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Juger

Définitions de « juger »

Trésor de la Langue Française informatisé

JUGER, verbe trans.

A. − [L'accent est mis sur la fonction officielle du suj.] Régler un différend, prendre une décision qui engage autrui.
1. Rendre la justice, dire le droit, prendre une décision en qualité de juge. Le tribunal juge; juger un procès; juger contradictoirement. C'est lui [ce tribunal] qui jugeait toutes les contestations de terrain (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 272):
1. Les lois civiles qu'on propose aujourd'hui à tous les citoyens, qu'on discute devant tous les citoyens, sur lesquelles on consulte tous les citoyens, devenus tous juges les uns des autres, au civil et même au criminel, n'étoient alors connues [autrefois] que de ceux qui se dévouoient par de longues études à une pratique de toute la vie, et qui regardoient la fonction de juger les autres comme une profession pénible, à laquelle quelques-uns étoient condamnés pour l'utilité de tous, et non comme une jouissance que tous fussent appelés à partager. Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 156.
Juger une personne, juger qqn. Juger son procès, notamment au criminel. Enfin on amène devant son tribunal un fratricide; et comme il a tué son frère, il se trouble, et refuse de juger le criminel (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 145).La justice le recherche pour le juger et le fusiller, à la libération, il est venu se cacher ici (Aymé, Uranus,1948, p. 36):
2. La veille au soir, le président de la huitième chambre déclarait à MeLabori que le tribunal était hors d'état de juger l'accusé, et lui annonçait que le parquet demanderait la remise indéfinie de l'affaire. Dans ces conditions, la mise en liberté s'imposait. Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 213.
Juger par contumace*.
Emploi abs. V. ennoblissement A ex. de Bonald.
Proverbe, vieilli. Juger sur l'étiquette (du sac). ,,Porter son jugement sur quelque affaire, sur quelque personne, sans avoir examiné les pièces, les raisons`` (Ac. 1835, 1878).
[Dans un sens analogue] :
3. Les jeunes filles de Juvigny, qui jugent l'homme à l'enveloppe, riraient au nez de celui qui leur adresserait une pareille proposition. Aussi n'est-ce pas parmi elles que je veux chercher une femme. La femme que je rêve devra avoir un esprit moins superficiel; son regard intelligent devra percer mon écorce déplaisante pour découvrir en dessous les qualités sérieuses qui font l'homme vraiment fort. Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 102.
2. Prendre une décision en qualité d'arbitre choisi à l'avance; trancher un différend, un litige; faire un choix décisif, départager des concurrents, des adversaires en qualité d'arbitre. Établissons-nous des arbitres qui jugent nos prétentions, et pacifient nos discordes. Quand le fort s'élévera contre le faible, l'arbitre le réprimera (Volney, Ruines,1791, p. 50).Ces examens comportent une épreuve orale d'admissibilité et des épreuves d'admission écrites jugées par un jury national et spécialisé en fonction des études poursuivies (Encyclop. éduc.,1960, p. 275).
Emploi abs. :
4. En cas de difficultés ou contestations quelconques, les soussignés n'auront point recours aux tribunaux; ils s'en rapporteront à la décision de M. Simon, directeur de la Compagnie Usquin qu'ils nommeront arbitre et qui juge sans formalité de justice, sans prestation de serment, acceptant d'avance ses décisions quelles qu'elles soient, lesquelles ne seront susceptibles ni d'appel, ni de recours en cassation. Sa décision fera loi également pour tout cas qui n'est pas prévu par le présent accord. Doc. hist. contemp.,1850, p. 201.
Juger des/les coups. Apprécier l'habileté des joueurs que l'on regarde, d'après les coups qu'ils échangent. Moi! répondit Paulus, j'ignore les combats. − C'est un tort, compagnon, et quand on est de Rome, On sait juger des coups (Bouilhet, Melænis,1857, p. 79).Muet, les bras croisés, Tartarin juge les coups, critique tout haut (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 122):
5. La population s'assembla pour juger des coups avec l'intérêt extrême qu'une affaire de ce genre excite en chaque pays... Gobineau, Nouv. asiat.,1876, p. 265.
Au fig. Être spectateur muet des événements que l'on juge sans y prendre part. Le notaire s'était offert pour ouvrir le feu; le sous-préfet se chargeait d'élargir la brèche, et, par un dernier assaut, je me réservais d'entrer dans la place. Oscar était là pour juger des coups (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 324):
6. Je crois plus conforme aux vœux de la raison et de la nature, de conseiller aux hommes parvenus à la dernière saison de la vie de porter leurs réflexions au-dehors; ils n'ont plus ni profit ni plaisir à s'occuper d'eux-mêmes; mais ils peuvent encore s'amuser à regarder les autres : leurs actions n'ont plus d'autorité; mais leur expérience peut encore être utile : ce sont de vieux chevaliers, assis en dehors de la barrière, qui jugent d'autant mieux les coups, qu'ils ne sont plus capables d'en porter. Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 324.
B. − P. anal. [Le suj. désigne une puissance supérieure] Prendre une décision sur le sort de l'âme après la mort selon ses mérites. Juger les vivants et les morts. Laissons de côté la croix de Sérapis et le séjour aux enfers de ce dieu qui juge les âmes (Nerval, Filles feu,1854, p. 659).Lord Evandale, attentif et calme, ressemblait avec son pur profil au divin Osiris attendant l'âme pour la juger (Gautier, Rom. momie,1858, p. 182):
7. Minos, ne pouvant plus suffire Au fatigant métier d'entendre et de juger Chaque ombre descendue au ténébreux empire, Imagina, pour abréger, De faire faire une balance... Florian, Fables,1792, p. 121.
RELIG. CHRÉT. [Le suj. désigne Dieu] Pour cet homme soyez indulgent, sire comte : Celui qui juge, Dieu plus tard le jugera (Bornier, Fille Rol.,1875, I, 3, p. 21).Saint-Père, pense à nos frères qui vont mourir aujourd'hui dans le péché. Puis-je attendre à demain pour sauver leur âme? Dieu, avant de les juger, va-t-il attendre lui aussi (...)? (Salacrou, Terre ronde,1938, II, 2, p. 191).
C. −
1. PHILOS., LOG. ,,Affirmer ou nier l'existence d'une chose ou la réalité d'un rapport entre deux objets de pensée`` (Foulq.-St-Jean 1962). Lier deux termes et construire un rapport ce n'est point précisément croire, mais juger (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p. 99):
8. Juger c'est sentir des rapports entre nos idées; cela est vrai. Mais cette expression (...) ne dit pas d'une manière assez précise et assez exacte, ce que c'est réellement que l'opération de juger, que l'acte intellectuel appelé jugement. Juger n'est point sentir une idée nouvelle, c'est sentir qu'un être quel qu'il soit, ou plutôt l'idée que l'on en a (...) renferme une qualité, une propriété, une circonstance quelconque. Or cette qualité, cette propriété, cette circonstance quelconque, est elle-même une perception, une idée, puisque c'est une chose sentie. Juger, c'est donc sentir qu'une idée en renferme une autre. Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 25.
2. [L'objet est d'ordre esthétique] Avoir, émettre un avis, une opinion sur quelqu'un, sur quelque chose; donner un avis autorisé sur quelque chose :
9. La critique, en tant qu'elle ne se réduit pas à opiner selon son humeur et ses goûts, − c'est-à-dire à parler de soi en rêvant qu'elle parle d'une œuvre, − la critique, en tant qu'elle jugerait, consisterait dans une comparaison de ce que l'auteur a entendu faire avec ce qu'il a fait effectivement. Valéry, Tel quel I,1941, p. 21.
