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Grandeur

Variantes Singulier Pluriel
Féminin grandeur grandeurs

Définitions de « grandeur »

Trésor de la Langue Française informatisé

GRANDEUR, subst. fém.

I. − [Correspond à grand I]
A. − Caractère de ce qui est grand par ses dimensions, de ce qui dépasse la norme ou la mesure ordinaire. La grandeur de Goliath (DG). Ce sobriquet de Carlone était caractéristique (...). On sait que la terminaison en one exprime la grandeur et la grosseur (Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 194) :
1. ... la solidité et on dirait presque la sincérité des monuments éclate encore mieux par leur grandeur et par leur masse; c'est pourquoi on peut aller jusqu'à dire que la beauté architecturale dépend beaucoup de la masse dressée. C'est presque la seule beauté des pyramides, et l'on dit que ce n'est pas peu... Alain, Beaux-arts,1920, p. 175.
Loc. adv. Du haut de sa grandeur. D'une façon hautaine, avec un air de supériorité. Regarder qqn du haut de sa grandeur. Le beau Mistral, fier comme le roi David, lui disait [à la vieille] du haut de sa grandeur : « Laissez, laissez, la mère... les poètes, tout leur est permis... » (A. Daudet, Trente ans Paris,1888, p. 175).
B. −
1. Caractère de ce qui est susceptible de varier en taille ou en importance et qui, de ce fait, se prête aux mesures. Synon. taille, proportions, importance.La grandeur d'un logis, d'un bois, d'un étang, d'un parc (Ac.). La distance diminue la grandeur des objets : les esprits inférieurs n'ont jamais été frappés par les hommes de génie (Staël, Lettres jeun.,1786, p. 94).Des expériences de Köhler ont montré que dans la perception des grandeurs, l'interprétation de la distance est une fonction très primitive (Ruyer, Conscience,1937, p. 76).
Ordre de grandeur. La vie est microscopique, et tous les processus qui la caractérisent se déroulent dans un monde dont l'ordre de grandeur est le millième de millimètre (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 17).
Loc. Grandeur nature. ,,Se dit en art de toute imitation, d'un être ou d'un objet reproduit dans ses dimensions réelles`` (Adeline, Lex. termes art, 1884). Il ne lui restait pour toute fortune que le portrait en pied, grandeur nature, de la belle Esther, grand'mère d'Alexis, peint par son mari (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 100).Grandeur naturelle. Même sens. La statue est en bois, de grandeur naturelle (Verlaine, Œuvres compl., t. 2, Amour, 1888, p. 25).Grandeur d'exécution. ,,Se dit des modèles de sculpture, plans et dessins d'architecture ou de mécanique représentant des objets dans la vraie dimension où ils doivent être exécutés`` (Adeline, Lex. termes art, 1884). Le dessinateur chromiste travaille toujours d'après une maquette grandeur d'exécution du modèle à reproduire (Chelet, Lithogr.,1933, p. 67).
2. En partic.
a) Aspect mesurable de quelque chose. La longueur, le volume sont des grandeurs; grandeur variable; grandeur scalaire*, vectorielle*. Les grandeurs géométriques (Taine, Intellig., t. 2, 1870, p. 344).On peut faire tourner une droite jusqu'à ce qu'elle revienne à sa première position; ce demi-tour est une grandeur de rotation toujours égale à elle-même (Alain, Propos,1922, p. 355) :
2. ... une grandeur continue quelconque comporte une expression numérique aussi approchée qu'on le veut, puisqu'elle tombe nécessairement entre deux grandeurs susceptibles d'une expression numérique exacte, et dont la différence peut être rendue aussi petite qu'on le veut. Cournot, Fond. connais.,1851, p. 287.
b) Quantité qui mesure (l'intensité d'un phénomène). MM. Renaux et Bonpain ont imaginé un appareil (...) qui transmet en vraie grandeur les variations du niveau [d'eau de la chaudière] (Ser, Phys. industr.,1890, p. 154).La vitesse avec laquelle il [le papier filtre] rosit, fournit une indication de la grandeur d'émission d'eau (Plantefol, Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 233).
ASTRON. Éclat relatif des étoiles. Synon. magnitude.Étoile de première, de deuxième grandeur; échelle des grandeurs. Les plus faibles étoiles visibles à l'œil nu sont de sixième grandeur (Muller1966).
P. métaph., loc. adj. De première grandeur. De première, de haute importance. C'est assez dire que je ne considère pas tes démêlés avec ta femme comme des événements de première grandeur et que tes variations d'humeur ne dérangeront pas le cours de ma vie (Aymé, Quatre vérités,1954, p. 130).
C. − P. ext. Caractère de ce qui est important par la quantité, le nombre, la portée. Le roi [Louis XVI] entrait alors dans la royauté comme dans un temple, avec tremblement, avec une sorte d'horreur sacrée devant la grandeur de ses devoirs (Goncourt, Journal,1864, p. 63).C'est dans la grandeur croissante des armements que je me flatte de découvrir un lointain présage de paix universelle (A. France, Opinions J. Coignard,1893, p. 180) :
3. ... il demeure bien constant que les sommes absorbées par les dépenses de l'État sont une cause continuelle d'appauvrissement, et que par conséquent la grandeur des revenus nécessaires pour faire face à ces dépenses, est un mal sous le rapport économique. Mais s'il est visible que la grandeur de ces revenus est nuisible à la richesse nationale, il n'est pas moins manifeste qu'elle est encore plus funeste à la liberté politique, parce qu'elle met dans les mains des gouvernants de grands moyens de corruption et d'oppression. Destutt de Tr., Comment. sur Espr. des lois,1807, p. 244.
II. − [Correspond à grand II]
A. −
1. Éclat prestigieux qui résulte de la puissance, l'autorité, la gloire. Grandeur d'un État, d'un règne, d'un roi; la grandeur de Dieu. Il me paraissait beau (...) d'être l'officier d'Alfred de Vigny (...). J'avais lu passionnément Servitude et Grandeur militaires (A. France, Vie fleur,1922, p. 436).Assurer la pleine et entière restauration de l'indépendance et de la grandeur de la France (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 194) :
4. ... la Philosophie de l'Histoire est peut-être le livre allemand écrit avec le plus de charme. On n'y trouve pas la même profondeur d'observations politiques que dans l'ouvrage de Montesquieu, sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains; mais comme Herder s'attachoit à pénétrer le génie des temps les plus reculés, peut-être que la qualité qu'il possédoit au suprême degré, l'imagination, servoit mieux que toute autre à les faire connoître. Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 311.
2. Le plus souvent au plur. Pouvoir, dignités, honneurs qui appartiennent à ceux qui occupent un rang éminent dans la société. Méraut lui donnait des nouvelles de sa nièce, de sa vie à Saint-Mandé, lui apportait le reflet de ses grandeurs (A. Daudet, Rois en exil,1879, p. 202) :
5. La princesse de Silistrie jeta partout les hauts cris, se répandit sur les grandeurs de Saint-Loup, et clama que si Saint-Loup épousait la fille d'Odette et d'un juif, il n'y avait plus de faubourg Saint-Germain. Proust, Albertine disparue,1922, p. 164.
P. méton. M. Viennet n'est pas de ceux qui se plaisent à attaquer les faibles et les grandeurs qui semblent en péril (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 12, 1866, p. 441).
PATHOL. Délire de grandeur. ,,Conviction délirante qu'un sujet se fait de sa propre importance, en croyant par exemple qu'il est extrêmement riche, puissant, d'origine royale, etc.`` (Méd. Biol. t. 2 1971) :
6. ... il [Nerval] écrit à MmeAlexandre Dumas qu'il s'est flatté d'être l'un des prophètes et voyants prédits par l'Apocalypse! Mais peut-être devrait-on rattacher le délire de grandeur à la déformation du précoce et tout normal désir de gloire. Durry, Nerval,1956, p. 48.
Folie des grandeurs. ,,Synon. de mégalomanie`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Une même folie des grandeurs déchaîne d'énormes caravansérails et des maisons bourgeoises, encombrées de sculptures économiques et tapageuses (Barrès, C. Baudoche,1909, p. 8).
3. Titre honorifique donné autrefois à certains hauts personnages, en particulier aux évêques. Vous voilà monsignor, et de la Grandeur à l'Éminence il n'y a qu'un pas, et entre l'Éminence et la Sainteté il n'y a que la fumée d'un scrutin (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 67).La lettre de Sa Grandeur Monseigneur l'évêque de Tourcoing avait été rendue publique le 14 janvier (A. France, Anneau améth.,1899, p. 419).
B. − Domaine moral et intellectuel.Haut degré d'élévation, de noblesse. Grandeur morale, spirituelle; grandeur d'une idée, d'un idéal, d'une cause; caractère plein de grandeur. Ce qui fait la grandeur de l'homme, c'est qu'il préfère la vérité à lui-même (Cousin, Hist. philos. mod., t. 2, 1847, p. 10).Il avait rendu sa grandeur à l'amour (Guéhenno, Jean-Jacques,1952, p. 275).
Grandeur d'âme. Magnanimité. Il surmonta par grandeur d'âme sa propre douleur pour soulager celle de ses amis (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 2, 1842, p. 11).
C. − Domaine de l'art.Caractère noble, élevé, puissant (du style, de l'inspiration, etc.). Le beau et mâle tableau, cette Justice divine poursuivant le crime! quelle grandeur simple de composition! quelle sérénité pathétique (Goncourt, Art xviiies., t. 2, 1880, p. 416).À peine Michel-Ange et Raphaël sont-ils morts que déjà (...) la grandeur se mue en emphase, la tendresse en mièvrerie, (...) l'abondance en redondance (Mauclair, De Watteau à Whistler,1905, p. 120) :
7. Sa messe en si mineur [de J.S. Bach], ses oratorios de la passion selon Saint Mathieu et celle selon Saint Jean (...) sont des monuments musicaux d'une solidité inébranlable dans lesquels la grandeur du style, l'abondance de l'invention (...) seront toujours des modèles de pure beauté... Rougnon1935, p. 312.
Prononc. et orth. : [gʀ ɑ ̃dœ:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. a) 1155 « caractère de ce qui a des dimensions supérieures à la moyenne » (Wace, Brut, 1071 ds T.-L.); b) 1remoitié xiies. « puissance, splendeur (ici de Dieu) » (Psautier Cambridge, éd. Fr. Michel, 144, 5). B. ca 1165 « étendue, dimensions » (B. de Ste-Maure, Troie, 2997 ds T.-L.). C. a) 1559 plur. « actions d'éclat » (Amyot, Vies, Alex. le grand ds Gdf. Compl.); b) 1640 « honneurs » (Corneille, Cinna, IV, 3, v. 1261). Dér. de grand*; suff. -eur1*. Fréq. abs. littér. : 5 463. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 478, b) 6 787; xxes. : a) 6 375, b) 7 674.

