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Oublier

Définitions de « oublier »

Trésor de la Langue Française informatisé

OUBLIER, verbe trans.

I. − Empl. trans. Perdre, de façon volontaire ou non, définitive ou momentanée, normale ou pathologique, le souvenir d'une personne ou d'une chose.
A. − [Oublier implique un acte plus ou moins involontaire]
1. [Oublier procède d'un défaut de mémoire]
a) Empl. abs. Ne rien garder en mémoire, laisser s'effacer de son souvenir. Oui, madame... Mais une eau délicieuse, l'eau du fleuve Léthé... Oui, c'est pour oublier que je bois, pour oublier la triste condition où je suis tombé!... (Crémieux, Orphée,1858, ii, 2, p.59):
1. Je me suis souvent demandé si tenir un journal n'était pas contraire à cet instinct qui veut que nous oublions, car oublier, c'est s'alléger d'un poids, et le souvenir nous tire en arrière, nous empêche d'avancer. Green, Journal,1943-46, p.28.
b) Oublier qqn/qqc.
[Le phénomène est individuel]
Ne plus avoir le souvenir de quelqu'un ou de quelque chose. Oublier le temps, le jour où, une date, les événements, une aventure, un visage, cette histoire. Je n'ai pas oublié un mot de notre entretien (Jouy, Hermite,t.4, 1813, p.41).Eh bien! Oubliez-nous, maison, jardin, ombrages! (...) Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas (Hugo, Rayons et ombres,1840, p.1097).J'ai oublié son nom, mais non l'aspect imposant du château tel qu'il a été encore plusieurs années après cette époque (Sand, Hist. vie,t.2, 1855, p.280):
2. Mon amour pour Dina n'a fait que s'accroître par une intimité chaste et délicieuse, comblant de soins et de tous égards possibles le vieux Judas qui me chérissait, et sa Léa qui me fait oublier ma mère que je perdis enfant. Borel, Champavert,1833, p.129.
Oublier l'heure. Laisser passer l'heure, s'attarder. (Dict. xixeet xxes.).
Ne plus se rappeler ce que l'on a su, appris. Les premiers vers qui soient entrés dans ma mémoire sont ceux de Louis Racine, dans son poëme de la religion: (...) Ma mère me les apprit, lorsque je ne savois point encore lire; et je me vois toujours sur ses genoux répétant cette belle tirade que je n'oublierai de ma vie (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb.,t.1, 1821, p.210).On oublie émouvoir et l'on abuse d'émotionner (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p.159).
[Le phénomène est coll.] Ne pas conserver la notion, la mémoire, l'usage, la pratique de. Oublier les traditions, les valeurs ancestrales, ses grands hommes, son histoire. Loin des yeux de leurs concitoyens, bientôt les soldats ne songeront plus à leurs droits, et finiront par oublier la patrie (Marat, Pamphlets,C'est un beau rêve, 1790, p.234).Se réconcilier, pardonner! quels mots hypocrites. On oublie c'est tout. Oublier les morts, ce n'était pas encore assez. Maintenant, nous oublions les meurtres, nous oublions les meurtriers (Beauvoir, Mandarins,1954, p.401).
Se faire oublier.Faire en sorte que les autres ne pensent plus à vous, à ce que vous avez fait. Dans ces soirées, François n'aspirait qu'à se faire oublier de tous, comme il oubliait tout le monde, à l'exception de Mahaut (Radiguet, Bal,1923, p.162).Il alla s'enfermer, pour se faire oublier, dans le petit château qu'il avait en Normandie (Billy, Introïbo,1939, p.162):
3. Si le mot est donné comme intermédiaire signifiant une réalité transcendante, par essence, au langage, rien de mieux: il se fait oublier, il décharge la conscience sur l'objet. Sartre, Sit. II,1948, p.200.
Au passif. Être oublié.[En parlant d'un écrivain, d'un penseur, d'un ouvrage] Quand on pense que Charcot et d'autres ont fait des travaux mille fois plus remarquables (...) et qu'ils sont presque oubliés! (Proust, Sodome,1922, p.1051).
HIST. Ils n'ont rien appris, rien oublié. V. apprendre A 1 b.
2. [Oublier relève d'une négligence, d'un manque d'attention] Ne pas penser à prendre avec soi. Je suis sûre que tu as encore oublié ton mouchoir... (Coppée, Bonne souffr.,1898, p.92).−Honoré, tu as oublié ton chapeau. Par ces chaleurs, oublier son chapeau... (Aymé, Jument,1933, p.48):
4. C'était un des violateurs de tombeaux qui avait oublié son parapluie et qui revenait le prendre, accompagné du gardien. Coppée, Bonne souffr.,1898p.131.
3. [Oublier présuppose un défaut de lucidité, de conscience] Ne plus avoir présent à l'esprit. Il ajouta même que le comte de Richemont, n'ayant pas combattu depuis Azincourt, avait pu oublier la guerre (Barante, Hist. ducs de Bourg.,t.4, 1824, p.427):
5. Oui, maintenant ta vie est à ce prix. Il te faudrait, pour la supporter, non seulement oublier l'amour, mais désapprendre qu'il existe... Musset, Confess. enf. s.,1836, p.362.
Arg., pop. Oublier le goût du pain. Mourir. Sans moi, cette petite fillette qui fait là ses mines, aurait oublié le goût du pain (Larchey, Dict. hist. arg.,2esuppl.,1883, p.112).
Rem. Dans le même sens v. l'expr. arg. oublier de respirer (Car. Argot 1977).
B. − [Oublier implique un acte volontaire]
1. Omettre, exclure, ne pas prendre en compte. Monsieur et Madame Lebas, dit César. Puis monsieur le président du tribunal de commerce, sa femme et ses deux filles. Je les oubliais dans les autorités (Balzac, C. Birotteau, 1837, p.191):
6. À cette époque elle écrivit à sa mère pour lui demander pardon. Sa mère lui répondit qu'elle lui pardonnait et lui conseillait de revenir et qu'elle ne l'oublierait pas dans son testament. Nerval, Filles feu,Angélique, 1854, p.559.