a) [Le compl. désigne une pers.] Juger un écrivain.
[Constr. dir.] Juger qqn.Monsieur de Meillan jugea les équilibristes avec le scepticisme d'un homme qui est depuis bien longtemps revenu des vanités de la barre fixe et des joies du trapèze (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 163).Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant (...), je voudrais, par exemple, le trouver aux prises avec le bœuf Stroganof (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 458):
10. Pour juger Renan, on s'en tient communément aux œuvres de sa vieillesse; ce sont les plus familières − celles qu'on lit encore. Mais pour connaître sa vraie nature, la saisir d'ensemble et dans sa pente, il faut interroger les confidences de sa jeunesse, ces innombrables cahiers, fragments, essais qu'il accumula entre sa vingtième et sa vingt-cinquième année, jusques et y compris l'Avenir de la science, fruit monstrueux de cette précoce débauche de l'esprit. Massis, Jugements,1923, p. 15.
[Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de qqn.Ils (...) donnèrent le désir au duc Charles de juger lui-même d'Émilia (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 41).V. ami ex. 141.
b) [Le compl. désigne qqc., une œuvre, une réalisation] Juger une peinture.
[Constr. dir.] Juger qqc.J'ai repris le livre, et c'est alors que j'ai pu juger cet admirable ouvrage que je relis tous les ans (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1679).Quand elle a disparu, on juge son café : − Tu parles d'une clarté! On voit l'suc' qui s'balade au fond du verre (Barbusse, Feu,1916, p. 84):
11. ... Pour critiquer une œuvre de littérature ou de peinture, il n'est pas nécessaire absolument d'être littérateur ou peintre; il suffit d'avoir de l'instruction et du goût. C'est une chose de sentiment et tout homme a son sentiment pour juger une œuvre d'art. Mais, pour les sciences, il n'en est plus ainsi; ce n'est plus une affaire de sentiment, il faut savoir les choses pour en parler. Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 252.
[Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de qqc.On ne juge pas d'une ville par ses égouts et d'une maison par ses latrines (Chamfort, Max. et pens.,1794, p. 46).S'agit-il de juger du mérite d'une découverte en mécanique ou en chimie, on s'adressera à l'Académie des Sciences, corps plus compétent que le public (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 415):
12. ... si j'allais entendre la Berma dans une pièce nouvelle, il ne me serait pas facile de juger de son art, de sa diction, puisque je ne pourrais pas faire le départ entre un texte que je ne connaîtrais pas d'avance et ce que lui ajouteraient des intonations et des gestes qui me sembleraient faire corps avec lui; tandis que les œuvres anciennes que je savais par cœur, m'apparaissaient comme de vastes espaces réservés et tout prêts où je pourrais apprécier en pleine liberté les inventions dont la Berma les couvrirait, comme à fresque, des perpétuelles trouvailles de son inspiration. Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 441.
3. [L'objet est d'ordre moral] Exprimer son opinion personnelle sur autrui, sur sa conduite; l'approuver, le blâmer ou le condamner en décidant du mérite de ses actes, de ses mobiles, de ses pensées. Juger les actes, la conduite; juger sur les apparences.
a) [Constr. dir.] Juger qqn.Commune erreur de juger les gens à son aune (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 242).Christophe travaillait à rapprocher les deux enfants (...). Il les aimait autant l'un que l'autre; mais il jugeait plus sévèrement Georges : il connaissait ses faiblesses, il idéalisait Aurora (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1570):
13. Chacun sait qu'il n'est qu'un assemblage fortuit, plus ou moins heureux, d'éléments provenant d'un même fond commun, que tous les autres recèlent en eux ses propres possibilités, ses propres velléités; de là vient que chacun juge les actions des autres comme il juge les siennes propres, de tout près, du dedans, avec toutes leurs innombrables nuances et leurs contradictions qui empêchent les classifications, les étiquetages grossiers; de là vient que personne ne peut jamais avoir de la conduite d'autrui cette vision panoramique qui seule permet la rancune ou le blâme... Sarraute, Ère soupçon,1956, p. 36.
Absol. Et puis pour vous aussi le jour se lèvera Où, comme vous jugez, le Seigneur jugera (Dumas père, Christine,1830, V, 6, p. 285).Aimant ton mari comme tu l'aimes, tu es mal placée pour juger (Curel, Nouv. idole,1899, I, 1, p. 165):
14. « Ne jugez pas ». Le Christ lui-même ne juge pas. Il est le jugement. L'innocence souffrante comme mesure. Jugement, perspective. En ce sens, tout jugement juge celui qui le porte. Ne pas juger. Ce n'est pas l'indifférence ou l'abstention, c'est le jugement transcendant, l'imitation du jugement divin qui ne nous est pas possible. S. Weil, Pesanteur,1943, p. 137.
[Le compl. désigne l'auteur du jugement] Se juger.Vous savez, madame, je me connais, je me juge à ma valeur! (Bernstein, Secret,1913, I, 6, p. 9).Qui se regarde se juge; qui se juge se sauve. Tout examen de conscience est ici enfermé (Alain, Propos,1921, p. 228).V. jugement ex. 48.
b) [Constr. attributive] Attribuer une qualité ou un défaut à quelqu'un; qualifier quelqu'un.
Juger qqn + attribut.Il avait pu apprécier les plus célèbres professeurs, et il les jugeait des ânes (Maupass., Pierre et Jean,1888, p. 319).
[Constr. pronom. réfl.] Se juger + attribut
[L'attribut est un adj.] Et l'âme d'Omer s'effraya d'être amoindrie par comparaison. Elle se jugea faible (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 11).Il resta, tout l'été, à Paris. Il se jugeait absurde; mais il n'avait plus goût à voyager (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1501):
15. Paul se jugeait discret, il n'était que cachottier. Ainsi divisait-il sa vie en cases : il croyait que lui seul pouvait passer de l'une à l'autre. Radiguet, Bal,1923, p. 24.
[L'attribut est un subst.] Il eut une révolte contre lui-même et contre les autres, se jugea un dépravé, un garçon sans cœur, sans noblesse (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 242).Marino (...) se jugeait un peu le patriarche et le père nourricier de ces terres perdues (Gracq, Syrtes,1951, p. 121).
c) [Le compl. est précédé de la prép. de] Juger de + compl.Juger d'autrui par soi même :
16. Selon la méthode vulgaire de juger des autres par soi-même, ils [certains chrétiens] (...) sont alarmés dès qu'ils voient un homme qui ne se signe point... Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 21.
d) [Le suj. désigne qqc.] Permettre de juger, d'évaluer, de porter un jugement, une appréciation. Notre goût juge de ce que nous aimons, et notre jugement décide de ce qui convient (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 274).Le faux était pièce secrète lui-même. M. Cavaignac a patriotiquement omis d'en lire une partie. La pièce était destinée à convaincre ceux qui connaissaient déjà le dossier ultra-secret. Cela juge la valeur de ces papiers (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 129):
17. Elle se plaisait à tâter les esprits, à les piquer, à vous interpeller au souper, d'un bout de la table à l'autre, par quelque question provocante; la repartie qu'on y faisait vous jugeait sur l'heure. Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 4, 1862, p. 25.
4. P. ext. Se former une opinion, avoir un avis.
