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Idée

Variantes Singulier Pluriel
Féminin idée idées

Définitions de « idée »

Trésor de la Langue Française informatisé

IDÉE, subst. fém.

I.
A. − Ce que l'esprit conçoit ou peut concevoir.
1. Tout ce qui est représenté dans l'esprit, par opposition aux phénomènes concernant l'affectivité ou l'action. Les hommes ont des images avant d'avoir des idées; ils voient les corps avant de connoître les esprits (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 251).La danse est aussi révélation et langage, car elle provoque inconsciemment ou révèle volontairement des états, des idées ou des sentiments intraduisibles par des mots (Bourgat, Techn. danse,1959, p. 10).
Avoir l'idée de.Se représenter. On a l'idée de point en considérant la marque faite sur une feuille de papier avec une aiguille ou la pointe d'un crayon bien taillé (Roux, Miellou, Géom.,1946, p. 7) :
1. Dans les dessins, la fragmentation dévoile la complexité de nos représentations les plus simples. L'idée que nous avons d'une harpe est la combinaison d'une grande quantité d'éléments : images visuelles de bois doré pour le cadre, de lignes parallèles pour les cordes, de spirale comme ornement, d'images auditives, d'impressions personnelles, etc. Un enfant mis en présence du dessin d'une harpe n'y voit rien d'autre que des éléments simples. Warcollier, Télépathie,1921, p. 285.
a) [Point de vue de la qualité, de la forme de l'idée] Avoir, se faire l'/une idée claire, complète, exagérée, précise de qqc. ou de qqn. Si l'on découvrait ce journal, il donnerait de moi une idée fort inexacte, car je n'y mets guère que ma vie extérieure (Green, Journal,1936, p. 58) :
2. L'Empereur expliquait la netteté de ses idées et la faculté de pouvoir, sans se fatiguer, prolonger à l'extrême ses occupations, en disant que les divers objets et les diverses affaires se trouvaient casés dans sa tête comme ils eussent pu l'être dans une armoire. Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 149.
SYNT. (Concevoir, exprimer, se former une) idée approximative, complexe, concrète, confuse, distincte, imparfaite, insuffisante, nette, sommaire, superficielle, vraie; faible, vague idée; idée d'ensemble.
Représentation élémentaire, sommaire. Synon. aperçu, exemple.Avoir, donner, se faire une idée de qqc. ou de qqn; ces chiffres suffisent à donner une idée de; vous avez une idée de ce que cela peut être? Vous pouvez avoir une idée de mon ouvrage et de son étendue en jetant un regard sur la couverture que je joins à ma lettre (Balzac, Corresp.,1843, p. 600).Elle était venue, comme ça, en passant, regarder les couronnes, pour se faire une idée. Elle demandait les prix (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 127).V. féminin ex. 7 :
3. La nature a percé plusieurs rochers du globe, pour y faire passer des veines d'eau et des filons de métal (...). Pour donner une idée de ces aqueducs souterrains, je dirai deux mots de celui que j'ai vu à l'Ile-de-France. Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 225.
Loc. diverses
Ne pas avoir (l') idée, n'avoir aucune, nulle idée, ne pas avoir la première, la plus légère, la plus petite idée de qqc. Ne pas connaître, ignorer totalement. Ceux qui le poursuivent exigent de cet homme qu'il éprouve des sentiments dont il n'a même pas l'idée (Mauriac, Journal 2,1937, p. 140).Vous ne l'avez pas vu?... Vous n'avez pas la moindre idée de l'endroit où je pourrais le joindre? (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 82) :
4. On proclama la république romaine du haut du Capitole, mais il n'y avait de républicains dans la Rome de nos jours que les statues; et c'était n'avoir aucune idée de la nature de l'enthousiasme que d'imaginer qu'en le contrefaisant on le ferait naître. Staël, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 511.
Avoir, se faire (l'/une) idée de qqc. Imaginer. Donner (une) idée de qqc. Le faire concevoir, imaginer. Je pense souvent aux gens qui ont passé des années dans les cages de fer des prisons, au Moyen Âge, et je me fais un peu idée de leurs souffrances parce que je sais ce que c'est qu'une insomnie (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 478).J'ai idée des difficultés que vous avez rencontrées (Dub.1967, Lexis 1975).[Le plus souvent à la forme négative, p. exagér.] On ne peut, on ne saurait avoir, donner, se faire l'idée de; vous n'avez pas idée comme c'est agaçant, combien je suis heureux. Vous ne vous faites pas une idée de l'aplomb de ces gens-là! (Zola, E. Rougon,1876, p. 202).On n'a pas idée où la vanité d'une maîtresse de maison peut se nicher (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 24).Abs. Toute la journée attaché là, et rien, absolument rien à faire! Au début les heures me paraissaient longues, longues, tu n'as pas idée (Martin du G., Thib., Pénitenc., 1922, p. 714).Ne pas avoir, se faire d'/l'idée de qqc. (vieilli). De loin nous ne nous faisons pas d'idée de ce que c'est que l'autorité d'un despote qui connaît de vue tous ses sujets (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 264).V. agile ex. 34.
À la forme négative, fam. [Pour exprimer la surprise, l'étonnement devant l'invraisemblance d'une chose, d'une action] On n'a pas idée ou a-t-on idée de (+ inf. ou subst.).Il n'est pas concevable d'agir ainsi. On n'a pas idée de ça! On n'a pas idée d'une folie pareille! grommela la vieille dame. Se faire du mal pour du papier imprimé! (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 138).Vous devriez avoir honte de parler d'un dégoûtant qui a été révoqué pour mœurs, espèce de dévergondée. A-t-on idée de faire rougir une femme de mon âge! Ça ne vous portera pas bonheur (Bernanos, Crime,1935, p. 816).V. apprendre ex. 24.
Abs., fam. On n'a pas idée! A-t-on idée? Est-ce possible? J'ai vu une Anglaise qui a passé quelques jours chez des voisins à eux; on n'a pas idée!... Elle se promène dans son jardin presque toute nue (H. Bataille, Maman Colibri,1904, IV, 1, p. 27).Je suis celle qui est là pour t'empêcher de mourir, comme tu dis! de mourir, a-t-on idée! (Claudel, Échange,1954, II, p. 763).
Fam. Avoir l'idée que, avoir comme une idée que, plus cour. avoir idée que. Avoir l'impression, croire, s'imaginer, penser que. J'ai toujours eu l'idée que vous arriveriez par moi aux honneurs et à la fortune (Scribe, Camaraderie,1837, III, 6, p. 300).Mon cher Berthier, j'ai l'idée que le ministère tombera au début de la session (A. France, Lys rouge,1894, p. 333).Il s'est mis tout le monde à dos. Nous n'avions pas idée qu'on pût à ce point le détester (Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 38).
Rem. La docum. enregistre la constr. vieillie prendre une idée de. Synon. avoir, se faire une idée. Son ignorante vie avait cessé tout à coup, elle raisonna, se fit mille reproches. « Quelle idée va-t-il prendre de moi? Il croira que je l'aime » (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 123). Il eût fallu voir, pour en prendre une idée, son front couvert de sueur, et cependant résigné, ses yeux mouillés de larmes, et cependant levés au ciel (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 374). Ce futur, qui est en elle à l'état de désir et qu'elle n'a plus l'énergie de réaliser, cultive-le, prends-en une idée claire (Barrès, Homme libre, 1889, p. 131).
b) [Point de vue de la résonance affective de l'idée]
[Le plus souvent au plur., suivi d'un adj. indiquant le degré affectif de l'idée] Leur présence m'imposoit une mortelle contrainte, et réveilloit en moi des idées accablantes (Genlis, Chev. cygne, t. 1, 1795, p. 115).Il nourrissait des idées grises, des idées noires, que sais-je? des pressentiments (Gide, Caves,1914, p. 839).V. attaquer ex. 11.
SYNT. Idée affreuse, agréable, atroce, chagrine, consolante, étrange, gaie, importune, insupportable, souriante, terrible; idées douces, drôles, lugubres, moroses, sinistres; (être assailli de, chasser des, entretenir des, être porté aux) idées sombres; idées dégoûtantes, lubriques, malsaines, obscènes, sordides.
Loc. verb., fam. Être dans ses idées. Être obnubilé par qqc., avoir des idées noires. Ces diables de violons qui s'avisent de jouer cet air-là justement aujourd'hui, − quand je suis dans mes idées (Murger, Scènes vie jeun.,1851, p. 138).
c) [Point de vue du mode de relation de l'idée aux autres idées] Enchaînement, liaison des idées; idées cohérentes, embrouillées, sans suite. Les foules sont inspirées par des associations d'idées très simples. Vous ne leur ferez pas faire une émeute un jour de fête (A. France, Bergeret,1901, p. 364).Il s'assit sur l'escabeau. Il n'avait plus une idée dans la tête. Les minutes étaient lentes. Le temps se traînait (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 98) :
5. Paris, 7 juin 1822. « Cette soirée me fait l'effet d'un songe heureux, j'en suis encore tout enivré. Je cherche à rassembler mes idées, je ne le puis : le bonheur qui remplit mon âme étourdit ma pensée (...) » Ampère, Corresp.,1822, p. 211.
SYNT. a) Mettre de l'ordre dans ses idées; sauter d'une idée à l'/une autre; (se) changer, rafraîchir les idées (à/de qqn); chasser, écarter, éloigner, repousser une/des idée(s). b) Classification, combinaison, coordination, cours, fil des idées.
PSYCHOL., MÉD. Association* d'/des idées; fuite* des idées; idée fixe*; idées délirantes*.
d) [Point de vue de l'objet de l'idée; le plus souvent suivi de de] Se faire à une idée. Tout à coup, il lui vient une idée qui la jeta dans un trouble inexprimable : Jules allait croire que, comme son père, elle méprisait sa pauvreté! (Stendhal, Abbesse Castro,1839, p. 154).L'idée d'un emprunt lui revint, elle finit par accepter, à la condition qu'elle lui rendrait ce qu'il dépenserait pour elle (Zola, Germinal,1885, p. 1243).La puissance de ce brasseur d'affaires dont l'existence éveillait l'idée d'une torche en flamme, secouée par les vents, fumeuse mais éblouissante (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 831).V. afféterie ex. 5, blondeur ex. 4, cernure ex. 1 :
6. Les Anciens ont toujours senti que l'idée de la mort a sa volupté; l'amour et les fêtes la rappellent, et l'émotion d'une joie vive semble s'accroître par l'idée même de la brièveté de la vie. Staël, Corinne, t. 1, 1807, p. 236.
L'idée de + subst. ou inf.; l'idée que.Le fait de se représenter quelque chose. Être préoccupé, tourmenté de/par l'idée que; la seule idée, à la seule idée, rien qu'à l'idée de, que. Annette avoit été effrayée par l'idée que M. de Durantal pouvoit ne pas avoir de foi en Dieu (Balzac, Annette, t. 2, 1824, p. 127).Jean Valjean devint pâle. La seule idée de redescendre dans cette rue formidable le faisait frissonner (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 630).À l'idée que vous pourriez ne pas aller droit en paradis, j'en ai tout le corps qui tremble (Zola, Dr Pascal,1893, p. 13) :
7. ... rien n'importe beaucoup de ce qui peut nous advenir sur terre, puisque la seule idée de ce qui nous attend plus tard suffit dès maintenant à nous combler de joie. Green, Journal,1938, p. 158.
Rem. La docum. et qq. dict. du xixeet xxes. enregistrent le sens vx, quasi-synon. de image, souvenir. Le scintillement des étoiles, la clarté de la lune, le calme profond qui m'environnoit, le parfum des fleurs, la nuit, l'heure, le mystère, tout rappeloit à mon cœur un souvenir délicieux et déchirant... Les idées si chères que me retraçoit l'imagination n'agissoient que sur mes sens; enivré, éperdu, je n'en étois que plus infortuné (Genlis, Chev. cygne, t. 1, 1795, p. 208). Je demande pardon au lecteur de lui rappeler l'idée d'un pareil monstre, par des vers aussi misérables; mais il faut connoître l'esprit des temps (Chateaubr., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 155). Je l'aime de toutes les forces de mon âme, et dans mon abandon complet, dans ma profonde douleur, il n'y a que son idée qui puisse encore m'offrir de la joie (Hugo, Corresp., 1821, p. 326). Elle s'étonnait d'avoir trouvé si ridicules les idées réveillées par le récit de Madame de Thémines (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 10).
2. Ce qui n'existe que dans l'esprit, dans l'imagination, par opposition à ce qui existe en fait, dans la réalité, de façon concrète. Synon. chimères, illusions, rêves, visions.Vivre avec ses idées. Il se repaît d'idées (Littré). Il nous a entretenu de ses idées (Ac.) :
8. Ce ne sont pas des idées qu'il faut à ce peuple remuant [le peuple français], mais des faits, des récits historiques, des couplets et Le Moniteur! Voilà tout : jamais d'abstraction. Baudel., Salon,1846, p. 165.
Loc. fam.
Se faire une/des idées(s); se mettre, se fourrer (fam.) des idées dans la tête, en tête. Imaginer des choses fausses, sans fondement. Pourquoi penser, ou dire du moins, que si tu me demandais à écouter ton drame, je ferais sourde oreille? Voilà ce que je ne te pardonne pas. Ce sont ces idées que tu te fourres en tête (Flaub., Corresp.,1847, p. 8).Il ne me croit plus, dit-elle avec désespoir (...). Il va me détester à cause d'une idée qu'il se fait (Barrès, Jard. Oronte,1922, p. 218).V. accrocher ex. 28 :
9. ... ils se disaient, en scrutant des yeux la nuée rouge de Verdun : « Il ne faut pas exagérer. De là-haut on se faisait des idées. Tout ne brûle pas. Loin de là. Suffit de regarder. Il y a des incendies de côté et d'autre. Mais il y a des pâtés de maisons, des carrés de bâtiments qui continuent d'être bien sombres, bien peinards (...) ». Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 137.
P. iron. Synon. se faire des illusions.S'il espère recevoir des compliments, il se fait des idées (Lar. Lang. fr.).
Avoir des idées. Avoir en tête des fantasmes sexuels. Donner des idées à qqn. Éveiller des fantasmes sexuels; exciter l'imagination de quelqu'un. Leurs bêtises [des hommes] lui causaient si peu de plaisir, qu'elle restait sale exprès, afin de ne pas leur donner des idées (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 265).Elle est comme toutes les mères. Je lui dis parfois : « Mais tu les embêtes, tes fils. Laisse-les donc tranquilles. C'est toi qui leur donnes des idées, avec toutes tes questions... » (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1114) :
10. « Si vous avez ce qu'on appelle des idées... » ou plutôt : « ... ce que l'on appelle vulgairement des idées... » il ne savait pas au juste ce qu'elle voulait dire. Peut-être la baiser sur la bouche, ou même faire le mal avec elle. Green, Moïra,1950, p. 220.
[Pour exprimer l'étonnement devant le caractère non fondé d'une affirmation, irréalisable d'un projet, insolite ou absurde d'une action, d'un comportement]
En voilà une (drôle d') idée! En voilà des idées! Moi?... Ah! par exemple!... en voilà des idées!... où vas-tu chercher tout cela, mignonne? (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 109) :
11. le vérificateur : Vous ne voudriez pas m'accompagner, dans ma prochaine tournée? Laurency, surpris : Moi, en voilà une idée! Lenormand, Simoun,1921, 7etabl., p. 77.
Cette idée (de + subst. ou inf.) Mon Dieu! Que ces gens étaient ridicules! Je sais bien que nous le serons autant qu'eux dans vingt ans, mais cette idée d'un troubadour avec un casque et une lyre! (Colette, Cl. école,1900, p. 231).Célestine, soyez franche avec moi... Monsieur ne vous a jamais poussée dans un coin?... Il ne vous a jamais embrassée?... Il ne vous a jamais...? Non cette idée! (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 51).Et cette idée de se poudrer la nuque! Tout d'elle lui était odieux (Montherl., Bestiaires,1926, p. 404) :
12. Je trouve ta question stupide, − Marie-Louise était agacée, − tu n'es pas juif que je sache, tu ne t'es jamais occupé de politique... Tout le monde va rentrer à Paris à la fin des vacances, cette idée! Quand on n'est ni Allemand émigré, ni Polonais, je ne vois pas pourquoi on ne rentrerait pas chez soi! Triolet, Prem. accroc,1945, p. 108.
Quelle idée avez-vous là! Sortir par un temps pareil, quelle idée! (Littré). Moi, t'en vouloir! Quelle idée! (Hermant, M. de Courpière,1907, II, 4, p. 16).Quelle idée a eue ce vieux respectable monsieur d'introduire dans sa maison un serviteur comme moi? Je vous demande : suis-je ici à ma place? (Bernanos, Joie,1929, p. 543) :
13. − Vous souvenez-vous d'Adrienne? Elle partit d'un grand éclat de rire en disant : « Quelle idée! » Puis, comme se le reprochant, elle reprit en soupirant : « Pauvre Adrienne » Elle est morte au couvent de Saint-S..., vers 1832. » Nerval, Filles feu, Sylvie, 1854, p. 626.
Création de l'esprit; être imaginaire. Synon. invention; apparence, fantôme, mythe, ombre.Qu'est-ce donc que Lélia? une ombre, un rêve, une idée tout au plus (Sand, Lélia, t. 1, 183, p. 47).Des types vagabonds qui cherchent de la matière, ou bien des créatures s'évaporant en idées (Flaub., Tentation,1856, p. 593) :
14. ... je me créai un fantôme de femme pour l'adorer. Je m'épuisai avec cette créature imaginaire, puis vinrent les amours réels avec qui (je) n'atteignis jamais à cette félicité imaginaire dont la pensée était dans mon âme. J'ai su ce que c'était que de vivre pour une seule idée et avec une seule idée, de s'isoler dans un sentiment, de perdre de vue l'univers et de mettre son existence entière dans un sourire, dans un mot, dans (un) regard. Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 796.