Sans oublier, n'oublions pas (pour insister sur un terme d'une énumération). Il emporta ses colifichets de dandy, sans oublier une ravissante petite écritoire donnée par la plus aimable des femmes (Balzac, E. Grandet,1834, p.52).Providentielle réunion de grands caractères et de talents... sans oublier les dames incomparables musiciennes, ces ornements du bord!... (Céline, Voyage,1932, p.151).
2. Écarter de sa pensée un objet de préoccupation ou de ressentiment; vouloir ignorer. Oublier son âge, sa fatigue; oublier les injures; oublie-moi! [La religion] mène au bonheur par les austérités et fait oublier toutes les misères de la vie dans l'espérance céleste que sur mille réprouvés il pourra y avoir un élu (Senancour, Rêveries,1799, p.130).Tu n'es même pas sûr d'avoir tué Hoederer. Eh bien, tu es dans le bon chemin; il faut aller plus loin, voilà tout. Oublie-le; c'était un cauchemar (Sartre, Mains sales,1948, 7etabl., p.253):
7. Je ne voudrais pas cependant qu'on leur refusât la permission de voir leurs femmes pendant la nuit, et à quelques époques combinées. Il en naîtrait des enfans qui pourraient faire oublier les crimes de leurs pères. Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p.331.
Arg. des sports, p.iron. ,,Lâcher un concurrent sans peine, le «semer»`` (Petiot 1982).
C. − [Oublier suivi d'une complétive (implique tous les mécanismes aberrants de la mémoire relevés supra A et B)]
Oublier + de + inf.C'était l'amour-propre blessé de ceux qu'on avait oublié d'y nommer, et qui y avaient ou croyaient y avoir des droits (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.453).Elle ne regardait plus ses casseroles; elle oubliait de boire et de manger (A. France, Vie fleur,1922, p.313).Seulement y avait la distraction: la révolution est distraite. Alors les gars ont oublié de blinder la locomotive (Malraux, Espoir,1937, p.490).
Rem. Oublier à + inf. Constr. correcte auj. uniquement dans l'empl. pronom. (v. infra) mais à l'époque class. tout à fait cour. dans le sens actuel de oublier de.
Oublier + que, comment, si, etc.En faisant dans un cercle étroit le bien de quelques hommes, je parviendrais à oublier combien je suis inutile aux hommes (Senancour, Obermann,t.2, 1840, p.112).On oubliait trop qu'une industrie est une industrie, qu'une spéculation est une spéculation (Reybaud, J. Paturot,1842, p.415).Il n'avait jamais oublié quelle distance séparait encore le paysan parvenu de la grande dame ruinée (Sandeau, Mllede La Seiglière,1848, p.71).Didace Beauchemin prit le papier et le retourna en tous sens. Le curé Lebrun se mordit la lèvre. Il avait oublié que son paroissien ne savait pas lire (Guèvremont, Survenant, 1945, p.277).
Rem. Oublier que dans sa forme affirmative peut être suivi du subj. Ce mode exprime alors non plus la réalité du fait mais sa potentialité.
II. − Empl. pronom.
A. − réfl. [Le suj. est un être vivant]
1. Perdre la conscience de soi; se distraire de son attention, de son effort. C'était, pour la soeur Philomène, la belle heure de sa journée. Elle s'y oubliait, elle se retrempait à la joie et aux enchantements de cette fatigue si douce (Goncourt, Soeur Philom.,1861, p.132).Pour nous autres c'est assez de voir l'arbre ou la maison; tout absorbés à les contempler, nous nous oublions nous-mêmes. Baudelaire est l'homme qui ne s'oublie jamais (Sartre, Baudelaire,1947, p.25).Miracle des femmes! Leur faculté de s'oublier et de renaître ne cessera jamais de provoquer notre admiration (Arnoux, Roi,1956, p.56).
S'oublier en, dans.Tous, [les novices] vers la seizième année, au lieu de quitter le collège, y étaient restés, s'oubliant en Dieu (Estaunié, Empreinte,1896, p.40).Il ne s'oublie jamais dans ce qu'il éprouve, de sorte qu'il n'éprouve jamais rien de grand (Gide, Faux-monn.,1925, p.1184).
S'oublier à + inf.M. le marquis s'oubliait à parler l'argot, cette langue des voleurs (Ponson du Terr., Rocambole,t.3, 1859, p.441).Mais je m'oublie à écouter ces voix... (Pesquidoux, Livre raison,1928, p.34).
Rem. En ce sens, le suj. peut ne pas être un être vivant quand il y a personnification ou méton. Et la science étonnée de ses propres développemens, s'oubliait dans la contemplation d'elle-même (Ozanam, Philos. Dante, 1838, p.260). Tu me livres ta main d'un geste familier, Et je vois aussitôt tes grands yeux s'oublier En un songe lointain (Régnier, Apaisement, 1886, p.52).
2. Considérer l'intérêt d'autrui avant le sien propre; faire preuve d'abnégation. C'est qu'il s'entête alors, car il a son nègre, M. Targu, que c'est une adoration d'homme, quoi! de voir comme il s'oublie pour son maître (Sue, Atar-Gull,1831, p.34).Ce qui les enivre alors, c'est de s'oublier pour ne penser qu'à l'autre (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p.120).
Par antiphrase. Ne pas s'oublier. Penser à soi, veiller à ses intérêts. En mentionnant une petite boîte de liqueur, il observait que l'empereur ne s'oubliait pas et ne se laissait manquer de rien (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.412).
3. Ne pas prêter attention au sentiment que l'on a de sa dignité, manquer aux convenances, à ses devoirs. Eh! tant mieux, morbleu! dit le préfet s'oubliant tout à fait (Stendhal, L. Leuwen,t.3, 1835, p.80).Vous vous oubliez, madame. Je ne suis pas une femme de chambre (H. Bazin, Vipère,1948, p.54):