[Le compl. est une prop. complétive (infinitive ou conjonctive)] Avoir un avis, une opinion sur quelque chose; faire une estimation, un pronostic à partir d'éléments réels. Synon. penser.On peut juger si Julien était attentif; tout l'intéressait, et le fond des choses et la manière d'en plaisanter (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 254).Il s'arrêta (...) devant une petite fenêtre (...) et il jugea que le ciel serait favorable ce soir à la pêche aux écrevisses (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 143):
18. Auprès du comte se trouvait un homme vêtu de noir et cravaté de blanc, que Rocambole jugea être un médecin... Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 531.
[Constr. attributive] Juger + subst. + attribut du compl.Attribuer une qualité ou un défaut à quelque chose. Synon. estimer.
[Le compl. est un subst. et l'attribut un adj.] Le plan du grand Cointet était d'une simplicité formidable. Du premier abord, il jugea le collage en cuve impossible (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 744).Mon père, qui jugea cette jaquette encore trop neuve (Giraudoux, Intermezzo,1933, III, 3, p. 173):
19. ... M. de Norpois, qui, pour raison de santé, devait depuis longtemps venir faire à Paris une petite cure, aurait quitté Berlin où il ne jugeait plus sa présence utile. Proust, Fugit.,1922, p. 639.
[Le compl. et l'attribut sont des subst.] Frédéric jugea leur adieu une dernière moquerie (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 50).
[Le compl. est un inf. et l'attribut un adj.] Juger + adj. + de + inf.Estimer le bien-fondé d'une action exprimée par l'infinitif. Juger convenable, prudent, utile de. Si l'on juge important à l'éducation de l'enfant de lui donner des idées justes sur les différens objets de ses études (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 148).Redevenant riche et immensément riche après cette entreprise, je jugeai à propos de revenir aux États-Unis profiter des amnisties (Verlaine, Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 169):
20. ... elle a baissé les paupières, elle pense à ce qu'elle va me dire, à la façon dont elle commencera. Dois-je l'interroger à mon tour? Je ne crois pas qu'elle y tienne. Elle parlera quand elle jugera bon de le faire. Sartre, Nausée,1938, p. 179.
[Le compl. est précédé de la prép. de] Se faire une idée au sujet de quelque chose, évaluer quelque chose; s'imaginer. Juger de l'embarras, de l'étonnement, de la surprise. Je vous laisse à juger de mon désespoir (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 90).Elle donnait de légers coups sur les os pour juger de leur épaisseur, les retournait (Zola, Ventre Paris,1873, p. 669):
21. − Vous savez, continua Armand, combien Andrea est humble, doux, inoffensif, depuis sa conversion. Jugez de mon étonnement lorsqu'il est venu, ce matin, m'annoncer résolument qu'il se battait, et me prier de lui servir de témoin. Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 382.
Loc. (À) en juger par. Seigneur Aymar, croassa-t-il, sans indiscrétion, la mineure sur laquelle je vais instrumenter, si j'en juge par votre goût exquis, est belle, est-ce pas? (Borel, Champavert,1833, p. 112).Il était musicien, à en juger par la flûte dont un bout dépassait sa poche (France, Dieux ont soif,1912, p. 252).
SYNT. Juger exactement, favorablement, froidement, impartialement, sainement, sévèrement, sans indulgence; droit, faculté de juger; manière, moyen de juger; juger coupable; juger digne, indigne; juger (de) la valeur, (de) l'opportunité; capable, incapable de juger; difficile, facile, impossible de juger; mal juger; faire juger; prétendre juger; permettre de juger.
REM. 1.
Jugeant, -ante, part. prés. adj.Qui juge; qui porte des jugements. La manie jugeante est profondément enracinée dans le caractère national, tant notre vanité craintive a besoin de porter des idées toutes faites dans la conversation (Stendhal, Racine et Shakspeare, t. 1, 1825, p. 123).Cette ferme raison (...) se cassa sous ce nouveau heurt, laissa fuir toute faculté jugeante (Richepin, Aimé,1893, p. 277).Ici était le miracle, la promesse, l'imprévisible changement; non point la vie jugée, mais la vie jugeante (Alain, Propos,1924, p. 589).
2.
Judicatif, -ive, adj. et subst. masc.a) Emploi adj., philos., rare. Synon. de judicatoire.L'image, pour Spaier, n'a pas la même fonction que la perception. Elle fait preuve d'une mobilité, d'une transparence, d'une docilité grâce auxquelles on peut l'assimiler à la pensée judicative et discursive (Sartre, Imagination,1936, p. 114).Ce type d'existence [entre les assertions fausses du rêve et les certitudes de la veille] est évidemment celui des créations imaginaires. Faire de celles-ci des actes judicatifs, c'est leur donner trop. Mais c'est aussi ne pas leur donner assez (Sartre, Imagination,1936p. 137).b) Emploi adj. et subst. masc., gramm. (Mode) judicatif. Synon. vx de (mode) indicatif.Mode indicatif.(...) toutes les fois que ce mode se trouve dans le discours exprimé ou sous-entendu, il y a un jugement énoncé. Aussi l'a-t-on souvent nommé mode énonciatif, mode judicatif (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 48).
3.
Judicatoire, adj.,philos., rare. Qui concerne l'acte de juger; qui est relatif à l'acte de juger. La pensée judicatoire (titre de la première partie de La Pensée concrète de A. Spaier, 1927). La négation proprement dite m'est imputable, elle apparaîtrait seulement au niveau d'un acte judicatoire par lequel j'établirais une comparaison entre le résultat escompté et le résultat obtenu (Sartre, Être et Néant,1943, p. 40).Cette unité pré-judicatoire de la conscience de soi et de la conscience d'objet, qu'on pourrait presque appeler conscience organique (J. Vuillemin, Être et trav.,1949, p. 31).
4.
Jugeable, adj.Qui peut être jugé; sur lequel on peut porter un jugement. Il existe très peu d'hommes, et encore moins de femmes, qui soient, à cet égard, pleinement jugeables avant d'avoir achevé leur carrière objective (Comte, Catéch. posit.,1852, p. 179).
5.
Jugeailler, verbe trans.,rare, péj. Porter des jugements sans valeur, à tort et à travers sur quelque chose. Lui ai confié le manuscrit, à condition qu'il ne le communiquerait à personne. Je suis las de tous ces ineptes jugements. Publié, qu'ils me jugeaillent, peu m'importe! Ils auront acheté le droit de déraisonner sur mon livre (Barb. d'Aurev., Memor. 1,1837, p. 120).
Prononc. et Orth. : [ʒyʒe], (il) juge [ʒy:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 juger a mort « condamner à mort » (Roland, éd. J. Bédier, 1058); 2. a) 1269-78 « porter une appréciation sur les choses » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 6169); ca 1450 « avoir, prononcer un avis sur quelqu'un ou quelque chose, porter un jugement sur » (Monstrelet, Chronique, éd. L. Douët-D'Arcq, t. 1, p. 61); ca 1485 « conjecturer » (Mystère du Vieil Testament, éd. J. de Rothschild, t. 6, 44513); 1540 juger de « porter une appréciation, se faire une opinion sur quelqu'un ou quelque chose » (Nicolas Herberay des Essars, Le Premier Livre d'Amadis de Gaule, éd. H. Vaganay, p. 343); 1547 juger des coups (Noël du Fail, op. cit., p. 12); b) 1269-78 jugier aucun (devant adj.) « considérer comme » (J. de Meun, op. cit., 5829); 3. ca 1270 vén. juger une beste (La chasse du cerf, éd. G. Tilander, 220); 4. a) 1636 juger de qqc. « imaginer, se représenter » (Corneille, Cid, III, 4); b) 1656 jugez s'il aura lieu de souffrir ma présence « id. » (Molière, Dépit amoureux, IV, 1); 5. 1564 « faire usage du discernement, avoir du bon sens » (Indice et recueil universel de tous les mots principaux de la Bible). Du lat. judicare « rendre un jugement, décider, apprécier ». Fréq. abs. littér. : 10 487. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 18 463, b) 11 986; xxes. : a) 13 923, b) 14 042.