[Pour exprimer le fait qu'une quantité est si petite qu'elle est presque inexistante] Une idée de + subst.Synon. une larme, un poil, un rien, un scrupule, un soupçon.Si Landry avait une idée de gaieté et de courage de plus que son aîné, Sylvinet était si fin d'esprit qu'on ne pouvait pas l'aimer moins que son cadet (Sand, Pte Fad.,1849, p. 14) :
15. Le Soir de Paris s'est (...) évaporé : il n'a pu lutter contre la naphtaline; il faudrait renifler la plinthe au-dessous de l'œil-de-bœuf, pour retrouver peut-être un reste de parfum, une idée de parfum. J.-L. Bory, Mon Village à l'heure allemande, Paris, Flammarion, 1945, p. 79.
[Employé adverbialement] Culotte et pourpoint m'allaient comme un gant, bien qu'une idée larges (Arène, J. des Figues,1870, p. 64).La porte s'entre-bailla; oh! à peine! un rien, une idée! tout juste assez pour qu'un mince fil de lumière tombât du plafond au plancher (Courteline, Conv. Alceste, Margot, 1888, p. 75).Excellents, les mouvements de Maîtres Chanteurs! Une seule fois, au moment d'attaquer la marche, ça allait une idée trop vite (Willy, Bains de sons,1893, p. 193).
3. [Avec mise en œuvre de la puissance créatrice de l'intelligence] Conception de quelque chose à réaliser.
a) Surtout dans les domaines artistique, littéraire, scientifique.Conception originale et/ou féconde; première conception de quelque chose; donnée fondamentale. On lui doit l'idée de cette machine (Lar. 20e, Lar. encyclop.). L'œuvre à accomplir amène nécessairement l'ouvrier : le besoin donne l'idée, et c'est l'idée qui fait le producteur (Proudhon, Propriété,1840, p. 226).Pour un grand artiste, l'idée, la vision d'un tableau peuvent jaillir de l'émotion d'une lecture, et les plus beaux thèmes plastiques s'ordonner et s'épanouir au rythme d'un poème (A. Michel, Peint. fr. xixes., 1928, p. 105) :
16. Toute la faiblesse et le manque d'originalité du romancier Bourget est dans l'aveu qu'il vient de faire que la conception de Suzanne Moraines lui a été inspirée par MmeMarneffe, de Balzac. Prendre l'idée d'un roman dans un roman, et ne la pas prendre cette idée dans un événement humain ou une individualité caractéristique que vous avez côtoyée, là est ce qui distingue le romancier qui ne l'est pas de celui qui l'est. Goncourt, Journal,1888, p. 748.
SYNT. a) Idée centrale, dominante, essentielle, fondamentale, prépondérante, principale d'une œuvre; idée directrice d'un écrivain, d'un homme de sciences, d'une œuvre; idée maîtresse, mère. b) (Chercher, donner) une idée de conte, de pièce. c) Breveter une idée; développer, expliquer une idée.
En partic., domaine de la création artistique et littér. Esquisse, ébauche. Jeter une/des idée(s) sur le papier; ce n'est (encore) qu'une idée. L'idée première, le croquis, qui est en quelque sorte l'œuf ou l'embryon de l'idée, est loin ordinairement d'être complet (Delacroix, Journal,1847, p. 169) :
17. Il est remarquable que, dans les premières idées du Dona, qui datent du temps du Credo − soit de 1820, − il ne soit aucunement question de l'assaut de la guerre − ou extérieure, ou intérieure. Rolland, Beethoven, t. 2, 1937, p. 416.
MUS. ,,Phrase musicale, d'ampleur variable, qui semble le noyau d'une œuvre ou d'une partie d'une œuvre et se prête à des développements ultérieurs`` (Lar. encyclop.). Les développements considérables [de cet allegro] roulent constamment sur la même idée (Berlioz, À travers chants,1862, p. 45) :
18. Le concerto qu'il nous a joué semblait tout entier fait pour lui. La robuste carrure du rythme, le puissant mouvement des idées, dans l'allegro et le finale, s'accordaient pleinement avec les qualités de son archet et de son violon. P. Lalo, Mus.,1899, p. 354.
b) Cour. Conception neuve et/ou inattendue; solution originale à un problème. J'ai des tas d'idées (fam.); c'est une idée à lui (fam.). Elle le félicitait de son bon goût : − « Ah! c'est mignon, extrêmement bien! Il n'y a que vous pour ces idées » (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 69).Ne craignez rien; j'ai mon idée pour entrer (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p. 309).Nanteuil dit qu'il fallait s'adresser au docteur Trublet. − C'est une idée! s'écria Pradel (A. France, Hist. comique,1903, p. 153) :
19. Tenez! une idée me vient. Vous devriez faire une retraite de quelques mois, dans votre Auvergne, au sein de votre aimable famille... Bernanos, Imposture,1927, p. 422.
[Concerne également I A 3 c] L'idée de qqc.; l'idée de faire qqc.Le fait de penser à, d'imaginer quelque chose et/ou le projet de quelque chose. Quelle bonne idée vous avez eue de venir aujourd'hui! Personne n'aura l'idée (l'idée ne viendrait à personne) de vous chercher ici. C'était, tout de même, une étrange mécanique qu'une femme. Jamais il n'avait eu l'idée d'étudier cela. Il commençait à entrevoir des complications extraordinaires (Zola, E. Rougon,1876, p. 67).Notre curé (...) qui se croit un homme d'initiative, a eu l'idée d'un service pour les sinistrés de la Martinique (Bloy, Journal,1902, p. 96).L'astrologie, qui eut l'idée géniale de rebaptiser les douze signes du zodiaque et de les remplacer poétiquement par les douze maisons du ciel (Boll, Qq. sc. captivantes,1941, p. 194).V. coiffage ex. 1 :
20. La commode est une des créations les plus intéressantes de l'époque [le xviiesiècle]. Jusque-là, le linge était rangé dans des coffres. Au xviesiècle, les cabinets avaient révélé la commodité des tiroirs. Dans un coffre à dessus fixe, surélevé sur quatre pieds, on eut l'idée de pratiquer des grands tiroirs. Viaux, Meuble Fr.,1962, p. 79.
SYNT. a) Idée alléchante, bouffonne, dangereuse, diabolique, épatante, étonnante, funeste, hasardeuse, heureuse, inapplicable, ingénieuse, lumineuse, machiavélique, neuve, saugrenue, séduisante, singulière, stupide; excellente, fameuse, malencontreuse, riche idée; drôle d'idée; idée de génie. b) Lancer, pousser une idée; recueillir des idées. c) [Concerne I A 3 b et c]. Une idée germe, naît, jaillit; une idée est dans l'air, a de l'avenir, fait son chemin; une idée frappe, illumine, occupe; une idée se présente, vient à l'esprit; une idée traverse qqn, l'esprit, le cerveau, la cervelle, la tête; une idée entre dans la tête, passe par la tête; trotte dans la tête (la cervelle), sort de la tête; une idée vient de qqn.
Souvent au plur., abs. [Concerne I A 3 a et b; pour insister sur le caractère d'originalité, d'invention] Être dénué, dépourvu, plein d'idées; médiocrité, pauvreté, vide d'idées; une tête à idées, boîte à idées; les idées ne viennent pas. Le voilà qui se met à développer ce texte avec une abondance d'idées, une richesse de vues si fines ou si profondes, un luxe de métaphores si brillantes et si pittoresques, que c'était merveille de l'entendre (Chênedollé, Journal,1822, p. 113).Je souffre (...) d'un certain manque d'idées proprement dites, de vues, de vérités, qui après tout constituent la vraie richesse d'un esprit (Amiel, Journal,1866, p. 59).
Avoir des idées. Avoir l'esprit fécond, ingénieux :
21. Il avait des idées. À dix ans il avait inventé une trappe à mouches, à douze une nouvelle méthode pour gonfler les pneus de bicyclette, à quatorze un moulin à distribuer les cartes à jouer. Queneau, Loin Rueil,1944, p. 222.
c) Intention, envie, désir; projet. Avoir des idées intéressées; vous aviez bien une idée en me posant cette question? J'ai applaudi à ses projets, je l'ai encouragé dans ses idées de mariage (Champfl., Souffr. profess. Delteil,1855, p. 240).Je me décidai à tout vendre, et me trouvai tout d'un coup ne plus posséder que le cinquième à peine de ce que j'avais hérité de ma grand'mère (...). On le sut d'ailleurs à Combray (...), on se dit : « Voilà où mènent les idées de grandeur » (Proust, Fugit.,1922, p. 640).Il ne lui posait pas cette question dans l'idée d'écouter sa réponse, mais simplement pour lui crier sa colère (A. Chamson, Roux le bandit, Paris, Grasset, 1925, pp. 50-51) :
22. Un jour dans ses lointains voyages en Orient, s'étant éloigné de sa caravane aux environs d'Antioche, le jeune duc, en causant avec les guides du pays, entendit parler d'un mendiant dont on s'écartait avec horreur et qui vivait, seul, au milieu des ruines. L'idée le prit de visiter cet homme, car nul n'échappe à son destin. Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 109.
SYNT. Abandonner, caresser, lâcher, mûrir une idée; reprendre une (vieille) idée; applaudir à une idée; revenir à son idée.
[Au sens fort] Détermination, résolution. Avoir l'idée (bien) arrêtée, avouée de faire qqc.; personne n'a pu lui ôter cette idée de la tête. Elle prétend qu'elle est souffrante et que l'air de la campagne lui fera du bien... Vous savez, quand les femmes ont une idée, il n'y a pas à aller contre (Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 97).Paule eut un petit rire : Toi, quand tu as une idée dans la tête! (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 138).V. bachique ex. 7 :
23. Ah non! Jamais elle ne changerait d'idée. Ni sa mère, ni personne ne lui arracherait un aveu. Rose-Anna voyait le visage de sa fille dans une petite glace posée au mur, au-dessus de la table. La bouche était dure, le regard volontaire, presque insolent. Roy, Bonheur occas.,1945, p. 423.
SYNT. N'avoir qu'une idée dans la tête, en tête; mettre, fourrer (fam.) une/des idée(s) dans la tête de qqn; ne pas démordre d'une idée; s'entêter dans son idée; renoncer, tenir à une idée; avoir de la suite dans les idées; une idée de derrière la tête.
Changer d'idée comme de chemise. V. chemise I A 2 c.
4. Conception impliquant un jugement de valeur; manière de concevoir.
a) Point de vue en général; opinion. Je n'ai pas d'idée là-dessus; il a des idées sur tout. Il réalise l'idée vulgaire qu'on se fait du poëte, ardent, impétueux, endetté, inégal en conduite et en fortune (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 1, 1840, p. 182).Ce sont des idées d'enfant, qu'on ne peut faire les choses qu'avec excès (Montherl., Exil,1929, II, 8, p. 67).V. agricole ex. 20 et cautionner ex. 2 :
24. Il est évident qu'un paria hindou, un guerrier de l'empire Inca, un primitif de l'Afrique centrale, ou un membre des premières communautés chrétiennes n'avaient pas la même idée de la révolte. Camus, Homme rév.,1951, p. 33.
SYNT. a) Avoir, donner, se former une bonne, grande, haute idée, une idée élevée de qqc. ou de qqn; approuver, combattre, émettre, imposer, partager une idée; s'ouvrir à une idée; confirmer qqn dans son idée; partir d'une idée, sur une idée fausse; avoir, réviser son idée sur qqn ou qqc. b) Idée (solidement) ancrée, choquante, (bien) établie, (toute) faite (le plus souvent au plur.), hardie, neuve, préconçue, reçue (le plus souvent au plur.), (très) répandue, sensée.
− Domaine de la méthode expérimentale.[Chez Cl. Bernard] Idée a priori ou préconçue. Hypothèse la plus probable que l'expérimentateur émet sur la cause d'un fait brut et dont la valeur est contrôlée au moyen d'autres faits empruntés à l'observation et à l'expérimentation. La constatation du fait brut doit nécessairement précéder son interprétation, car c'est la vue du fait brut qui doit donner naissance à l'idée préconçue ou à l'hypothèse que l'on peut faire relativement à sa cause (C. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 55).V. circonstance ex. 4 et esclave ex. 6 :
25. ... le premier mouvement de l'esprit scientifique est une hypothèse ou une idée a priori à l'aide de laquelle l'esprit s'élance au-delà du fait brut pour arriver dans le champ du rationalisme qui est le véritable terrain scientifique. C. Bernard, Princ. méd. exp.,1878p. 77.
Manière d'agir et/ou de penser; manière de voir.
À + adj. poss. + idée.Synon. à ma (ta,...) façon, à ma (ta,...) guise; selon sa fantaisie.N'en faire qu'à son idée; juger, vivre à son idée. Vous aurez cinq années ennuyeuses (c'est-à-dire cinq années pendant lesquelles il vous faudra observer la règle), mais après cela, vous en ferez à votre idée (Green, Journal,1943, p. 24).V. enfanter ex. 1.
À (dans) + adj. poss. + idée.Synon. à mon (ton,...) avis, selon ce que je (tu,...) pense(s).− À mon idée, il a été évacué par un autre régiment. − Mais non, il était blessé; les boches ont dû le ramasser (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 24).La lecture étant dans son idée une occupation purement dominicale, et trop noble aussi pour s'y adonner en habits de travail (Guèvremont, Survenant,1945, p. 57).
Être de l'idée de qqn (vx).Être de son avis. Quoique sans doute la petite soit de mon idée, il faut pourtant lui demander son avis (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 26).
b) Au plur. Ensemble des vues ou opinions en tout domaine d'une personne ou d'un groupe de personnes. Tu as tes idées, j'ai les miennes; il a les idées de son siècle. Les idées religieuses sont celles qui ont le plus de prise sur les ames sensibles (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1911).Il faut tuer les gens qui n'ont pas vos idées? (Sartre, Mains sales,1948, 5etabl., 2, p. 189).V. antipodique ex. 2, continuer ex. 12 et baigner ex. 9 :
26. Je pense quelquefois que, si les hommes du siècle de Louis XIV pouvaient revenir au milieu de nous, avec leurs idées graves et leur forte raison, ils seraient bien étonnés de la manière dont on discute aujourd'hui les questions les plus importantes, et en vérité, j'ose croire qu'ils seraient moins frappés du progrès des lumières que du progrès des passions, et de l'affaiblissement des préjugés que de l'affaiblissement de l'intelligence. Lamennais, Lettres Cottu,1820, p. 100.
Entrer, être dans les idées de qqn.Andoche connaît le prospectus, il entre dans les idées du marchand, il n'est pas fier (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 156).Vous savez, je ne vous suis guère dans vos idées, dit Edmond. Je ne suis pas un partageux, et le socialisme me laisse sceptique (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 280).Tu m'as laissé être des équipes de secours, où il y avait un risque. Et tu m'interdis d'être de la résistance, à cause du risque. Est-ce que la résistance ne serait pas dans tes idées? (Montherl., Demain,1949, I, 2, p. 714).
SYNT. a) Accepter, accueillir, adopter, analyser, combattre, heurter, partager, professer, propager, respecter, soutenir, (faire) triompher des idées; fixer les idées (sur un sujet); se rallier à des idées; convertir qqn à, exposer ses idées; être acquis, hostile, ouvert à, touché par, imprégnés des idées de qqn. b) Attachement, fidélité à des idées; communion, divergence, échange, sympathie d'idées. c) Idées d'un artiste, d'un écrivain, d'une classe sociale, d'une époque, d'une génération, d'un homme politique sur qqc. ou en matière de; idées d'égalité, de fraternité, de justice, d'ordre, de revendication, de révolte, de tolérance. d) Idées esthétiques, littéraires, morales, philosophiques, politiques, scientifiques, sociales; idées bourgeoises, monarchistes, libérales, progressistes, réformistes, républicaines; idées fortes, généreuses, nobles, philanthropiques, romanesques; idées arrêtées, avancées, courtes, étroites, rétrogrades, subversives; être large d'idées; idées actuelles, modernes, nouvelles, périmées, traditionnelles; idées à la mode, de l'ancien temps, d'un autre temps, qui n'ont plus cours; grandes, hautes, vieilles idées.
Abs., au plur. L'ensemble du mouvement intellectuel concernant une époque, une civilisation. Courant, mouvement, progrès des idées. Dans l'histoire des idées et des mœurs, Jean-Jacques peut bien aujourd'hui apparaître, en face des philosophes, comme un mainteneur de la sensibilité religieuse (Guéhenno, Jean-Jacques,1952, p. 124).V. côtoyer ex. 2 :
27. C'est énoncer une vérité désormais banale que de dire que ce sont les idées qui mènent le monde. C'est d'ailleurs dire plutôt ce qui devrait être et ce qui sera, que ce qui a été. Il est incontestable qu'il faut faire dans l'histoire une large part à la force, au caprice, et même à ce qu'on peut appeler le hasard, c'est-à-dire à ce qui n'a pas de cause morale proportionnée à l'effet. Renan, Avenir sc.,1890, p. 23.
En partic., abs., au plur. Écrivain, littérature, théâtre d'idées. Écrivain, littérature, théâtre dont l'objet est de développer des idées, des thèses. V. flatter ex. de Apoll., Tirésias, 1918, p. 866 :
28. [Dans la littérature modern style] les chroniqueurs du temps distinguent un « théâtre d'idées », un « théâtre d'amour », et un « théâtre gai » (...). D'excellents techniciens [du « théâtre d'idées »], doublés d'observateurs aigus, mettent en scène les problèmes sociaux, font de la satire des mœurs électorales, des manigances financières, des abus coloniaux, des mariages d'argent, des dénis de justice, de la fausse noblesse, ou de l'éternel Don Juan. P. O. Walzer, Litt. fr., Le xxes., Paris, Arthaud, 1975, p. 97.
