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Oeil

Définitions de « oeil »

Trésor de la Langue Française informatisé

OEIL, YEUX, subst. masc.

I. − [L'oeil en tant qu'organe de la vue] Le globe oculaire et les divers milieux qu'il enferme constituant l'appareil optique de l'homme et de nombreux animaux.
A. − [L'oeil tel qu'il voit; anat., pathol., physiol. de l'oeil] J'ai un peu mal aux yeux; c'est une maladie courante et très peu de chose (Napoléon Ier, Lettres Joséph., 1805, p.104).Sire Maurice, je ne vous voyais pas; excusez-moi, j'avais le soleil dans les yeux (Musset, Lorenzaccio, 1834, i, 4, p.107):
1. Ce souci singulier de vouloir observer ce qui observe et imaginer ce qui imagine, n'est pas sans quelque naïveté: il fait songer à ces vieilles gravures sur bois, comme on en trouve dans la Dioptrique de Descartes, qui expliquent le phénomène de la vision par un petit homme posté derrière un gros oeil, et occupé à regarder l'image qui se forme sur la rétine. Valéry, Variété IV, 1938, p.214.
SYNT. OEil droit, gauche; yeux dilatés, faibles, fatigués, malades; oeil humide, mouillé, sec; yeux composés, à facettes (chez certains animaux); le blanc, le globe de l'oeil; l'angle externe, interne de l'oeil; l'accommodation, la convergence des yeux; inflammation, lésion de l'oeil; maladies, troubles des yeux; avoir une poussière dans l'oeil; s'essuyer, se frotter les yeux; se faire examiner, soigner les yeux; ne voir que d'un oeil, perdre un oeil (devenir borgne), les deux yeux (devenir aveugle); avoir de bons yeux.
Se casser, se crever les yeux. Regarder des objets, lire des signes, des caractères trop petits ou peu visibles en raison de la lumière insuffisante. (Dict. xxes.).
Avoir une coquetterie dans l'oeil; avoir un oeil qui dit merde (vulg.)/zut (fam.) à l'autre. Loucher. V. coquetterie B 1 a ex. de Pagnol et Aragon, Beaux quart., 1936, p.366.
B. − [L'oeil, tel qu'il est vu: forme, éclat, couleur, expression de l'oeil] Même, il s'était promené déjà avec son successeur, un abbé maigre, aux yeux de braise rouge (Zola, Germinal, 1885, p.1361).Les lèvres closes, ses yeux riaient d'un rire d'enfant (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p.93):
2. Les gens ordinaires ne connaissent pas ce repos qu'on éprouve à fixer les yeux blancs d'un aveugle, les yeux vagues d'une fille, comme on ferait des aveux à un sourd, ou rarement, les yeux des hommes qui partagent vos secrets. Nizan, Conspir., 1938, p.204.
SYNT. Yeux beaux, énormes, grands, gros, jolis, splendides; yeux bridés, globuleux, ronds, à fleur de tête, en vrille; yeux battus, bouffis, boursouflés, caves, cernés, creux, enfoncés, fiévreux, gonflés, morts, plissés, pochés; le mouvement des yeux; baisser, lever les yeux; écarquiller les yeux, faire de gros yeux, rouler les yeux; fards, crayon pour les yeux, se farder les yeux; couleur, nuances, teinte des yeux; yeux bleu d'azur, de braise, bruns, clairs, foncés, glauques, gris, de jais, jaunes, marrons, noisette, pers, rouges, rougis, vairons; l'éclat, la pureté de l'oeil; oeil ardent, brillant, éteint, étincelant, illuminé, morne, pâle, terne, vif, voilé; l'oeil brille, étincelle; yeux bons, calmes, coquins, durs, égarés, étonnés, fins, froids, fous, ingénus, inquiets, intelligents, malins, mauvais, méchants, narquois, profonds, rieurs, tendres, terribles, tristes.
[L'oeil de l'homme comparé à celui d'un animal] OEil de biche, de carpe, de chien (battu, fidèle), de gazelle, de hibou, de lynx, de veau; yeux bovins; avoir des yeux de chat (voir dans l'obscurité). Son oeil d'aigle voyait tout à la fois. Il possédait la présence d'esprit, la mémoire, la connaissance des hommes, le sens des foules (A. France, Vie fleur, 1922, p.341).Gise n'avait pas bougé. Dans son visage bistre, ses grands yeux noirs et ronds, ses beaux yeux de chien fidèle, luisaient d'un tendre éclat qu'avivait la stupeur (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p.1286).
Fam. Les yeux bordés d'anchois (aux paupières rougies); oeil au beurre noir (poché); yeux en boules de loto (gros et saillants); yeux de merlan frit (regards énamourés). François s'emporta contre elle, la traita de garce et de bonne à rien, et il appuyait ses injures de coups de poing et de coups de pied. Elle rentra avec un oeil poché. Elle expliqua qu'elle avait buté dans un caillou et s'était flanquée par terre (Queffélec, Recteur, 1944, p.168).
C. − [L'oeil et la lumière]
Ouvrir, rouvrir les yeux; j'ouvre les yeux (je m'éveille); (avoir, tenir) les yeux ouverts, grand ouverts; ouvrir de grands yeux (par surprise, par étonnement). Ses yeux s'ouvrirent, et la prunelle disparut sous la paupière (Sue, Atar-Gull, 1831, p.36).
Fermer les yeux; les yeux clos, mi-clos; fermer un oeil (pour viser); ses yeux se ferment (s'endormir); ciller, cligner les deux yeux, plisser les yeux; clignement d'yeux; yeux papillotants; ne pas fermer l'oeil (de la nuit) (ne pas dormir):
3. L'auberge et les environs ne retentissaient que de chants lubriques: il ne nous fut pas possible de fermer l'oeil. Dusaulx, Voy. Barège, t.1, 1796, p.336.
En un clin d'oeil (v. infra II A à vue d'oeil). Rapidement, sur le champ. Aussitôt les grenouilles reparurent en plus grand nombre que jamais, sautillant et coassant; en un clin d'oeil la terre en fut couverte (Gautier, Rom. momie, 1858, p.332).
P. méton. ou au fig.
1. [L'oeil ouvert à la lumière, image de naissance et de connaissance]
Ouvrir les yeux au jour, à la lumière, au monde. Naître. Qu'on ne s'étonne donc pas de voir une nation qui, à peine, ouvre les yeux à la lumière, se tourner vers la constitution d'Angleterre, et vouloir la prendre pour modèle en tout (Sieyès, Tiers état, 1789, p.61).
Ouvrir l'oeil (et le bon). Être vigilant. Mon colon, v'là l'moment d'ouvrir l'oeil et le bon, et de faire attention au mouvement (Courteline, Train 8 h. 47, 1888, 2epart., iii, p.124).
Ouvrir les yeux de qqn. Lui faire découvrir la vérité. Madeleine: Ces derniers mois, quel cauchemar! J'ai tenté l'impossible pour vous ouvrir les yeux. Vous ne vouliez rien voir, rien entendre (Cocteau, Parents, 1938, ii, 9, p.251).
2. [L'oeil fermé à la lumière image de la mort, de l'ignorance, de la confiance (aveugle)]
Fermer les yeux à la lumière. Mourir. Ainsi, prêt à fermer mes yeux à la lumière, Nul espoir ne viendra consoler ma paupière: Mon ame aura passé sans guide et sans flambeau De la nuit d'ici-bas dans la nuit du tombeau (Lamart., Médit., 1820, p.179).
Fermer les yeux (à qqc.), (sur qqc.). Ignorer ou feindre l'ignorance. Nos officiers fermaient les yeux, ils savaient que pour des choses qui tiennent au coeur, des Français ne se laissent pas commander (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t.2, 1870, p.116).
Aller les yeux fermés. Sans hésitation, comme par automatisme. Si Agathe ne peut pas vous donner cette adresse, me cria un caporal, il faudra que vous alliez la demander à mon lieutenant, qui pourrait y aller les yeux fermés (Janin, Âne mort, 1829, p.141).
(Faire qqc.) les yeux fermés. En toute confiance. Aussi vais-je de ce pas à Melun, où des fermiers que j'y connais m'achèteront les Bordières les yeux fermés (Balzac, U. Mirouët, 1841, p.202).
II. − [L'oeil en tant que regard]
A. − [L'oeil dans son action et sa fonction de voir]
Voir de ses yeux, de ses propres yeux, du coin de l'oeil; invisible à l'oeil; regarder qqn (les yeux) dans les yeux, dans le blanc des yeux, entre deux yeux; baisser, lever, relever les yeux vers; avoir les yeux dans le vague; se dérober aux yeux de qqn. Chercher, suivre qqn des yeux, jeter les yeux sur, diriger, tourner ses yeux vers, sur; promener ses yeux, porter, arrêter, fixer ses yeux sur, mes yeux tombèrent sur; les yeux à terre; éviter les yeux de qqn; (ne pas) quitter des yeux; boire des yeux, couver des yeux; dévorer, manger des yeux; (dé)tourner ses yeux; cacher, exhiber une chose aux yeux de qqn; avoir devant, sous les yeux; mettre une chose devant, sous les yeux de qqn; parcourir des yeux; sous l'oeil de; les yeux dans les yeux (en se regardant en face, avec franchise). Cependant sa maladie augmentait à vue d'oeil (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p.212).Toutefois, quand ses yeux s'arrêtèrent sur la page des annonces, ils se mirent à briller (Montherl., Célibataires, 1934, p.836).
À l'oeil nu. Directement, sans le recours à des verres grossissants:
4. Faisait-il beau? Notre père, excité par les étoiles, se lançait dans la cosmographie. Sirius, qui fut Sothis, Bételgeuse, les Rois mages, Proxima du Centaure, que l'on ne voit pas à l'oeil nu, mais qui semble être notre voisine immédiate, Vénus et quelques autres clous du ciel me percent depuis lors la sclérotique, avec la même familiarité dont usaient les hibous pour nous percer le tympan. H. Bazin, Vipère, 1948, p.109.
Entre quat'z'yeux (fam.). En privé. Présentement je m'amuse beaucoup, étant en train d'éreinter mon petit ami Sainte-Beuve dans le silence du cabinet et entre quatre z'yeux (Flaub., Corresp., 1862, p.310).
Proverbes
Avoir des yeux pour ne pas voir. Ne rien voir (volontairement ou non).
Loin des yeux, loin du coeur. L'éloignement distend les liens affectifs.
Coup d'oeil
Regard furtif, rapide. Un coup d'oeil circulaire, furtif, général, inquiet, observateur, pénétrant, rapide, satisfait, soupçonneux; échanger un coup d'oeil amusé; jeter, lancer un coup d'oeil; il jeta un coup d'oeil autour de lui; jeter un dernier coup d'oeil; d'un seul coup d'oeil, au, du premier, dès le premier coup d'oeil; (donner) un dernier coup d'oeil; doué d'un coup d'oeil infaillible; coup d'oeil juste, sûr; coup d'oeil professionnel; avoir le, du coup d'oeil (avoir la faculté de voir vite et bien). «D'un coup d'oeil», tout un ensemble complexe de notions est appréhendé concrètement (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p.57):
5. Elle sortit lentement, regardant sa bourse avec regret, jetant un coup d'oeil satisfait sur ma psyché, puis un autre sur moi-même qui s'efforçait d'être méprisant, qui n'était rien, pas même colère: la colère est la dernière des vertus qui veulent du coeur. Janin, Âne mort, 1829, p.63.
Spectacle de la nature beau à voir, généralement contemplé d'un lieu en surplomb. Montrer un coup d'oeil ravissant, un beau coup d'oeil; coup d'oeil féérique. Le coup d'oeil du Prado est réellement un des plus animés qui se puissent voir, et c'est une des plus belles promenades du monde (Gautier, Tra los montes, 1843, p.90):
6. ... là un brouillard épais nous a surpris, et je tremblais que cette ascension ne fût encore inutile, lorsque après avoir gravi jusqu'au sommet, nous avons eu le coup d'oeil immense et magique des montagnes du Marboré couvertes de neige dans toute leur étendue... Maine de Biran, Journal, 1816, p.171.
B. − [L'oeil foyer de l'activité mentale]
1. [L'oeil instrument d'observation] Attirer, captiver, fasciner, frapper, retenir l'oeil; ne pas quitter de l'oeil; avoir des yeux pour voir (être un observateur attentif); ne pas avoir les yeux dans sa poche (ne rien laisser échapper de son observation); arrêter les yeux à qqn (retenir son attention); tirer l'oeil (attirer l'attention); au doigt et à l'oeil (en observant strictement les ordres donnés); l'oeil aux aguets; avoir l'oeil à, dessus, sur; avoir, tenir à l'oeil; ne dormir que d'un oeil; où avez-vous les yeux? n'avoir pas les yeux en face des trous (fam., voir mal, ne pas être bien réveillé); sous l'oeil de; l'oeil de l'observateur. Avant que nous eussions pénétré dans la péninsule, des hommes habiles nous avaient fait toucher au doigt et à l'oeil les impossibilités dont nous allions être murés et dans l'enceinte desquelles, ainsi que dans un amphithéâtre, nous serions exposés aux assauts de toutes les calamités (Chateaubr., Mém., t.3, 1848, p.249).Nigaud... Nigaud... ça t'étonne, hein? Eh bien je l'ai vu, de mes yeux vu: ce sont les Ricains qui ravitaillent l'Allemagne en essence! (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p.204):
7. Fritz, voyant que tout le monde l'observait, comprit l'imprudence qu'il venait de commettre. Le vieux rebbe David surtout ne le quittait pas de l'oeil, et semblait vouloir lire au fond de son âme. Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p.149.
L'oeil du maître. [P. allus à la fable de La Fontaine IV-21] La surveillance efficace du maître.
L'oeil de Moscou. L'espion qui observe et communique ses informations:
8. Tout parent préoccupé de l'éducation de son enfant devrait: −s'adresser aux associations de parents d'élèves: leurs délégués sont d'excellents mentors, «L'oeil de Moscou» dans les conseils de classe, les commissions d'appel, les commissions d'affectation. Madame Figaro, 7 mai 1983, p.49.
Avoir l'oeil américain. Être vigilant et perspicace. J'ai vu ça, moi, du premier coup en entrant. J'ai l'oeil américain (Flaub., MmeBovary, t.2, 1857, p.101).
Être tout yeux (tout oreilles). Être très attentif (aux propos de quelqu'un). À l'endroit le plus éclairé de la classe, Roubaud a disposé deux cercles de chaises; au centre de chacun, une sellette. Que va-t-on poser là-dessus? Nous sommes tout yeux. L'examinateur factotum disparaît et revient porteur de deux cruches de verre à anse (Colette, Cl. école, 1900, p.210).
Loc. proverbiale. Deux yeux valent mieux qu'un (Littré).
2. [L'oeil instrument de jugement] Connaître de ses yeux, par, de ses propres yeux; se boucher les yeux; jeter de la poudre aux yeux; dessiller les yeux de qqn; oeil critique, exercé, expérimenté; d'un bon, d'un mauvais oeil (voir); avoir un bandeau sur les yeux; crever les yeux, parler aux yeux, sauter aux yeux; ne pas en croire ses yeux; se mettre le doigt dans l'oeil (pop., commettre une erreur); voir avec les yeux de la foi; les yeux de l'esprit, l'oeil de Dieu. En voilà un qui s'est mis le doigt dans l'oeil, s'il a cru nous épater avec son rôtissage (Zola, Nana, 1880, p.1423).Il aurait vu d'un bon oeil l'avenir d'Agélina assuré par le mariage et, du même coup, comme il prenait de l'âge, le fort des travaux de la terre retomber sur les épaules d'un gendre vigoureux et vaillant (Guèvremont, Survenant, 1945, p.28).Ça saute aux yeux qu'ils ont eu raison d'agir comme ils l'ont fait! dit Henri (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.251):
9. On retrouve partout ces habitudes de faire tout avec apparat, ce besoin de jeter de la poudre aux yeux, que l'on déguise sous le nom de bienséance, de décence, de décorum. Delécluze, Journal, 1827, p.398.
Avoir le compas dans l'oeil (fam.). Apprécier avec exactitude. V. compas B 2 b.
Proverbe. Voir la paille dans l'oeil du voisin et ne pas voir la poutre dans le sien (P.allus. à l'Évangile selon saint Luc VI, 41).
Aux yeux de. Au jugement de. Aux yeux du monde, du public, de la raison, du sage, de tous; à ses propres yeux, aux yeux d'autrui. Flagorneries abjectes et stupides qui nous dégradent et nous avilissent aux yeux des étrangers! (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.303).En somme le phénomène plaisir était sauvé aux yeux de la raison, par des arguments de finalité jadis, assez solides (Valéry, Variété IV, 1938, p.243).Mon oeil! (pop., exclam. iron. d'incrédulité). Tu veux repartir en vadrouille!... −Où ça? dans le fond des mers?... −Fond des mers!... Fond des mers!... Mon oeil!... (Céline, Mort à crédit, 1936, p.522).
P. méton. [L'oeil est la personne qui observe ou qui juge] :
10. Victor Hugo aveugle, un oeil sévère fermé à jamais, cela plaisait aux hontes du temps présent. Hugo, Corresp., 1865, p.510.
3. [L'oeil miroir de l'âme] Un oeil attendri, hagard, inquiet, ironique, jaloux, langoureux, provocant, ravi, suppliant; le langage des yeux; les yeux de l'âme, de l'esprit; oeil de défi, d'envie, de mépris, de pitié; lire dans les yeux de qqn; se parler des yeux, avec les yeux; avoir la larme à l'oeil; voir d'un oeil sec. L'imagination est l'oeil de l'âme (Joubert, Pensées, t.1, 1824, p.158).Car Grazia lui apportait en dot le trésor le plus rare, que jamais Olivier n'avait possédé: la joie. La joie de l'âme et des yeux. La lumière (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p.1461).J'ai renversé sa tête pour lire dans ses yeux (Saint-Exup., Citad., 1944, p.559):
11. Baisse un peu l'abat-jour, veux-tu? Nous serons mieux. C'est dans l'ombre que les coeurs causent, Et l'on voit beaucoup mieux les yeux... Géraldy, Toi et Moi, 1913, p.27.
Faire les gros yeux à qqn (fam.). Regarder avec sévérité, adresser des regards de réprobation. Beau Rubens: Jésus-Christ donne les clefs à saint Pierre. Saint Pierre reçoit comme un mendiant; derrière est un homme qui fait les gros yeux au spectateur, comme dans la Flagellation (Michelet, Journal, 1832, p.105).
Les yeux lui sortent de la tête. Être très en colère; être dans un état de forte excitation. Mais ce soir les yeux leur sortent de la tête parce que c'est un Français qui a repris la tête du classement (Montherl., Célibataires, 1934, p.836).
Faire de l'oeil (fam.), des clins d'oeil à qqn; faire les doux yeux, les yeux doux, des yeux en velours; (avoir) des yeux en coulisses (v. oeillade). Adresser des regards amoureux. Mmede Flahaut fait quand elle veut des yeux de velours (Chênedollé, Journal, 1811, p.62).Dis donc! Le forgeron te fait de l'oeil, s'écria Coupeau en riant, quand il apprit l'histoire (Zola, Assommoir, 1877, p.492).Les tendres pressions du genou, les yeux en coulisse, devenaient en ce cas une hypocrisie abominable (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p.272).
Donner dans l'oeil; taper dans l'oeil (fam.). Plaire, séduire, faire une impression vive et agréable. Je crois [dit Jory à Claude] que tu lui as tapé dans l'oeil [à Irma], elle nous parle toujours de toi (Zola, L'OEuvre, 1886, p.190).
Ne pas avoir froid aux yeux. Manifester de la hardiesse et de l'effronterie. Vous ne savez donc pas que la petite Micheline a plu au baron Gouraud?... Allez, c'est une gaillarde. Elle n'a pas froid aux yeux... (Zola, Curée, 1872, p.504).
III. − Expressions
A. − [L'oeil, objet de prix, symbole de richesse]
Coûter les yeux de la tête. Coûter très cher. Déjà deux fois il avait fallu remplacer les vitres brisées, et maintenant pour remplacer les vitres! Premièrement il n'y en a pas, et secondement elles coûtent les yeux de la tête! (Triolet, Prem. accroc, 1945, p.212).
N'avoir plus que les yeux pour pleurer; il ne reste plus que les yeux pour pleurer. Être dénué de tout. Je viens de me voir en mendiante à ma propre porte, quel avis du ciel! Dans quelque temps, il ne nous restera que les yeux pour pleurer (Balzac, C.Birotteau, 1837, p.17).
Pop. Pas plus que mon oeil, pas plus que dans mon oeil (d'apr. Hautel t.2 1808). Pas du tout.
