VAGUE1, adj. et subst. masc.
I. − Adjectif
A. − Que l'esprit a du mal à saisir.
1. [En parlant d'une entité abstr.] Synon. confus, flou, imprécis, incertain, indéterminé.Concept, idée, indication, mot, notion, parole, promesse, propos, réponse, sens, terme vague; vague idée, notion. Du reste, médiocres en tout, ils [les rapports] étoient erronés dans les faits, vagues dans les vues, et décousus dans les moyens (Chateaubr., Mél. pol., t. 2, 1816, pp. 118-119).On a fait tort jusqu'ici au personnalisme en le considérant comme une philosophie particulière (...). Elle prend alors la forme d'un vague éclectisme qui ne peut que le desservir auprès de tous ceux qui estiment à juste titre qu'une pensée véritable doit être systématique et rigoureuse (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 1).
2. [En parlant d'une entité concr.] Synon. approximatif, douteux, incertain.Forme, murmure, reflet, soupir, son, vapeur vague; contours vagues. Quel calme! J'entends monter, confondues en une rumeur vague, les conversations des promeneurs, les voix joyeuses des enfants qui jouent (Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 32).− En partic. [En parlant d'une couleur, d'un dessin, d'une nuance, d'une teinte, etc.] Qui reste flou, imprécis et comme voilé. Contours vagues. Quand la nuit tombe, il n'y a plus de lumière nulle part. On aperçoit seulement contre une vague lueur de lune, du côté du port, un pont tournant en fer coupé au milieu (Jouve, Scène capit., 1935, p. 66).
B. − Qui traduit, qui exprime des pensées, des sentiments, un comportement indécis, confus, incertain. Air, œil, regard vague. Au delà des fortifications, trébuchant dans les ornières de plâtre, je rencontre le battu, l'assommé, allant devant lui avec des gestes vagues, sans chapeau, sans redingote, des lambeaux de chemise pendants (Goncourt, Journal, 1864, p. 42).− [P. méton.; en parlant d'une pers.] Qui reste imprécis dans ses propos, indécis dans ses engagements. Il faut pourtant se décider. Excuse-moi si je suis vague et pénible! Je suis si fatigué (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1906, p. 340).
C. − [Antéposé, l'adj. a un sens légèrement atténué] Qui n'est pas très discernable, qui est difficile à percevoir, à identifier, à définir. Synon. indéfini.Vague appréhension, besoin, désir, inquiétude, intention; vague ennui, vague sourire. N'est-il pas permis de soutenir que, sans connaître ces théories, nous en avons un vague pressentiment, (...) et que nous faisons allusion à ce rapport mathématique très précis, quoique confusément aperçu, quand nous affirmons d'un son qu'il présente une intensité supérieure? (Bergson, Essai donn. imm., 1889, p. 18).Aussi n'est-ce pas pur caprice de ma part, ou vague intuition, qui me portait à ouvrir les portes du studio de musique concrète à la fois aux poètes en rupture de langage verbal, et aux musiciens en rupture de ban mélodique (Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p. 163).
D. − Imprécis, lointain; qui demeure dans un flou qui ne manque pas parfois d'agrément. Synon. approximatif, faible.Vague murmure, souvenir. À la grande voix qui disait la mélancolie vague et flottante du siècle naissant répond, après cinquante années, une voix moins harmonieuse, plus tourmentée, plus pénétrante aussi, qui précise ce que chantait la première, qui dit dans une langue plus serrée des tristesses plus réfléchies et des impressions plus subtiles (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 38).La scène (...) d'où je sors comme d'un cauchemar, courbaturé et meurtri, sans souvenir précis (...) sinon un souvenir vague d'épouvante et d'humiliation (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 115).
E. − Qui n'est pas ou qui est mal ajusté. Robe, manteau vague. Quelqu'un de ces passants, fier, aveugle et muet, Hôte de son linceul vague, se transmuait En le vierge héros de l'attente posthume (Mallarmé, Poés., 1898, p. 54).
