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Idée
Sommaire
- Définitions de « idée »
- Étymologie de « idée »
- Phonétique de « idée »
- Fréquence d'apparition du mot « idée » dans le journal Le Monde
- Évolution historique de l’usage du mot « idée »
- Citations contenant le mot « idée »
- Images d'illustration du mot « idée »
- Traductions du mot « idée »
- Synonymes de « idée »
- Antonymes de « idée »
- Combien de points fait le mot idée au Scrabble ?
Variantes | Singulier | Pluriel |
---|---|---|
Féminin | idée | idées |
Définitions de « idée »
Trésor de la Langue Française informatisé
IDÉE, subst. fém.
Wiktionnaire
Nom commun - français
idée \i.de\ féminin
-
Suggestion.
- Une accusation de complot contre la vie de Napoléon III fut abandonnée par prudence ; l’idée était dans l’air, on craignait d’évoquer l’événement. — (Louise Michel, La Commune, Paris : P.-V. Stock, 1898, page 22)
- Une idée intéressante, qui pourrait améliorer très sensiblement le prix de revient total du transport, est celle de la récupération des frigories disponibles à la regazéification. — (Annales des mines, 1959, volume 148, page 343)
-
Possibilité.
- Pétrifiée, je suis restée longtemps immobile, les yeux fixés sur la fente sombre, aussi effrayée à l’idée que le papillon surgisse qu'à l’idée de l'avoir tué. Comme il ne ressortait pas, je me suis lavé les mains frénétiquement. — (Tatiana Vialle, Belle-fille, NIL éditions, 2019)
- Dans ce guide, 100 idées de vacances à tous les prix.
- Façon de faire, plus ou moins originale, qu’un individu ou un groupe d’individus imagine dans le domaine de la connaissance, de l’action ou de la création artistique.
- Personne de nous ne comprend un mot d’esquimau. Inutile d'ajouter que pour leur part nos deux naturels n'ont aucune idée d'un idiome européen. — (Charles-Edmond Chojecki, Voyage dans les Mers du Nord à bord de la corvette La Reine Hortense, Paris : Michel Lévy frères, 1857, Cambridge University Press, 2012, page 236)
- Solution nouvelle et adaptée au problème de l’interlocuteur (quelque chose qui résout son problème de façon inattendue, quelque chose d’efficace à quoi il n’avait pas pensé ou qu'il n’avait pas envisagé).
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Représentation d’un être ou d’une chose dans l’esprit ; notion que l’esprit reçoit ou se forme de quelque chose.
- Et pendant ce temps, en Europe, on se frotte les mains en se félicitant de la très haute idée qu’on a donnée aux émissaires du Sultan de la culture et de la civilisation européennes. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 110)
- Le succès des combats de gladiateurs est en grande partie dû à l’idée que les Romains se faisaient de la vie morale plus forte que la mort. — (Jean-Pierre Mohen, Les Rites de l’au-delà, Odile Jacob, 1995, p.219)
- Mon esprit marinait dans un bain de départ d’idées, au sens étymologique : une idée est d’abord quelque chose que l’on voit. — (Amélie Nothomb, Pétronille, Éditions Albin Michel, Paris, 2014, p. 12)
- Que sont-elles donc et que signifie ce problème : concevoir les idées transcendentales comme représentant des réalités ? Les idées ne sont ni des concepts ni des intuitions. Donc elles ne représentent rien de réel. — (Émile Boutroux, La philosophie de Kant, Librairie Philosophique J. Vrin, 1926, page 168)
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(Philosophie) Archétype, modèle éternel et absolu de toutes les choses créées.
- Les idées de Platon.
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(Par extension) Pensée ; conception de l’esprit ; opinion ; réflexion, etc.
- La réputation de ce grand homme reposait principalement sur l’autorité avec laquelle il démontrait que l’éternument était une prévoyance de la nature, au moyen de laquelle les penseurs trop profonds pouvaient chasser par le nez le superflu de leurs idées ; […]. — (Edgar Poe, Eureka, 1848, traduction de Charles Baudelaire, 1864)
- À peu près en même temps que Bonnet faisait ses curieuses observations, les naturalistes découvraient d’autres phénomènes bien autrement inconciliables avec les idées qu’on regardait alors comme les fondemens de la science. — (Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau, Les Métamorphoses et la généagénèse, Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 3, 1856 (pages 496-519))
- Je suis incapable de rassembler deux idées ; votre vue m’a ébloui. Je ne pense plus, j’admire. — (Alexandre Dumas, La Reine Margot, 1845, volume I, chapitre IV)
- Mais à cette réunion, j’eus le tort de présenter mes idées sous une forme édulcorée (la théorie de l’onde-pilote) qui prêtait à de nombreuses objections. — (Louis de Broglie; La Physique quantique restera-t-elle indéterministe ? Séance de l’Académie des Sciences, du 25 avril 1953)
- Camille-Eugène-Marie Dieudonné. Il a vingt six ans, quand éclate l’affaire Bonnot. De métier, il est ouvrier ébéniste ; d’idées : anarchiste. — (Albert Londres, L’homme qui s'évada, Les Éditions de France, 1928, page 9)
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Disposition d’esprit, direction de pensée et de sentiment, particuliers à un peuple, à une classe.