Fam. Pour les beaux yeux de qqn. Sans intérêt, gratuitement, pour le seul plaisir. Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que le pape est bien convaincu qu'il ne nous a aucune obligation, et que c'est le ciel qui a tout fait pour ses beaux yeux (Mérimée, Lettres à une inconnue, t.2, 1867, p.319).
Pop. S'en battre l'oeil. N'attacher aucun prix à, se moquer de. Vous comprenez, Copeau s'en bat l'oeil du Mirabeau et du petit père Chérouvier (Duhamel, Suzanne, 1941, p.64).
Tenir (à), chérir, soigner une chose comme (à) la prunelle de ses yeux. Attacher beaucoup d'importance, accorder beaucoup de valeur à. M. de Seigneulles avait là, à deux lieues de Juvigny, au milieu de la forêt du Grand-Juré, une belle ferme qu'il chérissait et soignait comme la prunelle de ses yeux (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p.109).
Pop. À l'oeil. Gratuitement, sur la mine, sans autre garantie que la bonne apparence (v. pour les beaux yeux de qqn, supra). Travailler à l'oeil. Vous pouvez baiser à l'oeil la terre entière, mais pas une putain en maison, à moins d'être son maquereau, ce qui est encore être un soutien de l'ordre et ce que nous n'étions assurément pas (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p.66).
B. − [L'oeil, reflet d'un état de santé]
Fam. Frais comme l'oeil. Dispos, en excellente santé. J'avais fait une demande pour être reversé dans mon régiment et on m'avait dit: «Démerde-toi et occupe-toi z'en.» J'tombe sur un sergent, un p'tit poseur, frais comme l'oeil, à lorgnon d'or, −des lunettes à galon (Barbusse, Feu, 1916, p.130).
Pop. et fam. Tourner de l'oeil. S'évanouir; p. euphém. mourir. Et j'ai amassé une bonne pacotille de contrebande assez honnête, dont nous vivrions, et que je vous laisserais lorsque je viendrais à tourner de l'oeil, comme on dit poliment (Vigny, Serv. grand. milit., 1835, p.40).Ah! toi, tais-toi! Dès qu'elle tourne de l'oeil, tu sanglotes, et dès qu'elle va mieux, tu recommences! (Pagnol, Fanny, 1932, i, 2etabl., 6, p.95).
Avoir bon pied, bon oeil. Être en excellente santé. Toujours bon pied bon oeil, après tout (Aragon, Beaux quart., 1936, p.238).
C. − [L'oeil image de la plénitude, de la satiété, de l'enivrement]
Avoir les yeux plus grands, plus gros que le ventre. Voir trop grand, s'exagérer ses possibilités. C'est un grand reproche à faire à Dieu, qu'il nous ait fait, en tout, les yeux plus grands que le ventre, le désir supérieur à la capacité de jouissance (Goncourt, Journal, 1865, p.131).
Dévorer, manger des yeux. Regarder avec convoitise. Voici qu'un vieux renard affamé de victimes Arrive au pied de l'arbre, et, levant le museau, Voit l'écureuil sur un rameau. Il le mange des yeux, humecte de sa langue Ses levres qui de sang brûlent de s'abreuver (Florian, Fables, 1792, p.135).
Pop. Enceinte jusqu'aux yeux. Dans un état de grossesse très avancé. Non, Naudy n'est pas fou de vouloir rentrer en France. − [...] Pierrette est enceinte jusqu'aux yeux, Raymond veut que leur enfant naisse sur le sol de la patrie (Borniche, Le Gang, 1975, p.297 ds Rey-Chantr. Expr. 1979).
Pop. (S'en mettre) jusqu'aux yeux, par-dessus les yeux. (En prendre) à satiété. (Dict. xixeet xxes.).
Se rincer l'oeil (fam.). Regarder avec jouissance une scène érotique, une femme (pour un homme). Je vous mets en rapport avec lui: un homme charmant, tout rond, une jolie femme et deux jolies filles; vous vous en rincerez l'oeil (Vogüé, Morts, 1899, p.289).
Fam. Sortir par les yeux à qqn. Causer de l'exaspération par effet de répétition, de lassitude, par satiété. «Sire, nulle faveur ne pouvait m'être plus précieuse...» Foin! Foin! Tu me l'as fait répéter dix mille fois. Ça commence à me sortir par les yeux. Réciter, d'abord, c'est mentir. Mentir m'irrite très fort (Audiberti, Mal court, 1947, i, p.150).
D. − [L'oeil, objet de violence et de malheur]
Le mauvais oeil (jeter). Lancer un mauvais sort. L'animal, comme tous les chevaux arabes, portait au cou sa généalogie, suspendue dans un sachet en poil, et plusieurs amulettes pour le préserver du mauvais oeil (Lamart., Voy. Orient, t.2, 1835, p.223).
S'arracher les yeux, se manger le blanc des yeux (fam.). Se disputer violemment. Sous l'Empire, les réunions étaient possibles: on pouvait être d'opinion contraire sans s'arracher les yeux (Mmede Chateaubr., Mém. et lettres, 1847, p.39).
OEil pour oeil, dent pour dent. [P. allus. au Lévitique XXIV, 17-22] Loi du talion qui punit l'offense par une peine du même ordre. C'est ainsi qu'on lit dans le Lévitique: «On punira aussi de mort celui qui aura frappé de mort quelque personne que ce soit. Celui qui aura frappé une bête à mort la rendra; vie pour vie... fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent» (Durkheim, Divis. trav., 1902, p.iii).
IV. − Emplois anal.
A. − [P. réf. à la forme]
1. AGRIC. et ARBORIC.
Petit bourgeon rudimentaire à l'extrémité des rameaux ou à l'intersection des feuilles; il devient au printemps suivant bourgeon à bois ou à fruit (d'apr. Plais. 1969). OEil dormant, oeil poussant (Agric. 1977). Tailler à deux ou trois yeux (Bén.-VaeskJard.1981).
,,Renfoncement dans le corps de la pomme de terre signalant l'endroit où percera un germe`` (Bén.-Vaesk Jard. 1981).
2. ALIMENTATION
Yeux du fromage, du pain. Trous qui se forment dans la pâte. (Dict. xixeet xxes.).
Yeux du bouillon. Ronds de graisse qui apparaissent à la surface du bouillon. La soupe était froide, couverte d'yeux de graisse qui se figeaient (Zola, Terre, 1887, p.190).
3. ARCHIT. ,,Ouverture ronde ou ovale, pratiquée dans un comble, un dôme, un attique, un entrecolonnement, un dessus de porte, un tympan de fronton ou dans les reins d'une voûte`` (Bach.-Dez. 1882).
OEil de pont. ,,Ouverture ronde dans une pile d'avant ou d'arrière bec de pont`` (Barb.-Cad. 1963).
4. ÉLECTRON. ,,Système optique signalant une présence`` (Boissier 1975). OEil optique d'une cellule photo-électrique (Boissier 1975).
OEil magique. ,,Petit tube à rayons cathodiques permettant d'effectuer le contrôle visuel du réglage d'un récepteur de radio`` (Giteau 1970).
5. IMPR. ,,Dessin en relief du caractère d'imprimerie (la partie imprimante). Petit, gros oeil, oeil moyen`` (Comte-Pern. 1974).
6. MAR. ,,Boucle formée à l'extrémité d'un filin`` (Gruss 1952).
OEil de cordage. ,,Boucle terminale d'un cordage quand elle est constituée définitivement par une épaisseur`` (Le Clère 1960).
7. MÉTÉOR. Point central d'un phénomène atmosphérique. OEil d'un cyclone. V. cyclone A ex. de Claudel.
8. OPHTALMOL. OEil de verre. OEil artificiel que l'on met à la place d'un oeil énucléé:
12. Les nouveaux amis que nous faisons après un certain âge, et par lesquels nous cherchons à remplacer ceux que nous avons perdus, sont à nos anciens amis ce que les yeux de verre, les dents postiches et les jambes de bois sont aux véritables yeux, aux dents naturelles et aux jambes de chair et d'os. Chamfort, Max. et pens., 1794, p.54.
9. THÉÂTRE. Trou pratiqué dans le rideau d'un théâtre et permettant de regarder de la scène dans la salle. (Dict. xixeet xxes.).
10. TECHNOL. ,,Ouverture pratiquée dans certains outils pour recevoir le manche`` (Boissier 1975). L'oeil d'un marteau (Boissier 1975).
Arg. OEil de bronze. ,,Sphincter anal`` (Le Breton 1960).
B. − [P. réf. à l'aspect]
1. [En parlant d'étoffes, de pierres précieuses] Lustre, éclat. Ces perles ont un bel oeil (Ac.):
13. Je n'hésitai point à me mettre à la besogne pour substituer ceux-ci aux autres, et les dix boutons à l'oeil de perle et aux reflets d'argent ne tardèrent pas à resplendir à mes yeux enchantés comme autant de jolis miroirs. Nodier, Fée Miettes, 1831, p.88.
Avoir de l'oeil. Avoir belle apparence, de l'allure, produire de l'effet. Nous aurons un municipal à la porte... C'est ça qui aura de l'oeil!... Enfoncés les bourgeois! (Goncourt, Man. Salomon, 1867, p.226).
2. [En parlant d'un produit léger] Faible quantité de, une légère couche de. Un oeil de poudre. Il y a à notre table Flaubert, Saint-Victor, Scholl, Charles Edmond, et en femmes, Julie et MmeDoche, une résille rouge sur ses cheveux, qui ont un oeil de poudre (Goncourt, Journal, 1860, p.684).
3. [OEil, yeux employés à la place de ocelle] Au-dessous d'un petit chapeau rond, qui n'est qu'un diadème d'oeils de plumes de paon, où le vert bleu est entouré d'or vert-de-grisé, au-dessous de cette couronne d'arc-en-ciel en plumage, une petite tête de blonde cruelle, avec un teint d'une diaphanéité rosée (Goncourt, Journal, 1864, p.65).
En partic. Représentation, imitation de ce genre d'oeil. La toilette sombre (...) garnie de broderies en oeil de paon, le chapeau (...) enserrent délicieusement la taille souple, l'ovale en pâleur rosée de cette Esther sûre de son Assuérus (A. Daudet, Rois en exil, 1879, p.295).
C. − [P. réf. à la lumière]
1. Ce qui éclaire, projette une lumière. OEil du ciel, du monde. Le soleil. L'oeil de la nuit. La lune. Pour lui donner la voix et l'ame, Il faut que de sa chaste flamme L'oeil du jour lui lance un rayon (Lamart., Médit., 1820, p.126).Une vapeur se déroule, monte et enveloppe l'oeil de la nuit d'une rétine argentée (Chateaubr., Mém., t.4, 1848, p.286):
14. Il en serait de même de la terre, si nous la considérions du soleil: nous la verrions avec l'astre qui fait tout voir. Nous l'observerions à travers cette atmosphère merveilleuse de lumière qui, comme un cristallin vivant, entoure l'oeil de notre univers. Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p.348.
2. Ce qui éclaire, sert de guide. Ce temple courbé à terre, prosterné devant la nature qu'il célébrait, anéanti par elle-même, c'est grand. La source continue jour et nuit sa prodigalité. Les proportions sont admirables. (...). Elle est pensée divine, aisée, sereine, héroïque. Comment l'imaginaient-ils? Vie, pensée, oeil de la nature, force créatrice, fécondité, mère (Barrès, Cahiers, t.11, 1914, p.15).
Rem. Dans les sens techn. comme dans les mots comp. (v. oeil-de-boeuf, oeil-de-perdrix, etc.) le plur. de oeil est oeils: les oeils d'une voile.
Prononc. et Orth.: [oej], plur. [jø]. Att. ds Ac. dep. 1694. Ds les comp., oeil(-)de(-) boeuf, etc., plur. oeils. Étymol. et Hist. A. 1. Fin xes. «organe de la vue», plur. olz (Passion, éd. D' Arco Silvio Avalle, 52: sos olz torned); ca 1050 id. oil (Alexis, éd. Chr. Storey, 222); 1170 uel (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 4418); plur. ialz (Id., ibid., 436); 1342 oeil (J. Bruyant, Le Chemin de povreté et de richesse ds Ménagier, éd. Sté Bibliophiles, t.II, p.15); plur. yeulx (Id., ibid., p.14); a) ca 1265 oil pour oil (Brunet Latin, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, I, XVIII, p.31); b) xves. avoir bon pié et bon oeil (J. de Bueil, Jouvencel, éd. L. Lecestre, I, 198); c) 1580 avoir les yeux plus grands que le ventre (Montaigne, Essais, éd. Villey-Saulnier, I, XXXI, p.203); d) 1666 s'en battre l'oeil ([Brécourt], La Nopce de village, 15 [Ribou] ds Quem. DDL t.19); e) 1690 entre quatre yeux (Fur., s.v. entre); 1740 entre quatre-z-yeux (Piron, OEuvres posthumes, 77 [Dentu] ds Quem. DDL t.19); f) 1690 oeil de verre (Fur.); g) 1793 ne laisser que les yeux pour pleurer ([Lemaire], La Trompette du père Duchêne, no142, 326 ds Quem. DDL t.19); 2. ca 1100 «oeil comme partie du visage, et élément de physionomie» (Roland, éd. J. Bédier, 283: Vairs out les oilz); a) 1640 pour les beaux yeulx de qqn «par amour pour quelqu'un» d'où «gratuitement» (Oudin Curiositez); b) 1640 bel oeil «jolie femme» (Corneille, Polyeucte, I, 1); 3. ca 1100 «l'oeil dans sa fonction de vision» (Roland, 316: ja nel verrai des oilz); a) fin xiies. en croire ses yeux (Chrétien de Troyes, Chansons, éd. W. Foerster, II, 34: fors de tant que mes iauz an crui); b) 1203 (voir, regarder) de ses ieuz (Chastelain de Couci, Chansons, éd. A. Lerond, V, 17); c) ca 1208 veoir a oil «voir à l'oeil nu» (Villehardouin, Conquête Constantinople, éd. E. Faral, § 120); 1690 regarder à l'oeil nu (Fur., s.v. nud); d) 1450-65 un trait d'ueil «regard prompt et de courte durée» (Ch. d'Orléans, Rondeaux, XXII, 4 ds Poésies, éd. P. Champion, II, 303); 1668 coup d'oeil (Molière, Amphitryon, I, 1); 1699 jeter un coup d'oeil sur qqc. (Mass[illon], Avent, Épiphan. ds Littré); [4equart xives. jetter ses ieux et voir (Froissart, Chron., éd. G. Raynaud, XI, 28)]; e) 1640 du coin de l'oeil (Oudin Curiositez, s.v. coin); f) 1562 a veuë d'oeil (Paré, Anat., II, 9, éd. J.-Fr. Malgaigne, I, 185); 4. ca 1100 «l'oeil dans les mouvements qui lui sont propres» (Roland, 2285: uvrit les oilz); a) 1550 fermer les yeus à qqn (Ronsard, Boccage, VIII, 48 ds OEuvres, éd. P. Laumonier, II, 183); 1721 fermer les yeus «mourir» (Montesquieu, Lettres persanes, éd. A. Adam, CXLII, p.367); b) 1686 ne pas fermer l'oeil (Dancourt, Les Fonds perdus, I, 4 ds Littré); 5. ca 1100 «la vue, le regard» (Roland, 1131: a vos oilz veez les Sarrazins); 1538 devant les yeux (Est.); ca 1470 avoir la preuve aux yeux (G. Chastellain, Chron. Ducs de Bourgogne, éd. Kervin de Lettenhove, III, 331); 1671 sous les yeux de qqn «en sa présence directe» (Pomey); 1701 mettre qqc. sous les yeux de qqn (Mass[illon], Carême, Parole ds Littré); 1649 couver des yeux (Descartes, v. couver). B. OEil en tant qu'il manifeste les traits permanents du caractère, les émotions, les sentiments 1. a) 1155 de bon oeil veeir «d'un oeil bienveillant» (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 1923); ca 1200 ex vairs et rians (Aucassin et Nicolette, éd. Mario Roques, II, 13); b) 1558 regarder ... de fort mauvais oeuil (Des Périers, Nouv. récréat. et joyeux devis, éd. K.Kasprzyk, 78, p.277); c) 1611 servi au doigt, & à l'oeil «ponctuellement, au premier signe» (Cotgr.); 1812 obéir au doigt et à l'oeil «id.» (Boiste); d) 1611 faire les doux yeux à [qqn] (Cotgr.); e) 1665 faire de l'oeil «avec un air d'intelligence» (La Fontaine, Cas de conscience, 137 ds OEuvres, éd. H. Régnier, V, 352); f) 1667 se parler des yeux (Molière, Le Sicilien, II); g) 1698 ouvrir de fort grands yeux (Racine, Corresp., à Jean-Baptiste Racine, 24 juill. ds OEuvres compl., éd. R. Picard, t.2, p.624); 2. ca 1203 «oeil, symbole de la faculté d'observation, de la perspicacité, de l'attention» (Chastelain de Couci, op. cit., II, 18); a) 1505 bender les yeulx à (Gringore, Les Folles entreprises ds OEuvres compl., éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, I, 41); 1690 avoir un bandeau sur l'oeil (Fur.); b) fin xvies. fermer les yeulx à qqn «faire comme si on ne voyait pas ses agissements» (D'Aubigné, Lettres diverses ds OEuvres, éd. Réaume et de Caussade, I, 480); 1644 fermer les yeux sur qqc. (Corneille, Rodogune, III, 3); c) 1631 n'avoir d'yeux que pour qqn (Id., Don Sanche, I, 3); d) 1640 crever les yeux «être évident» (Oudin Curiositez); 3. a) ca 1188 «oeil, symbole de méfiance ou de vigilance» avoir les iex ... a (Partonopeus de Blois, éd. J. Gildea, 3448); ca 1470 avoir l'oeil à tout (G. Chastel., Chr. des d. de Bourg., II, 1 ds Littré); b) fin xives. avoir bonne oreille ... bon oeul (E. Deschamps, Ballades de moralitez, XCII, 4 ds OEuvres, éd. G. Raynaud, I, 198); c) fin xvies. l'oeil du maître (Pasq[uier], Rech., VI, p.453 ds La Curne); d) 1669 dormir de plus que de deux yeux (La Fontaine, La Coupe enchantée, 463 ds OEuvres, éd. citée, V, 143); 1704 ne dormir que d'un oeil (Regnard, Fol. amour., I, 1 ds Littré); e) 1798 tenir qqn à l'oeil (Ac.); 4. fin xives. «personne qui observe, surveille» (E. Deschamps, Le Miroir de mariage, 1631 ds OEuvres, éd. citée, IX, 56). C. P. anal. 1. P. réf. à l'éclat a) 1remoitié xiiies. [ms.] «ce qui éclaire, permet de voir» ici poét. al oel del jor «à l'aube» (Partonopeus de Blois, éd. citée, 1955); 1550 le clair oeil de la nuit «la lune» (Ronsard, Odes, A Joachim du Bellay, ode XXIV, 51 ds OEuvres, éd. citée, II, 70); b) 1572 «ce qui éclaire, sert de guide» (R.Belleau, Bergeries, t.I, p.2 ds Littré); 2. p. réf. à la forme a) ca 1393 bot. «sans doute noeud qui est à l'extrémité du fruit, opposé à la queue» (Ménagier, éd. citée, II, p.247); 1653 oeil dormant (Le Gendre, Arbres fruitiers, p.57); oeil poussant (Id., op. cit., éd. 1676, p.60); b) 1547 archit. oeuil de la Volute «milieu de la voûte du chapiteau ionique» (J.Martin, Architecture, troysieme livre, p.38); 1694 id. «ouverture en haut d'une coupole» (Corneille); 1694 id. oeuil de pont (ibid.); c) 1660 «trou dans le pain et dans le fromage» (Oudin Fr.-Esp.); d) 1676 «ouverture pratiquée dans certains outils, p. ex. pour le manche» (Félibien); 1721 oeil d'une roue (Trév.); 1751 oeil d'une aiguille (Encyclop. t.1, s.v. aiguille); e) 1690 mar. «trou par où les câbles entrent et sortent» (Fur.); f) 1690 impr. «grosseur des caractères d'imprimerie» (ibid.); 3. p. réf. à l'aspect a) 1611 «aspect d'une chose, du lustre d'une étoffe, de l'éclat d'une pierrerie» (Cotgr.); 1779 «nuance, teinte légère» (Buffon, Oiseaux, t.6, p.52); b) 1798 oeil de poudre (Ac.). Du lat. class. oculus «oeil», en partic. terme de bot., également terme d'archit. oculus volutae «oeil de la volute» chez Vitruve. Le plur. yeux représente régulièrement l'acc. plur. oculos. Fréq. abs. littér. OEil: 15495. Yeux: 56338. Fréq. rel. littér. OEil: xixes.: a) 21523, b) 26340; xxes.: a) 23465, b) 19306. Yeux: xixes.: a) 69124, b) 85228; xxes.: a) 95503, b) 77509.
DÉR.
OEillé, -ée, adj.a) Garni d'ouvertures en forme d'oeil, qui rappellent l'oeil. La rue énorme et ses maisons quadrangulaires Bordent la foule et l'endiguent de leur granit OEillé de fenêtres et de porches, où luit L'adieu, dans les carreaux, des soirs auréolaires (Verhaeren, Villes tentac., 1895, p.156).b) Qui porte, qui compose un dessin en forme d'oeil. Ces glaces, ces statues en marbre, ces lustres, ces globes, ces candélabres, ces meubles d'ébène et d'ivoire, ces damas chamarrés d'or, ces sophas oeillés d'argent, et là-bas, au fond, ce grand panneau de cristal (Cladel, Ompdrailles, 1879, p.359).Minér. Gneiss oeillé. ,,Gneiss où de grands cristaux lenticulaires de quartz ou de feldspath sont entourés de grains ou de fibres d'autres minéraux`` (Lar. Lang. fr.). [oeje]. 1resattest. a) 1581 «qui a des cercles concentriques (d'une pierre transparente)» (De Bara, Le Blason des armoiries..., Lyon, p.147), b) 1886 gneiss oeillé (Lapparent, Abr. géol., p.147); de oeil, étymol. C 2, suff. -é*.
BBG.Arveiller (R.). Fr. mod. 1974, t.42, p.277. _ Charaudeau (P.). Procédure d'analyse lexico-sém. sur un corpus donné: oeil. Cah. Lexicol. 1972, no20, pp.53-63; 1973, no23, pp.3-34. _ Chautard. Vie étrange Arg. 1931, p.657. _ Duch. Beauté. 1960, p.21. _ Furukawa (N.). Le Nombre gramm. en fr. contemp. Tokyo, 1977, p.8, 20-22 passim. _ George (K.). Formules de négation et de refus en fr. pop. et arg. Fr. mod. 1970, t.38, p.312. _ Guiraud (P.). Mél. d'étymol. arg. Cah. Lexicol. 1970, t.16, p.70. _ Quem. DDL t.3, 5, 9, 13, 14, 15, 17, 19.

Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

ŒIL. (On prononce EUIL.) (Pluriel : yeux.) n. m.
Organe de la vue. Le globe de l'œil. Le fond de l'œil. La cavité de l'œil. Le coin de l'œil. La prunelle de l'œil. Le blanc de l'œil. Le blanc des yeux. Cligner les yeux. Cligner de l'œil, des yeux. Regarder du coin de l'œil. Avoir mal à l'œil, mal aux yeux. Il a une taie sur l'œil. Les yeux lui pleurent. Les yeux me cuisent. Avoir la larme à l'œil, les larmes aux yeux. Ses yeux se sont mouillés de larmes. Ses yeux étaient humides, baignés, noyés de larmes. Avoir de grands, de petits yeux. Avoir l'œil trouble. Avoir l'œil vif, perçant, brillant. Avoir les yeux bleus, noirs, gris, verts, vairons. Avoir les yeux à fleur de tête. Avoir les yeux louches, creux, enfoncés. Ouvrir, fermer, lever, baisser, ciller les yeux. Lever les yeux au ciel. Rouler les yeux. Se frotter, s'essuyer les yeux. La lumière éblouit les yeux. J'ai le jour, le soleil dans les yeux. Crever un œil à quelqu'un. Bander les yeux. Il se dit, par extension, de Toute la région de l'œil, des paupières. Avoir les yeux battus, cernés. Avoir les yeux rouges. Avoir les yeux bien fendus, en amande. Avoir les yeux pochés. Fig. et fam., Avoir des yeux, Ne pas être dupe, s'apercevoir de ce qui se passe. J'ai des yeux, Dieu merci, et l'on ne me trompe pas facilement. Avoir de bons yeux, Voir promptement et distinctement certaines choses qui échapperaient aux autres. Ce joaillier se connaît bien en diamants, il a de bons yeux. Il se dit aussi figurément. Les défauts de cet homme ne lui ont point échappé, il a de bons yeux. Fig., Avoir des yeux de lynx, Voir, découvrir les objets de loin; et, figurément, Voir clair dans les affaires, dans les desseins, dans les pensées des autres. Fig. et fam., Avoir des yeux au bout des doigts, Avoir le tact très fin, faire avec habileté des ouvrages de la main très délicats. Fig. et fam., Avoir des yeux de chat, Avoir les yeux entre gris et roux. Il signifie aussi Voir clair la nuit. Fig. et pop., Avoir les yeux plus grands que le ventre, Annoncer un appétit vorace et se trouver bientôt rassasié. Il signifie encore figurément Rechercher des emplois qu'on ne peut remplir dignement; Avoir plus d'ambition que de capacité. Fig. et fam., Avoir les yeux bouchés, Ne pas voir les choses telles qu'elles sont. On dit de même à une personne à qui l'on reproche de n'avoir pas aperçu ce qui devait la frapper : Où aviez-vous donc les yeux? Fam., Avoir ses yeux de quinze ans, Voir clair comme à quinze ans. Fam., Avoir la larme à l'œil, Être sur le point de pleurer. Fig. et fam., N'avoir pas froid aux yeux, Ne pas avoir peur, être courageux, hardi. Fig. et fam., Se mettre le doigt dans l'œil, Se tromper. Fig., Regarder dans les yeux, dans le blanc des yeux, entre les deux yeux, Regarder en face, fixer. Ouvrir les yeux, S'éveiller. Il signifie, au figuré, Découvrir une chose que l'on s'était longtemps refusé à voir. J'ai longtemps été sa dupe, mais j'ai enfin ouvert les yeux. Fig., Ouvrir les yeux à quelqu'un, faire ouvrir les yeux à quelqu'un sur quelque chose, Lui donner sur cette chose des connaissances qu'il n'avait pas. Il m'a ouvert les yeux sur les beautés de cet ouvrage. Il m'a fait ouvrir les yeux sur la conduite de cet homme. Fig., Ouvrir de grands yeux, Être très étonné. Fig., Ouvrir les yeux à la lumière, Naître. Fermer les yeux à la lumière, fermer les yeux, Mourir. Fig., Fermer les yeux de quelqu'un, à quelqu'un, L'assister au moment de sa mort. Fig., Fermer les yeux sur quelque chose, Faire semblant de ne pas s'en apercevoir. Il ferme les yeux sur les fautes de son fils. Il signifie aussi Se refuser à voir ce qui est évident. Fermer les yeux à la vérité. Fig., Ne pouvoir fermer l'œil, n'avoir pas fermé l'œil de toute la nuit, Ne pouvoir dormir, n'avoir pu reposer de toute la nuit. Fig., Les yeux fermés, les yeux clos, Sans avoir besoin du secours de la vue. Je connais si bien le chemin que j'irais les yeux fermés. On le dit au sens moral lorsque, par confiance en quelqu'un ou par déférence, on fait ce qu'il désire, sans vouloir rien examiner après lui. Il signa le contrat les yeux fermés. Par exagération, Les yeux lui sortent de la tête, se dit en parlant d'une Personne qui a de gros yeux. Il se dit figurément de Quelqu'un dont les yeux sont enflammés de colère. Fig., Ne dormir que d'un œil, N'être qu'à moitié endormi, de manière à se réveiller au moindre bruit, au moindre danger. Fig. et fam., Pleurer d'un œil et rire de l'autre, Être partagé entre le chagrin et la joie. Fig. et fam., Avoir bon pied, bon œil, Être encore vigoureux, se porter bien. Il ne se dit guère qu'à propos d'une Personne qui n'est plus jeune. Fig. et fam., Être près de s'arracher les yeux se dit de Deux personnes qui ont une querelle violente. On dit dans le même sens : Se manger les yeux, le blanc des yeux. On dit aussi : Se sauter aux yeux. Fam., Tenir à une chose comme à la prunelle de ses yeux, Y tenir extrêmement. Fig. et fam., Coûter les yeux de la tête, Coûter un prix excessif. Fig., Voir une paille dans l'œil de son prochain et ne pas voir la poutre qui est dans le sien, Voir les petits défauts des autres et ne pas voir les siens, si grands soient-ils. Fam., Frais comme l'œil, Très frais. À l'œil nu, Sans instrument d'optique. Cette étoile se voit à l'œil nu. Clin d'œil, Mouvement de la paupière qu'on baisse et qu'on relève au même instant. Faire un clin d'œil. Fig., En un clin d'œil, en moins d'un clin d'œil, En un moment, en très peu de temps. Fig., C'est l'affaire d'un clin d'œil, Cela doit se faire très promptement. Prov., Œil pour œil, dent pour dent se dit en parlant de la Peine du talion qui consiste à traiter un coupable de la même façon qu'il a traité ou voulu traiter les autres. Œil de verre, Œil artificiel en verre ou en émail qu'on met à la place d'un œil qui a été enlevé. Fam., Mes yeux, ses yeux se dit en parlant des Lunettes. J'ai oublié mes yeux chez moi.

ŒIL signifie souvent, tant au singulier qu'au pluriel, Action de la vue, regard. Arrêter, fixer, jeter, porter ses yeux sur quelqu'un, sur quelque chose. Tous les yeux étaient tournés vers lui. Il avait les yeux fixés sur le sol. Être exposé aux yeux du public. Ce spectacle arrête, attache agréablement les yeux. Détourner les yeux de dessus quelque objet. Chercher des yeux. Suivre quelqu'un des yeux. Il attire les yeux sur lui. Promener les yeux sur les objets environnants. Nos yeux se rencontrèrent. Se parler des yeux. Ses yeux se sont tournés vers moi. Nos yeux furent témoins de cette étrange aventure. Cet objet plaît aux yeux. L'œil est charmé par ce paysage. Nos yeux ont été frappés d'un spectacle nouveau pour nous. Ne pas en croire ses yeux. Être sous les yeux. Tomber sous les yeux. Avoir sous les yeux. J'ai jeté les yeux, en passant, sur cette boutique. Coup d'œil, Regard prompt et de peu de durée. Jeter un coup d'œil sur quelqu'un, sur quelque chose. Je vais donner un coup d'œil à ce qui se passe, à ce qui se fait chez moi. Un coup d'œil expressif, dédaigneux. Il nous a lancé un coup d'œil furieux, menaçant. Du haut de cette maison, on embrasse d'un coup d'œil tout un vaste horizon. On l'emploie quelquefois au figuré. Jetons un coup d'œil sur les événements remarquables de cette période. Fig., Avoir le coup d'œil excellent, Voir promptement le parti qu'on doit prendre dans une circonstance inopinée; et, en général, Discerner rapidement ce qu'il y a d'important, d'intéressant dans les affaires. On dit à peu près dans le même sens : Avoir le coup d'œil juste, pénétrant, sûr; et absolument : Avoir du coup d'œil. Coup d'œil se dit aussi de la Vue d'un paysage, de l'aspect d'un édifice, d'une assemblée, etc. Le coup d'œil en est beau. C'est un beau coup d'œil, un charmant coup d'œil. Le premier coup d'œil, Ce qu'on voit d'abord, ce qui s'offre d'abord à la vue. Le premier coup d'œil de ce jardin est assez agréable. Au premier coup d'œil, sa figure déplaît. Le premier coup d'œil passé, on s'accoutume à la voir. Avoir l'œil exercé, Avoir acquis, par l'habitude de regarder attentivement, la faculté de voir bien et promptement. Pour bien corriger des épreuves, il faut avoir l'œil très exercé. Il a l'œil trop exercé pour que les ridicules de cet homme lui échappent. Ne faire que jeter les yeux sur, Regarder rapidement. Je n'ai fait que jeter les yeux sur cette brochure, Je l'ai parcourue superficiellement. Fig., Jeter les yeux sur, Songer à, choisir. Fig., Lever les yeux sur, Aspirer à, désirer. Fig., Ne pas oser lever les yeux, Être intimidé, confus. Ne pas en croire ses yeux, Être étonné, stupéfait. Fig., Caresser des yeux, Regarder avec sympathie, avec convoitise. Fig. et fam., Couver des yeux une personne, une chose, Regarder cette personne, cette chose avec intérêt, avec complaisance. Il couve des yeux son fils. Il couve des yeux son or. Fig. et fam., Manger, dévorer des yeux une personne, une chose, La regarder avec plaisir, jeter sur elle des regards avides. Fig., Frapper les yeux, Être très visible. Cette tache frappe les yeux. Il s'emploie aussi au figuré et signifie Être évident. Cette chose frappe les yeux. On dit dans le même sens Sauter aux yeux. Il y a dans cet ouvrage des fautes qui sautent aux yeux. Fig. et fam., Crever les yeux se dit de Choses qu'on a sous les yeux et que cependant on ne voit pas. Vous cherchez votre gant, le voilà, il vous crève les yeux. Cela est d'une vérité évidente, cela crève les yeux. Fig. et fam., Blesser les yeux, Déplaire, causer du chagrin, de la jalousie, etc. L'indécence de ces figures, la saleté de cet appartement blesse les yeux. Cet homme est dévoré d'envie, le bonheur d'autrui lui blesse les yeux. Fig. et fam., Avoir le compas dans l'œil, Mesurer presque aussi juste à l'œil qu'on pourrait le faire avec un compas. Au doigt et à l'œil, Par le geste et par le regard. Fig., Être servi au doigt et à l'œil, Être servi ponctuellement, au premier signe. Faire marcher au doigt et à l'œil, Se faire obéir avec exactitude. Prov., Loin des yeux, loin du cœur, Ordinairement, l'absence détruit ou refroidit les affections.

ŒIL se dit encore dans le sens de Regard vigilant, observation, attention, surveillance. L'œil du maître. En termes de Dévotion, L'œil de Dieu voit tout, pénètre tout, etc., Il n'y a rien de caché pour Dieu. Fig. et fam., Être tout yeux, Surveiller avec vigilance. Il signifie encore Regarder une chose avec un grand intérêt. On dit aussi Être tout yeux et tout oreilles. Fig., Avoir l'œil à quelque chose, sur quelque chose, En avoir soin, y veiller, y prendre garde. Avoir l'œil sur quelqu'un, Prendre garde à sa conduite. Fig., Avoir les yeux sur quelqu'un, Le regarder, l'observer attentivement. Tout le monde avait les yeux sur lui. Fig. et fam., Avoir l'œil au guet, Prendre garde à tout ce qui se passe, pour en tirer parti ou se garantir. Fig. et fam., N'avoir pas ses yeux dans sa poche se dit de Quelqu'un à qui rien n'échappe. Fig., Suivre quelqu'un de l'œil, Faire attention à sa conduite, à ses démarches. Fig., Avoir quelque chose devant les yeux, Considérer cette chose, y songer. Fig., Mettre une chose sous les yeux de quelqu'un, La soumettre à son examen, à sa décision. Fig., Voir tout par ses propres yeux, Ne s'en rapporter qu'à soi-même pour examiner les choses et en juger. Fig., Ne rien voir que par les yeux d'un autre, Ne connaître les choses que par le rapport d'un autre, s'en remettre au jugement d'une personne pour qui on est prévenu favorablement. Fig., Voir une chose par les yeux de l'esprit, des yeux de l'esprit, L'examiner avec la raison. La voir par les yeux de la foi, La considérer avec les dispositions, les sentiments que donne la foi. Cette phrase se dit aussi, par extension et ironiquement, pour Donner à entendre qu'on ne veut pas contester une chose, mais qu'on ne la conçoit pas. Il faut donc voir cela des yeux de la foi. Fig., Avoir un bandeau sur les yeux, Être aveuglé par une prévention, par une passion. Fig., Dessiller les yeux, Amener quelqu'un à voir ce qu'il ignorait ou voulait ignorer. Fig. et fam., Jeter de la poudre aux yeux, Éblouir, surprendre par quelque éclat extérieur, par quelque apparence trompeuse.