F. − Qu'il est difficile ou impossible de définir, de localiser; p. méton., dont le fonctionnement est incertain. Douleurs vagues. Le rhumatisme inflammatoire commence par l'articulation des genoux, et de là se répand dans d'autres parties. Le rhumatisme est donc tantôt fixe, tantôt il est vague et change de place (Geoffroy, Méd. prat., 1800, p. 409).Pitteaux avait de la peine à avaler, et l'estomac, l'estomac surtout (...) était vague et gargouilleur (Sartre, Sursis, 1945, p. 114).− ANAT. Nerf vague ou, empl. subst. masc., le vague. Nerf aux ramifications dispersées. Synon. nerf pneumogastrique*.Nous sommes sous la puissance du vague pendant la digestion et dans le sommeil; il [le vagotonique] a plus de pouvoir chez la femme qui conçoit, nourrit et protège que chez l'homme qui sème, s'agite et conquiert (Mounier, Traité caract., 1946, p. 174).
G. − [Gén. devant le nom] Dont l'identification est difficile ou importe peu. Synon. insignifiant, quelconque.
1. [En parlant d'un animé] Il tombait dedans [dans le canot] des passants, des passantes, des camarades des deux sexes, des à peu près de peintres, des espèces d'artistes, des femmes vagues dont on ne savait que le petit nom (Goncourt, Man. Salomon, 1867, p. 98).C'est Labri, le chien de l'autre escouade. Labri, vague berger mâtiné à queue coupée, est couché en rond sur une toute petite litière de poussière de paille (Barbusse, Feu, 1916, p. 150).
2. [En parlant d'un inanimé] Occuper de vagues fonctions. Je sentais errer en moi une désolation si affreuse, si définitive, que je n'ai voulu rien dire, rien demander à l'enfant qui m'accompagnait. On sentait, amèrement, de vagues habitations, parfois, sur le bord du chemin. Dans l'une, tout près, on s'est mis à jouer du cor de chasse (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1910, p. 232).
II. − Subst. masc.
A. − Dans le domaine
affectif, intellectuel, sensible.Ce dont on ne peut pas prendre conscience avec précision, netteté, rigueur. Synon. imprécision, flou.Il se souvint seulement alors des lettres de Mmede Fervaques (...). Il les chercha; elles étaient réellement presque aussi amphigouriques que celles du jeune seigneur russe. Le vague était complet. Cela voulait tout dire et ne rien dire (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 407).Nous ne travaillons pas à l'aventure, dans le vague et l'indéterminé; mais l'ordre des choses dirige notre effort, soutient notre pensée, oriente notre action par d'insensibles contradictions (Blondel, Action, 1893, p. 224).− [Le suj. désigne une pers.] Être, rester dans le vague. Tenir des propos, avoir des projets qui manquent de clarté, de précision. Lorsqu'il l'interrogeait sur ses projets, avec la discrétion et le respect dont il était coutumier, M. Élie restait dans le vague. Léon hésita longtemps à parler à son oncle avec énergie (Montherl., Célibataires, 1934, p. 866).
− Caractère de ce qui est imprécis, indécis, mal défini. Il reste à parler d'un état de l'ame, qui, ce nous semble, n'a pas encore été bien observé; c'est celui qui précède le développement des grandes passions (...). Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 411).Le Gide toujours fin, bien qu'un peu monotone, le Saint-Pol Roux étincelant et naïf, des vers de Griffin extrêmement beaux, des vers de Mockel d'un vague charmant (Rivière, Corresp., [avec Alain-Fournier], 1906, p. 326).
B. − Espace mal délimité où se perdent les regards. Tout point de vue, quel qu'il soit, ne saurait être attachant qu'autant qu'il est gradué, et terminé par des masses assez fortes pour empêcher les regards de se perdre dans le vague: comme il arrive en pleine mer, où la vue défaillante et rebutée se lasse bientôt de chercher un point d'appui (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 331).Il regardait dans le vague. Je crois qu'il cessait de me voir et oubliait que c'était à un enfant qu'il parlait (Gide, Si le grain, 1924, p. 493).