Wiktionnaire

Nom commun - français

grandeur \ɡʁɑ̃.dœʁ\ féminin

  1. Étendue, taille en hauteur, en longueur, en largeur, etc.
    • Ce vase est de la grandeur convenable.
    • Des tableaux de différentes grandeurs.
    • La grandeur d’un logis, d’un bois, d’un étang, d’un parc.
    • La grandeur d’une province.
  2. (Astronomie) Mesure de l’éclat des étoiles fixes.
    • Sirius est une étoile de première grandeur.
  3. (Mathématiques) Quantité susceptible d’augmentation et de diminution.
  4. (Figuré) Fierté dédaigneuse
    • Regarder quelqu’un du haut de sa grandeur.
  5. Chose qui surpasse la plupart des autres choses du même genre.
    • Quand on remonte de Toul vers le Nord-Ouest, le paysage n'est pas sans grandeur. Ce sont de larges creux boisés ; et la vue découvre à vingt ou trente kilomètres quelque crête plus sévère. — (Alain, Souvenirs de guerre, page 9, Hartmann, 1937)
    • La grandeur d’une perte, d’un sacrifice, d’un péril.
    • La grandeur du courage.
    • La grandeur de cette conception étonne.
  6. (En particulier) Puissance unie à la majesté.
    • Le paysage était d'une indicible grandeur. De tous côtés surgissaient des montagnes plongeant à pic dans la mer, tandis que leurs cimes neigeuses se perdaient dans les nuages; […]. — (Jules Leclercq, La Terre de glace, Féroë, Islande, les geysers, le mont Hékla, Paris : E. Plon & Cie, 1883, page 31)
    • La grandeur des rois. — La grandeur souveraine. — Il travaillait dès lors à sa future grandeur.
    • Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des romains.
  7. (En particulier) Pouvoir, dignité, honneur.
    • Les soucis, les ennuis de la grandeur.
    • Mépriser les grandeurs de ce monde.
    • L’éclat, le néant des grandeurs.
    • Avoir le goût des grandeurs.
    • La folie des grandeurs.
  8. Noblesse, élévation.
    • Mon chagrin vient de là : combien sont rares ceux qui atteignent la fin de leur vie avant d'avoir montré l'extrémité de leur grandeur. — (André Gide, Retouches à mon "Retour de l'U.R.S.S.", 1937)
    • En effet, une société qui se paie de généreux programmes sans égard à la capacité des prochaines générations de faire de même manque singulièrement de grandeur. — (« Le remboursement de la dette publique au Québec doit-il être une priorité? » in Argument, vol. xx, n° 1, automne-hiver 2017-2018, p. 77)
  9. Titre d’honneur qu’on donnait au XVIe et au XVIIe siècles, à tous les grands seigneurs qui ne prenaient point le titre d’altesse ou d’excellence. Ce titre se donnait récemment encore aux évêques.
    • […]; vous avez pu constater que, sauf un lopin de terre où le jardinier sème des plants de carottes et de choux pour la table de sa Grandeur, tout le jardin est inculte ; […]. — (Joris-Karl Huysmans, La Cathédrale, Plon-Nourrit, 1915)
  10. (Métrologie) Nombre ou référence qui décrivent de façon quantitative un phénomène, un corps ou une substance.
    • La grandeur longueur a pour unité de base le mètre.
    • La grandeur masse a pour unité de base le kilogramme.
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