ŒIL se dit encore de l'Organe de la vue considéré comme exprimant les qualités et les défauts de l'esprit, les sentiments et les passions. Avoir l'œil spirituel, malin, éveillé, distrait, inquiet, stupide, dur, méchant. Avoir l'œil doux, tendre, mélancolique, fripon, riant. Et au pluriel : Avoir les yeux spirituels, malins, éveillés, etc. Il a des yeux mourants, languissants, langoureux, ardents, pleins de feu. La gaieté, l'espoir, le courage brille dans ses yeux. Les yeux sont le miroir de l'âme. Fig., N'avoir d'yeux que pour une personne, N'avoir d'affection que pour elle, lui accorder une préférence exclusive. Elle n'a d'yeux que pour son fils aîné, ses autres enfants lui sont presque indifférents. Fig., Voir une personne, une chose d'un bon œil, d'un mauvais œil, La voir avec satisfaction ou avec déplaisir, avec affection ou avec inimitié. On dit de même Voir une personne, une chose d'un œil indifférent, jaloux, dédaigneux, chagrin, d'un œil de pitié, de compassion, d'envie, de mépris, de colère, etc., Voir cette personne, cette chose avec indifférence, avec des sentiments de jalousie, de dédain, de chagrin, de pitié, etc. On dit aussi au pluriel Voir avec des yeux indifférents, jaloux, avec des yeux d'envie, de pitié, etc. On dit de même Regarder d'un œil indifférent, jaloux, ou avec des yeux indifférents, jaloux, etc. Fig., Voir d'un œil ferme, Voir avec fermeté, avec courage. Voir d'un œil ferme la ruine de ses espérances. Fig., Voir une chose d'un œil sec, Voir sans s'affliger une chose qui est propre à causer de l'affliction. Il a vu d'un œil sec la mort de son ami, la perte de sa fortune. Fig., Voir du même œil, d'un même œil une chose et une autre, Considérer avec les mêmes sentiments, juger de la même manière deux choses différentes. Fig., Voir les choses d'un autre œil, avec d'autres yeux qu'auparavant, Les voir avec des sentiments différents de ceux qu'on avait. Fig. et fam., Faire les gros yeux à quelqu'un, Le regarder d'un air de reproche, de mécontentement. Fig. et fam., Faire les yeux doux à quelqu'un, Lui témoigner de l'amour par ses regards. Fig. et fam., Faire de l'œil à quelqu'un, Le provoquer par ses regards. Fam., Regarder du coin de l'œil, Regarder à la dérobée. Fig., Regarder une chose du coin de l'œil, La désirer sans oser la demander ouvertement. Fig., Donner dans les yeux de quelqu'un, à quelqu'un, L'éblouir, le tenter, le séduire par un certain éclat. Fig. et fam., Donner dans l'œil à quelqu'un, Faire une impression vive sur lui par des agréments extérieurs. Cette femme lui a donné dans l'œil. Fig. et fam., Pour les beaux yeux de quelqu'un, Uniquement pour lui, sans autre raison que le désir de lui faire plaisir. Je ne veux pas me compromettre pour vos beaux yeux, pour ses beaux yeux. Il signifie aussi Gratuitement. Croit-il que je le logerai chez moi pour ses beaux yeux? Fig., Le mauvais œil, Faculté attribuée à certaines personnes de porter malheur à celui qu'elles regardent. Attention, il a le mauvais œil!

ŒIL se dit encore figurément de l'Aspect d'une chose, du lustre d'une étoffe, de l'éclat d'une pierrerie, etc. Cela n'a pas d'œil. Ces perles ont un bel œil. Un œil de poudre, Une légère teinte de poudre mise sur les cheveux.

ŒIL se dit, par analogie, des Ouvertures pratiquées dans certains outils ou instruments, certaines constructions. L'œil d'un marteau, d'une meule, etc. L'œil d'une grue, d'une chèvre, d'une voile, d'une ancre, d'une aiguille, Le trou par où passe le câble, le cordage, le fil. Œil de dôme, Ouverture ronde qui se trouve en haut de la coupole d'un dôme. Œil de pont, Ouverture circulaire pratiquée dans la pile de pont pour faciliter l'écoulement des eaux de pluie. Œil-de-bœuf, voyez ŒIL-DE-BŒUF.

YEUX, au pluriel, se dit de Certains vides, de certains trous qui se trouvent dans la mie du pain et dans plusieurs espèces de fromages. Un pain qui a des yeux, qui a de grands yeux. Un fromage qui n'a point d'yeux. Il se dit aussi de Certaines traces de graisse qui apparaissent dans le bouillon. Ce bouillon est très gras, il a beaucoup d'yeux.

ŒIL se dit, en termes d'Architecture, de Certains ornements, de certaines parties de motifs de décoration. L'œil de la volute, Le milieu de la volute du chapiteau ionique. Œil de tailloir, Ornement en forme de rose sculpté sur chaque côté de l'abaque du chapiteau corinthien. ŒIL désigne, en termes de Jardinage et de Botanique, un Bouton, une petite excroissance qui paraît sur une tige ou sur une branche d'arbre, et qui annonce une feuille, une branche, un fruit. Il se dit particulièrement de l'Endroit par où sort le petit bourgeon de la vigne et des arbres fruitiers. Tailler à deux yeux, à trois yeux, Laisser sur la branche que l'on coupe deux, trois boutons à fruit. ŒIL désigne, en termes d'Imprimerie, le Relief de la lettre, la partie de la lettre qui laisse son empreinte au tirage et qui, dans les caractères de même corps, varie de dimension. L'œil de la lettre. Corps 24 gros œil, Corps 24 petit œil. Il se dit aussi, dans le même Art, de l'Aspect que présentent les caractères imprimés. L'œil de ce caractère ne me plaît point, il est trop gros, il est trop petit. ŒIL entre dans les dénominations vulgaires de diverses productions naturelles. Œil-de-bouc (coquillage). Œil-de-chèvre (plante). Œil-d'or (poisson). Etc. Œil de perdrix désigne, en termes d'Arts, Certains dessins tissés dans le linge. Des serviettes à œil de perdrix.

À L'ŒIL, loc. adv. Avec l'œil, à la vue. On juge de cela à l'œil, Il suffit de le regarder pour le connaître, pour en juger. Fig. et pop., À l'œil, Gratis. Dîner à l'œil. Fig. et fam., Tenir, avoir quelqu'un à l'œil, Avoir l'œil sur quelqu'un, surveiller toutes ses démarches.

À VUE D'ŒIL, loc. adv. Autant qu'on en peut juger par la vue seule. Je n'ai jugé de cette distance qu'à vue d'œil et sans la mesurer. Il signifie aussi Visiblement et se dit, par exagération, en parlant des Choses qui se modifient d'une manière relativement rapide. Cet enfant grandit à vue d'œil. Ce malade dépérit, s'affaiblit à vue d'œil.

AUX YEUX DE, SOUS LES YEUX DE, loc. prépositives. Sous les regards de, en présence de. Cela s'est passé aux yeux de toute la ville, sous les yeux de toute la ville. Cet accident est arrivé sous mes yeux. Il y a longtemps qu'il en use ainsi aux yeux de tout le monde. Il a étalé à nos yeux toutes ses richesses. Cette fille a été élevée sous les yeux de sa mère.

AUX YEUX DE signifie aussi, figurément, Suivant la manière de voir, selon le sentiment. Aux yeux du monde. À vos yeux, il n'a point de tort; mais aux miens, il est fort blâmable. Vous pouvez l'excuser, mais aux yeux de la loi, il est coupable.

ENTRE QUATRE YEUX, loc. adv. (On prononce ordinairement, par plaisanterie, Entre quatre-z-yeux.) En tête à tête. Je lui dirai cela entre quatre yeux. Il est familier.

PAR-DESSUS LES YEUX, loc. adv. et figurée. Plus qu'on n'en peut faire ou supporter. J'ai des affaires par-dessus les yeux, jusque par-dessus les yeux. Je suis las de toutes ces fêtes, j'en ai par-dessus les yeux. Il est familier.

PAS PLUS QUE DANS MON ŒIL, loc. adv. Point du tout. Il est familier.

Littré (1872-1877)

OEIL (eull, ll mouillées), au plur. YEUX (ieû ; l'x se lie : des ieû-z humides) s. m.

Résumé

  • 1° L'organe de la vue.
  • 2° Œil nu, la vue simple.
  • 3° Œil artificiel.
  • 4° Organe de la vue considéré comme l'indice des qualités, des passions et des sentiments.
  • 5° Action de la vue, regard, faculté de voir.
  • 6° Œil, yeux, dans le sens de contemplation, de surveillance, de guet.
  • 7° L'œil du maître.
  • 8° Mauvais œil.
  • 9° Voir de ses yeux, par ses yeux, emprunter les yeux ; voir par les yeux de l'esprit, les yeux de la foi.
  • 10° Faire des yeux ; faire les gros yeux ; faire de l'œil.
  • 11° Œil se dit des lumières intérieures.
  • 12° Ce qui éclaire.
  • 13° L'œil de la nature.
  • 14° Le coin de l'œil.
  • 15° Œil se dit quelquefois pour la personne même.
  • 16° La puissance du regard.
  • 17° Les yeux, la présence.
  • 18° Yeux dit pour lunettes.
  • 19° Clin d'œil.
  • 20° Coup d'œil.
  • 21° Lustre des étoffes.
  • 22° Nuance, teinte légère.
  • 23° Synonyme de miroir, en parlant du plumage des oiseaux.
  • 24° Ouverture dans quelques outils ou instruments.
  • 25° Nom de différentes ouvertures, en termes de marine.
  • 26° En peinture, les yeux d'une draperie, les points où se cassent les plis.
  • 27° Vides qui se trouvent dans la mie de pain, dans le fromage.
  • 28° En jardinage, bourgeon rudimentaire ; couronne des dents du calice.
  • 29° Dans l'imprimerie, relief de la lettre.
  • 30° Œil de perdrix.
  • 31° Œil-de-bœuf.
  • 32° Œil-de …, nom de certaines pierres.
  • 33° Nom de certains coquillages, poissons, oiseaux, etc.
  • 34° Nom de certaines plantes.
  • 35° Yeux d'écrevisse.
  • 36° Au jeu de l'hombre, yeux de ma grand'mère.
  • 37° À l'œil.
  • 38° À vue d'œil.
  • 39° De l'œil.
  • 40° Entre deux yeux.
  • 41° Entre quatre yeux.
  • 42° Jusqu'aux yeux.
  • 43° Par-dessus les yeux.
  • 44° Non plus, pas plus que dans mon œil.
  • 1L'organe de la vue. De bons yeux. De mauvais yeux. De beaux yeux. Un œil bien fendu. J'ai acheté quatre yeux de bœuf pour en étudier l'organisation. Son œil tout pénitent ne pleure qu'eau bénite, Régnier, Sat. XII. Il [un tableau] doit être colloqué fort peu au-dessus de l'œil et plutôt au-dessous, Poussin, Lett. 28 avril 1639. Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau, Corneille, Cid, III, 3. Semblable à nos yeux qui découvrent tout, et sont aveugles seulement pour eux-mêmes, La Rochefoucauld, Prem. pens. 1. Le Seigneur ne vous a point donné jusqu'aujourd'hui un cœur qui eût de l'intelligence, des yeux qui pussent voir, et des oreilles qui pussent entendre, Sacy, Bible, Deuter. XXIX, 4. [Chez le chat] Un modeste regard et pourtant l'œil luisant, La Fontaine, Fabl. VI, 5. Elle… fait la moue pour montrer une petite bouche, et roule ses yeux pour les faire paraître grands, Molière, Critique, 2. Et ses roulements d'yeux, et son ton radouci N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici, Molière, Mis. I, 1. Je ne sais qui me tient, infâme, Que je ne t'arrache les yeux, Molière, Amph. II, 3. M'as-tu de tes gros yeux assez considéré ? Molière, ib. III, 2. Le plaisir d'aimer sans oser le dire a ses peines, mais aussi il a ses douceurs… les yeux s'allument et s'éteignent dans un même moment…, Pascal, Pass. de l'amour. Les yeux sont les interprètes du cœur ; mais il n'y a que celui qui y a intérêt qui entend leur langage, Pascal, ib. Des yeux il [l'esprit de finesse] va jusqu'au cœur, et par le mouvement du dehors il connaît ce qui se passe au dedans, Pascal, ib. Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie, Pascal, Pens. XXIV, 33, édit. HAVET. Le plus grand supplice des yeux malades est de les exposer au grand jour et de les forcer de le voir, Nicole, Ess. mor. 2e traité, ch. 10. Ô Seigneur, vous avez fait, comme dit le Sage, l'œil qui regarde et l'oreille qui entend, Bossuet, le Tellier. Combien n'a-t-on point vu de belles aux doux yeux, Avant le mariage anges si gracieux…, Boileau, Sat. X. Il ouvre un œil mourant qu'il referme soudain, Racine, Phèdre, V, 6. Mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyés, Racine, Andr. IV, 3. Muet, chargé de soin et les larmes aux yeux, Il ne me laissait plus que de tristes adieux, Racine, Bérén. I, 4. Hélas ! sans frissonner, quel cœur audacieux Soutiendrait les éclairs qui partaient de vos yeux ? Racine, Esth. II, 7. Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants, Entrant à la lueur de nos palais brûlants, Racine, Andr. III, 8. Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir, Peuple ingrat ? Racine, Athal. I, 1. Le visage large et carré, avec de petits yeux noirs, qui d'abord paraissaient vifs, mais qui n'étaient que curieux et inquiets ; de ces yeux toujours remuants, toujours occupés à regarder, Marivaux, Marianne, 5e part. J'ai vu de beaux yeux pleurer en le lisant [le 5e acte de Zulime] ; mais je me défie toujours des beaux yeux : celles qui les portent sont d'ordinaire séduites ou trompeuses, Voltaire, Lett. d'Argental, 22 mars 1740. On a trouvé qu'avec deux yeux égaux en force on voyait mieux qu'avec un seul œil, mais d'une treizième partie seulement, Buffon, De la vue. En général, les gazelles ont les yeux noirs, grands, très vifs, et en même temps si tendres que les Orientaux en ont fait un proverbe, en comparant les beaux yeux d'une femme à ceux de la gazelle, Buffon, Quadrup. t, V, p. 361. L'œil doit être regardé comme une expansion du nerf optique, ou plutôt l'œil lui-même n'est que l'épanouissement d'un faisceau de nerfs qui, étant exposé à l'extérieur plus qu'aucun autre nerf, est aussi celui qui a le sentiment le plus délicat, Buffon, Hist. nat. hom. Œuv. t. IV, p. 495. Les yeux que l'on croit être noirs ne sont que d'un jaune brun ou d'orangé foncé ; il ne faut, pour s'en assurer, que les regarder de près ; car, lorsqu'on les voit à quelque distance, ou qu'ils sont tournés à contre-jour, ils paraissent noirs, parce que la couleur jaune brun tranche si fort sur le blanc de l'œil qu'on la juge noire par l'opposition du blanc, Buffon, ib. t. IV, p. 284. Les différentes couleurs des yeux sont l'orangé foncé, le jaune, le vert, le bleu, le gris et le gris mêlé de blanc, Buffon, ib. t. IV, p. 283. L'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe ; il semble y toucher et participer à tous ses mouvements, il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats, Buffon, ib. t. IV, p. 281. Qu'est-ce à votre avis, que des yeux, lui dit M. de… ? C'est, lui répondit l'aveugle, un organe sur lequel l'air fait l'effet de mon bâton sur ma main, Diderot, Lett. sur les aveugl. Œuvr. t. II, p. 183, dans POUGENS. Locke convint avec lui [M. Molinet] qu'un aveugle-né dont les yeux s'ouvriraient à la lumière, ne distinguerait pas à la vue un globe d'un cube, Condillac, Traité des sens, I, II, 1. Les objets se peignent au fond de nos yeux dans une situation renversée, et cependant nous les voyons droits, Brisson, Traité de phys. t. II, p. 282, dans POUGENS. L'œil est le sens de la beauté physique, et l'oreille est par excellence le sens de la beauté intellectuelle et morale, Marmontel, Élém. de litt. Œuv. t. V, p. 329, dans POUGENS. De grands yeux qui ne disent mot, Saurin, Mœurs du temps, sc. 14. Une statue de Jupiter, conservée autrefois, disait-on, dans le palais de Priam : elle a trois yeux, dont l'un est placé au milieu du front, soit pour désigner que ce dieu règne également dans les cieux, sur la mer et dans les enfers, soit peut-être pour montrer qu'il voit le passé, le présent et l'avenir, Barthélemy, Anach. ch. 53.

    Œil cerclé, œil laissant voir autour de la cornée un cercle blanc qui n'est qu'une portion de la sclérotique.

    Avoir les yeux au beurre noir, les yeux pochés, les yeux en compote, c'est-à-dire avoir les yeux meurtris par un coup.

    Les yeux gros, les yeux prêts à pleurer, ou qui viennent de pleurer. Il est vrai qu'on dit cela les yeux gros, et cela doit ennuyer les vôtres, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 16 oct. 1760.

    Fig. N'avoir des yeux que pour voir une chose, ne pouvoir considérer que cette chose. La vérité, qu'ils [les mauvais rois] ont craint de voir, fait leur supplice, ils la voient, et n'ont des yeux que pour la voir s'élever contre eux, Fénelon, Tél. XVIII.

    Fig. N'avoir des yeux que pour voir, accorder une préférence exclusive à. Leur mère [de Rosimond et Braminte], qui avait horreur de son fils aîné, n'avait des yeux que pour voir le cadet, Fénelon, t. XIX, p. 21.

    Fig. N'avoir des yeux que pour… aimer uniquement, considérer, estimer uniquement. Pour moi, qui vous aimai sans sceptre et sans couronne, Qui n'ai jamais eu d'yeux que pour votre personne, Corneille, D. Sanche, I, 3. N'ayez d'yeux que pour moi, qui n'en ai que pour vous, Molière, Psyché, III, 3. L'amour que vous lui donnez éclate dans toutes ses actions, et l'empêche d'avoir des yeux que pour vous, Molière, Comtesse, 2. Oubliant tant de prophéties qui leur parlaient si expressément de ses humiliations [du Messie], ils n'eurent plus d'yeux ni d'oreilles que pour celles qui leur annoncent des triomphes, Bossuet, Hist. II, 5. La reine, à vous ouïr, n'a des yeux que pour vous, Racine, Alex. I, 2. Le maréchal de Lorge rencontra une épouse qui n'eut des yeux que pour lui malgré la différence d'âge, Saint-Simon, 112, 217.

    N'avoir plus d'yeux pour…, ne plus aimer, ne plus considérer. Je me défendrai mieux contre votre courroux, Et pour le mériter je n'ai plus d'yeux pour vous, Corneille, Hor. II, 5. Je n'ai plus d'yeux pour vous, vous en avez pour moi, Corneille, ib. II, 5. Rome, tant qu'il vivra, n'aura plus d'yeux pour moi, Corneille, Othon, III, 5. Uniquement occupés de la lumière du ciel… ils n'ont pas d'yeux pour tout ce qui se passe dans le monde, Massillon, Avent, Épiph. Elle n'a plus d'yeux pour le reste du monde, Massillon, Panég. Ste Magd. Familièrement. Aimer quelqu'un comme ses yeux, plus que ses yeux, l'aimer tendrement. Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux, La Fontaine, Fabl. VIII, 22. Je ne peux vous dire, madame, que je vous aime comme mes yeux ; mais je vous aime comme mon âme, car je me suis toujours aperçu qu'au fond mon âme pensait comme la vôtre, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 9 août 1771.

    Familièrement. Conserver une chose comme la prunelle de l'œil, comme la prunelle de ses yeux, la conserver soigneusement, précieusement.

    Fig. Couver des yeux une personne, une chose, regarder cette personne, cette chose avec intérêt, avec complaisance. Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort, Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor, La Fontaine, Fabl. VII, 11.

    Fig. et familièrement. Manger, dévorer quelqu'un des yeux, le regarder avec avidité.

    On dit dans le même sens : manger, dévorer quelque chose des yeux. Il a toujours la vue Dessus cet os et le ronge des yeux, La Fontaine, Jum.

    On dit que des gens se mangent les yeux, le blanc des yeux, sont prêts à se sauter aux yeux, pour signifier qu'ils sont en querelle violente, en procès.

    Être près de s'arracher les yeux, avoir une violente altercation. Nous nous sommes arraché le blanc des yeux, Helvétius, Saurin et moi, Diderot, Mém. t. II, p. 28, dans POUGENS.

