. Nous aimons plus naturellement la clémence que la sévérité, la libéralité que l’œconomie, quoique tout cela soit vertu.
Au reste, il ne faut point excepter du nombre de ceux qui aiment ainsi les vertus, les gens vicieux & déréglés : au contraire, il est certain que par cela même qu’ils sont vicieux, ils doivent trouver la vertu plus aimable. L’humilité applanit tous les chemins à notre orgueil, elle est donc aimée d’un orgueilleux ; la libéralité donne, elle ne sauroit donc déplaire à un intéressé ; la tempérance vous laisse en possession de vos plaisirs, elle ne peut donc qu’être agréable à un voluptueux, qui ne veut point de rival ni de concurrent. Auroit-on crû que l’affection que les hommes du monde témoignent pour les gens vertueux eût une source si mauvaise ? & me pardonnera-t-on bien ce paradoxe, si j’avance qu’il arrive souvent que les vices qui sont au-dedans de nous, font l’amour que nous avons pour les vertus des autres ?
Je vais bien plus avant, & j’oserai dire que l’amour de nous-mêmes a beaucoup de part aux sentimens les plus épurés que la morale & la religion nous font avoir pour Dieu. On distingue trois sortes d’amour divin ; un amour d’intérêt, un amour de reconnoissance, & un amour de pure amitié : l’amour d’intérêt se confond avec l’amour de nous-mêmes ; l’amour de reconnoissance, a encore la même source que celui d’intérêt, selon ce que nous en avons dit ci-dessus ; l’amour de pure amitié semble naître indépendamment de tout intérêt & de tout amour de nous-mêmes. Cependant si vous y regardez de près, vous trouverez qu’il a dans le fond le même principe que les autres : car premierement il est remarquable que l’amour de pure amitié ne naît pas tout d’un coup dans l’ame d’un homme à qui l’on fait connoître la religion. Le premier degré de notre sanctification est de se détacher du monde ; le second, c’est d’aimer Dieu d’un amour d’intérêt, en lui donnant tout son attachement, parce qu’on le considere comme le souverain bien ; le troisieme, c’est d’avoir pour ses bienfaits la reconnoissance qui leur est dûe ; & le dernier enfin, c’est d’aimer ses perfections. Il est certain que le premier de ces sentimens dispose au second, le second au troisieme, le troisieme au quatrieme : or comme tout ce qui dispose à ce dernier mouvement, qui est le plus noble de tous, est pris de l’amour de nous-mêmes, il s’ensuit que la pure amitié dont Dieu même est l’objet, ne naît point indépendamment de ce dernier amour.
D’ailleurs, l’expérience nous apprend qu’entre les attributs de Dieu, nous aimons particulierement ceux qui ont le plus de convenance avec nous : nous aimons plus sa clémence que sa justice, sa bénéficence que son immensité ; d’où vient cela ? si ce n’est de ce que cette pure amitié, qui semble n’avoir pour objet que les perfections de Dieu, tire sa force principale des rapports que ces perfections ont avec nous.
S’il y avoit une pure amitié dans notre cœur à l’égard de Dieu, laquelle fût exempte du principe de l’amour de nous-mêmes, cette pure amitié naîtroit nécessairement de la perfection connue, & ne s’éleveroit point de nos autres affections. Cependant les démons connoissent les perfections de Dieu sans les aimer, les hommes connoissent ces perfections avant leur conversion, & personne n’oseroit dire que dans cet état ils aient pour lui cette affection que l’on nomme de pure amitié ; il s’ensuit donc qu’il faut autre chose que la perfection connue pour faire naître cet amour.
Pendant que nous regardons Dieu comme notre juge, & comme un juge terrible qui nous attend la foudre à la main, nous pouvons admirer ses perfections infinies, mais nous ne saurions concevoir de l’affection pour elles. Il est bien certain que si nous pouvions refuser à Dieu cette admiration, nous nous garderions bien de la lui rendre : & d’où vient cette nécessité d’admirer Dieu ? C’est que cette admiration naît uniquement de la perfection connue : si donc vous concevez que la pure amitié a la même source, il s’ensuit que la pure amitié naîtra dans notre ame comme l’admiration.