C. − Vague à l'âme. Difficulté d'être, mal de vivre sans cause bien définie où se sont complus notamment les Romantiques. Dans notre romantisme moderne, la pédérastie et la masturbation remplacent le spleen et le vague à l'âme du romantisme des premiers âges (Aymé, Confort, 1949, p. 91).Avoir du vague à l'âme. Ce que j'allais faire n'était pas très raisonnable; après huit jours passés avec Philippe, je ne le quitterais sûrement pas sans un sérieux vague à l'âme; mais tant pis; d'abord j'avais envie de lui; quant au vague à l'âme, j'en aurais de toute façon. J'en avais déjà (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 308).
REM. 1.
Vagotomie, subst. fém.,méd. [Corresp. à supra I F] Opération chirurgicale par laquelle on procède à la section du nerf pneumogastrique. On adjoint souvent à cette dernière opération une section des nerfs, pneumogastriques parasympathiques, ce qui tend à diminuer la sécrétion gastrique: c'est la vagotomie (Quillet Méd.1965, p. 139).
2.
Vaguesse, subst. fém.,peint. Touche de couleur qui donne au tableau un ton léger, vaporeux, indécis. Mais la touche de Téniers (...) est inégale (...) parce que sa main est guidée par le sentiment continuel de la perspective (...) Plus l'atmosphère s'épaissit par la distance, plus la couleur s'amincit pour en indiquer les couches successives par sa transparence et sa vaguesse (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin, 1876, p. 578).
3.
Vagulaire, adj.,littér., rare. Qui erre, qui suit un parcours fantaisiste. Il n'est plus rien de plus sage (...) que le peuple français dans ses familles, ses besoins (...) Il n'est rien de plus délirant que cette plèbe comiciale, infestée d'étrangers, errante et vagulaire (L. Daudet, Stup. XIXes., 1922, p. 24).
4.
Vagulant, -ante, adj.,littér., rare. Qui se laisse volontiers aller au vagabondage, à la divagation. Demandons-nous quel est cet acte d'intelligence qui organise et concentre la vagulante distraction en méditation sur un thème donné (L. Daudet, Rêve éveillé, 1926, p. 81).
Prononc. et Orth.: [vag]. Homon. et homogr. vague2, 3 et 4. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Adj. A. 1213 « errant, vagabond », ici subst. (Faits des Romains, éd. L. F. Flutre et K. Sneyders de Vogel, p. 100, ligne 15); 1485 adj. vague et fugitif vagabond (Mystere Viel Testament, V, 2781, éd. J. de Rothschild, t. 1, p. 106), en a. et m. fr. B. 1. 1316-28 « imprécis, non défini » ces vagues cojitacions (Ovide moralisé, livre VIII, 3687, éd. C. de Boer, t. 3, p. 198); cf. 1531 [éd.] (J. de Vignay, Mir. histor., XX, 73 ds Gdf. Compl.); 2. 1690 « dont le sens est difficile à saisir du fait de son caractère imprécis ou flottant » discours vague (Fur.); 3. fin xviies. « qui traduit, exprime des pensées, des sentiments indécis, confus » des oppositions vagues et en l'air (Boss., Lett., 211 ds Littré); 4. 1763 « que le caractère mal établi, lointain de son objet rend faible ou peu perceptible; que l'on ne peut préciser » une image confuse d'une image vague (Marmontel, Poétique fr., p. 179); 5. 1869 « (d'une personne) qui manque d'exactitude, de précision dans l'expression de sa pensée » (Th. Gautier, Feuilleton du Journ. offic., du 26 juin ds Littré). C. 1. 1611 « qu'on ne peut localiser avec précision ou certitude » fièvre vague (Cotgr.); 2. a) 1672 « qu'on ne peut distinguer nettement, dont l'apparence sensible reste indéfinissable » de vagues chimères (Corneille, Pulchérie, IV, 3); b) 1745 peint. (Bosse, Manière de graver, p. 74); 3. 