GRANDEUR. n. f.
Étendue en hauteur, en longueur, en largeur, etc. Ce vase est de la grandeur convenable. Des tableaux de différentes grandeurs, de toutes les grandeurs, de toute grandeur. La grandeur d'un logis, d'un bois, d'un étang, d'un parc. La grandeur d'une province. Il se dit, en termes d'Astronomie, des Différences d'éclat des étoiles fixes. Sirius est une étoile de première grandeur. Étoile de troisième grandeur. Il se dit absolument, en termes de Mathématiques, de Tout ce qui est susceptible d'augmentation et de diminution. Fig., Regarder quelqu'un du haut de sa grandeur, Le regarder avec une fierté dédaigneuse. Il se dit aussi en parlant de Certaines choses physiques ou morales qui surpassent la plupart des autres choses du même genre. La grandeur d'une entreprise. La grandeur d'une perte, d'un sacrifice, d'un péril. La grandeur du courage. La grandeur de cette conception étonne. Il se dit particulièrement de la Puissance unie à la majesté. La grandeur, les grandeurs de Dieu. La grandeur des rois. La grandeur souveraine. Il travaillait dès lors à sa future grandeur. Grandeur naissante. Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains. Il se dit absolument, dans une acception plus restreinte, du Pouvoir, des dignités, des honneurs; et alors on l'emploie très souvent au pluriel. Les soucis, les ennuis de la grandeur. Mépriser les grandeurs de ce monde. L'éclat, le néant des grandeurs. Naître au sein des grandeurs. Avoir le goût des grandeurs. La folie des grandeurs. Il se dit encore pour Noblesse, élévation, dignité. Grandeur d'âme. Il n'y a, dans cette conduite, ni sagesse ni grandeur. Il a un air de grandeur qui impose. Les expressions ne répondent pas à la grandeur du sujet. Il est quelquefois un Titre d'honneur qu'on donnait au XVIe et au XVIIe siècle, en parlant ou en écrivant, à tous les grands seigneurs qui ne prenaient point le titre d'Altesse ou d'Excellence. Ce titre se donnait récemment encore aux évêques. Monseigneur, il plaira à Votre Grandeur. Il a suivi les instructions de Votre Grandeur.

Littré (1872-1877)

GRANDEUR (gran-deur) s. f.
  • 1Dimension de ce qui est grand. La grandeur d'un parc, d'un vase. Ces deux hommes sont de même grandeur. Nous avons beau être convaincus… que tel astre qui ne nous paraît qu'un point dans le ciel, surpasse sans proportion toute la grandeur de la terre, Bossuet, Connaiss. III, 13.

    Familièrement et fig. Regarder du haut de sa grandeur, avoir à l'égard des autres des manières de supériorité.

    Terme d'astronomie. Grandeur se dit pour caractériser les différences d'éclat des étoiles fixes. Sirius est une étoile de première grandeur, c'est-à-dire dont l'éclat est le plus grand. Étoile de troisième grandeur. Les six premières grandeurs comprennent toutes les étoiles visibles à l'œil nu, A. Guillemin, le Ciel, p. 376. Mais l'emploi des télescopes les plus puissants permet aujourd'hui d'apercevoir des étoiles d'un éclat beaucoup plus faible, et qui peut descendre jusqu'à la 16e et à la 17e grandeur, ID. ib. C'est celle [l'étoile] d'un puissant monarque !… Va, mon fils, garde ta candeur ; Et que ton étoile ne marque Par l'éclat ni par la grandeur, Béranger, Étoiles qui filent.

    Terme de mathématique. Quantité, tout ce qui est susceptible d'augmentation ou de diminution. Euclide définit ainsi les grandeurs homogènes : les grandeurs, dit-il, sont dites être de même genre, lorsque l'une étant plusieurs fois multipliée peut arriver à surpasser l'autre, Pascal, Espr. géom. sect. 1.