1°. De ce que nous nous aimons nous-mêmes nécessairement, il s’ensuit que nous avons certains devoirs à remplir qui ne regardent que nous-mêmes : or les devoirs qui nous regardent nous-mêmes, peuvent se réduire en général à travailler à notre bonheur & à notre perfection ; à notre perfection, qui consiste principalement dans une parfaite conformité de notre volonté avec l’ordre ; à notre bonheur, qui consiste uniquement dans la joüissance des plaisirs, j’entens des solides plaisirs, & capables de contenter un esprit fait pour posséder le souverain bien.
2°. C’est dans la conformité avec l’ordre que consiste principalement la perfection de l’esprit : car celui qui aime l’ordre plus que toutes choses, a de la vertu ; celui qui obéit à l’ordre en toutes choses, remplit ses devoirs ; & celui-là mérite un bonheur solide, qui sacrifie ses plaisirs à l’ordre.
3°. Chercher son bonheur, ce n’est point vertu, c’est nécessité : car il ne dépend point de nous de vouloir être heureux ; & la vertu est libre. L’amour propre, à parler exactement, n’est point une qualité qu’on puisse augmenter ou diminuer. On ne peut cesser de s’aimer : mais on peut cesser de se mal aimer. On peut par le mouvement d’un amour propre eclairé, d’un amour propre soutenu par la foi & par l’espérance, & conduit par la charité, sacrifier ses plaisirs présens aux plaisirs futurs, se rendre malheureux pour un tems, afin d’être heureux pendant l’éternité ; car la grace ne détruit point la nature. Les pécheurs & les justes veulent également être heureux ; ils courent également vers la source de la félicité : mais le juste ne se laisse ni tromper ni corrompre par les apparences qui le flattent ; au lieu que le pécheur, aveuglé par ses passions, oublie Dieu, ses vengeances & ses récompenses, & employe tout le mouvement que Dieu lui donne pour le vrai bien, à courir après des fantômes.
4°. Notre amour propre est donc le motif qui secouru par la grace nous unit à Dieu, comme à notre bien, & nous soûmet à la raison comme à notre loi, ou au modele de notre perfection : mais il ne faut pas faire notre fin ou notre loi de notre motif. Il faut véritablement & sincerement aimer l’ordre, & s’unir à Dieu par la raison ; il ne faut pas desirer que l’ordre s’accommode à nos volontés : cela n’est pas possible ; l’ordre est immüable & nécessaire : il faut haïr ses desordres, & former sur l’ordre tous les mouvemens de son cœur ; il faut même venger à ses dépens l’honneur de l’ordre offensé, ou du moins se soûmettre humblement à la vengeance divine : car celui qui voudroit que Dieu ne punît point l’injustice ou l’ivrognerie, n’aime point Dieu ; & quoique par la force de son amour propre éclairé, il s’abstienne de voler & de s’enivrer, il n’est point juste.
5°. De tout ceci il est manifeste premierement, qu’il faut éclairer son amour propre, afin qu’il nous excite à la vertu : en second lieu, qu’il ne faut jamais suivre uniquement le mouvement de l’amour propre : en troisieme lieu, qu’en suivant l’ordre inviolablement, on travaille solidement à contenter son amour propre : en un mot, que Dieu seul étant la cause de nos plaisirs, nous devons nous soûmettre à sa loi, & travailler à notre perfection.
6°. Voici en général les moyens de travailler à sa perfection, & d’acquérir & conserver l’amour habituel & dominant de l’ordre. Il faut s’accoûtumer au travail de l’attention, & acquérir par-là quelque force d’esprit ; il ne faut consentir qu’à l’évidence, & conserver ainsi la liberté de son ame ; il faut étudier sans cesse l’homme en général, & soi-même en particulier, pour se connoître parfaitement ; il faut méditer jour & nuit la loi divine, pour la suivre exactement ; se comparer à l’ordre pour s’humilier & se mépriser ; se souvenir de la justice divine, pour la craindre & se réveiller. Le monde nous séduit par nos sens ; il nous trouble l’esprit par notre imagination ; il nous entraîne & nous précipite dans les derniers malheurs par nos passions. Il faut rompre le commerce dangereux que nous avons avec lui par notre corps, si nous voulons augmenter l’union que nous avons avec Dieu par la raison.