Au plur. (cour.) et au sing. (littér.). Direction d'une pensée, système doctrinal, idéologie; le (ou les) principe(s) qui est (ou qui sont) à la base de cette pensée, de ce système, de cette idéologie. L'idée monarchiste, républicaine. L'idée fouriériste (Littré). Dans cette insouciance du pays pour Charles X, il y a autre chose que de la lassitude : il y faut reconnaître le progrès de l'idée démocratique et de l'assimilation des rangs (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 670).Ce qui ruinerait l'idée marxiste, ce serait de vouloir que le progrès technique ait déterminé par lui-même tous les changements de l'ordre moral (Alain, Propos,1933, p. 1150) :
29. Quand l'idée de la palingénésie du monde se répandit parmi les Juifs, toutes ces peintures d'un monde renouvelé, d'une Jérusalem nouvelle, vinrent s'appliquer à cette palingénésie du monde, et donnèrent à l'idée juive une précision, une netteté comparable à celle qui peut résulter pour nous de la vue des choses manifestées et présentes. P. Leroux, Humanité, t. 2, 1840, p. 720.
Au sing. Manière particulière de concevoir la vie, la société, la civilisation, que l'on érige en norme d'action ou que l'on donne pour but à ses pensées et à ses actes. Synon. idéal.Il y avait dans la Convention une volonté (...). Cette volonté était une idée indomptable et démesurée qui soufflait dans l'ombre du haut du ciel. Nous appelons cela la révolution (Hugo, Quatre-vingt-treize,1847, p. 188).Cet homme qui passait le premier, ce n'était pas pour de l'argent qu'il venait tuer ceux qui se traînaient là-haut, c'était pour une idée, pour une foi (Malraux, Cond. hum.,1933, p. 385) :
30. Depuis son enfance qu'elle avait passée sous le chevet rose, vert et jaune de santa Maria del Fiore, elle était habitée par l'idée monastique. Elle ignorait toute passion. C'est pourquoi elle avait choisi l'ordre le plus secret et le plus paisible, la Visitation de Mantoue. Jouve, Paulina,1925, p. 173.
SYNT. Se dévouer à, mourir pour, se sacrifier à, servir une idée; être animé, mû par une idée; incarner une idée; l'idée chrétienne, républicaine, (alimenter, inculquer) l'idée révolutionnaire, une idée humanitaire; une idée juste; une belle idée.
Au sing., abs., vx. ,,Ensemble idéal des aspirations du génie et de l'époque`` (Littré). Les penseurs sont les serviteurs de l'idée (Littré) :
31. Soyons frères; ayons L'œil fixé sur l'Idée, ange aux divins rayons. L'idée, à qui tout cède et qui toujours éclaire Prouve sa sainteté même dans sa colère! Hugo, Châtim.,1853, p. 33.
B. − Seulement au sing., souvent pop. et fam. L'esprit qui conçoit. Synon. imagination, intelligence, tête.Marjolin restait enfant très tard, ce qui impatientait Cadine. Il n'avait pas plus d'idée qu'un chou, disait-elle (Zola, Ventre Paris,1873, p. 766).Soudain, et de concert, ils laissèrent tomber leurs bras au long de leurs cuisses, et s'interrogèrent jusque dans l'âme et jusque dans l'idée (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 277).
[Le plus souvent précédé de à, dans, de, en avec ou sans déterminant] Se mettre qqc. dans l'idée; cela m'est sorti de l'idée; on ne m'ôtera pas cela de l'idée. Il me vint en idée de me ménager un asile contre le désespoir (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 91).Ma résolution était prise et rien ne pouvait plus m'en faire changer. Il me vint bien à l'idée que je pouvais ne pas être dans mon droit, mais je me moquai bien de cette idée (A. France, Bonnard,1881, p. 473).J'ai déjà dans l'idée un autre article sur un sujet merveilleux : l'idée de continuité et ses applications dans l'art contemporain (Rivière, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1906, p. 123).
Loc. diverses
En idée. [P. oppos. à en fait, en réalité] Synon. en imagination.Il est si doux, parmi les désenchantements de la vie, de pouvoir se reporter en idée sur de nobles caractères, des affections pures et des tableaux de bonheur (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 95).
Fam. Dans + adj. poss. + idée.Dans + adj. poss. + conception des choses. J'suis pas marié à la mairerie... Mais j'suis marié... dans mon idée (Benjamin, Gaspard,1915, p. 14).
Fam. Avoir l'idée à qqc. Synon. avoir l'esprit, la tête à qqc.; prêter attention à qqc.On n'avait plus du tout l'idée aux femmes, parce qu'il faisait déjà très froid; mais on rêvait à des choses incohérentes ou merveilleuses, comme dans le sommeil (Loti, Pêch. Isl.,1886, p. 185).
Abs., pop. et fam. Avoir de l'idée. Être intelligent, avoir l'esprit plein de ressources. Caporal, demanda Pache, d'une voix un peu tremblante, vous qui avez de l'idée, si vous pouviez le tuer sans lui faire du mal? (Zola, Débâcle,1892, p. 450).Tu comprends, lui dit-il amicalement, t'as de l'idée, mais tu gueules pas assez (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 28).
II. − PHILOSOPHIE
A. − [Souvent avec majuscule] Norme idéale, absolue, forme de la connaissance.
1. [Chez Platon et ses héritiers] Ce qui appartient au domaine de l'intelligible et qui seul possède la perfection éternelle et la réalité absolue. Le monde des Idées. Il [Platon] pose le monde des idées de façon que nous n'en soyons que la dégradation (Du Bos, Journal,1924, p. 19).La philosophie platonicienne de l'Idée : philosophie où les Idées (...) sont regardées comme des sortes d'entités, existant séparément des objets singuliers pour lesquels elles jouent le rôle de paradigmes (R. Blanché, La Log. et son hist., Paris, A. Colin, 1970, p. 22).V. archétype ex. 2, abstraction ex. 19 et âme ex. 32 :
32. La théorie platonicienne des idées peut être, au moment de la République, ramenée à ces quatre formules : les idées sont l'être; elles sont identiques et absolument distinctes; l'être est intelligible; l'être intelligible procède de l'idée de bien. H. D. Gardeil, Les Étapes de la philos. idéaliste, Paris, Vrin, 1935, p. 19.
P. ext., lang. cultivée. Type idéal créé par l'esprit. Synon. idéal.Ô sœur divine (...) ô fleurie, ô transfigurée! Tu n'es plus la petite Asiatique dont je fis ton modèle indigne. Tu es son idée immortelle, l'âme terrestre de l'Astarté qui fut génitrice de sa race (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 41).
LITT. (symbolisme). Forme éternelle de toute chose. Le poète mallarméen ne précipite toute matière dans le non-être que pour laisser subsister l'idée de l'objet disparu, sa forme seule parfaite, son essence immuable (Béguin, Âme romant.,1939, p. 382) :
33. Le Poète pieux contemple; il se penche sur les symboles, et silencieux descend profondément au cœur des choses, − et quand il a perçu, visionnaire, l'Idée, l'intime Nombre harmonieux de son Être, qui soutient la forme imparfaite, il la saisit, puis, insoucieux de cette forme transitoire qui la revêtait dans le temps, il sait lui redonner une forme éternelle, sa Forme véritable enfin, et fatale − paradisiaque et cristalline. Gide, Traité Narcisse,1891, p. 9.
2. [Chez Kant; p. oppos. à catégorie ou concept de l'entendement] Idée ou Idée a priori ou transcendantale; idées de la Raison pure. Concept nécessaire de la raison pure auquel ne peut correspondre aucun objet donné par les sens et qui répond à l'exigence d'unification de tous nos raisonnements. Les idées ne sont autre chose que des catégories pures élevées à l'absolu, et capables de se rapporter aux catégories ordinaires, de manière à en prolonger sans limites l'application à des objets d'expérience (V. Delbos, La Philos. pratique de Kant, Paris, Alcan, 1926 [1905], p. 203) :
34. Les principes absolus, qui contiennent la totalité des conditions pour un conditionné donné, c'est-à-dire, au fond, qui contiennent l'inconditionné, ces principes sont l'œuvre d'une autre faculté que l'entendement. Kant les appelle idées transcendantales et les rapportent à la raison. R. Verneaux, Les Sources cartésiennes et kantiennes de l'idéalisme fr., Paris, Beauchesne et fils, 1936, p. 365.
3. [Chez Hegel; p. oppos. à concept subjectif] Pensée absolue, objective, en soi, dont procèdent par développement dialectique la Nature et l'Esprit (d'apr. Foulq. 1971). La Nature est un moment de la vie de l'Idée, le moment où elle s'extériorise avant de s'intérioriser dans l'Esprit (E. Bréhier, Hist. de la philos., Paris, P.U.F., 1968 [1932], tome 2, fasc. 3, p. 660) :
35. L'Idée [it. ds le texte], catégorie dans et par laquelle le concept (de la subjectivité transcendantale) et l'objectivité (des « sciences ») se saisissent dans leur identité profonde et, du même coup, définissent liberté et rationalité comme étant des termes exactement interchangeables. F. Chatelet, Hegel, Paris, Seuil, 1969, p. 102.
B. − Objet d'une certaine connaissance; simple mode de la pensée.
1. [Chez Descartes et ses héritiers] Ce qui est conçu immédiatement par l'esprit. Idée adéquate, adventice, claire, confuse, distincte, factice, innée, obscure. L'idée est une détermination de la pensée; elle est donc le premier objet immédiatement connu (R. Verneaux, Les Sources cartésiennes et kantiennes de l'idéalisme fr., Paris, Beauchesne et fils, 1936p. 122) :
36. Il [Descartes] abandonne même le sens scolastique du mot idée (signifiant les archétypes éternels par lesquels Dieu pense les choses) pour désigner par idées les modes de la pensée humaine. L'idée est donc, chez Descartes, d'étoffe mentale. F. Alquié, La Découverte métaphysique de l'homme chez Descartes, Paris, P.U.F., 1966 [1950], p. 203.
2. [Dér. de 1; p. oppos. à image] Idée ou Idée générale. Représentation intellectuelle, abstraite, générale, d'un objet. Synon. concept.Il y a deux manières de modifier une idée, savoir dans sa compréhension ou dans son extension (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 104).V. abstrait ex. 3 et 4 :
37. Une idée générale est toujours une idée abstraite, et il n'existe pas d'idée abstraite qui ne soit abstraite d'une série d'expériences humaines. Gaultier, Bovarysme,1902, p. 113.
[Le plus souvent suivi de de + subst.] L'idée d'éternité, d'homme, de justice, de mouvement, de nature, de puissance, de quantité, de substance. Il suffit d'analyser l'idée de cause dans ses usages contemporains pour voir combien elle conserve de traces de ses diversités originelles (Lalande, Raison et normes,1948, p. 58).V. amoral ex. 6.
[Emploi didactique principalement dans les travaux universitaires] R. Folz, L'Idée d'empire en Occident du veau xivesiècle. Paris, Aubier, 1953. Cf. également supra I B ex. de Rivière.
REM. 1.
Idée-, premier terme de mots composés lié ou non au second terme par un trait d'union.a) Le second terme désigne α) La nature ou l'élément moteur de l'idée. Je vous donne pour gage de ma foi, le spectacle inconnu au monde d'un roi acceptant le sacerdoce de l'époque nouvelle, apôtre armé de l'idée-peuple, architecte du temple de la Nation (Sand, Mél.,1843, p. 278).La république, votre foi, votre idée-patrie, puise une vie nouvelle dans vos tortures (Hugo, Actes et par. 2,1875, p. 52). β) L'objet, la destination de l'idée, en partic., dans le vocab. de la publicité. Idées-vacances spéciales-zone-franc-tout-compris (Publicité Air-France ds Gilb.1971).Idée cadeau : peut-être pas totalement nouvelle mais vraiment jolie, une gourmette de bébé en or, à chaînette (Elle,4 déc. 1972, p. 136).b) Le second terme α) Spécifie la nature ou le type particulier de l'idée. Le mot est cet être étrange : une idée-chose. Il possède à la fois l'impénétrabilité de la chose et la transparence de l'idée, l'inertie de la chose et la force agissante de l'idée (Sartre, Sit. I,1947, p. 221).En face d'un rêveur de pensées savantes, comme fut Robinet, qui organise ses idées-visions en système, un psychanalyste habitué à délier des complexes familiaux serait bien inopérant (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 113).V. éclair C ex. de Benda, Fr. byz., 1945, p. 245. En partic.Quant aux qualités premières des corps, parmi elles il en est une, savoir la figure, qui semble propre à être représentée par l'idée-image; et en effet il est certain que l'apparence visible, la figure des corps extérieurs placés devant nous, devant l'organe de la vision, se peint sur la rétine (Cousin, Hist. philos. xviiies., t. 2, 1829, p. 359).PHILOS., PSYCHOL. Cette unité indissoluble du penser et de l'agir est la loi psychologique d'importance capitale que nous résumons par le terme : idée-force. Tout état de conscience est idée en tant qu'enveloppant un discernement quelconque, et il est force en tant qu'enveloppant une préférence quelconque; si bien que toute force psychique est, en dernière analyse, un vouloir (A. Fouillée, La Psychol. des idées-forces, Paris, Alcan, tome 1, 1893, p. X). β) Qualifie l'idée en précisant sa fonction. Arrêtons-nous donc au moins un moment, à examiner ce qui résulte de cette idée première dont toutes les autres suivent, de cette idée-principe dont nous ne pouvons que tirer des conséquences, de cette idée mère dont nous ne faisons que recueillir les productions (Destutt de Tr., Idéol. 3,1805, p. 497).L'idée-levier de ce charmant esprit? C'est de se faire installer une véranda à Vernon (Renard, Journal,1901, p. 644).Le cube à six faces égales est l'idée-limite par laquelle j'exprime la présence charnelle du cube qui est là, sous mes yeux, sous mes mains, dans son évidence perceptive (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 236).L'idée-clef de l'habitude, la règle eidétique qui commande toute enquête empirique, est que le vivant « apprend » par le temps (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 264).
2.
Idéiste, adj. et subst.,domaine des B.-A. a) Adj. Dont le but est l'expression de l'idée (ou des idées). En exprimant le programme de la nouvelle école, dans un article célèbre du Mercure de France, Albert Aurier ne faisait autre chose que résumer Delacroix : « L'œuvre d'art, disait-il à son tour, sera idéiste, puisque son idéal unique sera l'expression de l'idée; symboliste puisqu'elle exprimera cette idée par des formes... » (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 269).b) Subst. α) Subst. fém. École de peinture d'après laquelle l'œuvre d'art est ou doit être l'expression de l'idée (ou des idées). Ces deux (...) esthétiques rivales, la naturaliste et l'idéiste, l'une professant que l'extériorité des choses est, en elle-même, intéressante et suffisante à l'œuvre d'art; l'autre, l'idéiste, niant, au contraire, cela et ne voulant considérer les formes matérielles que comme les lettres d'un mystérieux alphabet naturel servant à écrire les idées, seules importantes, puisque l'art n'est qu'une matérialisation spontanée et harmonieuse des idées (J. Huret, Enquête sur l'évolution littéraire,1891, p. 131 ds Quem. DDL t. 13). β) Subst. masc. Peintre représentant cette école. On annonce un nouveau Salon des Impressionnistes, (...), un des Symbolistes, et (...) celui des Idéistes (Le Journ. amusant,9 janv. 1892ds Quem. DDL t. 17).
Prononc. et Orth. : [ide]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) 1119 idees « formes des choses présentes de toute éternité en Dieu » (Ph. de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 1523); 1370-72 ydee « archétype commun constituant la notion générale d'une espèce; notion intellectuelle préexistante d'un être ou d'un objet particulier » (Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, p. 113); b) 1458 ydees « types, préexistant dans notre intention, d'une action que nous ferons plus tard » (A. Greban, Mystère de la Passion, éd. O. Jodogne, 48); 1670 « projet, dessein » (Molière, Amants magnifiques, av.-pr.); 2. a) 1487 « forme ou image » (Vocabulaire latin-français, Loys Garbin, s.v. idea); b) 1552 « image d'un objet ou d'un être, telle que les sens la perçoivent » (Ronsard, Les Amours, 13 ds Œuvres, éd. P. Laumonier, IV, p. 30); c) 1564 « image de quelque chose ou de quelqu'un, telle que l'esprit la conserve dans le souvenir et se la représente par l'imagination » (Thierry); 3. a) 1583 « représentation, en tant qu'objet de pensée, d'un être ou d'une chose dans notre esprit, quelle que soit l'origine de cette représentation (Ph. Desportes, Elégies, éd. V. E. Graham, II, 5); b) 1656 « ensemble de pensées et de jugements appliqué à un ou plusieurs objets et constituant une opinion plus ou moins motivée » (Pascal, Provinciales, XIV ds Œuvres compl., éd. L. Lafuma, p. 439b). B. a) 1616 par idee « de façon imaginaire » (A. d'Aubigné, Tragiques, éd. A. Garnier et J. Plattard, II, p. 86, 1178); b) 1643 en idée « id. » (P. Corneille, La suite du Menteur, II, 1). Du lat. idea « idée [de Platon], type de choses » en lat. tardif « forme visible » d'où 2, lui-même empr. au gr. ι ̓ δ ε ́ α proprement « forme visible, aspect » d'où « forme distinctive, espèce », qui se rattache à ι ̓ δ ε ι ̃ ν (comme le lat. species à spectare), inf. aoriste2de ε ι ̃ δ ο ν « voir »; pour l'hist. de ce mot v. FEW t. 4, pp. 532-535. Fréq. abs. littér. : 47 911. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 85 873, b) 59 538; xxes. : a) 61 944, b) 61 326. Bbg. Gohin 1903, p. 247, 336. - Meschonnic (H.). Essai sur le ch. lex. du mot idée. Cah. Lexicol. 1964, t. 5, pp. 57-68. - Quem. DDL t. 9, 12, 13, 17. - Sckomm. 1933, pp. 53-60 - Zumthor (P.). Pour une hist. du vocab. fr. des idées. Z. rom. Philol. 1956, t. 72, p. 350.

