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Pleurer

Variantes Singulier Pluriel
Masculin pleurer pleurers

Définitions de « pleurer »

Trésor de la Langue Française informatisé

PLEURER, verbe

I. − Empl. intrans.
A. − [Le suj. désigne une pers., les yeux d'une pers.] Verser des larmes (sous l'effet d'une douleur physique ou morale, d'une émotion pénible ou agréable). Synon. chialer (pop.), pleurnicher, sangloter.Dans le même instant j'entendis la vieille qui pleurait tout bas; elle sanglotait, et, de temps en temps, elle se baissait pour se moucher sous son manteau sans faire de bruit (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t.2, 1870, p.156).Je la regarde avidement: Oh! les pauvres yeux dorés qui ont pleuré et sont gonflés en dessous, les chers yeux qui me lancent un regard effaré et se détournent vite! (Colette,Cl. école, 1900, p.48):
1. Maman dépliait la lettre. Soudain, elle se cacha le visage dans son tablier et se prit à pleurer. Papa souriait, le sourcil dédaigneux. Joseph s'écria: −Ne pleure pas, Maman. Puisqu'on ne l'aimait pas, c'est pas la peine de pleurer. Duhamel,Notaire Havre, 1933, p.36.
SYNT. Être sur le point de pleurer; avoir envie de pleurer; se retenir, s'arrêter de pleurer; pleurer de plus belle; pleurer en silence; pleurer à seaux, à torrents; pleurer sur l'épaule, dans le giron de qqn; rire et pleurer, prier et pleurer.
1.
a) Pleurer de + subst.Ressentir vivement une atteinte physique ou morale au point d'en verser des larmes. Mon pauvre Auguste est malade, je crois, de la tristesse de ce séjour. Il pleure d'ennui sur mes genoux, regrette Mathieu et Adolphe qui s'occupaient tant de lui (Staël,Lettres L. de Narbonne, 1794, p.261).Deux fois par jour, devant ce bout de jambon et ces nouilles éternelles, mon estomac se contractait... J'en aurais pleuré de désespoir (Bernstein,Secret, 1913, i, 2, p.5).Éperdu sous les acclamations qui l'accueillaient et pleurant de joie, Jouffroy lança son pistolet à l'eau: il avait gagné la partie! (P. Rousseau,Hist. techn. et invent., 1967, p.239).
SYNT. Pleurer de bonheur, de désir, de plaisir; pleurer de dépit, d'indignation, de rage; pleurer de colère, de haine, de honte; pleurer d'angoisse, de terreur; pleurer de douleur, d'épuisement, de faim, de fatigue, de misère.
b) Pleurer dans (qqc.).Pleurer en se cachant des autres. Pleurer dans son assiette. Les témoins, pour être convenables, se tenaient debout tout le temps; tandis que maman Coupeau, reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu'elle avait emprunté à une voisine (Zola,Assommoir, 1877, p.496).Les uns se laissaient choir à terre en tas; et ils pleuraient dans leurs manches, comme des petites filles! (Adam,Enf. Aust., 1902, p.84).
c) En incise. Dire en versant des larmes. Pour moi, je me cale dans mon fauteuil et ferme les yeux pour mieux entendre. −Ce serait si gentil à vous! pleura Esmont (Miomandre,Écrit eau, 1908, p.152).Puis elle ne put s'empêcher de gémir et Pierre se réveilla. −Va chercher du secours, petit, pleura-t-elle. Va vite... Je suis trop malade (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p.271).
2. Loc. et expr.
a) Verser des larmes très abondantes, parfois accompagnées de plaintes et de gémissements.
Pleurer à chaudes larmes. V. larme.
Pleurer à pleins yeux, de tous ses yeux (vieilli). Renoncez à l'absurde projet d'épouser ma cuisinière, car vous ne devez pas lier votre sort au sort d'une servante, et je ne veux pas d'enfants dans la maison! L'infortuné pleura de tous ses yeux et se répandit en actions de grâces (About,Nez notaire, 1862, p.175).Madame Lepic se courbe. Il fait le geste habituel de s'abriter derrière son coude. Mais, généreuse, elle l'embrasse devant tout le monde. Il ne comprend plus. Il pleure à pleins yeux (Renard,Poil Carotte, 1894, p.247).
Pleurer comme une madeleine. V. madeleine1A.
Pleurer comme un veau, une vache (pop.). Il ne pouvait s'empêcher d'admirer la bonne humeur et verve comique du Pédant, qui trouvait à rire là où d'autres eussent gémi comme veaux et pleuré comme vaches (Gautier,Fracasse, 1863, p.157).Alexis se retourna sur le ventre avec violence, d'un coup, la tête dans l'oreiller, et se mit à pleurer, à pleurer comme un veau (Triolet,Prem. acroc, 1945, p.250).
b) Au fig.
C'est Jean qui pleure et Jean qui rit. Passer facilement du rire aux larmes, de la joie à la tristesse. Vous avez entendu tantôt Jean qui pleure, vous allez entendre Jean qui rit (Reybaud,J. Paturot, 1842, p.205).
Ne pleurer que d'un oeil. Feindre le chagrin, la tristesse. (Dict.xixeet xxes.).
Ne + verbe + que ses yeux pour pleurer.Avoir tout perdu. On se dit: Comme cela sera beau! Cela ressemblera, enfin, à la vie comme je l'ai rêvée... On vit le rêve une semaine et, après, il ne vous reste plus que les yeux pour pleurer (Anouilh,Répét., 1950, iii, p.87).
Adj. + à pleurer, à faire pleurer (péj.).Au point d'en verser des larmes, extrêmement. Après avoir été glorieux des succès de son fils, Melchior avait la honteuse faiblesse d'en devenir jaloux. Il cherchait à les rabaisser. C'était bête à pleurer (Rolland,J.-Chr., Matin, 1904, p.144).[L'oeuvre de Meissonier] cela est photographique à faire pleurer, exact sans grâce, sans humour, sans liberté technique (Mauclair,De Watteau à Whistler, 1905, p.162).
c) Proverbe. [P. allus. à Racine dans Les Plaideurs] Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera. Après la joie, vient la peine. P. plaisant. Je ne suis pas précisément aussi superstitieux: j'aime mieux rire le vendredi que pleurer le dimanche; faire un bon dîner à treize convives qu'un mauvais à douze (Jouy,Hermite, t.2, 1812, p.86).