    Fermer les yeux, rapprocher les paupières de manière à intercepter la vue. Fermez l'œil droit. Il ferma les yeux et s'endormit.

    Fermer les yeux de quelqu'un, à quelqu'un, lui clore les paupières qui restent ouvertes après l'agonie ; et fig. l'assister à ses derniers moments.

    Fermer les yeux, mourir. Lorsque mon oncle eut fermé les yeux, Montesquieu, Lett. pers. 142. Depuis qu'Albaydé dans la tombe a fermé Ses beaux yeux de gazelle, Hugo, Orient. 36.

    On dit dans le même sens : son œil se ferme, ses yeux se ferment à la lumière. Bientôt son œil se ferme au jour qui nous éclaire, Lemercier, Fréd. et Bruneh. V, 1.

    Ne pouvoir fermer l'œil, n'avoir pas fermé l'œil, les yeux de toute la nuit, ne pouvoir dormir, n'avoir pu reposer de toute la nuit. Le pauvre garçon n'a pas fermé l'œil de toute la nuit, il n'a fait que se tourmenter dans son lit, Dancourt, les Fonds perdus, I, 4. Après la journée qui venait de se passer, Oswald ne put fermer l'œil de la nuit, Staël, Corinne, VIII, 1.

    Les yeux fermés, les yeux clos, c'est-à-dire sans avoir besoin de recourir à la vue. Je connais le chemin, j'irais là les yeux fermés.

    Fig. Les yeux clos, les yeux fermés, se dit quand, par confiance ou par déférence pour quelqu'un, on fait ce qu'il désire, sans rien examiner. Il signa le contrat les yeux fermés.

    L'on dit dans le même sens figuré : les yeux bandés. Abandonnez-vous à Dieu, ma très chère, laissez-vous conduire les yeux bandés, Maintenon, Lett. à Mme de la Maisonfort, 12 déc. 1690.

    À yeux fermés, avec les yeux fermés. Je méditais dans mon lit à yeux fermés, Rousseau, Confess. VI.

    Crever les yeux, léser les yeux par un coup, par une blessure, de manière qu'ils soient incapables de voir.

    Fig. et familièrement. Crever les yeux, se dit d'une chose qu'il est en quelque façon impossible de ne pas voir. Vous cherchez votre tabatière, elle vous crève les yeux. Trissotin : Pour moi, je ne vois pas ces exemples fameux. - Clitandre : Moi, je les vois si bien qu'ils me crèvent les yeux, Molière, F. sav. IV, 3.

    Crever les yeux, se dit aussi d'une chose évidente qu'on n'aperçoit pas. Vous disputez à tort, la chose est évidente, elle crève les yeux.

    Les yeux du corps, par opposition aux yeux de l'esprit, à la vue intellectuelle. Je suis venu, le flambeau à la main, les exhorter à ne rien croire en matière de philosophie, que ce qu'ils verraient clairement soit des yeux du corps, soit de ceux de l'esprit, Mairan, Éloges, l'abbé de Molières.

    Sur les yeux de la tête, sorte de commandement ou de défense que l'on fait, comme si l'on menaçait d'arracher les yeux de la tête. Petit Jean : Ho, ho, monsieur ! - Léandre : Tais-toi, sur les yeux de ta tête, Racine, Plaid. II, 8.

    Fig. Cela coûte les yeux de la tête, c'est-à-dire cela est d'un prix excessif.

    Par extension. Ces murs mêmes, seigneur, peuvent avoir des yeux [des gens cachés derrière peuvent nous voir], Racine, Brit. II, 6.

    Frais comme l'œil, se dit, à la halle, d'un poisson très frais.

    Ce poisson a un pied entre œil et bat, il a un pied entre l'œil et la queue.

    Par exagération. Les yeux lui sortent de la tête, c'est-à-dire il a de fort gros yeux, et aussi ses yeux sont enflammés de fureur.

    Pleurer d'un œil, et rire de l'autre, témoigner à la fois du chagrin et de la joie. Il pleure d'un œil et rit de l'autre, La Bruyère, VIII.

    Ne dormir que d'un œil, ne pas s'endormir tout à fait, afin de continuer à faire bonne garde. Lui quand il dort d'un œil, l'autre fait sentinelle, Regnard, Fol. amour. I, 1.

    Baisser les yeux, diriger les yeux de manière que le regard se porte en bas. …Ma fille, vous pleurez, Et baissez devant moi vos yeux mal assurés, Racine, Iphig. IV, 4. Le Corrége est peut-être le seul peintre qui sait donner aux yeux baissés une expression aussi pénétrante que s'ils étaient levés vers le ciel, Staël, Corinne, XIX, 6.

    Lever les yeux, les diriger de manière que le regard se tourne en haut.

    Fig. Ne pas oser lever les yeux, être plein de honte, de confusion. À peine ose-t-il lever les yeux, Fénelon, Tél. V.

    Ne pas en croire ses yeux, douter si ce qu'on voit est bien réel.

    Fig. et populairement. Se mettre le doigt dans l'œil, se tromper, se causer du dommage à soi-même.

    Populairement. Tourner de l'œil, mourir.

    Faire les yeux blancs, menacer d'avoir une défaillance.

    Populairement. Taper de l'œil, dormir profondément.

    Populairement. Se battre l'œil de quelqu'un, de quelque chose, ne pas s'en soucier (locution dite par moquerie à l'imitation de battre sa coulpe). Mordié ! je me bats l'œil du Mercure et de toi, Boursault, Merc. gal. IV, 6.

    Il a plus grands yeux que grand ventre ou que grand'panse, il a les yeux plus grands que le ventre, c'est-à-dire il demande à manger plus qu'il ne lui faut ; et fig. il souhaite, il ambitionne des choses qui ne sont pas faites pour lui.

    Fig. Jeter de la poudre aux yeux de quelqu'un, l'éblouir, le surprendre. Travaillez, monsieur Ragotin, travaillez ; et, si dès cet hiver nous ne jetons de la poudre aux yeux de messieurs de l'hôtel de Bourgogne et du Marais, je veux ne monter jamais sur le théâtre, Scarron, Rom. com. I, 11.

    Autant vous en pend à l'œil, voy. PENDRE, v. n.

    Avoir de bons yeux, avoir des yeux qui voient loin, qui voient distinctement, qui ne se fatiguent pas à l'exercice.

    Par extension, avoir de bons yeux, voir distinctement et promptement ce qui échapperait aux autres. Si l'on dit d'un connaisseur qui distingue et apprécie les beautés d'un tableau, qu'il a de bons yeux, cette expression ne lui attribue rien de matériel, mais du goût et de la pénétration, Duclos, Œuvres, t. X, p. 97.

    Fig. Sachez… que les courtisans ont d'aussi bons yeux que d'autres, Molière, Critique, 7. Ils [les dupes en dévotion] veulent que chacun soit aveugle comme eux, C'est être libertin [incrédule] que d'avoir de bons yeux, Molière, Tart. I, 6. J'ai de bons yeux, madame ; Vous cherchez un prétexte à rejeter ma flamme, Th. Corneille, l'Inconnu, II, 5.

    Avoir bon pied, bon œil, se bien porter, être actif et dispos, surtout en parlant d'une personne qui commence à n'être plus jeune.

    Avoir bon pied, bon œil, signifie aussi se tenir sur ses gardes, être vigilant.

    Elliptiquement. Bon pied, bon œil, c'est-à-dire prenez garde à vous. Courage, Valentin ; ferme, bon pied, bon œil, Regnard, Ménechmes, II, 8.

    Fig. Avoir les yeux malades, les yeux bouchés, les yeux de travers, ne pas voir les choses telles qu'elles sont.

    Dans le même sens. Où aviez-vous les yeux ? se dit en reprochant à une personne de n'avoir pas vu ce qu'elle aurait dû voir.

    Fig. On ne sait où il avait les yeux, il fallait qu'il eût les yeux au talon, se dit de celui qui a fait une affaire notoirement désavantageuse.

    Avoir des yeux de chat, avoir les yeux entre gris et roux ; et aussi fig. y voir clair dans une demi-obscurité.

    Œil de chat, se dit quelquefois à cause de cela pour héméralopie.

    Avoir des yeux d'aigle, avoir les yeux vifs et perçants ; et fig. avoir une grande pénétration d'esprit.

    Avoir des yeux de bœuf, avoir de gros yeux, par comparaison avec les gros yeux du bœuf.

    Chez le cheval, œil de bœuf ou œil gros, œil à cornée très convexe, donnant à l'animal un air stupide, et le rendant myope. Œil petit ou gras, ce défaut peut provenir du peu de volume du globe, ou du peu d'ouverture des paupières. Œil couvert ou de cochon, œil trop petit et enfoncé dans l'orbite.

    Ce cheval a l'œil vairon, voy. VAIRON.

  • 2Œil nu, la vue simple, non augmentée de quelque instrument. L'œil nu sans le secours d'aucun instrument suffisait à l'observation de la lune et à la division du zodiaque qui naît de ce mouvement, Bailly, Hist. d'astron. anc. p. 46.

    À l'œil nu, avec l'œil seul, sans instrument. On ne peut voir ces insectes à l'œil nu.

    Au plur. À yeux nus. Ma vue courte ne me permet pas de distinguer à yeux nus assez nettement les astres, Rousseau, Confess. VI.

  • 3Œil artificiel, instrument dont on se sert dans les cours de physique pour expliquer les effets de la vision.

    Œil artificiel, se dit aussi d'un œil en émail qu'on met dans l'orbite en remplacement d'un œil détruit et pour cacher la difformité.

    Œil de verre, œil artificiel en verre ou en émail. rgane de la vue considéré comme l'indice des qualités, des passions et des sentiments. Avoir l'œil vif, malin, doux, tendre, ou, au pluriel, les yeux vifs, doux, tendres. Elle a des yeux pleins de feu. La gaieté, le courage, l'ardeur éclate dans ses yeux. Et le roi, de quel œil voit-il tant de vaillance ? Corneille, Cid, IV, 1. Montrez un œil plus triste, Corneille, ib. IV, 4. J'ai pitié de moi-même et jette un œil d'envie Sur ceux dont notre guerre a consumé la vie, Corneille, Hor. II, 3. Ces pleurs, que je regarde avec un œil d'époux, Corneille, Poly. I, 1. La vengeance à la main, l'œil ardent de colère, Corneille, ib. I, 3. Je n'en suis point jaloux, et ma triste amitié Ne le verra jamais que d'un œil de pitié, Corneille, Rodog. III, 5. L'œil de Dieu regarda favorablement les anciens des Juifs, Sacy, Bible, Esdras, I, V, 5. J'arrêterai l'œil de ma colère sur cet homme, et je le retrancherai du milieu de son peuple parce qu'il a donné de sa race à Moloch, Sacy, ib. Lévit. XX, 3. De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue ! Molière, Éc. des femmes, IV, 1. Je n'aurais rien à craindre, si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois, Molière, l'Avare, I, 1. J'attendrai, d'un œil constant, ce qu'il plaira au ciel de résoudre de moi, Molière, Fourber. I, 3. Ils se regardaient d'un œil jaloux, Bossuet, Hist. I, 8. Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue, Boileau, Sat. IX. D'un geste menaçant, d'un œil brûlant de rage, Racine, Théb. V, 3. C'est moi qui, sur ce fils chaste et respectueux, Osai jeter un œil profane, incestueux, Racine, Phèdre, V, 7. Ah dieux ! lorsqu'à mes yeux l'ingrat inexorable S'armait d'un œil si fier, d'un front si redoutable, Racine, ib. IV, 5. La reine alors, sur lui jetant un œil farouche, Racine, Athal. II, 2. Je prétends qu'à mon tour l'inhumaine me craigne, Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés, Me rendent tous les noms que je leur ai donnés, Racine, Andr. III, 1. Elle vous plaint, vous voit avec des yeux de sœur, Racine, Iphig. II, 1. Et de quel œil Ma mère a-t-elle vu confondre son orgueil ? Racine, Brit. III, 1. Je fuis des yeux distraits Qui, me voyant toujours, ne me voyaient jamais, Racine, Bérén. I, 4. Rome vous voit, madame, avec des yeux jaloux, Racine, ib. I, 5. Soutiendrai-je ces yeux dont la douce langueur Sait si bien découvrir les chemins de mon cœur ? Racine, ib. IV, 4. Il [le Seigneur] a toujours sur vous un œil jaloux, appliqué à étudier les affaiblissements de votre cœur, et prompt à vous les reprocher, Massillon, Profess. relig. Serm. 4. Rien ne ressemble moins à la charité que cet œil malin qui ne s'ouvre que pour chercher les faiblesses de nos frères, Massillon, Confér. Zèle contre les vices. César, le regardant d'un œil tranquille et doux, Lui pardonnait encore en tombant sous ses coups, Voltaire, Mort de Cés. III, 8. Tu vois, sage Ariston, d'un œil d'indifférence La grandeur tyrannique et la fière opulence, Voltaire, Disc. 1. Elle a vu mon rival d'un œil de complaisance, Piron, Métrom. III, 2. Elle avait des yeux fripons qui rencontraient quelquefois les miens, Rousseau, Confess. II. Le courtisan, en trompant l'œil jaloux d'Agrippine et l'œil curieux du peuple romain, Diderot, Claude et Nér. I, 48. Un philosophe payen n'a pu voir la conduite de Sérénus de l'œil d'un prêtre chrétien, Diderot, ib. I, 50. Je vois d'un œil assez froid et philosophique le dépérissement de mes facultés corporelles et intellectuelles, D'Alembert, Lett. au roi de Prusse, 29 juin 1781. L'œil marque le remords, la paix d'une âme pure ; Du noble enthousiasme il exprime le feu ; Il s'attendrit sur l'homme, il s'élève vers Dieu, Delille, Imag. III. Que dis-je ? ces accents tantôt fiers, tantôt doux ; C'est l'œil, oui c'est l'œil seul qui les rassemble tous ; Dans sa noble structure, en prodiges féconde, Le plus frappant n'est pas de retracer le monde, De réfléchir les cieux, les forêts et les mers, Mais de peindre cette âme où se peint l'univers, Delille, ib. L'enfer est dans ton cœur et le ciel dans tes yeux, Delille, Parad. perdu, X. Ce chrétien sans fureur, qui succombe et qui prie, Sur le signe impuissant de son idolâtrie Attache un œil d'amour, l'invoque, et radieux Tombe aux pieds d'Idamore en lui montrant les cieux, Delavigne, Paria, V, 6.

    Voir de bon œil ou d'un bon œil, de mauvais œil ou d'un mauvais œil, voir avec satisfaction ou avec déplaisir, avec affection ou avec inimitié. Vous qui dès le berceau de bon œil me voyez, Régnier, Élég. V. Et, depuis, le soleil de bon œil ne te vit, Régnier, Épît. I. Non, non, c'est d'un bon œil qu'Orode me regarde, Corneille, Suréna, V, 3. Qu'un homme montre d'esprit lorsqu'il vient vous dire : Madame, vous êtes dans la place Royale, et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit de bon œil ; à cause que Bonneuil est un village à trois lieues d'ici ! Molière, Critiq. 1. Les parlements, qui depuis longtemps voyaient de mauvais œil ces usurpateurs, et qui ne cherchaient qu'une occasion favorable pour s'en défaire, les bannirent du royaume, D'Alembert, Destr. des jésuit. Œuvr. V, p. 25, dans POUGENS.

    Voir les choses d'un autre œil, avec d'autres yeux qu'auparavant, les voir avec des sentiments différents de ceux qu'on avait. D'un autre œil nous verrons les fières destinées, Régnier, Sat. IV. Mais elle voit d'un œil bien différent du vôtre Son sang dans une armée, et son amour dans l'autre, Corneille, Hor. I, 1. Chacun voit ceux [les maux] d'autrui d'un autre œil que les siens, Corneille, ib. III, 4. On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain, La Fontaine, Fabl. I, 7. Ici vous verrez les choses d'un autre œil qu'en Provence, Sévigné, 168. Mais nous qui d'un autre œil jugeons les conquérants, Racine, Alex. II, 1.

    Molière a dit dans un sens analogue : jeter de nouveaux yeux. Et mon esprit jetant de nouveaux yeux sur elle, Pr. d'Él. I, 1.

    Dans un sens opposé. Voir de même œil, regarder du même œil ou d'un même œil, avoir les mêmes sentiments. Nous regardons ces écrits du même œil que vous, Bossuet, Projet de réunion, 2e part. Lett. X. Verrez-vous d'un même œil le crime et l'innocence ? Racine, Mithr. I, 2. Ma fille, je vous vois toujours des mêmes yeux, Racine, Iphig. II, 2. Il voudrait que tous les hommes la regardassent des mêmes yeux que lui, Massillon, Carême, Pécher.

    Voir une chose d'un œil sec, voir sans s'affliger une chose faite pour contrister. On demande pourquoi le même homme qui aura vu d'un œil sec les événements les plus atroces, qui même aura commis des crimes de sang-froid, pleurera, au théâtre, à la représentation de ces événements et de ces crimes, Voltaire, Dict. phil. Larmes.

    En termes de galanterie. Faire les doux yeux, les yeux doux à une femme, la courtiser. Et vous vous amusez à faire les yeux doux, Boisrobert, Belle plaideuse, I, 3. Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux [à ma femme], Molière, Tart. I, 6.

  • 5Action de la vue, regard, faculté de voir. Pour voir ce qui s'y passe [dans mon cœur] il ne faut que des yeux, Corneille, Sertor. II, 2. Il est vrai qu'elle et moi souvent nous nous sommes parlé des yeux, Molière, le Sicil. 3. Archimède… n'a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions, Pascal, Pens. XVII, 1, édit. HAVET. Votre fils plaît extrêmement… on ne saurait passer les yeux sur lui comme sur un autre, on s'arrête, Sévigné, 25 fév. 1685. Quand est-ce que j'entendrai cette bienheureuse nouvelle : ses femmes [de Paris] ne s'arment plus contre la pudeur, ses enfants ne soupirent plus après les plaisirs mortels, et ne livrent plus en proie leur âme à leurs yeux ? Bossuet, Serm. Résurr. dern. 1. De quelque côté qu'il tournât les yeux, Bossuet, Hist. II, 11. Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux, Racine, Andr. IV, 5. Apprenez que, suivi d'un nom si glorieux, Partout de l'univers j'attacherai les yeux, Racine, Mithr. II, 4. Des collines et des montagnes… dont la figure bizarre formait un horizon à souhait pour le plaisir des yeux, Fénelon, Tél. I. Cherchant des yeux son ennemi, Fénelon, ib. XVI. Elle consulte des yeux son père, Fénelon, ib. XXIII. À mesure qu'il s'avançait, il cherchait dans les yeux de Mentor pour voir s'il n'avait rien à se reprocher, Fénelon, ib. XXII. Il tenait l'œil sur ceux [les yeux] de sa femme, Hamilton, Gramm. 8. Elle s'y attendait, et nos yeux se rencontrèrent, Marivaux, Marianne, 3e part. …Puisque ton œil embrasse Et les cieux et l'enfer, et le temps et l'espace, Delille, Parad. perdu, I.

    L'œil de Dieu, le regard que Dieu jette sur toute chose. L'œil de Dieu voit tout, pénètre tout, perce le fond des abîmes, etc. c'est-à-dire il n'y a rien de caché à Dieu. Me voilà jugé avant le jugement de Dieu sur un fait où son œil, qui voit tout, sait que je ne suis mêlé en aucune sorte, Bossuet, Signatures des docteurs.