8. Le commissaire passa vivement entre les deux et, les écartant avec ses mains: −Messieurs, vous vous oubliez, vous manquez de dignité. Maupass., Bel-Ami,1885, p.361.
P. euphém. Se laisser aller à faire ses besoins naturels. Depuis la veille, elle avait cette gifle dans la main; ça lui démangeait les doigts, comme aux jours lointains où la petite s'oubliait encore en dormant (Zola, Pot-Bouille,1882, p.335).Il s'éveilla penaud et la mine déconfite: le petit Wilhem s'était oublié dans son lit (Lorrain, Contes chandelle,1897, p.107).
B. − à sens passif. [Le suj. est une chose] Être effacé ou s'effacer du souvenir. Concluons: puisque tout s'oublie, ne vaut-il pas mieux s'habituer à l'oubli immédiat? (Villiers de l'I.-A., Contes cruels,1883, p.242).Quand vous serez marié, tant de choses s'oublieront! (R. Bazin, Blé,1907, p.144):
9. Toute tradition de guerre et d'amour s'oublie, et mes fables n'auraient pas même le sort de la complainte de Geneviève de Brabant, dont le colporteur d'images ne sait plus le commencement et n'a jamais su la fin. Bertrand, Gaspard,1841, p.159.
Prononc. et Orth.: [ublije], (il) oublie [ubli]. Homon. oublie. Att. ds Ac. dep.1694. Étymol. et Hist. A. Trans. 1. fin xes. «ne pas garder dans sa mémoire» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 410); 2. a) ca 1050 «ne pas garder présent à l'esprit, négliger» (Alexis, éd. Chr. Storey, 619: La dreite vide nus funt tres-oblïer); b) ca 1050 (ibid., 157: Mais la dolur ne pothent ublïer); c) ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 3195: Ne pot oblïer por nul plait Le damage qu'il li ont fait De son pere e de sa lignee); d) 1456-67 oublier son courroux (Cent nouvelles nouvelles, éd. F. P. Sweester, 30, 220). B. Pronom. 1. a) ca 1100 «se relâcher, manquer à ses devoirs» (Roland, éd. J. Bédier, 1258) encore à l'époque class.; b) ca 1120 «négliger de (faire quelque chose)» (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 305); c) 1176-81 «cesser d'avoir conscience de soi (en partic. dans le vocab. amoureux: entrer dans une sorte de transe)» (Chrétien de Troyes, Chevalier Charrette, éd. M. Roques, 715), sur les sens propres à l'a. fr. développés dans la litt. épique et courtoise, v. M. Pelan ds Rom. Jahrb. t.10, pp.59-77; 2. a) ca 1200 «perdre de vue sa dignité» (Jean Bodel, Saxons, éd. F. Menzel et E. Stengel, 1563); b) 1588 «faire passer l'intérêt d'autrui avant le sien propre par abnégation» (Montaigne, Essais, III, X, éd. P. Villey, t.1, p.1006); c) 1882 «faire ses besoins là où il ne faut pas» (Zola, loc. cit.). Du lat. pop. *oblitare (v. REW3, no6015), dér. de oblitus part. passé du class. oblivisci «ne plus penser à; perdre de vue»; au sens de B 1 c cf. antérieurement l'a. prov. s'oblidar (Marcabru, 1130-50 cité par M. Pelan, ibid., p.75, v. aussi Levy (E.) Prov.). Fréq. abs. littér.: 12979. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 17889, b) 22028; xxes.: a) 16602, b) 18148.
DÉR. 1.
Oubliable, adj.Qui peut être oublié. L'injustice énorme que j'endure et dont pâtissent deux innocentes, me semblerait oubliable si j'obtenais seulement un peu de ce qui m'est dû (Bloy, Journal,1904, p.195). [ublijabl̥]. 1resattest. fin du xives. [dans un jeu de mots avec oublieux] (Eustache Deschamps, Balade, 73 ds OEuvres, éd. Queux de Saint-Hilaire, t.1, p.174), ca 1470 «qui peut être oublié» (Georges Chastellain, Chronique, éd. Kervyn de Lettenhove, t.4, p.210), une autre attest. au xvies. (v. Hug.), à nouv. au xixes. (Littré Suppl. 1877); de oublier, suff. -able*.
2.
Oubliance, subst. fém.,vx ou région. Faculté d'oublier. Mettre en oubliance. V. mettre en oubli (s.v. oubli II B).La Fontaine, avec son caractère naturel d'oubliance et de paresse, s'accoutuma insensiblement à vivre comme s'il n'avait eu ni charge ni femme (Sainte-Beuve, Portr. littér.,t.1, 1829, p.55).Elle avait comme mis le champi depuis longtemps en oubliance entière (Sand, F. le Champi,1848, p.128). [ublijɑ ̃:s]. 1reattest.1remoitié xiies. ubliance «oubli, omission» (Psautier d'Oxford, éd. Fr. Michel, IX, 19); de oublier, suff. -ance*.
3.
Oublieur, -euse, subst.Personne distraite, sur la parole de qui il ne faut pas trop compter. Aussi ce grand artiste inconnu [le maître de musique] tenait-il à la classe aimable des oublieurs, qui donnent leur temps et leur âme à autrui comme ils laissent leurs gants sur toutes les tables et leur parapluie à toutes les portes (Balzac, Fille Ève,1839, p.73). [ublijae:ʀ], fém. [-ø:z]. Ac. 1694: oublieux; 1718: oublieux ,,quelques-uns écrivent oublieur``; 1740-1835: oublieur ,,on prononce oublieux``; 1878: oublieur [-oe:ʀ]. [ʀ] final est muet du xvieau xviiies. dans certaines catégories de mots dont ceux en -eur (leur fém. en -euse est anal. de honteux, -euse, etc.). [ʀ] ne commence à être rétabli qu'à partir du milieu du xviiies. Littré prononce encore [-ø] et DG propose encore cette prononc. comme var. de [-oe:ʀ]. 1resattest. a) 1487 adj. «qui oublie facilement» (Loys Garbin, Voc. latin-françoys, s.v. obliviosus), b) 1552 subst. (Denis Sauvage, Hist. de Paolo Jovio, II, 139 ds Gdf.), attest. isolées, à nouv. au xixes. 1801 (Mercier Néol.); de oublier, suff. -eur2*.
BBG.Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.96-97. _ Pelan (M.). Rom. Jahrb. 1959, t.10, p.59.