Wiktionnaire

Verbe - français

juger \ʒy.ʒe\ transitif 1er groupe (voir la conjugaison)

  1. (Droit) Décider une affaire, un différend en qualité de juge.
    • En dépit du morcellement législatif des coutumes, nous avons une unité remarquable de législation en cette matière, car c'est l’Église qui seule légifère et juge. — (Gabriel Lepointe, La Famille dans l'Ancien droit, Montchrestien, 1947 ; 5e éd., 1956, p.126)
    • Juger en dernier ressort. — Juger une personne, juger son procès.
  2. Décider comme arbitre et comme étant choisi par ceux qui sont en différend.
    • C’est notre arbitre, il nous jugera. - Je m’en rapporte à ce qu’il en jugera.
  3. (Figuré) Être simple spectateur des événements, les louer ou les blâmer sans y prendre part.
  4. (Logique) Prononcer un jugement.
    • Un enfant de dix ans est en état de raisonner et de juger.
  5. (Souvent) Se former, avoir ou énoncer, un avis, une opinion sur une personne ou sur une chose. Note : Il est parfois accompagné de la préposition de.
    • Vous jugez cet homme trop sévèrement.
    • Vous me jugez fort mal, si vous avez une telle opinion de moi.
    • Juger des gens sur l’apparence, sur la mine.
    • Juger de la pièce par l’échantillon.
    • Je ne pouvais pas bien juger de la distance.
  6. Décider en bien ou en mal du mérite d’autrui, de ses pensées, de ses sentiments, du motif de ses actions.
    • Vous en jugez légèrement, témérairement. — Jugez favorablement de lui.
    • (Absolument) Ne jugez pas, si vous ne voulez être jugé.
  7. Conjecturer, estimer que, être d’avis, d’opinion que…
    • La prière, c'est […] une sorte de tapage doublé de flagornerie. Ainsi en jugent […] les rationalistes qui affirment que rien n'est aussi absurde que de s'adresser à un Dieu immuable pour lui demander de bouleverser les lois de son univers en notre faveur. — (Victor Méric, Les Compagnons de l’Escopette, Éditions de l’Épi, Paris, 1930, page 248)
    • Le système de raréfaction des naissances est ici tellement ancré dans les esprits, qu'il finit par être jugé comme le signe d'une vie raisonnable, …. — (Ludovic Naudeau, La France se regarde : le Problème de la natalité, Librairie Hachette, Paris, 1931)
    • Le Prince […] ne peut naturellement vous recevoir en ce moment, mais il juge que votre venue est providentielle. Une dernière grâce du ciel, un heureux présage. — (H. G. Wells, La Guerre dans les airs, 1908, traduction d’Henry-D. Davray et B. Kozakiewicz, Mercure de France, Paris, 1910, page 137 de l’édition de 1921)
    • Nous serions alors préoccupés par les inégalités, que beaucoup jugent pernicieuses, plutôt que par la pauvreté absolue, que ces mêmes personnes et beaucoup d'autres jugent plus pernicieuse encore. — (A. S. Bhalla, Mondialisation, croissance et marginalisation, page 46, IDRC-CRDI, 1998)
  8. Évaluer ; estimer.
    • Cependant, il juge assez correctement des distances et ne lance pas sa langue à l'étourdie sur une proie hors d'atteinte. — (Jean Rostand, La vie des crapauds, 1933)
    • Josiane était partagée entre le désespoir et la fureur. Elle jugea bon de tenter un dernier effort avant qu'elle ne décanillât : […]. — (André Lavacourt, Les Français de la décadence: roman, Gallimard, 1960, p. 335)
    • Elle faisait face à l'étagère où étaient regroupés mes vinyles. J'ai eu le sentiment qu'elle était en train de juger ma discothèque et qu'à travers elle, elle me jugeait moi. — (Olivier Martinelli, Une Légende, E-fractions éditions, 2014, chap.5)
  9. (Pronominal) (Équitation) En parlant d'un cheval, avancer de sorte que le membre postérieur arrive au même niveau que l'antérieur lors de la foulée suivante.
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