Wiktionnaire

Nom commun - français

idée \i.de\ féminin

  1. Suggestion.
    • Une accusation de complot contre la vie de Napoléon III fut abandonnée par prudence ; l’idée était dans l’air, on craignait d’évoquer l’événement. — (Louise Michel, La Commune, Paris : P.-V. Stock, 1898, page 22)
    • Une idée intéressante, qui pourrait améliorer très sensiblement le prix de revient total du transport, est celle de la récupération des frigories disponibles à la regazéification. — (Annales des mines, 1959, volume 148, page 343)
  2. Possibilité.
    • Pétrifiée, je suis restée longtemps immobile, les yeux fixés sur la fente sombre, aussi effrayée à l’idée que le papillon surgisse qu'à l’idée de l'avoir tué. Comme il ne ressortait pas, je me suis lavé les mains frénétiquement. — (Tatiana Vialle, Belle-fille, NIL éditions, 2019)
    • Dans ce guide, 100 idées de vacances à tous les prix.
  3. Façon de faire, plus ou moins originale, qu’un individu ou un groupe d’individus imagine dans le domaine de la connaissance, de l’action ou de la création artistique.
    • Personne de nous ne comprend un mot d’esquimau. Inutile d'ajouter que pour leur part nos deux naturels n'ont aucune idée d'un idiome européen. — (Charles-Edmond Chojecki, Voyage dans les Mers du Nord à bord de la corvette La Reine Hortense, Paris : Michel Lévy frères, 1857, Cambridge University Press, 2012, page 236)
  4. Solution nouvelle et adaptée au problème de l’interlocuteur (quelque chose qui résout son problème de façon inattendue, quelque chose d’efficace à quoi il n’avait pas pensé ou qu'il n’avait pas envisagé).
  5. Représentation d’un être ou d’une chose dans l’esprit ; notion que l’esprit reçoit ou se forme de quelque chose.
    • Et pendant ce temps, en Europe, on se frotte les mains en se félicitant de la très haute idée qu’on a donnée aux émissaires du Sultan de la culture et de la civilisation européennes. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 110)
    • Le succès des combats de gladiateurs est en grande partie dû à l’idée que les Romains se faisaient de la vie morale plus forte que la mort. — (Jean-Pierre Mohen, Les Rites de l’au-delà, Odile Jacob, 1995, p.219)
    • Mon esprit marinait dans un bain de départ d’idées, au sens étymologique : une idée est d’abord quelque chose que l’on voit. — (Amélie Nothomb, Pétronille, Éditions Albin Michel, Paris, 2014, p. 12)
    • Que sont-elles donc et que signifie ce problème : concevoir les idées transcendentales comme représentant des réalités ? Les idées ne sont ni des concepts ni des intuitions. Donc elles ne représentent rien de réel. — (Émile Boutroux, La philosophie de Kant, Librairie Philosophique J. Vrin, 1926, page 168)
  6. (Philosophie) Archétype, modèle éternel et absolu de toutes les choses créées.
    • Les idées de Platon.
  7. (Par extension) Pensée ; conception de l’esprit ; opinion ; réflexion, etc.
    • La réputation de ce grand homme reposait principalement sur l’autorité avec laquelle il démontrait que l’éternument était une prévoyance de la nature, au moyen de laquelle les penseurs trop profonds pouvaient chasser par le nez le superflu de leurs idées ; […]. — (Edgar Poe, Eureka, 1848, traduction de Charles Baudelaire, 1864)
    • À peu près en même temps que Bonnet faisait ses curieuses observations, les naturalistes découvraient d’autres phénomènes bien autrement inconciliables avec les idées qu’on regardait alors comme les fondemens de la science. — (Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau, Les Métamorphoses et la généagénèse, Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 3, 1856 (pages 496-519))
    • Je suis incapable de rassembler deux idées ; votre vue m’a ébloui. Je ne pense plus, j’admire. — (Alexandre Dumas, La Reine Margot, 1845, volume I, chapitre IV)
    • Mais à cette réunion, j’eus le tort de présenter mes idées sous une forme édulcorée (la théorie de l’onde-pilote) qui prêtait à de nombreuses objections. — (Louis de Broglie; La Physique quantique restera-t-elle indéterministe ? Séance de l’Académie des Sciences, du 25 avril 1953)
    • Camille-Eugène-Marie Dieudonné. Il a vingt six ans, quand éclate l’affaire Bonnot. De métier, il est ouvrier ébéniste ; d’idées : anarchiste. — (Albert Londres, L’homme qui s'évada, Les Éditions de France, 1928, page 9)
  8. Disposition d’esprit, direction de pensée et de sentiment, particuliers à un peuple, à une classe.
    • Une presse complaisante jusqu’à la servilité répandait dans le public, depuis les salons jusqu'aux mansardes, les idées les plus fausses et les plus dangereuses. — (Général Ambert, Récits militaires : L’invasion (1870), page 240, Bloud & Barral, 1883)
    • La clé de l’énigme ? C'est qu’on ne saurait fonder un parti sur une seule idée, si grande soit-elle. Toute idée seule est une idée fixe, et toute idée fixe est une idée folle. — (Jacques Julliard, Impression, soleil couchant, dans Marianne (magazine), n° 772 du 4 février 2012, page.3)
  9. Système de pensée.
    • La fonction du philosophe consiste exclusivement dans la profanation des idées. Aucune violence n’égale par ses effets la violence théorique. Plus tard, l’action vient… — (Paul Nizan, La Conspiration, 1938, page 44)
    • Quelles sont sur ce point les idées de Descartes ?
    • Les idées de Newton, de Buffon, de Pasteur.
  10. (Philosophie) Forme immuable d’une réalité perçue par la raison, essence intelligible et éternelle des choses sensibles.
  11. Préoccupation d’un caractère morbide.
    • Il se disait qu'il était seul au monde, affreusement seul, misérable. Cette idée l’affligeait. — (Francis Carco, Brumes, Éditions Albin Michel, Paris, 1935, page 58)
  12. (Quelquefois) Souvenir.
    • Je ne me souviens de rien, je n’ai aucune idée de ce qu’il s’est passé à ce moment là.
  13. (En particulier) Invention, en parlant d’une production des arts.
    • Ses idées avaient révolutionné la vie sur la planète. Ulfète était une cité des merveilles, comme l’étaient aussi Ixrid, Poltum et Pranfar. — (Benjamin De Casseres, Arcvad le terrible, traduction de Émile Armand, dans Les Réfractaires, n° 1, janvier 1914)
    • L’idée de ce tableau est gracieuse.
    • Il n’y a point d’idées dans cet ouvrage, dans ce tableau, etc.
    • Cet auteur, cet artiste manque d’idées, n’a point d’idées.
    • (Familier) Avoir des idées.
    • C’est un homme à idées.
  14. (Littéraire) Esquisse, ébauche rapide d’un ouvrage.
    • Il a jeté l’idée de son article sur le papier.
  15. (Par extension) (Péjoratif) Ouvrage trop peu achevé.
    • Ce n’est qu’une première idée, qu’une idée informe.
  16. (Au pluriel) Les visions chimériques, les choses qui ne sauraient avoir lieu, qui ne peuvent se réaliser.
    • Ce ne sont que des idées creuses.
    • Il prend ses idées pour des choses réelles.
    • Il nous a entretenus de ses idées.
  17. (Familier) Pensée, esprit, imagination.
    • J’ai dans l’idée qu’il ne viendra pas.
    • Ils vont se mettre dans l’idée que vous êtes brouillé avec eux.
    • Il me revient à l’idée que j’ai promis à mon ami de lui écrire.
    • On ne peut lui ôter cela de l’idée.
    • Quand je me tiens renfrognée dans un coin et que maman me demande… mais peut-être que je me tiens ainsi ostensiblement pour qu’elle le remarque et qu’elle me pose la question… « Qu’est-ce que tu as encore ? Pourquoi est-ce que tu ne joues pas ? Pourquoi ne lis-tu pas ?… » je lui réponds seulement… et c’est quand même un soulagement : « J’ai mes idées. »
      Comme on dit : « J’ai mes douleurs. J’ai ma migraine », mais avec cette différence que c’est là un mal honteux, un mal secret, qu’elle seule connaît. Il n’est pas possible que je le confie à quelqu’un d’autre.
      — (Nathalie Sarraute, Enfance, Gallimard, 1983, collection Folio, pages 100-101)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

