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Voir

Définitions de « voir »

Trésor de la Langue Française informatisé

VOIR, verbe trans.

1reSection. Domaine des perceptions phys.; p. ext., domaine des perceptions phys. mettant en jeu un sens différent de celui de la vue.
I. − Percevoir par le sens de la vue.
A. − Voir + subst. compl. d'obj.
1. [Le subst. désigne un objet, une réalité du monde phys.]
a)
α) Enregistrer l'image de ce qui se trouve dans le champ visuel, d'une manière passive, sans intention préalable; en percevoir la forme, la couleur, la position, le mouvement. Synon. apercevoir, découvrir, distinguer, remarquer.Voir un paysage; voir une forme, une silhouette; voir qqn sans être vu; regarder et ne pas voir qqc./qqn. La maison des Vallier, derrière les vignes, était silencieuse, mais on voyait de la lumière par les fentes des volets (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 260).V. découvrir ex. 4, lunette B 1 ex. de Dumas père, œil ex. 11:
1. ... Suzanne et moi nous montions tout en haut [de l'arbre], et de la cime on criait à ceux des régions inférieures: « On voit la mer! On voit la mer! » − En effet, quand le temps était clair, on apercevait la petite ligne d'argent qu'elle faisait à quinze kilomètres de là. Gide, Si le grain, 1924, p. 412.
[Le suj. ou l'agent désigne l'organe de la vue] La nature nous a donné, comme aux animaux, des yeux pour voir les objets que la lumière éclaire (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 151).Il croyait découvrir des choses inconnues et nouvelles, non point les choses que voyait son œil, mais des choses que pressentait son âme (Maupass., Contes et nouv., t. 2, M. Parent, 1886, p. 618).V. courrier I B 3 rem. ex. de Delille.
[P. réf. à la vision du peintre] La peinture n'est pas plus la nature que la poésie n'est le dictionnaire. Elle est activité mentale et ce que le peintre montre est non ce qu'il voit mais ce qu'il pense de ce qu'il voit (Esprit, févr. 1992, p. 61).
En partic. Percevoir quelque chose à travers quelque chose. Son regard venait de se poser sur une nuque rouge, ravinée (...); il voyait des épaules pointues dans une blouse d'un bleu de ciel, des jambes tordues en cep de vigne: Célestin! (Châteaubriant, Lourdines, 1911, p. 101).On voit tes/ses côtes. Tu es/il est trop maigre. Vous devez prendre trois kilos pour être présentable. Vous avez la joue creuse et on voit vos côtes (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 36).
P. anal. [Le suj. désigne un lieu] Être situé face à. La douceur d'une terre qui voit le couchant (Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 122).Pelvoux tout enivré de la senteur des sauges, Cenis qui voit l'Isère, Albis qui voit les Vosges (Hugo, Légende, t. 5, 1877, p. 1188).
Voir qqc./qqn + (loc.) adv., compl. prép. ou dans un énoncé exprimant les conditions, les modalités de la perception.
[Exprimant la manière dont on perçoit, la qualité de la perception] Voir clairement, confusément, à demi, à peine qqc./qqn; voir du coin de l'œil, du premier coup d'œil qqc./qqn. Nous nous reposâmes à l'ombre d'un buisson de myrte, d'où nous pouvions voir d'un seul coup-d'œil l'océan, la ville, le Tage, un horizon illimité (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 294).Plus la frégate approchait, plus on voyait distinctement ce petit canot: il était sale, presque démembré (Sue, Atar-Gull, 1831, p. 30).V. nettement B ex. de Rolland et ex. 1.
[Exprimant la position, la situation de l'objet par rapport au sujet ou réciproquement] Voir à distance, au loin qqc./qqn; voir de loin, d'en-bas, d'un balcon, d'une fenêtre, du haut d'une tour qqc./qqn; voir à l'envers, de dos, en perspective qqc./qqn. La petite Constant... C'est la fille du père Constant, le coiffeur de la rue Vavin; tu vois d'ici sa boutique bleue, surmontée d'une boule d'or, d'où pend une queue de cheval (A. France, Vie fleur, 1922, p. 392).[La neige] se confondait avec la poussière. Elle n'était qu'une sorte de poussière de plâtre, versée avec le reste dans le tourbillon. Au delà de cinquante mètres, on ne voyait rien (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 22).V. on II A 2 ex. de Giraudoux.
Voir qqc./qqn de face*, de profil*.
[Exprimant l'apparence] Nous avons beau savoir que le soleil est un globe immense, nous le voyons toujours sous l'aspect d'un disque de quelques pouces (Durkheim, Divis. trav., 1893, p. 69).
[Exprimant le moyen utilisé] Voir au/avec un télescope; voir dans une lunette. Il faut le microscope pour voir le mouvement brownien (H. Poincaré, Valeur sc., 1905, p. 200).D'où nous étions, on voyait très bien les dîneurs, et ils attirèrent mon attention beaucoup plus que le spectacle. Avec ma lorgnette je les voyais admirablement (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 261).
Voir qqc./qqn à l'œil* nu.
Loc. fig. Voir qqc. par le petit bout/par le gros bout* de la lorgnette*, par le petit bout/par le gros bout de la lunette*.
Voir qqc. à qqn/qqc.[Le compl. prép. désignant celui/ce qui porte la particularité désignée par le compl. d'obj.] Elle le poussa si rudement, qu'il tomba contre un meuble; et elle éclata d'un rire involontaire, en lui voyant une bosse au front (Zola, Nana, 1880, p. 1460).Les temps se font moins durs. On voit des pointes jaunes aux genêts... (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 297).
β) Loc. et expr. métaph. ou fig. Voir la feuille* à l'envers. Voir/avoir vu le loup*, la lune*. Voir midi* à sa porte. Voir la paille* dans l'œil* du voisin et ne pas voir la poutre qui est dans le sien. En voir la farce* (v. farce2). N'y voir que du bleu*, que du feu (v. feu1). Quand on parle du loup*, on en voit la queue.
En partic.
Voir le jour*.
Voir le jour/la lumière/le soleil. Vivre. Mon enfant en moi, cet enfant intérieur en moi, cette chose en moi qui est appelée à voir le soleil à ma place, pour la première fois il a bougé (Claudel, Père humil., 1920, iv, 2, p. 560).
Voir le jour/la lumière. Apparaître, se montrer. Une caissière parisienne ne pare que sa tête et son buste, le reste ne voit guère le jour (Colette, Sido, 1929, p. 8).
Voir le jour à/au travers (d'une chose érodée, usée). C'est (...) une femme du monde qui t'a mis dans cet état-là? (...) Oh! te voilà comme une carcasse abandonnée par les corbeaux... on voit le jour à travers! (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 320).On m'a jeté cet os à ronger et je l'ai si bien travaillé que je vois le jour au travers (Sartre, Mots, 1964, p. 49).Absol. La femme de ménage avait jeté le morceau de savon de sa table de toilette. Elle prétendait qu'il n'y en avait presque plus, qu'on voyait au travers (Montherl., Célibataires, 1934, p. 858).
Voir le bout/la sortie du tunnel. Arriver au bout d'une période difficile. Ah! la bonne, la magnifique nouvelle [Mussolini avait démissionné] (...) il lui semblait déjà qu'il voyait la sortie de ce tunnel de quatre ans (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 262).
Voir le bout, la fin (d'un travail de longue haleine, d'une somme à dépenser). Venir à bout de. J'ai été depuis deux mois et demi absorbé par un travail dont j'ai vu la fin hier seulement (Flaub., Corresp., 1863, p. 110).À combien pensez-vous que s'élèveront les frais d'étude? Deux mille?Oh non! (...) Je pense que vous en verrez le bout avec mille (Montherl., Célibataires, 1934, p. 792).V. fin1A 1 c ex. de Flaubert.Souvent p. iron. On n'en voit pas la fin. C'est d'une solidité à toute épreuve; cela dure interminablement. [Les lattes de la charpente] venaient de perches de châtaignier (...). Elles passaient pour inusables, on n'en voyait pas la fin (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 137).
Voir le fond de sa bourse. Évaluer ses ressourses. Je continuais à dépenser mon bonheur avec prodigalité et je ne voyais pas le fond de ma bourse (Duhamel, Confess. min., 1920, p. 61).
Ne pas laisser voir le fond de sa bourse. V. bourse1I B 4.
Ne pas voir un liard/un sou; ne pas voir la couleur de l'argent de qqn. Ne pas entrer en possession, ne pas pouvoir recouvrer une somme d'argent qui est due. Une créance de quatorze mille francs (...) a été flibustée par un brave cousin chargé de nos affaires. (...) je crois que je n'en verrai jamais un liard (Flaub., Corresp., 1872, p. 34).Si au moins j'avais fini de vendre mes villas et mes terrains! (...) et comme de plus j'ai consenti pour les dernières que j'ai vendues des facilités de paiement, avec le moratorium je ne verrai plus un sou (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 163).V. couleur I A 1 d ex. de Audiberti.
b)
α) [Implique une prise de conscience de l'objet perçu, de ses caractéristiques] Remarquer, observer. Soudain, j'ai vu mes ongles usés, mes doigts imprégnés d'une crasse indélébile par le nettoyage du poêle, par le balayage, le lavage (Frapié, Maternelle, 1904, p. 103).V. différemment A ex., dire1ex. 1:
2. Il y a une immense différence entre voir une chose sans le crayon dans la main, et la voir en la dessinant. Ou plutôt, ce sont deux choses bien différentes que l'on voit. Même l'objet le plus familier à nos yeux devient tout autre si l'on s'applique à le dessiner: on s'aperçoit qu'on l'ignorait, qu'on ne l'avait jamais véritablement vu. Valéry, Degas, 1949 [1936], p. 57.
Savoir voir qqc.Ces vitraux (...) ont une manière à eux, violente et impérieuse, d'ordonner le poème de la couleur. Si les gens savaient voir, s'ils avaient su voir et comprendre ces verrières, (...) il n'aurait pas été nécessaire d'attendre le coup de poing des Ballets Russes, en 1909, pour affranchir notre œil et notre entendement d'une servitude plusieurs fois séculaire (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 34).
Ne pas/ne plus voir qqc.; ne rien voir. Ce jour-là, il faisait sec et froid. Léon, dans la forêt, littéralement ne voyait plus la nature: il était trop occupé de ses affaires. Il « tirait des plans » (Montherl., Célibataires,1934, p. 883).Il marcha à grands pas, sans rien voir sur son chemin, tout occupé à imaginer dans les moindres détails comment il s'y prendrait s'il lui échéait d'avoir à tuer Mathilde (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 258).
[Le compl. d'obj. désigne une pers.] Tu étais mère, tu n'étais que mère. Ton attention se détourna de moi. Tu ne me voyais plus (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 77).Michel: Sophie! tu me fais une scène, ma parole! Moi qui te connais par cœur. Yvonne: Il est possible que tu me connaisses par cœur. Mais tu ne me regardes pas. Tu ne me vois pas (Cocteau, Parents, 1938, i, 4, p. 203).[Le suj. désigne l'organe de la vue] Madame de Sannis souriante paraissait dormir en marchant; ses yeux passèrent sur moi sans me voir (Jouve, Scène capit., 1935, p. 203).[P. réf. à la loc. fam. circulez, il n'y a rien à voir] Enfermé dans son bunker, (...) [le général Schwarzkopf] synthétisait toutes les données. Dehors, les observateurs circulaient, car il n'y avait rien à voir (L'Express, 18 mars 1993, p. 63).
Faire voir qqc.Montrer. Elle l'a emmené en voiture, seule, deux heures dans Madrid, pour lui faire voir le clair de lune... (Goncourt, Journal, 1864, p. 21).Les choses vues et que le poète nous fait voir sont moins la vive prise de l'œil qu'elles n'émergent d'un souvenir de sensation, d'une ancienne vision (Durry, Nerval, 1956, p. 19).Absol. Tenez, regardez-la, la montre. Le Bœuf: Fais voir. Où as-tu trouvé ça? (Audiberti, Femmes Bœuf, 1948, p. 122).
[Le suj. désigne une chose] Permettre de voir; laisser voir, donner à voir. Un rayon de lune fait voir l'escalier de pierre (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 114).
P. ext. Permettre d'apprécier, de sentir. L'ornement doit être pris dans la matière même, comme s'il avait pour fin d'en mieux faire voir le grain et la dureté (Alain, Beaux-arts, 1920, p. 185).
Se faire voir
Empl. pronom. réfl. S'exposer aux regards.
Paraître, se montrer (en public); se faire admirer. Les bruits de coulisses en disaient un grand bien, et, même sans cela, cette représentation eût toujours été un prétexte de se parer et de se faire voir (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 173).Tu es bien belle, ma petite (...). Marguerite sourit, sans aucune gêne apparente, tourna sur elle-même pour se faire mieux voir (Aymé, Jument, 1933, p. 232).
Au fig. Se faire bien voir. Se faire apprécier; se faire bien considérer. Mes fréquentations, je suis sûr qu'elles me donneraient aux bourres pour bien se faire voir, si elles savaient où je suis (R. Fallet, La Grande ceinture, Paris, Gallimard, 1982 [1956], p. 195).
Pop. Aller se faire voir ailleurs. Aller s'installer ailleurs; déménager. Une fois la tourmente conjurée, on lèverait le camp par une belle nuit... On transborderait notre matériel et on irait se faire voir ailleurs!... Dans un autre quartier!... L'endroit était plus possible... (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 534).Disparaître. Bon là, ils y étaient les autres. Du coup, lui, il est allé se faire voir ailleurs (Le Monde, 21 sept. 1987, p. 44, col. 5).
Arg. [Pour se débarrasser de qqn] Va/allez te/vous faire voir (ailleurs). Allô, Avila? Comment ça va chez vous? Ici la gare.Va te faire voir, salaud (Malraux, Espoir, 1937, p. 435).Un clergyman vint mettre son nez dans l'affaire et s'adressa à John:Mon garçon, il est honteux de jurer comme vous venez de le faire! (...)Vous, le pasteur, allez vous faire voir ailleurs! (Exbrayat, On se reverra petite, 1964, p. 52).Va/allez te/vous faire voir chez/par les Grecs. V. grec II A 3.[Marque la stupéfaction, la surprise gén.] Va te faire voir! Les nègres, vous vous en rendrez tout de suite compte, c'est tout crevés et tout pourris!... Dans la journée c'est accroupi (...) et puis aussitôt qu'il fait nuit, va te faire voir! Ça devient tout vicieux! tout nerfs! (Céline, Voyage, 1932, p. 208).
Empl. pronom. indir. Se montrer quelque chose l'un à l'autre. Deux jeunes filles, rapprochant leurs fronts, se faisaient voir une bague (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 48).
Laisser voir qqc. (à qqn).Montrer. Vous pourriez laisser voir seulement le bout du petit doigt (...) je vous reconnaîtrais encore (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 143).Donner à voir, montrer. Le pauvre jeune séminariste (...) nous montrait ces gravures que jamais on ne lui avait laissé voir (Michelet, Journal, 1835, p. 169).Leurs manches retroussées laissaient voir les bras velus gonflés de veines (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 182).
Loc. adv., p. métaph. Laisser voir à nu. Emma ressemblait à toutes les maîtresses; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l'éternelle monotonie de la passion (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 30).
Se laisser voir.Se montrer. Ma joue est hideuse, et mon miroir me fait horreur. L'accoutumance ne vient pas, et je n'ose me laisser voir dans la rue (Amiel, Journal, 1866, p. 304).
Au fig. [Avec attribut] Être, paraître. Malgré le débraillé et le sans-gêne des professeurs, cet examen se laissait voir plus sérieux au fond que l'examen de droit auquel nous venions d'assister (A. France, Vie fleur, 1922, p. 435).
Être vu.Synon. de se faire voir (supra).Toute la mode anglaise de l'été est créée dans la perspective de Wimbledon où il est de bon ton d'être vu, et ce depuis 1877 (Jeux et sports, 1967, p. 1380).
Adj. ou loc. exprimant un sentiment ou un jugement, gén. dépréc. + à voir.Être curieux, effrayant, laid à voir; faire peine à voir; ce n'est pas beau à voir. Il y en avait un surtout, au fond de la cour, gros, grand, replet (...) mais vieux et sans dents (...). Ce chien était affreux à voir (Janin, Âne mort, 1829, p. 23).T'as bonne mine... ça fait plaisir à voir... (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 305).
β) En partic. Se rendre compte de l'état d'esprit, des sentiments, de la compétence de quelqu'un en observant son comportement ou sa mimique.
[Le compl. d'obj. désigne une pers. et, p. méton., son visage, son attitude] Voir la figure, la gueule de qqn; voir la mine, l'air étonné, le sourire moqueur de qqn. Ce n'est pas la science qu'elle aime, c'est le savant! c'est aussi clair! Il n'y a qu'à la voir avec Lucy, d'ailleurs: elle en est jalouse (Pailleron, Monde ou l'on s'ennuie, 1869,i, 7, p. 29).Grisé par son amour, ou par son amour-propre, le baron ne vit pas ou feignit de ne pas voir la moue que fit le violoniste (Proust, Sodome, 1922, p. 1074).Elle lui a pris le menton en l'appelant: « Mon gros toutou ». Si tu avais vu sa bille! Elle n'a pas insisté! (Vercel, Cap. Conan, 1934, p. 99).Vous croyez que je ne voyais pas votre manège? Je n'ai pas les yeux dans ma poche, mon bonhomme (Sartre, Nausée, 1938, p. 208).
[le compl. d'obj. désigne ce que traduit l'expression du visage ou l'attitude de qqn] Voir l'embarras, la fatigue, la gêne, la honte, l'irritation de qqn. Rosenthal doit avoir des idées de derrière la tête. On lui voit cette satisfaction hypocrite des hommes qui font des plans (Nizan, Conspir., 1938, p. 56).
Loc. Il fait beau voir. V. beau I A 2 a ex. 30 et 32.
Laisser voir qqc.Ces femmes, gênées dans leurs toilettes, se savaient endimanchées et laissaient voir naïvement une joie qui prouvait que le bal était une rareté dans leur vie occupée (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 210).Je posai la question devant quelques amis, laissant voir une partie de mon désarroi (G. Bataille, Exp. int., 1943, p. 23).
Qqc.1se laisse voir à, dans qqc.2[Avec compl. désignant une réalisation concr.]Un genre de dépit se laisse voir dans ce dessin intempérant, si profondément lié, de toutes façons, à l'envie (Alain, Beaux-arts, 1920, p. 294).L'écriture un peu grande et anguleuse du généraloù l'on ne sait quoi aussi de féminin se laissait voir au mouvement de certaines lettres (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 279).
[Le compl. d'obj. désigne une qualité ou une fonction de la pers.] En le contemplant sur une escabelle, les yeux hagards, la tête affaissée sur la poitrine (...) l'assassin disparaissait; je ne voyais plus que l'homme, et les sentimens d'horreur faisaient place à ceux de la pitié (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 295).Tout t'est possible, Ferdinand! Tout! L'enveloppe seule est humaine! Mais je vois le monstre! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 453).
Expr. C'est à/sur... qu'on voit.C'est à ses outils qu'on voit le bon ouvrier. C'est sur la passerelle qu'on voit le marin (Peisson, Parti Liverpool, 1932, p. 14).
c) [Implique une intention, de l'intérêt pour l'objet de l'action]
α) [Gén. avec verbe ou énoncé indiquant que le suj. se déplace pour accomplir l'action] Regarder, examiner, inspecter, visiter. J'irai demain à Anvers voir ma flotte, et ordonner des travaux (Napoléon Ier, Lettres Joséph., 1810, p. 204).Le matin est venu débarbouiller la fenêtre. Je me suis levé pour aller voir le temps. La pluie n'avait guère diminué (Barbusse, Feu, 1916, p. 118).
En partic.
[Le compl. d'obj. désigne une œuvre d'art, une curiosité, le mode de présentation ou le lieu où elle est présentée] (Aller) voir une exposition, des dessins, des tableaux. Hier, il a été voir un tas de médailles à la Bibliothèque; aujourd'hui, il est allé voir le cabinet de minéralogie au Jardin des Plantes (Goncourt, Journal, 1860, p. 722).Un jour, elle alla voir le rhinocéros à la foire et demanda à un gros homme habillé en Turc, si c'était lui le rhinocéros (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 241).
[Le compl. d'obj. désigne un lieu] À propos, me dit Prudence, vous n'avez pas vu l'appartement; venez, que je vous le montre (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 92).Le mieux ce serait de nous rencontrer vers les sept heures du soir. Comme ça, tu auras pu un peu te promener, voir Paris. Puisque tu y es... (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 316).Voir du pays. V. pays1.
Faire voir qqc.C'était le fils du garde qui nous faisait voir le château,abandonné depuis longtemps (Nerval, Filles feu, Angélique, 1854, p. 569).
[Le compl. d'obj. désigne un spectacle, une manifestation] Synon. assister à (v. assister1A 2).Le mois dernier, j'ai été en Angleterre, pour voir le match entre Oxford et Cambridge (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1499).Nous allâmes voir un examen à la Faculté de Médecine (...). Le candidat, déjà gros et chauve, ne paraissait plus très jeune. Il promenait avec hésitation son scalpel sur un cadavre étendu devant lui (A. France, Vie fleur, 1922, p. 434).
P. anal. Voir un film. Assister à la projection d'un film. Au part. passé. Ils allaient chaque samedi au cinéma. Ils y allaient malgré le manque d'air dans la baraque sonore, malgré les vieux films presque toujours déjà vus (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 226).Voir un acteur dans... Voir jouer un acteur dans... Une dernière fois, Paris l'avait vue dans une féerie: Mélusine, au théâtre de la Gaîté (Zola, Nana, 1880, p. 1471).
(Être) à voir.(Être) digne d'intérêt. Mon Dieu! dit-il, on pourrait aller au musée (...).Il y a des antiquités, des images, des tableaux, un tas de choses. C'est très instructif (...). Oh! c'est à voir, au moins une fois (Zola, Assommoir, 1877, p. 441).[L'objet du procès est une pers.] Jeanne Essler, dans la pièce nouvelle de d'Ennery et Brésil, et MlleBarthet sont, certes, à voir, celle-ci près de celle-là (Mallarmé, Dern. mode, 1874, p. 772).
À l'impér. [Pour montrer, présenter qqc.] Albert, montrant Antoinette. Chère amie, voyez cette enfant. Elle est phtisique jusqu'à la moelle des os, et n'ira pas jusqu'au printemps (Curel, Nouv. idole, 1899, i, 4, p. 174).[Pour s'inciter soi-même à examiner qqc.] Voyons. Voyons donc cette ressemblance tant vantée... Elle n'est pas mal, ma foi! (Nerval, Filles feu, Corilla, 1854, p. 679).
β) Prendre connaissance du contenu d'un texte, d'une liste de chiffres; découvrir en lisant. Voir le courrier, le cours de la Bourse; voir un article, un laissez-passer. Six mille, ils m'en ont donné!... Et Cristina l'avait payé dix-huit!... Je le sais, j'ai vu la facture! (Bourdet, Sexe faible, 1931, ii, p. 366).Il vous a prévenu de vive voix?Non, par une lettre. (...) Si vous voulez voir la lettre... Maigret n'y jeta qu'un coup d'œil (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 140).
[Avec un adv.] Il nous faut quand même régler une foule de petites choses, et voir de près, malgré tout, d'assez fâcheuses paperasses (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 274).À l'impér. Roger, à la duchesse: Ah! ce sont ses cahiers. Donnez, Suzanne (...). La duchesse: Voyons un peu ces cahiers! (Pailleron, Monde où l'on s'ennuie, 1869, i, 15, p. 64).
γ) En partic.
Étudier, apprendre dans un cours, dans un exposé, dans un livre. Eugène a fait expliquer devant moi à Adolphe ce que nous avions vu le matin de l'auteur latin (Delécluze, Journal, 1828, p. 498).
[Pour rappeler ce qui a été dit, introduire ce qui va être dit] (Comme) on l'a vu/on le verra. Le temps,milieu et support du phénomène musical (nous l'avons vu au chapitre XIII),est hors de portée de l'expérimentateur (Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p. 144).
Prendre pour exemple, se reporter à.
À l'impér. Vois le facteur aux huîtres! comme ils l'ont mis en pièces! Quel était son tort, à cet homme? Trop bon enfant, voilà tout... (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 168).
À l'inf. Synon. de confer (abrév. cf, v. conférer1A spéc.).Voir page..., chapitre...; voir (dans tel ouvrage) l'article, l'histoire... Ceci [que ce soit le difficile qui vaille par définition] n'est pas chrétien, pas du tout, ceci est stoïcienc'est-à-dire exactement le contraire, et moi-même l'ai noté, l'ai écrit vingt fois: voir mon Baudelaire, voir De l'Humilité féconde, voir dix journaux depuis quinze ans (Du Bos, Journal, 1927, p. 236).Absol. Déjeuner à Boda avec le sinistre Pacha (voir plus loin) et M. Blaud, administrateur de Carnot (Gide, Voy. Congo, 1927, p. 735).
d) [Implique une disposition d'esprit qui met en jeu la subjectivité]
α) Percevoir les choses d'une certaine façon, sous un certain aspect. Sur le point de quitter Paris, je voudrais le voir en étranger. Par exemple, noter le calme et la tranquillité imprévus de la plupart des gens pendant les deux mois qui ont suivi le 6 février (Larbaud, Journal, 1934, p. 301):
3. ... il y avait de la contemplation dans la soumission de la Thénardier à son mari. Cette montagne de bruit et de chair se mouvait sous le petit doigt de ce despote frêle. C'était, vu par son côté nain et grotesque, cette grande chose universelle: l'adoration de la matière pour l'esprit... Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 459.
En partic. Percevoir à travers/par les yeux de quelqu'un. Ce soir visité l'horrible énormité de Saint-Pierre. Je vois Rome à travers Stendhal, malgré moi (Gide, Journal, 1895, p. 65).Je laissai retomber le rideau. Qu'avais-je espéré? Voir un instant avec les yeux de Paule ce décor familier? saisir sur ce décor la couleur de ses jours? (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 176).
β) Ne percevoir qu'un élément d'un tout. Démétrios (...) restait égaré. Il ne voyait de la jeune reine que le sourire rouge de sa bouche et le coussin noir de ses cheveux (Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 120).Ce pauvre Jean porte encore aujourd'hui cette moumoute cabalistique au milieu du front, sauf qu'il l'a décolorée et que cette mèche de mulâtre voltairien tire sur le rouge brique et que l'on ne voit plus qu'elle aujourd'hui (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 187).
γ) Percevoir un objet virtuel dans une réalité. D'habitude notre imagination met des mots dans les bruits comme on joue paresseusement à voir des formes dans des fumées (S. Weil, Pesanteur, 1943, p. 115).
2.
a) [Le compl. d'obj. désigne un fait, un événement souvent néfaste]
α) Être le témoin de, assister à. Voir la guerre, la révolution; voir un accident, une éruption volcanique. Dans le cours de ma longue vie (...), j'ai vu bien des événemens, bien des désastres, des calamités sans nombre, et d'effroyables infortunes (Cottin, Mathilde, t. 2, 1805, p. 208).V. naissance ex. 9.
Voir le feu. Assister, participer à un combat. Je viens de recevoir des tas de pauvres petits de la classe 16... Ils n'ont jamais vu le feu (...) Pourvu que je n'aie pas à les faire marcher demain! (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 273).
Avoir vu bien des/trop de choses. On a beau être sceptique et avoir vu bien des choses, on aime cependant sentir qu'on n'est pas abandonné de sa famille (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 235).La police, remarque, il en faut... Je ne dis pas non, j'ai vu trop de choses... (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 358).Absol. Avoir (beaucoup) vu, en avoir vu. Ô mon ami, j'ai beaucoup vécu et beaucoup vu, mais jamais je n'avais rencontré de femme aussi séduisante (Borel, Champavert, 1833, p. 18).[Le suj. désigne une chose] Depuis 1662 que cette maison a été fondée par Henri de Lorraine, les murs en ont vu (Hamp, Champagne, 1909, p. 106).
En avoir assez vu pour. Déjà j'en avais assez vu pour me faire l'idée que cette jeune paysanne changerait notre tranquille demeure en une maison hantée (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 203).
P. ext. Subir/faire subir des épreuves à quelqu'un.
(En) voir/(en) faire voir de + adj. ou subst.En voir/en faire voir à qqn de belles, de pires, de rudes, d'autres/de bien des/de toutes les sortes. Paganisme, christianisme, muflisme. Telles sont les trois grandes évolutions de l'humanité. Il est désagréable de se trouver dans la dernière. Ah! Nous allons en voir de propres! (Flaub., Corresp., 1871, p. 201).Tous les deux, nous lui en ferons voir de joyeuses, à cette pécore... je t'en réponds!... (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 33).[Le suj. désigne une chose] C'est un jupon? Il est joliment dégoûtant, il a dû en voir de propres, ce jupon! (Zola, Assommoir, 1877, p. 392).Son mobilier (...) en avait déjà vu et devait encore en subir de bien drôles dans toute une série de déménagements (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 112).
En (faire) voir de cruelles. V. cruel A 1.En (faire) voir de drôles. V. drôle I A 2.En (faire) voir de dures. V. dur III B 3 b.En (faire) voir des vertes et des pas mûres. V. mûr I A 1 b.En (faire) voir de toutes les couleurs. V. couleur I A 1 d.Faire voir du pays à qqn. V. pays1A 2 a au fig.
Absol. En voir, en avoir (tant) vu. « Voilà une vrai pitié... Une chose pareille... Le pauvre gars, il a dû en voir!... » Jamais il n'aurait cru qu'un homme pût pleurer de telle sorte (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 325).Elle se mit à pleurer, effondrée d'en avoir tant vu déjà dans ces quelques heures, d'avoir souffert, usé ses forces, subi les insultes, les rires, le contact des filles de joie, d'une lie humaine, les brutalités de la soldatesque (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 228).
β) Se rendre compte de; prévoir l'imminence de. Dans le carrefour du doute, j'ai pris la route gauche. Elle menait à des fondrières. J'ai vu le péril et j'ai pu m'arrêter (L. Ménard, Rêv. païen, 1876, p. 155).Et puis le taureau fonça droit devant lui (...). Et Alban fuyait, glissant, fuyait de travers, la tête tournée vers l'extérieur pour ne pas voir le danger (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 542).
Voir la mort (de près). V. mort1.Lui qui vingt fois avait vu la mort sans pâlir, il sentit son cœur défaillir (Sandeau, Mellede La Seiglière, 1848, p. 137).
b) [Le compl. d'obj. désigne une époque ou un fait lié à cette époque] Vivre pendant une période, au cours d'une période. Je m'arrête un moment à ce 18esiècle, dont j'ai vu la plus grande moitié, et aux folies duquel je me souviens, avec un peu de honte, d'avoir contribué (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 271).J'ai vu le temps où il n'y avait pas d'autre mariage que le mariage religieux (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 79).
Vivre assez longtemps pour connaître quelque chose. Voir l'avenir. Le Juif ne croit pas que rien de ce qu'il entreprend soit pour lui. Il n'espère pas voir le fruit de l'arbre qu'il plante, ni reposer à son ombre (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 272).Puig enviait les camarades tués; et pourtant il avait envie de voir les jours prochains (Malraux, Espoir, 1937, p. 453).