JUGER. v. tr.
T. de Jurisprudence. Décider une affaire, un différend en qualité de juge. Juger un procès. Juger définitivement. Juger précipitamment. Juger impartialement. Juger sur les pièces. Juger avec connaissance de cause. Juger contre droit et raison. Juger en dernier ressort. Juger une personne, Juger son procès. Je vous jugerai quand j'aurai vu les pièces. On l'a jugé, il est absous. On dit dans un sens analogue Dieu viendra juger les vivants et les morts. Fig., Juger sur l'étiquette. Voyez ÉTIQUETTE. Juger par contumace. Voyez CONTUMACE. La chose jugée se dit d'un Point de contestation qui a été définitivement jugé par les tribunaux. Il y a chose jugée quand... Le respect dû à la chose jugée. L'autorité de la chose jugée. Jugement passé en force de chose jugée, Décision qui ne peut plus être réformée par aucune voix légale, attendu que la partie condamnée n'est pas pourvue dans le délai fixé. Bien jugé, mal appelé; mal jugé, bien appelé, Formules employées dans les arrêts quand un juge supérieur confirme ou casse la sentence d'un juge subalterne. Substantivement, dans le même sens Le bien-jugé. Le mal-jugé. Maintenir le bien-jugé. Fam., C'est un homme jugé, se dit en mauvaise part d'un Homme dont on connaît le peu de mérite, le peu d'honnêteté.

JUGER signifie aussi Décider comme arbitre et comme étant choisi par ceux qui sont en différend. C'est notre arbitre, il nous jugera. Je m'en rapporte à ce qu'il en jugera. Un cas difficile à juger. Juger des coups, Regarder des joueurs et apprécier en quoi ils jouent bien ou mal. Il signifie figurément Être simple spectateur des événements, les louer ou les blâmer sans y prendre part. Il signifie encore, en termes de Logique, Prononcer un jugement. Un enfant de dix ans est en état de raisonner et de juger. Il signifie souvent Se former, avoir, énoncer un avis, une opinion sur une personne ou sur une chose. Vous jugez cet homme trop sévèrement. Vous me jugez fort mal, si vous avez une telle opinion de moi. Je l'ai jugé au premier abord. Juger un ouvrage, un tableau, une pièce de théâtre. C'est là nous juger témérairement. Les préventions nous empêchent de juger sainement. Il se juge lui-même très sévèrement. Nous nous jugeons rarement comme les autres nous jugent. Ce poète s'est jugé lui-même dans sa préface. Ils ne se jugeaient pas l'un l'autre bien favorablement. Dans ce sens, il est souvent accompagné de la préposition DE. Juger des gens sur l'apparence, sur la mine. Juger de la pièce par l'échantillon. Je ne pouvais pas bien juger de la distance. On juge mal des événements, quand on n'en connaît point les véritables causes. Juger sainement des choses. On dit dans un sens analogue : L'œil juge des couleurs. L'oreille juge des sons. Il juge bien de la poésie, de la peinture. Il juge mal de ces sortes de choses, il ne s'y connaît point. J'en jugerais comme un aveugle des couleurs.

JUGER signifie également Décider en bien ou en mal du mérite d'autrui, de ses pensées, de ses sentiments, du motif de ses actions. Bien juger, mal juger de quelqu'un ou de ses actions. Vous en jugez légèrement, témérairement. Jugez favorablement de lui. Absolument, Ne jugez point, si vous ne voulez être jugé. Jugez équitablement. Juger d'autrui par soi-même, Estimer les sentiments d'autrui par les siens. Jugez d'autrui par vous-même et voyez si vous seriez bien aise qu'on se conduisît ainsi avec vous.

JUGER signifie aussi Conjecturer, estimer que, être d'avis, d'opinion que... Si j'en juge par ce premier essai, nous réussirons. Je jugeai, à son air, qu'il était fort inquiet. Je jugeai que telle chose arriverait. Que jugez-vous de cela? Je ne sais qu'en juger. Si vous jugez qu'il puisse remplir cette mission, confiez-la-lui. Le parti que vous jugerez le meilleur. Que jugez-vous que je doive faire? Il n'a pas jugé à propos de s'y trouver. On a jugé nécessaire d'y pourvoir de bonne heure. Vous en jugez-vous capable? Ils se jugèrent faits l'un pour l'autre. Vous jugez, vous pouvez bien juger qu'il n'en fut pas fort content. Jugez un peu de ma surprise. Jugez si je fus ravi de le voir. Il est aisé de juger d'où vient le coup. En termes de Chasse, Tirer au jugé, Tirer sans voir la pièce sur laquelle on tire.

Littré (1872-1877)

JUGER (ju-jé. Le g prend un e devant a et o : je jugeais, nous jugeons) v. a.
  • 1Prononcer, en qualité de juge, sur une affaire ou sur une personne. Juger un procès, une personne. L'affaire est prête à juger, Dict. de l'Académie. Et vous, rois, ouvrez maintenant votre cœur à l'intelligence ; instruisez-vous, vous qui jugez la terre, Sacy, Bible, Psaum. II, 10. Il nous veut tous juger les uns après les autres, Racine, Plaid. I, 1. Il fut jugé à mort unanimement, sans que l'arrêt prononçât le genre du supplice, Voltaire, Russie, II, 10. La coutume horrible de juger et de condamner à mort pour des opinions religieuses fut introduite chez les chrétiens dès le quatrième siècle de l'ère vulgaire, Voltaire, Hist. parlem. ch. XIX. On dit que l'affaire est jugée au moment que je vous écris, et j'attends avec impatience le moment de juger l'arrêt, Voltaire, Lett. Mme de Lutzelbourg, 2 septembre 1753.

    Fig. J'appelle vérité cette règle éternelle, cette lumière intérieure qui juge nos jugements, qui nous éprouve, qui nous condamne, Massillon, Avent, Épiphan.