Ce n’est pas qu’il soit permis de se donner la mort, ni même de ruiner sa santé : car notre corps n’est pas à nous ; il est à Dieu, il est à l’Etat, à notre famille, à nos amis : nous devons le conserver dans sa force, selon l’usage que nous sommes obligés d’en faire : mais nous ne devons pas le conserver contre l’ordre de Dieu, & aux dépens des autres hommes : il faut l’exposer pour le bien de l’Etat, & ne point craindre de l’affoiblir, le ruiner, le détruire, pour exécuter les ordres de Dieu. Je n’entre point dans le détail de tout ceci, parce que je n’ai prétendu exposer que les principes généraux sur lesquels chacun est obligé de régler sa conduite, pour arriver heureusement au lieu de son repos & de ses plaisirs.
Étymologie de « amour »
Bourguig. aimor ; provenç. et espagn. amor ; ital. amore ; de amorem (voy. AIMER).
- (842) Du moyen français amour, de l’ancien français amour, amor, amur (Serments de Strasbourg), du latin amorem, accusatif de amor (« amour »). Philologiquement parlant, la forme amour n’est pas conforme à la phonétique historique du français, car on attendrait *ameur (voir fleur, de l'ancien français flor). Elle vient vraisemblablement des langues d’oïl en -ou, et plus probablement du champenois, une part importante de la littérature courtoise ayant été écrite en cette langue[1]. L’hypothèse d’un occitanisme, par le biais des troubadours et de leur très prolifique littérature courtoise en langue d’oc, le fin’amor prononcé \fin.amur\ en occitan, est également avancée[2].
Phonétique du mot « amour »
Mot | Phonétique (Alphabet Phonétique International) | Prononciation |
---|---|---|
amour | amur |
Fréquence d'apparition du mot « amour » dans le journal Le Monde
Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.
Évolution historique de l’usage du mot « amour »
Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.
Citations contenant le mot « amour »
-
Amour, ange de neige et visage aux yeux clos […].
Louis Émié — Hauts Désirs sans absence, Seghers -
Ne pouvant pas supprimer l'amour, l'Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.
Charles Baudelaire — Mon cœur mis à nu -
Il n'est pas d'amour sans fierté, et par conséquent sans témoin.
Claude Aveline — Et tout le reste n'est rien, Mercure de France -
Quel amour de Nymphe peut suffire à contenter celui d'un Géant ?
Luís Vaz de Camões — Les Lusiades, V, 53 -
Serments d'amour n'entrent pas dans l'oreille des dieux.
Callimaque — Épigrammes, XXV, 3-4 (traduction E. Cahen) -
[…] Ô trop vaine science, qui ne pourrait donner à l'amour guérison !
Jean Antoine de Baïf — Les Amours de Francine -
L'amour se résigne à ne pas savoir.
Michel Deguy — Biefs, Gallimard -
Un bon mariage, s'il en est, refuse la compagnie et conditions* de l'amour. Il tâche à représenter celles de l'amitié.
Michel Eyquem de Montaigne — Essais, III, 5 -
L'amitié est plus souvent une porte de sortie qu'une porte d'entrée de l'amour.
Gustave Le Bon — Aphorismes du temps présent -
L'amour plaît plus que le mariage, par la raison que les romans sont plus amusants que l'histoire.
Sébastien Roch Nicolas, dit Nicolas de Chamfort — Maximes et pensées
Images d'illustration du mot « amour »
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Traductions du mot « amour »
Langue | Traduction |
---|---|
Anglais | love |
Espagnol | amor |
Italien | amore |
Allemand | liebe |
Portugais | amor |
Synonymes de « amour »
- passion
- tendresse
- attachement
- flirt
- amourette
- affection
- goût
- dévotion
- désir
- passade
- caprice
- inclination
Antonymes de « amour »
Combien de points fait le mot amour au Scrabble ?
Nombre de points du mot amour au scrabble : 7 points