3. Part. passé en empl. adj. [En parlant d'une durée] Passé à verser des larmes, à éprouver un grand chagrin. Un mot suffisait pour éterniser les heures de cette nuit pleurée, et ce mot, je ne l'ai pas dit (Ménard,Rêv. païen, 1876, p.103).Il était dit que ce serait un dimanche que je me remettrais à vous écrire. Tout prend une telle acuité de tristesse, à Saint-Léonard, un dimanche de pluie. Que de dimanches pleurés derrière ma fenêtre! (Montherl.,Lépreuses, 1939, p.1380).
4. [Le suj. désigne un jeune enfant ou un bébé] Exprimer par des larmes et des cris un besoin, une gêne physique, une angoisse. Elle portait le petit qui pleurait, il pleurait à fond, vous savez ces pleurs sans consolation où coule la détresse accumulée de toute une race (Frapié,Maternelle, 1904, p.302).MmeNecker de Saussure cite le cas d'un bambin de deux ans six mois pleurant parce que, en fermant une porte, des adultes avaient emprisonné dans leur chambre des canards et des poules cependant imaginaires (Jeux et sports, 1967, p.83).
P. anal. [Le suj. désigne un animal] Crier, se plaindre comme un enfant ou un bébé. On entendit un bêlement plaintif. C'était la petite chèvre qui pleurait (Hugo,N.-D. Paris, 1832, p.358).Je vois sa physionomie se transfigurer: un jardin desséché, dans lequel on ouvre des conduites d'eau, −ou le chien qui pleurait parce qu'on le laissait trop longtemps seul (Montherl.,Démon bien, 1937, p.1342).
5. En partic. S'attendrir, s'émouvoir à propos d'une oeuvre artistique. Une peinture [de Reynolds] qui fait pleurer les vieilles dames et soupirer les jeunes filles, impuissante, équivoque, perverse, traînant dans des ruisseaux de parfums et de caramels le manteau de Rembrandt (Faure,Hist. art, 1921, p.147).Le mélodrame où pleurait Margot déroulait sans doute des intrigues ténébreuses dans la plus haute société; mais l'essentiel est que Margot pleure, touchée par l'humble vérité parée d'un faux luxe (Arts et litt., 1935, p.88-5).
6. Verser des larmes sous l'effet d'une cause irritante. Je me mis à courir sans lever la tête, car le froid était tel que mes yeux en pleuraient derrière les grands poils du collet (Erckm.-Chatr.,Conscrit 1813, 1864, p.22).Je ne peux pas éplucher des oignons sans pleurer, est-ce ma faute? (Bernanos,Joie, 1929, p.616).Les muqueuses oculaires et nasales s'enflamment à leur tour. Les yeux pleurent et par les narines s'écoule un jetage abondant (Garcin,Guide vétér., 1944, p.234).
7. P. anal.
a) [Le suj. désigne une chose] Répandre, verser (goutte à goutte) un liquide. Près de la sente se trouve une source cachée qui, d'une roche moussue, pleurait autrefois goutte à goutte dans une vasque d'argile (Moselly,Terres lorr., 1907, p.89).Sulphart cherchait à atteindre sa chaussure, pour abattre la bougie qui pleurait sur le bas flanc (Dorgelès,Croix de bois, 1919, p.20).
P. métaph. Le vent faisait rage (...) Le ciel pleurait, les arbres luttaient contre la tourmente (Nerval,Nouv. et fantais., 1855, p.160).
En partic. [Le suj. désigne un végétal qui exsude sa sève] À peine dans le Bois nous commençâmes de respirer les bourgeons qui pleurent, et je ne sais quelle langueur dans l'air (Toulet,Nane, 1905, p.72).Dans cette vallée étroite, bien exposée au soleil, le printemps était plus avancé. La vigne commençait à pleurer (Giono,Bonheur fou, 1957, p.134).
b) Émettre un son, un bruit semblable à une plainte ou un gémissement. La bise pleurait sous les porches déserts de la cathédrale (Sand,Lélia, 1833, p.77).Comme l'accordéon pleurait entre les mains de Hans le mélancolique, Joseph poussa le joyeux éclat de rire des montagnes, à quoi tout la salle répondit (Jouve,Scène capit., 1935, p.12):
2. J'entends encore, dans mon coeur, pleurer la cloche de la chapelle aujourd'hui abandonnée qui m'était apparue, il y avait dix ans, toute feutrée de neige. Jammes,Mém., t.3, 1923, p.28.
c) S'incliner, pencher vers le sol. Le grand Pré-aux-Clercs (...) encadré de ses saules gris ébouriffés et de ses saules verts pleurant dans l'eau (Nerval,Nouv. et fantais., 1855, p.192).Nous trouvons la princesse dans son salon, l'air abattu, désolé, sa robe pleurant autour d'elle (Goncourt,Journal, 1864, p.99).
8. Empl. impers. Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville (...) Il pleure sans raison Dans ce coeur qui s'écoeure (Verlaine,Romances sans par., 1874, p.14).
B. − P. méton.
1. Être affligé, avoir une très grande peine, manifester du chagrin avec ou sans larmes ou plaintes. Pleure homme, pleure; verse des larmes de douleur, et apprends combien ton empire a changé! Il est livré à une guerre civile universelle (Saint-Martin,Homme désir, 1790, p.128).Ah! laissez pleurer mon coeur, me dit-elle; il fait froid, ce soir, et mon coeur est nu (Malègue,Augustin, t.1, 1933, p.325):
3. Tous les rôles sont changés. Au moment où les poètes anglais et français pleurent et se lamentent, les jeunes poètes allemands commencent à se divertir et à banqueter. Quinet,All. et Ital., 1836, p.112.
P. métaph. Son coeur n'a jamais battu d'un sentiment profond de tristesse à la vue d'un malheureux comme lui. Son oeil sans larmes s'est fermé au sommeil à côté de la misère qui veille et qui pleure (Nodier,J. Sbogar, 1818, p.166).La société alors se soulève d'indignation; le travail pleure de se voir bientôt libre; la démocratie frémit de l'abaissement du pouvoir (Proudhon,Syst. contrad. écon., t.1, 1846, p.262).Ah! la douleur, quand on n'a pas le don de la pouvoir habiller superbement, de la transformer en pages littéraires ou musicales qui pleurent magnifiquement, le mieux serait de n'en pas parler (Huysmans,Là-bas, t.1, 1891, p.145).