    Juger sur l'étiquette du sac, ou, absolument, juger sur l'étiquette, prononcer un jugement sur une affaire en regardant seulement l'étiquette que portaient autrefois les sacs contenant les pièces d'un procès ; et fig. porter son jugement sur quelque affaire, sur quelque personne, sans avoir examiné les pièces, les raisons.

    Absolument. Souvenez-vous, ma bonne, de la règle de Corbinelli, qu'il ne faut pas juger sans entendre les deux parties, Sévigné, 15 nov. 1684. Un ministre si zélé pour la justice ne devait pas mourir avec le regret de ne l'avoir pas rendue à tous ceux dont les affaires étaient préparées ; malgré cette fatale faiblesse qu'il commença de sentir, il écouta, il jugea, Bossuet, le Tellier. Où courez-vous la nuit ? - Je veux aller juger, Racine, Plaid. I, 4.

  • 2Il se dit de la fonction des juges ou premiers magistrats des Hébreux. Il y avait en ce temps-là une prophétesse nommée Débora, laquelle jugeait le peuple, Sacy, Bible, Juges, IV, 4.
  • 3Il se dit de l'arrêt que Dieu porte sur les hommes. Il me semble que je les vois déjà [les personnes de piété] dans un de ces trônes où ceux qui auront tout quitté, jugeront le monde avec Jésus-Christ, selon la promesse qu'il en a faite, Pascal, Lett. à Mlle de Roannez, 3. Que s'il [Dieu] ne dédaigne pas de juger ce qu'il a créé, et encore ce qu'il a créé capable d'un bon et d'un mauvais choix, qui leur [aux impies] dira ou ce qui lui plaît, ou ce qui l'offense, ou ce qui l'apaise ? Bossuet, Anne de Gonz. Dieu juge chacun par sa conscience, Bossuet, Polit. VII, II, 3. La divine parole… ceux qu'elle ne touche pas, elle les juge ; ceux qu'elle ne convertit pas, elle les condamne, Bossuet, 2e sermon, Parole de Dieu, 3. [Dieu] Juge tous les mortels avec d'égales lois, Et du haut de son trône interroge les rois, Racine, Esth. III, 4.
  • 4Décider comme arbitre en quelque différend. Un coup difficile à juger. Je m'en rapporte à ce qu'il en jugera. Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite, Molière, Impromptu, 3. Nous disputons qui est le marquis de la Critique de Molière ; il gage que c'est moi, et moi je gage que c'est lui. - Et moi je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre, Molière, ib. Parbleu, tu jugeras toi-même si j'ai tort, Molière, Fâch. II, 2.
  • 5Se former, énoncer une opinion sur quelqu'un ou sur quelque chose. Vous jugez cet homme bien sévèrement. Juger un livre, une pièce de théâtre, un opéra. Garde-toi, tant que tu vivras, De juger les gens sur la mine, La Fontaine, Fabl. VI, 5. Il ne faut pas juger les gens par l'apparence, La Fontaine, ib. XI, 7. Mais nous, qui d'un autre œil jugeons les conquérants, Racine, Alex. II, 2. Je remplis mon devoir, et j'obéis aux rois ; Le soin de les juger n'est point notre partage ; C'est celui des dieux seuls, Voltaire, Sémir. III, 2. Et l'on vous jugera, vous qui jugez les autres, Chénier M. J. (parlant de la Harpe), les Nouveaux saints.

    Juger un homme, apprécier sa valeur intellectuelle ou morale. Sous le ministère d'un homme qui jouissait d'une grande réputation, mais que la révolution a déjà jugé, Décret du 23 floréal, ou 2e rapport de CAMBON, p. 87.

    Absolument. Ne jugez point si vous ne voulez être jugé. …Le plus souvent l'apparence déçoit ; Il ne faut pas toujours juger sur ce qu'on voit, Molière, Tart. V, 3. M. de Montmoron mourut il y a quatre jours d'une violente apoplexie, en six heures ; c'est une belle âme devant Dieu ; cependant il ne faut pas juger, Sévigné, 4 oct. 1684.

  • 6Croire, estimer, être d'opinion. Que jugez-vous que je doive faire ? Tant que j'ai pu juger qu'elle [ma vie] vous était chère…, Rotrou, Bélis. II, 4. Elle croit, elle qui jugeait la foi impossible, Bossuet, Anne de Gonz. Nous jugeons assez de là que l'impureté était regardée…, Bourdaloue, Car. Impur. II, 125. Un bruit assez étrange est venu jusqu'à moi, Seigneur ; je l'ai jugé trop peu digne de foi, Racine, Iph. Vous-même jugerez s'il faut qu'elle vous suive, Voltaire, Olymp. I, 2.
  • 7Conjecturer. Il n'est pas difficile de juger ce qui en arrivera. Mais des fureurs du roi que puis-je enfin juger ? Racine, Mithr. II, 6.

    En ce sens il se dit avec à. Je jugeai à son air qu'il était malade. Le dernier [Philopémen], à voir agir les Romains dans la Macédoine, jugea bien que la liberté de la Grèce allait expirer, Bossuet, Hist. III, 6. J'entrevois vos mépris, et juge à vos discours Combien j'achèterais vos superbes secours, Racine, Iphigénie, IV, 6.

  • 8Se figurer, s'imaginer. Il est aisé de juger d'où cela part. Ceux qui voyaient la reine d'Angleterre attentive à peser toutes ses paroles, jugeaient bien qu'elle était sans cesse sous les yeux de Dieu, Bossuet, Reine d'Anglet. Ceux qui ont vu de quel front il [Charles 1er] a paru dans la salle de Westminster… peuvent juger aisément combien il était intrépide à la tête de ses armées, Bossuet, ib. Jugez ce que les saints auraient pensé des vôtres [pénitences] et ce que l'Église en pense encore aujourd'hui, Massillon, Carême, Inconst.
  • 9Au jeu de paume, juger la balle, prévoir le lieu où la balle va tomber ; et fig. prévoir quel tour une affaire prendra.

    Terme de chasse. Reconnaître l'âge, le sexe, la taille et l'espèce de bête par le pied, les fumées, etc.

    Tirer au juger, tirer sans voir distinctement la bête, et en jugeant qu'elle est en tel endroit.