    Avoir devant les yeux, avoir devant son regard, devant soi. Nous avons devant les yeux un beau spectacle. Chacun avait la mort devant les yeux, Fénelon, Tél. V.

    Fig. Avoir devant les yeux, avoir la pensée tellement remplie de quelqu'un ou de quelque chose, qu'on y songe uniquement. Il a son devoir devant les yeux. Il n'a devant les yeux que sa chère Troyenne, Racine, Andr. II, 3. Je n'eus devant les yeux que mon père offensé, Racine, Mithr. I, 1.

    Ôter des yeux, de devant les yeux, écarter de la présence. Allons vite, ôte-toi de devant mes yeux, vilaine, Molière, Bourg. gent. III, 8.

    Mettre devant les yeux, faire voir, exposer. Le premier [cantique] nous met devant les yeux le passage de la mer Rouge, Bossuet, Hist. II, 3. Ils leur représentaient sans cesse les malheurs de leurs compatriotes, et leur mettaient devant les yeux cet exemple si triste, Montesquieu, Lett. pers. 12.

    Remettre une chose devant les yeux, en faire ressouvenir, la remettre en mémoire.

    Mettre sous les yeux, mettre sous l'œil, faire voir. Je lui mis sous les yeux le récit de l'affaire. Des vérités qu'il faudrait vous mettre sous l'œil, Massillon, Carême, Parole. Je vous mettrais comme sous l'œil ce que je n'ai montré qu'en éloignement, Massillon, Or. fun. Villeroy. Molière a dit : mettre aux yeux. Mais votre conscience et le soin de votre âme Vous devraient mettre aux yeux que ma femme est ma femme, Molière, Sgan. 21. Je lui mettais aux yeux comme dans notre temps Cette soif [d'écrire] a gâté de fort honnêtes gens, Molière, Mis. I, 2.

    Sous l'œil, présent, en vue. Je me trouverais sous l'œil et sous la main du prince, pour recevoir de lui la grâce…, La Bruyère, VIII. Ô hommes ! vous ne connaissez pas les objets que vous avez sous l'œil, Massillon, Carême, Vérité de la religion.

    Familièrement. Avoir le compas dans l'œil, mesurer presque aussi juste avec la vue seule qu'on pourrait le faire avec un compas.

    Avoir l'œil exercé, avoir acquis, par l'habitude de regarder attentivement, la faculté de voir bien et promptement.

    Fig. Il a l'œil trop exercé pour ne s'être pas aperçu des ridicules de cet homme.

    Avoir des yeux de lynx, voir, découvrir les objets de loin ; et fig. voir clair dans les affaires, dans les desseins, dans les pensées des autres (voy. LYNX).

    Avoir des yeux, user de la faculté de voir, de discerner, de connaître. Pensez-vous, madame, qu'en ces lieux Seule pour vous connaître Octavie ait des yeux ? Racine, Brit. II, 3. Une autre aura des yeux, et va du moins connaître De quel prix mon amour et ma main devaient être, Voltaire, Zaïre, IV, 2. Vous, Actéon, mille autres par les dieux Furent punis pour avoir eu des yeux, Malfilâtre, Narcisse, III.

    Fig. Avoir des yeux, voir ce qui se passe, ne pas être dupe. Tout ce peuple a des yeux pour voir quel attentat Font sur le bien public les maximes d'État, Corneille, Nicom. III, 2. Montrons-leur hautement que nous avons des yeux, Corneille, ib. IV, 6. …Ou j'aime à me flatter ; Ou sur eux quelque orage est tout prêt d'éclater ; J'ai des yeux ; leur bonheur n'est pas encor tranquille, Racine, Iphig. II, 8. Il ne fallait qu'avoir des yeux, sans aucune connaissance de la cour, pour distinguer les intérêts peints sur les visages, Saint-Simon, 273, 236. Mon Dieu, milady, reprit cette femme, on a des yeux et des oreilles, Genlis, Vœux téméraires, t. I, p. 207, dans POUGENS.

    Avoir des yeux au bout des doigts, avoir le tact très délicat.

    Avoir un bandeau sur les yeux, avoir quelque préoccupation qui empêche de juger sainement des choses.

    Blesser les yeux, déplaire, causer du chagrin.

    Dessiller les yeux, voy. DESSILLER.

    Donner dans l'œil, dans les yeux, voy. DONNER, n° 42.

    Fasciner les yeux, les éblouir par des tours de subtilité, et aussi tromper par un faux éclat, une fausse apparence.

    Frapper les yeux, être fort visible.

    Fig. Frapper les yeux, être évident. Cette vérité frappe les yeux.

    Fig. Sauter aux yeux, être évident.

    Fermer l'œil ou les yeux sur…, à…, voy. FERMER, n° 5.

    Jeter les yeux sur, regarder. L'assemblée jeta les yeux sur Mentor, Fénelon, Tél. VI.

    On dit dans le même sens : les yeux se jettent. D'abord ses yeux se jetèrent sur moi, et me parcoururent, je dis se jetèrent, au hasard de mal parler ; mais c'est pour vous peindre l'avidité curieuse avec laquelle elle se mit à me considérer, Marivaux, Marianne, 5e part.

    Jeter les yeux, examiner. Jetons les yeux sur le peuple même, Bossuet, Hist. II, 9.

    Je n'ai fait que jeter les yeux sur cette brochure, je n'ai fait que la parcourir.

    Jeter les yeux sur, remarquer, distinguer, choisir. Il ne pouvait mieux faire que de jeter les yeux sur un si bon sujet, Sévigné, 407. Silanus, sur qui Claude avait jeté les yeux, Et qui comptait Auguste au rang de ses aïeux, Racine, Brit. I, 1. Vous me convenez fort, et je vous conviens mieux ; Sur vous on sait assez que je jette les yeux, Regnard, le Joueur, II, 4.

    Avoir les yeux ouverts, voy. OUVERT, n° 1.

    Ouvrir les yeux, ouvrir de grands yeux, voy. OUVRIR, n° 1.

  • 6Œil, yeux, pris dans le sens de contemplation, de surveillance, de guet. Il captivait [tenait captive] sa femme cependant, De ses cheveux voulait savoir le nombre, La faisait suivre à toute heure, en tous lieux, Par une vieille au corps tout rempli d'yeux, Qui la quittait aussi peu que son ombre, La Fontaine, On ne s'avise. Partout je veux porter l'œil de la vigilance, Briffaut, Ninus II, II, 1.

    Être tout yeux, contempler avidement. Je fus tout yeux pendant dix ou douze heures de suite, Maintenon, Lett. à Mme de Villarceaux, 27 août 1660.

    Être tout yeux, tout oreilles, contempler et écouter avidement ; et aussi, surveiller avec vigilance. Mais ce coquin de Dave est tout yeux, tout oreille, Prends garde…, Baron, Andrienne, III, 2.

    Cent yeux, se dit pour vigilance, surveillance attentive. …L'homme aux cent yeux n'a pas fait sa revue ; Je crains fort pour toi sa venue, La Fontaine, Fabl. IV, 2.

    Avoir l'œil au guet, prendre garde à tout ce qui se passe. Tout le jour, il avait l'œil au guet ; et la nuit, Si quelque chat faisait du bruit, Le chat prenait l'argent, La Fontaine, Fabl. VIII, 2. Aie aussi l'œil au guet, Nérine, et prends bien garde qu'il ne vienne personne, Molière, Pourc. I, 3. J'aurai l'œil au guet, et prendrai soin de vous avertir, Dancourt, la Gazette, sc. 2.

    Avoir des yeux d'Argus, être fort vigilant, observer tout avec soin, exercer une active surveillance (voy. ARGUS).

    Avoir l'œil à quelque chose, y veiller. Comme elle a toujours l'œil à la défiance, Régnier, Sat. XII. J'en réponds sur ma tête, et j'aurai l'œil à tout, Corneille, Héracl. III, 4. …Entrez dans cette porte, Et sans bruit ayez l'œil que personne n'en sorte, Molière, Éc. des maris, III, 5. Je suis malade au mont Krapac, je ne puis avoir l'œil à tout, Voltaire, Dict. phil. Quakers, III. J'ai conduit la maison… avec une économie remarquable et qui a été citée ; mon premier principe était d'y avoir l'œil, Genlis, Mém. t. III, p. 98.

    Tenir l'œil à, veiller à quelque chose. J'y tiendrai l'œil, La Fontaine, Magnif. Ce m'est un avis de tenir l'œil plus que jamais sur toutes ses actions, Molière, l'Avare, II, 3. …Et ont des officiers qui y tiennent l'œil et qui sont payés exprès pour y prendre garde, Corresp. de Colbert, III, 2, p. 307.

    Avoir l'œil sur quelqu'un, le surveiller. Nous avons beau sur ce sexe avoir l'œil…, La Fontaine, On ne s'av. Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie, Molière, Femm. sav. II, 7.

    Avoir l'œil sur quelqu'un, le surveiller pour le préserver. Ayez l'œil sur le roi dans la chaleur des armes, Et conservez son sang pour épargner mes larmes, Corneille, Pomp. IV, 5. Ô vous, sur ces enfants si chers, si précieux, Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux, Racine, Ath. II, 7.

    Avoir l'œil sur, considérer attentivement. Et vous, doctes interprètes des lois… tout l'univers a les yeux sur vous, Bossuet, le Tellier. Toute la Grèce qui a les yeux sur nous, Fénelon, Tél. XX. Toute la France avait les yeux sur le roi, Hamilton, Gramm. 5.

    Avoir l'œil sur quelque chose, en prendre un soin attentif, y veiller. Pour vous, ma fille, vous aurez l'œil sur ce que l'on desservira, et prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât, Molière, l'Avare, III, 3. Indépendamment des lois, les censeurs eurent l'œil sur les mariages, Montesquieu, Esp. XXIII, 20.

    Avoir un œil aux champs et l'autre à la ville, prendre garde à tout.

    Par plaisanterie. Avoir un œil à Paris, l'autre à Pontoise, loucher.

  • 7L'œil du maître, la surveillance du principal intéressé. Il n'est pour voir que l'œil du maître ; Quant à moi, j'y mettrais encor l'œil de l'amant, La Fontaine, Fabl. IV, 21.

    L'œil du maître engraisse le cheval, c'est-à-dire il ne faut pas se reposer sur autrui du soin de ses affaires.

    L'œil de la fermière engraisse le veau.

    L'œil du fermier vaut fumier.

  • 8Mauvais œil, voy. MAUVAIS, no 4.
  • 9 Familièrement. Voir de ses yeux, de ses deux yeux, être témoin d'une chose. Je l'ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu, Ce qu'on appelle vu, Molière, Tart. V, 3. Mon Dieu, que je serai ravie de voir de mes deux yeux cette santé que tout le monde me promet, et sur quoi vous m'avez si bien trompée quand vous avez voulu ! Sévigné, 367. Les Français ont des ressources dans leur envie de plaire au roi, qui ne trouveraient point de créance dans tout ce qu'on nous en pourrait dire, si nous ne le voyions de nos propres yeux, Sévigné, 27 janv. 1692.

    Voir tout par ses yeux, ne s'en rapporter qu'à soi pour juger des choses. Il voit tout par ses propres yeux, Fénelon, Tél. XXII. Ne nous fions qu'à nous, voyons tout par nos yeux, Voltaire, Œdipe, II, 5.

    Voir par les yeux d'autrui, juger des choses par le rapport des autres. L'homme voit par les yeux de son affection, Régnier, Sat. V. Votre marâtre y règne, et le roi votre père Ne voit que par ses yeux, seule la considère, Corneille, Nicom. I, 1. Le prince faible ne verra que par les yeux d'un favori, Fénelon, Tél. XX.

    Emprunter les yeux d'un autre, voir par ses yeux. Ne saurait-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux ? Racine, Brit. I, 2.

    Voir une chose par les yeux de l'esprit, l'examiner par la raison.

    Voir une chose des yeux de la foi, la considérer avec les dispositions, les sentiments que donne la foi. Qu'il est beau de voir, par les yeux de la foi, Darius, Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode agir, sans le savoir, pour la gloire de l'Évangile ! Pascal, Pens. part. II, art. 12.

    Familièrement. Voir une chose des yeux de la foi, s'en rapporter à ce qu'on en dit. Sa gorge, que je ne vis que par les yeux de la foi, Boursault, Lett. nouv. t. III, p. 32, dans POUGENS.

  • 10Faire des yeux à quelqu'un, lui faire par le regard seul quelque reproche, quelque injonction. Sa mère lui faisait des yeux, point de nouvelles, Sévigné, 79. Madame d'Épinay me faisait des yeux ; et à la fin, quand j'ai eu tout dit, j'ai compris que je désobligeais…, Diderot, Mém. t. I, p. 285, dans POUGENS.

    On dit dans un sens analogue : faire les gros yeux. Je me prosterne aux pieds de maman, et je la supplie de ne me plus faire les gros yeux ; je tâcherai à l'avenir d'être un peu plus joli garçon, Diderot, Mém. t. III, p. 52, dans POUGENS. Populairement. Faire l'œil, témoigner par ses regards qu'on désire quelque chose. Faire l'œil à une bouteille de vin.

    On dit dans le même sens : faire de l'œil. Chacun à sa chacune But en faisant de l'œil…, La Fontaine, Cas.

  • 11 Fig. Œil se dit des lumières intérieures. Oh ! qu'il [Jésus-Christ] est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence, aux yeux du cœur et qui voient la sagesse ! Pascal, Pens. XVII, 1, éd. HAVET. La réflexion est appelée l'œil de l'âme, parce que, l'acte direct n'étant pas le plus souvent assez aperçu, la réflexion en l'apercevant l'affermit avec connaissance, Bossuet, Et. d'orais. V, 5. Mets tes feux dans mon cœur, mets des yeux dans mon âme, Delille, Parad. perdu, III.
  • 12Ce qui éclaire. La chronologie et la géographie sont les yeux de l'histoire. Saint Augustin nous fait paraître, dans la suite du quatrième siècle, comme les deux yeux de l'Orient en la personne de saint Basile et de saint Grégoire, Bossuet, Déf. de la trad. et des saints Pères, VIII, 32.
  • 13Les poëtes appellent le soleil l'œil de la nature. J'aperçois le soleil, quelle en est la figure ? Ici-bas ce grand corps n'a que trois pieds de tour ; Mais, si je le voyais là-haut dans son séjour, Que serait-ce à mes yeux que l'œil de la nature ? La Fontaine, Fabl. VII, 18.

    Il se dit, par suite de la même comparaison, de ce qui est comme un soleil. Philis, œil de mon cœur et moitié de moi-même, Régnier, Dial. La France, le cœur de l'Europe, centre de la chrétienté, œil de tout cet univers…, Naudé, Rosecroix, X, 1. Antioche, la troisième ville du monde, qu'on appelait l'œil de l'Orient, Bossuet, 5e avert. 31.

  • 14Le coin de l'œil, l'angle externe de l'œil. Regarder du coin de l'œil. Puis ce coin d'œil, par son langage doux, Rompt, à mon sens, quelque peu le silence : J'y lis ceci…, La Fontaine, Magnifique.

    Fig. Regarder du coin de l'œil une chose, la désirer sans le témoigner ouvertement. Ma belle-fille regarde les Rochers du coin de l'œil, comme moi, mourant d'envie d'aller s'y reposer, Sévigné, 11 mai 1689.

  • 15Il se dit quelquefois pour la personne même. Il y a des yeux qui voient tout, et ceux qui ne voient rien m'impatientent, Sévigné, 391. Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés ? Racine, Andr. I, 4. Vous pensez que des yeux toujours ouverts aux larmes Se plaisent à troubler le pouvoir de vos charmes, Racine, Andr. II, 1. Peut-être d'autres yeux me sont plus favorables, Racine, ib. II, 2.
  • 16La puissance du regard. Mais puisqu'il plaît au ciel que par vos yeux je meure, Régnier, Élég. I. C'est trop peu de Jason que ton œil me dérobe ; C'est trop peu de mon lit, tu veux encor ma robe, Corneille, Médée, IV, 1. Tandis que sans songer à mal je vous regarde, Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur, Molière, les Précieuses, 10. Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux, Racine, Andr. II, 2. Et quoique d'un autre œil l'éclat victorieux Eût déjà prévenu le pouvoir de vos yeux, Racine, ib. IV, 5.

    Un bel œil, de beaux yeux, une belle femme. Sur mes pareils, Néarque, un bel œil est bien fort ; Tel craint de le fâcher, qui ne craint pas la mort, Corneille, Poly. I, 1.

    Pour de beaux yeux, pour l'amour d'une belle femme. …Que son mari n'avait pas assurément épousée pour ses beaux yeux, Hamilton, Gramm. 7.

    Fig. Pour les beaux yeux de quelqu'un, pour lui faire plaisir, pour lui. Je ne t'arrêtais pas ici pour tes beaux yeux, Corneille, Place Roy. III, 2. L'ordre établi par les grands dieux Se changera pour vos beaux yeux, Scarron, Virg. VI. Si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux, Molière, Préc. 16. Et quand vous me forcez à rester en ces lieux, Je sais que ce n'est point du tout pour mes beaux yeux, Regnard, Démocrite, V, 4. J'imaginai bien que ce n'était pas, comme on dit, à mes beaux yeux que je devais les avances du duc de Noailles, Saint-Simon, 318, 145.

    Gratuitement, sans salaire. Croit-il que je le logerai chez moi pour ses beaux yeux ! J'étais réduit… à vous servir sans plus pour vos beaux yeux, La Fontaine, Rich.

  • 17Les yeux, la présence. Pourrez-vous l'épouser dans quatre jours ! ô cieux ! Dans quatre jours ! seigneur, y voudrez-vous mes yeux ? Corneille, Tite et Bérén. III, 5. … C'est un pénible ouvrage D'arrêter un combat qu'autorise l'usage, Que les lois ont réglé, que les rois vos aïeux Daignaient assez souvent honorer de leurs yeux, Corneille, D. Sanche, II, 1.

    Aux yeux de, sous les yeux de, en présence de, sous les regards de. Celui qui offre un sacrifice de la substance des pauvres, est comme celui qui égorge le fils aux yeux du père, Sacy, Bible, Ecclésiastiq. XXXIV, 24. Et là vous me verrez, soumis ou furieux, Vous couronner, madame, ou le [votre fils] perdre à vos yeux, Racine, Andr. III, 7. Le triste Agamemnon Semble craindre à mes yeux de prononcer son nom, Racine, Iphig. II, 3. Comment pourra-t-il soutenir ces odieuses pancartes [billets d'enterrement de son père] qui déchiffrent les conditions ? … les supprimera-t-il aux yeux de toute une ville jalouse, maligne, clairvoyante ? La Bruyère, VI. Elle vit loin du monde sous les yeux de Dieu, Massillon, Avent, Concept. Voyez si vous n'agissez que sous les yeux de Dieu, Massillon, Myst. Œuvr. de misér. Au sortir de chez Mademoiselle, Segrais fut accueilli par une femme plus faite pour l'apprécier, par Mme de la Fayette, qui écrivit sous ses yeux les deux romans célèbres de la princesse de Clèves et de Zaïde, D'Alembert, Éloges, Segrais.

    Fig. Aux yeux, suivant la manière de voir, suivant le sentiment. Nulle promesse n'est sacrée à ses yeux. À mes yeux, c'est une grande faute qu'il a faite. Elle se farde aux yeux des hommes, mais d'une manière qui la rend encore plus méprisable et plus criminelle aux yeux de Dieu, Bourdaloue, 11e dim. après la Pentec. Dominic. t. III, p. 242. Aux yeux de tous les Grecs rendons-le criminel, Racine, Andr. II, 1.