  • 2Il se dit quelquefois pour longueur. La grandeur du voyage l'effraye.
  • 3 Fig. Importance, étendue, intensité. La grandeur de son crime et de mon déplaisir, Corneille, Poly. III, 3. Permettez, madame, que j'estime La grandeur de l'amour par la grandeur du crime, Corneille, Sertor. V, 4. Le rang de l'offensé, la grandeur de l'offense, Corneille, Cid, II, 1. Et sans cela, comment les justes auraient-ils des péchés cachés ? comment serait-il véritable que Dieu seul en connaît et la grandeur et le nombre ? Pascal, Prov. IV. Le duc d'Ormond avait la confiance et l'estime de son maître ; il en était digne par la grandeur de ses services, l'éclat de son mérite et de sa naissance, Hamilton, Gramm. 6. Nécessité effrayante pour des particuliers, surtout en considérant la grandeur des fonds qu'exigent ces entreprises, Raynal, Hist. phil. V, 35.
  • 4Puissance, pouvoir, dignités, honneurs, magnificence. Cette grandeur [de la terre] périt, j'en veux une immortelle, Corneille, Poly. IV, 3. Il y a dans le monde deux sortes de grandeur ; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles ; les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects… les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans les qualités réelles et effectives de l'âme ou du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force, Pascal, Grands, 2e disc. Le peuple, qui vous admire, ne connaît pas peut-être ce secret, il croit que la noblesse est une grandeur réelle, et il considère presque les grands comme étant d'une autre nature que les autres, Pascal, Grands, 1er disc. Nous déplorerons éternellement… qu'une princesse si chérie de tout l'univers ait été précipitée dans le tombeau, pendant que la confiance de deux si grands rois l'élevait au comble de la grandeur et de la gloire ; la grandeur et la gloire ? pouvons-nous encore entendre ces noms dans ce triomphe de la mort ? Bossuet, Duch. d'Orl. À la grandeur conviennent les choses grandes ; à la grandeur la plus éminente, les choses les plus grandes, c'est-à-dire les grandes vertus, Bossuet, Polit. V, IV, 2. La très chrétienne maison de France… après sept cents ans d'une royauté établie, sans compter ce que la grandeur d'une si haute origine fait trouver ou imaginer aux curieux observateurs des antiquités, Bossuet, Marie-Thér. Nous élever des grandeurs visibles et mortelles aux grandeurs invisibles et éternelles, Bourdaloue, Myst. Ascens. de J. C. t. I, p. 403. Nul n'éleva si haut la grandeur ottomane, Racine, Baj. II, 1. On ne partage point la grandeur souveraine ; Et ce n'est pas un bien qu'on quitte et qu'on reprenne, Racine, Théb. I, 5. Plaignez ma grandeur importune ; Maître de l'univers, je règle sa fortune… Cependant de mon cœur je ne puis disposer, Racine, Bérén. III, 1. La grandeur est comme certains verres qui grossissent tous les objets ; tous les défauts paraissent croître dans ces hautes places où les moindres choses ont une grande conséquence, Fénelon, Tél. XI. Il laissait au prince Menzicoff représenter par la magnificence du favori la grandeur du maître, Fontenelle, Czar Pierre. L'union d'Isabelle et de Ferdinand prépara la grandeur de l'Espagne, Voltaire, Mœurs, 145. Ces califes tremblants dans leurs tristes grandeurs, Voltaire, ib. I, 2.

    Absolument. Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux, La Fontaine, Phil. et Baucis. Vous… Ferez monter aux grandeurs tous les vôtres, La Fontaine, Herm. Elle vous dit par ma bouche et par une voix qui vous est connue, que la grandeur est un songe, la joie une erreur, la jeunesse une fleur qui tombe, et la santé un nom trompeur, Bossuet, Marie-Thér. À qui, Dieu tout-puissant, donnez-vous les grandeurs ! Voltaire, Sémiram. I, 3.

  • 5Il se dit aussi de Dieu. Tel est le premier état de la religion, qui dure jusqu'à Abraham, où, pour connaître les grandeurs de Dieu, les hommes n'avaient à consulter que leur raison et leur mémoire, Bossuet, Hist. II, 2. Mais, Seigneur, parce qu'en châtiant les hommes, vous ne cherchez point précisément à faire éclater votre grandeur toute puissante, et qu'il vous suffit de leur faire sentir les effets de votre grandeur souveraine…, Bourdaloue, Carême, Sur la paix chrétienne. J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies, Racine, Athalie, II, 7.
  • 6Élévation et noblesse morales. La grandeur de l'homme est grande, en ce qu'il se connaît misérable ; un arbre ne se connaît pas misérable ; c'est donc être misérable que de se connaître misérable ; mais c'est être grand que de connaître qu'on est misérable ; toutes ces misères-là mêmes prouvent sa grandeur, Pascal, Pensées, art. I, 3, édit. LAHURE, 1860. La vraie grandeur… se courbe par bonté vers ses inférieurs et revient sans effort dans son naturel, La Bruyère, II. La fausse grandeur est farouche et inaccessible ; comme elle sent son faible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu'autant qu'il faut pour imposer et ne paraître point ce qu'elle est, je veux dire une vraie petitesse, La Bruyère, II. Si la vraie grandeur consiste à avoir reçu un puissant génie et s'en être servi pour s'éclairer soi-même et les autres, un homme comme M. Newton est véritablement le grand homme, Voltaire, Dict. phil. Fr. Bacon, II. Il n'y a pas moins de grandeur à supporter de grandes injustices qu'à faire de grandes actions, Voltaire, Lett. Villette, juin 1765. À servir sans murmure ils mettent leur grandeur, Voltaire, Alz I, 1. Que vous importent les discours du peuple ? la vraie grandeur ne consiste-t-elle pas à faire le bien, même en s'exposant à l'ignominie ? Diderot, Règne de Claude et Nér. II, 107. Mais de ces sages vains confondons l'imposture ; De leur règne fameux retraçons la peinture ; Et que mes vers, enfants d'une noble candeur, Éclairent les Français sur leur fausse grandeur, Gilbert, 18e siècle.

    Un air de grandeur, un ton, des manières qui affectent la grandeur. S'ils [mes vers] osent quelquefois prendre un air de grandeur, Seront-ils point traités par vous de téméraires ? La Fontaine, Fabl. VIII, 4.

    Grandeur d'âme, qualité d'une âme grande. Mais tant de grandeur d'âme est au-dessus de moi, Voltaire, Alz. V, 7. Il est évident par ce qui suit, que l'opinion de Sénèque est la pure doctrine de Zénon, qui regardait la grandeur d'âme comme incompatible avec la crainte et les chagrins, Diderot, Claude et Néron, II, 52.

  • 7Grandeur se dit quelquefois, dans le style élevé ou dans le style plaisant, pour personne grande en dignité, en puissance. Rendons-lui donc visite ; et comme ambassadeur, Proposez cet hymen vous-même à sa grandeur, Corneille, Nicom. II, 4. Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu, le voilà ; C'est un parfum de bœuf que ta grandeur respire, La Fontaine, Fabl. IX, 13. Mais ce voluptueux [un grand], à ses vices fidèle, Cherche pour chaque jour une amante nouvelle ; La fille d'un bourgeois a frappé sa grandeur, Gilbert, Mon apolog.