Wiktionnaire

Verbe - français

oublier \u.bli.je\ transitif ou pronominal 1er groupe (voir la conjugaison)

  1. Perdre le souvenir de quelqu'un ou quelque chose.
    • Où est-il à présent? Il pense à moi, on n'oublie pas si vite; mais y pensera-t-il longtemps?... Ah! oui, ce mot qui m'est échappé comme il partait : ne m'oubliez pas, retetira longtemps dans son coeur. — (Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, Charles Guérin, G.H. Cherrier, éditeur, Montréal, 1853, III, 1, page 176)
    • Devant une bonne choucroûte au jambon, ils oublièrent le pudding de graisse de phoque farci aux myrtilles ! — (Jean-Baptiste Charcot, Dans la mer du Groenland, 1928, édition Librairie de l’Œuvre Saint-Charles à Bruges, 1938, page 134)
    • Depuis l’Argonne de 1914, […] je n’ai pas l’oreille si mal bâtie que d’avoir, en vingt et un ans, oublié l’art d’apprécier au son la trajectoire d’un obus et le point de chute probable. — (Marc Bloch, L’étrange défaite : La déposition d’un vaincu, 1940, FolioHistoire Gallimard, 1990, page 86)
    • J’avais oublié le cran d’arrêt : je pèse sur cette languette amovible qui poussée en arrière découvre une lettre majuscule gravée, une esse, initiale du mot sûreté. Pour un peu, je pressais la gâchette sans que le coup partît. — (Gaston Cherpillod, Les Changelins, L’Âge d’Homme, 1981, page 147)
    • Ce sont des harrâba, des soldats dressés à Gibraltar pour servir d’instructeurs à leurs camarades; mais ils se sont empressés d’oublier ce qu’ils avaient appris et ne se distinguent guère des autres troupiers marocains. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 95)
    • (Absolument) Il oublie aussi vite qu’il apprend.
  2. Laisser quelque chose en quelque endroit, par inadvertance.
    • Il a oublié ses gants, sa canne, son parapluie.
  3. Omettre, manquer à faire mention de quelque chose dans un écrit, dans un discours.
    • Vous avez oublié le titre de ce livre dans votre catalogue.
    • Vous avez oublié son nom sur votre liste.
  4. Négliger ; omettre.
    • Le ciel avait destiné M. Smallways à vivre dans un monde paisible, mais il avait oublié de créer un monde paisible pour M. Smallways. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 6 de l’édition de 1921)
    • Cette grossesse l’avait prise par surprise. Elle avait oublié le précieux comprimé rempart. — (Aurélie Capobianco, Délivrez-nous du mal, Éditions TDO, 2016, chapitre 9)
    • Oublier le soin de sa fortune.
    • Je n’ai rien oublié pour le persuader.
    • On n’a rien oublié de tout ce qui pouvait lui être utile ou agréable.
  5. Manquer à quelque obligation.
    • Oublier ses devoirs.
    • Oublier le respect, les égards qu’on doit à quelqu’un.
  6. Ne point conserver de reconnaissance.
    • Il a oublié tout ce que j’ai fait pour lui.
    • Je n’oublierai jamais vos bienfaits.
    • Je n’oublierai jamais ce que je vous dois.
  7. Ne point garder de ressentiment.
    • Il faut vous réconcilier et oublier tout ce qui s’est passé.
    • Oublier une injure, une offense.
    • Prions Dieu d’oublier nos fautes.
    • J’oublie le passé, mais ne recommencez pas.
    • J’oublie ses torts et je lui pardonne.
  8. En parlant des personnes, négliger quelqu’un, ne pas songer à lui, manquer à lui faire du bien dans une occasion qui se présente.
    • Tu nous rends un service impayable.
      Mais quand s’acquittera le compte général,
      Je ne t’oublîrai
      [sic] point ; tu seras caporal ! — (Victor Hugo, Cromwell, acte IV, scène IV)
    • Depuis qu’il a fait fortune, il oublie ses parents, ses amis.
    • Il a des parents pauvres, qu’il oublie tout à fait.
    • Comptez sur moi, je ne vous oublierai pas dans l’occasion.
    • N’oublions pas les absents.
  9. Il se dit aussi par forme de reproche obligeant.
    • Vous ne venez plus nous voir, vous nous oubliez.
  10. (Pronominal) Manquer à ce qu’on doit aux autres ou à soi-même.
    • Il surveillait chacune de ses phrases, recommençait, quand il croyait s’être oublié. — (Émile Zola, Le Docteur Pascal, G. Charpentier, 1893, chapitre XII)
    • L’habitude était si forte chez elle, cette chanson faisait si bien partie de son être, que souvent, s’oubliant tout d’un coup, elle se reprenait à chanter. — (Octave Mirbeau, Contes cruels : La Chanson de Carmen (1882))
    • « Il y en a, voyez-vous, qui ne meurent pas. Ils… »
      Elle allongea méprisamment ses lèvres minces.
      « Ils s’oublient… Il faut chaque jour songer à la mort comme à l’heure la plus grave que Dieu ait faite.
      — (Marcel Arland, Terre natale, 1938, réédition Le Livre de Poche, page 197)
    • Elle était capable de s’oublier, sans retour sur soi, pour mon père, pour nous. Mais personne ne peut dire : « Je me sacrifie » sans éprouver de l’aigreur. Une des contradictions de maman, c’est qu’elle croyait à la grandeur du dévouement et que cependant elle avait des goûts, des répugnances, des désirs trop impérieux pour ne pas détester ce qui la brimait. Constamment elle s’insurgeait contre les contraintes et les privations qu’elle s’imposait. — (Simone de Beauvoir, Une mort très douce, Gallimard, 1964, Le Livre de Poche, page 50)
    • Se serait-il si fort oublié que de vous manquer de respect ?
    • Vous êtes-vous oublié jusqu’à ce point ?
    • Ce domestique s’est oublié au point de dire des injures à son maître.
  11. (Par extension) (Par euphémisme) Faire pipi sur soi.
    • La vieille dame s’est oubliée.
  12. (Par extension) (Par euphémisme) Faire pipi sans aller à la toilette.
    • Le cheval s'est oublié, non mais, qu'est-ce que cela signifie? avait demandé Edwarda au Roumain [...] : Le cheval a oublié qui ou quoi? continuait-elle, la voix dure. Il a oublié qu'il était un canasson, peut-être? Il se prenait pour Caracalla, des fois? Livio, est-ce que les mots ont encore un sens pour vous? Est-ce que cela vous écorcherait la bouche de parler comme tout un chacun, de dire qu'il a pissé? [...] S'oublier, c'est un poème, non? avait-elle dit en se tournant vers moi [...] : Écrire ça dans un roman, ce serait le comble du toc, n'est-ce pas? Tout se tient. On commence par fermer les yeux devant une vieille bourrique qui pisse, et ensuite on ne distingue plus rien de la réalité. — (Angelo Rinaldi, L’éducation de l'oubli, Denoël, 1974, pages 150-151)
  13. (Pronominal) (Familier) Commettre une incongruité.
  14. Ne pas être occupé de soi-même ; négliger ses intérêts.
    • D'autres se perdront, exilés de nulle part, s’oublieront dans un anonymat total, sous un faux nom. Anonymes même dans la mort, parfois. — (Sylvie Quesemand-Zucca, « Remarques d'une psychiatre-psychanalyste sur les défis que pose la grande exclusion », chapitre 8 de Clinique psychanalytique de l'exclusion, sous la direction d'Olivier Douville, Dunod, 2012, page 205)
    • S’oublier pour penser aux autres.
    • Dans la répartition des bénéfices, il ne s’est pas oublié.
    • C’est un homme qui soigne ses intérêts : il ne s’oublie jamais.
  15. (Loire) Se réveiller en retard.
    • Excusez moi, patron. Je me suis oublié !...
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