Pleurer sur...S'affliger à propos de quelqu'un, s'apitoyer sur quelqu'un ou quelque chose. Ce deuil de l'âme humaine pleurant, non sur la tombe d'un être aimé, mais sur l'innocence évanouie, la justice perdue (Monod,Sermons, 1911, p.259).Il avait envie de pleurer sur tant de douleurs inutiles, car même son amour sacrifié ne servirait pas à bâtir du bonheur (Estaunié,Ascension M. Baslèvre, 1919, p.189):
4. ... cette princesse, éprise d'un rajah que la rigueur paternelle lui refusait comme époux, fut bannie sur un îlot où elle passa le reste de ses jours à pleurer sur son triste sort; chaque larme, en tombant dans les flots, se métamorphosa en perle fine. Metta,Pierres préc., 1960, p.117.
Pleurer de ce que...Manifester du chagrin à propos de quelque chose. Le sacristain pleure de ce que l'inscription est cachée (Michelet,Journal, 1831, p.93).
Pleurer de qqn, de qqc. (vieilli).Compatir, s'intéresser. Oh! chère, j'eusse pleuré de vos embarras, pleuré de vos ennuis, et je me serais résigné à deux ans de travail (Balzac,Lettres Étr., t.2, 1842, p.13).
Pleurer de + inf. (vieilli et/ou littér.).Se lamenter. Jeannie, ma belle Jeannie, écoute un moment l'amant qui t'aime et qui pleure de t'aimer, parce que tu ne réponds pas à sa tendresse (Nodier,Trilby, 1822, p.118).En tête, la tribu bariolée des imbéciles! Ils mènent tout, portent les clés, ouvrent les portes, inventent les phrases, pleurent de s'être trompés, assurent qu'ils n'auraient jamais cru... (Gobineau,Pléiades, 1874, p.22).
2. Présenter une doléance, se plaindre en cherchant à apitoyer, à forcer la compassion d'une personne, d'une instance. Synon. implorer.Mais je méprise et je hais, mais j'en veux à ces misérables Français qui pour avoir la paix ont vendu deux provinces et ensuite sont allés pleurer à l'assemblée de Bordeaux (Péguy,Argent, 1913, p.1237).
Pleurer après qqc. (pop.).Quémander avec une insistance un peu geignarde. Seulement, comme madame pleurait sans cesse après l'argent (...) [Rachel] pinçait de plus en plus les lèvres (Zola,Pot-Bouille, 1882, p.259).
Pleurer dans le gilet de qqn (fam.). Se plaindre de quelque chose auprès de quelqu'un. À côté de Vance se tenait, autre magicien, le chanteur Barrams, dont un de nos amis fut si amoureux qu'il en pleurait dans le gilet de ses voisins (Fargue,Piéton Paris, 1939, p.53).
3. Pop. Pleure pas tu la reverras ta mère, ton étable. Cesse de te plaindre, tu retourneras chez toi. Lâche tes trente bourgues et ne pleure pas: tu la reverras ton étable (Dorgelès,Croix de bois, 1919, p.113).Le quolibet a cours avant mars 1915, étant dans le texte «On va tous être tués ici. Pourquoi qu'on reste ici? Gaspard lança, méprisant: −Pleure pas, va, t' la r'verras ta mère!» (Esnault,Notes compl. Poilu, [1919], 1957).
II. − Empl. trans. [Le suj. désigne une pers.]
A. − [Avec un compl. d'obj. dir.]
1. Pleurer qqn, qqc.Éprouver un grand chagrin à propos de la disparition de quelqu'un, de la perte de quelque chose.
a) Pleurer qqn, la mort de qqn.Mes larmes ayant trouvé un passage, je pleurai ma soeur et mon unique compagne, avec tant de violence, que j'épuisai l'humeur qui m'étouffait et me serrait le coeur (Restif de La Bret.,M. Nicolas, 1796, p.117).Toute la nuit les Barbares pleurèrent leurs morts avec des hurlemens sauvages (Michelet,Hist. romaine, t.2, 1831, p.158):
5. Le cabinet était le cabinet du Ministre des Affaires étrangères; ces trois hommes étaient Walewski, le prince Napoléon et lui, et ce qu'ils pleuraient tous trois, c'était la même maîtresse, dont ils pleuraient la mort qu'ils venaient d'apprendre: Rachel. Goncourt,Journal, 1864, p.105.
b) Pleurer qqc., la perte de qqc.MmeRastoil, à demi vêtue d'un peignoir, pleurait le meuble de son salon, qu'elle venait justement de faire recouvrir (Zola,Conquête Plassans, 1874, p.1205).Un jeunot pleurait ses trente francs qui étaient partis en apéritifs (Giono,Baumugnes, 1929, p.120).
c) P. méton.
Éprouver du remords (pour). Synon. déplorer.[Sa mère] avait pleuré sa faute, et, peu à peu, l'avait presque oubliée (Maupass.,Pierre et Jean, 1888, p.358).Vous, en détestant, en pleurant vos péchés, vous avez allégé, vous avez délesté, si l'on peut dire, cette croix du fardeau de vos fautes (Huysmans,En route, t.2, 1895, p.67).
S'émouvoir (d'un grand malheur); regretter (une chose perdue). Quelques vieillards intraitables ou de vieilles femmes pleurant leur influence passée (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.205).C'étaient des malheurs plus grands que les siens qu'elles supportaient, ces femmes d'ailleurs. Elles pleuraient leur foyer dévasté (Roy,Bonheur occas., 1945, p.283).
2. Pleurer qqc.
a) Quémander, mendier quelque chose. Mon Dieu (...). Donne au malade la santé, Au mendiant le pain qu'il pleure, À l'orphelin une demeure, Au prisonnier la liberté (Larmart.,Harm., 1830, p.316).
b) [Dans des expr. négatives] Dépenser, ne pas épargner. Ne pas pleurer sa peine, son argent. (Dict.xixeet xxes.).
c) Pleurer misère. Se plaindre sans cesse de manquer d'argent, feindre d'être dans la gêne. C'était une sourde rancune contre la Levaque, qui avait pleuré misère, la veille, pour ne rien lui prêter; et elle la savait justement à son aise, en ce moment-là (Zola,Germinal, 1885, p.1216).Ses parents ne lui envoyaient plus un sou, pleurant misère, pour qu'il les soutînt à son tour; il avait renoncé au prix de Rome, certain d'être battu, pressé de gagner sa vie (Zola,L'OEuvre, 1886, p.170).