    Titre honorifique employé pour tous les grands seigneurs qui ne prenaient point le titre d'Altesse ou d'Excellence (on met un g majuscule). Vous devez dire : Votre Grandeur saura. - Votre Grandeur saura ! c'est donc un géant, ce secrétaire d'État, Marivaux, Double inconst. III, 2.

    Titre qui a été donné aux évêques depuis 1630. Monseigneur, il plaira à Votre Grandeur…

SYNONYME

GRANDEUR D'ÀME, MAGNANIMITÉ. Ces deux mots sont exactement synonymes, puisque magnanimité vient du latin magnus animus, grande âme. La seule différence qu'on puisse entrevoir, c'est que magnanimité a plus de magnificence et d'emphase.

HISTORIQUE

XIIe s. …Quels est ta duzur, Ta poesté e ta grandurs, Benoit de Sainte-Maure, II, 2165.

XIIIe s. Dunc s'est li asnes purpenseiz, Ke melx dou chien vaut il asseiz E de biauté e de grandor, Marie de France, Fable 16. De la grandor dou ciel et de la terre, Latini, Trésor, p. 126.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

GRANDEUR, s. f. (Philos. & Mathém.) Voilà un de ces mots dont tout le monde croit avoir une idée nette, & qu’il est pourtant assez difficile de bien définir. Ne seroit-ce pas parce que l’idée que ce mot renferme, est plus simple que les idées par lesquelles on peut entreprendre de l’expliquer ? Voyez Définition & Elémens des Sciences. Quoi qu’il en soit, les Mathématiciens définissent ordinairement la grandeur, ce qui est susceptible d’augmentation & de diminution ; d’après cette notion l’infini ne seroit pas plus une grandeur que le zéro, puisque l’infini n’est pas plus susceptible d’augmentation que le zéro ne l’est de diminution ; aussi plusieurs mathématiciens regardent-ils le zéro d’une part & l’infini de l’autre, non comme des grandeurs, mais comme la limite des grandeurs ; l’une pour la diminution, l’autre pour l’augmentation. Voyez Limite. On est sans doute le maître de s’exprimer ainsi, & il ne faut point disputer sur les mots ; mais il est contre l’usage ordinaire de dire que l’infini n’est point une grandeur, puisqu’on dit une grandeur infinie. Ainsi il semble qu’on doit chercher une définition de la grandeur plus analogue aux notions communes. De plus, suivant la définition qu’on vient d’apporter, on devroit appeller grandeur tout ce qui est susceptible d’augmentation & de diminution ; or la lumiere est susceptible d’augmentation & de diminution ; cependant on s’exprimeroit fort improprement en regardant la lumiere comme une grandeur.

D’autres changent un peu la définition précédente, en substituant ou au lieu de &, & ils définissent la grandeur, ce qui est susceptible d’augmentation ou de diminution. Suivant cette définition dans laquelle ou est disjonctif, zéro seroit une grandeur ; car s’il n’est pas susceptible de diminution, il l’est d’augmentation ; cette définition est donc encore moins bonne que la précédente.

On peut, ce me semble, définir assez bien la grandeur, ce qui est composé de parties. Il y a deux sortes de grandeurs, la grandeur concrete & la grandeur abstraite. Voyez Concret & Abstrait. La grandeur abstraite est celle dont la notion ne désigne aucun sujet particulier. Elle n’est autre chose que les nombres, qu’on appelle aussi grandeurs numériques. Voyez Nombre. Ainsi le nombre 3 est une quantité abstraite, parce qu’il ne désigne pas plus 3 piés que 3 heures, &c.

La grandeur concrete est celle dont la notion renferme un sujet particulier. Elle peut être composée ou de parties co-existantes, ou de parties successives ; & sous cette idée elle renferme deux especes, l’étendue, & le tems. Voyez Etendue & Tems.

Il n’y a proprement que ces deux especes de grandeurs ; toutes les autres s’y rapportent directement ou indirectement L’étendue est une grandeur dont les parties existent en même tems ; le tems une grandeur dont les parties existent l’une après l’autre.

La grandeur s’appelle aussi quantité, voyez Quantité ; & sous cette idée on peut dire que la grandeur abstraite répond à la quantité discrete, & la grandeur concrete à la quantité continue. Voyez Discret & Continu.

La grandeur & ses propriétés sont l’objet des Mathématiques, ce qui sera expliqué plus au long à l’article Mathématiques.

Sur la grandeur apparente des objets, voyez les mots Optique & Vision. (O)

Grandeur, s. f. (Phil. mor.) ce terme en Physique & en Géométrie est souvent absolu, & ne suppose aucune comparaison ; il est synonyme de quantité, d’étendue. En Morale il est relatif, & porte l’idée de supériorité. Ainsi quand on l’applique aux qualités de l’esprit ou de l’ame, ou collectivement à la personne, il exprime un haut degré d’élévation au-dessus de la multitude.

Mais cette élévation peut être ou naturelle, ou factice ; & c’est-là ce qui distingue la grandeur réelle de la grandeur d’institution. Essayons de les définir.

La grandeur d’ame, c’est-à-dire la fermeté, la droiture, l’élévation des sentimens, est la plus belle partie de la grandeur personnelle. Ajoûtez-y un esprit vaste, lumineux, profond, & vous aurez un grand homme.

Dans l’idée collective & générale de grand homme, il semble que l’on devroit comprendre les plus belles proportions du corps ; le peuple n’y manque jamais. On est surpris de lire qu’Alexandre étoit petit ; & l’on trouve Achille bien plus grand lorsqu’on voit dans l’Iliade qu’aucun de ses compagnons ne pouvoit remuer sa lance. Cette propension que nous avons tous à mêler du physique au moral dans l’idée de la grandeur, vient 1°. de l’imagination qui veut des mesures sensibles ; 2°. de l’épreuve habituelle que nous faisons de l’union de l’ame & du corps, de leur dépendance & de leur action réciproque, des opérations qui résultent du concours de leurs facultés. Il étoit naturel sur-tout que dans les tems où la supériorité entre les hommes se décidoit à force de bras, les avantages corporels fussent mis au nombre des qualités héroïques. Dans des siecles moins barbares on a rangé dans leurs classes ces qualités qui nous sont communes avec les bêtes, & que les bêtes ont au-dessus de nous. Un grand homme a été dispensé d’être beau, nerveux, & robuste.