OUBLIER. v. tr.
Perdre le souvenir de quelque chose. Je savais tout cela par cœur, je l'ai oublié. Oublier sa leçon. Vous avez oublié de venir ce matin. J'avais oublié de vous dire telle chose. J'ai oublié qu'il devait venir me chercher. Vous avez oublié votre commission. N'oubliez pas que je vous attends. Absolument, Il oublie aussi vite qu'il apprend. Oublier l'heure, Laisser passer, par inattention, l'heure où l'on avait quelque chose à faire. J'avais un rendez-vous, j'ai oublié l'heure. Se faire oublier, Détourner l'attention de soi-même, faire que les autres ne pensent plus à ce que l'on a fait. Oublier qui l'on est, Se méconnaître; Vouloir s'élever par orgueil au-dessus de sa condition. Vous oubliez qui vous êtes. On dit aussi Vous oubliez qui je suis, Vous n'avez pas pour moi le respect, les égards que vous me devez.

OUBLIER signifie aussi Laisser quelque chose en quelque endroit, par inadvertance. Il a oublié ses gants, sa canne, son parapluie. Il signifie aussi Omettre, manquer à faire mention de quelque chose dans un écrit, dans un discours. Vous avez oublié le titre de ce livre dans votre catalogue. Vous avez oublié son nom sur votre liste. Il signifie aussi Négliger. Oublier le soin de sa fortune. Je n'ai rien oublié pour le persuader. On n'a rien oublié de tout ce qui pouvait lui être utile ou agréable. Il signifie aussi Manquer à quelque obligation. Oublier ses devoirs. Oublier le respect, les égards qu'on doit à quelqu'un. Il signifie aussi Ne point conserver de reconnaissance. Il a oublié tout ce que j'ai fait pour lui. Je n'oublierai jamais vos bienfaits. Je n'oublierai jamais ce que je vous dois. Il signifie aussi Ne point garder de ressentiment. Il faut vous réconcilier et oublier tout ce qui s'est passé. Oublier une injure, une offense. Prions Dieu d'oublier nos fautes. J'oublie le passé, mais ne recommencez pas. J'oublie ses torts et je lui pardonne. Il se dit souvent en parlant des Personnes et signifie Négliger quelqu'un, ne pas songer à lui, manquer à lui faire du bien dans une occasion qui se présente. Depuis qu'il a fait fortune, il oublie ses parents, ses amis. Il a des parents pauvres, qu'il oublie tout à fait. Comptez sur moi, je ne vous oublierai pas dans l'occasion. N'oublions pas les absents. Il se dit aussi par forme de reproche obligeant. Vous ne venez plus nous voir, vous nous oubliez.

S'OUBLIER signifie Manquer à ce qu'on doit aux autres ou à soi-même. Se serait-il si fort oublié que de vous manquer de respect? Vous êtes-vous oublié jusqu'à ce point? Ce domestique s'est oublié au point de dire des injures à son maître. Familièrement, il se dit par euphémisme pour Commettre une incongruité. Il signifie encore Ne pas être occupé de soi-même, négliger ses intérêts. S'oublier pour penser aux autres. Dans la répartition des bénéfices, il ne s'est pas oublié. C'est un homme qui soigne ses intérêts : il ne s'oublie jamais.

Littré (1872-1877)

OUBLIER (ou-bli-é), j'oubliais, nous oubliions, vous oubliiez ; que j'oublie, que nous oubliions, que vous oubliiez v. a.
  • 1N'avoir pas souvenir de. N'oubliez pas que je vous attends. En écrivant ma pensée, elle m'échappe quelquefois ; mais cela me fait souvenir de ma faiblesse, que j'oublie à toute heure ; ce qui m'instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tends qu'à connaître mon néant, Pascal, Pens. VI, 48. Qu'il n'y avait sans formalité qu'à vous dire ses intentions, et que vous iriez encore au delà et suppléeriez de vous-même à tout ce qu'il pourrait avoir oublié, Bossuet, Louis de Bourbon. Elle [la vérité] est dans les consciences, je dis même dans les consciences des plus grands pécheurs ; mais elle y est souvent oubliée, Bossuet, Sermons, Prédicat. 2. Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix, Racine, Phèdre, II, 2. Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même, Aux pieds de l'Éternel je viens m'humilier, Et goûter le plaisir de me faire oublier, Racine, Esth. I, 1. De ce couple perfide J'avais presque oublié l'attentat parricide, Racine, ib. II, 3. Avez-vous bien promis d'oublier ma mémoire ? Racine, Bérén. v, 5. Moins de cent quarante ans après, Archimède était déjà si parfaitement oublié de ses citoyens malgré les grands services qu'il leur avait rendus, qu'ils niaient qu'il fût enterré à Syracuse, Rollin, Hist. anc. Œuvr. t. X, p. 101, dans POUGENS. Il n'y a pas grand mal à être oublié, c'est même souvent un bonheur ; le mal est d'être persécuté, Voltaire, Lett. Marmontel, 29 sept. 1772. Oublier si vite ce qu'on a aimé, c'est flétrir le passé au moins autant que l'avenir, Staël, Corinne, XVII, 3.