c) Voir qqn, qqc. à qqn.Il est un fluide magnétique entre les personnes qui s'aiment... Tu sais bien que jamais je ne pourrais te voir un amant; encore moins t'en offrir un (Napoléon Ier, Lettres Joséph., 1796, p. 41).Daudet voudrait voir à Huysmans un succès de vente, parce que le succès le ramènerait à quelque chose de plus sain (Goncourt, Journal, 1887, p. 674).
3. [Le compl. d'obj. désigne une pers.]
a)
α) Rencontrer quelqu'un, se trouver par hasard en sa présence. Depuis qu'il existe, le Café de l'Univers a toujours été (...) le rendez-vous des auteurs dramatiques. J'ai vu là des hommes illustres dont on ne parle plus (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 92).V. différemment A ex. de Flaubert, jamais I B 1 ex. de Theuriet.
[P. méton. du compl. d'obj.] Le maquis ne vous emmerde pas trop? demanda Nicolas.On en entend beaucoup parler, mais on ne le voit jamais, c'est un mythe..., dans ma région du moins (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 200).
J'ai/tu as... déjà vu cette tête-là. Reconnaître quelqu'un. J'ai vu cette tête-là quelque part, pensa Laforgue. Cette bouche molle... (Nizan, Conspir., 1938, p. 60).
β) Expressions
[Manifestant le désir de se débarrasser de qqn] Je t'ai assez vu. À présent, file, je t'ai assez vu. Tu repasseras après demain matin... (Nizan, Conspir., 1938, p. 213).Je voudrais le/la voir à cent lieues d'ici. Ah! Dieu!... je voudrais la voir à cent lieues d'ici, moi! (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, ii, 12, p. 54).
Ne pas/ne plus pouvoir voir qqn (en peinture). Ne pas/ne plus pouvoir supporter quelqu'un, détester quelqu'un. Tu n'aurais pas pu choisir un autre intermédiaire? Tu sais bien que je ne peux pas voir cette vieille poule... (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 48).V. peinture II B 2 a α ex. de Dumas fils et de Céline.
P. anal. [Le compl. d'obj. désigne une chose] Autrefois, avec sa mère, elle buvait de l'anisette, à Plassans. Mais elle avait failli en mourir un jour, et ça l'avait dégoûtée; elle ne pouvait plus voir les liqueurs (Zola, Assommoir, 1877, p. 410).Nous parlerons tout à l'heure, dit Magnin.Inutile. Merci. Je ne peux plus voir un avion. Faites-moi incorporer aux milices. Je vous prie (Malraux, Espoir, 1937, p. 494).
b) Fréquenter quelqu'un; le rencontrer lors d'une visite, dans le cadre de relations familiales ou sociales. Voir qqn longuement, souvent, chaque jour, rarement; avoir à voir/demander à voir qqn; être content/avoir besoin de voir qqn; ce n'est pas qqn à voir. « Plus je vois le marquis de Londonderry », disais-je à M. de Montmorency, « plus je lui trouve de finesse (...) » (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 105).« On voudrait être à Paris, mais peut-on? Le bon Pierre Hepp vous dira. Le voyez-vous? » Je ne le voyais plus et il ne m'aurait rien dit (Blanche, Modèles, 1928, p. 67).V. désir II A 2 c ex. de Balzac, devant2ex. 2, moment I A ex. de Labiche.
En partic. Rencontrer quelqu'un lors de relations amoureuses. Plus tard, j'appris un absurde mariage d'amour qu'elle fit avec un jeune homme qu'elle devait déjà voir à ce moment-là (Proust, Guermantes 2, 1921, p. 393).
Voir du monde, des gens. Avoir des contacts sociaux; ne pas rester seul. Elle voulait être lingère, pour voir du monde et quitter la forêt (R. Bazin, Blé, 1907, p. 74).Tu devrais tout de même sortir un peu, dit-il.Sortir? dit-elle avec l'air de tomber des nues.Oui; mettre le nez dehors, voir des gens (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 283).
Aller voir qqn. Aller rendre visite à quelqu'un. Dans quelques jours, je vais aller voir les Charles Gide à Noirmoutier (Gide, Corresp.[avec Valéry], 1895, p. 244).
Expr. Je te verrai ce soir/demain... Je te reverrai, je reviendrai ou je rentrerai ce soir/demain. V. déjà I A 2 a ex. de Zola.
c) Rencontrer quelqu'un dans un but particulier; consulter, s'adresser à quelqu'un. Voir un médecin, un spécialiste; aller voir une cartomancienne, sa couturière; demander à voir un prêtre; (pour un médecin) voir un malade, un blessé. À huit heures, j'étais à mes malades (...). À onze heures, j'avais vu tout mon monde; y compris notre opéré d'hier (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, i, 2, p. 6).C'est pour Burette, mon copain (...), qu'a une balle dans l'ventre, et m'faut une voiture!Une voiture! Voyez donc les brancardiers, et foutez-nous la paix! (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 70).
[P. méton. du compl. d'obj.] Il avait vu tous les bureaux, fait toutes les démarches, les issues de ce côté-là étaient pour le moment bouchées (Camus, Peste, 1947, p. 1306).
Aller voir des/les filles, des/les femmes. Avoir des relations sexuelles avec des femmes faciles, des prostituées. Il y en a joliment, lorsqu'ils ont bu, qui vont voir les femmes... Lui, rentre tout droit ici. Il plaisante bien avec les ouvrières, mais ça ne va pas plus loin (Zola, Assommoir, 1877, p. 515).Quand elles ont passé trois mois dans le bois (...) [les jeunesses d'à présent] se dépêchent de redescendre et d'acheter des bottines jaunes, des chapeaux durs et des cigarettes pour aller voir les filles (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p. 74).
4. Dans le domaine relig.
a) Voir Dieu. Percevoir (la présence de) Dieu; rencontrer Dieu. [Jésus] est venu parmi nous, mais il ne nous a pas convertis. Des hommes ont vu le tombeau de Lazare ouvert, et ils ne sont pas rendus. Des hommes ont vu Dieu, et ils n'ont pas cru (Psichari, Voy. centur., 1914, p. 204).Je ne crains pas les tourments du feu. J'ai peur de l'Enfer, seulement parce qu'on n'y voit pas Dieu (Salacrou, Terre ronde, 1938, II, 3, p. 210).
Voir Dieu face à face. Ce n'est pas la recherche du plaisir et l'aversion de l'effort qui produisent le péché, mais la peur de Dieu. On sait qu'on ne peut pas le voir face à face sans mourir, et on ne veut pas mourir (S. Weil, Pesanteur, 1943, p. 65).
b) [Le suj. est Dieu] Être le témoin de toutes les actions des hommes. Je le déclare devant Dieu qui voit mon âme! dit Courteline. Les hommes de ma génération, moi, Renard, nous avons compris qu'il fallait enfin oser faire des pièces sans amour (Renard, Journal, 1900, p. 619).Le bon Dieu est au ciel; le bon Dieu te connaît, c'est lui qui t'a créé; le bon Dieu t'aime, le bon Dieu te voit, te juge (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1382).
B. − [Le compl. d'obj. est (ou corresp. à) une prop.; l'objet est perçu dans une manière d'être, une situation ou une action partic.] Constater un fait, un état; être le témoin direct (ou indirect) d'un événement.
1. Voir qqc./qqn + part. passé, (loc.) adj., (loc) adv. ou compl. prép. en empl. attributif.Je le vois un peu pâle de l'émotion de ma piqûre, lui qui se pique toute la journée (Goncourt, Journal, 1894, p. 614).Vous voyez vos allumettes épuisées, la chandelle éteinte. Renoncerez-vous à poursuivre vos explorations? (Blanche, Modèles, 1928, p. 234).Elle lisait beaucoup?Je l'ai presque toujours vue avec un livre... (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 79).
P. métaph. Mais toutes [ces bulles], arrivant près du miroir blafard, Où leur illusion voyait une fenêtre Ouverte à l'infini, sur l'infini peut-être, Y sentent éclater leur cristal plein de fard... (Rodenbach, Règne sil., 1891, p. 20).
SYNT. Voir qqn actif, courageux, gai, confus, indécis, jaloux, troublé; voir qqn saoul; voir qqn à l'œuvre; voir qqn dans la peine, dans un état anormal, en colère, hors de lui; voir qqn en costume d'académicien; avoir toujours/n'avoir jamais vu qqn sans chapeau; voir tous ses amis mariés; voir une affaire manquée, une offre agréée, une opinion tournée en ridicule; voir des regards fixés sur soi.
Voir qqn/qqc. tel(le) qu'il (elle) est. Et, vrai, je ne voyais plus mon mari tel qu'il est, mais bien tel qu'il était autrefois! (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Bois, 1886, p. 557).Jamais encore la friponne ne m'avait paru si belle (...); je la voyais enfin telle que la nature l'avait créée; je ne doutais plus de l'ingénuité de ses amours (Milosz, Amour. init., 1910, p. 237).
Voir qqn ainsi. Qu'avez-vous, mon père? (...). Vous semblez bien joyeux, et je ne vous ai jamais vu ainsi (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 138).
Avoir vu qqn enfant, tout petit. Combien y en avait-il là que j'avais connues autrefois, et qui m'eussent vu garçonnet (Barb. d'Aurev., Memor. pour l'A... B..., 1864, p. 420).Francis de Béhaine vient déjeuner, et c'est pour moi un plaisir de revoir ce grand diable que j'ai vu tout petit garçon (Goncourt, Journal, 1888, p. 749).
Loc. fam.
Je voudrais bien te voir à ma place. Lélia se releva sur un coude et, le regardant avec ses yeux éteints par la souffrance, elle trouva encore la force de sourire avec ironie. « Pauvre docteur, lui dit-elle, je voudrais te voir à ma place!Merci, pensa le docteur (...) » (Sand, Lélia, 1833, p. 64).
Je voudrais (bien) vous y voir. [Pour l'expression d'un défi] Tu as encore un certain crédit commercial et tu es député, deux moyens infaillibles pour faire et défaire, dévorer et recommencer dix fortunes, et tu n'en uses pas.Je voudrais t'y voir, Oscar! (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 400).Le sous-chef prenant la nuit, arrivait dans toute la fureur de son activité fraîche et gourmandait le personnel:Rien de prêt! On n'aura pas un train à l'heure. Le chef des expéditions se mit en boule:J'aurais voulu vous y voir! (Hamp, Marée, 1908, p. 47).
[Tournure plus expr. que je suis + (loc.) adj., pouvant servir de réponse polie] Tu/vous me/m'en vois/voyez tout(e) ému(e), tout(e) interdit(e), épouvanté(e), navré(e). Nous eûmes, chacune, deux maris. Mais, tandis que les deux miens sontvous m'en voyez aisebien vivants, ma mère fut deux fois veuve (Colette, Naiss. jour, 1928, p. 16).Elle se ferait un plaisir de recevoir M. Barbentane chez elle, un de ces jours, s'il voulait accompagner M. Schoelzer. Mais comment donc, mais c'est-à-dire, vous me voyez confus, avec plaisir, bien entendu (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 275).Notre chef est l'un des meilleurs du moment. Amédée:Vous m'en voyez ravi. Je suis gourmand comme un petit chat (Audiberti, Quoat, 1946, 1ertabl., p. 15).
En partic. Percevoir par une vision subjective. Mon pauvre père, avec ses yeux de père, me voyait plus beau et plus élégant que le lieutenant Reynauld (About, Roi mont., 1857, p. 10).Nous nous sentons sortir de l'immense tristesse (...) qui nous faisait voir tout gris, ennuyeux et vieux (Goncourt, Journal, 1864, p. 75).
2. Voir qqn + part. prés.Elle m'avait vu disant « Hé! » la bouche béante, l'œil ahuri, de l'air d'un idiot qui voit choir son chapeau dans la rivière (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 144).Chaque fois que de loin j'apercevais une femme, je croyais voir Nanine m'apportant une réponse (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 152).
3. Voir qqn/qqc. + qui/que.Quand j'entends de la musique traînant péniblement après elle de pénibles paroles (...) je crois voir un oiseau que des enfants forcent à traîner des chariots de carton (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 168).Quand je vois la foule des gens qui arrivent à s'abstraire des événements, je ne comprends pas comment ils font (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 248).
4.
a) Voir qqn/qqc. + prop. inf.Voir qqn arriver, partir, sortir, venir; voir qqn avoir raison/réaliser un projet/s'abîmer la santé; voir débuter/jouer un acteur. Que font-ils de méchant ou de bête, à la Chambre? Je pensais vivre assez pour voir crouler la baraque. Je me suis trompé (Vogüé, Morts, 1899, p. 390).Dans le soleil, Darras ne voyait pas les bombes descendre, mais il les voyait éclater, en chapelets maintenant, toujours dans les champs (Malraux, Espoir, 1937, p. 517).V. bombe1ex. 1, jamais ex. 2, mourir I A 1 a ex. de Noailles.
Voir passer qqn. V. passer1.Voir arriver* qqc.
(Ne rien) voir venir. [P. allus. au conte de Ch. Perrault, La Barbe-Bleue et à la question: Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir?] Midi et demi... Annie, ma sœur Annie, ne vois-tu rien venir?Vous êtes complètement fou! (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 226).Chaque matin nous allions rejoindre l'animal et (...) nous demandions tristement à la pauvre bête qui regardait par la fenêtre:Sir âne, sir âne, ne vois-tu rien venir? (Prévert, Paroles, 1946, p. 42).Au fig., fam. Voir venir qqn (avec ses gros sabots (v. sabot)). Prévoir les réactions de quelqu'un. Petite bégueule! En voilà une pimbêche! Je la vois venir, la demoiselle, elle veut me faire marcher, me tenir la dragée haute! (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 307).
Avoir vu naître qqn. V. naître I A 2.P. métaph. Je m'ébattais dans un minuscule sanctuaire, entouré de monuments trapus, antiques, qui m'avaient vu naître, qui me verraient mourir (Sartre, Mots, 1964, p. 30).
Avoir vu faire qqc. à qqn. Elle se poudra, écrasa sur ses lèvres un bâton de rouge comme elle l'avait vu faire à Denise (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 210).V. faire4A 2 rem. ex. de Nodier.
[Avec compl. prép. désignant un texte] Vous m'avez vu au début de cette lettre parler comme un idéaliste (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 250).
b) [Le suj. de l'inf., de valeur gén. ou indéterm., n'est pas exprimé]
[L'inf. est suivi d'un compl. d'obj.] Voir jouer une pièce de théâtre. Cette école-Militaire, que vous avez vu bâtir (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 353).La Grande-Bretagne désirait voir sauvegarder l'intégrité de la Chine (De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p. 514).
Comme je l'ai vu faire. Il faut donc dans les colonies, que l'on ne puisse pas employer (...) la raison des baïonnettes pour forcer un citoyen, comme je l'ai vu faire, à donner sa maison ou son terrain (Baudry des Loz., Voy. Louisiane, 1802, p. 307).
[L'inf. est empl. absol.] J'ai revu aujourd'hui avec délices tous les travaux de la moisson; j'ai vu scier, j'ai vu lier, j'ai vu charrier (Chênedollé, Journal, 1823, p. 125).Rien ne vous donne faim comme de voir manger (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 141).
5. Voir + prop. complét.Voir que qqn est content, fatigué; voir qu'il s'est fait beau, qu'il a mauvaise mine, qu'il va mourir; voir qu'il fait beau, que le temps passe. Il suffit de vous regarder pour voir que ce voyage vous répugne, que vous venez à contre-cœur (Musset, Confess. enf. s., 1836, p. 335).Vous pouvez voir dans le ciel que les étoiles ne clignent plus de la même façon (Claudel, Soulier, 1944, 1repart., 2ejournée, 6, p. 1017).
[Avec (loc.) adv.] On voyait tout de suite qu'on entrait chez des gens riches: les bahuts et les lits avaient des fermoirs d'acier découpé qui reluisaient comme des armures (Loti, Mon frère Yves, 1883, p. 98).Je pensais bien, je voyais bien que ma toilette me seyait, que mes cheveux et ma couronne me faisaient une petite figure pas méprisable du tout (Colette, Cl. école, 1900, p. 307).[Pour rappeler ce qui a déjà été dit] Nous avons déjà vu que. V. objet I A ex. de Merleau-Ponty.
[Avec compl. prép. exprimant un sentiment] Je voyais avec une affreuse angoisse qu'il allait faire un saut et m'aboyer au nez (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 29).Oh! mais, je vois avec plaisir que vous faites bon ménage, les deux cousines! (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, ii, 2, p. 34).
[Avec compl. prép. exprimant les indices sur lesquels on se fonde] Voir à l'air, à la tête, sur la figure de qqn. Dans cette auberge était un bon germain de l'ancien temps (...) l'on voyait à son maintien qu'il avait servi (Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p. 1643).Par la fenêtre large ouverte, j'admirais le Bosphore et les collines d'Asie (...).Colonel, me dit-il tout à coup, je vois dans vos yeux que vous aimez déjà cette Turquie (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 40).
En partic. Constater, comprendre en lisant un texte. J'ai reçu ta lettre du 12, j'y vois que ta santé est bonne (Napoléon Ier, Lettres Joséph., 1807, p. 144).J'ai vu dans les journaux que j'avais été absent de Guernesey deux mois, c'est trois mois qu'il faut dire et je ne suis pas encore rentré (Hugo, Corresp., 1864, p. 479).
[Au fut., pour affirmer à qqn la quasi-certitude d'un fait à venir] Carle: Il y a, en effet, grande foule aux alentours de la place (...). Le Capitaine: Vous verrez que la journée ne se passera pas sans émeute! (Sardou, Rabagas, 1872, iii, 1, p. 106).Vous croyez que c'est bon d'être debout le matin à jeun (...)? Vous n'êtes seulement pas couvertes. Vous allez voir que vous allez encore prendre mal (Anouilh, Antig., 1946, p. 143).
[Avec le pron. neutre le annonçant la prop.] Les hommes, il faudrait sortir. J'ai quelque chose à vous dire; c'est sérieux. On le voit que c'est sérieux à la tête de Jaume (Giono, Colline, 1929, p. 173).
Faire voir, laisser voir.Notre professeur de français lui reprochait en outre l'abus qu'il faisait de ses lectures et l'habilité avec laquelle il s'appropriait les idées et le style des autres. Et il laissait voir que le procédé, venant de Silbermann, ne le surprenait pas (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 83).
6. Voir + prop. interr. ou exclam. ind. introd. par un pron. ou un adv.Il la suit de l'œil en mangeant (...), abandonnant à tout moment sa place, pour voir si dans la cuisine, elle n'est pas assise trop près du domestique (Goncourt, Journal, 1860, p. 758).Quand on commença à tailler les ceps, il (...) prit la queue de l'équipe comme un apprenti qui a besoin de voir comment on fait (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 101).Je fus étonné de voir jusqu'où allait la bonté de Monsieur de Sannis pour son neveu (Jouve, Scène capit., 1935, p. 227).
Faire voir, laisser voir.Faire voir comment on s'y prend, comment cela fonctionne. Autrefois (...), mettant en moi des espérances qui depuis n'avaient pas été réalisées, elle ne voulait pas me laisser voir combien elle m'aimait (Proust, Fugit., 1922, p. 624).
Au fig. Démontrer. Il est aisé de faire voir combien la manière dont Hippocrate dirigeait et exécutait ses travaux, est parfaitement appropriée à leur nature et à leur but (Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 21).
[Exprime une menace] Marius: Moi, je tombe au milieu de tout ça et malgré que j'aie tous les droits et que j'aie raison, je me fais l'effet d'un imbécile. César: C'est peut-être que tu en es un. Marius, violent: Je vais te faire voir si j'en suis un (Pagnol, Fanny, 1932, iii, 15, p. 212).
Aller, venir voir.Je suis allé voir de quelle couleur est la neige dans l'été, si le granit des Alpes est dur, si l'eau descend vite en tombant de haut (Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 142).On venait voir si vous n'aviez pas besoin d'un coup de main (Sartre, Mains sales, 1948, 3etabl., 2, p. 76).
Pop. (Va) voir là-bas si j'y suis. Et il la reprit, et il la serra, par bravade, lui écrasant sur la bouche ses moustaches rouges, continuant:Fiche-nous la paix, hein! Fais-nous le plaisir de voir là-bas si nous y sommes (Zola, Germinal, 1885, p. 1571).
[En s'adressant à qqn, à l'impér., au fut., ou à la forme interr. pour souligner ses propos] Les cinq doigts du gant de Gérard [étaient] imprimés en noir sur son corsage blanc.Ah! monsieur de Seigneulles, s'écria la grisette courroucée, vous êtes gentil! Voyez dans quel état vous avez mis ma robe! (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p. 14).Il pérorait, le vieux dégoûtant: « Vous avez vu comment ils sont habillés? Et le matériel qu'ils ont? Et quelle discipline!... » (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 67).
[Avec reprise du suj. de la prop., dans une lang. pop.] Tu as vu qqn/qqc. comment il.../si il... Piveteau, bon Dieu, t'as vu comment qu'il a pris le traindevay [le tramway]? (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 270).T'as vu le lit s'il est grand... Il y en a pour trois (Sartre, Mains sales, 1948, 3etabl., 2, p. 82).
7. Voir (accompagné ou non d'un compl. prép., d'un adv.) + prop. juxtaposée.Il ne faisait pas encore grand jour, et comme la porte du cachot restait ouverte, je pouvais voir au delà la petite cour pavée: l'air était épais et sombre, et il tombait une pluie lente (Janin, Âne mort, 1829, p. 181).
a) [Dans un dialogue, pour introd. la prop., souligner une évidence] Qu'est-ce que vous faites donc là, ma tante? La Duchesse: J'arrête le jet d'eau, tu vois bien! (Pailleron, Monde où l'on s'ennuie, 1869, iii, 1, p. 128).Eh bien, vous avez vu, ma chère! La jupe est plate par derrière avec l'ouverture sur le côté! (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, ii, 1, p. 32).
[Avec reprise du suj. ou du compl. d'obj. de la prop.] Je sais bien, je t'avais juré que ça ne recommencerait jamais. Mais tu as vu Edmond, il est si brave, et il est si joli! (Zola, Débacle, 1892, p. 561).Tu vois, les bourins, dit Paradis, non seulement on les fait tuer, mais on les emmerde (Barbusse, Feu, 1916, p. 103).
b) [La prop. est reprise par un pron. neutre]
[Avec le] Entre donc, Sûzel, tu n'as pas besoin de te gêner.Oh! je ne me gêne pas.Si, si... tu te gênes, je le vois bien, sans cela tu serais entrée tout de suite (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 94).Thomas Pollock Nageoire: Qu'est-ce que vous faites là? Marthe: Vous le voyez, je racommode (Claudel, Échange, 1954, i, p. 742).
[Avec cela, ça] De nouveau, il regarda sa montre. Le coup d'œil n'échappa pas à M. Élie.Je vois ça, tu me fous dehors (Montherl., Célibataires, 1934, p. 780).
Loc. [En incise ou en déb. de phrase]
À ce que je vois, à ce que j'ai vu. Je tenais encore le reste de mon morceau de pain noir. Vous n'avez pas fait bien bonne chère, à ce que je vois, me dit le vieillard (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 128).Il vous avait joliment bien nippée, à ce que j'ai vu le jour où je vous ai rencontrée (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 290).
Ce que voyant. [Il] essaya de (...) mouvoir [le rocher] pour se faire un passage, et il se fatigua beaucoup à ce travail, et tous ses efforts furent vains. Ce que voyant, il s'assit plein de tristesse (Lamennais, Paroles croyant, 1834, p. 111).Philippe, avec dévotion, faisait des portraits de Suzanne et jamais la jeune femme ne refusait de poser. Ce que voyant, Marc hissa sur ses épaules, tout le long de l'escalier, une énorme bûche de chêne et se prit à la dégrossir, puis à sculpter une image de la jeune femme (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 229).
[Avec compl. prép. précisant les signes sur lesquels on se fonde] Une lutte se passait sous les eaux (...), lutte qui devait être terrible, on le voyait aux bouillonnements de la surface (Verne, Île myst., 1874, p. 150).Je parie qu'il est porté sur la chose, lui... J'ai vu cela, tout de suite, à son nez mobile, flaireur, sensuel, à ses yeux extrêmement brillants (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 29).Var. Comme on (le) voit à. C'est une élégante, comme on voit à son aumônière (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 126).
8. En partic.
a) [Voir, relais synt., évite la présence de deux que, l'un introduisant une prop. complét., l'autre un second terme de compar.] J'aimerais mieux te voir épouser un épicier millionnaire qu'un grand homme indigent (Flaub., Corresp., 1863, p. 124).
b) [Voir, auxil., avec suj. désignant une chose]
α) [Le sens est celui d'une phrase dans laquelle le suj. de voir deviendrait compl. circ. de temps ou de lieu du verbe à l'inf. empl. à un mode pers.]
[Le suj. désigne une fraction du temps] Chaque année voyait se multiplier le peuple et croître l'avidité des colons (Proudhon, Propriété, 1840, p. 184).
[Équivalent à une phrase à verbe être] Le mercredi, nous nous rencontrons tous chez Olivier, le jeudi nous voit tous ici, le vendredi nous allons tous prendre le thé chez Esmont (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 158).
[Le suj. désigne un lieu] Je m'étais toujours demandé Pourquoi tel trottoir d'une rue Voit se presser la foule drue, Tandis l'autre est moins fréquenté? (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 31).
[Le suj. est compl. du nom, lui-même compl. de lieu du verbe à l'inf.] L'Oder, la Vistule et le Dniepr ont vu sur leurs bords s'établir, en rapports les unes avec les autres, des rangées de villes (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p. 73).
β) [Le compl. d'obj. de voir a trait à un élém. qui appartient au suj. ou qui le concerne; le sens est celui d'une phrase dans laquelle le suj. de voir deviendrait compl. du subst. précédant l'inf. (ou le part. passif), devenu lui-même suj. de ce verbe conjugué à un mode pers.] Le septième volume du Journal des Goncourt (...) voit ses annonces et ses échos arrêtés par l'assassinat du Président de la République (Goncourt, Journal, 1894, p. 600).La fugue voit ses éléments s'appeler, se répondre, se devancer, se poursuivre, se dépasser, revenir sur leurs pas (Faure, Espr. formes, 1927, p. 59).
C. − Empl. abs.
1. Percevoir les objets du monde extérieur par l'intermédiaire des organes de la vue. Un enfant n'est pas plus capable d'acquérir de la morale en spéculation, qu'il ne le serait de développer sa faculté de voir par la théorie de la vision (Bern. de St-P., Harm. nature, 1814, p. 282).V. assister1ex. 1:
4. ... la plupart des hommes sont des sourds, des aveugles-nés; un poète survient, recueille un peu de boue pure au fond de la source, nous touche les paupières, les oreilles, et nous voyons tout à coup, et nous entendons. Ainsi Francis Jammes, jadis, m'a ouvert les yeux sur la beauté du monde. Mauriac, Journal 2, 1937, p. 176.
P. métaph. La lampe est le signe d'une grande attente. Par la lumière de la maison lointaine, la maison voit, veille, surveille, attend (Bachelard, Poét. espace, 1957, p. 48).
[P. méton du suj.] Au fig. En nous, après tout, la plus absolue différence de tempéraments, de goûts, de caractères,et absolument les mêmes idées (...), la même optique intellectuelle. Notre cerveau voit de même et avec les mêmes yeux (Goncourt, Journal, 1865, p. 195).
[Avec compl. prép. désignant]
[l'organe de la vue] L'homme, forcé de se servir du moyen ou du ministère de ses organes pour les opérations de son intelligence, pense par le ministère du cerveau, parle par le ministère de l'organe vocal, voit par le moyen de ses yeux (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 70).Louise: Aveugle, moi, de l'œil droit? Denis: Oui, du moins à l'état normal, car, pendant les crises, vous y voyez des deux yeux (Curel, Nouv. idole, 1899, ii, 1, p. 192).
[le moyen utilisé pour améliorer la vue] Il n'y a que ces affreuses lunettes... Pourquoi donc portez-vous des infamies pareilles? Lucy: Parce que je n'y vois pas sans cela, madame (Pailleron, Monde ou l'on s'ennuie, 1869, i, 8, p. 32).
[les circonstances] Ils avancèrent silencieusement, le comte guidant Franz comme s'il avait eu cette singulière faculté de voir dans les ténèbres (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 545).Tu es heureux, Christophe! Tu ne vois pas la nuit.Je vois dans la nuit, dit Christophe. J'y ai assez vécu. Je suis un vieux hibou (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1577).
[Avec (loc.) adv. exprimant la qualité de la vue] Voir bien/mal, de loin/de près; voir nettement; voir trouble. Nous voyons mal, quand l'un des yeux, mieux constitué, plus fort que l'autre, est plus vivement affecté, et transmet au cerveau une plus forte image (Bichat, Rech. physiol. vie et mort, 1822, p. 27).Il s'approche, le bras tendu, son bulletin à la main, comme à tâtons, parce qu'il ne voit pas bien clair, dépose son bulletin et s'assied, la tête sur son bâton (Renard, Journal, 1900, p. 580).V. clair I A 1 a ex. de Duhamel.
Loc. fig. Ne pas voir clair en plein midi*.
Ne pas/n'y pas voir, ne plus voir. Avoir perdu/perdre la vue; être devenu/devenir aveugle. On ne va pourtant pas me mettre en sentinelle tout seul?... Je n'y vois presque pas, surtout la nuit (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 278).On me fit m'essuyer les yeux avant que j'allasse embrasser ma grand'mère.Mais je croyais qu'elle ne voyait plus, dit mon père.On ne peut jamais savoir, répondit le docteur (Proust, Guermantes 2, 1921, p. 344).
Rare. Non voir. Être aveugle. Les handicapés sont moteurs, les sourds « malentendent ». Les vieux sautent du troisième au « quatrième âge », ils ont le sentiment de progresser. Les aveugles « non voient ». Les armements « non prolifèrent ». Sans parler du non-dit, par définition (Le Nouvel Observateur, 30 oct. 1982, p. 80, col. 1).
[Le suj. désigne l'organe de la vue] Le réflexe [pupillaire] disparaît si l'œil ne voit pas (Brion, Jurispr. vétér., 1943, p. 265).
2.
a)
α) Faire usage du sens de la vue. Abîmé dans l'état de torpeur, de somnolence que lui avait procuré sa dose d'opium (...), il avait suivi machinalement ses guides à moitié endormi, appuyé sur eux, les yeux ouverts, sans voir (Sue, Atar-Gull, 1831, p. 34).Les nombreux détours de cette route, ses courbes accentuées me permettaient de voir sans être vu (G. Leroux, Parfum, 1908, p. 66).[Avec cont. déf.] Voir, voir! Éprouver par la vue, jouir par la vue, apprendre par la vue, est-il rien de plus pressant pour l'homme d'aujourd'hui? (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 19).
Savoir voir. Ceux qui ne savent point voir cherchent des spectacles rares et bientôt s'y ennuient; au lieu que celui qui a appris à voir finit par saisir la beauté partout (Alain, Beaux-arts, 1920, p. 269).
Manière de voir. La main [en peinture] dépend de l'esprit; la technique répond à la manière de regarder et de voir (Séailles, E. Carrière, 1911, p. 67).
[Avec compl. prép. désignant]
[compl. désignant l'organe de la vue] Voir avec/de/par ses yeux. La route bougeait. Tout à coup, Darras comprit. Et, comme s'il se fût mis à voir avec sa pensée, et non avec ses yeux, il distingua les formes: la route était couverte de camions aux bâches jaunes de poussière (Malraux, Espoir, 1937, p. 517).L'écrivain qui compte est celui qui voit de ses yeux, entend de ses oreilles, touche de sa main, sent de tout son corpset ne peut enfin que son œuvre ne trahisse ce qu'il est en lui d'unique et d'irremplaçable (Paulhan, Fleurs Tarbes, 1941, p. 43).
[compl. désignant la manière] Les vues excellentes se doutent à peine du bonheur que donne (...) une lunette, et du battement de cœur qu'on ressent à découvrir les détails de l'immensité (...). On renaît soi-même et l'on voit avec l'ivresse des yeux de quinze ans (Amiel, Journal, 1866, p. 213).