Mais il s’en faut bien que dans l’opinion du vulgaire l’idée de grandeur personnelle soit réduite encore à sa pureté philosophique. La raison est esclave de l’imagination, & l’imagination est esclave des sens. Celle-ci mesure les causes morales à la grandeur physique des effets qu’elles ont produites, & les apprétie à la toise.

Il est vraissemblable que celui des rois d’Egypte qui avoit fait élever la plus haute des pyramides, se croyoit le plus grand de ces rois ; c’est à peu-près ainsi que l’on juge vulgairement ce qu’on appelle les grands hommes.

Le nombre des combattans qu’ils ont armés ou qu’ils ont vaincus, l’étendue de pays qu’ils ont ravagée ou conquise, le poids dont leur fortune a été dans la balance du monde, sont comme les matériaux de l’idée de grandeur que l’on attache à leur personne. La réponse du pirate à Alexandre, quia tu magnâ classe imperator, exprime avec autant de force que de vérité notre maniere de calculer & de peser la grandeur humaine.

Un roi qui aura passé sa vie à entretenir dans ses états l’abondance, l’harmonie, & la paix, tiendra peu de place dans l’histoire. On dira de lui froidement il fut bon ; on ne dira jamais il fut grand. Louis IX. seroit oublié sans la déplorable expédition des croisades.

A-t-on jamais entendu parler de la grandeur de Sparte, incorruptible par ses mœurs, inébranlable par ses lois, invincible par la sagesse & l’austérité de sa discipline ? Est-ce à Rome vertueuse & libre que l’on pense, en rappellant sa grandeur ? L’idée qu’on y attache est formée de toutes les causes de sa décadence. On appelle sa grandeur, ce qui entraîna sa ruine ; l’éclat des triomphes, le fracas des conquêtes, les folles entreprises, les succès insoûtenables, les richesses corruptrices, l’enflure du pouvoir, & cette domination vaste, dont l’étendue faisoit la foiblesse, & qui alloit crouler sous son propre poids.

Ceux qui ont eu l’esprit assez juste pour ne pas altérer par tout cet alliage physique l’idée morale de grandeur, ont crû du-moins pouvoir la restreindre à quelques-unes des qualités qu’elle embrasse. Car où trouver un grand homme, à prendre ce terme à la rigueur ?

Alexandre avoit de l’étendue dans l’esprit & de la force dans l’ame. Mais voit-on dans ses projets ce plan de justice & de sagesse, qui annonce une ame élevée & un génie lumineux ? ce plan qui embrasse & dispose l’avenir, où tous les revers ont leur ressource, tous les succès leur avantage, où tous les maux inévitables sont compensés par de plus grands biens ? Detecto fine terrarum, per suum rediturus orbem, tristis est (Sénec.). Les vûes de Cesar étoient plus belles & plus sages. Mais il faut commencer par l’absoudre du crime de haute trahison, & oublier le citoyen dans l’empereur, pour trouver en lui un grand homme. Il en est à-peu près de même de tous les princes auxquels la flaterie ou l’admiration a donné le nom de grands. Ils l’ont été dans quelques parties, dans la législation, dans la politique, dans l’art de la guerre, dans le choix des hommes qu’ils ont employés ; & au lieu de dire il a telle ou telle grande qualité, on a dit du guerrier, du politique, du législateur, c’est un grand homme. Huc & illuc accedat, ut perfecta virtus sit, æqualitas ac tenor vitæ, per omnia constans sibi (Senec.). Nous ne connoissons dans l’antiquité qu’un seul homme d’état, qui ait rempli dans toute son étendue l’idée de la véritable grandeur, c’est Antonin ; & un seul homme privé, c’est Socrate. Voyez l’article Gloire.

Il est une grandeur factice ou d’institution, qui n’a rien de commun avec la grandeur personnelle. Il faut des grands dans un état, & l’on n’a pas toûjours de grands hommes. On a donc imaginé d’élever au besoin ceux qu’on ne pouvoit aggrandir ; & cette élévation artificielle a pris le nom de grandeur. Ce terme au singulier est donc susceptible de deux sens, & les grands n’ont pas manqué de se prévaloir de l’équivoque. Mais son pluriel (les grandeurs) ne présente plus rien de personnel ; c’est le terme abstrait de grand dans son acception politique ; ensorte qu’un grand homme peut n’avoir aucun des caracteres qui distinguent ce qu’on appelle les grands, & qu’un grand peut n’avoir aucune des qualités qui constituent le grand homme. Voyez Grand. (Philos. Mor. & Politique.)

Mais un grand dans un état, tient la place d’un grand homme ; il le représente ; il en a le volume, quoiqu’il arrive souvent qu’il n’en ait pas la solidité. Rien de plus beau que de voir réunis le mérite avec la place. Ils le sont quelquefois à beaucoup d’égards ; & notre siecle en a des exemples ; mais sans faire la satyre d’aucun tems ni d’aucun pays, nous dirons un mot de la condition & des mœurs des grands, tels qu’il en est par-tout, en protestant d’avance contre toute allusion & toute application personnelle.

Un grand doit être auprès du peuple l’homme de la cour, & à la cour l’homme du peuple. L’une & l’autre de ces fonctions demandent ou un mérite recommandable, ou pour y suppléer un extérieur imposant. Le mérite ne se donne point, mais l’extérieur peut se prescrire ; on l’étudie, on le compose. C’est un personnage à joüer. L’extérieur d’un grand devroit être la décence & la dignité. La décence est une dignité négative qui consiste à ne rien se permettre de ce qui peut avilir ou dégrader son état, y attacher le ridicule, ou y répandre le mépris. Il s’agit de modifier les dehors de la grandeur suivant le goût, le caractere, & les mœurs des nations. Une gravité taciturne est ridicule en France ; elle l’auroit été à Athenes. Une politesse legere eût été ridicule à Lacédémone ; elle le seroit en Espagne. La popularité des pairs d’Angleterre seroit déplacée dans les nobles Venitiens. C’est ce que l’exemple & l’usage nous enseignent sans étude & sans réflexion. Il semble donc assez facile d’être grand avec décence.

Mais la dignité positivé dans un grand est l’accord parfait de ses actions, de son langage, de sa conduite en un mot, avec la place qu’il occupe. Or cette dignité suppose le mérite, & un mérite égal au rang. C’est ce qu’on appelle payer de sa personne. Ainsi les premiers hommes de l’état devroient faire les plus grandes choses ; condition toujours pénible, souvent impossible à remplir.