IDÉE. n. f.
Représentation d'un être on d'une chose dans l'esprit; notion que l'esprit reçoit ou se forme de quelque chose. L'idée du juste et de l'injuste. L'idée du bien. L'idée de Dieu. L'idée de l'infini. L'idée de la gloire. Idée simple. Idée abstraite. Idée claire. Idée vague. Idée confuse. Idée concrète. L'origine, le développement, la génération des idées. L'association des idées. Quelle idée attachez-vous à ce mot? Une fausse idée. Ils n'ont aucune idée de nos arts, de nos usages. Cette médaille ne peut vous donner qu'une faible idée du talent de ce graveur. Ce que j'en ai vu ne répond pas à l'idée que je m'en étais faite. J'en avais connu une haute idée. J'avais de cet homme une grande idée. Ce que vous me dites me donne de lui une pauvre idée. Vous ne sauriez vous faire une idée de tout ce que j'ai souffert. Par exagération et familièrement, On n'a pas idée de cela, se dit en parlant d'une Chose qui paraît extraordinaire, excessive en son genre. Il se dit quelquefois, dans un sens particulier, pour Souvenir. Je ne me souviens point de cela, je n'en ai aucune idée. Il désigne aussi les Types, les modèles éternels et absolus de toutes les choses créées. Les idées de Platon. Il se dit, par extension, des Pensées, des conceptions de l'esprit, des opinions, des réflexions, etc. L'idée et le fait. Une belle, une noble, une grande idée. C'est lui qui m'a donné l'idée de venir vous trouver. Il a pris l'idée de sa pièce dans tel roman. Idée fondamentale. Idée dominante. Idée directrice. Idée première. J'ai changé d'idée. J'avais l'idée de partir. Plein de cette idée, il voulut... C'est une idée heureuse. Quelle sotte idée! Quelle singulière idée! Votre idée me paraît bonne. L'idée ne m'en était pas venue. Faites à votre idée; je ferai à mon idée. Je suis tourmenté de l'idée qu'il est encore fâché contre moi. La seule idée du péril l'épouvante. Communiquer ses idées à quelqu'un. Entrer dans les idées de quelqu'un. Faites-moi part de vos idées là-dessus. Idées sages. Mettre ses idées sur le papier. On trouve dans cet ouvrage beaucoup d'idées ingénieuses, originales. Cet auteur n'a point d'idées neuves. Avoir des idées saines. Suivre son idée. Suivre le fil de ses idées. Cela brouille toutes les idées. Mettre en avant des idées hardies. C'est un partisan des idées nouvelles. Idées reçues. Des idées d'un ordre élevé. Dans ce sens, il est synonyme de Disposition d'esprit, direction de pensée et de sentiment, particuliers à un peuple, à une classe. L'idée française. L'idée juive. Idées philosophiques. Idées religieuses. Idées scientifiques. Quelles sont sur ce point les idées de Descartes? Les idées de Newton, de Buffon, de Pasteur, Leur système. L'histoire des idées dans l'Antiquité. Il se dit souvent d'une Préoccupation d'un caractère morbide. Idée fixe.

IDÉE signifie particulièrement Invention, en parlant d'une Production des arts. L'idée de ce tableau est gracieuse. On l'emploie quelquefois au pluriel, dans un sens analogue; et alors il s'applique également aux Ouvrages d'esprit. Il n'y a point d'idées dans cet ouvrage, dans ce tableau, etc. Cet auteur, cet artiste manque d'idées, n'a point d'idées. On dit aussi, dans le langage familier, Avoir des idées. C'est un homme à idées. Il désigne quelquefois, en Littérature et dans les Arts d'imitation, l'Esquisse, l'ébauche rapide d'un ouvrage. Il a jeté l'idée de son article sur le papier. On le dit aussi, en mauvaise part, d'un Ouvrage trop peu achevé. Ce n'est qu'une première idée, qu'une idée informe. Il se dit encore des Visions chimériques, des choses qui ne sauraient avoir lieu, qui ne peuvent se réaliser. Ce ne sont que des idées creuses. Il prend ses idées pour des choses réelles. Il nous a entretenus de ses idées. Il se dit en outre, surtout dans le langage familier de la Pensée, de l'esprit, de l'imagination. J'ai dans l'idée qu'il ne viendra pas. Ils vont se mettre dans l'idée que vous êtes brouillé avec eux. Je ne sais ce qu'il a dans l'idée. Il me revient à l'idée que j'ai promis à mon ami de lui écrire. On ne peut lui ôter cela de l'idée.

Littré (1872-1877)

IDÉE (i-dée) s. f.
  • 1Représentation qui se fait de quelque chose dans l'esprit, soit que cette chose existe au dehors, ou qu'elle soit purement intellectuelle. Quelle idée attachez-vous à ce mot ? Tant de choses en font concevoir une haute idée que…, Pascal, Prov. 1. Il me donnait une grande idée de l'excellence de cet ouvrage, Pascal, ib. 5. L'étrange idée qu'on leur a donnée de la dévotion ! Pascal, ib. 9. Il est aisé de concevoir quelle idée l'Église a de l'homicide, Pascal, ib. 14. Ce que nous concevons par une bête, est un certain animal qui pense, mais qui pense peu, qui n'a que des idées confuses et grossières, et qui n'est capable de concevoir qu'un fort petit nombre d'objets, Nicole, Ess. mor. 1er traité, ch. 10. Je m'en fais une jolie idée, Sévigné, 326. Il a une grande idée de toute votre personne, Sévigné, 49. Nous avons des idées très claires non-seulement de notre liberté, mais encore de toutes les choses qui la doivent suivre, Bossuet, Lib. arb. 2. L'idée de celui qui nous a créés est empreinte profondément en nous, Bossuet, la Vallière. L'histoire nous donne l'idée de l'empire suprême de Dieu, Bossuet, Hist. II, 1. Les idées qu'elle [la nation juive] avait conçues de son Christ, Bossuet, ib. II, 10. Tout ce qui pouvait donner aux peuples une grande idée de leur patrie, Bossuet, ib. III, 6. Quelque idée que je me fusse faite de votre procédé, il va encore plus loin, Maintenon, Lett. à de Villette, 5 avril 1682. Il me serait difficile de te faire sentir ce que c'est ; car nous n'en avons point précisément d'idée, Montesquieu, Lett. pers. 90. On dit que ces brigands aux meurtres acharnés… Ont d'un Dieu cependant conservé quelque idée, Voltaire, Orph. I, 1. Je ne puis douter que Dieu n'ait accordé des sensations, de la mémoire, et, par conséquent, des idées à la matière organisée dans les animaux, Voltaire, Philos. ignor. quest. 29e. L'idée seule de cette aventure fait frémir, Voltaire, Lett. Tabareau, juill. 1770. Voulez-vous prendre une idée de l'éducation publique ? Rousseau, Ém. I. Le goût des plaisirs faisait perdre aux Romains cette idée de liberté si chère à leurs ancêtres, Duclos, Mém. jeux scéniques, Œuv. t. I, p. 347, dans POUGENS. Je crois que nous avons plus d'idées que de mots ; combien de choses senties et qui ne sont pas nommées ! Diderot, Pensées de la peinture, Œuv. t. XV, p. 170.

    Demi-idée, idée incomplète. J'ai quelquefois des demi-idées, comme quand je vois des objets de loin confusément, Voltaire, Dial. VIII, 1.

    Familièrement. Le pays des idées, région imaginaire où l'on relègue ce qui n'existe pas réellement.

    Donner une idée d'une chose, la faire concevoir en gros. Il ne sera pas hors de propos de donner une idée de la cour d'Angleterre, Hamilton, Gramm. 6. Sa figure donnait une idée de l'aurore, Hamilton, ib. 9. On aurait désiré que le rédacteur eût imité le cardinal de Retz, qui commence ses mémoires par donner une idée des personnages qu'il va faire paraître sur la scène, Voltaire, Observ. sur les Mém. de Noailles. Voilà une idée générale de ce qu'il expose en détail dans ses sommaires et plus amplement dans ses dialogues, Diderot, Opin. des anc. phil. (Jordanus Brunus).

    Avoir une idée, se représenter. Si vous y joignez deux chèvres… et un gros chien… vous aurez une idée de tout le revenu et de tout le domestique de ces deux petites métairies, Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virg.

    Familièrement. Avoir idée, penser, s'imaginer. Rosine : Bon ! c'est la lettre de mon cousin l'officier qui était tombée de ma poche. - Bartholo : J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 15.

    N'avoir pas la première idée d'une chose, y être tout à fait ignorant. La marine de la compagnie est commandée par des officiers qui ont tous commencé par être matelots ou mousses ; ils sont pilotes, ils sont manoeuvriers, mais ils n'ont pas la première idée des évolutions navales, Raynal, Hist. phil. II, 25.

    Familièrement. Avoir peu d'idées d'une chose, n'avoir pas assez d'intelligence, d'esprit pour y songer. Mme de Beuzenval était une très bonne femme, mais bornée, et trop pleine de son illustre noblesse polonaise : elle avait peu d'idées des égards qu'on doit aux talents, Rousseau, Conf. VII.

    Familièrement. Ne pas se faire d'idée, ne pouvoir comprendre. Je ne me faisais pas d'idée de l'ennui d'un semblable esclavage, Genlis, Théât. d'éduc. la Bonne mère, I, 3.

    Par exagération et familièrement. On n'a pas d'idée de cela, se dit de ce qui paraît extraordinaire, excessif, offensant, etc. Vous n'avez pas d'idée de cette situation, Genlis, ib. la Curieuse, III, 1.

  • 2Dans le langage psychologique. Fait intellectuel qui répond dans notre esprit aux objets dont nous avons pris connaissance. L'origine, la génération des idées. Par le nom d'idée j'entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées, Descartes, Rép. aux secondes obj. 58. Qu'est-ce qu'une idée, qu'est-ce qu'une sensation, une volonté ? c'est moi apercevant, moi sentant, moi voulant, Voltaire, Dict. phil. Idée. Il n'a pas dépendu de moi ni de recevoir dans ma cervelle ni de rejeter toutes les idées qui sont venues y combattre les unes contre les autres… quand elles se sont bien battues, je n'ai recueilli de leurs dépouilles que l'incertitude ; il est bien triste d'avoir tant d'idées et de ne savoir pas au juste la nature des idées, Voltaire, ib. Qu'est-ce qu'une idée ? c'est une image qui se peint dans mon cerveau, Voltaire, ib. Malebranche a prouvé très bien que nous n'avons aucune idée par nous-mêmes, et que les objets sont incapables de nous en donner ; de là il conclut que nous voyons tout en Dieu ; c'est au fond la même chose que de faire Dieu l'auteur de toutes nos idées, Voltaire, Dict. phil. âme. Les idées ne sont que des sensations comparées, ou, pour mieux dire, des associations de sensations, Buffon, Disc. nat. anim. Œuv. t. LVI, p. 296. Une idée est un mode de l'âme, et, comme nous ne savons pas ce que l'âme est en elle-même, nous ne savons point non plus ce qu'un mode de l'âme est en lui-même, Bonnet, Ess. analyt. Ame, ch. 8.

    Idées innées, voy. INNÉ.

    Idées générales, les idées les plus étendues auxquelles les idées particulières sont subordonnées, et que l'on obtient par différents procédés intellectuels. Toutes les idées générales renferment des idées différentes qui approchent ou qui diffèrent plus ou moins les unes des autres, Buffon, Animaux, ch. VIII.

    Terme de philosophie de Kant. Idées pures et nécessaires, concepts rationnels dont l'objet ne peut être fourni par l'expérience. Idées formelles ou subjectives, idées considérées relativement à leur forme dans l'esprit. Idées objectives, idées considérées relativement à leur matière ou à leur objet.

  • 3 Terme de philosophie. Type, modèle éternel des choses. Les idées de toutes choses sont en Dieu.

    Les idées de Platon, les archétypes qui, suivant ce philosophe, sont les modèles des choses terrestres.

    Fig. Dans les idées de Platon, c'est-à-dire ce qui est dans les nuages, ce qui est ajourné indéfiniment. Croyez, ma fille, que ce n'est pas sans une douleur profonde que je vois votre retour dans ces idées de Platon, Sévigné, 27 mars 1672.

    Fig. Modèle, type, idéal. Et [la reine], ternissant le souvenir Des reines qui l'ont précédée, Devient une éternelle idée De celles qui sont à venir, Malherbe, III, 3. Il [Brancas] est mon idée sur la perfection de l'amour, Sévigné, 1er sept. 1680. Ce goût que j'ai pour vous ne m'a point passé, vous êtes mon idée plus que jamais, Sévigné, à Mme de Guitaut, 29 octob. 1692. Ce n'est point là une idée de perfection que j'imagine, Fléchier, Aig.