[Avec (loc.) adv. ou compl. prép. désignant les modalités de l'action] Ma mère porte lunettes, à cause de l'âge (...). Quand elle veut voir bien en face, elle relève la tête pour mieux utiliser ses verres (Duhamel, Confess. minuit, 1920, p. 44).
[Le suj. désigne l'organe de la vue] Pourquoi l'œil n'a-t-il pas un langage qui peigne d'un seul mot, comme il voit d'un seul regard? (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 256).
P. métaph. Comprit-elle tout ce qu'il y avait dans ce regard?Elle ne le vit pas. Le bonheur ne voit pas autour de lui (Vogüé, Morts, 1899, p. 437).
Voir sans voir. Constater un fait sans qu'il y paraisse, discrètement. Il n'y aurait que le jeu. Mais le jeu et les affaires: alors, quelquefois, ça déraille un peu. Nous sommes là pour remettre les choses discrètement en place. Oh discrètement! Il faut savoir voir sans voir, quoi. Pas de scandale, c'est la consigne (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 234).
[P. oppos. à regarder] V. regarder A 1 c.
Regarder sans voir. V. regarder A 1 c.
β) Expr. Avoir des yeux pour ne pas voir. V. entendre ex. 10.Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Ce sont les malheureuses revanches du débiteur et de la mauvaise foi. Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir: s'accrocher à la moindre équivoque, saisir avec empressement toutes les occasions imaginaires ou véritables, de manquer à sa parole (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 144).Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu. [P. allus. aux paroles de César] Eh! bien, mon cher, dit Lucien à Petit-Claud à deux heures du matin en revenant à pied: je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu! (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 691).
γ) Spécialement
JEUX DE CARTES Aller, jouer, mettre sans voir. Jouer, miser sans avoir vu son jeu (d'apr. Lar. Lang. fr.).
[Au poker] Payer pour voir. ,,Tenir l'enjeu proposé par un adversaire, pour l'obliger à abattre son jeu`` (Lar. Lang. fr.). Les Américains vont dépenser 50 millions de dollars (...). Ce n'est pas une plaisanterie. Si les autorités de Washington « payent pour voir », comme on dit au poker, c'est qu'elles sont intriguées (...) par une toute nouvelle théorie: celle de l'hiver nucléaire (Le Mondeaujourd'hui, 16-17 sept. 1984, p. vi, col. 1).
À voir. Un instant, dit Ingelby, montrant son paquet de cartes. Je suis à vous. Je dis cinquante à voir... Et il acheva la partie (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 317).
MÉD., vieilli. Voir. Avoir ses règles (d'apr. Carabelli, [Lang. pop.], s.d.).
b) Voir + (loc.) adv. (ou cont.) précisant les conditions extérieures de la perception.Dans une heure, il fera noir. Hâtons-nous pour voir encore clair (Jarry, Ubu, 1895, iv, 4, p. 79).Le soldat Joseph regardait par le carreau; il ne savait comment faire pour voir le plus possible. Mais les remous de la foule (...) lui cachaient à tous moments la scène (Jouve, Scène capit., 1935, p. 16).
Voir noir. Avoir une vision, une vue sombre. Il faut à l'homme de la clarté. Quiconque s'enfonce dans le contraire du jour se sent le cœur serré. Quand l'œil voit noir, l'esprit voit trouble. Dans l'éclipse, dans la nuit, dans l'opacité fuligineuse, il y a de l'anxiété (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 469).Au fig. C'est au même général dont on a dit parfois qu'il voyait noir, qu'il inclinait à présager le pire, qu'il fut unanimement demandé de restaurer l'espoir et de ranimer l'ardeur dans nos rangs (Valéry, Variété IV, 1938, p. 84).Voir rouge. V. rouge II B 2.
Y voir. Y voir à peine, suffisamment; n'y voir pas assez pour lire. Esprels placé tout contre la table, essaye d'y voir clair pour lire un journal (Hermant, M. de Courpière, 1907, iii, 1, p. 21).« Tu n'y vois rien. Tu veux que je t'éclaire? » lui cria le vieux, et il posa sa lampe sur la table du palier (Montherl., Célibataires, 1934, p. 749).
N'y voir goutte. V. goutte1.Au fig. V. goutte1A 1 d ex. de Valéry et ex. 4.
c) Voir + adv. ou compl. prép. indiquant le lieu ou la limite de la perception.Voir dans une pièce. Par-dessus le parapet, on ne voit pas à dix pas (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 92).Dans le moment, il (...) penchait [sa tête] à gauche pour mieux voir dans son sac (Aymé, Jument, 1933, p. 256).
Expr. Voir loin. Les berges basses lui permettaient de voir loin au-dessus des chaumes et, l'oreille aux aguets, habile à démêler les sons, il écoutait (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 251).Au fig. V. loin I B 2 b β ex. 6.Ne pas voir plus loin que (le bout de) son nez. On a remonté ensemble vers l'étang, pas moyen d'y voir plus loin que son nez, la pluie nous roulait dans la figure comme un tambour (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1456).Au fig. V. bout ex. 21, loin I B 2 b β ex. de Drieu La Rochelle et ex. 7.
II. − [La perception d'un objet ou d'une caractéristique qui appartient ou semble appartenir au domaine du visible ne passe pas par le sens de la vue]
A. − Percevoir sous l'effet d'un trouble physique ou psychique, ou dans une circonstance particulière, une image qui ne correspond pas à la réalité.
1.
a) [Le suj. du procès, éveillé, est plus ou moins conscient de l'illusion] Il y avait trop de soleil sur la plage et dans la ville. (...) quand on pénétrait soudain dans un trou d'ombre, on était un bon moment à ne rien voir que du rouge (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 20).
Voir trente-six (mille) chandelles. V. chandelle.Maxence connut le supplice des heures. Il sut que chaque minute pouvait souffleter un homme, à droite, à gauche, jusqu'à crier merci, aveuglé et voyant les trente-six chandelles du soleil (Psichari, Voy. centur., 1914, p. 50).Voir des anges violets (vx). V. ange.Faire voir des étoiles en plein midi (vx, fam.). V. étoile.Voir mille soleils. Avoir, provoquer un éblouissement. J'ai sommeil. Quelqu'un m'a donné du gourdin sur la nuque. J'ai vu mille soleils. (...) Ah! c'était beau. Des violons volaient à l'entour des soleils. Les soleils ruisselaient (Audiberti, Mal court, 1947, i, p. 148).
Voir qqc. double. Je voyais souvent les objets doubles, circonstance qu'il m'est impossible d'expliquer (...). C'est surtout la flamme des bougies qui prenait cet aspect devant mes yeux, et je me rendais compte de l'illusion sans pouvoir m'y soustraire (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 153).
b) [Le suj. croit à la réalité de l'image] L'œil ivre de l'homme pris de haschisch verra des formes étranges; mais, avant d'être étranges et monstrueuses, ces formes étaient simples et naturelles (Baudel., Paradis artif., 1860, p. 366).Un autre schizophrène (...) disait voir dans le jardin un homme arrêté sous sa fenêtre et indiquait l'endroit, le vêtement, l'attitude (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 385).V. fantôme A 1 ex. de Montherlant, hallucination A ex. de Green.
Absol. Voir double*.
2. [Le suj. est endormi] Aurelle, qui s'était endormi, voyait défiler sous ses paupières closes de monstrueuses fourmis kaki, que commandait le petit docteur (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p. 175).
Voir en rêve. Écoute, j'ai vu cette nuit en rêve le corbeau noir. Il m'a dit que l'ombre des arbres de Gâo serait fatale la nuit qui vient à votre chef (Benoit, Atlant., 1919, p. 245).
B. − Former mentalement l'image d'une chose non présente. Synon. imaginer, se représenter.
1. [Par une contention d'esprit pour obtenir la concentration] Fermer les yeux et s'isoler de l'extérieur (...) appeler ensuite la pensée sur laquelle on veut se concentrer, par une formule très courte et très simple qui aura été préparée à l'avance. Répéter mentalement cette formule plusieurs fois de suite, en s'en formant une image de plus en plus nette par l'inspection des détails qui composent son objet. Quand l'image est tellement nette qu'on se rend compte qu'on la voit mentalement, la concentration est obtenue (Lallement, Dyn. instrum. archet, 1925, p. 164).
2. [Par l'effet du souvenir] Je vois toujours ce bois avant qu'on y eût porté la cognée, et, dans la réalité, je n'en ai jamais vu d'aussi beau (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 161).
[Le suj. désigne l'agent du procès] Cependant ma mémoire voit l'objet comme s'il était sous mes yeux. Telle est dans les choses matérielles, l'impuissance de la parole et la puissance du souvenir (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 554).
3.
a) [Par l'effet de l'imagination] Je me représentais l'Alsace et la Lorraine envahies par les Autrichiens et les Prussiens (...). Je voyais l'exécution des menaces de Valentin: les Baraques en feu (...) tous les amis forcés de se cacher dans les bois (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 271).Quand enfin un journal de Paris (...) m'a nommé correspondant aux Sables, tu ne te tenais plus de joie. « Tu me voyais marié dans notre ville. Tu me voyais acheter un jour une petite maison rose dans les nouveaux quartiers » (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 132).
Voir l'invisible. J'ai aimé le cinéma jusque dans la géométrie plane. Du noir et du blanc, je faisais des couleurs éminentes qui résumaient en elles toutes les autres et ne les révélaient qu'à l'initié; je m'enchantais de voir l'invisible (Sartre, Mots, 1964, p. 101).Voir en pensée. Il fit effort pour se débarrasser de toute idée préconçue (...). Mais comment orienter ses propres questions, comment les formuler même, sans voir quelque chose en pensée: des lieux, des actions, des êtres? (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 224).
[Le suj. désigne l'agent du procès] Une pierre, une plante, Un insecte qui vole, une fleur qui sourit, Tout vous plaît, tout vous charme, et déjà votre esprit Voit le rang, le gradin, la tablette fidèle, Tout prêts à recevoir leur richesse nouvelle (Delille, Homme des champs, 1800, p. 121).C'est un jeu pour (...) [l']imagination [des petites filles] de voir à travers la terre tous les détails de l'autre calotte du firmanent. Oui, nous sommes en pleine nuit australe (Giraudoux, Intermezzo, 1933, ii, 1, p. 86).
b) En partic.
[Le compl. d'obj. désigne un concept math.] V. imaginer I A 1 ex. de H. Poincaré.Absol. Les uns aiment mieux traiter leurs problèmes « par l'analyse », les autres « par la géométrie ». Les premiers sont incapables de « voir dans l'espace », les autres se lasseraient promptement des longs calculs (H. Poincaré, Valeur sc., 1905, p. 15).
[Le compl. d'obj. désigne une réminiscence littér.] Le lecteur ne voit point Grandet comme il verrait un homme représenté sur une toile, quoique le bonhomme soit décrit des souliers jusqu'au chapeau (Alain, Beaux-arts, 1920, p. 317).
c) P. ext. Voir un endroit sur une carte. Déterminer un endroit en lisant une carte. Vous voyez bien l'endroit? Je marque une croix [sur la carte]. Vous n'avez qu'à klaxonner ou à appeler, elle est dans le petit bois à droite de la route (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 196).
C. − Percevoir quelque chose grâce à un sens paranormal (seconde vue, sixième sens, don de prophétie). Voir dans les cartes. Elle me dit encore: « Je vois chez vous. Votre femme. Brune, naturellement. Petite. Jolie. Tiens, il y a près d'elle un chien. Peut-être aussi, mais ailleurs, un chat (exact). Pour l'instant, je ne vois rien d'autre. » (Breton, Nadja, 1928, p. 73).Voir dans le marc de café. V. marc2.
Voir dans l'avenir (absol.). J'ai vu tout à coup dans l'avenir, et vous n'y étiez pas, comme toujours, la face brillante et les yeux sur moi; vous me tourniez le dos (Balzac, Lys, 1836, p. 188).Placé par son esprit pour voir dans l'avenir, il veut que son être de chair expie la bassesse de ceux qui sont incapables de porter leurs regards aussi loin et se condamne à partager comme homme l'exil de la pensée (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 191).
D. − Prévoir, pressentir quelque chose. Je te prie de partir tout de suite pour te rendre à Vérone; j'ai besoin de toi, car je vois que je vais être bien malade. Je te donne mille baisers. Je suis au lit. Bonaparte (Napoléon Ier, Lettres Joséph., 1796, p. 44).Tu sais, il ne va pas fort, mon Philibert, je le vois sur la fin (Aymé, Jument, 1933, p. 83).
Voir à l'avance, d'avance. On voyait d'avance que le père Chauvel serait envoyé à la Convention; tout le pays le voulait; il était déjà sorti le premier avec un grand nombre de voix, pour être éligible (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 21).Le regard blanc vole comme une mite, sur le ciel, où il devine le temps, les feuillages, où il voit la maladie à l'avance (Giono, Colline, 1929, p. 18).
III. − [La perception passe par un autre sens que celui de la vue]
A. − [Suppléant la vue] Vous n'avez pu voir que son visage! et moi, ces mains, ces mains seules qui me servent à voir, ha, si elles avaient été là, elles auraient été jusqu'à son âme pour l'empêcher de me quitter! (Claudel, Père humil., 1920, iv, 2, p. 557).
B. −
1. [La chose ou la caractéristique perçue ne sont pas du domaine du visible] Voir une odeur. Quand je dis que je vois un son, je veux dire qu'à la vibration du son, je fais écho par tout mon être sensoriel et en particulier par ce secteur de moi-même qui est capable des couleurs (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 271).Alain doit anticiper. Joindre le geste à la parole. « Pique! » annonce Guillaume, alias Philéas Fogg. La carte tombe. « L'auditeur doit voir avec ses oreilles. » Pas de droit à l'erreur (L'Express, 30 janv. 1992, p. 112, col. 1).
2. Cour. [Voir est utilisé par suite de la primauté de la vue sur les autres sens dans l'expérience hum.]
a) Constater que.
α) [D'après le son émis, les paroles prononcées] Voir qqn approuver, dire, plaisanter, se vanter; voir le ton condescendant de qqn. [Des cris] m'ont réveillée en sursaut, madame. Je me suis promptement habillée, accourant chez vous où j'ai cru voir que le tumulte se dirigeait... (Lemercier, Pinto, 1800, v, 1, p. 143).Je voudrais lui voir dire du Baudelaire, ou des scènes de Monnier comme L'Exécution (Goncourt, Journal, 1894, p. 603).
Voir qqc. à qqn.Ce n'est point un caractère à la Louis XI. D'un autre côté, je lui vois les maximes les plus antigénéreuses... Je m'y perds... Se répéterait-il ces maximes, pour servir de digue à ses passions? (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 442).
Voir + compl. prép. évoquant un phénomène auditif.Je vous remercie, ma bonne amie, lui répondis-je, des soins que vous avez pris pour moi (...); mais je vois par ce que vous dites que vous êtes seule oubliée dans nos communs malheurs (Nodier, Fée Miettes, 1831, p. 93).
[Le compl. ou la prop. complét. expriment l'absence de sons] De lui voir la langue muette, la colère de Bibiche en croissait (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 149).À dix heures et quart quand j'ai vu que monsieur ne m'avait pas sonné, je suis monté sans bruit avec le plateau (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 80).
À l'impér. Voyons l'histoire, dit Franz à son tour en tirant un fauteuil et en faisant signe à maître Pastrini de s'asseoir (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 432).
β) [D'après la saveur, l'odeur ou la senteur] Voir si qqc. est bon, si qqc. a du goût/sent bon. Ils goûtaient ensemble la chair crue des saucisses, du bout de la langue, pour voir si elle était convenablement épicée (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 649).Vous verrez la tisane que je sais faire avec certaines herbes que je connais et les fleurs du citronnier (Claudel, Soulier, 1944, 1repart., 2ejournée, 8, p. 1021).
À l'impér. Il déboucha une bouteille, remplit son verre et ceux de ses voisins.Voyons ce vin clairet, s'écria-t-il; j'ai (...) un de ces gosiers ardents que rien ne désaltère (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p. 141).
γ) [D'après le toucher, par le contact] Asseyez-vous à ma place; vous verrez comme le banc est dur (Larbaud, F. Marquez, 1911, p. 105).J'ai envie de toucher (...) [ces seins], par curiosité, vous savez, pour voir comment c'est fait, si ça résiste, comment c'est attaché (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 204).
b) Éprouver une sensation physique; sentir. Quand le gigot paraît au milieu de la table (...) L'on se sent beaucoup mieux, un charme vous pénètre. Tout un chacun voyant son appétit renaître, Aiguise ses chicots (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 149).Tout d'un coup ça y est: la Nausée. Une belle crise: ça me secoue du haut en bas. Il y a une heure que je la voyais venir, seulement je ne voulais pas me l'avouer (Sartre, Nausée, 1938, p. 156).
2eSection. Domaine de la pensée.Percevoir par l'esprit, se représenter en esprit.
I. − Voir + compl.
A. − Avoir conscience de; constater; se faire une idée, se rendre compte de quelque chose.
1.
a) Voir + subst.L'honneur parle, j'ai vu le devoir, il faut le suivre, et à l'instant (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 431).Peut-être serais-je tombé malade de chagrin dans cet affreux collège si un don, que j'ai gardé toute ma vie, ne m'avait sauvé, le don de voir le comique des choses (A. France, Vie fleur, 1922, p. 413).V. absurdité ex. 8, importance ex. 2.
SYNT. Voir le bien, le mal; voir l'évidence, la vérité; voir le danger; voir son erreur, sa faiblesse; voir le côté plaisant, les avantages, les inconvénients de qqc.; voir la nécessité de qqc.; voir la cause, la conséquence de qqc.; voir une réponse à faire; voir le but de la manœuvre, le moyen de faire qqc; ne pas voir le rapport/la différence (entre...).
[Le suj. ou le compl. d'agent désigne un attribut de la pers.] Penses-tu donc, insensé, que parce que ta pauvre tête ne voit plus d'issue, il n'y en ait plus véritablement? (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 108).Sentant que toute chose est en Dieu, il se perd lui-même dans cet infini (...): ce que d'ordinaire on ne peut voir que par l'esprit devient accessible, presque à l'œil physique (Béguin, Âme romant., 1939, p. 127).
b) Voir qqc./qqn + (loc.) adv. ou compl. prép.
α) [Évoquant la manière plus ou moins exacte de percevoir] Il s'était bien rendu compte que dans les boulots réguliers je me démerdais franchement mal. Il voyait les choses assez juste (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 410).
Voir les choses comme il faut; voir les choses comme/telles qu'elles/autrement qu'elles ne sont. Il y a quelque chose de vraiment comique dans cette mauvaise humeur qui s'est tout à coup révélée contre les libres penseurs (...), comme s'il eût dépendu d'eux de voir les choses autrement qu'elles ne sont (Renan, Avenir sc., 1890, p. 430).Marthe: Comment? est-ce qu'il n'est pas marié déjà? Louis Laine: Marié! marié! Tu ne vois pas les choses comme il faut. Le mariage est un contrat et il se dissout par le consentement des parties (Claudel, Échange, 1954, ii, p. 760).
Faire voir.[Le suj. désigne une chose] Deux textes vous feront voir très clairement ce que j'entends par là et complèteront fort bien notre portrait psychologique (Du Bos, Journal, 1924, p. 83).
P. ext. [Dans une œuvre artist. ou littér.] Bien/mal voir qqn/qqc. Rendre un personnage, un objet avec exactitude ou non; donner une impression juste ou fausse de ses traits caractéristiques. Caractère d'Agamennon, admirablement vu par Racine (Gide, Voy. Congo, 1927, p. 821).
β) [Évoquant un point de vue, un état d'esprit] Je dois me conformer à ma position, voir bourgeoisement la vie, et la chiffrer au plus vrai. Donc je dois penser au mariage (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 152).Il avait un esprit terre à terre. Il voyait les hommes et les choses non pas en philosophe, mais en administrateur (A. France, Vie fleur, 1922, p. 342).
Voir d'un bon, d'un mauvais œil. Les écrivains anarchistes qui demeurèrent fidèles à leur ancienne littérature révolutionnaire, ne semblent pas avoir vu de très bon œil le passage de leurs amis dans les syndicats (Sorel, Réflex. violence, 1908, p. 56).V. œil II B 2 ex. de Guèvremont.
Voir en beau. V. beau ex. 148 et infra ex. de Mirbeau.Voir en noir. V. noir II B 1 ex. de Nerval.Voir en rose. V. rose2II C ex. de Murger et Fromentin.
Au part. passé. Le paysage n'est pas tout à fait le même vu du côté de MmeValéry que du tien (Gide, Corresp. [avec Valéry], 1898, p. 305). Le matérialisme (...) est le seul pouvoir spirituel qui ait opposé au torrent du monde napoléonien un obstacle qui ne fût pas enfantin (...). Vu sous ce jour, il apparaît comme l'épisode principal de la lutte engagée pour arracher l'humanité aux conséquences mortelles du système napoléonien (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 290).
Faire voir.[Le suj. désigne un attribut de la pers.] Mon imagination excessive, grossissante et romanesque (...) me fait voir les choses et les gens en trop beau ou en trop laid (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 35).
γ) [Faisant état de la perspicacité de celui qui voit] Le psychologue (...) voit sous les options techniques et peut-être derrière les aptitudes même des poussées profondes de la personnalité globale (Mounier, Traité caract., 1946, p. 91).
Absol. V. chose1ex. 12.
Savoir voir.Jacques de Meillan n'était pas le dernier des hommes. Il savait voir, derrière les apparences sociales, les réalités vraies qui font du monde une vaste féerie (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 19).
2. Voir + prop.
a) Voir + prop. inf.Discussions animées mais décentes sur la politique et les circonstances. Je vois prédominer partout les passions personnelles et l'esprit de parti (Maine de Biran, Journal, 1816, p. 215).Depuis quelque quarante-cinq ans, j'ai vu la Poésie subir bien des entreprises, être soumise à des expériences d'une extrême diversité, essayer des voies tout inconnues, revenir parfois à certaines traditions (Valéry, Variété III, 1936, p. 33).V. conséquence ex. 1.
b) Voir + prop. complét.Jimmy: Bon, eh bien, pars, puisque tu ne veux rien comprendre! Nicole: Mais comprendre quoi? Jimmy: Tu ne vois pas que tu peux m'aider en ce moment? (Bourdet, Sexe faible, 1931, II, p. 346).V. regarder B 3 c ex. de Senancour.
[Avec (loc.) adv.] On ne voit pas bien que la langue qui avait émouvoir ait fait, en acceptant émotionner, une acquisition très importante ni très belle (Gourmont, Esthét. lang. fr., 1899, p. 17).Ils se prosternent encore au nom d'un roi, mort depuis vingt ans; ils salueraient un chapeau sur un bâton, comme dans Guillaume Tell, et encore avec effusion et remerciement à eux-mêmes. Je vois clairement que notre civilisation prolétarienne méprise tout à fait ces vertus (Alain, Propos, 1914, p. 183).V. plaisir1I A 1 b β ex. de Stendhal.
[Avec compl. de moyen] Par ce qui précède, on peut voir que je ne reconnais pas dans la science de la vie deux sciences distinctes, l'une, science de la maladie, qu'on appellerait la médecine, l'autre, science de la santé, qu'on appellerait la physiologie (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 299).
c) Voir + prop. interr. ou exclam. indir.Je (ne) vois (pas) comment on peut faire, de quoi vous voulez parler, en quoi je peux vous être utile, pourquoi on se gênerait; je vois combien tu as raison; vois/voyez comme il est gentil/intelligent. Ma chère amie, dit Mimi piquée, je vois où vous en voulez venir, à me faire croire que Rodolphe est amoureux de vous, et qu'il ne pense plus à moi (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 167).Le commissaire (...) est venu exprès hier au soir... pour raconter ta pourriture!... Il avait tout ton signalement et même ta photo!... Tu vois si t'es bien connu! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 491).V. regarder B 1 a α ex. de H. Poincaré.
P. ell. Vous avez quelque chose à me dire. Vous savez de quoi je veux parler.Je ne vois pas vraiment. Non, je ne vois pas (Benoit, Atlant., 1919, p. 20).
Voir ce qui/ce que. Je (ne) vois (pas) ce que vous voulez dire/ce qu'il faut faire. Je ne vois pas ce qui pourrait m'empêcher de dénoncer les ravages qu'a déjà causés, dans les classes populaires, l'enseignement laïque (Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 174).
[Avec compl. de moyen] Assurément par ces remarques on ne voit pas assez ce que c'est que le roman; mais il me semble qu'on voit assez ce que c'est que l'anecdote (Alain, Beaux-arts, 1920, p. 293).
3. Voir + pron. neutre.Vous le voyez, mon cher enfant, vous aviez tort de m'en vouloir (Audiberti, Quoat, 1946, 2etabl., p. 72).V. avantage ex. 3.
[Avec compl. de moyen] « Voilà mon fonds (...). Quand je ne le dis pas en propres termes, je le dis en allégories, comme vous le verrez par les Histoires désobligeantes qui vont paraître... » (Bloy, Journal, 1894, p. 127).
Savoir voir.À l'état sauvage, seuls les êtres robustes prospèrent; tout le reste, déchet, sert d'engrais. Mais on ne sait pas voir cela; on ne veut pas le reconnaître (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1197).
Faire voir.Cet homme Olivier [Cromwell] était un excellent colonel de cavalerie, mais il ne comprenait rien aux sentiments du peuple anglais; on le lui fit bien voir au moment de la Restauration (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p. 37).
B. − Porter son attention sur quelque chose.
1.
a) Examiner, étudier. Frédé peut faire mieux qu'un courrier. Il a été responsable politique à Toulouse.Je verrai cela avec Caracalla (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 10).
À l'impér. [Pour circonscrire, résumer une question] Voyons si tu as compris, si nous sommes d'accord. Sans s'arrêter à ces suppositions (...), voyons du moins ce que notre activité prépare pour des tems accessibles à nos conceptions (Senancour, Rêveries, 1799, p. 235).Fam. Allons, laissons cela. Nous en reparlerons une autre fois. Et voyons cette petite santé (Montherl., Célibataires, 1934, p. 891).
À voir. Il faudra y revenir; à vérifier. En mettant tous les animaux à une alimentation identique, c'est-à-dire à jeun, les urines deviennent identiques chez les chiens et chez les lapins. Cependant les urines de ces animaux doivent présenter quelques différences qui représentent alors les différences du sang lui-même (à voir) (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 233).
Expr. C'est à vous de voir si... C'est à vous de décider, après examen, si... Maintenant, c'est à vous de voir si vous êtes pour la justice et pour le travail (Zola, Germinal, 1885, p. 1321).
b) [Dans le lang. du dr.] Cette Chambre pouvait voir et connaître de toutes plaintes et clameurs, recevoir toutes requêtes et y pourvoir, connaître de tous cas criminels et civils (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 374).
2. Prendre en compte. Objectivement, vous ne pouvez pas séparer ces deux termes homme et humanité; j'entends que quand vous considérez un homme, vous voyez réellement tous les hommes, et que vous ne pouvez pas voir l'individu sans voir l'espèce (P. Leroux, Humanité, 1840, p. 250).
Ne voir que... Ne penser qu'à..., ne tenir compte que de... Ne voir que son intérêt; ne voir que le résultat, les avantages, les inconvénients, les risques de qqc. Teissier: Voilà quelque temps déjà que je viens ici (...). Vous avez dû penser quelque chose. Marie: Mon attention était ailleurs. Teissier: Où était-elle? Marie: Je ne vois que ma famille. Je ne vois que le sort qui l'attend après celui qu'elle a perdu (Becque, Corbeaux, 1882, iii, 8, p. 191).Ce jeune artiste ne voit qu'une chose, lui, gagner de l'argent!... Les femmes, il s'en fiche (Guitry, Veilleur, 1911, ii, p. 17).
C. − Porter un jugement sur quelque chose/quelqu'un.
1. Trouver; estimer/juger qu'il y a... Ce qui m'a rendue le plus malheureuse, c'est que j'ai vu une coïncidence entre la mort de ma mère... et le meurtre du petit furet. J'ai pensé que c'était là une punition du ciel (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 94).
a) Voir qqc.1à qqc.2Voir une objection, une raison à. Sénécal demanda si quelqu'un voyait un empêchement à cette candidature.« Non! non! » Mais lui, il en voyait (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 135).Il fit la tournée de ses voisins futurs pour les prier de l'aider à déménager (...) il voyait un double avantage à cette corvée: aller plus vite, et trouver l'occasion de remercier ces voisins par un plantureux repas de tous les coups de main déjà donnés (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 152).
Voir beaucoup/rien à + inf. (à qqc.).Mon cher ami, votre projet de traité me semble aussi bien que possible et je n'y vois rien à redire (Flaub., Corresp., 1862, p. 42).Ferdinand voyait beaucoup à gagner à l'amitié du député. Mise à part toute ambition personnelle, le vétérinaire songeait à la carrière de son fils aîné Frédéric (Aymé, Jument, 1933, p. 61).
Voir qqc. à + (prop.) inf.Je vois un inconvénient à faire coïncider la publication de l'ouvrage de M. de Lamartine avec la publication du mien (Hugo, Corresp., 1864, p. 464).
Voir qqc. à ce que + verbe.Je ne vois pas d'inconvénient à ce que tu diriges à ton gré les rapports de ta littérature avec moi. Mais la question change quand il s'agit des rapports de toi à moi (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1898, p. 321).
b) Ne voir que + subst. (+ où/si...).Il ne me paraît pas qu'il y ait l'accent de la piété, même dans l'hymne de Cléanthe à Jupiter, dans l'invocation de Lucrèce à Vénus (...) ou dans les chœurs des tragiques. Je ne vois guère que les Bacchantes et l'Hippolyte d'Euripide où sonne un peu cet accent (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 145).Les choses étant ce qu'elles sont, je ne vois que deux solutions (Sartre, Mains sales, 1948, 3etabl., 4, p. 106).
2.
a)
α) Voir qqc.1/qqn1dans/en qqc.2/qqn2.Attribuer une qualité, un statut, une fonction à quelque chose /quelqu'un; considérer quelque chose/quelqu'un en tant que (support de). Dans l'homme il [Zola] voit la brute, dans l'amour l'accouplement, dans la maternité l'accouchement (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 265).J'ai cru que, tout en me comblant, l'amour pouvait m'aider à sortir d'une très grande difficulté morale. J'ai vu dans l'amour la fin de ma solitude (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 218).
[À propos d'un personnage] Je n'avais jamais pensé à Anne comme à une femme, mais comme à une entité: j'avais vu en elle l'assurance, l'élégance, l'intelligence, mais jamais la sensualité, la faiblesse (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 68).V. lorsque B 1 ex. de Bernardin de Saint-Pierre.