  • 10 Terme de médecine. Terminer une maladie, en faire la crise. Un dépôt jugea la fièvre.
  • 11 Absolument. Discerner la convenance ou la disconvenance de deux idées. La vraie perfection de l'entendement est de bien juger, Bossuet, Connaiss. I, 16. Qui doute que les enfants ne conçoivent, qu'ils ne jugent, qu'ils ne raisonnent conséquemment ? La Bruyère, XI. Juger, c'est affirmer qu'une chose que nous concevons est telle ou n'est pas telle : comme lorsque, ayant conçu ce que c'est que la terre, et ce que c'est que rondeur, j'affirme de la terre qu'elle est ronde, Duclos, Gramm. P. R. Œuv. t. IX, p. 53, dans POUGENS.
  • 12 V. n. Porter un jugement, prononcer un arrêt (emploi qui est rare). La Syrie à vos lois est-elle assujettie Pour souffrir qu'une femme [Théodore] y soit juge et partie ? Jugez de Théodore, Corneille, Théod. V, 7. Et quant à ce rebelle… Rome entre vous et lui jugera de l'outrage, Corneille, Nicom. IV, 4. Lancer ses traits et puis retirer sa main, accuser M. Koenig, mon ami, d'être un faussaire… opprimer Koenig et moi avec les mêmes artifices ; c'est ce que Maupertuis a fait, et c'est sur quoi l'Europe littéraire peut juger, Voltaire, Lett. Roquet, 1752.
  • 13Juger de, apprécier, se faire une opinion sur. Je ne pouvais pas bien juger de la distance. Et vous pouvez juger des soins qu'elle en a pris Par les hautes vertus et les illustres marques…, Corneille, Nicom. II, 3. Et me venger enfin ou sur vous ou sur moi, Si j'eusse mal jugé de tout ce que je voi, Corneille, ib. V, 10. Le monde juge bien des choses ; car il est dans l'ignorance naturelle, qui est le vrai siége de l'homme, Pascal, Pensées, III, 18, édit. HAVET. Quand il [le pape] voulut juger des cinq propositions, le point de la grâce efficace fut mis à couvert de toute censure, Pascal, Prov. XVII. Saint Augustin voulait qu'on jugeât des personnes par la foi, et non de la foi par les personnes, Bourdaloue, Exhort. char. env. les nouv. cath. t. I, p. 130. Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau ou d'une figure, sur une seule et première vue ; il y a un intérieur et un cœur qu'il faut approfondir, La Bruyère, XII. On ne juge pas de la racine par les branches, mais des branches par la racine, Rollin, Hist. anc. liv. XXVI, 2e part. ch. 2, art. 2. Si le ciel veut un meurtre, est-ce à moi d'en juger ? Voltaire, Fanat. IV, 4. Il [Boileau] était jeune, et dans l'âge où l'on juge des hommes par la réputation, et non point par eux-mêmes, Voltaire, Dict. phil. Rochester et Waller. Jugeons des actions des hommes, et laissons Dieu juger de leur foi, Rousseau, Lettre à d'Alembert.

    On dit dans un sens analogue. L'œil juge des couleurs. L'oreille juge des sons.

    Juger des coups, regarder des joueurs et apprécier en quoi ils jouent bien ou mal.

    Fig. Juger des coups, être simple spectateur des événements, et n'avoir qu'à les blâmer ou à les louer. Le maréchal du Plessis ne quittera point Paris ; il est bourgeois et chanoine ; il met à couvert tous ses lauriers et jugera des coups, Sévigné, 8 avr. 1672.

    Aujourd'hui on dit souvent juger les coups ; c'est une autre nuance de sens.

  • 14Juger de, se faire une idée de. Vous pouvez juger de ma surprise. Juge de son pouvoir [de mon amour] : dans une telle offense, J'ai pu délibérer si j'en prendrais vengeance ! Corneille, Cid, III, 4. Si nos cheveux sont comptés, jugez de nos œuvres, Massillon, Avent, Jugem.
  • 15Juger de, porter, en bien ou en mal, un jugement sur autrui. Il juge bien de tout le monde. Juger mal de son prochain. Et la mort d'Annibal m'eût fait mal juger d'eux [des Romains], Corneille, Nicom. I, 5. J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse, Molière, l'Ét. I, 10.

    Juger d'autrui par soi-même, estimer les sentiments d'autrui par les siens. Seigneur, ne jugez pas de son cœur par le vôtre, Racine, Brit. V, 1. La vertu simple et sévère juge des autres par elle-même, Massillon, Pet. carême, Écueils.

  • 16Juger de, être connaisseur en, apprécier le mérite de. Il juge bien de la poésie et de la peinture. Il juge mal de ces sortes de choses. Par la raison qu'il y en a plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, Molière, Critique, 6. Ceux qui jugent d'un ouvrage par règle sont à l'égard des autres comme ceux qui ont une montre à l'égard des autres, Pascal, Pensées, VII, 5. Je ne puis juger de mon ouvrage en le faisant ; il faut que je m'éloigne comme les peintres, et que je m'en éloigne, mais encore pas trop, Pascal, XXV, 63. Là, tous mes sots, enflés d'une nouvelle audace, Ont jugé des auteurs en maîtres du Parnasse, Boileau, Sat. III. Pour juger des poëtes, il faut savoir sentir, il faut être né avec quelques étincelles du feu qui anime ceux qu'on veut connaître, Voltaire, Ess. poés. épique, ch. II.

    Absolument. Ceux qui sont accoutumés à juger par le sentiment ne comprennent rien aux choses de raisonnement, Pascal, Pens. VIII, 33. Tous les jours à la cour un sot de qualité Peut juger de travers avec impunité, Boileau, Sat. IX. Tel excelle à rimer qui juge sottement, Boileau, Art p. IV.

  • 17Se juger, porter un jugement sur soi-même, avoir une opinion sur soi-même. Il se juge en autrui, se tâte, s'étudie, Corneille, Pomp. III, 1. Jugez-vous : répondez avec la vérité Que vous devez au moins à ma sincérité, Voltaire, Zaïre, IV, 6. Jugez-vous dans mon cœur, prenez-le pour votre conscience, Staël, Corinne, XII, 2.

    Porter un jugement les uns sur les autres. Ils ne se jugent pas l'un l'autre bien favorablement.

    Dans le langage de la dévotion, s'infliger une perpétuelle mortification. Le jugement général en causera une générale [émotion] dans le monde, excepté ceux qui se seront déjà jugés eux-mêmes, Pascal, Lett. à Mlle de Roannez, 8.

  • 18Croire quelque chose sur son propre compte. Il s'était jugé digne d'une récompense.
  • 19Être jugé. Le procès se jugera demain.
  • 20 Terme de médecine. Une maladie se juge par des sueurs, par une diarrhée, etc. quand une amélioration sensible et soutenue se manifeste à la suite d'une évacuation quelconque.