  • 4Souvenir. En ma présence même en caresser l'idée, Corneille, Sophon. I, 4. Ce songe, Hydaspe, est donc sorti de son idée, Racine, Esth. II, 1. J'ai quelque idée de ce visage-là, et une idée récente, Lesage, Turcaret, I, 3. Sachez Que le premier devoir est d'étouffer l'idée Dont votre âme à mes yeux est encor possédée, Voltaire, Alz. IV, 2. Des affronts attachés à mon humble fortune, C'est le seul dont je garde une idée importune, Voltaire, Orphel. de la Chine, II, 6. Que cette idée encor m'accable et m'humilie ! Voltaire, Tancr. IV, 2.
  • 5Image. J'en puis voir sa fenêtre ; et de sa chère idée Mon âme à cet aspect sera mieux possédée, Corneille, Ment. IV, 1. Rempli de votre idée, il m'adresse pour vous Ces mots, où l'amitié règne sur le courroux, Corneille, Rodog. V, 4. Je m'en vais avec le bon abbé et mes livres, et votre idée dont je recevrai tous mes biens et tous mes maux, Sévigné, 422. Ne me rappelez point une trop chère idée, Racine, Bérén. V, 5. Mais de ce souvenir mon âme possédée A deux fois en dormant revu la même idée, Racine, Athal. II, 5. Elle ne se le représente [Dieu] plus alors… sous l'idée d'un juge terrible, Massillon, Avent, Mort du péch.
  • 6Vision chimérique. Ce ne sont pas des idées creuses. Il se repaît d'idées.

    Opinion non fondée. Vous croyez qu'il ne viendra pas, quelle idée !

    Fantaisie. Sortir par un temps pareil, quelle idée !

    Vaine apparence, sans réalité ni effet. Le roi n'est qu'une idée et n'a de son pouvoir Que ce que par pitié vous lui laissez avoir, Corneille, Nicom. III, 2. Ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux, Molière, l'Av. III, 5.

    Fig. et familièrement. Petite quantité. Je ne veux qu'y goûter, ne m'en donnez qu'une idée.

  • 7Pensée, conception, opinion. Suivre le fil de ses idées. Cela brouille toutes mes idées. Idée sublime. Noble idée. Mon trouble, il est bien vrai, m'a si fort possédée, Que de le démentir je n'ai point eu l'idée, Molière, Tart IV, 5. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit ou moins nette ou plus pure, Boileau, Art p. I. Crois-tu… Que… D'une si douce erreur si longtemps possédée, Je puisse désormais souffrir une autre idée ? Racine, Bajaz. II, 1. Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées ; Racine se conforme aux nôtres, La Bruyère, I. Moi qui, de tant de feux justement possédée, N'avais d'autre bonheur, d'autre soin, d'autre idée Que de t'entretenir, d'écouter ton amour ? Voltaire, Zaïre, III, 5. Peut-elle réparer les malheurs qu'elle a faits ? En a-t-elle la force ? en a-t-elle l'idée ? Voltaire, Oreste, V, 2. Rassemblons des faits pour nous donner des idées, Buffon, Animaux, Reproduction.

    Avoir une grande idée de…, penser magnifiquement, orgueilleusement de… Vous avez une si grande idée de votre rang, Massillon, Petit car. Vices et vert.

    Par opposition. Avoir, se faire une triste idée, une pauvre idée, penser peu de bien d'une chose.

    Idée fixe, celle qui nous domine, qui nous occupe exclusivement.

    En médecine, idée fixe, forme de monomanie intellectuelle ou délire partiel et chronique, dont il y a autant de variétés que de malades, et dans laquelle le patient demeure obsédé par une idée déraisonnable ou criminelle qui influe sur toutes ses actions.

  • 8Il se dit quelquefois pour système philosophique. Les idées d'Aristote ont dominé le moyen âge.

    Les idées nouvelles, les opinions qui tendent à renouveler la société. Partisan, adversaire des idées nouvelles.

    L'idée fouriériste, l'idée saint-simonienne, le système de Fourier, de Saint-Simon, ou du moins le principe de ces systèmes.

  • 9Première conception d'où se développe une œuvre d'art ou de littérature. L'idée de ce tableau est gracieuse. Il a pris l'idée de sa pièce dans tel roman. C'est une idée qui m'avait passé une fois par la tête et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie qui peut-être n'aurait pas fait rire, Molière, Impr. 1.

    Terme de musique. Idée musicale, trait de chant qui se présente à l'esprit du compositeur avec tous les accessoires qu'il comporte.

    Absolument, et souvent au pluriel, les idées, les conceptions qui inventent, qui donnent de l'originalité. Cet auteur a des idées. Il n'y a point d'idées dans ce livre, chez cet artiste. Faute d'idée, il allait faire une ode, Béranger, Vin de Chypre.

    Familièrement. Avoir de l'idée, avoir de l'intelligence, un esprit fécond en expédients.

    Absolument, au singulier, et dans un emploi néologique. L'ensemble idéal des aspirations du génie et de l'époque. Les penseurs sont les serviteurs de l'idée. La forme n'est rien ; l'idée est tout. La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien ; Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée, Hugo, Rayons et ombres, xx. [Paris] Mamelle sans cesse inondée, Où, pour se nourrir de l'idée, Viennent les générations, Hugo, Voix intérieures, IV.

  • 10Invention ; sens peu usité aujourd'hui. L'autre femme est une pure idée de mon esprit, Corneille, Sertor. Au lecteur.
  • 11Esquisse, ébauche. Il en a jeté l'idée sur le papier.

    En mauvaise part. Ce n'est qu'une première idée, qu'une idée informe, se dit d'un ouvrage qui est trop peu achevé.

  • 12Esprit, imagination. En ce sens il ne s'emploie qu'avec les prépositions en, dans, à, de, etc. Il me revient à l'idée, en idée que… On ne peut lui ôter cela de l'idée. J'ai dans l'idée qu'il ne viendra pas. Il s'est mis dans l'idée de faire cela, qu'il devait aller à Rome. Et n'avait rien que Pinuce en l'idée, La Fontaine, Berc. Personne n'aspire à l'égalité ; cela ne vient pas même dans l'idée, Montesquieu, Esp. V, 4.

    En idée, c'est-à-dire en esprit. Va, triomphe en idée avec ta Rodogune, Corneille, Rodog. IV, 5. De pareils lieutenants n'ont de chefs qu'en idée, Corneille, Sertor. III, 2. Général en idée et monarque en peinture, Corneille, Agés. III, 1. Les projets frivoles d'un vainqueur en idée, Fléchier, Tur. Le monde semble respecter la vertu en idée, Massillon, Carême, Injust. Le pape Jean XXII déposa en idée Louis de Bavière par une de ces bulles, Voltaire, Mœurs, 68.

SYNONYME

IDÉE, PENSÉE. L'idée est proprement la représentation d'un objet dans l'esprit ; la pensée est la considération de cet objet dans l'esprit. L'idée est l'élément ; la pensée est la combinaison de ces éléments.

HISTORIQUE

XIIIe s. Et lor promet, en ses idées, Des œuvres qu'il auront ovrées, Sauvement ou dampnacion, la Rose, 17685.

XVIe s. Sur la plus belle idée au ciel vous fustes faite, Voulant nature un jour monstrer tout son pouvoir ; Depuis vous lui servez de forme et de miroir, Desportes, Diane, II, 67.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

IDÉE, s. f. (Philos. Log.) nous trouvons en nous la faculté de recevoir des idées, d’appercevoir les choses, de se les représenter. L’idée ou la perception est le sentiment qu’a l’ame de l’état où elle se trouve.

Cet article, un des plus importans de la Philosophie, pourroit comprendre toute cette science que nous connoissons sous le nom de Logique. Les idées sont les premiers degrés de nos connoissances, toutes nos facultés en dépendent. Nos jugemens, nos raisonnemens, la méthode que nous présente la Logique, n’ont proprement pour objet que nos idées. Il seroit aisé de s’étendre sur un sujet aussi vaste, mais il est plus à propos ici de se resserrer dans de justes bornes ; & en indiquant seulement ce qui est essentiel, renvoyer aux traités & aux livres de Logique, aux essais sur l’entendement humain, aux recherches de la vérité, à tant d’ouvrages de Philosophie qui se sont multipliés de nos jours, & qui se trouvent entre les mains de tout le monde.

Nous nous représentons, ou ce qui se passe en nous mêmes, ou ce qui est hors de nous, soit qu’il soit présent ou absent ; nous pouvons aussi nous représenter nos perceptions elles-mêmes.

La perception d’un objet à l’occasion de l’impression qu’il a fait sur nos organes, se nomme sensation.

Celle d’un objet absent qui se représente sous une image corporelle, porte le nom d’imagination.

Et la perception d’une chose qui ne tombe pas sous les sens, ou même d’un objet sensible, quand on ne se le représente pas sous une image corporelle, s’appelle idée intellectuelle.

Voilà les différentes perceptions qui s’allient & se combinent d’une infinité de manieres ; il n’est pas besoin de dire que nous prenons le mot d’idée ou de perception dans le sens le plus étendu, comme comprenant & la sensation & l’idée proprement dite.

Réduisons à trois chefs ce que nous avons à dire sur les idées ; 1°. par rapport à leur origine, 2°. par rapport aux objets qu’elles représentent, 3°. par rapport à la maniere dont elles représentent ces objets.

1°. Il se présente d’abord une grande question sur la maniere dont les qualités des objets produisent en nous des idées ou des sensations ; & c’est sur celles-ci principalement que tombe la difficulté. Car pour les idées que l’ame apperçoit en elle-même, la cause en est l’intelligence, ou la faculté de penser, ou si l’on veut encore, sa maniere d’exister ; & quant à celles que nous acquérons en comparant d’autres idées, elles ont pour causes les idées elles-mêmes, & la comparaison que l’ame en fait. Restent donc les idées que nous acquérons par le moyen des sens ; sur quoi l’on demande comment les objets produisant seulement un mouvement dans les nerfs, peuvent imprimer des idées dans notre ame ? Pour résoudre cette question, il faudroit connoître à fond la nature de l’ame & du corps, ne pas s’en tenir seulement à ce que nous présentent leurs facultés & leurs propriétés, mais pénétrer dans ce mystere inexpliquable, qui fait l’union merveilleuse de ces deux substances.

Remonter à la premiere cause, en disant que la faculté de penser a été accordée à l’homme par le Créateur, ou avancer simplement que toutes nos idées viennent des sens ; ce n’est pas assez, & c’est même ne rien dire sur la question : outre qu’il s’en faut de beaucoup que nos idées soient dans nos sens, telles qu’elles sont dans notre esprit, & c’est là la question. Comment à l’occasion d’une impression de l’objet sur l’organe, la perception se forme-t-elle dans l’ame ?

Admettre une influence réciproque d’une des substances sur l’autre, c’est encore ne rien expliquer.

Prétendre que l’ame forme elle-même ses idées, indépendamment du mouvement ou de l’impression de l’objet, & qu’elle se représente les objets desquels par le seul moyen des idées elle acquiert la connoissance, c’est une chose plus difficile encore à concevoir, & c’est ôter toute relation entre la cause & l’effet.

Recourir aux idées innées, ou avancer que notre ame a été créée avec toutes ses idées, c’est se servir de termes vagues qui ne signifient rien ; c’est anéantir en quelque sorte toutes nos sensations, ce qui est bien contraire à l’expérience ; c’est confondre ce qui peut être vrai à certains égards, des principes, avec ce qui ne l’est pas des idées dont il est ici question ; & c’est renouveller des disputes qui ont été amplement discutées dans l’excellent ouvrage sur l’entendement humain.

Assurer que l’ame a toujours des idées, qu’il ne faut point chercher d’autre cause que sa maniere d’être, qu’elle pense lors même qu’elle ne s’en apperçoit pas, c’est dire qu’elle pense sans penser, assertion dont par cela même, qu’on n’en a ni le sentiment ni le souvenir, l’on ne peut donner de preuve.

Pourroit-on supposer avec Mallebranche, qu’il ne sauroit y avoir aucune autre preuve de nos idées, que les idées mêmes dans l’Être souverainement intelligent, & conclure que nous acquérons nos idées dans l’instant que notre ame les apperçoit en Dieu ? Ce roman métaphysique ne semble-t-il pas dégrader l’intelligence suprème ? La fausseté des autres systèmes suffit-elle pour le rendre vraissemblable ? & n’est-ce pas jetter une nouvelle obscurité sur une question déja très-obscure par elle-même ?

A la suite de tant d’opinions différentes sur l’origine des idées, l’on ne peut se dispenser d’indiquer celle de Leibnitz, qui se lie en quelque sorte avec les idées innées ; ce qui semble déjà former un préjugé contre ce système. De la simplicité de l’ame humaine il en conclut, qu’aucune chose créée ne peut agir sur elle ; que tous les changemens qu’elle éprouve dépendent d’un principe interne ; que ce principe est la constitution même de l’ame, qui est formée de maniere, qu’elle a en elle différentes perceptions, les unes distinctes, plusieurs confuses, & un très-grand nombre de si obscures, qu’à peine l’ame les apperçoit-elle. Que toutes ces idées ensemble forment le tableau de l’univers ; que suivant la différente relation de chaque ame avec cet univers, ou avec certaines parties de l’univers, elle a le sentiment des idées distinctes, plus ou moins, suivant le plus ou moins de relation. Tout d’ailleurs étant lié dans l’univers, chaque partie étant une suite des autres parties ; de même l’idée représentative a une liaison si nécessaire avec la représentation du tout, qu’elle ne sauroit en être séparée. D’où il suit que, comme les choses qui arrivent dans l’univers se succedent suivant certaines lois, de même dans l’ame, les idées deviennent successivement distinctes, suivant d’autres lois adaptées à la nature de l’intelligence. Ainsi ce n’est ni le mouvement, ni l’impression sur l’organe, qui excite des sensations ou des perceptions dans l’ame ; je vois la lumiere, j’entends un son, dans le même instant les perceptions représentatives de la lumiere & du son s’excitent dans mon ame par sa constitution, & par une harmonie nécessaire, d’un côté entre toutes les parties de l’univers, de l’autre entre les idées de mon ame, qui d’obscures qu’elles étoient, deviennent successivement distinctes.

Telle est l’exposition la plus simple de la partie du système de Leibnitz, qui regarde l’origine des idées. Tout y dépend d’une connexion nécessaire entre une idée distincte que nous avons, & toutes les idées obscures qui peuvent avoir quelque rapport avec elle, qui se trouvent nécessairement dans notre ame. Or, l’on n’apperçoit point, & l’expérience semble être contraire à cette liaison entre les idées qui se succedent ; mais ce n’est pas là la seule difficulté que l’on pourroit élever contre ce système, & contre tous ceux qui vont à expliquer une chose qui vraisemsemblablement nous sera toujours inconnue.