1864 « se dit d'un mouvement imprécis, à peine ébauché et dont la signification n'apparaît pas clairement » un geste vague (Goncourt, loc. cit.); 4. 1890 « dont l'identité précise importe peu; insignifiant, quelconque » [toujours avant le subst.] un vague service rendu (Zola, Bête hum., p. 96); 5. 1895 « (d'un vêtement) qui n'est pas ajusté » la forme de ses robes... semblait vague (Gyp, Leurs âmes, p. 65). D. 1771 anat. nerf vague (Trév.). II. Subst. 1. 1550 « portion d'espace d'un milieu déterminé où les objets sont perçus très confusément » le grand vague liquide (Ronsard, Odes, V, VIII, 683 ds
Œuvres compl., éd. P. Laumonier, t. 3, p. 156); 2. 1699 « caractère de quelque chose qui est imprécis, indécis dans son apparence sensible », ici terme de peint. (R. de Piles, Vie des Peint., p. 321 ds Brunot t. 6, p. 710, note 9: une maniere claire, que les Italiens appellent Vague); 3. 1763 « caractère de ce qui est confus, indéfinissable dans le domaine intellectuel, affectif, sensible » c'est dans le vague qu'il se plaît (Marmontel, op. cit., p. 350); 4. 1765 « ce qui manque de netteté, de précision dans la pensée ou dans l'expression » (Encyclop. t. 16); 1793 laisser dans le vague « ne pas donner de précisions » (Staël, Lettres L. de Narbonne, p. 202); 5. 1803 le vague des passions (Chateaubr., Génie, t. 1, p. 411); 1830 vague à l'âme (Brazier et Dumersan, Les Brioches à la mode ds Quem. DDL t. 2). Empr. au lat. class.vagus « vagabond, errant » (d'où les 1resattest. du mot en a. fr. et m. fr.); puis « inconsistant, flottant, indéterminé, indéfini ». Bbg. Quem. DDL t. 2 (s.v. vague à l'âme), 12.
VAGUE2, adj.
Vieilli. [En parlant d'une étendue de terre] Qui est vide de cultures et de constructions à proximité des maisons; non entretenu. Synon. inculte, inoccupé, en friche.Au XVIIIesiècle, nous le verrons, il n'y avait pour ainsi dire point de prairies artificielles, de sorte que les contenances portées aux prés ne concernent que les prairies permanentes, et, dans une certaine proportion, des terres vagues servant au pâturage (Guyot, Agric. Lorr., 1889, p. 14).− Usuel. Terrain vague. Les ravins crayeux, les prairies argileuses s'étaient rétrécis en terrains vagues (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 199).
Prononc. et Orth.: [vag]. Homon. et homogr. vague1, 3 et 4. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1230 vake de « dénué de, dépourvu de, vide de » vake de prestre (Cart. du V. S. Lamb., Richel., l. 10176, fo29 rods Gdf.); ca 1260 « vide » siege vagues (Menestrel de Reims,338, Wailly, ibid.), en a. et m. fr.; 2. a) 1266 terre vacque « terrain où l'on n'a pas fait de constructions » (Franchise d'Orgelet, Droz, t. XXVI, Bibl. Besançon, ibid.), en fr.-prov. et dans les parlers du Nord (cf. ex. ds Gdf., v. aussi FEW t. 14, p. 110a); b) 1413 « où l'on n'a pas fait de construction » un courtil vague (ds Runk., p. 155); c) ca 1500 « laisser dans un état d'abandon et de dévastation » laissoient tout vaghe, hostelz et maisons (J. Froissart, Chron., éd. S. Luce, t. 4, p. 12); d) 1589 « qui n'est pas bâti, ni cultivé, ni occupé, dans une ville » vague et en friche (Attestation par les mayeurs de Houdschoote au sujet des terres abandonnées, Ch. des Comptes, Lille, B 2721 ds Gdf.); d'où 1690 dr. terres vaines & vagues (Fur.). Empr. au lat. class.vacuus « vide, inoccupé »; la lang. hésite au Moy. Âge entre les formes vaque et vague (supra), cette dernière forme a triomphé par confusion avec vague1*.