[Le suj. est du domaine de la philos.] La vieille morale empirique voyait à tort dans l'hypersexuel l'homme dangereux, l'homme de désordre (Bernanos, Joie, 1929, p. 648).
Faire voir.[Le suj. désigne une faculté, une sensation] Rachète ta lâche inertie, Tes votes honteux, la torpeur Qui te faisait voir un messie Dans l'épouvantable trompeur, Dans cet immonde Bonaparte (Glatigny, Fer rouge, 1870, p. 61).
[Le compl. prép. est remplacé par]
[un pron. rel. ou adv.]
[Avec ] Qu'est-ce qui fait sa condamnation certaine aujourd'hui? C'est qu'il a dénoncé les faux d'Esterhazy, où l'état-major infaillible a besoin de voir les preuves de la culpabilité de Dreyfus (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 107).Le Supérieur général de la Compagnie avait observé dans l'allure du séminaire une bonhomie où il ne pouvait voir que du laisser-aller (Billy, Introïbo, 1939, p. 41).
[Avec y] Je suis sur la brèche pour vous défendre envers et contre tous, mais je ne voudrais pas que l'on pût y voir le moindre calcul (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 347).Une espèce de lueur douce traînait dans son regard, et le malheureux Clergerie, à bout de forces, y crut voir un présage sinistre (Bernanos, Joie, 1929, p. 709).
[Avec un adv.] Un orage, n'est-ce pas?Oui, un orage.Et vous voyez là un motif de vous inquiéter? (Benoit, Atlant., 1919, p. 78).Si nous pouvions hésiter encore à voir ici la première ébauche du mythe romantique, une phrase (...) suffirait à lever nos doutes (Béguin, Âme romant., 1939, p. 53).[Le suj. désigne un attribut de la pers.] Il y en a qui prétendent qu'on l'a flétri d'un surnom dans sa jeunesse; qu'il en est resté inconsolable le reste de son existence, parce que sa dignité blessée voyait là une preuve flagrante de la méchanceté des hommes (Lautréam., Chants Maldoror, 1869, p. 146).
β) Voir qqc./qqn + attribut du compl. d'obj.Vous savez, il a eu deux vertiges aujourd'hui (...), fait-elle. (...) Je ne sais pas... Il y a quelque chose que je ne comprends pas... Je ne vois pas ça tout physique... N'y aurait-il pas un ennui moral? Il est si triste (Goncourt, Journal, 1888, p. 792).V. regarder B 1 a α ex. de Alain.
[L'attribut est introd. par comme] Un mari qui n'aime plus sa femme ne voit cette femme que comme l'instrument de son malheur, et ne songe pas au malheur affreux qu'il lui cause (Chênedollé, Journal, 1815, p. 79).Il voyait vaguement tous les pauvres comme des envoyés de Dieu (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 457).
b) Voir toujours/ne jamais voir de/en qqn (que) qqc./qqn. Ne considérer quelqu'un que sous l'un de ses aspects. J'ai toujours vu le père en vous (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 633).Jusqu'à ce jour, je n'avais vu de lui que le magistrat; l'homme enfin écartait la toge (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1113).
D. −
1. Connaître d'avance; prévoir; envisager.
a) Voir + subst.On partirait de Paris... C'est rigoureux... On irait lentement. Je vois trois journées jusqu'aux Vieux Garçons... Tout d'abord (Goncourt, Journal, 1888, p. 832):
5. Étant d'humeur, ce soir-là, à ne pouvoir se passer de Morel, il avait inventé qu'on lui avait rapporté que deux officiers du régiment avaient mal parlé de lui à propos du violoniste et qu'il allait leur envoyer des témoins. Morel avait vu le scandale, sa vie au régiment impossible, il était accouru. Proust, Sodome, 1922, p. 1067.
Voir qqc. dans l'avenir; ne voir dans l'avenir aucune espérance. De toutes parts, dans cet avenir, Julien voyait le manque de succès (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 390).
b) Voir + prop. inf.Commandant et décoré, je voyais un nouvel horizon s'ouvrir devant moi (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 221).
Voir approcher, voir arriver, voir poindre qqc., ou cour., voir venir qqc.; voir venir la catastrophe, le danger; voir venir les événements. Prouvez-moi donc que vous êtes réellement en mesure de vous marier (...) Que gagnez-vous, monsieur, année commune? Cette épouvantable question, que je voyais poindre depuis un moment, m'écrasa comme un coup de foudre (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 234).Il m'a dit son désir de l'épouser; sa résolution...C'était à prévoir, murmura-t-elle (...).Alors tu t'en doutais? fis-je un peu nerveusement.On voyait venir cela depuis longtemps. Mais c'est un genre de choses que les hommes ne savent pas remarquer (Gide, Symph. pastor., 1919, p. 906).
[Le suj. de l'inf. désigne une fraction du temps] Savez-vous que je vois venir l'instant où le tribunal d'écoute-s'il-pleut, exclusivement occupé à venger vos petits griefs, ne pourra plus suffire à tant d'obligations? (Courteline, Gend. sans pitié, 1899, 1, p. 145).Il voyait venir le moment où, d'un commun accord, on enseignerait que deux et deux font cinq, que le tout est plus petit que la partie et la nuit, plus lumineuse que le jour (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 473).
2. Voir venir.Attendre la suite des événements avant d'agir, d'entreprendre quelque chose. Ayant écrit deux lettres, de quatre pages chacune, il pensa qu'il en avait assez fait pour le moment, et qu'il n'y avait plus qu'à voir venir (Montherl., Célibataires, 1934, p. 812).
Attendre et voir venir. Neutraliser peu à peu l'abbé Traquet en lui suscitant des difficultés avec Folcoche (...). Entreprendre, moi aussi, M. Rezeau. Pour l'instant, attendre et voir venir. J'étais en train d'apprendre que l'hypocrisie est sœur de la patience (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 168).
Avoir/donner le temps de voir venir. J'approuve fort que vous preniez le portefeuille des Affaires Étrangères, comme vous l'aviez, par intérim. Cela vous donnera le temps de voir venir et d'arranger les affaires (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 173).[P. ell. de venir] « Comme ça » dit l'un d'eux en sortant de la pièce où avait eu lieu la discussion, « nous aurons le temps de voir; et les agités se calmeront (...) » (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 33).
En partic. Pouvoir voir venir. Avoir suffisamment de moyens pour vivre un moment sans souci. J'ai déjà mis de côté (...) un certain nombre d'obligations qui vous assurent une centaine de mille francs de rente. Avec cela vous pourrez voir venir (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 225).
II. − Empl. trans. indir. Voir à
A. − Voir à + subst.S'occuper de, prendre soin de. Sacristi!... fit-il, ennuyé... je devrais aller voir aux châssis... Les mulots ne me laissent pas une salade, ces vermines-là (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 183).Le matin de ce dimanche de décembre, pendant que Didace voyait au train de l'étable, Venant apporta le bois au bûcher (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 88).
B. − Voir à + inf.Veiller à, songer à; faire en sorte de. Si vous ne tenez pas à cette fille, pourquoi exposer ainsi votre vie?Parce que je tiens encore moins à ma vie qu'à elle; mais brisons là-dessus. Je vais voir à finir gaiement la journée (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 182).Il est effectif, monsieur, que je suis très susceptible de confondre Arbois de Carthage avec Proclès de Jubainville. Je verrai plus tard à combler ces lacunes. Pour le moment, je désirerais savoir où nous sommes (Benoit, Atlant., 1919, p. 131).
Pop. Faudrait voir à. Faudrait voir à ne pas rater le train, fit Croquebol (Courteline,Train 8 h. 47,1888,p. 82).D'abord, interdiction d'employer les mots mecs et nanas (...). Ensuite, faudrait voir à réviser ma grammaire et à employer l'imparfait du subjonctif si nécessaire (Le Monde, 7 févr. 1986, p. 30).V. moment I E 3 c ex. de Barbusse.
III. − Empl. abs.
A. −
1. Voir +(loc.) adv.Avoir une certaine conception des choses; se faire une certaine idée d'elles. Elle avait, autant que je puis me rappeler les choses qu'elle me disait et dont mon cœur d'enfant était remué, une âme magnanime de pauvre femme. Elle voyait gros et simple (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Cloch., 1886, p. 662).Jamais encore je n'avais vu si clair dans ma nature et dans mon destin d'écrivain (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 127).V. clairement B ex. de Renan.
Voir faux. V. faux2.
Voir juste*. Voir grand*. Voir loin*.
2. Façon, manière de voir. Opinion, conception. Quand je te donne une opinion sur tes écrits, d'abord ce n'est qu'une opinion et puis tu dois maintenant me savoir assez par cœur pour connaître que j'ai une manière de voir très spéciale et pas pratique en ces matières (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1898, p. 321).Brotonneau: (...) Nous battre? Et non! Oh! ce n'est pas seulement parce que ça peut être tout de même dangereux. C'est surtout parce que ça n'arrangerait rien. De Berville: Vous me permettrez, monsieur, de ne pas partager cette façon de voir (Flers, Caillavet, M. Brotonneau, 1923, i, 13, p. 8).V. positif ex. 5.
B. − Synon. de comprendre.
1. Interj. [Dans un dialogue fam.] Je vois. V. comprendre II A 1.Une cigarette... offre Marat.Je ne fume pas.Il ne boit pas non plus, dit Rodrigue, pas même de vin.Je vois... Continue (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 11).
2. [À la suite d'un effort de réflexion] V. comprendre II A 2 a.Le livre a de l'allure, mais, par endroits, il tient du libelle. Plus tumultueux d'ailleurs que limpide. Fréquente communion, ou infréquente ? On ne voit pas trop. Confusion voulue et perfide, comme on l'a dit? (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 422).
C. − P. ext. [Exprime une relation, un rapport; constr. le plus souvent avec ne... rien]
Avoir à voir avec...
[Le suj. et le compl. désignent des pers.] Avoir un lien; avoir quelque chose de commun avec. Le comte de Méséglise n'avait rien à voir avec les Guermantes et ne faisait même pas part du côté Guermantes, mais du côté Cambremer (Proust, Fugit., 1922, p. 672).
[Le suj. et le compl. désignent des choses] Être du même ordre que; aller dans le même sens que. La plupart des lecteurs de Proust l'ont aimé et l'aiment encore pour des raisons qui ont peu de chose à voir avec ce qui fait sa valeur (Sarraute, Ère soupçon, 1956, p. 139).
[Le suj. est un pron. neutre] Cela n'a rien à voir avec nous. Cela ne nous concerne pas. Il ne faut pas oublier, reprenait Villard, qu'en Belgique les industriels travaillent.Non!Si!On ne sait pas...Ça n'a rien à voir avec nous (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 134).
Avoir à voir dans...
[Le suj. désigne une pers.]
Être concerné par. Bourdon: Bonjour, Teissier. J'étais en train d'expliquer à MmeVigneron et à sa fille l'impossibilité où elles se trouvent de conserver leurs terrains. Teissier: Je n'ai rien à voir là dedans. Ces dames ne peuvent pas trouver un meilleur conseiller que vous (Becque, Corbeaux, 1882, ii, 8, p. 130).
Avoir à redire à. Tout est à ton nom, à la Westminster, ta dot initiale et les bénéfices... Les enfants n'auront rien à y voir... Tu peux être tranquille. Je suis le maître de mon argent et de ce que mon argent a produit, mais ce qui vient de toi est à toi (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 197).
[Le suj. désigne une chose] Être en cause. Entend-on par bonheur un état non défini de sensations et de sentiments agréables, indépendamment d'une conception philosophique de notre nature et de notre destinée, la philosophie n'a rien à voir là (P. Leroux, Humanité, 1840, p. 118).Tu ne t'es pas remis à ton roman?Non; mais la pièce n'a rien à y voir (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 245).
3eSection. Expr. et tournures diverses (appartenant le plus souvent à la lang. parlée)
I. − [Pour marquer l'idée de présence, d'existence, de réalité de qqc.]
A. −
1. [Équivaut à il y a, il existe] Partout où vous verrez un autel, là se trouve la civilisation (J. de Maistre, Soirées St-Petersb., t. 1, 1821, p. 106).Vas-tu me la regarder, tout de même! éclata Haudouin. Tu n'en vois pas des pareilles à Épinal (...)! Ernest regarda la fille déjà tout près du bois, et dit en hochant la tête:Ce n'est pas mal tourné, bien sûr (Aymé, Jument, 1933, p. 206).
[Le suj. est on] Leurs valets me semblent comme à vous les plus méchants drôles qu'on ait vus depuis bien du temps (Courier, Pamphlets pol., Lettres partic., 1820, p. 55).La ville était empoisonnée d'enfants... Une abomination!... Ça grouillait dans les rues (...) On ne voyait que ça, quoi!... Eh bien, je ne sais si vous l'avez remarqué... Aujourd'hui on n'en voit plus (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 168).
On ne voit ça que...; il n'y a que... qu'on voit cela. Où te garder? Crois-tu que je dispose ici d'une oubliette à jolies filles? On ne voit ça que dans les romans, finaude! (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 77).Les hommes avaient à la pochette un stylo, et quelquefois, en plus, un porte-mine; il n'y a qu'à Paris qu'on voit cela (Montherl., Célibataires, 1934, p. 837).
On ne voit pas cela, même... Au fond, ce n'est pas sa femme qu'il déteste le plus, c'est nous. Quelle chose inimaginable! On ne voit pas ça, même dans les livres (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 183).
Loc., en appos.
Comme on en voit à/chez/dans. Une magnifique porte à deux battants, d'un vert profond (...), aux deux marteaux de cuivre bien astiqués comme on n'en voit que chez des avoués de province ou dans les couvents (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 7).J'aimerais habiter une maison comme on en voit dans les estampes (Bachelard, Poét. espace, 1957, p. 60).Comme on (n') en voit guère/pas/peu. Je n'étais pas fâchée non plus de connaître le capitaine Mauger... Un vrai type de loufoque, celui-là, et comme on en voit peu, je vous assure (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 87).Se ceignant la taille du vague assemblage de feuilles et d'herbes qui lui sert de pagne (...), muni d'une besace comme on n'en voit pas, Kolikongbo part à l'aventure (Maran, Batouala, 1921, p. 147).
Tel qu'on (n') en voit (plus). C'était une de ces grosses bonnes bouillottes ventripotentes, goitreuses, ou cabossées par un long usage (...), telles enfin que l'on n'en voit plus aujourd'hui que tout devient dur, étriqué, anguleux et chagrin (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 214).Il montrait la plaine, une de ces plaines comme aimait en peindre Van Der Meulen, avec un village tel qu'on en voit dans le coin de ses tableaux (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 63).
2.
a) (Tant que je vivrai), je ne verrai pas cela. Cela ne sera pas, cela n'arrivera pas. Césaire avait beau lui crier dans l'oreille, dans celle qui entendait encore quelques sons: « J' vous soignerons ben, mon pé (...). » Le vieux répétait: « Tant que j' vivrai, j' verrai point ça » (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Père Amable, 1886, p. 214).Père, le boulanger nous refuse crédit... Nous sommes en retard pour les fermages. Le propriétaire de l'Épine va nous saisir!... Saisir la fille de Gilbert Cloquet! Non, je ne verrai pas ça... (R. Bazin, Blé, 1907, p. 41).
b) Je voudrais bien voir cela/que... Que l'on essaye de... Raton, à Jean, à mi-voix: La Cour et le Ministère sont furieux contre moi; on veut m'arrêter, m'incarcérer, m'emprisonner, peut-être pire... Jean: Ah bien, par exemple! je voudrais bien voir cela! Il y aurait un fameux bruit dans le quartier, et vous m'y verriez, notre maître (Scribe, Bertrand, 1833, ii, 3, p. 153).Les deux femmes se cramponnent à ses bras: « Charles! y songes-tu? Ils nous expulseront et tu seras bien avancé! » Mon grand-père hausse le ton: « Je voudrais bien voir qu'ils m'expulsent: je suis chez moi! » On me pousse dans ses jambes, je le regarde d'un air suppliant, il se calme: « C'est bien pour le petit » (Sartre, Mots, 1964, p. 26).
B. − [Pour souligner le caractère exceptionnel de qqc./qqn]
Avoir vu, n'avoir (jamais) vu + subst./pron. indéf./inf.Elle a ri, et m'a assuré qu'elle n'avait jamais rien vu d'aussi drôle que vous (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 68).Ma parole d'honneur, je n'ai jamais vu un polichinelle pareil! (Becque, Corbeaux, 1882, ii, 9, p. 139).Il a dîné chez les dames Millet, et jamais elles n'avaient vu tant manger (Renard, Journal, 1901, p. 685).Je n'ai vu de ma vie vieille femme plus grave, plus tranquille, plus blanche et plus silencieuse (A. France, Vie fleur, 1922, p. 456)
On ne voit pas/jamais on ne verra deux fois... Leur figure se grave profondément dans la mémoire, parce qu'on ne voit pas deux fois des figures de ce caractère (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 90).Les raisons qui, de plus en plus nombreuses, m'ont été données de vouer à cette femme une espèce de culte et de vénérer en elle ce que jamais on ne verra deux fois (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 234).
N'avoir jamais vu ça; c'est la première fois que je vois ça. Bien sûr que je veux qu'on me les frise [mes cheveux] ! Pas frisée, un jour de Prix, un jour de Ministre? On n'aurait jamais vu ça ! (Colette, Cl. école, 1900, p. 269).Fridel, Honoré et Louise sont aux trois téléphones. Louise: M. Brotonneau n'est pas encore arrivé. Honoré: M. Brotonneau n'est pas encore là. Fridel: M. Brotonneau n'est pas encore paru. Honoré: C'est la première fois que je vois ça (Flers, Caillavet, M. Brotonneau, 1923, i, 2, p. 3).
Peut-on voir? où a-t-on vu? il est impossible de voir. Se pouvait-il voir un pareil mépris, que de ne jamais se lever, s'avancer à lui, quand il entrait? (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 245).Depuis le commencement du monde, où a-t-on vu un seul exemple de ce miracle: l'incrédulité menteuse et hypocrite faisant des croyants (Renan, Avenir sc., 1890, p. 331).Il était impossible de voir deux sœurs plus dissemblables que mes cousines (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 113).
On* aura tout vu!
Absol. A-t-on vu, a-t-on jamais vu. C'est stupide à la fin, un enfant comme ça!... Le voilà qui se tue maintenant! et chez moi! A-t-on jamais vu! Il lui faisait peur (Zola, Nana, 1880, p. 1444).Il fit tourner sur place la première paire de bœufs.A-t-on vu! grommelait-il! Pas un compliment pour des bêtes comme les miennes! (R. Bazin, Blé, 1907, p. 275).
II.
A. − [Pour marquer nettement l'affirmation ou la mise en doute de la réalité ou de la véracité de qqc.] Voir (par) soi-même; voir de/avec/par ses (propres) yeux. Maintenant que j'avais vu Larsan, de mes propres yeux, oui, oui, de mes propres yeux vu, je sentais bien que notre grand voyage était devenu impossible (G. Leroux, Parfum, 1908, p. 31).J'entends dire par-ci, par-là, et je le vois aussi par moi-même, car je n'ai pas les yeux dans ma poche (...) j'entends répéter, dis-je, et je vois, que tu continuesdiscrètementà faire la cour à la petite (Pagnol, Fanny, 1932, ii, 7, p. 142).
[Avec répétition du verbe] J'ai vu, ce qu'on appelle vu, quinze hommes qui montent à cheval et vont battre la campagne pour faire arriver ce soir ou demain avant midi cent cinquante électeurs légitimistes (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 179).J'ai vu ce que j'ai vu. Ici, des personnes disent qu'il y a pas à manger dans l'Alcazar. Croyez pas ça, monsieur le commandant. C'est du cheval et du mauvais pain, mais y a à manger. J'ai vu ce que j'ai vu (...)! y a à manger (Malraux, Espoir, 1937, p. 557).J'ai vu comme je vous vois. J'ai vu, comme je vous vois, j'ai vu clairement, sans erreur possible, trois lumières... Je vous dis que je les ai vues, Prévot! (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p. 235).Var. J'ai vu tel que je vous parle. Je les ai vus tel que je vous parle, s'en retourner après victoire dans leur village, chargés de plus de cent paniers de viande humaine bien saignante pour s'en foutre plein la lampe! (Céline, Voyage, 1932, p. 176).
Tout comme tu me vois; tel que vous me voyez. Mais tu sauras que j'ai fait des classes, moi! Je suis de bonne famille, tout comme tu me vois! Je n'en parle pas parce que ça ne sert à rien (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, i, 6, p. 10).Tel que vous me voyez, cher ami, je n'ai pas pris un jour de vacances depuis la mobilisation. Je suis à bout (Martin du G., Thib., épil., p. 802).
[En relation avec croire] Il se jetait en avant quand un garde national l'arrêta.« C'est inutile! Le Roi vient de partir. Ah! si vous ne me croyez pas, allez-y voir! » une pareille assertion calma Frédéric (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 110).Il faut avoir vu une telle transformation pour y pouvoir croire (Benoit, Atlant., 1919, p. 258).
[Marque la surprise] Michel, se reculant, et sur un ton de farce: Mais... Sophie... Que vois-je! Vous avez du rouge aux lèvres! Yvonne: Moi! Michel: Oui, toi! et de la poudre. En voilà des manières (Cocteau, Parents, 1938, i, 4, p. 203).
B. −
1. [Pour souligner l'aspect bénéfique ou non d'une hypothèse] Je vois bien/mal. Je ne vois pas bien une petite Française s'allant promener chez les Mandingues (Vogüé, Morts, 1899, p. 275).Tiens, j'vois très bien Madeleine Vandaërt épousant un autre gars. Elle est veuve (Barbusse, Feu, 1916, p. 177).
2. [Pour souligner le caractère absurde, ridicule ou tragique d'une hypothèse] Où avez-vous vu (que); vois-tu que...? Et votre démarche à vous, est-elle régulière? Où avez-vous vu que ce soit l'offenseur qui envoie des témoins à l'offensé?... Où? (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, i, 21, p. 24).Il ne faut pas que je meure avant lui. Il ne faut absolument pas! Vois-tu que je me laisse mourir, et qu'il se tue, et qu'il se manque? Je le connais (Colette, Sido, 1929, p. 108).
Tu me/nous vois d'ici. Au fond, il n'y a que le bourgogne, ou alors le café très bien soigné. Mais tu nous vois d'ici demander du bourgogne dans cette boîte! (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 82).
[Pour marquer le doute] Va-t-en voir, allez-y voir (si)... Synon. allez savoir (v. savoir1).Et c'est moi qui suis venu; c'est bien moi, moi, Raboliot; mais va-t-en voir demain si je reviens, Volat! (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 79).Absol. Il rêvait au fond de la voiture près de la comtesse Kamenskaia, qui n'était peut-être pas comtesse, se disait-il, allez donc y voir (Nizan, Conspir., 1938, p. 150).Louis Kervern, qui songeait à ses dix gosses, déclarait bien par devant qu'il n'accepterait jamais la parcelle, mais, par derrière, va-t'en voir! (Queffélec, Recteur, 1944, p. 184).
C. − [Pour illustrer un raisonnement par un ex. concr.]
Il n'y a qu'à/on n'a qu'à voir. Tout péterait un jour, grâce à l'instruction. On n'avait qu'à voir dans le coron même: les grands-pères n'auraient pu signer leur nom, les pères le signaient déjà, et quant aux fils, ils lisaient et écrivaient comme des professeurs (Zola, Germinal, 1885, p. 1277).La bataille ne va pas se stabiliser comme ça. Il n'y a qu'à voir la dépense d'obus qu'ils font pour bouleverser notre arrière (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 149).
Voyez ce que c'est que. L'homme le plus surpris de la ville, en apprenant qu'il allait partir pour l'Afrique, ce fut Tartarin. Mais voyez ce que c'est que la vanité! Au lieu de répondre simplement qu'il ne partait pas du tout (...) le pauvre Tartarinla première fois qu'on lui parla de ce voyagefit d'un petit air évasif « Hé!... hé!... Peut-être... Je ne dis pas » (A. Daudet, Tartarin de T., 1872, p. 33).
Comme on (le) voit par. Comme on le voit par cette anecdote, la bienveillance tient une assez grande place dans les sensations causées par le haschisch (Baudel., Paradis artif., 1860, p. 359).Or tout déroulement mécanique, comme on voit par le bavardage intempérant, tombe aussitôt dans l'incohérent et l'absurde (Alain, Propos, 1921, p. 242).
D. −
1. [Pour souligner une évidence] Tu vois/vous voyez (bien). Son excellent frère, continua Rocambole, a une assez belle idée, celle de le tuer, d'épouser sa femme après, et d'hériter ainsi de sa fortune. Baccarat et le jeune Russe se regardèrent.Vous voyez, dit la jeune femme, j'avais deviné (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 472).Hugo? Crois-tu que tu m'aimais? (Il ne répond pas.) Tu vois bien (Sartre, Mains sales, 1948, 5etabl., 2, p. 195).
Comme tu vois/vous voyez. Je te dis tout, comme tu vois,... ou bien veux-tu que j'abrège? (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 242).Je vous envoie les corrections de deux feuilles, très chargées, comme vous verrez, et je ferme bien vite cette lettre, pour qu'elle parte à temps (Hugo, Corresp., 1862, p. 376).
[En incise] Vois-tu, tu vois, voyez-vous. Nous autres femmes, vois-tu, il n'y a qu'une seule chose qui ne nous ennuie jamais, c'est d'aimer et d'être aimées! (Pailleron, Monde où l'on s'ennuie, 1869, i, 7, p. 29).Escartefigue, sentencieux: Au fond, voyez-vous, le chagrin, c'est comme le ver solitaire: le tout, c'est de le faire sortir (Pagnol, Fanny, 1932, i, 1ertabl., 8, p. 25).V. on I B 2 c ex. de Bernanos.
2. [Pour susciter l'adhésion de l'interlocuteur] Tu vois le genre. Et ce ton sec qu'il prend dans les grandes occasions, à vous geler le sang (...). « Vous êtes un gamin sans cervelle, incapable de mesurer la portée de ses actes... » Tu vois le genre (Gracq, Syrtes, 1951, p. 66).
E. − [Pour attirer l'attention d'un interlocuteur sur un fait gén. péj.] Tu as vu, voyez, voyez-vous, a-t-on vu. Ils filaient, allégés, vers le pont déjà proche (...). Alors Sarcelotte eut un rire étouffé:T'as vu c' te pagaille?On passera sûrement avant eux... (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 269).Son ménage, tu as vu ça? La boîte à ordures en plein milieu de la cuisine. Et la couleur de l'essuie-verres sur le comptoir (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 16).
En partic. [Pour insister sur la nature d'un comportement] On (...) accuse [la nation] de se laisser mener par les préfets, et ceux-ci de mener la nation. Quelle insigne fausseté! Voyez la médisance! (Courier, Pamphlets pol., Procès, 1821, p. 103).Vous êtes le meilleur ; mais il y a des choses que vous ne savez pas.Et que tu sais, petite fille? Voyez la grande sagesse!Ne vous moquez pas (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1572).
[Le compl. désigne une qualité de la pers.] Cela ne te regarde pas.Va vite retrouver ton Raoul, misérable! m'écriai-je, furieux.A-t-on vu l'impertinente? (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 342).Laissez-la, dit le curé, je veux que ce soit à moi qu'elle cède... Les garçons plaisantèrent:Cédera... cédera pas... voyez la sainte nitouche, la mijaurée (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 150).
Voyez-vous ça/voyez-moi ça. Eh! mais, crie Barque en riant, c'est qu'i'(...), c'débris. Il est belliqueux, voyez-vous ça, et i' s'rait malfaisant s'il avait seulement soixante ans de moins (Barbusse, Feu, 1916, p. 51).Dans une boutique de musique, c'était pour trimballer des pianos, ils se sont payés ma gueule, une grosse femme qui gloussait: « Le petit gringalet, non, mais voyez-moi ça! » (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 370).
F. − [Pour souligner ou pour rappeler le caractère remarquable, en bien ou en mal, de qqc. ou de qqn]
Si tu voyais/si tu avais vu
+ subst.L'appétit je ne sais pas ce que c'est. Si tu avais vu les phosphatines de mon enfance, j'en laissais la moitié: quel gaspillage! (Sartre, Mains sales, 1948, 3etabl., 3, p. 97).
+ prop. inf.Heureusement pour Vieublé qu'il s'est fait évacuer, ce qu'il en aurait roté. C'est celui-là qui a eu le vrai filon, tiens... Si tu l'avais vu se barrer avec sa patte amochée, je te jure qu'il était marrant (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 218).
+ prop. exclam.Si tu avais vu l'abbé, comme il cherchait à me faire avouer! Son air mielleux! (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 633).En rentrant à l'hôtel, elle confiait à son mari: « Si tu voyais comme elle est maigrie, Émile. Y en a plus d'elle... Elle passera pas l'hiver » (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 189).
+ pron. neutre.Ah! dame, papa n'était guère raisonnable... Aussi, quelle dégringolade! Si tu avais vu ça, un plongeon, une dèche!... Je peux dire que j'en ai supporté de toutes les couleurs (Zola, Nana, 1880, p. 1366).Ma tête a passé, j' peux dire, entre les éclats, mais tout juste, rasibus, et les esgourdes ont pris.Si tu voyais ça, dit Fouillade, c'est dégueulasse, ces deux oreilles qui pend (Barbusse, Feu, 1916, p. 62).
Tu aurais dû voir. C'est rien, ça: t'aurais dû voir les chasses d'autrefois quand on rapportait les canards à plein canot (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 75).
Il faut/il fallait voir/avoir vu
+ subst.La jeune fille soupira, en le regardant avec un air de compassion touchant et sincère. Mais il fallait voir quels yeux!... et comme les soupirs allaient bien à cette gorge de vierge! (Sue, Atar-Gull, 1831, p. 11).
+ prop. inf.Je l'ai eu, allez, votre âge. Fallait me voir danser (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 251).Il faut l'avoir vu assommer un taureau d'une gifle (Audiberti, Femmes Bœuf, 1948, p. 113).
+ prop. exclam.Le Cygne de Cambrai, il me met en fureur! On n'est pas bête comme ça! Et il faut voir comme il traduit l'Iliade et l'Odyssée ! Et des répétitions de mots! (Goncourt, Journal, 1861, p. 888).L'étage se compliquait un peu, à peine, avec trois chambres et un débarras, la salle de bains. En haut, la domesticité. Il fallait voir comment tout cela était meublé (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 305).
P. ell. Il avait écarté tout le monde, il s'était enfermé là-dedans, avec du pétrole... Et ça brûlait, fallait voir! (Zola, Nana, 1880, p. 1409).Nous plastronnions, il fallait voir comme!... Et le triste individu qui aurait fait perdre la face à ses supérieurs n'y couperait pas du maximum! (Vercel, Cap. Conan, 1934, p. 83).
Il faut voir ça! Il en a une famille, et une propre!... Des tas de nièces et de cousines... des fainéants, des sans le sou, des traîne-misère... et qui le grugeaient... et qui le volaient... fallait voir ça!... C'était une abomination (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 61).Et la foule essayait de dérober le secret de cette beauté [exposition de peintres italiens]. Elle ne cédait pas au snobisme. Évidemment la plupart avaient dépassé le stade: « Il faut avoir vu ça... » Que de ferveur dans ces pauvres yeux écarquillés! (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 161).
III.