Il a donc fallu suppléer à la dignité par la décoration, & cet appareil a produit son effet. Le vulgaire a pris le fantôme pour la réalité. Il a confondu la personne avec la place. C’est une erreur qu’il faut lui laisser ; car l’illusion est la reine du peuple.

Mais qu’il nous soit permis de le dire, les grands sont quelquefois les premiers à détruire cette illusion par une hauteur révoltante.

Celui qui dans les grandeurs ne fait que représenter, devroit savoir qu’il n’ébloüit pas tout le monde, & ménager du-moins ses confidens pour les engager au silence. Qu’un homme qui voit les choses en elles-mêmes, qui respecte les préjugés, & qui n’en a point, se montre à l’audience d’un grand avec la simplicité modeste : que celui-ci le reçoive avec cet air de supériorité qui protege & qui humilie, le sage n’en sera ni offensé, ni surpris ; c’est une scene pour le peuple. Mais quand la foule s’est écoulée, si le grand conserve sa gravité froide & severe, si son maintien & son langage ne daignent pas s’humaniser, l’homme simple se retire en soûriant, & en disant de l’homme superbe ce qu’on disoit du comédien Baron : il joüe encore hors du théatre.

Il le dit tout bas, & il ne le dit qu’à lui-même ; car le sage est bon citoyen. Il sait que la grandeur, même fictive, exige des ménagemens. Il respectera dans celui qui en abuse, ou les ayeux qui la lui ont transmise, ou le choix du prince qui l’en a décore, ou, quoi qu’il en soit, la constitution de l’état qui demande que les grands soient en honneur & à la cour, & parmi le peuple.

Mais tous ceux qui ont la pénétration du sage, n’en ont pas la modération. Paucis imponit leviter extrinsecùs induta facies…tenue est mendacium : perlucet, si diligenter inspexeris (Senec.). Dans un monde cultivé sur-tout, la vanité des petits humiliée a des yeux de lynx pour pénétrer la petitesse orgueilleuse des grands ; & celui qui en faisant sentir le poids de sa grandeur en laisse appercevoir le vuide, peut s’assûrer qu’il est de tous les hommes le plus séverement juge.

Un homme de mérite élevé aux grandeurs, tâche de consoler l’envie, & d’échapper à la malignité. Mais malheureusement celui qui a le moins à prétendre, est toûjours celui qui exige le plus. Moins il soûtient sa grandeur par lui même, plus il l’appesantit sur les autres. Il s’incorpore ses terres, ses équipages, ses ayeux, & ses valets, & sous cet attirail, il se croit un colosse. Proposez-lui de sortir de son enveloppe, de se dépouiller de ce qui n’est pas à lui, osez le distinguer de sa naissance & de sa place, c’est lui arracher la plus chere partie de son existence ; réduit à lui même, il n’est plus rien. Etonné de se voir si haut, il prétend vous inspirer le respect qu’il s’inspire à lui même. Il s’habitue avec ses valets à humilier des hommes libres, & tout le monde est peuple à ses yeux.

Asperius nihil est humili qui surgit in altum. (Clod.)

C’est ainsi que la plûpart des grands se trahissent & nous détrompent. Car un seul mécontent qui a leur secret, suffira pour le répandre ; & leur personnage n’est plus que ridicule dès que l’illusion a cessé.

Qu’un grand qui a besoin d’en imposer à la multitude, s’observe donc avec les gens qui pensent, & qu’il se dise à lui-même ce que diroient de lui ceux qu’il auroit reçûs avec dédain, ou rebutés avec arrogance.

« Qui es-tu donc, pour mépriser les hommes ? & qui t’éleve au-dessus d’eux ? tes services, tes vertus ? Mais combien d’hommes obscurs plus vertueux que toi, plus laborieux, plus utiles ? Ta naissance ? on la respecte : on salue en toi l’ombre de tes ancêtres ; mais est-ce à l’ombre à s’énorgueillir des hommages rendus au corps ? Tu aurois lieu de te glorifier, si l’on donnoit ton nom à tes ayeux, comme on donnoit au pere de Caton le nom de ce fils, la lumiere de Rome (Cic. off.). Mais quel orgueil peut t’inspirer un nom qui ne te doit rien, & que tu ne dois qu’au hasard ? La naissance excite l’émulation dans les grandes ames, & l’orgueil dans les petites. Ecoute des hommes qui pensoient noblement, & qui savoient apprétier les hommes. Point de rois qui n’ayent eu pour ayeux des esclaves ; point d’esclaves qui n’ayent eu des rois pour ayeux (Plat.). Personne n’est né pour notre gloire : ce qui fut avant nous n’est point à nous (Senec.). En un mot, la gloire des ancêtres se communique comme la flamme ; mais comme la flamme, elle s’éteint si elle manque de nourriture, & le mérite en est l’aliment. Consulte-toi, rentre en toi-même : nudum inspice, animum intuere, qualis quantusque sit, alieno an suo magnus (ibid.) ».

Il n’y a que la véritable grandeur, nous dira-t-on, qui puisse soûtenir cette épreuve. La grandeur factice n’est imposante que par ses dehors. Hé bien, qu’elle ait un cortege fastueux & des mœurs simples, ce qu’elle aura de dominant sera de l’état, non de la personne. Mais un grand dont le faste est dans l’ame, nous insulte corps à corps. C’est l’homme qui dit à l’homme, tu rampes au-dessous de moi : ce n’est pas du haut de son rang, c’est du haut de son orgueil qu’il nous regarde & nous méprise.

Mais ne faut-il pas un mérite supérieur pour conserver des mœurs simples dans un rang si élevé ? cela peut être, & cela prouve qu’il est très-difficile d’occuper décemment les grandeurs sans les remplir, & de n’être pas ridicule par-tout ou l’en est déplacé.

Un grand, lorsqu’il est un grand homme, n’a recours ni à cette hauteur humiliante qui est le singe de la dignité, ni à ce faste imposant qui est le fantôme de la gloire, & qui ruine la haute noblesse par la contagion de l’exemple & l’émulation de la vanité.