STAT. − Vague1 et 2. Fréq. abs. littér.: 6 151. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7 644, b) 9 859; xxes.: a) 10 142, b) 8 261.
VAGUE3, subst. fém.
A. − Mouvement ondulatoire qui apparaît à la surface d'une étendue liquide sous l'action du vent ou d'autres facteurs. Vague blanche, déferlante, effrayante, énorme, forte, grande, menaçante, noire, petite, puissante; vague de fond; bruit, clapotis, crête, écume, moutonnement, murmure des vagues; vague qui arrive, se dresse, s'élève, engloutit, se soulève, submerge. Une rive ainsi appelle, pour se rafraîchir, l'épanchement des vagues de la mer, et les vagues se succèdent éternellement. L'une après l'autre s'use (Saint-Exup., Citad., 1944, p. 515).À peine sait-il encore si l'hirondelle à tire-d'aile est l'oiseau des étangs de Combourg (...), celui qui voletait autour de la voile d'un exilé volontaire bercé par les vagues du lac de Lugano (Durry, Nerval, 1956, p. 75).− OCÉANOGR. ,,Système ou train d'ondes progressives à mouvement oscillatoire dessinant des crêtes et des creux qui affectent la surface de la mer`` (George 1984). Vagues forcées, libres, océaniques, perpendiculaires; vagues d'arrivée, de retour; déferlement des vagues. On est effrayé par la solidité qu'il faudrait donner aux installations utilisant cette énergie [de la mer déchaînée], pour leur permettre de résister victorieusement aux chocs répétés des vagues de tempête (Romanovsky, Mer, source én., 1950, p. 16).
− P. méton., littér., sing. coll. La vague. Surface de la mer en mouvement; flot. Ton fin sommeil se noue et ta bouche se fronce Quand se perd ton bel œil sur une mer de toits. Un gars bien balancé par la vague et le vent Dans sa gueule ébréchée où je voyais souvent S'entortiller la pipe à mes jupes de femmes Ce gars passait terrible au milieu d'oriflammes (Genet, Poèmes, 1948, p. 60).
− P. métaph. (Être au) creux* de la vague.
B. − Au fig. ou p. anal.
1. Phénomène qui naît, s'amplifie et retombe selon un mouvement qui rappelle celui des vagues. Vagues d'applaudissements, de protestations, de tendresse; vagues de la passion. La vague de douleur se retira, emportant avec elle la volonté qui lui avait été opposée, et ne laissa que la souffrance ensommeillée, à l'affût (Malraux, Voie roy., 1930, p. 227).Au matin, les concierges trouvaient des nouveaux-nés dans tous les ascenseurs. Bien plus, une vague de sentimentalité, d'un ordre nouveau, déferla sur la France (Aymé, Puits, 1932, p. 112).♦ Vague de fond. Déferlement de forces irrésistibles qui prennent naissance loin dans le temps et dans l'espace. Synon. lame* de fond, raz* de marée.J'ai été mêlé si fort à quantité de choses qu'il m'en tombe de la mémoire, et pas une, cinquante. Une vague de fond me les remonte à la surface, avec, comme dit la Bible, tout ce qu'il y a dedans (Cocteau, Diff. d'être, 1947, p. 175).