A. − [Pour exprimer un reproche] Tu vois le résultat/ce que tu as fait. Tu vois Clémence!... (...) Tu vois encore ce que tu as fait... Avec ton incurie crétine! ton imbécile aveuglement (...) Tu vas lui remettre de l'argent!... Lui confier ta bourse à lui? (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 385).
Tu vois comme tu es. Tu vois comme tu es: tu me dis de lui demander un service et tu ne peux même pas faire l'effort d'être un peu aimable! (Bourdet, Sexe faible, 1931, i, p. 260).
B. − [Pour exprimer une menace] Il va/nous allons voir (ça)! Me foutre à la porte?... Eh ben, nous allons voir ça... Et la bonne sort en faisant claquer la porte (Guitry,Veilleur,1911,ii, p. 11).
On verra qui je suis. Toutes ces femmes, toutes ces filles, je vois bien qu'elles se sont foutues de moi. Pas une, pas une seule ici, ne pourrait me reprocher quoi que ce soit... Rien... Pas un mot... Pas un geste... Et lui, pendant ce temps. Mais on verra qui je suis (Audiberti, Femmes Bœuf, 1948, p. 124).
On va/on allait voir ce qu'on va/allait voir. Rien ne pouvait mieux mettre en lumière la collusion de Poincaré avec la réaction. L'ancien dreyfusard achetait les voix de droite peut-être, mais on allait voir ce qu'on allait voir (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 221).On va voir ce qu'on va voir! si l'opposition l'emporte en 1986, on privatisera à vive allure (Le Monde aujourd'hui, 25-26 août 1985, p. V).
IV. − [Pour marquer la nécessité d'un temps de réflexion ou d'attente]
C'est/c'était/ce serait à voir. Mais tu sais à quoi ça engage? Boris ne savait pas, mais il voulait savoir. Alors l'autre lui expliqua. « L'homme fort ne tenait pas à la vie. » C'était à voir. Boris sentit un grand chavirement dans sa tête (Gide, Faux-Monn., 1925, p. 1240).En admettant que j'aie eu des tortsce qui n'est pas certain, cela serait à voir, il faudrait reprendre tout dans le détail,à quoi bon me tourmenter? Là où il est, il ne juge plus (Montherl., Célibataires, 1934, p. 907).
Il faut/il fallait/il faudrait voir. Connaissant les hommes, [il] ne songeait (...) plus qu'à tirer le meilleur parti possible de la situation. Il fallait voir. Et il attendait (Zola, Nana, 1880, p. 1330).Ce qui compte, c'est l'opinion de Jaume. Pour l'instant il ne parle guère. Il ne dit pas: « Ce n'est pas possible. » C'est cependant ce qu'ils attendent de lui, mais il ne le dit pas; il hoche la tête, il souffle dans la longue moustache.Faudrait voir, se décide-t-il à dire enfin.Tu crois donc que c'est possible?Faudrait voir (Giono, Colline, 1929, p. 56).
Faudrait voir à voir (fam.). Madame Blanchard songeait par-devers soi: la petite est bien jeune [pour se marier], presque une enfant, mais un Américain... Et riche avec ça, faudrait voir à voir!... Et le père, après un long soupir, avait appuyé ses vœux intimes: « Hé bé... faudra voir avec le temps... Faudra voir à voir » (Y. Queffélec, Les Noces barbares, 1988 [1985], p. 16).
On verra bien. Vous pensez que cette campagne peut vraiment avoir de l'influence? demanda Henri. Dubreuilh haussa les épaules: « On verra bien. (...) » (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 258).
Qui vivra verra. Qu'on pense de moi ce qu'on voudra, je m'en fiche! En somme les tribunaux ne sont pas faits pour les chiens, si le cœur vous en dit... Bien le bonjour!Qui vivra verra! répondit noblement le brasseur (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 66).
[Comme demi-promesse, pour apaiser l'interlocuteur] Nous allons voir. Laisse-moi disparaître avec toi, nous irons à l'étranger, dit-elle.Eh bien, nous allons voir, répondit-il (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 319).Hugo: Et tu me ferais vraiment confiance? Louis: Ça dépend de toi. Hugo: Louis, je ferai n'importe quoi. Louis: Nous allons voir. Assieds-toi (Sartre, Mains sales, 1948, 2etabl., 4, p. 49).
V. − En partic.
A. − Voyons
1. [Pour exhorter, encourager] Je te dis que tu es changée, poursuivit-il, on ne fait pas une mine comme celle-là sans motif. Voyons mon enfant, ne sois pas dissimulée, et conte-moi tes petites peines (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p. 200).Auguste! Auguste! Écoute-moi, voyons! Écoute-moi! je t'en supplie! Voyons Auguste! Tu vas te remettre sur le flanc! Songe à moi Auguste! Songe à nous! Tu vas te rendre tout à fait malade! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 386).
2. [Pour exprimer son agacement, son impatience] « Mais on ne prend pas de glaces au citron à midi moins le quart, voyons Maxime! » disait Armande. En ce seul mot « voyons », que de réprimandes! « Voyons, Maxime, ne restez pas toujours debout devant la fenêtre, vous barrez le jour... Maxime, voyons! vous avez encore repris une balle qui était out ! » (Colette, Képi, Armande, 1943, p. 186).
3. [Pour exprimer son étonnement] V. courrier ex. 8.
[Pour marquer son désaccord d'une façon ironique] Pop., fam. Ben voyons! Synon. tu parles!Vous en faites pas, c'est pas bien grave pour vous, quand ils sauront que vous n'êtes pas juifs, ils vont vous relâcher.Ben voyons, murmure Maurice (J. Joffo, Un Sac de billes, Paris, Le Livre de poche, 1987 [1973], p. 249).
B. − Pour voir. [Le plus souvent après un verbe à l'impér.] Pour que l'on se fasse une opinion, que l'on apprécie, que l'on juge. Personne, pas même moi, n'osera aller jusqu'au bout et mettre toute une population au lit, pour voir, pour voir! (Romains, Knock, 1923, iii, 6, p. 18).
[Exprime une mise au défi] Hein! Avance un peu, pour voir, que je te fasse ton affaire! (Zola, Assommoir, 1877, p. 395).
C. − [En empl. adv., directement après un verbe à l'impér. qu'il sert à accentuer] Pop., fam.
1. [Exprimant une assertion, une demande] Dis voir, donne voir, écoute voir. Moi... C'qui m'soucie, tiens voir, c'est ma maison (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 140).Je dis en mon for: « Voyons voir » Si je jouis du moindre atome D'intelligence (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 207).Pour l'affaire? Tiens donc, quelle affaire? Raconte-moi voir ça (Aymé, Jument, 1933, p. 232).
2. [Exprimant une menace, une mise au défi] Tu es sûr que je suis si bon que ça? Eh bien tâche-moi voir un peu de rentrer saoul après-demain ou de ne pas être là pour l'appel (Courteline, Train 8 h. 47, 1888, p. 59).Il voyait son propre hammerless (...) entre les mains de sa maîtresse.Essaie voir! disait-il en avançant toujours et comme on menace un chien dangereux (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 92).
4eSection. Empl. pronom.
I. − empl. pronom. réfléchi
A. −
1. Percevoir sa propre image sur une surface réfléchissante. Jean Péloueyre (...) se déshabillait à tâtons pour ne pas se voir dans la glace (Mauriac, Baiser Lépreux, 1922, p. 183).
Se voir + inf.Une autre merveille pour moi, ce fut une glace psyché, où je me voyais marcher sur les tapis, et où je ne me reconnus pas d'abord (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 196).
2. S'observer; porter les yeux vers sa propre image. Quand je te regarde et quand je me vois, je ne sais plus pourquoi tu m'aimes en retour. Tes cheveux sont blonds comme des épis de blé; les miens sont noirs comme des poils de bouc (Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 60).
3. Avoir conscience de son aspect physique. − (...) De toute façon, comme je retourne au journal, je ne voyagerai plus. Tu dis ça... Si tu te voyais! Tu es blême! Tu me fais peur, tu vas tomber malade (Triolet, Premier accroc, 1945, p. 72).
Se voir + part. prés.Tais-toi! Si tu te voyais criant ces mots, tu es laide (Anouilh, Antig., 1946, p. 193).
Se voir + adj.J'étais ravie de me voir, pour la première fois de ma vie, bien habillée (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 162).
[Dans une prop. inf.] Vu, je me voyais: je me voyais lire comme on s'écoute parler (Sartre, Mots, 1964, p. 56).
B. − Former mentalement sa propre image
1. Former mentalement sa propre image telle qu'elle était dans le passé, telle que l'on s'en souvient. Synon. se revoir.Ma mère me les apprit [des vers de Racine], lorsque je ne savois point encore lire; et je me vois toujours sur ses genoux répétant cette belle tirade (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 210).Comment ne pas rire quand je me vois, un petit bonhomme assis tout nu dans sa couverture, sur une terrasse, au bord de la mer, à Alexandrie (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 189).
2. Former mentalement sa propre image dans une situation imaginaire. Se voir + subst; se voir en + subst.Dans leurs conversations, dans leurs souhaits, dans leurs rêves, Vampa se voyait toujours capitaine de vaisseau, général d'armée ou gouverneur d'une province; Teresa se voyait riche, vêtue des plus belles robes (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 435).En passant devant le château, Nadja s'est vue en Madame de Chevreuse; avec quelle grâce elle dérobait son visage derrière la lourde plume inexistante de son chapeau! (Breton, Nadja, 1928, p. 108).
3. Former mentalement sa propre image dans une situation ou une circonstance plausible. L'histoire avait deux conclusions; je choisissais l'une ou l'autre suivant mon humeur. Dans mes jours maussades, je me voyais mourir sur un lit de fer, haï de tous, désespéré, à l'heure même où la gloire embouchait sa trompette (Sartre, Mots, 1964, p. 156).
Ne pas se voir, se voir mal. S'imaginer difficilement (dans une situation donnée). Sais-tu que si on m'offrait de reprendre demain mes cours à Orléans, je sauterais de joie, oui, mais surtout par raison... Et pour ma femme. Mais je ne me vois pas corrigeant des copies (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 209).Je me voyais si mal enceinte avec le corps mince et dur que j'avais (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 138).
C. − Au fig.
1.
a) Avoir une perception de soi-même, se juger. Il est intelligent, il se voit très bien tel qu'il est (Guitry, Veilleur, 1911, iii, p. 22).Ma vérité, mon caractère et mon nom étaient aux mains des adultes; j'avais appris à me voir par leurs yeux (Sartre, Mots, 1964, p. 66).
b) Avoir une vue subjective de soi-même; estimer ce que l'on est.
Se voir + subst.Dans la grande cause dont je me voyais le chef et l'arbitre, deux systèmes se présentaient à suivre (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 419).
Se voir + adj.Libre et sans tache sous le ciel, je me vois trop pauvre pour me passer d'honnêteté et de renom (Banville, Gringoire, 1866, v, p. 40).Mirza d'ailleurs entendait mal sa propre poésie. Il se voyait pratique et d'une précision tout américaine (Radiguet, Bal, 1923, p. 119).
Se voir comme.(Ne) se considérer (que) sous un aspect; se comporter conformément à cette image que l'on a de soi. Désespérément, elle (...) se voit comme la fille d'un officier supérieur et enfermée dans un certain ordre social par les relations que son mariage ajoute à celles de ses parents. Au lieu de l'exalter, mon amour l'a humiliée (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 232).
2. S'apercevoir, se rendre compte de l'état ou de la situation dans lequel/laquelle on se trouve.
Se voir + compl. prép.Ma mère, se voyant près de son terme, voulut revenir à Paris (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 69).
Se voir + part. passé.Je ne pêche jamais le brochet, dit le major, ce n'est pas un gentleman. Quand il se voit pris, tout est fini; le saumon combat jusqu'au bout (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p. 61).V. écouter A 2 a ex. de Balzac.
Se voir + prop. inf.Il s'est vu mourir sans aucune illusion sur sa fin très prochaine (Goncourt, Journal, 1894, p. 640).Je n'ai pas d'enfant: je ne me vois pas vieillir (Nizan, Conspir., 1938, p. 105).
3. P. ext.
a) Être, se trouver dans un certain état, dans une certaine situation.
Se voir + subst.J'ai eu le plaisir d'être votre vis-à-vis à un bal donné par monsieur le baron de Nucingen, et...Parfaitement, monsieur, parfaitement, répondit Charles, surpris de se voir l'objet des attentions de tout le monde (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 61).Aujourd'hui il serait ivre de bonheur de se voir maître des requêtes, préfet, secrétaire général (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 366).
[Le suj. désigne une chose] Mardi, notre petite cité d'Yonville s'est vue le théâtre d'une expérience chirurgicale (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 15).
Se voir + compl. prép.Nous ne sommes point encore arrivés à cette partie de notre récit, et je me vois dans l'obligation de fermer ma bouche, parce que je ne puis pas tout dire à la fois (Lautréam., Chants Maldoror, 1869, p. 346).Je me laisse aller à soupirer que je ne me vois pas au bout de mes peines (Billy, Introïbo, 1939, p. 208).
Se voir + compl. circ. ou adv.[Le suj. désigne une chose] Le véritable amour est éternel, infini, toujours semblable à lui-même; il est égal et pur, sans démonstrations violentes; il se voit en cheveux blancs, toujours jeune de cœur (Balzac, Lys, 1836, p. 167).Une macédoine d'idées, d'images, de noms propres étonnés de se voir ensemble (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 12).
b) En partic. [Se voir auxil. de la forme passive d'un verbe]
α) [Se voir équivaut à être, se étant compl. d'obj. dir. de voir]
Se voir + part. passé.À peine arrivé, je me vois obligé de repartir (Villers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 301).[Avec compl. d'agent] J'en ai assez de me voir conspué par des lâches sans nom, qui m'accablent d'injures (Musset, Lorenzaccio, 1834, iii, 3, p. 194).
[Le suj. désigne une chose] Ce double courant de possessivité intense, exclusive et jalouse entre la mère et le fils se heurte à la barrière des convenances morales, et comme la mère reste enveloppée d'un nimbe d'idéale pureté, la sexualité se voit disloquée (Mounier, Traité caract., 1946, p. 151).
Se voir + prop. inf.Sur ce banc où vous m'amenez, et où tant d'autres se sont vu condamner à des peines infâmes, sur ce banc même, je vous le dis, ma morale est au-dessus de la vôtre(Courier, Pamphlets pol., Procès, 1821, p. 133).Le Président de la République s'est vu dépouiller, sans avoir donné sa démission, des droits et prérogatives de ses fonctions (De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p. 314).[Avec compl. d'agent] À la première observation qu'il avait faite, Ferdinand s'était vu rabrouer par son frère (Aymé, Jument, 1933, p. 159).
β) Se voir + prop. inf.[Se étant compl. d'obj. indir. de l'inf.] Rien n'enchante l'homme comme de se voir fournir des motifs inédits de rester fidèle à d'anciennes pratiques (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 242).
II. − empl. pronom. réciproque
A. −
1.
a) S'apercevoir l'un l'autre. Je me rappelle (...) cette route, où l'on ne se voyait pas l'un l'autre, où l'on ne pouvait pas allumer une pipe de tabac, à cause de la pluie et du vent (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 27):
6. Florent gardait sa défroque noire, s'oubliait sur les devoirs de ses élèves, tandis que Quenu, pour se mettre à l'aise, reprenait son tablier, sa veste blanche et son bonnet blanc de marmiton (...). Et parfois ils souriaient de se voir ainsi, l'un tout blanc, l'autre tout noir. Zola, Ventre Paris, 1873, p. 644.
Se voir + part. prés.Nous sortons, Yves et moi, pour aller faire dans le village plusieurs démarches que nécessite la solennité de demain. Nous trouvons drôle de nous voir tous deux faisant acte de citoyens comme tout le monde (Loti, Mon frère Yves, 1883, p. 186).
[Avec un compl. désignant une partie du corps] Apercevoir chacun quelque chose de l'autre. Se voir la figure. V. amatelotté II B ex.
b) Loc. fig. Ne pas pouvoir se voir. Ne pas se supporter l'un, l'autre, se détester. Dans ce temps-là, j'ignorais tout ce qui s'était passé entre mes parents. Je ne comprenais qu'une chose, c'est qu'ils ne pouvaient pas se voir. Mais je devinais très bien que Grand-père aimait assez, au fond, ce beau grand gars que Grand'mère détestait carrément (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 6).
2. Porter le regard l'un vers l'autre, s'observer. Se voir, se toucher, parler, entendre l'autre qui parle. (...) il paraît que cela suffit pour être l'un à l'autre (Claudel, Père humil., 1920, iii, 2, p. 538).
Se voir le blanc des yeux. Synon. se regarder* dans le blanc des yeux.Le misérable entendit une voix, oh! une voix de tonnerre qui hurlait: « (...) eh bien! qu'il entre... et nous allons nous voir le blanc des yeux! » (Sue, Atar-Gull, 1831, p. 10).
B. − Se rencontrer. La petite femme et son mari restaient à se regarder comme s'ils ne s'étaient jamais vus (Vigny, Serv. et grand. milit., 1835, p. 39).Ils auraient pu fair' connaissance Mais ils ne s'étaient jamais vus (Éluard, Donner, 1939, p. 168).
Se voir + loc. adj. en fonction attributive/loc. adv. de temps.Lady Falkland et Cernuwicz se sont vus, seule à seul lundi soir (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 342).J'aurais bien aimé prendre un café avec vous, dit-elle, mais je suis attendue. Est-ce qu'on pourrait se voir un autre jour? (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 130).
III. − empl. pronom. passif
A. − Être susceptible d'être perçu par l'œil. Le jour paraît, la brume est déchirée, et la forêt se voit pourpre et dorée (Cros, Coffret Santal, 1873, p. 18).V. apparence ex. 6.
Se voir + adv. de compar./de lieu.Il avait continué la route vers la vallée de l'Aron où le château de la Vaucreuse se voit de loin, tout blanc parmi les prés (R. Bazin, Blé, 1907, p. 54).La réelle ressemblance qui ne suppose point la comparaison avec le modèle (...) se voit mieux, si l'on ose dire, sur le portrait que sur le modèle (Alain, Beaux-arts, 1920, p. 229).
B. −
1.
a) Être remarqué, attirer l'attention. Sa femme boit de l'eau, se tue de travail dans son atelier de couturière (...) mais il dit:Elle est bien heureuse, elle, de faire un travail qui se voit. Moi, je travaille plus qu'elle, et ça ne se voit pas (Renard, Journal, 1901, p. 711).
Se voir + adv.Moi, ca ne me plaît pas. La poussière se voit tout de suite. Faut frotter tout le temps (Flers, Caillavet, M. Brotonneau, 1923, i, 1, p. 3).
[Le suj. est un pron. neutre] J'étais au comble de la fureur; mais ça ne se voyait certainement pas (Duhamel, Confess. min., 1920, p. 10).V. regarder A 1 a α ex. de Guèvremont.
[Dans un dialogue; comme répartie] Ça se voit! V. regarder A 1 a α ex. de Mirbeau.
Expr. Ça se voit du premier coup d'œil; ça se voit à l'œil nu. C'est très apparent. Il ne savait pas encore quelle était cette réputation. « Buveur? Non. Ça se voit du premier coup d'œil. Il a le regard clair, bonne haleine, des gestes précis (...) » (Peisson, Parti Liverpool, 1932, p. 181).
b) P. ext. Synon. de y avoir.Dans l'endroit le plus apparent de ce salon se voyait aussi un portrait; c'était celui d'un homme de trente-cinq à trente-huit ans, vêtu d'un uniforme d'officier-général (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 607).
2. Se voir à.Être discerné par l'esprit, être déduit d'après une caractéristique physique ou mentale. Pencroff n'eut pas besoin de demander si ces bêtes-là étaient comestibles. Cela se voyait bien, à leur ressemblance avec le cochon d'Amérique ou d'Europe (Verne, Île myst., 1874, p. 198).Méfie-toi de lui: c'est un sauvage. Joinville protesta:(...). Quoi c'est qui vous fait dire ça?Rien qu'à son parler, ça se voit (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 55).
C. − [Souvent avec un pron. neutre pour suj.] Exister, se produire.
1. [Le suj. réel est une/des pers.] Leur général c'était Wimpfen, un noble, un royaliste! On a souvent parlé de traîtres, mais je crois que jamais il ne s'en est vu de pareils (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 148).Un peu rétive, la demoiselle à David Desmarais. Pas commode à fréquenter. (...) Mais travaillante et ménagère, comme il s'en voit rarement (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 19).
2. [Le suj. réel est une chose ou un processus] Il est permis de profiter des idées et des images exprimées dans une langue étrangère, pour en enrichir la sienne: cela s'est vu dans tous les siècles (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 515).Actium, ce fut peut-être la plus grande bataille qui se soit jamais vue (Mille, Barnavaux, 1908, p. 310).V. ailleurs ex. 6.
REM. 1.
Voir, subst. masc.Fait de voir, de faire voir. Ce haut intellectuel [Gœthe] était, déjà, un visuel. « Je tiens beaucoup au voir, a-t-il proclamé. Dans le reflet nous possédons la vie. » (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 62).Si Garcia s'est imposé si vite comme génie de la mise en scène, si les festivals internationaux se l'arrachent, c'est qu'il a su trouver une communication au-delà des mots. Il ne cherche jamais à faire « comprendre » mais à faire « sentir », à investir le spectateur par un « ouïr » et un « voir » entêtants (Le Point, 23 févr. 1976, p. 99, col. 1).
2.
Mal-voir, subst. masc.,en compos. Fait de mal voir, d'avoir une mauvaise vue. Seulement, à force de me complaire dans le mal-voir, de m'y vautrer et d'enlever sans arrêt mes lunettes pour faire comme si de rien n'était et d'écarquiller les yeux, le résultat n'a pas tardé. Subitement, ma vue a empiré (Le Nouvel Observateur, 6 mai 1983, p. 25, col. 1).
Prononc. et Orth.: [vwa:ʀ], (il) voit [vwa]. Fér. 1768, Littré attestent une forme voyent [vwaj]. Homon. de formes conjuguées (vissent, vois, voit, voient, voir) : vice, vis, voie, voix, voire. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Verbe trans. 1. a) 2emoit. xes. « percevoir par les yeux » (St Léger, éd. J. Linskill, 201); 1552 voir le jour, voir la lumière « être vivant » (Ronsard, Les Amours, éd. P. Laumonier, t. 4, p. 47 et p. 88); 1585 voir le jour en parlant d'une production de l'esprit (N. Du Fail, Contes et Discours d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 1, p. 205); α) 1547 se faire voir en parlant d'une chose « se présenter à la vue » (M. de Navarre, Nativité de Jésus Christ, éd. Schneegans, vers 50); 1580 en parlant d'une personne (Montaigne, Essais, I, 23, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 111); 1550 faire voir « permettre de constater » (Ronsard, Odes, éd. P. Laumonier, t. 2, p. 1); 1560 faire voir qqc. à qqn « montrer » (Bible Rebul, Exod 33, 18 d'apr. FEW t. 14, p. 461b); β) 1551 à voir (précédé d'un subst. avec son attribut) (Ronsard, Tombeau de Marguerite de Valois, 138, éd. P. Laumonier, t. 3, p. 61); γ) 1610 laisser voir « permettre qu'on voie » (H. d'Urfé, L'Astrée, t. 2, p. 74); 1627 « dévoiler, montrer » (B. Baro, Conclusion Dern. partie Astree, p. 116: laissant voir sur son visage plus d'assurance qu'elle n'en avoit); b) α) ca 1050 dans le lang. relig. « contempler Dieu » (Alexis, éd. Chr. Storey, 615); 1174-78 (Etienne de Fougères, Le Livre des Manières, 85, 338, éd. R. A. Lodge, p. 73: veor Dé en la face); β) fin xes. « examiner et apprécier les actes des hommes » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 309); c) α) 1100 « être témoin d'un fait » (Roland, éd. J. Bédier, 2124); 1623 loc. fig. je te vois venir (N. Coëffeteau, Histoire romaine, p. 325); β) 1100 voir + attribut « trouver » (Roland, 1219); d) 1100 « regarder quelque chose d'écrit, lire » (ibid., 487); e) ca 1140 « regarder attentivement, avec intérêt » (Voyage de Charlemagne à Jérusalem, éd. G. Favati, 442); 1357 (Guillaume de Machaut, Le Confort d'Ami, 1043, éd. E. Hoepffner, t. 3, p. 38: si virent par une fenestre qu'il aouroit le Dieu celestre); f) α) mil. xiiies. « faire surgir une image en pensée » (Chanson XVI, 4 ds Chansons attribuées au Chastelain de Couci, éd. A. Lerond, p. 132); β) 1361 « se représenter en songe » (Guillaume de Machaut, La Fonteinne Amoureuse, 2539, éd. E. Hoepffner, t. 3, p. 233); γ) 1673, 27 nov. « se représenter des choses comme si on les avait sous les yeux; imaginer » (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 628: vous avez raison de voir d'où vous êtes les choses comme vous les voyez; et nous avons raison aussi de les voir d'ici comme nous les voyons); 2. a) fin xes. « être spectateur de quelque chose, assister à » (Passion, 168: sua fin veder voldrat); b) 1100 « découvrir un pays » (Roland, 819); c) ca 1165 « vivre un événement » (Benoit, Roman de Troie, éd. L. Constans, 56); 1590 en parlant d'une chose personnifiée « être le lieu où se passe un événement marquant » (Montaigne, op. cit., I, 31, p. 211); d) 1370 vu d'experiences (Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, I, 3, p. 107, note 5); 1409 plus avoir vu (Jehan Le Maingre dit Bouciquaut, Le Livre des Fais, éd. D. Lalande, I, 32, 110); 1547 en avoir bien veu d'autres (N. Du Fail, Propos rustiques, éd. J. Assézat, t. 1, p. 97); 1607 à voir ce que (H. d'Urfé, op. cit., t. 1, p. 440); 1668 n'avoir encore rien vu « être inexpérimenté » (La Fontaine, Fable, VIII, éd. H. Régnier, t. 1, p. 81); 1698 fam. allez voir là bas si j'y suis (Regnard, Le Distrait, I, 4); 3. 1100 « rencontrer une personne, être mis en sa présence » (Roland, 2746: Mun seignur dites qu'il me vienge veeir); 1165 des ieux veeir (qqn) (Benoit, op. cit., 17603); 1560 voir des deux yeux (qqn) (J. Grévin, Les Esbahis, III, 2, éd. E. Lapeyre, 1227); a) 1640 spéc. voir une femme « avoir des relations charnelles » (Oudin Curiositez); b) 1665 « examiner en consultation » (Molière, Amour médecin, II, 3); c) 1675, 10 juin « rencontrer quelqu'un pour une affaire » (Mmede Sévigné, op. cit., t. 1, p. 269); d) 1679, 24 nov. « fréquenter, rendre des visites régulières à quelqu'un » (Id., ibid., t. 2, p. 744); e) 1689, 4 févr. voir du monde (Id., ibid., t. 3, p. 496); 4. a) ca 1050 « concevoir, saisir par la pensée » (Alexis, 8); b) id. « constater un fait en portant un jugement » (ibid., 617); 1660 voir une personne en qqn « établir un rapport d'équivalence » (G. de Brebeuf, Entretiens solitaires, p. 200); c) α) 1233, déc. « examiner avec soin » (Chaumont, S. Fergeux, H 96, A. Ardennes ds Gdf. Compl.); β) 1668 « considérer quelque chose en vue d'une fin précise » (Molière, Misanthrope, V, 2); d) fin xiiies. « imaginer comme solution à un problème » (La Bible au Seigneur de Berze, éd. F. Lecoy, 152); α) 1614 voir de + inf. « prendre les dispositions nécessaires pour qu'une chose se réalise » (H. d'Urfé, op. cit., t. 1, p. 169); 1672 voir à + inf. (Molière, Femmes savantes, II, 4); β) 1666 je verrai formule par laquelle on diffère une réponse (Mmede Maintenon, Lettre à MmeChantalou, 28 avr. ds Littré); 1724 chacun a sa façon de voir (Marivaux, Le Spectateur français, p. 197); e) 1498-1515 voir + prop. interr. « s'informer » (Gringore, Vie Monseigneur Sainct Loys, éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, t. 2, p. 226); 1553 voir si (Ronsard, De Folastries, VII, éd. P. Laumonier, t. 5, p. 43). B. Empl. abs. 1. 1100 « percevoir par le sens de la vue » (Roland, 1104); 2. spéc. id. « exercer le sens de la vue d'une certaine manière » (ibid., 1992: Ne loinz ne près ne poet vedeir si cler que); 3. 1486 « être en mesure d'exercer la vue sur un lieu déterminé » (Les Cent Nouvelles Nouvelles, 49, éd. F. P. Sweetser, p. 319: et veoit de la dicte chambre sur la rue, sur la court); 4. 1662 terme de renvoi (Pascal, Pensées, Papiers classés, éd. L. Lafuma, p. 545: voyez Perpetuité). C. Se voir 1. ca 1165 empl. réciproque « se trouver ensemble, se rencontrer » (Benoit, op. cit., 13553); p. ext. 1675 « se fréquenter » (P. Nicole, Essais de Morale, t. 3, p. 10); 2. a) 1316-28 empl. réfl. se voir + inf. « être, se trouver en telle situation » (Ovide Moralisé, éd. C. de Boer, V, 2070); 1349 se voir + adj. (Guillaume de Machaut, Le Dit de l'Alerion, 863, éd. E. Hoepffner, t. 2, p. 269); b) 1671, 19 juill. se voir dans un miroir « voir sa propre image » (Mmede Sévigné, Corresp., t. 1, p. 300); 3. 1341 empl. comme semi-auxil. (Guillaume de Machaut, Remede de Fortune, 1277, éd. E. Hoepffner, t. 2, p. 46: Et la mervilleuse clarté De son viaire Dont je me vi enluminé); 4. 1559 empl. passif « être vu, remarqué » (Amyot, Thémistocle, 58 ds Littré). Du lat. videre « percevoir par la vue, être témoin de, remarquer, constater, voir par la pensée ou l'imagination, juger, examiner, déterminer, prendre garde que ». Fréq. abs. littér.: 149 662. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 217 947, b) 228 335; xxes.; a) 213 503, b) 199 766. Bbg. Bat-Zeev Shydkrot (H.). À propos de la forme « se voir + V inf. ». Folia ling. 1981, t. 15, no3/4, pp. 389-407. − Chaurand (J.). Connexion et verbe. Fr. mod. 1987, t. 55, pp. 216-232. − Chocheyras (J.). Un nouv. outil gramm. en fr. mod.: le verbe voir. Fr. mod. 1968, t. 36, pp. 219-225. − Collinot (A.). B. jeunes Rom. 1966, no14, pp. 5-13. − Cristea (T.). Modalité et perception: rem. sur les valeurs du verbe voir en fr. contemp. R. roum. Ling. 1986, t. 31, no3, pp. 245-254; Parasynon. et constitution de classes lexico-grammaticales... R. roum. Ling. 1987, t. 32, no3, pp. 225-230. − Danell (K. J.). Rem. sur la constr. dite causative... Stockholm, 1979, 123 p. − Floch (J.-M.). L'Iconocité: enjeu d'une énonciation manipulatoire... Actes sémiot. B. 1982, t. 5, no23, pp. 17-38. − Gaatone (D.). Le Rôle de voir dans les procédures de retournement de la phrase. Linguistics. La Haye. 1970, no58, pp. 18-29. − Gardes-Madray (Fr.). Les Empl. par mode, temps et personne de cent verbes les plus fréquents... Linguistique et lexicologie. Paris, 1981, pp. 241-258. − Gohin 1903, p. 231, 305. − Goug. Mots. t. 1. 1962, pp. 257-258. − Hatcher (A. G.). Voir as a modern novelistic device. Philol. Quart. 1944, t. 23, pp. 354-374. − Holmér (G.). Voir « percevoir par l'ouïe ». St. neophilol. 1970, t. 42, no1, pp. 90-104. − Hosch (S.). Französische Flickwörter. Darmstadt, 1983, pp. 64-67. − Klein (Fr.-J.). Lexematische Untersuchungen zum frz. Verbalwortschatz... Genève, 1981, pp. 86-155. − Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp. 170-173. − Muller (Ch.). Les Verbes les plus fréquents du fr. Fr. Monde. 1974, no103, pp. 14-17. − Olsson (K.). La Construct.: verbe = objet direct + compl. prédicatif en fr. Stockholm, 1976, pp. 119-128. − Picoche (J.). Voir la lumière et les couleurs... Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1979, t. 17, no1, pp. 207-231. − Quem. DDL t. 6, 9, 14, 19, 21, 28, 31,32, 38. − Schepping (M.-Th.). Kontrastive semantische Analyse von Verben des Visuellen im Französischen und Deutschen. Tübingen, 1982, pp. 97-132. − Sirdar-Iskandar (Ch.). Voyons! Cah. Ling. Fr. Genève. 1983, no5, pp. 111-130. − Staaff (E.). « Voyons voir! Montre voir! » Essai étymol. Studier i modern Språkvetenskap 1924, t. 9, pp. 227-242. − Willems (D.). « Regarde voir »: les verbes de perception visuelle... Mél. Mourin (L.). Gand, 1983, pp. 147-158. − Wind 1928, p. 193.