    Il a peur que je n'oublie mon nom, c'est-à-dire il m'appelle sans cesse. Madame Perrinelle par-ci, madame Perrinelle par-là : elle a peur que j'oublie mon nom, je pense, Dancourt, les Vac. SC. 9.

    Fig. Il a oublié la commission, il a négligé de la faire et il a gardé l'argent.

    Avec un infinitif, oublier prend la préposition de. Je n'oublierai jamais d'avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu'on avait désolée avec la fable du loup et du chien, Rousseau, Émile, II.

    Familièrement. Il a oublié d'être bête, se dit d'une personne qui est loin de manquer d'intelligence.

    Absolument. Il apprend facilement et il oublie de même. On oublie trop et trop vite, Voltaire, Dict. phil. Arrêts notables.

  • 2Ne pas songer à. Il vaut mieux que nous oubliions le passé, Sévigné, 129. Si j'aime encor Thésée, oublié-je qu'il fuit ? Th. Corneille, Ariane, V, 5. Que deux cœurs unis sont heureux D'oublier le reste du monde ! Quinault, Rol. III, 2. Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser, La Bruyère, IV. Le meilleur parti qu'on puisse prendre contre la calomnie, c'est de l'oublier, Voltaire, Lett. l'évêque d'Annecy, 15 avr. 1768. J'oublie aisément mes malheurs, mais je ne puis oublier mes fautes, et j'oublie encore moins mes bons sentiments, Rousseau, Conf. VII.

    Oublier l'heure, laisser passer l'heure où l'on avait quelque chose à faire.

    Oublier l'heure, les heures, perdre le sentiment du temps en quelque occupation agréable. On oublie l'heure, les heures à lire, à jouer.

    Oublier de, avec un infinitif, manquer à quelque chose par défaut de mémoire. Je crois que vous n'avez pas oublié aussi d'écrire ou de faire faire un compliment par M. d'Hacqueville à Mme et à M. de Lavardin, Sévigné, 16 août 1671.

    Oublier à, même sens. J'oubliais à vous dire que…, Voiture, Lett. 167. J'oubliais à remarquer que la prison où je mets Égée est un spectacle désagréable que je conseillerais d'éviter, Corneille, Médée, Examen. On n'avait point oublié à délibérer sur la principale occupation de l'Académie, sur ses statuts et sur les lettres qu'il fallait pour son établissement, Pellisson, Hist. de l'Acad. I. J'ai oublié à vous dire qu'il y a des Escobar de différentes impressions, Pascal, Prov. VIII. J'oubliai inhumainement, contre l'ordinaire des grand'mères, à vous parler de ma petite d'Aix, Sévigné, 1680. Je crois que vous n'avez pas oublié à remercier Dieu, Sévigné, 16 août 1671.

    Oublier à, se dit ou plutôt s'est dit (car cette locution vieillit) pour perdre l'habitude de quelque chose. Si vous ne lisez jamais, vous finirez par oublier à lire. Le trouble de vos sens dont vous n'êtes plus maître Vous a fait oublier, seigneur, à me connaître, Corneille, Sophon. IV, 5.

  • 3Laisser par inadvertance. Il a oublié sa canne.
  • 4Omettre, ne pas faire mention de. Il a oublié une citation importante. Rendait-il compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée, Fléchier, Turenne.
  • 5Négliger. Pour elle contre vous qu'ai-je oublié de faire ? Th. Corneille, Ariane, I, 4. L'Égypte n'oubliait rien pour polir l'esprit, ennoblir le cœur, et fortifier le corps, Bossuet, Hist. III, 3. Je voudrais qu'elle [une affaire] fût perdue, à condition que celles de Jouarre prissent fin ; je n'y oublierai rien, Bossuet, Lett. abb. 61. Ils [les Romains] n'oublièrent rien pour avoir des chevaux numides, des archers crétois, des frondeurs baléares, des vaisseaux rhodiens, Montesquieu, Rom. 2.
  • 6Laisser de côté. Il oubliait sa grandeur. Vous avez oublié vos plus justes prétentions, quand il a fallu donner des marques de votre zèle et de votre foi, Bourdaloue, Myst. Résurrect. de J. C. t. I, p. 362.
  • 7Manquer à, se mettre hors. M. de Pompone n'était pas de ces ministres sur qui une disgrâce tombe à propos, pour leur apprendre l'humanité, qu'ils ont presque tous oubliée, Sévigné, 22 nov. 1679. On avait oublié pour ces étrangers jusqu'à cette politesse singulière qui distingue notre nation, Fléchier, Lamoignon. On se plaint qu'oubliant son sang et sa promesse, Il élève en sa cour l'ennemi de la Grèce, Racine, Andr. I, 1. Tes prières m'ont fait oublier mon devoir, Racine, Phèdre, IV, 6.

    Ne point conserver de reconnaissance. Oui, je vous ai promis et j'ai donné ma foi De n'oublier jamais tout ce que je vous doi, Racine, Bajaz. III, 5. Oublie tous mes services passés, regarde-moi comme un traître, et punis-moi de tous les crimes que je n'ai pu empêcher, Montesquieu, Lett. pers. 159.

    Ne point garder de ressentiment. Dans des fautes si sincèrement reconnues et dans la suite si glorieusement réparées par de fidèles services, il ne faut plus regarder que l'humble reconnaissance du prince qui s'en repentit, et la clémence du grand roi qui les oublia, Bossuet, Louis de Bourbon. Le bonheur de te voir me fait tout oublier, Voltaire, Adelaïde, II, 2.

    Absolument. Fontenelle, qui, par modération ou par prudence, ne se vengeait jamais et se plaignait rarement, oubliait encore moins, D'Alembert, Éloges, Despréaux.

  • 8En parlant des personnes, négliger quelqu'un, ne pas agir envers lui comme on le devrait. Il est vrai qu'on oublie bientôt les gens qui se sont dépouillés, Fénelon, Dial. des morts mod. X.