d) Pleurer famine. Être dans la plus grande pauvreté. Le riche vit dans l'abondance, pendant que l'ouvrier pleure famine. J'établirai des impôts sur le pain, le vin, la viande, le sel et le miel, sur les objets de nécessité et sur les choses de prix, et ce sera une aumône pour mes pauvres (Proudhon,Syst. contrad. écon., t.1, 1846, p.258).
3. Fam. Pleurer qqc. à qqn.Donner avec réticence une chose qu'on réclame, à laquelle on a droit. Synon. lésiner, mesurer.Aux petits des oiseaux Dieu donne la pâture mais sa bonté s'arrête à la littérature; ou, pour être plus juste, c'est notre république qui traite en marâtre le professorat et lui pleure les vivres (Amiel,Journal, 1866, p.77).
4. En partic. Dire quelque chose sur le ton de la plainte, en ayant l'air de pleurer. Une voix de femme pleure sur un ton nasillard quelque romance (Vallès,Réfract., 1865, p.189).
B. − [Avec un compl. d'obj. interne]
1. Laisser couler de ses yeux, verser, répandre. J'ai passé par là, moi aussi. J'ai pleuré les larmes des longs départs (Flaub.,Corresp., 1861, p.414).
Pleurer toutes les larmes de son corps. V. larme.
Pleurer des larmes de sang. V. larme.
P. métaph. La tombe était refermée, la trouée blanche se trouvait à jamais bouchée par ces quelques planches noires d'humidité, vertes de mousse, sur lesquelles les escargots avaient pleuré des larmes d'argent (Zola,Fortune Rougon, 1871, p.190).
2. P. anal. Laisser couler, déverser (un liquide). La lampe pleurait lentement ses gouttes d'huile (Estaunié,Empreinte, 1896, p.41).[Arthur] se réfugia dans une baignoire mal rincée, dont les robinets dénickelés pleuraient tous deux la même eau tiédasse (H. Bazin, Tête contre murs, 1949, p.85).Un pressoir après l'autre gémissait, pleurait le cidre, pleurait l'huile (Colette,Pays connu, 1949, p.67).
En partic. Répandre (de la sève, une exsudation). Ouvriers de tout âge, mêlant rires clairs et rires graves, au pied des ceps à déchausser, des ceps qui pleuraient leur sève (Pesquidoux,Livre raison, 1925, p.153).
C. − Empl. pronom., rare. Pleurer sur soi-même, s'attendrir sur son propre sort. Elles sont lasses de la souffrance avant qu'on ait encore souffert; cela se lit sur leurs visages: à livre ouvert, si elles savaient! Je les surprends à pleurer: elles se pleurent elles-mêmes (Montherl.,Port-Royal, 1954, p.998):
6. Pépin, grand garçon pâle assez pareil d'aspect au masque enfariné que se faisait le Pierrot Debureau, tenait sa longue tête dans ses longues mains et se pleurait très sincèrement comme s'il en eût valu la peine. Vigny,Mém. inéd., 1863, p.128.
REM. 1.
Pleurailler, verbe trans.,péj., hapax. Dire en pleurant, exprimer avec des sanglots, des trémolos dans la voix. Le curé de Sainte-Clotilde, église où s'est donnée la bénédiction nuptiale, a eu l'audace et le cynisme effarants de pleurailler un discours attendri sur ces crapules (Bloy,Journal, 1904, p.244).
2.
Pleurarder, verbe intrans.,péj., hapax. Parler, dire en pleurnichant, d'un ton pleurard. J'ai demandé congé pour suivre le convoi d'un illustre [Murger] (...) je veux entendre (...) ce que l'on dira sur sa tombe. On a pleurardé, voilà tout (Vallès,J. Vingtras, Insurgé, 1885, p.21).
3.
Pleurer, subst. masc.[En oppos. au rire] Le fait de pleurer, de verser des larmes. Diverses manifestations paroxystiques peuvent également s'observer chez ces malades: notamment, des accès de rire et de pleurer spasmodiques (Mayds Nouv. Traité Méd.fasc. 41925, p.61).Et j'entends près de moi le vieux qui dit, dans son rire pareil à du pleurer: −Non, compagnon, non, avec moi, il n'y a rien à faire (Giono,Baumugnes, 1929, p.114).L'affaiblissement intellectuel est de règle, avec souvent du rire et pleurer spasmodique, ces derniers troubles réalisant un aspect fruste de paralysie pseudo-bulbaire (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946, p.250).
4.
Pleuré, subst. masc.,hapax. Chagrin. Julia sent toute l'écorce de cette tête qui tremble et craque, trop pleine de ce grand pleuré de tant de jours (Giono,Gd troupeau, 1931, p.219).
5.
Pleuré, -ée, subst.Celui, celle que l'on pleure. Vous me dites que votre vie n'aura plus de côté riant, que je n'en puis tirer que tristesses. Je le sais bien, monsieur, mais cela m'éloignerait-il, moi qui aimais Marie, votre pleurée? (E. de Guérin,Lettres, 1835, p.90).
6.
Plorer, verbe,vx. Pleurer. Mais un beau jour, en entendant interroger un jeune page, Eudémon, qui n'avait que deux ans d'études, et qu'on avait voulu confronter avec lui, Gargantua fut si confus de le voir grandement éloquent, qu'il se prit à plorer comme une vache, et à se cacher le visage de son bonnet (Sainte-Beuve,Tabl. poés. fr., 1828, p.270).
Prononc. et Orth.: [ploe:ʀe], [plø-], (il) pleure [ploe:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 938-950 plorer «répandre des larmes» (Jonas, éd. G. de Poerck, 167); 1180-1200 pleurer à chaudes charmes, v. larme; b) fin xes. pleurer qqn (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 258); 2. 1240-80 ne plorer pas les despens «ne pas regretter les dépenses» (Baudouin de Condé, Dits et Contes, éd. A. Scheler, t.1, p.240), a survécu dans les dial., v. FEW t.9, p.76; 3. 1454 en partic. [d'arbres] «exsuder» (Pierre Chastellain, Temps recouvré, 1546 cité ds R. Ling. rom. t.46, p.507). Du lat. plorare «se plaindre, se lamenter, pousser des cris de douleur», empl. dans la lang. pop. comme synon. expr. de lacrimare «verser des larmes», sens avec lequel il est passé dans les lang. romanes. Fréq. abs. littér.: 11356. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 15726, b) 19258; xxes.: a) 21012, b) 11915. Bbg. Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.133-134.