Article lié : « Voir » ou « voire » ?

Wiktionnaire

Adverbe - français

voir \vwaʁ\

  1. S’utilise après certains verbes à l’impératif, pour en renforcer la demande, l’injonction.
    • – Fernand, quand ta femme sera maman, il faudra que tu l’aimes bien plus encore. Dis voir comment tu l’aimeras ? — (Léon Frapié, La rivale, dans Les contes de la maternelle, 1910, éditions Self, 1945, page 142)
    • – Il est costaud.
      – Tu parles ! À l’école, il les bourre tous, c’est pas parce que c’est mon fils, mais écoute voir, c’est un dur.
      — (Robert Merle, Week-end à Zuydcoote, 1949, réédition Le Livre de Poche, page 19)
    • Viens voir.
    • Demande-lui voir.
  2. Exprime une menace, une mise au défi.
    • Essaie voir ! disait-il en avançant toujours et comme on menace un chien dangereux. — (Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, 1926)

Verbe - français

voir \vwaʁ\ transitif 3e groupe (voir la conjugaison) (pronominal : se voir)

  1. Percevoir l’image des objets par l’organe de la vue.
    • […] ; et l’on voyait déjà quelques embarcations filer doucement sur l’eau que battaient les grands avirons, pareils à des vols de goélands lents et bas. — (Octave Mirbeau, Lettres de ma chaumière, 1885, Les Eaux muettes)
    • – Pourtant —fit Bert— j’aimerais bien en voir un… rien que pour pouvoir y croire quand je l’aurais vu.
      – Vous le verrez avant qu’il soit longtemps, promit le soldat.
      — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 27 de l’édition de 1921)
    • On ne voyait pas les tramways. […]. Pourtant les quais où ils roulaient, avec des piaulements plaintifs, n'étaient guère éloignés, car la rue, quelquefois, tremblait à leur passage […]. — (Francis Carco, Brumes, Éditions Albin Michel, Paris, 1935, page 41)
    • C’est à Namur que Gaspard vit le premier beffroi. — (André Dhôtel, Le Pays où l’on n’arrive jamais, 1955)
    • Il se fabriquait une étrange réputation, personnage de légende qui voyait à travers le brouillard, savait se rendre invisible aux gabelous, capable de tout ! — (Jean Rogissart, Passantes d’Octobre, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1958)
    • (Absolument)L’on y voyait à peine, le sanctuaire n’étant éclairé que par des veilleuses pendues au plafond […] — (Joris-Karl Huysmans, La Cathédrale, Plon-Nourrit, 1915)
    • […] puis le voyant mort, car vous le tuâtes du coup, vous prîtes la fuite sur le cheval qu’il vous avait donné. — (Alexandre Dumas, La Reine Margot, 1845, volume I, chapitre III)
  2. Donner en vis-à-vis, avoir une vue.
    • Cette maison voit sur un jardin, sur une rue.
  3. (Par extension) (Militaire) Avoir une vue découverte sur une cible en sorte qu’on est à portée de la battre avec le canon.
    • Cette hauteur voit la place, voit le rempart de la place.
    • Cette hauteur voit tel ouvrage à revers.
  4. Être le lieu où se déroule une action ; en être le siège.
    • Fort peu habitée l'hiver, Ville-d’Avray voit sa population se décupler quand éclosent les premières frondaisons de la forêt ; quand les chauds rayons du soleil de juin font revivre les palmes des grands saules sur le bord des étangs si chers à Corot. — (Jules Mary, Roger la Honte, Paris : chez Jules Rouff & Cie, 1886, page 3)
    • Avec l’utilisation d’antigènes de tréponèmes pâles tués, les réactions sérologiques ont vu leur sensibilité et leur spécificité nettement améliorées. — (François Pebret, Maladies infectieuses : toutes les pathologies des programmes officiels des études médicales ou paramédicales, Heures de France, 2003, page 497)
  5. Vivre pendant une période désignée, avoir connu cette époque.
    • J’ai vu le temps où il n’y avait pas d’autre mariage que le mariage religieux. — (George Sand)
  6. (Figuré) (Familier) Imaginer, représenter.
    • Dans l’espèce humaine, la Parthénogénèse n’a été vue que par les yeux de la foi ; il n’en est pas ainsi dans les rangs inférieurs de l’animalité […] — (Yves Delage et Marie Goldsmith, La Parthénogénèse naturelle et expérimentale, Flammarion, 1913, page 2)
    • Les deux Allemands le tenaient sous la menace de leurs yeux haineux. Pendant un moment Bert vit la mort proche. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 353 de l’édition de 1921)
  7. Prendre soin de quelqu'un, le traiter.
    • C’est ce médecin qui voit ce malade.
    • Il est vu par ce médecin.
  8. (Inversement) Consulter.
    • Il faut qu’elle aille voir un médecin.
  9. (Absolument) Être en état de percevoir l’image des objets.
    • Voir clair. — Voir trouble. — Voir double.
    • Voir confusément. — Voir distinctement.
    • Voir de près. — Voir au loin.
  10. Être témoin de l’état d’une personne ou d’une chose.
    • Quelques journaux manquaient à la collection. C’étaient ceux qui relataient comment Charlotte, condamnée à mort, avait vu sa peine commuée en celle des travaux forcés à perpétuité. — (Jules Mary, Les filles de la Pocharde, 1897-1898)
    • C'est ici que l'on voit deux choses bien cruelles,
      Des maris ennuyeux et des femmes fidelles,
      Car l'Amour, tu le sais, n'est pas luthérien.
      — (Évariste de Parny, « Lettre à Bertin, du Cap de Bonne-Espérance, octobre 1777 », dans le recueil Œuvres d'Évariste Parny, tome 1, Paris : chez Debray, impr. Didot l'aîné, 1808, page 217)
    • Les gens que vous avez vus arriver, que vous avez vu mener en prison. — La maison que j’ai vue s’écrouler, que j’ai vu démolir. —C’est un homme que j’ai vu autrefois bien pauvre, bien malheureux.
  11. Être témoin de faits, d’événements contemporains, ou en avoir seulement entendu parler.
    • L’Afrique du Sud, avec la fin de l’apartheid a vu ainsi affluer des migrants venus du Mozambique, de Zambie ou d’Angola quand les Afrikaners partaient vers l’Australie ou l’Amérique. — (Christian Pradeau et Jean-François Malterre, Migrations et territoires, dans Les cahiers d'Outre-Mer n° 234/volume 59, Presses Universitaires de Bordeaux, 2006)
    • Ce que nous voyons de nos jours, était annoncé depuis longtemps.
    • Les événements extraordinaires que nous avons vus s’accomplir.
  12. Faire des observations et des remarques en lisant ; se reporter à ce que l’on lit.
    • Mais nous avons vu comment Saint Louis, poussé par ses convictions religieuses, voulut rendre l’usure impraticable. — (Léon Berman, Histoire des Juifs de France des origines à nos jours, 1937)
    • J’ai vu dans Démocrite.
    • avez-vous vu cette particularité ?
    • Dans quel livre avez-vous vu ce passage ?
  13. Fréquenter.
    • Qui voyez-vous le plus souvent ?
    • Qui voit-il dans son pays ?
    • Nous nous voyons souvent.
  14. (En particulier) Avoir une relation amoureuse.
    • Plus tard, j’appris un absurde mariage d’amour qu’elle fit avec un jeune homme qu’elle devait déjà voir à ce moment-là. — (Marcel Proust, Guermantes, 2, 1921, page 393)
    • Je ne le vois plus.
  15. (En particulier) Avoir une entrevue, une conversation, avec quelqu’un.
    • Il faut que je voie le directeur rapidement.
  16. (Spécialement) (Avec la négation) (Familier) Supporter.
    • Celui-là, je ne peux pas le voir !
  17. Acquérir la connaissance des choses du monde, dans les voyages ou dans le commerce des hommes.
    • C’est un homme qui a beaucoup vu.
    • Il a vu du pays. - Il a vu les pays étrangers. - Il veut voir l’Italie.
  18. Regarder, considérer avec attention.
    • Voyez ce tableau. — C’est une chose à voir. — Il mérite d’être vu.
    • Voir un objet au microscope. — Laissez-moi voir cela. — Voyons un peu ce qu’il va faire.
  19. Examiner, vérifier, se réserver de prendre un parti.
    • Si cela arrive, nous verrons ce qu’il faudra faire.
    • Voir une affaire à fond.
    • Ceci est à voir. — C’est à voir.
  20. (Familier) Vérifier par soi-même une assertion, une information.
    • Si vous ne le croyez pas, allez-y voir.
    • J’aime mieux le croire que d’y allez voir.
  21. S’apercevoir, se rendre compte, comprendre.
    • Il y a longtemps que l’on voit qu’il se ruine.
    • Je vis bien qu’il me manquerait de parole.
    • Ne voyez-vous pas qu’il vous trompe, qu’il se moque de vous ?
    • Je vois ce que vous voulez dire.
    • Et il est amusant de penser à cette réponse que nous donnons parfois pour signifier que nous avons compris : « Je vois. » Le verbe voir devient alors synonyme d'intelligence, une autre preuve que l'ultime ou l'essentiel peuvent être invisibles pour les yeux. — (Christine Michaud et Thomas De Koninck, Le Petit Prince est toujours vivant, Gallimard/Édito, 2020, page 37)
    •  C’est comme ça qu’il faut faire pour retirer son billet ; vous voyez ?
  22. Inspecter avec autorité, veiller à.
    • Cet homme n’a rien à voir à ma conduite, et je n’ai pas le droit de voir à la sienne.
    • Qu’avez-vous à voir dans ma maison ?
    • Voyez à ce qui se passera. — Voyez à la dépense.
  23. Éprouver, essayer.
    • Voyez si vous pouvez résoudre ce problème.
    • Voyons si la chose nous réussira mieux ainsi.
    • Je veux voir jusqu’où ira sa patience.
    • À toi de voir.
  24. (Par analogie) Juger par le sens du goût, de l’odorat, du toucher ou de l’ouïe, en parlant des choses que l’on connaît.
    • Voyez si le vin est bon. — Voyez un peu si cela est chaud.
    • Il faut voir si cet instrument est d’accord.
  25. Juger ; apprécier ; envisager.
    • Jamais nous n'avons eu l’ineptie de penser que les catholiques dussent être opprimés, qu'ils dussent être vus avec défaveur par le gouvernement, qu'ils dussent être exclus des emplois publics, qu'ils dussent même être exclus du ministère. — (« Quelques mots à nos contradicteurs passionnée et modérés », dans la Revue nationale de Belgique, Bruxelles : Librairie Polytechnique, 1840, volume 4, page 85)
    • Ensuite c’est à chacun de voir en quoi cela l’intéresse, le concerne, lui parle. Il n’y a strictement aucune prétention comminatoire du genre : si vous ne passez pas par là, vous êtes fichu. — (Jacqueline Legaut, La psychanalyse, l’air de rien, éditions Eres, 2012)
    • Chacun a sa manière de voir. — C’est ainsi que je vois. — C’est un homme qui voit tout de travers.
  26. (Familier) Étudier, apprendre.
    • Je ne répèterai pas ce que nous avons vu la semaine passée.
  27. Aller faire quelque chose.
    • Notre mère est malade, papa est mort. Nous allons voir avec mon petit frère à ramasser des pommes de terre dans le champ. » — (Alphonse Daudet, L’enfant espion, dans Contes du lundi, 1873, Fasquelle, collection Le Livre de Poche, 1974, page 27)
  28. (Québec) (Désuet) (Par euphémisme et apocope de voir ses règles) Avoir ses menstruations.
    • As-tu vu ce mois-ci?
  29. (Religion) Connaître par l’intelligence.
    • Dieu voit le fond des cœurs, voit toutes choses.
    • La béatitude consiste à voir Dieu.
  30. (Pronominal) (Sens propre) Voir soi-même. Voir l’un l’autre.
  31. (Pronominal) (Avec un adjectif ou avec un participe passé) Être.
    • Après une lutte soutenue entre le gros bon sens du paysan et la folle impulsion donnée par l’administration des haras, celle-ci a été forcée de céder le pas, et s’est vue obligée en 1860 de supprimer les dépôts d’étalons d’Abbeville et de Charleville, […]. — (Jean Déhès, Essai sur l’amélioration des races chevalines de la France, École impériale vétérinaire de Toulouse, Thèse de médecine vétérinaire, 1868)
    • À ce moment, la guerre tomba brutalement, sans crier gare. Le deuxième jour de mobilisation, Fagerolle se vit jeté dans un wagon à bestiaux, parmi les vomissures et les gueulements patriotiques d’un certain nombre de citoyens français. — (Victor Méric, Les Compagnons de l’Escopette, Éditions de l’Épi, Paris, 1930, page 29)
    • Mais, à la longue, elle se vit contrainte de renoncer à ses méthodes iniques, parce que trop d’enquêtes s’étaient tournées à la confusion […]. — (Léon Berman, Histoire des Juifs de France des origines à nos jours, 1937)
  32. (Pronominal) (Avec un infinitif) Construction pour faire du COD, du COI ou du quelqu’un en question le sujet. Note : La construction passive en français avec être ne peut faire que du COD le sujet.
    • — Est-ce qu’il se voit mourir ?
      Urbaine posait cette question à tous les parents d’agonisants et si l’on se voyait mourir, mon Dieu, tout était fini.
      — (Jean Giraudoux, Provinciales, Grasset, 1922, réédition Le Livre de Poche, page 24)
    • Ancien sous-off’ de la Légion, il avait d’abord été cassé de son grade, puis ayant « passé au falot », il s’était vu condamner à trente ans. — (Francis Carco, Les Hommes en cage, Éditions Albin Michel, Paris, 1936, p. 50)
    • Il s’est vu obliger de payer ses dettes. : Il a été obligé de payer ses dettes.
    • Elle s’est vu conférer un diplôme. : On lui a conféré un diplôme.
    • Un touriste s’est vu voler son portefeuille. : On a volé le portefeuille d’un touriste.
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

VOIR. (Je vois, tu vois, il voit; nous voyons, vous voyez, ils voient. Je voyais; nous voyions. Je vis. Je verrai. Je verrais. Vois, voyons. Que je voie; que nous voyions. Que je visse. Voyant. Vu.) v. tr.
Percevoir l'image des objets par l'organe de la vue. Je vois un homme. Il craint d'être vu. Cela se voit de loin. Il ne voit pas les objets à deux pas de lui. Voir la lumière. On voit le jour au travers. Je l'ai vu de mes propres yeux. Se voir dans une glace, dans un miroir. Se faire voir. Laisser voir quelque chose à quelqu'un. Fig., Cet homme a vu la mort de près, Il a été sur le point de périr. Fig. et fam., Voir trente-six chandelles, Avoir un éblouissement. Fig., Voir quelqu'un de bon œil, de mauvais œil ou d'un bon œil, d'un mauvais œil, Avoir à l'égard de quelqu'un des dispositions favorables ou défavorables, être bien aise ou fâché de le voir. On dit de même : Voir quelque chose de bon œil, de mauvais œil. Cette maison voit sur un jardin, sur une rue, De cette maison, on a vue sur un jardin, sur une rue. Cette hauteur voit la place, voit le rempart de la place, De là on découvre la place, le rempart de la place, en sorte qu'on est à portée de la battre avec le canon. On dit dans un sens analogue : Cette hauteur voit tel ouvrage à revers, De cette hauteur on voit l'ouvrage et on peut le battre par derrière. Cette mer a vu bien des naufrages, cette plaine a vu bien des combats, etc., Il y a eu de fréquents naufrages sur cette mer, cette plaine a été le théâtre de beaucoup de combats, etc. Fam., Qui ne l'a pas vu, n'a rien vu se dit par exagération et pour louer extrêmement quelque chose. Cela se voit tous les jours, Cela arrive journellement, fréquemment. Dans le sens contraire, Cela ne s'est jamais vu, ne s'est pas encore vu, ne s'était pas encore vu, Cela n'est jamais arrivé, n'a jamais été. On dit également : On n'a jamais vu pareille chose, une chose pareille. On n'a jamais rien vu de pareil. Vit-on jamais rien de semblable? se dit par indignation, par étonnement, par admiration. On dit de même : Qui vit jamais rien de si extraordinaire? Voyez quelle insolence! Voyez l'insolence! J'ai vu que, j'ai vu le moment où, Peu s'en est fallu que. J'ai vu le moment où il allait se fâcher. Fam., comme par défi, Je voudrais bien voir cela. Je voudrais bien voir qu'il osât l'entreprendre. Faites cela pour voir; essayez pour voir. Faites cela, et vous verrez. C'est ce qu'il faudra voir. Nous verrons bien. Voyons s'il osera. On dit à peu près de même : Je voudrais bien vous voir à ma place; je voudrais bien vous y voir. Ironiquement, Il fait beau vous voir, à votre âge, vous amuser à ces bagatelles. Il fait beau voir que... Il ferait beau voir que... Fig. et fam., Je le vois d'ici, Je l'imagine, je me le représente. On dit de même : Je vois d'ici sa joie, sa colère, etc. Aller voir quelqu'un, Aller chez lui pour lui faire visite, pour lui rendre ses devoirs, pour l'entretenir. Je suis allé le voir deux fois. J'irai le voir le plus tôt que je pourrai. Dans ce sens, un aveugle même dit : J'irai vous voir. Voir ses juges signifiait Aller les solliciter chez eux. C'est ce médecin qui voit un tel, C'est ce médecin qui prend soin d'un tel pendant sa maladie, qui le traite. Fig., Voir venir quelqu'un, Démêler, découvrir, connaître par les démarches de quelqu'un quel est son dessein. Il y a longtemps que je le vois venir. Cette expression signifie aussi Attendre qu'une personne fasse les premières démarches, pour régler sur cela les siennes et voir quelle conduite on doit tenir. Ne nous pressons pas de prendre un parti; voyons-les venir. On dit aussi absolument Voir venir, Ne pas se presser, laisser les choses se développer. Toutes les mesures de précaution sont prises, Il faut attendre et voir venir. Poétiquement, Voir le jour, Naître, vivre. Depuis que j'ai vu le jour. Il n'est pas digne de voir le jour se dit d'un Homme qui a fait une action infâme, pour signifier qu'il n'est pas digne de vivre. Ce livre, cet ouvrage n'a pas encore vu le jour, Il n'est pas encore imprimé, publié. Voir en songe, en rêve, Imaginer en dormant, croire voir en dormant. En termes de Procédure, Assigner pour voir dire et ordonner..., Pour être présent quand on dira, quand on ordonnera...

VOIR s'emploie aussi absolument et signifie Être en état de percevoir l'image des objet Voir clair. Voir trouble. Voir double. Voir confusément. Voir distinctement. Voir de près. Voir de loin. Il ne voit goutte. il ne voit pas devant lui. Il n'y voit pas. Fig., Voir de loin, voir bien loin, Avoir beaucoup de pénétration, de prévoyance. Fig. et fam., Il ne voit pas plus loin que son nez, que le bout de son nez se dit d'un Homme qui a peu de perspicacité, peu de prévoyance.

VOIR se dit également d'une Action dont on a été témoin, de l'état d'une personne ou d'une chose. Les gens que vous avez vus arriver, que vous avez vu mener en prison. La maison que j'ai vue s'écrouler, que j'ai vu démolir. Je le vois qui vient. C'est un homme que j'ai vu autrefois bien pauvre, bien malheureux. Il ne peut pas voir souffrir. Il se dit encore en parlant des Faits, de événements contemporains, soit qu'on en ait été témoin, soit qu'on en ait seulement entendu parler. Ce que nous voyons de nos jours, était annoncé depuis longtemps. Les événements extraordinaires que nous avons vus s'accomplir. Cette réforme aura lieu, mais nous ne la verrons pas, Nous serons morts avant qu'elle ait lieu. Il se dit également des Observations et des remarques qu'on fait en lisant. J'ai vu dans Tite-Live. Où avez-vous vu cette particularité? Dans quel livre avez-vous vu ce passage? Voir et plus ordinairement Voyez se dit lorsqu'on veut renvoyer à un ouvrage, à un passage. Voyez ci-dessous. Voyez la note qui est à la fin du volume. Voir, sur cette matière, l'ouvrage de tel auteur.

VOIR signifie aussi Fréquenter. Qui voyez-vous le plus souvent? Qui voit-il dans son pays? Nous nous voyons souvent. Ce n'est pas un homme à voir, ce n'est pas une femme à voir se dit d'un Homme ou d'une femme de mauvaise réputation, qu'il n'est pas convenable de fréquenter. Il ne voit personne se dit d'un Homme qui vit dans la retraite. Il se dit aussi d'un Homme qui ne reçoit pas, qui a défendu sa porte. On dit dans ce même sens : J'ai été jusque chez lui aujourd'hui, mais on ne le voyait point. Il ne verra cette semaine que ses plus intimes amis. Personne ne peut le voir. Cette dernière phrase peut s'appliquer à un prisonnier, à un malade qui n'est pas autorisé à recevoir de visites. Ces deux personnes ne se voient plus, Elles sont mal ensemble, elles ne veulent plus avoir de commerce l'une avec l'autre. On dit dans le sens contraire : Je les ai réconciliés, et ils se sont toujours vus depuis.

VOIR se dit en outre de la Connaissance qu'on acquiert des choses du monde, dans les voyages ou dans le commerce des hommes. C'est un homme qui a beaucoup vu. Il a vu du pays. Il a vu les pays étrangers. Il veut voir l'Italie. C'est un jeune homme qui n'a pas encore vu le monde. Il est tout neuf, il n'a encore rien vu. Fig., Faire voir du pays à quelqu'un, Lui donner bien de l'occupation, bien de la peine, le mener où l'on veut et plus loin qu'il ne s'y attendait. Fig. et fam., Elle a vu le loup se dit d'une Fille que l'on soupçonne de n'être plus innocente. Ce soldat n'a pas encore vu le feu, Il n'a pas encore assisté à un combat. Fig. et fam., Nous en avons bien vu d'autres se dit pour faire entendre qu'on n'a pas peur des menaces de quelqu'un, qu'on n'est pas troublé par les événements dont on est témoin ou qui sont près d'arriver.

VOIR signifie encore Regarder, considérer avec attention. Voyez ce tableau. C'est une chose à voir. Il mérite d'être vu. Venez voir. Voir un objet au microscope. Laissez-moi voir cela. Voyons, que tenez-vous là? Voyons un peu ce qu'il va faire. Fam., Voyons se dit souvent par rapport à la personne qui parle ou à qui l'on parle, et n'est dans beaucoup de phrases, qu'une expression d'encouragement, d'exhortation, etc. Voyons, parlez-moi franchement : que pensez-vous de cette conduite? Fam., Voyez-vous, vois-tu se disent sans ajouter au sens de la phrase, et seulement pour attirer l'attention. C'est que, voyez-vous, il faut prendre garde à ce qu'on fait. À voir, Lorsque l'on considère. À voir la manière dont il est vêtu, on le croirait dans la misère. Fam., Si vous ne le croyez pas, allez-y voir se dit à une personne qui doute de ce qu'on lui dit. J'aime mieux le croire que d'y allez voir se dit en parlant d'une Chose dont on doute, mais qu'on ne veut pas se donner la peine de vérifier, d'examiner. Fam. et par plaisanterie, Allez voir là-bas si j'y suis se dit pour renvoyer quelqu'un. Fig. et fam., Va-t'en voir s'ils viennent se dit pour marquer qu'on ne croit pas à une chose.

VOIR signifie figurément Examiner avec application. Cette affaire a été vue par des hommes d'affaires très sérieux. Il faudra voir ce qu'il y aura à faire à ce sujet. Voyez si cela vous accommoderait. Voyez, la chose vous convient-elle? Si cela arrive, nous verrons ce qu'il faudra faire. Voir une affaire à fond. Ceci est à voir, Ceci est à examiner, à vérifier. D'une façon moins déterminée, C'est à voir. Je verrai, nous verrons, il faut voir se disent en parlant d'une Affaire sur laquelle on se réserve de prendre un parti et signifient J'examinerai, nous examinerons, il faut examiner.

VOIR signifie particulièrement Inspecter avec autorité, veiller à. Cet homme n'a rien à voir à ma conduite, et je n'ai pas le droit de voir à la sienne. Qu'avez-vous à voir dans ma maison? Voyez à ce qui se passera. Voyez à la dépense. C'est à vous à voir qu'il ne lui manque rien, Vous devez veillez à ce qu'il ne lui manque Rien, faites en sorte qu'il ne lui manque rien. Voyez à nous faire souper, à nous loger, etc., Ayez soin de nous faire souper au plus vite, de nous procurer un logement.

VOIR signifie encore Éprouver, essayer. Voyez si vous pouvez résoudre ce problème. Voyons si la chose nous réussira mieux ainsi. Je veux voir jusqu'où ira sa patience. Voyez si cette robe vous va bien. Il se dit, dans un sens analogue, en parlant des Choses que l'on connaît, dont on juge par le sens du goût, de l'odorat, du toucher, de l'ouïe. Voyez si le vin est bon. Voyez un peu si cela est chaud. Il faut voir si cet instrument est d'accord. Voyez si c'est la même odeur. Il signifie encore S'apercevoir, se rendre compte, comprendre. Il y a longtemps que l'on voit qu'il se ruine. Je vis bien qu'il me manquerait de parole. Ne voyez-vous pas qu'il vous trompe, qu'il se moque de vous? Je vois son dessein, je le vois clairement. Vous voyez comme vous vous en êtes trouvé. Il faut être bien peu pénétrant pour ne pas voir quelle est son intention. Vous ne voyez pas toutes les conséquences de cette démarche. Fam. et par menace, Je lui ferai bien voir à qui il s'adresse, à qui il a affaire, Je lui ferai bien connaître, je lui apprendrai bien à qui il a affaire.

VOIR signifie encore Juger, apprécier, envisager. Je vois cela différemment de vous, autrement que vous. Chacun a sa manière de voir. C'est ainsi que je vois. Il voit bien, il voit juste dans cette affaire. Il ne voit que par les yeux des autres. C'est un homme qui voit tout de travers. Voir tout en beau. Il voit tout en noir. Je vois comme vous. À voir la chose de sang-froid. Je ne vois rien d'impossible à cela. Je vois ce qui me reste à faire. Dès lors ils se virent perdus. Je me vois à la veille d'une catastrophe. Dans le langage religieux, il signifie Connaître par l'intelligence. Dieu voit le fond des cœurs, voit toutes choses. La béatitude consiste à voir Dieu. Les bienheureux voient Dieu face à face, voient Dieu dans toute la majesté de sa gloire.

VOIR, précédé du verbe Faire, signifie Montrer, faire connaître. Il fit voir sa blessure au chirurgien. Je vous ferai voir toutes les curiosités de la ville. Cet homme aime beaucoup à se faire voir. Il cherche toujours à faire voir son esprit. Il a fait voir qu'il avait du cœur. Cela vous fait voir que... Il s'emploie aussi, dans un sens analogue, avec le verbe Laisser. Laissez-moi voir ce tableau, ce bijou. Il n'a pas laissé voir sa mauvaise humeur. Il ne laisse rien voir de ce qu'il a dans le cœur. Il m'a laissé voir qu'il ne serait pas éloigné de..., Il m'a donné à connaître qu'il ne serait pas éloigné de...

SE VOIR s'emploie dans une acception particulière, où il équivaut à peu près au verbe Être. Se voir dans la misère après avoir été dans l'opulence. Se voir abandonné, méprisé de tous. Je me vois sans ressources. Elle est fière de se voir admirée. Le participe passé

VU s'emploie adjectivement. Choses vues. Fam., Ni vu ni connu se dit d'une Chose restée secrète, invisible. Être bien vu, mal vu de quelqu'un, Être considéré favorablement, défavorablement par lui. En termes de Banque, Cette lettre de change est payable à lettre vue, Celui sur qui elle est tirée doit la payer dès qu'elle lui sera présentée. On dit plus ordinairement Payable à vue. Voyez VUE.

VU s'emploie quelquefois comme nom masculin, en termes de Procédure. Le vu d'un arrêt, le vu d'une sentence, Ce qui est exposé dans un arrêt, dans une sentence rendue sur les productions respectives, les pièces, les raisons qui y sont énoncées avant le dispositif. En termes d'Administration, Sur le vu des pièces, Après avoir examiné les pièces.

VU s'emploie aussi comme nom masculin dans certaines expressions du langage ordinaire. Cette chose s'est faite au vu de tout le monde, au vu et au su de tout le monde, Tout le monde l'a vue, l'a sue, tout le monde en a été témoin, en a été instruit.

VU s'emploie adverbialement et d'une manière invariable dans certaines formules de Procédure et d'Administration pour indiquer qu'une chose a été examinée, qu'on s'y réfère. Vu par la cour les pièces mentionnées. Vu les arrêts énoncés. Vu les raisons et allégations de part et d'autre. Il s'emploie de la même façon dans le langage ordinaire, pour signifier Attendu, eu égard à. Vu la difficulté de réussir. On l'autorisa provisoirement, vu l'urgence, à faire telle chose. La récompense devait être plus grande, vu ses services, vu son mérite.

VU QUE, loc. conj. Attendu que, puisque. Je m'étonne qu'il ait entrepris cela, vu qu'il n'est pas très hardi. Comment avez-vous engagé cette affaire, vu que vous savez bien...