    Par forme de reproche obligeant. Vous ne venez plus nous voir, vous nous oubliez.

    N'oubliez pas les pauvres, les malades, les besoins de l'église, espèce de formule qui s'emploie à l'église, quand on quête pour les pauvres, pour l'œuvre, pour les besoins de l'église.

  • 9Oublier qui l'on est, se méconnaître, vouloir, par orgueil, s'élever au-dessus de sa condition.

    On dit aussi : vous oubliez qui je suis, c'est-à-dire vous n'avez pas pour moi les égards que vous me devez. Agamemnon : Oubliez-vous ici qui vous interrogez ? - Achille : Oubliez-vous qui j'aime et qui vous outragez ? Racine, Iphig. IV, 6.

  • 10S'oublier, v. réfl. Perdre le souvenir de soi-même. De cette étude opiniâtre Quel charme le rend idolâtre ? C'est qu'il s'oublie, et c'est assez, Lamotte, Odes, t. I, p. 284, dans POUGENS. Ah ! vous pleurer est le bonheur suprême, Mânes chéris de quiconque a des pleurs ; Vous oublier c'est s'oublier soi-même : N'êtes-vous pas un débris de nos cœurs ? Lamartine, Harm. II, 1.
  • 11Être oublié. Cette affaire me parut si médiocrement bonne, que je souhaitai qu'elle s'oubliât tout à fait, Staal, Mém. t. III, p. 171. Il [un scandale] fut bientôt oublié, comme tout s'oublie, Voltaire, Dict. phil. Ordination. Malesherbes, Turgot, ô vous en qui la France Vit luire hélas ! en vain, sa dernière espérance, Ministres dont le nom ne s'est point oublié, Chénier, Hymne à la France.
  • 12Ne plus penser à l'heure, à ce qu'on fait. Heureux cent fois l'auteur avec qui l'on s'oublie ! Lamotte, Odes, t. I, p. 335, dans POUGENS. Ils s'oublient quelquefois chez Mlle l'Espinasse, Marmontel, Mém. VII. Mais je m'oublie tout en causant ; il est midi ; j'ai vingt personnes à déjeuner qui doivent être arrivées à présent, Genlis, Théât. d'éduc. l'Enfant gâté, I, 1.
  • 13Perdre le souci, le soin de soi-même. Absorbé tout en toi par un parfait amour, Je m'oublierai moi-même et fuirai tout le reste, Corneille, Imit. IV, 13. Que dis-je ? en ce moment mon cœur hors de lui-même S'oublie et se souvient seulement qu'il vous aime, Racine, Bérén. IV, 5. Il faut s'oublier entièrement quand on veut instruire les hommes, et n'avoir en vue que la vérité, Voltaire, Dict. phil. Esséniens.

    Particulièrement. Négliger le soin de ses propres intérêts. Il ne s'est pas oublié. Et je dois d'autant moins oublier sa vertu, Qu'elle-même s'oublie, Racine, Esth. II, 3. Il s'oublie lui-même pour se sacrifier au bien public, Fénelon, Tél. V. Nous avons oublié M. Abauzit ; ah ! dites, méchant ami ! cet homme respectable qui passe sa vie à s'oublier soi-même, doit-il être oublié des autres ? Rousseau, Lett. à M. Vernes, Correspondance, t. V, p. 36, dans POUGENS.

  • 14Faire avec négligence. Si le peintre ne se fût pas oublié dans le petit paysan, les raisins n'eussent pas eu ce succès prodigieux, Fontenelle, Athénaïs.
  • 15Manquer à ce que l'on doit aux autres ou à soi-même. Une grande princesse à ce point s'oublier, Que d'admettre en son cœur un simple cavalier ! Corneille, Cid, I, 3. David s'oublie pour un peu de temps, Bossuet, Hist. II, 4. Le roi blâma le premier président en le taxant d'impertinent qui s'oubliait, Saint-Simon, 110, 188. Dès qu'on a oublié la dignité de son état, on s'oublie bientôt soi-même, Massillon, Confér. Man. dont les clercs doivent se cond. dans le monde. Sortez, Lucinde ; quand de grands seigneurs s'attachent à de petites créatures comme vous, elles ne doivent pas pour cela s'oublier, Lesage, Gil Bl. liv. V, ch. 1. À cet indigne mot je m'oublierais peut-être, Voltaire, Adél. du Guesclin. II, 2. Il s'oublia jusqu'à présenter un mémoire au sénat pour me faire arrêter, Rousseau, Confess. VII.
  • 16Devenir vain, orgueilleux. Les parvenus s'oublient aisément. Il faut s'oublier soi-même pour cela [les grandeurs], et croire qu'on a quelque excellence réelle au-dessus d'eux [les inférieurs], Pascal, Condition des grands, I. L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie : Chapelain veut rimer, et c'est là sa folie, Boileau, Sat. IV. Les ennemis offensés de sa gloire… En leur fureur de nouveau s'oubliant, Racine, Poés. div. Idylle sur la paix. Polyphonte, abusant de mon triste destin, Ose enfin s'oublier jusqu'à m'offrir sa main, Voltaire, Mérope, II, 1.
  • 17On a dit, dans le XVIIe siècle, s'oublier de, ne plus songer à, emploi qui a vieilli. De mon propre néant jamais ne m'oublier, Corneille, Imit III, 21. Et, s'oubliant de ce qu'il est en lui-même, il [un grand, flatté] se va chercher dans les discours des autres, et s'imagine être tel que la flatterie le représente, Bossuet, Sermons, Honneur du monde, 2. Que les sciences humaines s'oublient de leur dignité, jusqu'à n'avoir plus d'usage que dans le commerce, ce n'est pas à moi, chrétiens, de le déplorer dans cette chaire, Bossuet, Panég. sainte Cather.

    On a dit aussi dans le même sens : s'oublier que. La bravoure l'a emporté sur la prudence, et l'on s'est oublié que l'on était capitaine pour faire le métier de soldat, Fléchier, Réflex. sur les diff. caract. des hommes, 1.

PROVERBES

Il n'oublie pas ses mains, se dit d'un homme qui vole ou qui exige.

Est bien fou qui s'oublie, c'est-à-dire c'est une folie de ne pas songer à soi.