Wiktionnaire

Nom commun - français

pleurer \plœ.ʁe\ ou \plø.ʁe\ masculin

  1. Action de pleurer.
    • C’était un pleurer silencieux et résigné qui ne cherchait ni à se contenir ni à se montrer. — (George Sand, Jeanne, 1844)

Verbe - français

pleurer \plœ.ʁe\ ou \plø.ʁe\ intransitif ou transitif 1er groupe (voir la conjugaison)

  1. Répandre des larmes.
    • […] des hommes mûrs pleuraient à la vue du drapeau étoilé soutenu par tout le corps de ballet noyé sous les clartés des projecteurs. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 213 de l’édition de 1921)
    • Elle avait dû, jadis, pleurer deux fois chaque chagrin, car ses prunelles aussi étaient rouillées. — (Jean Giraudoux, Provinciales, Grasset, 1922, réédition Le Livre de Poche, page 24)
    • Elle mit un instant à recouvrer son souffle. Non ! Elle ne pleurerait pas devant lui. — (Out-el-Kouloub, Zaheira, dans Trois contes de l’Amour et de la Mort, 1940)
    • Elle pleurait simplement, sans aucun sanglot, mais n’en paraissait que plus pitoyable. — (Pierre Louÿs, Trois filles de leur mère, René Bonnel, Paris, 1926, chapitre IV)
    • Autant pour moi monsieur le directeur, autant pour moi. Si ça continue, c’est moi qui vais finir par pleurer ! Mais rassurez-vous, juste des larmes d’expert-comptable, monsieur le directeur. — (Emmanuelle Ménard, Deux jours comme l’hiver, L’Harmattan, 2012, page 41)
  2. Déplorer les fautes quelqu’un, ses égarements, ses malheurs, sa perte.
    • Et quand ils ont bien bu
      Se plantent le nez au ciel
      Se mouchent dans les étoiles
      Et ils pissent comme je pleure
      Sur les femmes infidèles.
      — (Jacques Brel, Amsterdam, 1964)
  3. Faire apparaître un écoulement de larmes déterminé par une cause physique.
    • Les yeux lui pleurent, ses yeux pleurent.
  4. (Agriculture) Dégoutter de la sève du bois d’un arbre ou d’un arbuste, après qu’il a été fraîchement taillé.
    • La vigne pleure.
  5. (Figuré) (Familier) Faire pitié pour obtenir quelque chose.
    • Pleurer pour avoir quelque chose.
  6. Se dit du cri du goéland, du crocodile.
    • L’oiseau de mer n’a pas de ramage, mais un cri qui varie du rauque au lugubre ; certaines espèces de goélands se plaignent comme des enfants qui pleurent ; d’autres, nommés par les matelots goddes, poussent des ricanements étranges. — (Victor Tissot, ‎Constant Améro, Les Contrées mystérieuses et les peuples inconnus, Librairie de Firmin-Didot et Cie, Paris, 1884)
    • Où semblent dans la nuit flotter des linceuls blancs,
      Passer, creusant les flots, chassant les goëlands,
      Populaces d’oiseaux qui pleurent et qui huent,
      L’aquilon, fossoyeur des fosses qui remuent ; […]
      — (Victor Hugo, La Fin de Satan (1886), in Œuvres complètes de Victor Hugo, Éditions Hetzel-Quantin, tome 23, 1962)
    • Pourquoi pleurent les goélands ? Tournant au-dessus du port, au-dessus de la maison ? — (Tudi Kernalegenn, Luttes écologistes dans le Finistère : les chemins bretons de l’écologie, Yoran Embanner, 2006)
  7. (Transitif) Regretter ou déplorer la perte de quelque chose ou quelqu’un ; s’en affliger.
    • La douleur d’Ernestine était plus profonde qu’on ne devait l’attendre d’une personne de son âge : elle pleurait madame Dufresnoi, elle la pleurait amèrement […] — (Marie-Jeanne Riccoboni, Histoire d’Ernestine, 1762, édition Œuvres complètes de Mme Riccoboni, tome I, Foucault, 1818)
    • Or, n’ayant à pleurer personne à Paris, sur le soir, j’eus l’idée d’aller au moins jusqu’à Bagneux visiter la tombe d’un poète que tous ces gens […] ne devaient pas connaître. — (Francis Carco, Maman Petitdoigt, La Revue de Paris, 1920)
    • Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
      Venez le pleurer avec nous sur le coup de midi…
      — (Georges Brassens, Les Funérailles d’antan, 1960)
    • Pleurait-elle ces nouveaux morts, venus rejoindre, dans des tombes aux couronnes fleuries, les 10 000 jeunes hommes et femmes tombés au combat ? Ou pleurait-elle la fin d’un monde ? — (Allan Kaval, Réduits à solliciter le renfort de Damas, les Kurdes pleurent la fin d’un monde, Le Monde. Mis en ligne le 14 octobre 2019)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

PLEURER. v. intr.
Répandre des larmes. Pleurer amèrement. Pleurer à chaudes larmes. Pleurer à volonté. Qu'avez-vous à pleurer? Quel sujet avez-vous de pleurer? Il se mit à pleurer. Pleurer de tendresse. Pleurer de colère, de dépit. Pleurer de joie. Les cerfs pleurent quand ils sont aux abois. Pleurer sur quelqu'un, Déplorer ses fautes, ses égarements, ses malheurs, sa perte. JÉSUS-CHRIST disait aux femmes de Jérusalem : " Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants. " Il pleure sur son fils coupable et malheureux. Il pleure sur sa patrie captive et désolée. Fam. et en parlant d'une Femme, Pleurer comme une Madeleine, Pleurer abondamment. Fam., Pleurer comme un veau, Pleurer de façon excessive et ridicule. Fig. et fam., Pleurer pour avoir quelque chose, Avoir du mal à l'obtenir. On dirait qu'il a pleuré pour avoir un habit, un chapeau, etc., se dit de Quelqu'un qui a un vêtement trop court, un chapeau de qualité médiocre, etc. Fig., Il ne lui reste, on ne lui a laissé que les yeux pour pleurer, Il a tout perdu, on lui a tout pris. Prov. et fig., Il pleure d'un œil et rit de l'autre se dit de Quelqu'un qui rit et pleure tout à la fois, comme incertain entre deux sentiments opposés. Les yeux lui pleurent, ses yeux pleurent se dit en parlant d'une Personne qui a un écoulement de larmes déterminé par quelque cause physique. La vigne pleure se dit Lorsqu'il dégoutte de l'eau de son bois, après qu'elle a été fraîchement taillée.