Littré (1872-1877)

VOIR (voir), je vois, tu vois, il voit, nous voyons, vous voyez, ils voient ; je voyais, nous voyions, vous voyiez ; je vis, nous vîmes ; je verrai ; je verrais ; vois, qu'il voie, voyons, voyez ; que je voie, que nous voyions, que vous voyiez ; que je visse, qu'il vît ; voyant ; vu v. a.

Résumé

  • 1° Recevoir les images des objets par le sens de la vue.
  • 2° Il se dit par rapport à l'action ou à l'état d'une personne ou d'une chose.
  • 3° En un sens étendu, être témoin, soit qu'on voie de ses yeux, soit qu'on ne fasse qu'entendre parler.
  • 4° Voir le jour, au propre et au figuré.
  • 5° Regarder avec attention.
  • 6° Observer avec précision.
  • 7° Remarquer, faire des observations en lisant.
  • 8° Voir une femme, avoir avec elle un commerce charnel.
  • 9° Dominer, en parlant de quelque hauteur d'où on aperçoit un objet inférieur.
  • 10° Dans le langage élevé et poétique, il se dit des choses qui sont témoins.
  • 11° Voir quelqu'un, lui faire une visite.
  • 12° Fréquenter.
  • 13° Voir en songe, imaginer en dormant.
  • 14° S'informer.
  • 15° Apprécier par quelqu'un des sens.
  • 16° Éprouver, essayer.
  • 17° Inspecter avec autorité.
  • 18° Mettre de l'attention, de l'application à examiner une chose.
  • 19° Acquérir des connaissances par les voyages ou la fréquentation des hommes.
  • 20° Il se dit de Dieu.
  • 21° Fig. Voir des yeux de l'esprit. Voir tout en Dieu.
  • 22° Comprendre, s'apercevoir.
  • 23° Juger, apprécier.
  • 24° Fig. Ne voir que…, faire tout céder à une considération.
  • 25° Terme de pratique. Assigner pour voir dire et ordonner.
  • 26° Pour voir, pour exemple, pour faire comprendre
  • 27° Faire voir, montrer.
  • 28° Laisser voir, montrer de manière qu'on entrevoie.
  • 29° Je vois, à la bouillotte.
  • 30° Le médecin demande à sa cliente si elle voit.
  • 31° Un beau venez-y-voir.
  • 32° V. réfl. Se voir, se regarder soi-même.
  • 33° Se trouver ensemble. Se fréquenter. Avoir une rencontre, un duel.
  • 34° Être vu.
  • 35° Fig. Porter un jugement sur soi-même.
  • 36° Être jugé, apprécié, en parlant des choses.
  • 37° Arriver, survenir. Être évident.
  • 38° Être, se trouver.
  • 39° Se voir, suivi d'un verbe actif à l'infinitif, être ce qu'indique ce verbe.
  • 40° Se faire voir, se montrer.
  • 1Recevoir les images des objets par le sens de la vue. Mais enfin je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je, La Fontaine, Fabl. IX, 1. Je vous di Que j'ai vu de mes yeux un crime si hardi… Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu, Ce qui s'appelle vu, Molière, Tart. v, 3. De quels yeux le regardions-nous, [Louis XIV], lorsque, aux dépens d'une santé qui nous est si chère, il voulait bien adoucir nos cruelles inquiétudes par la consolation de le voir ? Bossuet, Louis de Bourbon. Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue, Racine, Phèdre, I, 3. Celle-ci, j'en suis sûre, n'allait et venait par le monde que pour se montrer, que pour dire : voyez-moi ; elle ne vivait que pour cela, Marivaux, Marianne, 7e part. Nous savons que du fond d'un puits très profond l'on voit les étoiles en plein jour, Buffon, Hist. min. Introd. t. VIII, p. 257. Qui est-ce qui a vu Dieu ? c'est Raphaël, c'est le Guide ; qui est-ce qui a vu Moïse ? c'est Michel-Ange, Diderot, Pensées sur la peint. Œuv. t. XV, p. 229, dans POUGENS. Si, pendant une belle nuit et dans un lieu dont l'horizon soit à découvert, on suit avec attention le spectacle du ciel, on le voit changer à chaque instant, Laplace, Exp. I, 1. L'heureuse invention du télescope… en nous faisant voir les étoiles au moment même où le soleil est le plus élevé, Laplace, ib.

    Comme je vous vois, se dit pour affirmer qu'on a très réellement et très bien vu quelque objet. Élise : Vous avez vu le diable. - Folidor : Oui, comme je vous vois, Legrand, l'Amour diable, sc. 6.

    Voir des chandelles, voy. CHANDELLE.

    Je le vois d'ici, se dit quand une personne se représente vivement quelqu'un ou quelque chose qui est hors de sa présence. Nous avons ri aux larmes de votre madame de la Charce et de Philis, sa fille aînée, âgée de trente-neuf ans ; je la vois d'ici, Sévigné, 215.

    Dans un sens analogue. Votre lettre m'apprend que vous êtes en Italie ; je suis étonné de vous y voir. Vous serez étonné de voir si loin [au fond de l'Espagne] un homme qui prend si peu de plaisir à courre, et qui avait tant de hâte de se rapprocher de vous, Voiture, Lett. 39.

    Fig. Le chien ne perd pas l'objet de sa poursuite ; il voit, de l'odorat, tous les détours du labyrinthe, toutes les fausses routes où on a voulu l'égarer, Buffon, Chien.

    Absolument. Voir distinctement, confusément. Voir clair. Voir double. Voir mal. Il ne voit goutte. Je vois de loin, j'atteins de même, La Fontaine, Fabl. IV, 19. Un astrologue un jour se laissa choir Au fond d'un puits ; on lui dit : pauvre bête, Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir, Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? La Fontaine, ib. II, 13. Ni le désir de voir, ni celui d'être vue Ne me font visiter une cour inconnue, La Fontaine, Psyché, II, p. 196. Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ; Je sentis tout mon corps et transir et brûler, Racine, Phèdre, I, 3. Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir, Peuple ingrat ? Racine, Athal. I, 1. Quand on ne veut point voir, madame, on ne voit point, Fagan, Rendez - vous, sc. 5. Quand il [l'aveugle de Cheselden] commença à voir, les objets lui parurent toucher la surface extérieure de son œil ; la raison en est sensible, Condillac, Traité sens. III, 5. Voir, c'est avoir ; allons courir, Béranger, Bohémiens.

    En cet emploi, il se construit avec y. Il n'y voit pas. Il n'y voit goutte.

    Ne pas voir comme les autres, avoir une particularité dans la vision.

    Fig. Je ne vois pas comme les autres hommes ; il y a longtemps qu'on me l'a reproché, Rousseau, Émile, Préf.

    Fig. Voir de loin, voir bien loin, avoir de la pénétration, de la prévoyance.

    Fig. Il ne faut pas voir de si loin, il ne faut pas tant s'inquiéter de l'avenir. Peut-être que ce projet changera, il ne faut point voir de si loin, Sévigné, 578.

    Fig. Il ne voit pas plus loin que son nez, que le bout de son nez, il est sans prévoyance, sans intelligence.

    Fig. Voir de bon œil, de mauvais œil, voir d'un autre œil, voir des mêmes yeux, voy. ŒIL, n° 4.

    Fig. Il a vu la mort de près, il a été sur le point de périr. J'ai vu de près le Styx, j'ai vu les Euménides, Chaulieu, Au marquis de la Fare.

  • 2Il se dit par rapport à l'action ou à l'état d'une personne, d'une chose. Je l'ai vue [Mme la Palatine] dans la faction, je l'ai vue dans le cabinet, et je lui ai trouvé partout également de la sincérité, Retz, Mém. t. I, liv. II, p. 301, dans POUGENS. Un philosophe vous dira en vain que vous devez être rassasiés d'années et de jours, et que vous avez assez vu les saisons se renouveler et le monde rouler autour de vous, Bossuet, le Tellier. Elle que j'avais vue si attentive pendant que je rendais le même devoir à sa mère, Bossuet, Duch. d'Orl. Il me semble que je vois encore tomber cette fleur [un fils de Louis XIV mort dans l'enfance], Bossuet, Mar.-Thér. Elle avait plus d'envie de le voir saint qu'elle n'avait de joie de le voir maître du monde, Fléchier, Hist. de Théodose, III, 50. J'ai vu mon père mort et nos murs embrasés ; J'ai vu trancher les jours de ma famille entière, Et mon époux sanglant traîné sur la poussière, Racine, Andr. III, 6.

    Fig. Et, résigné à la Providence, il vit sans inquiétude frémir à l'entour les flots irrités, Bossuet, le Tellier.

    En cet emploi, voir est quelquefois suivi d'un verbe actif avec le sens passif ; par exemple : j'ai vu tirer un coup de feu par cette fenêtre ; ce qui peut s'interpréter ainsi : j'ai vu qu'un coup de feu a été tiré par cette fenêtre. Que l'on voie ébranler par la fureur de l'onde Les fondements du monde, Racan, Ps. XLV. Ton bonheur n'est couvert que d'un peu de nuage, Et tu n'as rien perdu pour le voir différer, Corneille, Cid, II, 3. L'autre [Jules César], tout débonnaire, au milieu du sénat, A vu trancher ses jours par un assassinat, Corneille, Cinna, II, 1.

    Voir quelque chose à quelqu'un, voir qu'il a cette chose. J'ai pitié de vous voir la confusion que vous avez, Molière, Festin, I, 3. Quoique tu sois dans un équipage bien différent de celui que je te vis à Bruxelles, Hamilton, Gram. 5.

    À côté de : je l'ai vu faire cela, on dit aussi : je lui ai vu faire cela. Une certaine scène d'une petite comédie que je leur ai vu essayer, Molière, Sicilien, 3. Là on lui verra mépriser l'Allemagne conjurée…, Bossuet, Louis de Bourbon. Ce ris dédaigneux qu'excitent les personnes simples, lorsqu'on leur voit croire des choses impossibles, Bossuet, Anne de Gonz. On leur voyait [aux solitaires de la Thébaïde] multiplier leurs oraisons, inclinations ou génuflexions jusqu'à cent fois, jusqu'à deux cents fois, et même beaucoup plus souvent pendant le jour, Bossuet, Ét. d'orais. VI, 40. Il l'aime ; mais enfin cette veuve inhumaine N'a payé jusqu'ici son amour que de haine ; Et chaque jour encore on lui voit tout tenter Pour fléchir sa captive ou pour l'épouvanter, Racine, Andr. I, 1.

    Se voir quelque objet, voir à soi, voir que l'on a cet objet. Je me vois un amant qui, sans se rebuter, Applique tous ses soins à me persécuter, Molière, D. Garcie, IV, 8.

    Familièrement et par menace. Faites cela, et vous verrez, c'est-à-dire vous verrez que je vous en ferai repentir.

    Fig. Voir venir quelqu'un, pénétrer ses desseins.

    Voir venir quelqu'un, signifie aussi attendre ses ouvertures. Voyons-le venir, et jouons serré, Beaumarchais, Mar. de Fig. III, 5.

    Absolument. Voir venir, laisser les choses se faire pour se décider en conséquence. Toutes les mesures de précaution sont prises, il faut voir venir.

    Familièrement, comme par défi. Je voudrais bien voir cela. C'est ce qu'il faudra voir. Nous verrons bien. Voyons s'il osera. Il vous a sans doute contenté ; j'aurais bien voulu voir qu'il ne l'eût point fait, reprit avec impatience mon financier, Marivaux, Paysan parvenu, 6e partie. Familièrement. Je voudrais bien vous voir à ma place, je voudrais bien vous y voir, se dit, quand on est dans une position embarrassante, à quelqu'un qui nous donne de vains conseils.

    Ironiquement, il fait beau voir, il ferait beau voir, c'est, ce serait un spectacle ridicule. Il fait beau vous voir, à votre âge, vous amuser à ces bagatelles-là.

  • 3En un sens étendu, être témoin, soit qu'on voie de ses yeux, soit qu'on ne fasse qu'entendre parler. Je sais que de Néarque il doit voir le supplice, Corneille, Poly. III, 3. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines, la félicité sans bornes aussi bien que les misères…, Bossuet, Reine d'Angleterre. Avant lui [Louis XIV], la France presque sans vaisseaux tenait en vain aux deux mers ; maintenant on les voit couvertes, depuis le levant jusqu'au couchant, de nos flottes victorieuses, Bossuet, Mar.-Thér. Je vis une affliction sans mesure [chez le roi et la reine après la mort d'un enfant] ; mais je vis aussi des deux côtés la foi également victorieuse ; je vis le sacrifice agréable de l'âme humiliée sous la main de Dieu…, Bossuet, ib. Avec cette prodigieuse compréhension de tout le détail et du plan universel de la guerre, on le voit toujours attentif à ce qui survient, Bossuet, Louis de Bourbon. Le voyez-vous, ce conquérant, avec quelle rapidité il s'élève de l'Occident comme par bonds et ne touche pas à terre ? Bossuet, ib. À quatre attaques différentes, on vit tout ce qu'on peut soutenir et entreprendre à la guerre, Bossuet, ib. Ces trois grands hommes [Judas, Jonathas et Simon Machabée] virent les rois de Syrie et tous les peuples voisins conjurés contre eux, et, ce qui était le plus déplorable, ils virent à diverses fois ceux de Juda même armés contre leur patrie et contre Jérusalem, Bossuet, Hist. II, 5. Ç'a été dans notre siècle un grand spectacle de voir dans le même temps et dans les mêmes campagnes ces deux hommes [Condé et Turenne]… tantôt à la tête de corps séparés, tantôt unis…, Bossuet, Louis de Bourbon. Ô paroles qu'on voyait sortir de l'abondance d'un cœur qui se sent au-dessus de tout, paroles que la mort présente et Dieu, plus présent encore, ont consacrées, Bossuet, Duch. d'Orl. Nous avons vu toute la race royale presque éteinte… le roi, qui avait passé d'une minorité orageuse au règne le plus glorieux…retomber de cette gloire dans des malheurs presque supérieurs à ses anciennes prospérités, Massillon, Or. fun. Louis le Grand. Ce prince [Louis XIV]… qui vit un si long cours de prospérité finir par des disgrâces, Massillon, Or. fun. Madame. Vous me verrez, sinon tel que je suis, au moins tel que je me vois moi-même, Rousseau, Ém. IV.

    Être beau à voir, se dit de gens ou d'objets qui méritent d'être vus. Nous étions beaux à voir autour d'un bol en feu, Buvant sa flamme, Delavigne, Enfants d'Edouard, II, 3.

    Je ne le verrai pas, nous ne le verrons pas, je serai mort, nous serons morts quand cela arrivera.

    Que vois-je ? se dit dans le style oratoire et poétique pour se représenter vivement quelque chose. Que vois-je durant ce temps [l'agonie de le Tellier] ? des enfants percés de douleur… que vois-je encore ? une femme forte, pleine d'aumônes et de bonnes œuvres…, Bossuet, le Tellier. Les objets qu'il [Lamotte] parcourt ne sont liés que par des que vois-je et que vois-je encore ? c'est une galerie de tableaux, et, qui pis est, de tableaux mal peints, Marmontel, Œuv. t. IX, p. 38.

    Que vois-je ? Qu'est-ce que je vois ? Sert aussi à exprimer la surprise. Que vois-je ? mon rival et Trufaldin ensemble ! Molière, l'Ét. II, 8. Ô heureux Idoménée ! s'écria-t-il encore, que vois-je ! quels malheurs évités ! quelle douce paix au dedans ! Fénelon, Tél. IX. Vertu de mes ancêtres ! qu'est-ce que je vois ? un homme ici ! Delavigne, le Cons. rapport. II, 4.

    On dit dans le même sens : Qu'ai-je vu ? Rodrigue apercevant la chaîne : Qu'ai-je vu ? Delavigne, la Fille du Cid, II, 9.

    On n'a jamais vu pareille chose, une pareille chose, on n'a jamais rien vu de pareil, cela n'est jamais arrivé, n'a jamais été. On ne voit guère Les hommes en ce siècle accueillir la misère, Piron, Métrom. v, 4.

    Vit-on jamais rien d'égal ? se dit par indignation, par étonnement, par admiration.

    On dit de même : Qui vit jamais rien de si extraordinaire ? Voyez l'insolence ! Voyez quelle insolence ! Voyez la langue ! Molière, Tart. I, 1.

    Vois, voyez, se dit aussi pour attirer l'attention. Mais voyez donc ce morveux, comme il est joli ! Beaumarchais, Mar. de Fig. II, 6.

    Voir se dit d'un temps qu'on aperçoit à une date plus ou moins prochaine. Comme M. de Grignan doit être parti pour l'assemblée, nous commencerons à voir le jour de votre départ, Sévigné, 21 oct. 1676.

    J'ai vu le temps que l'on faisait…, dans un temps dont j'ai été témoin, l'on faisait…

    J'ai vu que, j'ai vu le temps où. Mais on ne parle plus qu'on fasse de romans ; J'ai vu que notre peuple en était idolâtre, Corneille, la Gal. du Pal. I, 6. J'ai vu que les procès ne donnaient point de peine ; Six écus en gagnaient une demi-douzaine, Racine, Plaid. I, 8.

    Je vis l'heure que…, je vis le moment où une chose allait se faire, peu s'en fallut. Je vis l'heure avant hier au soir que M. le cardinal lui en ferait donner [des coups de bâton à Beautru], Retz, II, 147. J'ai vu l'heure que le parterre allait vous siffler, Baron, Homme à bonnes fort. IV, 6.

  • 4Voir le jour, voir qu'il est jour. Brinon, mon ami, lui dis-je avec un grand soupir, fermez le rideau [du lit], je suis indigne de voir le jour, Hamilton, Gram. 3.

    Poétiquement et fig. Voir le jour, la lumière, l'astre qui nous éclaire, être en vie. Tu vois le jour, Cinna ; mais ceux dont tu le tiens…, Corneille, Cinna, v, 1. Il voit l'astre qui vous éclaire, Racine, Esth. II, 3. Bientôt de Jézabel la fille meurtrière, Instruite que Joas voit encor la lumière…, Racine, Athal. IV, 3. Je reçus et je vois le jour que je respire, Sans que père ni mère ait daigné me sourire, Racine, Iph. II, 1.

    Il n'est pas digne de voir le jour, il a fait quelque action infâme, il n'est pas digne de vivre.

    En parlant des ouvrages de l'esprit, être publié, La censure a empêché cet écrit de voir le jour.

  • 5Regarder avec attention. Voyez ce tableau. Ce spectacle mérite d'être vu. Voir un objet au microscope. Voyez comme elle frappe cette poitrine innocente, comme elle se reproche les moindres péchés, comme elle abaisse cette tête auguste devant laquelle s'incline l'univers, Bossuet, Mar.- Thér Voyez si mes regards sont d'un juge sévère, Racine, Andr. III, 7. Voyez que les femmes du peuple portent des habits de soie, et qu'il n'y a plus de maisons neuves sans de grands trumeaux de glace, D'Argenson, Mém. Bibl. elzév. t. v, p. 368.

    Ironiquement, voyez un peu. Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote, Molière, Méd. malgré lui, I, 1.

    Voyons, sorte d'exclamation par laquelle on prie ou enjoint. Voyons, soyez plus raisonnable.

    Familièrement. Voyez-vous, vois-tu, se disent sans ajouter au sens et seulement pour attirer l'attention. Vois-tu bien, tu ne me persuaderas pas. Voyez-vous, madame, le silence m'est mortel ! Baron, Homm. à bonn. fort. I, 4. J'y ai fait tant de corrections [au Triumvirat]… voyez-vous, je cherche par un travail assidu à mériter vos bontés, Voltaire, Lett. d'Argental, 18 avr. 1764. Ah ! ouiche ! on ne l'aura [un ruban], vois-tu, qu'avec ma vie, Beaumarchais, Mar. de Fig. I, 7.

    Familièrement. Il faut voir comme je l'ai rembarré, comme je l'ai relevé, je n'ai pas manqué à le rembarrer, à le relever.

    Il faut voir…, espèce de refrain que plusieurs femmes de la cour mettent au commencement de tout ce qu'elles disent, De Caillières, 1690.

  • 6Observer avec précision. S'il y a peu d'hommes qui sachent voir un fait avec toutes ses circonstances, il y en a moins encore qui sachent voir les opinions telles qu'elles sont, Condillac, Hist. anc. III, 2. On n'a pas communément bien vu quand on n'a pas tout vu, Sennebier, Ess. art d'observ. t. I, p. 230, dans POUGENS.

    Absolument. Il avait été si longtemps à ne faire que voir qu'il n'avait pas eu le loisir de songer tant à deviner ; mais on doit convenir qu'il n'y a pas moins de sagacité d'esprit à bien voir en cette matière qu'à deviner, Fontenelle, Méry. Tout le monde ne sait pas voir ; on prend pour l'objet entier la première face que le hasard nous en a présentée, Fontenelle, Dodart. L'art de voir, cet art si utile, si universel, n'est pas commun ; je renvoie aux mémoires sur les insectes et à l'histoire des polypes tous ceux qui n'en possèdent pas les règles, Bonnet, Contempl. nat. Œuv. t. VIII, p. 259. Dans un siècle où l'on cherchait, où l'on commençait à voir, Descartes vit mal la nature, parce qu'il voulut la voir seul, parce qu'il voulut la voir tout entière, Bailly, Hist. astr. mod. t. II, p. 201.

  • 7Remarquer, faire des observations en lisant. Où avez-vous vu ce passage ? Voyez combien, dans Euripide, le caractère de Polynice devient intéressant par celui d'Étéocle son frère ; et, dans Sophocle, le caractère d'Électre par celui de Chrysothémis sa sœur, Barthélemy, Anach. ch. 71.

    Voyez, se dit pour indiquer un renvoi. Voyez ci-dessous. Voyez la note ci-contre. Ce philosophe, trop injuste ennemi de la monarchie, qui, chargé, dans un dictionnaire de morale, de l'article citoyen, voulait le réduire à ces deux mots : Citoyen, voyez république, D'Alembert, Élog. l'ab. de St-P. note 8.

    Voir se dit à l'infinitif dans un sens analogue. Voir sur cette matière tel auteur.

  • 8Voir une femme, avoir avec elle un commerce charnel. [Louis XI] conçut tant de chagrin de la mort de son premier fils Joachim, qu'il fit vœu de ne plus voir d'autre femme que la reine, et l'on prétend qu'il a gardé ce vœu, Duclos, Œuv. t. III, p. 349.
  • 9Dominer, en parlant de quelque hauteur d'où on aperçoit un objet inférieur. Cette hauteur voit la place. Chargé de m'emparer d'une hauteur voisine Qui voit le camp romain, le serre et le domine, Saurin, Spartac. IV, 1. Cette hauteur voit tel ouvrage à revers, de cette hauteur on voit l'ouvrage et on peut le battre par derrière.

    Absolument. Avoir vue sur. Cette maison voit sur un jardin, sur la rue.

  • 10Dans le langage élevé et poétique, il se dit des choses qui sont témoins de. Ce prince victorieux triomphait dans Babylone, dont il fit la plus grande ville, la plus forte et la plus belle que le soleil eût jamais vue, Bossuet, Hist. Il, 4. Mais le jour fatal était venu : c'était le dixième d'août, qui avait déjà vu brûler le temple de Salomon, Bossuet, ib. II, 8. Je tomberai comme une fleur Qui n'a vu qu'une aurore, Racine, Esth. I, 5. J'ai visité l'Élide, et, laissant le Ténare, Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare, Racine, Phèdre, I, 1. Beaux arbres, qui m'avez vu naître, Bientôt vous me verrez mourir ! Chaulieu, Louanges de la vie champ. 1710. Ce port d'Aigues-Mortes, devenu aujourd'hui une plage inutile, vit partir la flotte la plus nombreuse et la mieux pourvue qui ait jamais vogué sur les mers, Voltaire, Panég. St Louis. L'Europe vit avec étonnement des flottes russes pénétrer du fond de la mer Baltique auprès des Dardanelles, et brûler les flottes turques vers Smyrne, Voltaire, Frag. sur l'hist. 22.

    Fig. Cette mer a vu bien des naufrages, il y a eu bien des naufrages sur cette mer.

  • 11Voir quelqu'un, lui faire une visite.

    Sous l'ancienne monarchie, on disait : il n'a point encore vu le roi depuis son retour, il ne s'est pas présenté devant le roi depuis son retour. Il a vu le roi dans son cabinet, il a eu une audience particulière du roi.

    Aller voir quelqu'un, aller chez lui pour lui rendre visite. Cet empereur… Qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux, Boileau, Épît. I.

    En ce sens, un aveugle même dirait : j'irai vous voir.

    Voir ses juges, les solliciter. On va chez les présidents, chez les conseillers ; en trois jours on voit vingt-deux juges ; on crie, on fait du bruit, Sévigné, 531. Avez-vous eu le soin de voir mon secrétaire ? Allez lui demander si je sais votre affaire, Racine, Plaid. II, 10.

    Voir un malade, lui donner des soins en qualité de médecin. De plus j'ai été à Ruel voir un malade, Molière, Am. méd. II, 3. Allez voir vos malades, et me laissez en repos, Hauteroche, Crisp. médec. II, 1.

    On dit la même chose d'un directeur ou d'un confesseur qui, pour le spirituel, donne des soins à un malade.

  • 12Fréquenter. Voir bonne compagnie. Aucune des femmes que je vois ne me fait oublier que je ne vous vois pas, Maintenon, Lett. à Mme de Ventadour, 5 juill. 1712. Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois, Et crois toujours la voir pour la première fois, Racine, Bérén. II, 2. Tout jeune que j'étais, ce maréchal [Tourville] me voyait, Saint-Simon, 7, 92. Ces curiosités passagères ne sont pas si glorieuses pour lui que l'assiduité constante de ceux qui voulaient véritablement le voir, et non pas seulement l'avoir vu, Fontenelle, Malebranche. J'ai assez vu la plupart des Mécènes et des grands pour n'avoir point à m'en louer, et assez peu pour n'avoir point à m'en plaindre, D'Alembert, Œuv. t. III, p. 103.

    Ce n'est pas un homme à voir, ce n'est pas une femme à voir, c'est un homme, une femme de mauvaise réputation qu'il ne faut pas fréquenter.

    Je ne le vois pas, je ne le vois plus, j'ai rompu avec lui.

    Ne voir personne, vivre dans la retraite.

    Ne voir personne, se dit d'un homme qui ne reçoit pas, qui a défendu sa porte.

    On dit dans le même sens : il est malade, on ne le voit pas, on ne le verra pas aujourd'hui, personne ne peut le voir. Eh bien ! mon oncle est-il en état d'être vu ? - Ah ! monsieur, depuis hier il est encor déchu, Regnard, le Légat. I, 2.

    Personne ne peut le voir, se dit aussi d'un prisonnier.

  • 13Voir en songe, imaginer en dormant. Ce fut un songe admirable [qui fit la conversion de la princesse palatine], de ceux que Dieu même fait venir du ciel par le ministère des anges, dont les images sont si nettes et si démêlées, où l'on voit je ne sais quoi de céleste, Bossuet, Anne de Gonz.
  • 14S'informer. Voyez s'il est chez lui. Je vais voir s'il est revenu.

    Familièrement. Allez voir si j'y suis, se dit à une personne, ordinairement inférieure, dont on se débarrasse. Taisez-vous, péronnelle ; Rentrez ; et là dedans allez voir si j'y suis, Regnard, le Distr. I, 4.

  • 15Apprécier par quelqu'un des sens. Voyez si ce vin est bon. Voyons si cet instrument est d'accord. Il faut voir si cela n'est pas trop chaud. Voyez si c'est la même odeur.
  • 16Éprouver, essayer. Voyez si cet habit vous va bien. Voyez si vous pourrez résoudre ce problème. Je m'en vais voir si ces mains toutes-puissantes [Dieu] me seront favorables ou rigoureuses, Bossuet, Ann. de Gonz. Voyons si, par mes soins sur le trône élevé, Il osera trahir l'amour qui l'a sauvé, Racine, Bajaz. IV, 4.

    Nous allons voir, nous allons essayer. Argante : Tous leurs discours seront inutiles. - Scapin, à part : Nous allons voir, Molière, Scapin, I, 6. Lisette : L'apprivoiser, monsieur ? vous perdrez votre temps. - Le chevalier : Nous allons voir ; suis-moi, Regnard, le Distr. I, 7.

  • 17Inspecter avec autorité. Qu'avez-vous à voir dans ma maison ? Dans ces misères-là je n'ai plus rien à voir, Et je sais là-dessus tout ce qu'on peut savoir, Gresset, le Méch. v, 8.

    Fig. N'avoir rien à voir, avec un nom de chose pour sujet, n'avoir rien de commun avec. La fade galanterie n'a certainement rien à voir dans cette pièce, Voltaire, Lett. Thibouville, 22 févr. 1773.

    Absolument. Allez voir aux ouvriers. Voyez à la dépense.

  • 18Mettre de l'attention, de l'application à examiner une chose. Il faudra voir ce qu'il y a à faire là dedans. Cette affaire a été vue par d'habiles gens. Le rapporteur n'a pas encore vu mon procès. Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je puis faire, Molière, l'Av. IV, 1.

    Ceci est à voir, il faut l'examiner, le vérifier.

    Je verrai, nous verrons, il faut voir, se disent lorsqu'on prend un délai pour se décider dans une affaire. Mme de Lyonne m'a dit : je verrai, je parlerai, du ton dont on dit le contraire, Maintenon, Lett. à Mme de Chantalou, 28 avril 1666. On avait promis à cet officier la croix de Saint-Louis et un avancement ; le cardinal lui dit brusquement qu'on verrait, Duclos, Œuv. t. VI, p. 125. Il ne répondit à l'exposé qu'elle lui fit de sa situation et de celle de sa fille, que par de durs monosyllabes : je verrai… nous verrons… avec le temps…, Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie.

    Voir que, veiller à ce que (avec le subjonctif). C'est à vous de voir qu'il ne lui manque rien. Toutefois voyez que, sans y songer, vous n'ayez donné peut-être à sa délicatesse quelque raison particulière de craindre votre éloignement, Rousseau, Lett. à M. le comte de B. 26 janv. 1765. Je vous conjure de voir que cet argent soit employé selon sa destination, Rousseau, Lett. à d'Ivernois, 29 janv. 1768.

    On dit dans le même sens : voir à. Voyez à nous faire souper, à nous loger. Parlons à votre femme, et voyons à la rendre Favorable…, Molière, Femm. sav. II, 4.

    On dit encore : voir de. Surtout, madame, voyez de tirer ce profit de votre dommage, que la fortune, qui vous a surprise, vous trouve mieux préparée à l'avenir, Malherbe, Lettres, I, 11. Parlons à cœur ouvert, et voyons d'arrêter…, Molière, Mis. II, 1. En attendant que je sache mieux sur quoi compter, voyez de cacheter plus soigneusement vos lettres, et je verrai de mon côté de m'ouvrir avec vos correspondants une communication directe, Rousseau, Lett. à d'Ivernois, 31 mars 1766.

  • 19Acquérir des connaissances par les voyages ou la fréquentation des hommes. Voir beaucoup de pays. Il a vu toutes les cours de l'Europe. Il n'a pas vu le monde. De telles gens il est beaucoup Qui prendraient Vaugirard pour Rome, Et qui, caquetant au plus dru, Parlent de tout et n'ont rien vu, La Fontaine, Fabl. IV, 7. J'ai tout vu, tout fait, tout usé, Beaumarchais, Mar. de Fig. v, 3.