HISTORIQUE

XIe s. L'enseigne [de] Charle n'i devons ublier, Ch. de Rol. X.

XIIe s. Geofroiz d'Anjou ne s'est pas oblié [n'a pas oublié ce qu'il avoit à faire], Ronc. p. 166. Quant jà pour riens qui soit née N'oublierai ceste honor, Couci, I. Pour ce n'ai-je mie oublié à aimer bien et loiaument, ib. p. 121. …Baudoin, garde-toi ; Trop te puez oblier avec fame de roi, Sax. I, p. 120. E à un hospital à dous liwes de là, à heberchier les povres li reis ne s'ublia ; Kar de rente à cel liu par an cent sols dona, Th. le mart. 159.

XIIIe s. Et Symons passe avant [s'avance], mie ne s'oublia, ib. CXXXI. Diex, qui n'oublie pas les siens, Chr. de Rains, p. 43. Et por la joie convient lors Que li cuers oblit ses dolors, Et les tenebres où il iere [était], la Rose, 2754. Je vous avoie oublié à dire que, quant le comte de Japhe fu descendu, il fist tendre ses paveillons, Joinville, 215.

XVe s. Car je voy bien, qui aime à tart oublie, Deschamps, Poésies mss. f° 366. Allez, n'oubliez pas à boire, Si vous trouvez Martin garant, Patelin. En cette compaignie ne s'oublia pas le bon Bouciquaut, qui moult envis eust demeuré derriere, Bouciq. I, 11. Tout oublié devint, sa maladie luy osta la memoire, Gerard de Nevers, p. 88, dans LACURNE. Les personnes qui en la place estoient, avoient comme tout oublyé leur memoire, car il ne leur souvenoit fors que ce qu'ilz veoient, Perceforest, t. II, f° 117.

XVIe s. Au milieu des tormens, oubliant ma douleur, Je me resjouïray de voir vostre malheur, Du Bellay, J. III, 74, verso. Celles que forte amour a fait oublier [s'oublier], Marguerite de Navarre, Nouv. XLIX. Je m'y plaisois, mais je ne m'y oubliois pas, Montaigne, III, 379. Il avoit ouï dire qu'il se falloit oublier pour le prochain, Montaigne, IV, 150. Quand on les jette, comme on dit, avec les pechez oubliez, Lanoue, 149. Il s'en oublia [il oublia sa promesse] ou n'osa, Carloix, III, 1. Encores s'oublierent ils d'ung merveilleux advantaige qu'ils avoient sur nous, Carloix, III, 22. Il s'oublia jusques à dire des paroles presomptueuses, et user de fieres menaces, Amyot, Cat. d'Utiq. 37. S'ils ont envie de fourvoyer, qui les redressera ? s'ils s'oublient, qui les corrigera ? Amyot, Mor. épît. 4.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

OUBLIER, v. act. (Gramm.) perdre la mémoire ; on oublie une langue qu’on a apprise ; on oublie quelquefois ses amis dans l’absence ou dans le besoin ; on oublie une injure ; on n’oublie rien pour pallier ses torts ; on oublie de faire une visite utile ; on oublie le respect qu’on doit à un magistrat ; on s’oublie quand on perd de vûe ce qu’on est ; l’homme s’oublie dans le plaisir ; il y a des occasions où il ne faut pas s’oublier, &c. D’où l’on voit combien de formes diverses le besoin fait prendre à ces expressions, & combien la langue est pauvre, comparée à la nature & à l’entendement.

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Étymologie de « oublier »

Du latin populaire *oblītāre (Gaule et Ibérie), formé d’après oblitus, participe passé de oblīvisci. (Vers 980) oblider.
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Bourg. obliai ; Berry, oblier, obelier ; provenç. oblidar ; espagn. olvidar ; ital. obbliare ; d'un verbe fictif oblitare, fait du supin oblitum, de oblivisci, oublier, qui vient de ob, et d'un radical liv que Corssen, Nachtr. p. 34, rattache à livor, livere, lividus ; oblivisci signifierait donc pâlir, s'obscurcir. HORACE, Odes, IX, 30, a dit lividas obliviones.

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Phonétique du mot « oublier »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
oublier ublije

Fréquence d'apparition du mot « oublier » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « oublier »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « oublier »

  • Sourire - c'est oublier la grimace.
    Gunnar Björling — Pensée
  • Le gouvernement prépare un plan de soutien à l’emploi des jeunes. Pour Gilles de Labarre, président de l’association Solidarités nouvelles face au chômage, « il ne faut pas oublier la cohorte des seniors, dont les chances de retrouver un emploi sont faibles ».
    La Croix — Emploi, « il ne faut pas oublier les seniors »
  • Celui qui sait avouer peut oublier.
    Francis Picabia — Écrits
  • Comment exercer sa mémoire pour savoir oublier ?
    Stanislaw Jerzy Lec — Nouvelles pensées échevelées
  • Rien ne me paraît plus faux que la maxime socratique : Connais-toi toi-même. Le vrai moyen de connaissance serait plutôt : Oublie-toi toi-même.
    Paul Claudel — Mémoires improvisés, Gallimard
  • Il est agréable d'oublier la sagesse à propos.
    Horace en latin Quintus Horatius Flaccus — Odes, IV, XII, 28
  • L’optimiste rit pour oublier ; le pessimiste oublie de rire.
    Anonyme
  • L'homme est né pour souffrir, oublier et se taire.
    Léon Dierx
  • Souviens-toi d'oublier.
    Friedrich Nietzsche
  • Il faut oublier pour rester présent, oublier pour ne pas mourir, oublier pour rester fidèle.
    Marc Augé — Le Monde de l'éducation - Juillet 2001
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Images d'illustration du mot « oublier »

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Traductions du mot « oublier »

Langue Traduction
Anglais forget
Espagnol olvidar
Italien dimenticare
Allemand vergessen
Chinois 忘记
Arabe ننسى
Portugais esqueço
Russe забывать
Japonais 忘れる
Basque ahaztu
Corse scurdate
Source : Google Translate API

Synonymes de « oublier »

Source : synonymes de oublier sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « oublier »

Combien de points fait le mot oublier au Scrabble ?

Nombre de points du mot oublier au scrabble : 9 points

Oublier

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