Que notre ame ait des perceptions dont elle ne prend jamais connoissance, dont elle n’a pas la conscience (pour me servir du terme introduit par M. Locke) ou que l’ame n’ait point d’autres idées que celle qu’elle apperçoit, en sorte que la perception soit le sentiment même, ou la conscience qui avertit l’ame de ce qui se passe en elle ; l’un ou l’autre système, auxquels se réduisent proprement tous ceux que nous avons indiqués, n’explique point la maniere dont le corps agit sur l’ame, & celle-ci réciproquement. Ce sont deux substances trop différentes ; nous ne connoissons l’ame que par ses facultés, & ces facultés que par leurs effets : ces effets se manifestent à nous par l’intervention du corps. Nous voyons par-là l’influence de l’ame sur le corps, & réciproquement celle du corps sur l’ame ; mais nous ne pouvons pénétrer au-delà. Le voile restant sur la nature de l’ame, nous ne pouvons savoir ce qu’est une idée considérée dans l’ame, ni comment elle s’y produit ; c’est un fait, le comment est encore dans dans l’obscurité, & sera sans doute toujours livre aux conjectures.

2°. Passons aux objets de nos idées. Ou ce sont des êtres réels, & qui existent hors de nous & dans nous, soit que nous y pensions, soit que nous n’y pensions pas ; tels sont les corps, les esprits, l’Être suprème. Ou ce sont des êtres qui n’existent que dans nos idées, des productions de notre esprit qui joint diverses idées. Alors ces êtres ou ces objets de nos idées, n’ont qu’une existence idéale ; ce sont ou des êtres de raison, des manieres de penser qui nous servent à imaginer, à composer, à retenir, à expliquer plus facilement ce que nous concevons ; telles sont les relations, les privations, les signes, les idées universelles, &c. Ou ce sont des fictions distinguées des êtres de raison, en ce qu’elles sont formées par la réunion ou la séparation de plusieurs idées simples, & sont plûtôt un effet de ce pouvoir ou de cette faculté que nous avons d’agir sur nos idées, & qui, pour l’ordinaire est désignée par le mot d’imagination. Voyez Imagination. Tel est un palais de diamant, une montagne d’or, & cent autres chimères, que nous ne prenons que trop souvent pour des réalités. Enfin, nous avons, pour objet de nos idées, des êtres qui n’ont ni existence réelle, ni idéale, qui n’existent que dans nos discours, & pour cela on leur donne simplement une existence verbale. Tel est un cercle quarré, le plus grand de tous les nombres, & si l’on vouloit en donner d’autres exemples, on les trouveroit aisément dans les idées contradictoires, que les hommes & même les philosophes joignent ensemble, sans avoir produit autre chose que des mots dénués de sens & de réalité. Ce seroit trop entreprendre que de parcourir dans quelque détail, les idées que nous avons sur ces différens objets ; disons seulement un mot sur la maniere dont les êtres extérieurs & réels se présentent à nous au moyen des idées ; & c’est une observation générale qui se lie à la question de l’origine des idées. Ne confondons pas ici la perception qui est dans l’esprit avec les qualités du corps qui produisent cette perception. Ne nous figurons pas que nos idées soient des images ou des ressemblances parfaites de ce qu’il y a dans le sujet qui les produit ; entre la la plûpart de nos sensations & leurs causes, il n’y a pas plus de ressemblance, qu’entre ces mêmes idées & leurs noms ; mais pour éclaircir ceci, faisons une distinction.

Les qualités des objets, ou tout ce qui est dans un objet, se trouve propre à exciter en nous une idée. Ces qualités sont premieres & essentielles, c’est-à-dire, indépendantes de toutes rélations de cet objet avec les autres êtres, & telles qu’il les conserveroit, quand même il existeroit seul. Ou elles sont des qualités secondes, qui ne consistent que dans les relations que l’objet a avec d’autres, dans la puissance qu’il a d’agir sur d’autres, d’en changer l’état, ou de changer lui-même d’état, étant appliqué à un autre objet ; si c’est sur nous qu’il agit, nous appellons ces qualités sensibles ; si c’est sur d’autres, nous les appellons puissances ou facultés. Ainsi la propriété qu’a le feu de nous échauffer, de nous éclairer, sont des qualités sensibles, qui ne seroient rien s’il n’y avoit des êtres sensibles, chez lesquels ce corps peut exciter ces idées ou sensations ; de même la puissance qu’il a de fondre le plomb par exemple, lorsqu’il lui est appliqué, est une qualité seconde du feu, qui excite chez nous de nouvelles idées, qui nous auroient été absolument inconnues, si l’on n’avoit jamais fait l’essai de cette puissance du feu sur le plomb.

Disons que les idées des qualités premieres des objets représentent parfaitement leurs objets ; que les originaux de ces idées existent réellement ; qu’ainsi l’idée que vous vous formez de l’étendue, est véritablement conforme à l’étendue qui existe. Je pense qu’il en est de même des puissances du corps, ou du pouvoir qu’il a en vertu de ses qualités premieres & originales de changer l’état d’un autre, ou d’en être changé. Quand le feu consume le bois, je crois que la plûpart des hommes conçoivent le feu, comme un amas de particules en mouvement, ou comme autant de petits coins qui coupent, séparent les parties solides du bois, qui laissent échapper les plus subtiles & les plus légeres pour s’élever en fumée, tandis que les plus grossieres tombent en forme de cendre.

Mais, pour ce qui est des qualités sensibles, le commun des hommes s’y trompe beaucoup. Ces qualités ne sont point réelles, elle ne sont point semblables aux idées que l’on s’en forme ; ce qui influe pour l’ordinaire, sur le jugement qu’on porte des puissances & des qualités premieres. Cela peut venir de ce que l’on n’apperçoit pas par les sens, les qualités originales dans les élemens dont les corps sont composés ; de ce que les idées des qualités sensibles, qui sont effectivement toutes spirituelles, ne nous paroissent tenir rien de la grosseur, de la figure, ou des autres qualités corporelles ; & enfin de ce que nous ne pouvons pas concevoir, comment ces qualités peuvent produire les idées & les sensations des couleurs, des odeurs, & des autres qualités sensibles, suite du mystere inexplicable qui regne, comme nous l’avons dit, sur la liaison de l’ame & du corps. Mais, pour cela, le fait n’en est pas moins vrai ; & si nous en cherchons les raisons, nous verrons que l’on en a plus d’attribuer au feu, par exemple, de la chaleur, ou de croire que cette qualité du feu que nous appellons la chaleur, nous est fidellement représentée par la sensation à laquelle nous donnons ce nom, que l’on en a de donner à une aiguille qui me pique, la douleur qu’elle me cause ; si ce n’est que nous voyons distinctement l’impression que l’aiguille produit chez moi, en s’insinuant dans ma chair, au lieu que nous n’appercevons pas la même chose à l’égard du feu ; mais cette différence, fondée uniquement sur la portée de nos sens, n’a rien d’essentiel. Autre preuve encore du peu de réalité des qualités sensibles, & de leur conformité à nos idées, ou sensations ; c’est que la même qualité nous est représentée par des sensations très-différentes, de douleur ou de plaisir suivant les tems & les circonstances. L’expérience montre d’ailleurs en plusieurs cas, que ces qualités que les sens nous font appercevoir dans les objets, ne s’y trouvent réellement pas. D’où nous nous croyons fondés à conclure que les qualités originelles des corps sont des qualités réelles, qui existent réellement dans les corps, soit que nous y pensions, soit que nous n’y pensions pas, & que les perceptions que nous en avons, peuvent être conformes à leurs objets ; mais que les qualités sensibles n’y sont pas plus réellement que la douleur dans une aiguille ; qu’il y a dans les corps quelques qualités premieres, qui sont les sources & les principes des qualités secondes, ou sensibles, lesquelles n’ont rien de semblable avec celles-ci qui en dérivent, & que nous prêtons aux corps.

Faites que vos yeux ne voyent ni lumiere ni couleur, que vos oreilles ne soient frappées d’aucun son, que votre nez ne sente aucune odeur ; dès-lors toutes ces couleurs, ces sons, & ces odeurs s’évanouiront & cesseront d’exister. Elles rentreront dans les causes qui les ont produites, & ne seront plus ce qu’elles sont réellement, une figure, un mouvement, une situation de partie : aussi un aveugle n’a-t-il aucune perception de la lumiere, des couleurs.

Cette distinction bien établie pourroit nous mener à la question de l’essence & des qualités essentielles des êtres, à faire voir le peu d’exactitude des idées que nous nous formons des êtres extérieurs ; à ce que nous connoissons des substances, & à ce qui nous en restera toujours inconnu, aux modes ou aux manieres d’être, & à ce qui en fait le principe ; mais outre que cela nous meneroit trop loin, on trouvera ces sujets traités dans les articles relatifs. Contentons-nous d’avoir indiqué cette distinction sur la maniere de connoître les qualités premieres, & les qualités sensibles d’un objet, & passons aux êtres qui n’ont qu’une existence idéale. Pour les faire connoître, nous choisissons, comme ayant un rapport distinct à nos perceptions, ceux que notre esprit considere d’une maniere générale, & dont il se forme ce que l’on appelle idées universelles.

Si je me représente un être réel, & que je pense en même tems à toutes les qualités qui lui sont particulieres, alors l’idée que je me fais de cet individu, est une idée singuliere ; mais, si écartant toutes ces idées particulieres, je m’arrête seulement à quelques qualités de cet être, qui soient communes à tous ceux de la même espece, je forme par-là une idée universelle, générale.

Nos premieres idées sont visiblement singulieres. Je me fais d’abord une idée particuliere de mon pere, de ma nourrice ; j’observe ensuite d’autres êtres qui ressemblent à ce pere, à cette femme, par la forme, par le langage, par d’autres qualités. Je remarque cette ressemblance, l’y donne mon attention, je la détourne des qualités par lesquelles mon pere, ma nourrice, sont distingués de ces êtres ; ainsi je me forme une idée à laquelle tous ces êtres participent également ; je juge ensuite par ce que j’entends dire, que cette idée se trouve chez ceux qui m’environnent, & qu’elle est désignée par le mot d’hommes. Je me fais donc une idée générale, c’est-à-dire, j’écarte de plusieurs idées singulieres, ce qu’il y a de particulier à chacune, & je ne retiens que ce qu’il y a de commun à toutes : c’est donc à l’abstraction que ces sortes d’idées doivent leur naissance. Voyez Abstraction.

Nous avons raison de les ranger dans la classe des êtres de raison, puisqu’elles ne sont que des manieres de penser, & que leurs objets qui sont des êtres universels, n’ont qu’une existence idéale, qui néanmoins a son fondement dans la nature des choses, ou dans la ressemblance des individus ; d’où il suit qu’en observant cette ressemblance des idées singulieres, on se forme des idées générales ; qu’en retenant la ressemblance des idées générales, on vient à s’en former de plus générales encore ; ainsi l’on construit une sorte d’échelle ou de pyramide qui monte par dégré, depuis les individus jusqu’à l’idée de toutes, la plus générale, qui est celle de l’être.

Chaque degré de cette pyramide, à l’exception du plus haut & du plus bas, sont en même tems espece & genre ; espece, relativement au degré supérieur ; genre, par rapport à l’inférieur. La ressemblance entre plusieurs personnages de différentes nations, leur fait donner le nom d’hommes. Certains rapports entre les hommes & les bêtes, les fait ranger sous une même classe, désignée sous le nom d’animaux. Les animaux ont plusieurs qualités communes avec les plantes, on les renferme sous le nom d’êtres vivans ; l’on peut aisément ajoûter des degrés à cette échelle. Si on la borne là, elle présente l’être vivant, pour le genre, ayant sous lui deux especes, les animaux & les plantes, qui, relativement a des dégrés inférieurs, deviennent à leur tour des genres.

Sur cette exposition des idées universelles, qui ne sont telles, que parce qu’elles ont moins de parties, moins d’idées particulieres, il semble qu’elles devroient être d’autant plus à la portée de notre esprit. Cependant l’expérience fait voir que plus les idées sont abstraites, & plus on a de peine à les saisir & à les retenir, à moins qu’on ne les fixe dans son esprit par un nom particulier, & dans sa mémoire, par un emploi fréquent de ce nom ; c’est que ces idées abstraites ne tombent ni sous les sens, ni sous l’imagination, qui sont les deux facultés de notre ame, dont nous aimons le plus à faire usage. Que pour produire ces idées universelles ou abstraites, il faut entrer dans le détail de toutes les qualités des êtres, observer & retenir celles qui sont communes, écarter celles qui sont propres à chaque individu ; ce qui ne se fait pas sans un travail d’esprit, pénible pour le commun des hommes, & qui devient difficile, si l’on n’appelle les sens & l’imagination au secours de l’esprit, en fixant ces idées par des noms ; mais, ainsi déterminées, elles deviennent les plus familieres & les plus communes. L’étude & l’usage des langues nous apprennent que presque tous les mots, qui sont des signes de nos idées, sont des termes généraux, d’où l’on peut conclure, que presque toutes les idées des hommes sont des idées générales, & qu’il est beaucoup plus aisé & plus commode de penser ainsi d’une maniere universelle. Qui pourroit en effet imaginer & retenir des noms propres pour tous les êtres que nous connoissons ? A quoi aboutiroit cette multitude de noms singuliers ? Nos connoissances, il est vrai, sont fondées sur les existences particulieres, mais elles ne deviennent utiles que par des conceptions générales des choses, rangées pour cela sous certaines especes, & appellées d’un même nom.

Ce que nous venons de dire sur les idées universelles, peut s’étendre à tous les objets de nos perceptions, dont l’existence n’est qu’idéale : passons à la maniere dont elles nous peignent ces objets.

3°. A cet égard on distingue les idées, en idées claires ou obscures, appliquant par analogie à la vûe de l’esprit, les mêmes termes dont on se sert pour le sens de la vûe. C’est ainsi que nous disons qu’une idée est claire, quand elle est telle, qu’elle suffit pour nous faire connoître ce qu’elle représente, dès que l’objet vient à s’offrir à nous. Celle qui ne produit pas cet effet, est obscure. Nous avons une idée claire de la couleur rouge, lorsque, sans hésiter, nous la discernons de toute autre couleur ; mais bien des gens n’ont que des idées obscures des diverses nuances de cette couleur, & les confondent les unes avec les autres, prenant, par exemple, le couleur de cerise pour le couleur de rose. Celui-là a une idée claire de la vertu, qui sait distinguer sûrement une action vertueuse d’une qui ne l’est pas ; mais c’est en avoir une idée obscure, que de prendre des vices à la mode pour des vertus.

La clarté & l’obscurité des idées peuvent avoir divers degrés, suivant que ces idées portent avec elles plus ou moins de marques propres à les discerner de toute autre. L’idée d’une même chose peut être plus claire chez les uns, moins claire chez les autres ; obscure pour ceux-ci, très-obscure à ceux-là ; de même elles peuvent être obscures dans un tems, & devenir très-claires dans un autre. Ainsi une idée claire peut être subdivisée en idée distincte & confuse. Distincte, quand nous pouvons détailler ce que nous avons observé dans cette idée, indiquer les marques qui nous les font reconnoître, rendre compte des différences qui distinguent cette idée d’autres à peu-près semblables ; mais on doit appeller une idée confuse, lorsqu’étant claire, c’est-à-dire distinguée de toute autre, on n’est pas en état d’entrer dans le détail de ses parties.