    Absolument. Quiconque ne voit guère, N'a guère à dire aussi, La Fontaine, Fabl. IX, 2. Quiconque a beaucoup vu Peut avoir beaucoup retenu, La Fontaine, ib. I, 8.

    Ce soldat n'a pas encore vu le feu, il n'a pas encore assisté à des combats contre l'ennemi.

    Fig. Voir du pays, voy. PAYS, n° 1.

    Nous en avons vu bien d'autres, cela ne nous étonne pas, nous nous défendrons bien. Monsieur [Ch. de Sévigné] se vante d'un rhumatisme, quand il n'est pas devant moi ; car ma présence l'embarrasse, et, comme nous en avons bien vu d'autres ensemble, il ne se plaint qu'à demi, Sévigné, 323.

    N'avoir rien vu que par le trou d'une bouteille, voy. BOUTEILLE.

  • 20Il se dit de Dieu. Dieu voit le fond des cœurs. La postérité les verra [les actions de Lamoignon] quand… cependant Dieu les voit, et il en est lui-même la récompense, Fléchier, Lamoignon.

    Absolument. Dieu voit, les anges voient, Dieu connaît, les anges connaissent.

    Il se dit aussi de la vue que les bienheureux ont de Dieu. La béatitude consiste à voir Dieu. Les bienheureux voient Dieu face à face, dans toute la majesté de sa gloire. Qui considérera que le visage du prince fait toute la curiosité du courtisan, qu'il s'occupe et se remplit pendant toute sa vie de le voir et d'en être vu, comprendra un peu comment voir Dieu peut faire toute la gloire et tout le bonheur des saints, La Bruyère, VIII.

  • 21 Fig. Voir des yeux de l'esprit. Comme je ne vois pas dans le fond de son cœur, Corneille, Sertor. III, 2. C'est contre cette autorité [celle de l'Église] que les libertins se révoltent avec un air de mépris ; mais qu'ont-ils vu ces rares génies, qu'ont-ils vu plus que les autres… ? Bossuet, Anne de Gonz. Nous voyons ces vérités éternelles toujours les mêmes, et nous les voyons être devant [avant] nous, Bossuet, Connaiss. IV, 5. Ce qui se fait par un abrégé où l'on voie, comme d'un coup d'œil, tout l'ordre des temps, Bossuet, Hist. Dessein général. Il est indubitable que ce n'est pas en soi-même ni pour soi-même que l'esprit voit l'existence des choses, mais qu'il dépend en cela de quelque autre chose, Malebranche, Rech. vérité, III, II, 5. Tacite, qui abrégeait tout, parce qu'il voyait tout, Montesquieu, Esp. XXX, 2. Voir tout en Dieu, expression du système de Malebranche : nos perceptions ne peuvent être causées par les objets ; elles ne viennent pas de nous-mêmes ; il faut donc que ce soit Dieu qui nous les donne ; or Dieu est le lieu des esprits, et les esprits subsistent en lui ; donc c'est en lui que nous avons nos idées, et que nous voyons toutes choses. Quand même ces mots : sentir et voir tout en Dieu formeraient en nous une idée distincte, je demande ce que nous y gagnerions, et en quoi nous serions plus savants qu'auparavant, Voltaire, Traité métaph. 3.
  • 22Comprendre, s'apercevoir. Vois mieux ce que tu dis, quand tu parles ainsi, Corneille, Sertor. I, 1. Si un soldat à l'armée, ou un gentilhomme à la cour, se trouve en état de perdre son honneur ou sa fortune s'il n'accepte pas un duel, je ne vois pas que l'on puisse condamner celui qui le reçoit pour se défendre, Pascal, Prov. VII. Quand je vois que toutes les entreprises sont inutiles contre sa personne, Bossuet, Reine d'Anglet. Quand ils [les riches] verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux…, Bossuet, le Tellier. Je vois que rien n'échappe à votre prévoyance, Racine, Bajaz. II, 1. Je vois ce que jamais je n'ai voulu penser, Racine, Iphig. II, 5. Il est impossible, me dit-on, que la matière pense ; je ne vois pas cette impossibilité, Voltaire, Traité métaph. 5. Vois l'homme en Mahomet, conçois par quel degré Tu fais monter au ciel ton fantôme adoré, Voltaire, Mahom. I, 4.

    Absolument. Voir clair dans une affaire.

  • 23Juger, apprécier. Il est facile de voir que cela est faux. Oui, c'est à vous de voir si, par des nœuds si doux, Madame, vous voulez m'attacher tout à vous, Molière, Mis. v, 2. Parmi les difficultés que ses intérêts [de Condé] apportaient au traité des Pyrénées, écoutez quels furent ses ordres, et voyez si jamais un particulier traita si noblement ses intérêts, Bossuet, Louis de Bourbon. Pensent-ils [les esprits forts] avoir mieux vu les difficultés à cause qu'ils y succombent, et que les autres qui les ont vues les ont méprisées ? Bossuet, Anne de Gonz. Elle [l'âme] ne voit plus qu'avec mépris les erreurs qui l'avaient autrefois si tristement abusée, Massillon, Carême, Inconst. C'est ainsi qu'il [Alexandre] fit ses conquêtes : voyons comment il les conserva, Montesquieu, Esp. x, 14. Après avoir satisfait aux objections, voyons les raisons qui peuvent servir de preuves à notre explication, Buffon, Hist. anim. IV. Ce qu'elle ne voyait pas en mal, elle le voyait en ridicule, et son ami Margency n'était pas excepté, Rousseau, Conf. x. Ce grand observateur Linneus est, à mon gré, le seul avec Ludwig qui ait vu jusqu'ici la botanique en naturaliste et en philosophe, Rousseau, ib. XI. Voilà du moins comme je vois la chose, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 2 juill. 1770.

    Ne voir rien à, ne pouvoir rien juger, déterminer dans. Vous ne verrez rien à votre destinée que lorsque votre famille sera toute ensemble, Sévigné, 25 août 1680.

    Voir tout en beau, se faire une idée riante, heureuse des choses qui se présentent.

    Voir noir, avoir de fâcheux pressentiments. Voilà ce que le cœur me dit ; et mon cœur voit souvent noir, et rarement faux, Galiani, Corresp. 2 févr. 1771.

    Voir tout par ses yeux, ne s'en rapporter qu'à soi. Et qui, seul, sans ministre, à l'exemple des dieux, Soutiens tout par toi-même et vois tout par tes yeux, Boileau, Disc. au roi. Une étendue de connaissances qui fait que le prince voit tout par ses yeux, La Bruyère, X.

    Ne voir que par les yeux de quelqu'un, avoir une pleine confiance en ses paroles. Le prince faible et ignorant ne verra que par les yeux d'un favori passionné, ou d'un ministre flatteur, inquiet et ambitieux, Fénelon, Tél. XX.

    Absolument. Il voit juste, il voit faux, il voit mal, il voit bien dans cette affaire. Souvent il voit mal, il se prévient, Riccoboni, Œuv. t. VI, p. 130, dans POUGENS. Mais, avant tout, il faudrait bien voir, je veux dire, voir sans préjugés, et voilà ce qui est difficile, surtout aux souverains, Condillac, Traité des syst. 15.

    À voir, si l'on juge, si l'on réfléchit sur. À voir la manière dont il est vêtu, on le croirait dans la misère. Que croira-t-on de vous, à voir ce que vous faites ? Racine, Andr. III, 1.

  • 24 Fig. Ne voir que…, faire tout céder à une considération. Ne considérez point si j'aime ou si l'on m'aime ; En matière d'honneur ne voyez que vous-même, Corneille, Agés. II, 5. Il enlève Dina, et ne voit plus que sa passion, Massillon, Carême, Enf. prod. Mon époux, inflexible en sa fidélité, N'a vu que son devoir, et n'a point hésité, Voltaire, Orphel. III, 3. N'espérant plus de victoire entière, il [Napoléon] se résolut à une retraite précipitée ; depuis ce moment, il ne vit plus que Paris, de même qu'en partant de Paris il n'avait eu en vue que Moscou, Ségur, Hist. de Nap. IX, 5.
  • 25 Terme de pratique. Assigner pour voir dire et ordonner… pour être présent quand on dira, quand on ordonnera.
  • 26 Familièrement. Pour voir, pour exemple, pour faire comprendre. Maître Jacques : Elle est faite… elle est faite comme une cassette. - Le commissaire : Cela s'entend ; mais dépeignez-la un peu, pour voir, Molière, l'Av. v, 2. Colombine : Oh ! je ne m'y fie plus. - Arlequin : Si fait, si fait, fiez-vous-y pour voir, Marivaux, Surpr. de l'amour, III, 1.

    Faites donc pour voir, se dit à celui qu'on défie. Ayez recours, pour voir, à tous les détours des amants, Molière, G. Dand. I, 6. Je voudrais bien, pour voir, que vous ne le trouvassiez pas bon ! Regnard, Sérén. 8.

  • 27Faire voir, montrer. Il fit voir sa blessure au chirurgien. La foi, qui pénètre jusqu'aux cieux, nous la [la reine] fait voir aujourd'hui dans cette bienheureuse compagnie, Bossuet, Mar.-Thér. Il suffit de lui faire voir en éloignement [à un jeune prince] le trône où il doit être assis, Fléchier, Duc de Mont. Il [Pluton] a peur que ce dieu [Neptune]… D'un coup de son trident ne… Et par le centre ouvert de la terre ébranlée Ne fasse voir du Styx la rive désolée, Boileau, Longin, Subl. ch. VII. Abner : De quel crime un enfant peut-il être capable ? - Mathan : Le ciel nous le fait voir un poignard à la main : Le ciel est juste et sage et ne fait rien en vain, Racine, Athal. II, 5.

    Faire voir, faire visiter. Il faudrait aussi voir ou faire voir M. de Bie, qui est le meilleur homme du monde, Racine, Lett. à Boileau, 30 mai 1693.

    Faire connaître, démontrer. Je veux dans un seul malheur déplorer toutes les calamités du genre humain, et dans une seule mort faire voir la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines, Bossuet, Duch. d'Orl. Dieu fait voir aux rois, en leur retirant sa puissance, que toute leur grandeur est empruntée, Bossuet, Reine d'Anglet.

    Par menace. Je lui ferai bien voir à qui il se joue, à qui il a affaire, je lui ferai bien connaître, je lui apprendrai bien… Et, pour prendre un époux, Je vous ferai bien voir que c'est à votre père Qu'il vous faut obéir, non pas à votre mère, Molière, Femm. sav. v, 2.

  • 28Laisser voir, montrer de manière qu'on entrevoie. Il m'a laissé voir qu'il ne serait pas éloigné de terminer cette affaire. Il a laissé voir ses ressentiments. Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs, Racine, Phèdre, I, 3. Alors elle appréhenda de laisser voir son trouble, Fénelon, Tél. I.

    Laisser regarder. C'était la marraine d'un roi, Dont elle créait les ministres, Braves gens, soumis à la loi, Qui laissaient voir dans leurs registres, Béranger, Pet. fée.

  • 29À la bouillotte, je vois signifie : je joue le jeu.
  • 30Le médecin demande à sa cliente si elle voit, c'est-à-dire si elle a ses règles.

    Cette femme ne voit plus l'époque de la vie où les règles cessent est arrivée.

  • 31Un beau venez-y-voir, voy. VENIR, n° 43.
  • 32Se voir, v. réfl. Se regarder soi-même. Se voir dans un miroir.

    Fig. Avoir la vue de soi-même. Nous nous voyons de trop près [pour connaître nos défauts] ; l'œil se confond avec l'objet, et nous ne sommes pas assez détachés de nous pour nous regarder d'un regard distinct et nous voir d'une pleine vue, Bossuet, Sermons, Charité fratern. 2.

    Se regarder mutuellement. Ils se voient avec étonnement. Ils se virent sans se reconnaître.

  • 33Se trouver ensemble. Comment se sont-ils vus ? depuis quand ? dans quels lieux ? Racine, Phèdre, IV, 6. Ne vaudrait-il pas mieux cent fois se voir un seul instant et puis mourir ? Rousseau, Hél. I, 34.

    Se fréquenter. Ils se voyaient depuis quelque temps avec assez d'honnêteté, Fénelon, Tél. XII.

    Ces personnes ne se voient pas, elles sont en mauvaise intelligence, ou, seulement, elles veulent rester étrangères l'une à l'autre.

    Dans le sens contraire. Je les ai réconciliés, et ils se sont toujours vus depuis. Nous nous voyons souvent.

    Se voir signifie aussi avoir une rencontre, un duel. Vadius : Je te défie en vers, prose, grec et latin. - Trissotin : Eh bien ! nous nous verrons seul à seul chez Barbin, Molière, F. sav. III, 5. Si vous avez du cœur, nous nous verrons hors de la ville, Boissy, Franç. à Lond. sc. 17.

  • 34Être vu. Cette montagne se voit de loin. D'où vient que les premiers chrétiens étaient si touchés des persécutions visibles, et que nous le sommes si peu des persécutions invisibles ? c'est que les unes se voyaient par les yeux du corps, et que les autres ne s'aperçoivent que par les yeux de la foi, Nicole, Ess. mor. 3° traité, ch. 5.
  • 35 Fig. Porter un jugement sur soi-même. On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain, La Fontaine, Fabl. I, 7.

    Se figurer. Je me voyais pendant un mois Courant pour disputer les voix, Béranger, Acad. et Cav.

    Juger, apprécier sa position. Se voir perdu. Se voir à la veille de perdre un procès.

  • 36Être jugé, apprécié, en parlant des choses. Ne croyez pas que nous voyions si fort les choses autrement que vous ; tout ce qui touche la gloire se voit assez également par tout pays, Sévigné, 15 déc. 1673.
  • 37Arriver, survenir. Cela se voit tous les jours.

    Cela ne s'est jamais vu, ne s'est point encore vu, n'est jamais arrivé. Impersonnellement. Il se voit, il arrive, il se présente. Il ne s'est jamais vu fille mieux élevée, Boursault, Fabl. d'Ésope, III, 1. Il ne se voit rien où le goût attique se fasse mieux remarquer, La Bruyère, Disc. s. Théophraste.

    Il se voit, il est évident. Il se voit donc que les sensations, d'elles-mêmes, ne font point partie de la nature spirituelle, Bossuet, Conn. v, 13.

  • 38Être, se trouver. L'Océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers, Bossuet, Reine d'Anglet. Tu céderas, ou tu tomberas sous ce vainqueur, Alger, riche des dépouilles de la chrétienté… tu te verras attaquée dans tes murailles, Bossuet, Mar.-Thér. Lorsqu'on se voit tout d'un coup élevé aux places les plus importantes, Bossuet, le Tellier. Jamais plante ne se vit plus tôt couronnée de fleurs et de fruits que la princesse Anne, Bossuet, Anne de Gonz. Comme ils se virent rebutés, ils résolurent de passer malgré les Romains, Fléchier, Hist. de Théodose, III, 63. Junie… S'est vue en ce palais indignement traînée, Racine, Brit. I, 3. De sorte que Pierre se voyait maître, par ses armes et par les traités, du premier royaume de Cyrus, Voltaire, Russie, II, 16. Dois-je me voir toujours froissée par l'injustice de chacun ? Beaumarchais, Mère coupable, II, 11.
  • 39Se voir, suivi d'un verbe actif à l'infinitif, être ce qu'indique ce verbe. Ce qui désespérait le plus de si braves hommes, c'était de se voir assommer comme des bêtes prises dans un piége, sans pouvoir venger leur mort, Vaugelas, Q. C. v, 4.
  • 40Se faire voir, se montrer. Seigneur, s'il en décide, il se fait voir mon maître, Corneille, Tite et Bér. v, 4. Allons vous faire voir [au tribunal des maréchaux], Molière, Mis. II, 7.

PROVERBES

Si vous ne le croyez pas, allez-y voir, se dit à une personne qui doute de ce qu'on lui dit.

J'aime mieux le croire que d'y aller voir, se dit d'une chose dont on doute, mais qu'on ne veut pas se donner la peine de vérifier.

Il, elle a vu le loup, voy. LOUP.

Qui ne l'a pas vu n'a rien vu, se dit par exagération et pour louer extrêmement quelque chose.

Va-t'en voir s'ils viennent, expression familière et moqueuse pour dire qu'on ne croit pas un mot de ce qui est annoncé, promis, raconté. Un Breton qui ne boit point, Un Gascon tout bête, Un Normand franc de tout point, Un Picard sans tête ; Va-t'en voir s'ils viennent, Jean, Va-t'en voir s'ils viennent, Lamotte, Chanson faite aux eaux de Forges.

REMARQUE

1. On met le subjonctif après voir, quand voir est pris négativement ou interrogativement. Je ne vois pas qu'il s'en mette fort en peine. Voyez-vous qu'il s'en mette en peine ? Mais on dira avec l'affirmative, ou avec l'interrogation négative : Je vois qu'il s'en met en peine ; ne voyez-vous pas qu'il s'en met en peine ?

2. Des grammairiens distinguent ne voir goutte et n'y voir goutte ; le premier signifiant être aveugle, et le second ne pas voir par une cause accidentelle, par exemple dans l'obscurité.

3° Il vaut mieux dire voir clair que y voir clair. Cependant on trouve y voir clair : Ne dites pas : y voir clair, mais : voir clair. On pèche contre cet usage dans ces vers : Le lynx humilié, se traînant de son mieux, Tâche, pour y voir clair, de fermer les deux yeux, Almanach des muses, pour 1791, p. 102.

4. À la première personne je vois, les poëtes écrivent, pour la rime, je voi. Ce n'est pas une licence, c'est un archaïsme, ces premières personnes ne prenant pas d's dans l'ancienne langue. Sans doute il est sacré, ce livre dont je voi Tant de prédictions s'accomplir devant moi, Racine L. Relig. ch. III.

5. Molière a fait voient de deux syllabes. De quoi vous fâchez-vous, pourvu que vos souhaits Se trouvent par mes soins pleinement satisfaits, Et voient mettre à fin la contrainte où vous êtes ? Molière, le Dép. III, 7. Ceci est une ancienne prononciation, qu'on entend encore fort souvent. Aujourd'hui voient est d'une seule syllabe.

6. Quand on emploiera la locution : je lui ai vu faire cela, au lieu de : je l'ai vu faire cela, il faudra bien prendre garde à l'amphibologie des pronoms. Je lui ai vu donner un soufflet, peut signifier j'ai vu qu'on lui donnait un soufflet, et qu'il donnait un soufflet.

7. Au commencement du XVIIe siècle, Régnier a dit je voirois : Et ne la voiroit-on si fière ni si belle, Élég. III.

8. Il y a une façon de parler fort ordinaire parmi les bourgeois de Paris, et même parmi les courtisans qui ont été élevés dans la bourgeoisie, c'est lorsqu'ils disent : voyons voir, au lieu de dire voyons, Caillières, Bon et mauv. usage, II.

HISTORIQUE

XIe s. Se il ne pot [peut] derainet [prouver] par deux entendables homes del plaid, oant et veant, que il ne l'avrad dit…, Lois de Guill. 28. L'ost des Franceis verrez sempres desfere, Ch. de Rol. IV. Desfi les en [je les défie pour cela], sire, vostre veiant, ib. XXIV. Je ne vus vei ; veied vus dame Deus, ib. CXLVII.

XIIe s. Cist virent les maus que l'en fesoit al pople de Juda, Machab. I, 2. Quant il se voit sor son cheval corsier, Ronc. p. 40. Et [il] voit venir cele gent paienor, ib. p. 44. Roilant vos niés [votre neveu] jamais ne vous verra, ib. p. 85. De vergogne [je] tressue quant de mes oils [yeux] le voi, ib. p. 199. La merciz m'est tant obscure, Que je ne la puis veoir, Couci, IV. Un petiz biens vaut mieux, si Diex me voie, Qu'on fait courtoisement, Que cent greignor fait eniousement, ib. XVI. Li doux semblant qu'en ma dame [je] veoie, M'ont plus grevé qu'el ne me veuille aidier, ib. XX. Ne sai se jà [vous] verrés mais mon retor, ib. XXII. Le vieil Huon du Maine [vous] verrez premierement, Sax. XX. Il ont veü du Mans la tour et le donjon, ib. XXII. Herupois sont mandé pour voir le vos devis [votre proposition], ib. XXIV. Il ne verra passer le quint mois ne le quart…, ib. XXIX. Il ert [sera] mis en prisun, ne verra mais sun pié, Th. le Mart. 35. E Heli fud lores de grant eage, de quatre vinz ans e dise-uit ; perdue out la veue, et gute ne vedeit, Rois, p. 16. Pur ço Saül, dès cel jur en avant, ne pout David de bon oil veer, ib. p. 70.

XIIIe s. Il estoit viels homs, et, se biaus ielx avoit en sa teste, si n'en veoit il goute, Villehardouin, XL. Que le livre as histoires [il] me montra, où je vi…, Berte, I. Danses, baus et caroles [vous] veïssiez comencer, ib. X. [Elle] Bien voit qu'il l'ont traïe ct qu'il l'ont enganée, ib. XVI. Quant si bele [ils] la voient, prennent à lermoier, ib. XI. Cil Dame Diex, fait-ele, qui haut siet et loin voit, ib. XXVIII. [Elle] Prist une chandelle, qu'on [car on] n'i pooit veïr, ib. CXXII. Par amitié s'entr'apeloient Oncle et neveu, quand se veoient, Ren. 170. Chascuns cler i verra, la Rose, 7236. Comment l'amant, sans nul termine, Prent congié d'amis et chemine, Pour savoir s'il pourroit choisir Chemin pour Bel acueil veïr, ib. 10046. Et par cel jugement pot on veir c'on pot bien perdre par delaler…, Beaumanoir, IX, 7. Tant getoit [le feu grégeois] grant clarté, que l'on veoit parmi l'ost comme se il feust jour, Joinville, 222. Il chevaucherent tant que il virent lor enemis aus yex, Joinville, 270.

XIVe s. Pource que il a peu veu d'experience, et si est plus tempté des desirs corporels, Oresme, Éth. III. Hé Dieux ! ce dit Bertran, qu'est ce que je voi là ? Avez à vo voisin Englois si près de ça ? Guesclin. 17387. Ahi ! Jherusalem, com il me doit peser Que li cristien t'ont ensi à gouverner ! E ! royne Calabre, bien i veïstes cler ! Baud. de Seb. IV, 484.

XVe s. Philippe… issit hors de son pavillon pour venir voir et mettre au voir [vrai] ce que la demoiselle disoit, Froissart, II, II, 192. Le duc de Bourgogne qui estoit sage froid et imaginatif, et qui sur ses besognes veoit ou long…, Froissart, III, IV, 30. Le roi vint vers elle [Isabelle de Bavière]… et la regarda de grand maniere ; en ce regart plaisance et amour lui entrerent au cœur… et si avoit grand desir du voir et de l'avoir, Froissart, II, II, 229. Nous esloignasmes nostre chemin, et fut nonne à l'endemain, avant que nous vissiemes les batailles, Froissart, II, III, 39. Donques ne doit il [le sage] femme prendre, Qu'à l'estude et à elle entendre Ne puet, ne à tous deux servir À sa femme et aux livres vir, Froissart, Poésies mss. f° 496. Quant vint à bouter en la mine, la tour fut toute inclinée comme on peut ancoirre voier, Fenin, 1412. Il leur sembloit à voir que s'ils n'estoient cette nuit là logez en ladite ville, qu'ils seroient en grand danger, Math. de Coucy, Hist. de Charles VII, p. 694, dans LACURNE. Et bailla la banniere de Nostre Dame, par droict d'armes, comme à celuy qui plus avoit vu… à messire Pierre de Grassay, Bouciq. I, 30. Damoiselle, dist il, je suis esmeu comme ung simple homme, et qui peu ay veu et moins retenu, Perceforest, t. IV, f° 151. Et veoit [avait vue] ladite chambre sus la cour, Louis XI, Nouv. XLIX.

XVIe s. Ceste année, les aveugles ne voirront que bien peu, les sourdz oyront assez mal, Rabelais, Progn. Pant. 3. Adventuriers veissiez, en leurs ordres parquez, Tous prestz en ung moment de donner et chocquer, Marot, J. V, 140. Je diray, afin de n'estre veu [de ne paraître] examiner les choses si rigoreusement sans cause, que…, Du Bellay, J. I, 22, verso. Cyrus, qui veoit le dire de Solon confirmé par un si notable exemple…, Amyot, Sol. 59. Sa sepulture se veoit encore sur la place de Magnesie, Amyot, Thém. 58. C'estoit une œuvre singuliere et très digne de veoir [d'être vue], Amyot, Aratus, 15. Tu vois (un dieu void tout) combien j'ay de tristesse, Ronsard, 141. Comme on void une estoile esmeue, Qui tombe, ou qui tomber est veue [paraît], Ronsard, 428. …le peuple desarmé Aime tousjours son roy, quand il s'en voit aimé, Ronsard, 662. Toutesfois je ne voy par quel chemin je sorte, Tant la mort me rempestre au labyrinth d'amour, Ronsard, 198. Desplie le, et regarde voir que c'est, Despériers, Cymbal. 167. Mais ils se trompent, veu que…, Montaigne, I, 70. Nous luy voyons forcer les regles de la nature, Montaigne, I, 105. Il gaigne sa vie à se faire veoir, Montaigne, I, 109. Au veu d'un chascun, Montaigne, I, 111. Les plus belles victoires que le soleil aye oncques veu de ses yeulx, Montaigne, I, 243. Pompeius le feut veoir et s'excusa de…, Montaigne, I, 301. Je voiray, tu voiras, il voira, nous voirons, vous voirez, ils voiront ; on escrit aussi, je verray, tu verras, R. Estienne, Gramm. franç. p. 60, dans LACURNE. Les anciens disent que, quand l'œil voit ce qu'il n'a jamais vu, le cœur pense ce qu'il n'a jamais pensé, Montluc, Mém. t. II, p. 504, dans LACURNE. Je sçay bien ce que j'en vis dire à Monseigneur [ce que j'entendis Monseigneur dire], Brantôme, Sur les duels, p. 326.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

VOIR. Ajoutez :
41 Fig. Ne voir qu'un étang, ne plus savoir où l'on en est ; comme qui dirait : ne voir qu'un brouillard. D'Aguesseau, dans sa surprise [quand il reçut du régent les sceaux, aux Tuileries], ne vit qu'un étang, et ne se remit que dans son carrosse en allant chez lui avec les sceaux, Saint-Simon, dans Scènes et portraits choisis dans les Mém. du duc de Saint-Simon, par Eug. de Lanneau, Paris, 1876, t. II, p. 147. Le maréchal d'Estrées avait l'air stupéfait et de ne voir qu'un étang, Saint-Simon, ib. t. II, p. 201.
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Étymologie de « voir »

(Verbe) (c. 980)[1] De l’ancien français veoir (c. 1200)[1], veeir(c. 1155)[1], anciennement vedeir (c. 1080)[1], veder (c. 980)[1], du latin vidēre (« percevoir par la vue, être témoin de »)[1], infinitif présent actif de videō, du proto-italique *widēō Référence nécessaire, de l’indo-européen *weyd-[1].
Cognat du normand insulaire veir, du picard vir, du franco-provençal veir, de l’occitan veire ou véser, du corse vedè. Référence nécessaire
(Adverbe) (Date à préciser) Du latin vere (« en vérité, certainement »), via le franco-provençal. Référence nécessaire
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Wallon, veï ; Bresse, vay ; franc-comtois, voë ; bourguign. voi ; picard, vir ; norm. veir, prononcé tantôt vére, tantôt  ; provenç. vezer ; catal. veurer ; espagn. ver ; ital. vedere ; du latin vidēre ; comparez le grec εἴδειν ; goth. veita ; sanscr. vid.

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Phonétique du mot « voir »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
voir vwar

Fréquence d'apparition du mot « voir » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « voir »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « voir »

  • Et maintenant ? Où et quand trouverai-je le temps d’essayer de me voir. On veut me faire croire que pour penser un peu il n’est pas besoin d’une tour d’ivoire. Sans doute, mais elle est bien utile…
    Raymond Dumay — Mon plus calme visage
  • Deux jours après, étant allé voir Elstir, il me dit la sympathie très grande qu’Andrée avait pour moi comme je lui répondais « Mais c’est moi qui ai eu beaucoup de sympathie pour elle dès le premier jour, je lui avais demandé à la revoir le lendemain, mais elle ne pouvait pas. Oui, je sais, elle me l’a raconté, me dit Elstir, elle l’a assez regretté, mais elle avait accepté un pique-nique à dix lieues d’ici où elle devait aller en break et elle ne pouvait plus se décommander. »
    Marcel Proust — À l’ombre des jeunes filles en fleurs
  • Quelle heure est-il ? Je regardai ma montre Six heures. Mais n’essaie pas de noyer le poisson. Je t’ai dit que j’allais t’expliquer mais je veux d’abord voir les infos.
    Sylvie Granotier — Sueurs chaudes
  • Il est plus facile de voir le Pôle Nord, que de voir sa propre colonne vertébrale.
    Gilbert Keith Chesterton — Ce qui cloche dans le monde
  • Une après-midi d’automne, Gervaise, qui venait de reporter du linge chez une pratique, rue des Portes-Blanches, se trouva dans le bas de la rue des Poissonniers comme le jour tombait. Il avait plu le matin, le temps était très doux, une odeur s’exhalait du pavé gras ; et la blanchisseuse, embarrassée de son grand panier, étouffait un peu, la marche ralentie, le corps abandonné, remontant la rue avec la vague préoccupation d’un désir sensuel, grandi dans sa lassitude. Elle aurait volontiers mangé quelque chose de bon. Alors, en levant les yeux, elle aperçut la plaque de la rue Marcadet, elle eut tout d’un coup l’idée d’aller voir Goujet à sa forge.
    Émile Zola — L’Assommoir
  • Voici des hommes noirs debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d’être vus. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu’on le voie ; il était regard pur, la lumière de ses yeux tirait toute chose de l’ombre natale, la blancheur de sa peau c’était un regard encore, de la lumière condensée. L’homme blanc, blanc parce qu’il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche, dévoilait l’essence secrète et blanche des êtres. Aujourd’hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux ; des torches noires, à leur tour, éclairent le monde et nos têtes blanches ne sont plus que de petits lampions balancés par le vent…
    Jean-Paul Sartre — « Orphée noir »
  • Attendre et voir venir.
    Daniel Defoe
  • Pourquoi voir le vicaire quand on peut voir le pape ?
    Proverbe québécois
  • Elle avait encore l’air d’une écolière ; son sarrau était repassé avec soin, bien froncé sur les épaules, la coiffure montait très haut, et on était un peu surpris, quand les yeux quittaient ces détails, de voir à la jeune fille un visage si sérieux. Elle tira sa révérence à la cuisinière, puis à Karl, et s’éloigna tandis que le jeune homme adressait involontairement à la cuisinière un regard d’interrogation.
    Franz Kafka — L’Amérique
  • Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois, Et crois toujours la voir pour la première fois.
    Jean Racine — Bérénice, II, 2, Titus
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Traductions du mot « voir »

Langue Traduction
Anglais see
Espagnol ver
Italien vedere
Allemand sehen
Chinois 看到
Arabe نرى
Portugais vejo
Russe видеть
Japonais 見る
Basque ikusi
Corse vede
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Synonymes de « voir »

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Antonymes de « voir »

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