PLEURER est aussi transitif et signifie Regretter, déplorer quelque chose, s'en affliger. Pleurer la perte de ses amis. Pleurer son malheur, ses malheurs. Pleurer la mort de son père, de sa mère. Pleurer quelqu'un, Pleurer sa perte, sa mort. Pleurer son père. Pleurer sa mère. Il ne se passe pas de jour qu'il ne pleure sa femme, son fils, son ami. Il a été pleuré de tous ses amis. Pleurer un péché, ses péchés, pleurer sur ses péchés, Avoir un grand regret, une grande douleur d'un péché, des péchés qu'on a commis. Ce malheur devrait être pleuré avec des larmes de sang, On ne saurait trop le pleurer, ni en avoir une trop vive douleur. Fig. et fam., Pleurer sa peine, L'épargner, en être avare. Fig. et fam., Ne pleurer que d'un œil, Ne regretter qu'à moitié. On ne l'a pleuré que d'un œil, Il n'a été regretté qu'en apparence et pour la forme. Fig., Il pleure le pain qu'il mange se dit d'un Avare qui a regret à ce qu'il mange, qui lésine sur sa propre nourriture. Pop., C'est un pleure-pain, un pleure-misère, C'est un avare qui se plaint toujours de sa misère.

Littré (1872-1877)

PLEURER (pleu-ré ; Chifflet, Gramm. p. 98, recommande de ne pas dire plorer) v. n.
  • 1Répandre des larmes. Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau, Corneille, Cid, III, 3. Je cherche le silence et la nuit pour pleurer, Corneille, ib. III, 4. On pleure pour être plaint ; on pleure pour avoir la réputation d'être tendre ; on pleure pour être pleuré ; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas, La Rochefoucauld, Max. 233. Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés ! Sacy, Bible, Évang. St Math. v, 5. Je les relis [vos lettres] … je ne puis pas seulement approcher des premières lignes sans pleurer du fond de mon cœur, Sévigné, à Mme de Grignan, 23 déc. 1671. Il est vrai qu'il y a des pensées et des paroles qui sont étranges ; mais rien n'est dangereux quand on pleure, Sévigné, 29 mai 1675. Mais que ces retours sont doux, et qu'on a quelquefois de plaisir à pleurer ! Sévigné, 16 oct. 1680. J'apprenais à pleurer devant un grand miroir, Boursault, Merc. gal. IV, 2. Et les plus malheureux osent pleurer le moins, Racine, Iphig. I, 5. Tout Israël périt : pleurez, mes tristes yeux, Racine, Esth. I, 5. Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide, Racine, Athal. III, 7. Tel qui rit vendredi dimanche pleurera, Racine, Plaid. I, 1. On n'a pas dans le cœur de quoi toujours pleurer, La Bruyère, IV. Les enfants rient et pleurent facilement, La Bruyère, XI. D'où vient que l'on rit librement au théâtre, et que l'on a honte d'y pleurer ? La Bruyère, I. Vous avez je ne sais quelle inclination fatale pour la comédie larmoyante, qui abrégera mes jours ; je ne vous en aime pas moins ; mais je pleure dans ma retraite, quand je songe que vous aimez à pleurer à la comédie, Voltaire, Lett. d'Argental, 5 sept. 1772. L'abbé Galiani m'a beaucoup déplu, à moi, en confessant qu'il n'avait jamais pleuré de sa vie, et que la perte de son père, de ses frères, de ses sœurs, de ses maîtresses ne lui avait pas coûté une larme, Diderot, Mém. t. I, p. 255, dans POUGENS. L'homme pleure, et voilà son plus beau privilége, Delille, Pit. ch. I. Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés, Oiseaux chers à Thétys, doux alcyons, pleurez, Chénier, Élég. XX. Mais si, d'un long crêpe voilée, Mon amante dans la vallée Venait pleurer quand le jour fuit, Millevoye, Chute des feuilles. Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ? Laissons le vent gémir et le flot murmurer ; Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ; Je veux rêver et non pleurer, Lamartine, Harm. IV, 10. Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile, Et rien ne pleure plus sur son dernier asile, Lamartine, ib.

    Pleurer de, avec un substantif. Je reconnais Néarque, et j'en pleure de joie, Corneille, Poly. Il, 6. Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse, La Fontaine, I, 5. Annibal, qui pleura de douleur en cédant aux Romains cette terre où il les avait tant de fois vaincus, Montesquieu, Rom. v.

    Pleurer de, avec un verbe à l'infinitif. Alexandre pleura de n'avoir point d'Homère, Delille, Imag. v.

    Pleurer sur, déplorer. Il [Jésus] les avertit [les femmes de Jérusalem] de pleurer et de ne pas pleurer ; de ne pas pleurer sur lui, qui par sa mort allait être glorifié, mais de pleurer sur elles-mêmes et sur leurs enfants, Bourdaloue, Myst. Passion de J. C. t. I, p. 242. [Monime] pleurant sur cette malheureuse beauté qui, au lieu d'un mari, lui avait donné un maître, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. x, p. 199, dans POUGENS. C'est une espèce d'Héraclite chrétien, toujours prêt à pleurer sur la folie de ses semblables, Diderot, Mém. t. I, p. 91, dans POUGENS.

    Pleurer comme un enfant, pleurer abondamment et facilement comme fait un enfant. Mais enfin, me remettant devant les yeux ce que je devais à son père et à son frère, je n'eus recours qu'à mes larmes : je pleurai comme un enfant, Scarron, Rom. com. I, 15.

    Pleurer comme une Madeleine, pleurer avec effusion.