REMARQUE

Dans le sens de être d'opinion, de sentiment que, juger régit l'indicatif quand la phrase est affirmative, et le subjonctif quand elle est négative ou interrogative : Je juge que vous devez partir ; Je ne juge pas que vous deviez partir ; Jugiez-vous que je dusse partir ? Dans le sens de croire, il régit l'infinitif quand le verbe régi se rapporte au sujet de la phrase : Il jugea devoir se comporter ainsi. Quand le verbe ne se rapporte pas au sujet de la phrase, il faut se servir de que avec l'indicatif : Votre père a jugé que vous devez vous comporter ainsi.

HISTORIQUE

XIe s. Si il ne pot prover sor saintz que melz [mieux] ne sot juger, Lois de Guill. 1. Si as juget [tu as décidé] qu'à Marsilion en alge [j'aille], Ch. de Rol. X.

XIIe s. Dont [pour cela] [ils] firent la hataille sur deus homes jugier [remettre la bataille à deux champions], Sax. IV. À mort serez jugié se je ne vous estrif [tire d'affaire], ib. XXIV. Mult achate l'onur qui est à mort jugiez, Th. le mart. 121.

XIIIe s. Se cil qui est apelés de defaute de droit ou de faus jugement est convaincus en l'apel et atains, il pert le jugier et le [la] justice de sa terre, Beaumanoir, LXI, 39. Ele fu jugie à ardoir [être brûlée], et fu arse, Beaumanoir, XXXIX, 14. Il iroit contre le jugié…, Beaumanoir, VI, 20. L'autre point si est tel, que il [les Bédouins] croient que nulz ne peut mourir que jeusques au jour que il lui est jugé, Joinville, 260.

XIVe s. Le juge corrumpu qui a jugié injustement un champ à la partie, il ne prent pas le champ pour soy, mais il prent l'argent, Oresme, Eth. 161.

XVe s. Et pour tels comme ils sont eux-memes, ils jugent les autres, Monstrelet, liv. I, ch. 9. Voyant grande quantité de lances debout, ce leur sembloit, jugerent que c'estoient les batailles du roy qui estoient aux champs, Commines, I, 11. Il [le prince] sera jugé, à l'oppinion des gens, d'estre de la condition et nature de ceulx qu'il tiendra les prochains de luy, Commines, II, 3. Qui veut bien juger, il doit la partie escouter, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 408.

XVIe s. Son port et sa façon ne le jugeoient pas de maulvaise affaire ny de seditieuse humeur, Carloix, III, 13. Erreur de calcul ne passe jamais en force de chose jugée, Loysel, 872. Les juges non royaux sont tenus de soutenir leur jugé, au peril de l'amende sur eulx ou leur seigneur, Loysel, 881. Il leur fist prester le serment de juger selon le droit et l'equité, Amyot, Cimon, 14. C'est le jour [celui de la mort] qui doibt juger de toutes nos années, Montaigne, I, 67. Un habile homme ayant jugé que ce n'estoit que fantaisie…, Montaigne, I, 100. Pour juger du lustre de l'escarlatte, on nous ordonne de…, Montaigne, II, 100. Qui trop tost juge, tost se repent, H. Estienne, Precell. 188. Mieulx vault juger entre ennemis qu'entre ses amis, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 348.

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Étymologie de « juger »

Provenç. jutjar, jutgar ; espagn. juzgar ; portug. julgar ; ital. giudicare ; du lat. judicare, de jus, droit, et dicere, dire, prononcer.

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Du latin jūdĭcare (« rendre un jugement, juger »), de jūs (« loi, droit ») et dīcĕre, « dire ».
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Phonétique du mot « juger »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
juger ʒyʒe

Fréquence d'apparition du mot « juger » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « juger »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « juger »

  • On ne juge pas un vainqueur.
    Catherine II
  • Il faut juger un homme à son enfer.
    Marcel Arland — Carnets de Gilbert, Gallimard
  • Juger autrui, c'est se juger.
    William Shakespeare
  • Laissons le lapidaire juger des pierres précieuses.
    Proverbe malais
  • Le plus haut des tourments humains est d'être jugé sans loi.
    Albert Camus — La Chute, Gallimard
  • Aussi es-tu sans excuses, qui que tu sois, toi qui juges. Car, en jugeant autrui, tu juges contre toi-même, puisque tu agis de même, toi qui juges.
    Saint Paul, Épître aux Romains, II, 1
  • Par les airs du valet, on peut juger du maître.
    Destouches — Le Glorieux
  • Le tribunal de Jérusalem, qui va juger le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, commencera à examiner en janvier les éléments de preuve. Inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires différentes, Netanyahou plaide son innocence et se dit victime d'une «chasse aux sorcières» des services du ministère public et des médias. L'audition des témoins commencera en janvier 2021. Benyamin Nétanyahou a quant à lui jusqu'au 18 octobre pour déposer un plaidoyer par écrit.
    Libération.fr — ​Procès Nétanyahou : les éléments de preuve examinés en janvier - Libération
  • Pas de peinture sur les murs façon tags mais des feuilles de papier en divers points du centre-ville, collées sur les pignons de maison, rue du Séminaire, du collège, Verderel, place du Kreisker… La tonalité relève de la militance néo- féministe à en juger par les inscriptions : « Le sexisme est partout, les féministes aussi », « Nous sommes les descendantes des sorcières que vous n’avez pas su brûler », « Non, c’est non… » Le crachin et la brise bretonne ne devraient guère tarder à gommer ce vandalisme d’un nouveau genre.
    Le Telegramme — Une vague de « collages » féministes en centre-ville - Saint-Pol-de-Léon - Le Télégramme
  • Dans un monde idéal, on devrait tout juger comme on juge devant la cour d’assises, c’est-à-dire en prenant le temps, et en faisant en sorte que rien ne soit préjugé ; qu’aucun élément ne soit acquis aux débats avant même qu’ils n’aient débuté.
    « Dans un monde idéal, on devrait tout juger comme on juge devant la cour d’assises » | Interview | Dalloz Actualité
Voir toutes les citations du mot « juger » →

Traductions du mot « juger »

Langue Traduction
Anglais judge
Espagnol juez
Italien giudice
Allemand richter
Chinois 法官
Arabe قاضي
Portugais juiz
Russe судья
Japonais 裁判官
Basque epaileak
Corse ghjudice
Source : Google Translate API

Synonymes de « juger »

Source : synonymes de juger sur lebonsynonyme.fr

Combien de points fait le mot juger au Scrabble ?

Nombre de points du mot juger au scrabble : 13 points

Juger

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