Aux yeux du peuple, aux yeux du sage, aux yeux de l’envie elle-même, il n’a qu’a se montrer tel qu’il est. Le respect le devance, la vénération l’environne. Sa vertu le couvre tout entier ; elle est son cortége & sa pompe. Sa grandeur a beau se ramasser en lui-même, & se dérober à nos hommages, nos hommages vont la chercher. Voyez Labruyere, du mérite personnel. Mais qu’il faut avoir un sentiment noble & pur de la véritable grandeur, pour ne pas craindre de l’avilir en la dépouillant de tout ce qui lui est étranger ! Qui d’entre les grands de notre âge voudroit être surpris, comme Fabrice par les ambassadeurs de Pyrrhus, faisant cuire ses légumes ? Article de M. Marmontel.

Grandeur d’Ame. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prouver que la grandeur d’ame est quelque chose de réel : il est difficile de ne pas sentir dans un homme qui maîtrise la fortune, & qui par des moyens puissans arrive à des fins élevées, qui subjugue les autres hommes par son activité, par sa patience, ou par de profonds conseils ; il est difficile, dis-je, de ne pas sentir dans un génie de cet ordre une noble dignité : cependant il n’y a rien de pur, & dont nous n’abusions.

La grandeur d’ame est un instinct élevé, qui porte les hommes au grand, de quelque nature qu’il soit ; mais qui les tourne au bien ou au mal, selon leurs passions, leurs lumieres, leur éducation, leur fortune, &c. Egale à tout ce qu’il y a sur la terre de plus élevé, tantôt elle cherche à soûmettre par toutes sortes d’efforts ou d’artifices les choses humaines à elle ; & tantôt dédaignant ces choses, elle s’y soûmet elle-même, sans que sa soûmission l’abaisse : pleine de sa propre grandeur. elle s’y repose en secret, contente de se posséder. Qu’elle est belle, quand la vertu dirige tous ses mouvemens ; mais qu’elle est dangereuse alors qu’elle se soustrait à la regle ! Représentez-vous Catilina au-dessus de tous les préjugés de sa naissance, méditant de changer la face de la terre, & d’anéantir le nom romain : concevez ce génie audacieux, menaçant le monde du sein des plaisirs, & formant d’une troupe de voluptueux & de voleurs un corps redoutable aux armées & à la sagesse de Rome. Qu’un homme de ce caractere auroit porté loin la vertu, s’il eût tourné au bien ! mais des circonstances malheureuses le poussent au crime. Catilina étoit né avec un amour ardent pour les plaisirs, que la sévérité des lois aigrissoit & contraignoit ; sa dissipation & ses débauches l’engagerent peu-à-peu à des projets criminels : ruiné, décrié, traversé, il se trouva dans un état, où il lui étoit moins facile de gouverner la république que de la détruire ; ne pouvant être le héros de sa patrie, il en méditoit la conquête. Ainsi les hommes sont souvent portés au crime par de fatales rencontres, ou par leur situation : ainsi leur vertu dépend de leur fortune. Que manquoit-il à César, que d’être né souverain ? Il étoit bon, magnanime, généreux, brave, clément ; personne n’étoit plus capable de gouverner le monde & de le rendre heureux : s’il eût eû une fortune égale à son génie, sa vie auroit été sans tache ; mais César n’étant pas né roi, n’a passé que pour un tyran.

De-là il s’ensuit qu’il y a des vices qui n’excluent pas les grandes qualités, & par conséquent de grandes qualités qui s’éloignent de la vertu. Je reconnois cette vérité avec douleur : il est triste que la bonté n’accompagne pas toûjours la force, que l’amour du juste ne prévale pas nécessairement sur tout autre amour dans tous les hommes & dans tout le cours de leur vie ; mais non-seulement les grands-hommes se laissent entraîner au vice, les vertueux même se démentent, & sont inconstans dans le bien. Cependant ce qui est sain est sain, ce qui est fort est fort. Les inégalités de la vertu, les foiblesses qui l’accompagnent, les vices qui flétrissent les plus belles vies, ces défauts inséparables de notre nature, mêlée si manifestement de grandeur & de petitesse, n’en détruisent pas les perfections : ceux qui veulent que les hommes soient tout bons ou tout méchans, nécessairement grands ou petits, ne les ont pas approfondis. Il n’y a rien de parfait sur la terre ; tout y est mélangé & fini ; les mines ne nous donnent point d’or pur. Cet article est tiré des papiers de M. Formey.

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Étymologie de « grandeur »

Grand.

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De grand avec le suffixe -eur[1].
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Phonétique du mot « grandeur »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
grandeur grɑ̃dœr

Fréquence d'apparition du mot « grandeur » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « grandeur »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « grandeur »

  • Les scrupules et la grandeur ont été de tous temps incompatibles.
    Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz — Mémoires
  • La grandeur, pour se faire reconnaître, doit souvent consentir à imiter la grandeur.
    Jean Rostand — Pensées d'un biologiste
  • L'homme voudrait être égoïste et ne peut pas. C'est le caractère le plus frappant de sa misère et la source de sa grandeur.
    Simone Weil — La Pesanteur et la Grâce, Plon
  • On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l'entre-deux.
    Blaise Pascal — Pensées, 353 Pensées
  • O âme, pour qui rien n'existait de trop grand !
    Paul Claudel — Tête d'or, III, le roi , Mercure de France
  • Les âmes grandes sont toujours disposées à faire une vertu d'un malheur.
    Honoré de Balzac — Illusions perdues
  • L'épée est l'axe du monde et la grandeur ne se divise pas.
    Charles de Gaulle — Vers l'armée de métier, Plon
  • La grandeur d’un homme peut se mesurer à la grandeur des choses qui l’angoissent.
    Anonyme
  • La pardon couronne la grandeur.
    Hazrat Ali
  • Quiconque court après la grandeur voit la grandeur le fuir ; quiconque fuit la grandeur, voit la grandeur courir après lui.
    Le Talmud — Pesakhim
Voir toutes les citations du mot « grandeur » →

Images d'illustration du mot « grandeur »

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Traductions du mot « grandeur »

Langue Traduction
Anglais size
Espagnol grandeza
Italien grandezza
Allemand ehrgeizig
Chinois 伟大
Arabe عظمة
Portugais grandeza
Russe величие
Japonais 偉大
Basque handitasuna
Corse grandezza
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Synonymes de « grandeur »

Source : synonymes de grandeur sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « grandeur »

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Nombre de points du mot grandeur au scrabble : 10 points

Grandeur

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