    Familièrement. Pleurer comme un veau, comme une vache, pleurer excessivement. Pétrarque… En eût de marrison [de chagrin] pleuré comme une vache, Régnier, Sat. X. Depuis, pour l'amour d'elle, il pleure comme un veau, Dancourt, Sancho Pança, II, 3.

    On dirait qu'il a pleuré pour avoir un habit, un chapeau, etc. se dit d'un homme qui a un habit écourté, un chapeau trop petit.

    Il ne lui reste, on ne lui a laissé que les yeux pour pleurer, il a tout perdu, on lui a tout pris.

    Il pleure d'un œil et rit de l'autre, se dit d'un homme incertain entre deux sentiments opposés. Il pleure d'un œil et il rit de l'autre, La Bruyère, VIII.

    Jean qui pleure et Jean qui rit, homme qui se laisse aller aux sentiments les plus opposés d'un instant à l'autre ; c'est le titre d'un poëme de Voltaire, où l'auteur montre qu'il y a dans le monde de quoi se réjouir et de quoi s'affliger.

  • 2 S. m. Le pleurer. En quoi consiste le rire et le pleurer, Descartes, L'homme. En cet endroit où il [Homère] fait pleurer Achille et Priam, l'un du souvenir de Patrocle, l'autre de la mort du dernier de ses enfants, il dit qu'ils se soûlent de ce plaisir, il les fait jouir du pleurer comme si c'était quelque chose de délicieux, La Fontaine, Psyché, I, p. 96.
  • 3Pleurer se dit des larmes provoquées par quelque chose d'âcre. Les yeux pleurent quand on pèle de l'oignon, quand on est exposé à la fumée.

    Les yeux lui pleurent, ses yeux pleurent, se dit de quelqu'un qui a une incommodité qui fait que les larmes coulent sans cesse de l'œil.

  • 4Il se dit du cerf. La meute en fait curée : il lui fut inutile De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés, La Fontaine, Fabl. v, 15.
  • 5La vigne pleure, il dégoutte de l'eau de son bois.
  • 6 Poétiquement. Se dit du saule pleureur dont les branches semblent pleurer. Là des saules pensifs qui pleurent sur la rive, Hugo, F. d'aut. 34.
  • 7 V. a. Pleurer quelqu'un, s'affliger de la perte, de la mort, du malheur de quelqu'un. Cherchez avec soin et faites venir les femmes qui pleurent les morts, envoyez à celles qui y sont les plus habiles, Sacy, Bible. Jérémie, IX, 17. Mme de Bersillac est à l'agonie… elle est mal pleurée ; le père et le mari voudraient qu'elle fût déjà sous terre, Sévigné, 24 janv. 1680. Et vous, messieurs, eussiez-vous pensé, pendant qu'elle versait tant de larmes en ce lieu [pendant l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre, sa mère], qu'elle dût sitôt vous y rassembler pour la pleurer elle-même ? Bossuet, Duch. d'Orl. Il perd son fils unique… il remet sur d'autres le soin de le pleurer, il dit : Mon fils est mort, cela fera mourir sa mère, La Bruyère, XI. Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort, Montesquieu, Lett. pers. XL. Drusille, à qui il [Caligula] accorda les honneurs divins, étant morte, c'était un crime de la pleurer, parce qu'elle était déesse, et de ne la pas pleurer parce qu'elle était sa sœur, Montesquieu, Rom. 15. Ceux qui l'ont méconnu pleureront le grand homme, Lamartine, Méd. I, 14.

    Familièrement. On ne l'a pleuré que d'un œil, il n'a été regretté qu'en apparence.

  • 8Il se dit des choses regrettées. Pleure mon infortune, et pour ta récompense Jamais autre douleur ne te fasse pleurer ! Malherbe, VI, 20. Elle pleure en secret le mépris de ses charmes, Racine, Andr. I, 1. Ma mère pleura la profession que j'avais quittée, Hamilton, Gramm. III. Nous avons pleuré nos plaisirs injustes, et de nouveaux plaisirs ont un moment après essuyé nos larmes, Massillon, Carême, Inconstance. Revenant tout à coup à elle, elle [Mme de la Vallière, à la mort de son fils] dit à ce prélat [qui la consolait] : c'est trop pleurer la mort d'un fils dont je n'ai pas encore assez pleuré la naissance, Mme de Caylus, Souvenirs, p. 48, dans POUGENS. La mère et la femme de Darius ne pleurèrent-elles pas la mort d'Alexandre ? Montesquieu, Esp. XXX, 24. Ces mystérieuses relations de l'infortune remplirent mes yeux de larmes ; il y a de la douceur à pleurer sur des maux qui n'ont été pleurés de personne, Chateaubriand, Amér. Onondagas. Soit qu'il naisse ou qu'il meure, Il faut que l'homme pleure Ou l'exil ou l'adieu, Lamartine, Harm. IV, 5.

    Ce malheur devrait être pleuré avec des larmes de sang, en larmes de sang, c'est-à-dire il devrait causer la plus vive douleur.

    Pleurer ses péchés, ses fautes, s'affliger profondément de les avoir commis. En déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu notre éternité, avec cette singulière consolation qu'on les répare quand on les pleure, Bossuet, Reine d'Anglet. Si, dans le moment que vous pleurez votre péché, vous n'en voulez pas retrancher l'occasion, Bourdaloue, Pénitence, 2e avent, p. 476. Les crimes que vous viendrez pleurer aux pieds des ministres, Massillon, Carême, Jeûne.

    Dans le langage biblique, pleurer sa virginité, se dit d'une jeune fille qui pleure de mourir avant d'avoir été mariée. Laissez-moi [la fille de Jephté] sur les montagnes pendant deux mois, afin que je pleure ma virginité avec mes compagnes, Sacy, Bible, Juges, XI, 37.