♦ Fam. Faire des vagues. Choquer, scandaliser. (Dict. xixeet xxes.). Ne pas faire de vagues, ou p. ell., pas de vagues! Éviter tout éclat, toute prise de position choquante. Dans un domaine qui peut être ressenti (à tort) comme inattendu par les inconditionnels du son et les fans de l'image, la Fnac intervient ainsi. Pour « déverrouiller », là encore, une profession où l'on veillait à ne surtout pas « faire de vagues » (L'Express, 28 août 1972, p. 5, col. 3).
2. Grand nombre d'hommes ou d'animaux qui déferlent en un même lieu à un même moment. Vagues d'immigrants. Magnifiquement lui-même dans ce décor de soutanes, dont la moire épuise toutes les nuances du violet, le défenseur de la foi considère, d'une prunelle affaiblie, son innombrable famille qui ne cesse maintenant d'affluer, qui vient respectueusement déferler, vague par vague, aux pieds de son fauteuil (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 236).− [Durant la première Guerre mondiale] Vague d'assaut. Ensemble des soldats de première ligne qui partaient en masse à l'assaut des positions ennemies qu'ils essayaient de submerger sous leur nombre et par la soudaineté de leur attaque. Devant notre feu les vagues d'assaut refluent, mais avec les prisonniers que leur a laissé notre première ligne débordée (Bordeaux, Fort de Vaux, 1916, p. 81).
3. Mouvement d'idées qui se répandent à un même moment. Vague rose, verte. [Watts] condamne le béton, les villes livrées à l'automobile, il chante la nature. Il annonce avec une quinzaine d'années d'avance la vague écologique (L'Express, 28 mars 1977, p. 41, col. 1).−
La nouvelle vague. La dernière génération dans ce qu'elle a de novateur dans ses modes de vivre et de penser, dans les tendances qu'elle exprime notamment en art et en littérature. Qu'il faut peu de temps à la nouvelle vague pour n'être plus si nouvelle! Une autre se gonfle et déjà vous presse. Vous laisserez-vous recouvrir? L'important est de survivre à tous ces brillants papillons (Mauriac, Nouv. Bloc-Notes, 1960, p. 340).♦ En partic. Les créateurs du cinéma, de la littérature de la fin des années 50. La révolution de l'écriture cinématographique qui se fait ainsi intéresse les producteurs, parce que le coût des films en est notablement diminué. On misera donc sur la « nouvelle vague », quitte à ce qu'elle soit, par la suite, une incitation à l'amateurisme, à l'à-peu-près, aux bredouillements d'un cinéma d'auteurs qui n'ont pas réellement compris la démarche de Truffaut, Godard, Chabrol, Resnais, Rivette, Rohmer, Demy, Agnès Varda et quelques autres (Le Monde aujourd'hui, 18-19 août 1985, p. IV, col. 2).
C. − P. anal.
1. Vaste étendue ondulée. Vagues d'un champ de blé, d'un désert de sable. Assis sur le bord du fossé, et les yeux perdus devant lui, il regarde longtemps, sans les voir, les grandes vagues de blé qui ondoient à l'infini, les villages enclos dans leur ceinture d'acacias (Tharaud, Ombre de la Croix, 1917, p. 190).J'ai traversé l'Atlas, les hauts plateaux et le désert (...) et les vagues de sable pendant des centaines de kilomètres, échevelées, avançant puis reculant sous le vent (Camus, Exil et Roy., 1957, p. 1580).−
Spécialement ♦ ARCHIT. Motif décoratif représentant la ligne ondée des vagues. (Dict. xxes.).
♦ COIFF. Large ondulation de la chevelure. Il regarde (...) ces cheveux en vague argentée (Colette, Ingénue libert., 1909, p. 246).
2. SPORTS ATHL. Dans le lancer du disque, mouvement particulier du bras du lanceur dans un style dit en vague (d'apr. Petiot 1982). ÉDUC. PHYS. ,,Dosage du travail en plein air réalisé par la formation de groupes homogènes appelés vagues`` (Petiot 1982).