  • 18 Familièrement. Yeux se dit pour lunettes. Il porte ses yeux dans sa poche. J'ai oublié mes yeux.

    Fig. Avez-vous vos yeux dans votre poche ? se dit à quelqu'un qui ne voit pas ce qu'il devrait voir.

  • 19Clin d'œil, voy. CLIN.
  • 20Coup d'œil, regard prompt et de peu de durée. Un coup d'œil expressif, menaçant. Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant Nous rengage de plus belle, Molière, Amph. I, 1. Je jetai un coup d'œil sur Mentor, Fénelon, Tél. V. Nous n'avons nulle précision dans le coup d'œil pour juger les hauteurs, les longueurs, les profondeurs, les distances, Rousseau, Émile, II. Ici les coups d'œil devinrent plus fréquents entre Claire et la Fanchon, Rousseau, Hél. VI, 11.

    Fig. Avoir le coup d'œil juste, avoir du coup d'œil, avoir le discernement prompt. Que vous vous connaissez bien en physionomie ! - J'ai le coup d'œil infaillible, Lesage, Turcaret, II, 4.

    Jeter un coup d'œil sur, examiner. Jetons un coup d'œil sur les événements remarquables de cette période. Le premier coup d'œil que nous jetons ensuite sur l'exemple des autres hommes qui vivent comme nous nous rassure, Massillon, Avent, Épiphan.

    Vue, aspect. Vous irez à Marseille, vous y verrez, à mon gré, le plus beau coup d'œil que l'on puisse voir, Sévigné, 517.

    Le premier coup d'œil, ce qui s'offre d'abord à la vue. Le roi avait une impatience extrême de savoir comme elle était faite [la future Dauphine] : il envoya Sanguin, qui est un homme vrai et incapable de flatter : Sire, dit-il, sauvez le premier coup d'œil, et vous en serez fort content, Sévigné, 411.

  • 21Lustre des étoffes, éclat des pierreries ; en ce sens, œil n'a point de pluriel. Cela dégrade et empire les étoffes, les endurcit, et empêche qu'elles n'aient l'œil et la perfection nécessaire, Règlem. sur les manuf. août 1669, Teinturiers en laine, art. 6. Les pièces se trouvent rudes, dures, brûlées et sans éclat, l'œil du noir paraissant rougeâtre et de couleur tannée, Procès verb. de police d'Amiens, 16 janv. 1671.

    Avoir de l'œil, produire de l'effet.

    On dit de même d'un tableau à effet, qu'il a de l'œil.

  • 22Nuance, teinte légère ; œil, en ce sens, n'a pas de pluriel. Le noir de son plumage est plus brillant, et il a des reflets qui lui donnent, à certains jours, un œil verdâtre, Buffon, Ois. t. VI, p. 52.

    Œil de perdrix, teinte qui ressemble à la couleur de l'œil de la perdrix. Les raisins violets que j'ai renfermés dans un étui avant qu'ils eussent commencé à changer de couleur, n'y ont pris qu'une teinte d'œil de perdrix, Bonnet, Us. feuilles, 5e mém.

    Ce vin a un œil louche, il a une couleur un peu trouble.

    Fig. Cette affaire a un œil louche, elle a quelque chose de suspect, une apparence peu satisfaisante.

    Un œil de poudre, une légère teinte de poudre mise sur les cheveux.

    Vin couleur d'œil de perdrix, ou, simplement, vin œil de perdrix, vin qui a une légère teinte rouge.

  • 23Synonyme de miroir (voy. ce mot), en parlant du plumage des oiseaux. Leur tige [des plumes d'un oiseau] est garnie de filets détachés, de couleur changeante, et elle se termine par une plaque de barbes réunies, ornées de ce qu'on appelle l'œil ou le miroir, Buffon, Ois. t. IV, p. 39.
  • 24Ouverture dans quelques outils ou instruments. L'œil d'une meule.

    L'œil d'une grue, d'une chèvre, le trou par où passent les câbles.

    La partie de l'aiguille dans laquelle on passe le fil.

    La petite ouverture d'une perle.

    Œil du pertuis, partie étroite du trou conique de la filière des tireurs d'or.

    Dans une bride de cheval, l'œil est la partie du haut de la branche qui est plate et percée pour joindre la branche à la têtière et tenir la gourmette attachée.

    Œil de roue, le trou rond par où passe l'essieu.

    Dans les chaînes d'attelage, l'œil est la boucle qui est au bout de la chaîne.

    Œil d'un étau, le trou par où passe la vis.

    Le trou qui sert à mettre le manche du marteau se nomme œil. Œil de bombe, d'obus, trou qui sert de lumière. Il avait ajouté qu'il s'arrangerait de manière que l'œil de l'obus ne se retournerait pas dans la pièce, Andréossy, Instit. Mém. acad. des sc. t. VII, p. 190. On disait dans un sens analogue : œil de grenade, œil de mine.

    En chirurgie, les yeux de la sonde, ouvertures oblongues non parallèles qui sont pratiquées dans une sonde, un peu avant le bec ou extrémité opposée au pavillon.

    Terme d'architecture. L'œil de la volute est son centre, qui se taille en forme de petite rose.

    Un œil de pont est une ouverture ronde au-dessus des piles et dans les arches d'un pont, pour faciliter l'écoulement des grosses eaux.

    Œil de dôme, ouverture qu'on ménage au haut d'un dôme, et qu'on couvre ordinairement d'une lanterne.

    Terme de maçonnerie. Toute ouverture de peu d'étendue.

    Terme de serrurerie. Ouverture à l'extrémité d'une tringle, d'une penture dans laquelle entre un gond, etc.

    Terme de métallurgie. Ouverture située au bas du fourneau, par laquelle s'écoule la matière fondue. Fondre par l'œil, fondre sans boucher ce trou. Œil de la tuyère, ouverture de la buse par où souffle le vent.

  • 25 Terme de marine. Trou percé dans une voile pour y passer un cordage.

    Œil de pie ou de ris, nom donné à chaque trou percé dans les bandes de ris des voiles hautes et basses, ainsi que dans la toile doublée ou façonnée en gaîne qui sert de têtière aux voiles d'étai et aux focs.

    Œil de l'ancre, trou pratiqué à l'extrémité supérieure de la verge de l'ancre pour recevoir l'organeau.

    Œil d'étai, ganse analogue à celle du hauban.

    Œil de capelage d'un hauban, ganse faite à la tête d'un hauban pour le passer autour de la tête du mât.

    Œil de la civadière, large trou fait à chacun des coins inférieurs de la civadière, par lequel l'eau de la mer qui remplissait le fond de cette voile pouvait aisément s'écouler.

    Yeux de bœuf, ancien nom des poulies qui sont vers le racage.

    Œil de perdrix, un des pavillons servant aux signaux.

  • 26 Terme de peinture. Les yeux d'une draperie, se dit des points où se cassent les plis.
  • 27Nom donné à certains vides qui se trouvent dans la mie de pain, dans le fromage. Les yeux du pain, du fromage. Ce pain a de grands yeux. Ce fromage n'a point d'yeux.

    Terme de cuisine. Marques de graisse qu'on aperçoit dans le bouillon. Ce bouillon est très gras, il a beaucoup d'yeux.

  • 28 Terme de jardinage. Petite pointe, bourgeon rudimentaire, qui se montre sur les arbres et arbrisseaux, à l'extrémité des rameaux, ou aux angles que forme l'insertion des feuilles ; cette petite pointe, au printemps suivant, devient bouton à bois ou à fruit. Tailler à deux yeux, à trois yeux, laisser sur la branche que l'on coupe deux, trois boutons à bois ou à fruit.

    Enter à œil poussant, à œil dormant, greffer en écusson à la première, à la seconde séve.

    Œil éventé, bouton à bois qui périt.

    Couronne formée des dents du calice et persistant au sommet du fruit ; les fruits des rosacées en offrent des exemples.

    Œil de la pomme de terre, petite saillie qui se voit dans les cavités de ce tubercule et d'où naissent des bourgeons aptes à produire de nouvelles plantes.

  • 29 Terme d'imprimerie. Relief de la lettre, cette partie de la lettre qui laisse son empreinte sur le papier. L'œil de la lettre.

    Gros œil, caractères d'imprimerie dont l'œil ou le contour des lettres, fondu sur l'un des différents corps des caractères, a plus de grosseur que n'en a ordinairement l'œil de ces caractères.

    L'ensemble que présentent à la vue les caractères imprimés. L'œil de ce caractère est trop fin.

  • 30Œil de perdrix, point de marque pour le linge, composé de quatre points placés de façon à laisser, au milieu sur l'étoffe, la place d'un point de quatre fils.

    Œil de perdrix et yeux de perdrix, nom d'une étoffe, moitié laine et moitié soie, diversement ouvragée et façonnée.

    Linge à œil de perdrix, linge de table ouvré, dont la façon représente à peu près des yeux de perdrix.

    Œil de perdrix, espèce de cor qui survient entre les doigts des pieds.

    Au plur. Des œils de perdrix, d'après Pautex ; mais c'est une erreur ; on dit partout, en cet emploi, des yeux.

    Œil de perdrix, se dit aussi d'une lésion qui survient aux doigts des chapeliers. Elle [une préparation] détruit l'épiderme par places, et produit au bout des doigts de petites crevasses, ce qu'en termes de chapellerie on appelle yeux de perdrix, Tenon, Instit. Mém. scienc. 1806, 1er févr. p. 106.

    Œil de perdrix, point qu'on trouve parfois dans un nœud d'arbre et qui peut causer le rebut d'une pièce de bois.

    Terme de plombier. Yeux de perdrix, petites marques qui se trouvent dans l'étain et en indiquent la finesse.

  • 31Œil-de-bœuf, toute fenêtre ronde qui se prend dans un fronton, un attique, dans les reins d'une voûte, dans la couverture d'une maison (dans cette acception on dit au pluriel, des œils-de-bœuf). Les œils-de-bœuf de la cour du Louvre sont ornés de sculptures.

    Absolument. Œil-de-bœuf, nom d'une salle d'attente dans le château de Versailles, lorsque la cour s'y tenait ; elle était éclairée par un œil-de-bœuf (on met, en ce sens, une majuscule). Gentilhomme de l'Œil-de-bœuf. Chronique de l'Œil-de-bœuf.

    Fig. Par la révolution Versailles s'est fondu dans la nation ; Paris est devenu l'Œil-de-bœuf, tout le monde en France fait sa cour, Courier, Pamphl. des pamphl.

    Terme de vitrier. Œil-de-bœuf, nœud qui est au milieu des tables de verre (au pluriel, des œils-de-bœuf).

    Petit vaisseau rond de faïence, où les peintres détrempent leurs couleurs (au pluriel, des œils-de-bœuf).

    Œils-de-bœuf, trous ronds qu'on aperçoit sur le tronc des arbres, et qui sont produits par la pourriture d'une branche.

    Terme de météorologie. Œil-de-bœuf, au pluriel, des œils-de bœuf, petits nuages qui apparaissent soudainement au milieu d'un ciel serein dans les régions chaudes, et qui annoncent d'ordinaire une tempête tournante, un typhon. Dans la terre de Natal, il se forme aussi un petit nuage semblable à l'œil-de-bœuf du Cap de Bonne-Espérance, et de ce nuage il sort un vent terrible qui produit les mêmes effets, Buffon, Hist. nat. preuv. théor. ter. Œuv. t. II, p. 266.

    Œil-de-bœuf, variété de feldspath opalin.

    Œil-de-bœuf, le roitelet, motacilla regulus, L.

  • 32Œil-de-loup, nom de certaines pétrifications. La pierre appelée œil-de-loup est un produit du feldspath ; elle est chatoyante, et probablement mêlée de parties micacées qui en augmentent le volume et diminuent la masse, Buffon, Min. t. VI, p. 176.

    Œil-de-serpent, petite pierre qu'on monte en bague.

    Œil-de-chat, corindon nacré, de la série des pierres chatoyantes, et plus dur qu'elles toutes ; aussi les raye-t-il. Œil-de-chat, nom donné par les fabricants de meules de moulin à une qualité particulière de silex molaire.

    Œil-du-monde, sorte de quartz, voy. MONDE.

    Œil-de-poisson, plusieurs variétés de quartz. La pierre nommée vulgairement œil-de-poisson, pierre de lune, et argentine par les lapidaires, et qui se rapporte à cette variété de feldspath, vient de l'Orient et plus particulièrement de l'Arabie et de la Perse, Brongniart, Traité de minér. t. I, p. 359 dans POUGENS.

    Œil-de-paon, espèce de marbre.

    Dans tous ces mots, au pluriel, on dit des œils.

  • 33Œil d'Ammon ou œil-de-bouc, espèce de coquillage, helix oculus capri.

    Faux œil-de-bouc, l'hélice peson, helix algira.

    Œil-de-chat, nom marchand de l'hélice glauque.

    Œil-de-vache, coquille univalve.

    Œil-de-sainte-Lucie, opercule d'un sabot des Indes.

    Œil-d'or, poisson.

    Œil-du-jour, le paon du jour, papillon.

    Œil-peint, oiseau du Mexique.

    Œil-blanc, ou œil-de-verre, la fauvette tcheric, sylvia madagascarensis, Lath.

    Grand-œil, un spare, poisson dit aussi un gros-yeux et calet, sparus grandoculus.

    Dans tous ces mots, on dit, au pluriel, œils.

  • 34Œil-de-chat, nom du fruit du bonduc aux îles.

    Œil-de-chèvre, sorte de graminée.

    Grand-œil-de-bœuf, l'adonide.

    Œil-de-Christ, nom donné à l'aster emellus et à l'inula oculus Christi.

    Œil-du-diable, nom vulgaire de la variété à fleurs rouges de l'adonide estivale (renonculacées).

    Yeux de bourrique, graines du dolique brûlant.

    Yeux de la reine de Hongrie, variété de nèfles.

    Œil-de-bœuf, espèce de camomille, anthemis tinctoria, L.

    Œil-de-bouc, le pyrèthre et la marguerite des prés.

    Œil-de-cheval, l'aunée.

    Œil-de-chien, nom vulgaire du psyllium.

    Œil-de-corneille, espèce de champignon.

    Œil de l'olivier, agaric qui croît sur l'olivier.

    Œil-de-perdrix, un des noms vulgaires de l'adonide d'été et d'une espèce de scabieuse, scabiosa columbaria.

    Œil-de-vache, nom donné dans la campagne aux anthemis arvensis et cotula, espèces de camomilles.

    Œil-de-soleil, la matricaire. Dans tous ces mots, on dit, au pluriel, œils.

  • 35Yeux d'écrevisse ou pierres d'écrevisse, concrétions dures, blanches, orbiculaires, aplaties et concaves d'un côté, convexes de l'autre, que l'on trouve au nombre de deux, aux côtés de l'estomac de l'écrevisse, à l'époque où elle se dispose à renouveler son test calcaire ; on s'en servait autrefois comme d'une poudre absorbante ; on les remplace aujourd'hui par la craie ou la magnésie.
  • 36 Terme de jeux. Yeux de ma grand'mère, se dit, à l'hombre, quand on a dans la main les deux as rouges.
  • 37À l'œil, loc. adv. Par la vue. On peut voir à l'œil qu'il y a dans le foie quantité de veines, Descartes, Pass. 108. On voit loin du bord un écueil Qu'on découvre aisément à l'œil, Scarron, Virg. V.

    Faire toucher au doigt et à l'œil, faire voir clairement. Si je voulais m'engager à son service, elle [la reine] me ferait toucher le détail au doigt et à l'œil, Retz, III, 216. (Cette locution ne paraît pas très correcte ; voy. DOIGT, n° 1.) Par plaisanterie, cette montre va au doigt et à l'œil, elle est très mauvaise, il faut y toucher sans cesse pour la remettre à l'heure.

    Faire la guerre à l'œil, voy. GUERRE, n° 1.

    Servir à l'œil, servir son maître avec zèle et sans autre commandement que son seul regard. Il le faut servir [le roi], non à l'œil, comme pour plaire aux hommes, mais avec bonne volonté, Bossuet, Polit. III, II, 3.

    Populairement, à l'œil, à crédit. Il dîne à l'œil dans ce restaurant. (Cette locution signifie proprement sur l'œil, sur la vue, sur la bonne mine de celui à qui l'on fait crédit.)

    On dit aussi : acheter à l'œil, obtenir des marchandises à l'œil. Dans cette maison il a tout à l'œil, et même, elliptiquement, il a l'œil.

  • 38À vue d'œil, loc. adverb. Autant qu'on en peut juger par la vue seule. Je n'ai jugé cette distance qu'à vue d'œil.

    Visiblement, d'une manière apparente. Mal… Qui vous tue à vue d'œil et que l'on ne voit point, Régnier, Sat. VI. Nous sommes dans la joie de voir revenir à vue d'œil la santé de ma mère, Lett. de CH. DE SÉV. dans SÉV. 249. La faveur de Quanto [Mme de Montespan] diminue à vue d'œil, ID. 432.

  • 39De l'œil, loc. adv. En regardant. Pinucio, sur l'avis de Colette, Marque de l'œil comme la chambre est faite, La Fontaine, Berc. Mais le prélat vers lui fait une marche adroite, Il l'observe de l'œil, Boileau, Lutr. V. Quand pourrai-je, au travers d'une noble poussière, Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière ? Racine, Phèdre, I, 3.

    Fig. En surveillant. Je conduis de l'œil toutes choses, et tout ceci ne va pas mal, Molière, Pourc. II, 11. Conduisons le vaisseau de la main et de l'œil, Molière, l'Ét. II, 3. Laissez-m'en le soin, je conduis des yeux toutes choses, Sévigné, 137.

    Suivre quelqu'un de l'œil, faire attention à sa conduite, à ses démarches.

  • 40Entre deux yeux, entre les deux yeux, loc. adv. Fixement. Regarder quelqu'un entre deux yeux. Géronte : Tenez-vous que je vous voie en face. - Léandre : Comment ? - Géronte : Regardez-moi entre deux yeux, Molière, Fourber. II, 3.
  • 41Entre quatre yeux, en tête-à-tête. Je lui lirai cela entre quatre yeux.

    On prononce entre quatre-z-yeux. Des grammairiens s'y opposent ; mais il n'y a aucune raison de repousser cette lettre euphonique qui se trouve dans bien d'autres cas : va-s-y, donne-s-en, etc. et qui a pour elle l'autorité de l'usage. Néanmoins on dit quatre yeux, en parlant de deux personnes regardant fixement : Quatre yeux étaient braqués sur moi ; et dans la locution proverbiale : Quatre yeux voient mieux que deux, c'est-à-dire le jugement de plusieurs personnes vaut mieux que celui d'une seule.

  • 42Jusqu'aux yeux, jusqu'au visage. Après ce petit bal, on vit entrer… cinquante Bas-Bretons dorés jusqu'aux yeux, Sévigné, 5 août 1671.

    Fig. De plus, je suis en l'abondance jusques aux yeux, Guez de Balzac, liv. III, lett. 7.

  • 43 Fig. et familièrement. Par-dessus les yeux, excessivement. La belle avait de quoi mettre un Gascon aux cieux : Des attraits par-dessus les yeux, La Fontaine, Gasc. puni. Il est dans le bel air par-dessus les yeux, Sévigné, 42.