  • 9 Familièrement. Il pleure le pain qu'il mange, se dit d'un avare qui regrette la nourriture qu'il prend.
  • 10Pleurer une larme, verser quelques larmes. Son œil tout pénitent ne pleure qu'eau bénite, Régnier, Sat. XII. Vous auriez peut-être pleuré une petite larme, puisque j'en ai pleuré plus de vingt, Sévigné, 112. J'ai vu Briolle, qui m'a fait pleurer les chaudes larmes par un récit naturel et sincère de cette mort [du prince de Condé], Sévigné, 13 déc. 1686. Larmes du cœur, par le cœur dévorées, Et que les yeux qui les avaient pleurées Ne reconnaîtront plus demain, Musset, Poésies nouv. Nuit de décembre.
  • 11Se pleurer, v. réfl. Verser des pleurs sur soi-même. J'avoue que je me suis pleuré en pleurant un ami qui faisait la douceur de ma vie, et dont la privation se fait sentir à tout moment, Fénelon, dans le Dict. de DOCHEZ. Les poëtes ont dit qu'avant sa dernière heure En sons harmonieux le doux cygne se pleure, Lamartine, Socrate.

HISTORIQUE

XIe s. E tantes lermes pur le ton cors pluredes [pleurées], St Alexis, LXXXI. Ne peut muer que des ieuz il ne plurt, Ch. de Rol. LX. Il nus [nous] plurrunt [pleureront] de doel et de pitié, ib. CXXX. [Ils] Plurent lor filz, lor freres, lor neveus, ib. CLXXIV.

XIIe s. Quant de moi [elle] rit, et je l'ai tant plorée, Couci, VI. Si que souvent [je] chant là où de cuer [je] plor, ib. XVI. Chascun pleure sa terre et son païs, Quant il se part de ses coraus amis, ib. XXIV. Je ne m'en sai venger fors au plorer, ib. VI. Là plorerent pour eus maint prince et maint baron, Sax. XXII. Ne jamais n'iert [ne sera] qui pes entre vus dous [le roi et l'archevêque] aturt, Ne jamais n'iert uns jurs saint iglise n'en plurt, Th. le mart. 36. Tex [tel] rit au main [matin] au vespre plorera, Bat. d'Aleschans, v. 3029.

XIIIe s. Et sachiés que mainte larme i ot plourée au departir de lor pays, et de lors gens et de lor amis, Villehardouin, XXX. Et sa mere en commence de la joie à plourer, Berte III. Cius [celui-là] est amés pour sa prouece, Et honorés pour sa largece, Cil ne pleure pas les despens, Baudouin de Condé, t. I, p. 240.

XIVe s. Plorer doivent li femme ; li homme avoir doleur Ne doivent qu'en leurs cuers, s'il n'ont en eulx foleur, Girart de Ross. v. 4127. Simplement à parler, il ne plaist pas à tel homme de grant courage que les autres pleurent de ses infortunes, Oresme, Eth. 290.

XVe s. S'elles n'ayment que pour argent, On ne les ayme que pour l'heure ; Rondement ayment toute gent, Et rient lors que bourse pleure, Villon, Ball. Celluy est fol qui pleure ainçois [avant] qu'il soit battu, Perceforest, t. v, f° 47.

XVIe s. Je ne puis continuer plus longuement ce propos sans larmes, je dy les plus vrayes larmes que je pleuray jamais, Du Bellay, J. VIII, 33, recto. Quand Timoleon pleure le meurtre qu'il avoit commis, il ne pleure pas le tyran, Montaigne, I, 272. J'aimais à me parer quand j'estois cadet… et me seoit bien ; il en est sur qui les belles robbes pleurent, Montaigne, IV, 7. Il ne faut point pleurer de tout cecy que je vous conte ; car peut estre qu'il n'est pas vrai, Despériers, Contes, t. I, p. 5, dans POUGENS. Assez peult plourer qui n'a qui l'appaise, Cotgrave À cœur dolent l'œil pleure, Cotgrave Faites de vostre erreur maintenant penitence ; Mais, pour la bien pleurer, c'est trop peu que deux yeux, Desportes, les Amours d'Hippolyte, Stances.

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Étymologie de « pleurer »

Wallon, ploré ; génev. pleurer la nourriture à quelqu'un, la lui reprocher, la lui plaindre ; provenç. plorar ; espagn. llorar ; portug. chorar ; ital. plorare ; du lat. plorare, qui signifie verser abondamment des larmes, et que Curtius, n° 369, rattache à pluere, pleuvoir.

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(Date à préciser) De l’ancien français plorer (980), du latin plorare (« se plaindre, se lamenter, pousser des cris de douleur »). Plorare a remplacé le latin classique lacrimare (« verser des larmes »). La forme pleurer est analogique des formes toniques je pleure, tu pleures, etc.
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Phonétique du mot « pleurer »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
pleurer plœre

Fréquence d'apparition du mot « pleurer » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « pleurer »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « pleurer »

  • L'eau fait pleurer, le vin chanter.
    Proverbe français
  • Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.
    Pierre Corneille — Le Cid, III, 4, Chimène
  • Elle est debout sur mes paupièresEt ses cheveux sont dans les miens,Elle a la forme de mes mains,Elle a la couleur de mes yeux,Elle s’engloutit dans mon ombreComme une pierre sur le ciel.Elle a toujours les yeux ouvertsEt ne me laisse pas dormir.Ses rêves en pleine lumièreFont s’évaporer les soleils,Me font rire, pleurer et rire,Parler sans avoir rien à dire.
    Paul Eluard — Capitale de la douleur
  • Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer.
    Alfred de Musset — Poésies nouvelles
  • Rire à chaudes larmes, pleurer à se tordre.
    Jules Renard — Journal 1893 - 1898
  • Le pauvre esprit qui lamente* et soupire Et en pleurant tâche à vous faire rire.
    Clément Marot — Épîtres, Au roi pour avoir été dérobé
  • Ce disant, [Gargantua] pleurait comme une vache, mais tout soudain riait comme un veau.
    François Rabelais — Pantagruel, 3
  • Je ris en pleurs et attens sans espoir.
    François Villon — Ballade du concours de Blois
  • Celui-là t'aime bien qui te fait pleurer.
    Miguel de Cervantès
  • Et si je ris de toute chose ici-bas, C'est afin de n'en pas pleurer.
    George Gordon, lord Byron — Don Juan, IV, 4
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Traductions du mot « pleurer »

Langue Traduction
Anglais cry
Espagnol llorar
Italien piangere
Allemand schrei
Chinois
Arabe يبكي
Portugais chorar
Russe плач
Japonais 泣く
Basque negar egin
Corse chiancià
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Synonymes de « pleurer »

Source : synonymes de pleurer sur lebonsynonyme.fr

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Pleurer

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