3. Phénomène physique qui se déclenche brusquement et se propage. Vague de gaz, de parfum. Ma chambre est au troisième étage. Les vagues de sons montent du premier; il faut aller voir (Gide, Si le grain, 1924, p. 361).− MÉTÉOR. Vague de chaleur, de froid. Remarqué bien des fois l'aspect singulier que prend un appartement pendant une vague de chaleur. Il y a un air de désastre dans toutes les pièces, quelque chose d'indéfinissable, comme si la scène était prête pour une catastrophe (Green, Journal, 1943, p. 50).Si seulement ce voyage avec Henriette n'avait pas eu lieu ainsi stupidement en plein hiver, en pleine vague de froid (Butor, Modif., 1957, p. 124).
REM.
Vagueux, -euse, adj.[En parlant d'une surface liquide] Où se forment des vagues. Papier ornementé (...) avec son en-tête représentant une mer toute vagueuse, chargée de vaisseaux, une mer aux vagues ayant l'air d'une illustration (Proust, Temps retr., 1922, p. 710).P. anal. Qui ondule. Des allégories aux robes fluides et vagueuses (Goncourt, MmeGervaisais, 1869, p. 165).
Prononc. et Orth.: [vag]. Homon. et homogr. vague1, 2, 4. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1155 « inégalité de la surface d'une étendue liquide » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 2484); b) 1749 sing. coll. la vague « mouvement de la surface de l'eau » (Buffon, Hist. et théorie de la Terre ds Hist. nat., t. 1, p. 84); 2. a) 1775 « surface horizontale d'une certaine étendue agitée d'un mouvement ondulatoire dû au vent » (Voltaire, Hist. de Jenni ds Romans et contes, éd. H. Bénac, p. 531); b) 1842 « large ondulation de la chevelure » (Balzac, Mém. jeunes mariées, p. 169); c) 1842 « ligne ondulée figurant des vagues et servant de motif décoratif » (Ac. Compl.); 3. a) 1830 « phénomène qui naît, s'enfle et retombe comme une vague » (Lamart., Harm., p. 329); b) 1909 « phénomène physique qui se déclenche brusquement et qui envahit un lieu » (E. de Martonne, Traité de géogr. physique, pp. 201-202 ds Quem. DDL t. 30, s.v. cold wave); c) 1913 « déclenchement brusque d'un comportement » (Martin du G., J. Barois, p. 373); d) 1964 « difficulté, scandale » (Rob.); 4. a) 1892 « masse importante de personnes qui déferlent en un lieu » (Zola, Débâcle, p. 234); b) 1916 vague d'assaut (Barbusse, Feu, p. 377); c) 1957 la nouvelle vague « la dernière génération » (L'Express, 23 août ds Gilb. 1980); 1958 cin. (Le Monde, 9 nov. ds Gilb. 1971). De l'a. scand. v gr « mer », cf. aussi le m. néerl. wage, m. h. all. wâge « vague ». Fréq. abs. littér.: 2 858. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3 941, b) 4 485; xxes.: a) 4 594, b) 3 616.
DÉR.
Vaguette, subst. fém.Synon. rare de vaguelette.La mer (...) semblait assister, recueillie, au baptême de sa nacelle, roulant à peine, avec un tout petit bruit de râteau grattant le galet, des vaguettes hautes comme le doigt (Maupass., Une Vie, 1883, p. 43).P. anal. De temps en temps, la brise de la mer, soulevant les flasques vêtements des femmes immobiles et comme endormies, faisait courir sur le modelage des deux corps (...) de petites vaguettes d'étoffes (E. de Goncourt, Faustin, 1882, p. 2).− [vagεt]. − 1reattest. 1879 (Id., Zemganno, p. 20); de vague3, suff. -ette (v. -et).
BBG. − Hasselrot 20es. 1972, p. 62 (s.v. vaguette). − Monléon (M.-M. de). Dossiers de mots... Néol. Marche 1979, no15, p. 89. − Quem. DDL t. 15, 16, 27, 36.