Il en est encore ici comme du sens de la vûe. Tout objet vû clairement ne l’est pas toujours distinctement. Quel objet se présente avec plus de clarté que le soleil, & qui pourroit le voir distinctement à moins que d’affoiblir son éclat ? des exemples diront mieux que les définitions. L’idée de la couleur rouge est une idée claire, car l’on ne confondra jamais le rouge avec une autre couleur ; mais si l’on demande à quelqu’un, à quoi donc il reconnoît la couleur rouge, il ne saura que repondre. Cette idée claire est donc confuse pour lui, & je crois qu’on peut dire la même chose de toutes les perceptions simples. Combien de gens qui ont une idée claire de la beauté d’un tableau, qui guidés par un goût juste & sûr, n’hésiteront pas à le distinguer sur dix autres tableaux médiocres. Demandez-leur ce qui les détermine à trouver cette peinture bonne, & ce qui en fait la beauté, ils ne sauront pas rendre raison de leur jugement, parce qu’ils n’ont pas une idée distincte de la beauté. Et voilà une différence sensible entre une idée simplement claire, & une idée distincte ; c’est que celui qui n’a qu’une idée claire d’une chose, ne sauroit la communiquer à un autre. Si vous vous adressez à un homme qui n’a qu’une idée claire, mais confuse de la beauté d’un poëme, il vous dira que c’est l’Iliade, l’Enéide, ou il ajoûtera quelques synonymes ; c’est un poëme qui est sublime, noble, harmonieux, qui ravit, qui enchante ; des mots tant que vous voudrez, mais des idées, n’en attendez pas de lui.

Ce ne sont aussi que les idées distinctes qui sont propres à étendre nos connoissances, & qui par-là sont préférables de beaucoup aux idées simplement claires, qui nous séduisent par leur éclat, & nous jettent cependant dans l’erreur ; ce qui mérite que l’on s’y arrête pour faire voir que, quoique distinctes, elles sont encore susceptibles de perfection. Pour cela une idée distincte doit être complette, c’est-à-dire qu’elle doit renfermer les marques propres à faire reconnoitre son objet en tout tems & en toutes circonstances. Un fou, dit-on, est un homme qui allie des idées incompatibles ; voilà peut-être une idée distincte, mais fournit-elle des marques pour distinguer en tout tems un fou d’un homme sage ?

Outre cela les idées distinctes doivent être ce qu’on appelle dans l’école adéquates. On donne ce nom à une idée distincte des marques même qui distinguent cette idée ; un exemple viendra au secours de cette définition. On a une idée distincte de la vertu, quand on sait que c’est l’habitude de conformer ses actions libres à la loi naturelle. Cette idée n’est ni complettement distincte, ni adéquate, quand on ne sait que d’une maniere confuse ce que c’est que l’habitude de conformer ses actions à une loi, ce que c’est qu’une action libre. Mais elle devient complette & adéquate, quand on se dit qu’une habitude est une facilité d’agir, qui s’acquiert par un fréquent exercice ; que conformer ses actions à une loi, c’est choisir entre plusieurs manieres d’agir également possibles, celle qui suit la loi ; que la loi naturelle est la volonté du Législateur suprème qu’il a fait connoître aux hommes par la raison & par la conscience ; qu’enfin les actions libres sont celles qui dépendent du seul acte de notre volonté.

Ainsi l’idée de vertu emporte tout ceci, une facilité acquise par un fréquent exercice, de choisir entre plusieurs manieres d’agir, que nous pouvons exécuter par le seul acte de notre volonté, celle qui s’accommode le mieux à ce que la raison & la conscience nous représentent, comme conformes à la volonté de Dieu ; & cette idée de la vertu est non seulement distincte, mais adéquate au premier degré. Pour la rendre plus distincte encore, on pourroit pousser cette analyse plus loin, & en cherchant les idées distinctes de tout ce qui entre dans l’idée de vertu, on seroit surpris combien ce mot embrasse de choses, auxquelles la plûpart de ceux qui l’emploient, ne pensent gueres. Il convient même de s’arrêter quand on est parvenu à des idées claires, mais confuses que l’on ne peut plus résoudre ; aller au-de-là ce seroit manquer son but, qui ne peut être que de former un raisonnement pour s’éclairer soi-même, ou pour communiquer aux autres ce que nous avons dans l’esprit. Dans le second cas nous remplissons nos vûes, lorsque nous nous faisons entendre de celui à qui nous parlons : au premier il suffit d’être parvenu à des principes assez certains, pour que nous puissions y donner notre assentiment.

De là on peut conclure l’importance de ne pas se contenter d’idées confuses dans les cas où l’on peut s’en procurer de distinctes ; c’est ce qui donne cette netteté d’esprit qui en fait toute la justice. Pour cela il faut s’exercer de bonne heure & assidument sur les objets les plus simples, les plus familiers, en les considérant avec attention sous toutes leurs faces, & sous toutes les relations qu’ils peuvent avoir en les comparant ensemble, en ayant égard aux moindres différences, & en observant l’ordre & la liaison qu’elles ont entr’elles.

Passant ensuite à des objets plus composés, on les observera avec la même exactitude, & l’on se fera par-là une habitude d’avoir presque sans travail & sans peine des idées distinctes, & même de discerner toutes les idées particulieres qui entrent dans la composition de l’idée principale. C’est ainsi qu’en analysant les idées de plusieurs objets, l’on parviendra à acquérir cette qualité d’esprit qu’on désigne par le mot profondeur. Au contraire en négligeant cette attention, l’on n’aura jamais qu’un esprit superficiel qui se contente des idées claires, & qui n’aspire point à s’en former de distinctes ; qui donne beaucoup à l’imagination, peu au jugement, qui ne saisit les choses que par ce qu’elles ont de sensible, ne voulant ou ne pouvant avoir d’idées de ce qu’elles ont d’abstrait & de spirituel ; esprit qui peut se faire écouter, mais qui pour l’ordinaire est un fort mauvais guide.

C’est sur-tout le manque d’attention à examiner les objets de nos idées, à nous les rendre familiers, qui fait que nous n’en avons que des idées obscures ; & comme nous ne pouvons pas toujours conserver présens les objets dont nous avons acquis même des idées distinctes, la mémoire vient à notre secours pour nous les retracer ; mais, si alors nous ne donnons pas la même attention à cette faculté de notre ame, l’expérience fait voir que les idées s’effaçant autant & par les mêmes degrés, par lesquels elles ont été acquises & se sont gravées dans l’ame, ensorte que nous ne pouvons plus nous représenter l’objet quand il est absent, ni le reconnoître quand il est présent : des idées légérement saisies, imparfaitement digérées, quoique distinctes, ne seront bientôt plus que claires, ensuite confuses, puis obscures, & deviendront si obscures qu’elles se réduisent à rien. L’exemple de la maniere dont un jeune homme transporté en pays étranger, vient à oublier sa langue maternelle apprise par routine, en seroit une preuve, si l’on n’en n’avoit une infinité d’autres.

La maniere de voir, d’envisager un objet, de le considérer avec attention sous toutes ses faces, de l’étudier, de ranger dans son esprit sous un certain ordre les idées particulieres qui en dépendent, de s’appliquer à se rendre familiers les premiers principes & les propositions générales, de se les rappeller souvent, de ne pas s’occuper de trop d’objets à la fois, ni d’objets qui ayant trop de rapports peuvent se confondre ; de ne point passer d’un objet à l’autre qu’on ne s’en soit fait une idée distincte s’il est possible. Tout cela forme une méthode de se représenter les objets, de connoître, d’étudier, sur laquelle on ne peut prescrire ici toutes les regles, que l’on trouvera dans un traité de logique bien fait.

Convenons cependant qu’il est des choses, dont avec toute l’attention & la disposition possible, on ne peut parvenir à se faire des idées distinctes, soit parce que l’objet est trop composé, soit parce que les parties de cet objet different trop peu entr’elles pour que nous puissions les demêler & en saisir les différences, soit qu’elles nous échappent par leur peu de proportion avec nos organes, ou par leur éloignement, soit que l’essentiel d’une idée, ce qui la distingue de toute autre, se trouve enveloppé de plusieurs circonstances étrangeres qui les dérobent à notre pénétration. Toute machine trop composée, le corps humain, par exemple, est tellement combiné dans toutes ses parties ; que la sagacité des plus habiles n’y peut voir la millieme partie de ce qu’il y auroit à connoître, pour s’en former une idée complettement distincte. Le microscope, le télescope nous ont donné à la vérité des idées plus distinctes sur des objets, qui avant ces découvertes, étoient dans le second cas, c’est-à-dire très-obscures par la petitesse ou l’éloignement de ces objets, & encore combien sommes-nous éloignés d’en avoir des idées nettes ! La plûpart des hommes n’ont qu’une idée assez obscure de ce qu’ils entendent par le mot de cause, parce que dans la production d’un effet la cause se trouve ordinairement enveloppée, & tellement jointe à diverses choses, qu’il leur est difficile de discerner en quoi elle consiste.

Cet exemple même nous indique un obstacle à nous procurer des idées distinctes, c’est l’imperfection & l’abus des mots comme signes représentatifs, mais signes arbitraires de nos idées. Voyez Mots, Syntaxe. Il n’est que trop fréquent, & l’expérience nous montre tous les jours que l’on est dans l’habitude d’employer des mots sans y joindre d’idées précises, ou même aucune idée, de les employer tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, ou de les lier à d’autres, qui en rendent la signification indéterminée, & de supposer toujours comme on le fait, que les mots excitent chez les autres les mêmes idées que nous y avons attachées. Comment se faire des idées distinctes avec des signes aussi équivoques ? Le meilleur conseil que l’on puisse donner contre cet abus, c’est qu’après s’être appliqué à n’avoir que des idées bien nettes & bien terminées, nous n’employons jamais, ou du moins le plus rarement qu’il nous sera possible, de mots qui ne nous donnent du moins une idée claire, que nous tâchions de fixer la signification de ces mots, qu’en cela nous suivions autant qu’on le pourra, l’usage commun, & qu’enfin nous évitions de prendre le même mot en deux sens différens. Si cette regle générale dictée par le bon sens, étoit suivie & observée dans tous ses détails avec quelque soin, les mots bien loin d’être un obstacle, deviendroient un aide, un secours infini à la recherche de la vérité, par le moyen des idées distinctes, dont ils doivent être les signes. C’est à l’article des définitions & à tant d’autres, sur la partie philosophique de la Grammaire que nous renvoyons.

Quelque étendue que l’on ait donné à cet article, il y auroit encore bien des choses a dire sur nos idées, considérées relativement aux facultés de notre ame, sur leurs usages, comme étant les sources de nos jugemens, & les principes de nos connoissances. Mais tout cela a été dit, & se trouve dans un si grand nombre de bons ouvrages sur l’art de penser & de communiquer nos pensées, qu’il seroit superflu de s’y arrêter davantage. Quiconque voudra méditer sur ce qui se passe en lui, lorsqu’il s’applique à la recherche de quelque vérité, s’instruira mieux par lui même de la nature des idées, de leurs objets, & de leur utilité.

Idée, s. f. (Antiq. grecq. & rom.) Idæa, surnom de Cybele, qu’on adoroit particulierement sur le mont Ida ; par la même raison ses ministres les dactyles, ou les corybantes, étoient appellés Idéens, mais ils ne tenoient cette qualification que de l’honneur qu’ils avoient de servir la mere des dieux ; on la nommoit par excellence Idæa magna mater, & c’est elle que regardent les inscriptions avec ces trois lettres I. M. M. Ideæ magnæ matri. On célébroit solemnellement dans toute la Phrygie la fête sacrée de la mere Idéenne, par des sacrifices & des jeux, & on promenoit sa statue au son de la flûte & du tympanon.

Les Romains lui sacrifierent à leur tour, & instituerent des jeux à sa gloire, avec les cérémonies romaines ; mais ils y employerent des Phrygiens & des Phrygiennes, qui portoient par la ville la statue de Cybele, en sautant, dansant, battant de leurs tambours, & jouant de leurs crotales. Denys d’Halycarnasse remarque qu’il n’y avoit aucun citoyen de Rome qui se mêlât avec ces Phrygiens, & qui fût initié dans les mysteres de la déesse. (D. J.)

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Étymologie de « idée »

Emprunté au latin idea, issu du grec ancien ἰδέα idéa (« forme visible, aspect »).
Wiktionnaire - licence Creative Commons attribution partage à l’identique 3.0

Latin, idea ; du grec ἰδέα, image, idée, de εἴδειν, voir, lequel est le même que le latin videre, voir ; de sorte que c'est le fait de la vision qui a fourni, par figure, la dénomination au fait intellectuel.

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Phonétique du mot « idée »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
idée ide

Fréquence d'apparition du mot « idée » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « idée »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « idée »

  • On doit appeler machine, dans le sens le plus étendu, toute idée sans penseur.
    Émile Chartier, dit Alain — Propos sur la religion, P.U.F.
  • L'éducation consiste à nous donner des idées, et la bonne éducation à les mettre en proportion.
    Montesquieu
  • C'est l'idée qui fait le bon bûcheron, ce n'est pas la force.
    Homère — L'Iliade, XXIII, 315 (traduction P. Mazon)
  • Il n'est pas difficile d'avoir une idée. Le difficile, c'est de les avoir toutes.
    Émile Chartier, dit Alain — Propos, Gallimard
  • Rien n'est plus dangereux qu'une idée, quand on n'a qu'une idée.
    Émile Chartier, dit Alain — Propos sur la religion, P.U.F.
  • Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme d'idées n'est jamais sérieux.
    Paul Valéry — Mauvaises Pensées et autres, Gallimard
  • Toutes les idées sur lesquelles repose aujourd'hui la société ont été subversives avant d'être tutélaires.
    Anatole François Thibault, dit Anatole France — La Vie littéraire, Calmann-Lévy
  • Aimer une idée, c'est l'aimer un peu plus qu'on ne devrait.
    Jean Rostand — Carnet d'un biologiste, Stock
  • Une idée forte communique un peu de sa force au contradicteur.
    Marcel Proust — À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs , Gallimard
  • L'ordre et la connexion des idées sont la même chose que l'ordre et la connexion des choses.
    Baruch Spinoza — L'Éthique, Livre II
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Images d'illustration du mot « idée »

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Traductions du mot « idée »

Langue Traduction
Anglais idea
Espagnol idea
Italien idea
Allemand idee
Chinois 理念
Arabe فكرة
Portugais idéia
Russe идея
Japonais 考え
Basque ideia
Corse idea
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Synonymes de « idée »

Source : synonymes de idée sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « idée »

Combien de points fait le mot idée au Scrabble ?

Nombre de points du mot idée au scrabble : 4 points

Idée

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