    Plus qu'on n'en peut supporter. Trouvez-vous, ma bonne, que je ne vous parle point de moi ? en voilà par-dessus les yeux, Sévigné, 8 juill. 1676. Enfin, ma fille, vous avez quitté Aix ; vous me paraissez en avoir par-dessus les yeux, Sévigné, 11 avr. 1689.

    Avoir des affaires par-dessus les yeux, en avoir tant qu'à peine on y peut suffire.

  • 44Non plus, pas plus que dans mon œil, c'est-à-dire pas du tout. Non plus d'amourettes là-dedans que dans mon œil, Genlis, Théât. d'éduc. la Lingère, I, 2.

    Ce qu'il en tiendrait dans mon œil, c'est-à-dire une très petite quantité. Les tailleurs d'autrefois, qui travaillaient à façon, avaient un coffre auquel ils donnaient le nom d'œil, et, quand on leur demandait s'il leur restait de l'étoffe, ils juraient qu'ils n'en avaient pas plus qu'il n'en pourrait tenir dans leur œil, Franc. Michel, Argot, Mulet. Un tailleur qui demande demi-quart de drap plus qu'il ne faut pour en faire un habit complet, et qui met en son œil, c'est-à-dire en réserve, quelques bonnes pièces de ce drap, Le P. Simon Mars, Syst. du roy. de Dieu, p. 667, dans POUGENS.

PROVERBES

Œil pour œil, et dent pour dent, se dit de la peine du talion établie par la loi des Juifs. Si la femme en meurt, il rendra vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, Sacy, Bible, Exode, XXI, XXIII, 24. Tous, taillant et hurlant, en bandits que nous sommes, Œil pour œil, dent pour dent, c'est bien ! hommes contre hommes ! Hugo, Ruy Blas, I, 2.

Les yeux sont le miroir de l'âme, c'est-à-dire les différents mouvements, les différentes passions dont l'âme est agitée paraissent ordinairement dans les yeux.

Il voit une paille qui est dans l'œil de son prochain, et il ne voit pas une poutre qui est dans le sien, locution qui est tirée de l'Évangile et qui signifie que nous sommes plus clairvoyants dans les défauts d'autrui que dans les nôtres.

Loin des yeux, loin du cœur, signifie que l'absence fait oublier l'amour, l'amitié.

Quand on a mal aux yeux, il n'y faut toucher que du coude, c'est-à-dire il n'y faut pas toucher du tout.

Deux yeux valent mieux qu'un, ou quatre yeux valent mieux que deux, signifie que des affaires sont mieux examinées par plusieurs personnes que par une seule.

REMARQUE

Ménage a dit : Il faut prononcer euil avec les Parisiens et non eil avec les provinciaux : c'est donc mal rimer que de rimer ce mot avec soleil : Je n'ai vu qu'à regret la clarté du soleil, Depuis qu'en soupirant j'éloignai ce bel œil, BERTAUT.

HISTORIQUE

XIe s. Si alcuns crieve l'oil à l'altre…, Lois de Guill. 21. Vairs [il] ot les oils et mout fier le visage, Ch. de Rol. X. Gardez le bien [mon fils], jà nel verrai des oilz, ib. XXIII. Car à mes oilz [je] vi quatre cenz armez, ib. LIII.

XIIe s. L'aigue [l'eau] du cuer lui est es els montée, Ronc. p. 48. Tant a saigné, li oil lui sont troublé, ib. p. 91. Qu'el ne parole ne les els ne ouvrit, ib. p. 170. Mais li vilains el reprovier Dit : teus [tel] demeine grant orguil, Qui ne set que le pent à l'oil, Benoit de Sainte-Maure, II, 14893. Se j'en travail [souffre], je n'en sai qui blasmer, Fors ses douz ieus et son simple viaire, Couci, II. Et si bel œil, vair et riant et cler, M'orent ainz [avant] pris que [je] m'osaisse donner, ib. VI. Las ! pourquoi l'ai de mes euz regardée, La douce rien qui fausse amie a nom ? ib. VI. De ses biaux ieuz [elle] me vint sans defiance [défi] Ferir au cuer, que n'i ot autre effort, ib. XVI. [Il] Ne sera tant hardiz que des oilz [il] nous regart, Sax. XXIX. Tuit sevent qu'il vus ad durement honuré, Del poi ù vus trova hautement alevé ; Bailla vus del realme tute la poesté, Que cil que eüssiez de bon oil reguardé Se tenist à cele ure pur mult boneüré, Th le mart. 83. Quant il ellevarent lur oez, nel conurent mie, Job, p. 453.

XIIIe s. Et ces riches palais et ces hautes yglises, dont il avoit tant que nus nel peust croire s'il ne le veist proprement à l'ueil, Villehardouin, LXI. Cil Alexis prit l'empereour son frere ; si lui traïst les iex de la teste, et se fist empereour par tel traïson, Villehardouin, XLII. Que de vous n'ert [ne sera] veüs iex [œil] ne nés ne mentons, Berte, LXXVII. Henris vit oell à oell tous les fais qui là furent, H. de Valenciennes, I. Ahi ! Renart, trop ai sofert Ton grant orguel et ton desroi ; Mes, se j'en ai congié del roi, Ja aurons la bataille à l'oil, Ren. 14509. Male-Bouche dès lors en çà à espier me commença, Et dist qu'il metroit bien son oel, Que entre moi et Bel-Acueil Avoit mauvais acointement, la Rose, 3533. Ele avoit un mauvès usage, Qu'ele ne pooit ou visage Regarder riens de plain en plaing, Ains clooit [fermait] ung oel par desdaing, ib. 286. Il [l'amour] entesa [banda] jusqu'à l'oreille L'arc qui estoit fort à merveille, Et trait à moi par tel devise, Que parmi l'oel m'a ou cuer mise La sajete par grant roidor, ib. 1702. Partonopeus fait son ator [préparatif] Par matinet al oel del jor, Partonop. v. 1949. Li dois siolt [a coutume] estre à le [la] dolor, Et li iols tos jors à l'amor, ib. v. 3437. Or entendez Com Nobles [le roi] a les iex bendez, Rutebeuf, I, 199. Si come la clartez, qui est bone par nature, mais ele est mauvaise as oils malades, Latini, Trés. p. 18. En la vielle loi commanda il [Dieu] à oster oil por oil, Latini, ib. p. 25. Nabuchodonosor… le [Sedechias] prist, et li osta les iex hors de la teste, Latini, ib. p. 51. …[Tobie] avugla par le fien d'une arondele, qui li chaï ès els, Latini, ib. p. 60.

XIVe s. La fourme du cervel et des pannicles [méninges] ne puet [peut] pas bien estre desclairie à l'ougle, H. de Mondeville, f° 15. Pour ce est voir [vrai] ce qu'on dire seult [a coutume] : De ce qu'œil ne voit, cuer ne deult [n'a de chagrin], J. Bruyant, dans Ménagier, t. II, p. 15. Prenez des coings, fendez par quartiers, et ostez l'ueil et les pepins, Ménagier, II, 5. Et convient oster les feuilles d'en bas, et les replanter jusques à l'euil d'en haut, ib. II, 2.

XVe s. Si tost que le duc d'Anjou sçut qu'il [Charles V] avoit les yeux clos…, Froissart, II, II, 71. Se tu la prens qu'elle soit belle, Tu n'aras jamais paix à elle ; Car chascun la convoitera ; Et dure chose à toy sera De garder ce qu'un chascun voite [sic], Et qu'il poursuit et qu'il convoite ; Car tu as contre toy cent œulx, Deschamps, Poésies mss. f° 499. Tant y eussent ilz si grant prerogative, qu'il sembloit que devant eulx nul n'osast l'œil lever, Christine de Pisan, Charles V, II, 9. Tresque mon oueil vous vit premierement, Il ordonna mon cueur entierement Pour vous servir en toute feaulté, Orléans, Rond. Et disoient les chirurgiens qu'il n'y avoit remede, et qu'il perdroit l'œil, Juvénal Des Ursins, Charles VI, 1385. Ne pesez-vous aultrement cestui affaire… qui y allez d'un œil tant seulement là où il en besoingne bien douze ? Chastelain, Chr. des d. de Bourg. III, 25. Dont luy, qui avoit l'œil à tout, Chastelain, ib. II, 1. Lequel Hardy, fol et enraigé et non ayant Dieu devant les yeulx… s'en partit et tira tout droit où le roy. estoit, J. de Troyes, Chron. 1473. Ce sont lettres et escriptures, par qui nous sont rapportées les choses passées, et que à l'œuil nous ne voyons mie, Bouciq. Prol. Parmy les gens rire la lerme à l'ueil, Son semblant faindre, Souffrir douleur, et ne s'en oser plaindre, Chartier, le Débat des deux fortunes. Un annel d'acier, auquel a une pierre d'ueil de chat, De Laborde, Émaux, p. 407. Les inhabitants des dictz pays, notamment de Flandres, sont d'anchienneté en l'œil et haine des nobles estrangiers, De la Marche, Mém. Avis aux lecteurs. La plus sage femme du monde, au regart du sens, en a autant comme j'ay d'or dans l'œil, ou comme un singe a de queue, Les 15 joyes de mariage, p. 106. Après ce se tourna le gentil roy par devers Lyonnel le bon chevalier, qui estoit assis à sa dextre et se humilioit envers luy, et luy dist : Lyonnel, beaux amys, moult nous avez fait longs yeux longtemps a, et toutefois soyez vous le bienvenu, Perceforest, t. II, f° 129. Il luy sembloit pour ses beaux yeulx, qu'on luy de voit octroyer ce qu'il demandoit dès la premiere fois, Aresta amorum, p. 160, dans LACURNE. J'ay veu beaucoup d'exemples de ceste matiere à l'œil, et ne parle pas par ouyr dire, Commines, I, 16. Ung prince doit bien avoir l'œil quelz gouverneurs il mect en un pays nouvellement joinct à sa seigneurie, Commines, V, 1. Chacun rendit graces à Dieu, faisant très petits yeux [ils étaient soûls], et ne demandoit que le lit, Louis XI, Nouv. VII. Cette femme, au temps qu'elle fut neuve, pource qu'elle avoit l'œil au vent, fut requise d'amour de plusieurs gens, Louis XI, ib. LI.

XVIe s. Il resta tout eslourdy, ung œil poché OD beurre noir, Rabelais, Pant. IV, 12. Il feut si bien accoustré que le sang luy sortoyt par la bouche, par le nez, par les aureilles, par les œilz, Rabelais, ib. IV, 14. J'ay icy longuement repeu mes yeulx, mais je ne m'en peulx en rien saouler, Rabelais, ib. V, 31. Les yeulx immobiles, Montaigne, I, 8. Avoir l'œil au guet, Montaigne, I, 25. Voir devant ses yeulx fourrager une ville, Montaigne, I, 27. Avoir les yeulx plus grands que le ventre, Montaigne, I, 230. Il n'y a rien de changé ; mais nostre ame regarde la chose d'un aultre œil, Montaigne, I, 271. L'elephant, le regardant de mauvais œil…, Montaigne, II, 176. L'assistance qui avoit les yeulx sur moy, Montaigne, III, 291. Juger d'une chose à l'œil [sans règles, simplement], Montaigne, IV, 234. Ilz ne l'ozoient pas seulement regarder entre deux yeux, Amyot, Marcel. 37. Tout le monde jetta incontinent les yeux sur Aristides, Amyot, Arist. 8. Il se jettoit à clos yeux au danger, Amyot, Phoc. 8. Le vicomte pria le roi de Navarre qu'il lui servit de sergent de bataille en cette journée ; la reponse fut : je le veux bien, mon œuil par dessus, D'Aubigné, Hist. III, 50. N'estant au reste si depourvu de sens et d'experience, qu'il ne sçust bien faire la guerre à l'œil, Carloix, I, 6. Le malade a les yeux battus, ne pouvant reposer ny dormir qu'à grande peine, Paré, XV, 36. Œil de bœuf est une maladie d'œil, quand il est gros et eminent sortant hors la teste, comme l'on voit les bœufs les avoir. - Œil de cochon, est quand l'œil est rond et petit et peu fendu, comme les ont les cochons. - Œil de chat, qui se dit à raison que l'on voit de nuit, ainsi que font les chats.Œil de chevre, maladie qui vient à la cornée de l'œil, comme taches blanches, ainsi qu'on voit aux chevres.O eil de loup ou de mauvais garçon, maladie de l'œil, quand ils sont noirs, enfoncés, regardans de travers, comme les ont les loups, et ordinairement les traistres et mauvais garçons, Paré, Introd. 21. Du bout des sarmens ainsi couchés, sort sur terre deux ou trois œils, De Serres, 163. Entre les vins clerets, deux couleurs en sont les principales : de rubi oriental ou œil-de-perdris, et de hyacinte tendante à l'orangé, De Serres, 216. Entre tous les vins, je vois d'un fort bon œil Tousjours celuy qui est vermeil, J. le Houx, Vau de Vire, 24. J'ay mis au clair le plus grand de mes doutes ; J'ay descouvert cent secrets d'un traict d'œil, Saint-Gelais, 181. Ce grand flambeau du ciel [le soleil] sans fin resplendissant, Œil visible de Dieu, fils aisné de nature, Desportes, Diane, II, 71, stances. Bien que je voye à l'œil mon malheur préparé, Et que le desespoir soit ma seule esperance, Desportes, Diverses amours, X. Print ses yeux [lunettes] qu'il portoit à sa ceinture, Bouchet, Serées, II, p. 157, dans LACURNE. …Depuis que la France Couve dedans son sein le meurtre et la vengeance… France, le petit œil et la perle du monde, Est maintenant sterile au lieu d'estre feconde, Belleau, Bergeries, t. I, p. 2. Œil un aultre œil voit, et non soy, Génin, Récréat. t. II, p. 246. …Car l'œil parle et frappe, sert de langue et de main, Charron, Sagesse, I, 11. Vous savez si elles ont l'œil au bois ; il ne faut pas broncher devant elles, rien ne tombe à terre, Contes de Cholières, f° 220, dans LACURNE. Il a un œil à la poisle, l'aultre au chat, Cotgrave À l'œil malade la lumiere nuit, Cotgrave À cœur dolent l'œil pleure, Cotgrave Orgueil n'a pas bon œil, Cotgrave Qui n'a qu'un œil bien le garde, Cotgrave Par l'œil, par l'oreille et l'espaulle, Dieu a frappé trois rois en Gaulle ; Par l'espaulle, l'oreille et l'œil, Dieu a mis trois rois au cercueil ; Par l'espaulle, l'œil et l'oreille, Dieu a puni par grand merveille Antoine, François et Henri, Qui s'estoient bandés contre lui [dicton protestant sur Henri Il mort d'un coup de lance dans l'œil, François Il mort d'un abcès à l'oreille, et Antoine, roi de Navarre, mort d'une blessure à l'épaule], Leroux de Lincy, Prov. t. I, p. 271. Mieux vaut un œil que nul, Leroux de Lincy, ib. t. II, p. 350. Quand l'orgueil va devant, suivez le bien à l'œil, Vous verrez la ruine aux talons de l'orgueil, D'Aubigné, Tragiques, Vengeances.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ŒIL. Ajoutez :
37À l'œil.

Connaître à l'œil, connaître en vérifiant soi-même. Il est important de connaître à l'œil le peu d'assurance qu'il y a aux citations de notre auteur [faites par Fénelon], surtout à celles de saint François de Sales, dont il fait son fort, Bossuet, Préf. sur l'instr. past. de M. de Cambrai, 30.

À l'œil, à crédit ; Ajoutez :

S. m. Populairement, un œil, un crédit. Il me dit qu'il avait fait un héritage, et j'ouvre l'œil jusqu'à vingt francs, Gaz. des Trib. 28 sept. 1863.

45Faire les yeux blancs, tourner les yeux en haut, de manière qu'il n'en paraisse plus que le blanc. Faire la bouche en cœur et les yeux blancs.

Populairement. Se faire les yeux blancs, se dit de deux personnes qui se regardent d'un air irrité, menaçant.

REMARQUE

Ajoutez :

2. Au n° 37, il est dit que servir à l'œil est servir son maître avec zèle, et un exemple de Bossuet est cité. M. Lelave, de Lyon, me fait remarquer que cette expression représente l'ὀφθαλμοδουλεία de saint Paul (ad Ephesios, VI, 6, et ad Coloss. III, 22) ; que, dans les deux passages, le mot grec s'applique à ceux qui servent leur maître sans zèle et uniquement quand il est là pour les surveiller ; et que Bossuet a dû prendre cette expression dans le sens de l'Écriture. Il ajoute qu'il a assez souvent entendu employer familièrement serviteur à l'œil, et toujours en mauvaise part. M. Lelave a raison ; la locution est empruntée à saint Paul, et le sens est servir sans zèle.

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Étymologie de « oeil »

Wallon, oûie ; Hainaut, ouail, ouèle ; Maine, uet ; Berry, yeu : j'ai mal à mon yeu ; bourg. lé deuz euille ; provenç. olh, ol, oill, huelh, huel, uel, uil ; anc. catal. oill ; catal. mod. ull ; espagn. ojo ; portug. olho ; ital. occhio ; du lat. oculus, qui a l'accent sur o (et non de ocellus, qui l'a sur cel). Oculus est une forme diminutive d'un radical oc, qui se trouve dans le lithuanien akis, le russe oko, et le sanscrit aksha, œil. Dans l'ancien français, la déclinaison est : nominatif li oils ou oels ou iex, régime le oil ou oel ; au pluriel li oil, au régime les oils ou oels ou iex. Iex se prononçait comme nous prononçons yeux. Le mot, en raison de l'l, a été traité comme les mots en al ; cheval, chevaux, de là son pluriel qui reproduit le cas régime pluriel de l'ancienne langue. Dans plusieurs anciennes formes on trouve un i : iols, iex, etc. ; c'est une formation analogue à miel du lat. mel, mieux du lat. melius, et aussi à biau, châtiau de plusieurs patois.

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Phonétique du mot « oeil »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
oeil œj

Fréquence d'apparition du mot « oeil » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « oeil »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « oeil »

  • La télévision, c’est le chewing-gum de l’oeil.
    Proverbe américain
  • Le cinéma, c’est un oeil ouvert sur le monde.
    Joseph Bédier
  • Seigneur, l'amour toujours n'attend pas la raison. N'en doutez point, il l'aime. Instruits par tant de charmes, Ses yeux sont déjà faits à l'usage des larmes.
    Jean Racine — Britannicus, II, 2, Narcisse
  • L’oeil est la plus belle salle de rendez-vous.
    Malcolm de Chazal
  • Qui risque un oeil les perd les deux.
    Proverbe québécois
  • Si vous entrez parmi les borgnes, fermez un oeil.
    Proverbe arabe
  • Quand tu traverses le pays des aveugles, ferme un oeil.
    Proverbe roumain
  • L’oeil du sourd est normal.
    Pierre Desproges
  • Au sourd, l’oeil sert d’oreille.
    Proverbe italien
  • La Ciotat : le sémaphore garde un oeil sur la mer...
    LaProvence.com — Mer | La Ciotat : le sémaphore garde un oeil sur la mer Méditerranée | La Provence
Voir toutes les citations du mot « oeil » →

Traductions du mot « oeil »

Langue Traduction
Anglais eye
Espagnol ojo
Italien occhio
Allemand auge
Chinois
Arabe عين
Portugais olho
Russe глаз
Japonais
Basque begi
Corse ochju
Source : Google Translate API

Combien de points fait le mot oeil au Scrabble ?

Nombre de points du mot oeil au scrabble : 4 points

Oeil

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