- Une presse complaisante jusqu’à la servilité répandait dans le public, depuis les salons jusqu'aux mansardes, les idées les plus fausses et les plus dangereuses. — (Général Ambert, Récits militaires : L’invasion (1870), page 240, Bloud & Barral, 1883)
- La clé de l’énigme ? C'est qu’on ne saurait fonder un parti sur une seule idée, si grande soit-elle. Toute idée seule est une idée fixe, et toute idée fixe est une idée folle. — (Jacques Julliard, Impression, soleil couchant, dans Marianne (magazine), n° 772 du 4 février 2012, page.3)
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Système de pensée.
- La fonction du philosophe consiste exclusivement dans la profanation des idées. Aucune violence n’égale par ses effets la violence théorique. Plus tard, l’action vient… — (Paul Nizan, La Conspiration, 1938, page 44)
- Quelles sont sur ce point les idées de Descartes ?
- Les idées de Newton, de Buffon, de Pasteur.
- (Philosophie) Forme immuable d’une réalité perçue par la raison, essence intelligible et éternelle des choses sensibles.
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Préoccupation d’un caractère morbide.
- Il se disait qu'il était seul au monde, affreusement seul, misérable. Cette idée l’affligeait. — (Francis Carco, Brumes, Éditions Albin Michel, Paris, 1935, page 58)
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(Quelquefois) Souvenir.
- Je ne me souviens de rien, je n’ai aucune idée de ce qu’il s’est passé à ce moment là.
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(En particulier) Invention, en parlant d’une production des arts.
- Ses idées avaient révolutionné la vie sur la planète. Ulfète était une cité des merveilles, comme l’étaient aussi Ixrid, Poltum et Pranfar. — (Benjamin De Casseres, Arcvad le terrible, traduction de Émile Armand, dans Les Réfractaires, n° 1, janvier 1914)
- L’idée de ce tableau est gracieuse.
- Il n’y a point d’idées dans cet ouvrage, dans ce tableau, etc.
- Cet auteur, cet artiste manque d’idées, n’a point d’idées.
- (Familier) Avoir des idées.
- C’est un homme à idées.
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(Littéraire) Esquisse, ébauche rapide d’un ouvrage.
- Il a jeté l’idée de son article sur le papier.
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(Par extension) (Péjoratif) Ouvrage trop peu achevé.
- Ce n’est qu’une première idée, qu’une idée informe.
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(Au pluriel) Les visions chimériques, les choses qui ne sauraient avoir lieu, qui ne peuvent se réaliser.
- Ce ne sont que des idées creuses.
- Il prend ses idées pour des choses réelles.
- Il nous a entretenus de ses idées.
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(Familier) Pensée, esprit, imagination.
- J’ai dans l’idée qu’il ne viendra pas.
- Ils vont se mettre dans l’idée que vous êtes brouillé avec eux.
- Il me revient à l’idée que j’ai promis à mon ami de lui écrire.
- On ne peut lui ôter cela de l’idée.
-
Quand je me tiens renfrognée dans un coin et que maman me demande… mais peut-être que je me tiens ainsi ostensiblement pour qu’elle le remarque et qu’elle me pose la question… « Qu’est-ce que tu as encore ? Pourquoi est-ce que tu ne joues pas ? Pourquoi ne lis-tu pas ?… » je lui réponds seulement… et c’est quand même un soulagement : « J’ai mes idées. »
Comme on dit : « J’ai mes douleurs. J’ai ma migraine », mais avec cette différence que c’est là un mal honteux, un mal secret, qu’elle seule connaît. Il n’est pas possible que je le confie à quelqu’un d’autre. — (Nathalie Sarraute, Enfance, Gallimard, 1983, collection Folio, pages 100-101)
Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)
Représentation d'un être on d'une chose dans l'esprit; notion que l'esprit reçoit ou se forme de quelque chose. L'idée du juste et de l'injuste. L'idée du bien. L'idée de Dieu. L'idée de l'infini. L'idée de la gloire. Idée simple. Idée abstraite. Idée claire. Idée vague. Idée confuse. Idée concrète. L'origine, le développement, la génération des idées. L'association des idées. Quelle idée attachez-vous à ce mot? Une fausse idée. Ils n'ont aucune idée de nos arts, de nos usages. Cette médaille ne peut vous donner qu'une faible idée du talent de ce graveur. Ce que j'en ai vu ne répond pas à l'idée que je m'en étais faite. J'en avais connu une haute idée. J'avais de cet homme une grande idée. Ce que vous me dites me donne de lui une pauvre idée. Vous ne sauriez vous faire une idée de tout ce que j'ai souffert. Par exagération et familièrement, On n'a pas idée de cela, se dit en parlant d'une Chose qui paraît extraordinaire, excessive en son genre. Il se dit quelquefois, dans un sens particulier, pour Souvenir. Je ne me souviens point de cela, je n'en ai aucune idée. Il désigne aussi les Types, les modèles éternels et absolus de toutes les choses créées. Les idées de Platon. Il se dit, par extension, des Pensées, des conceptions de l'esprit, des opinions, des réflexions, etc. L'idée et le fait. Une belle, une noble, une grande idée. C'est lui qui m'a donné l'idée de venir vous trouver. Il a pris l'idée de sa pièce dans tel roman. Idée fondamentale. Idée dominante. Idée directrice. Idée première. J'ai changé d'idée. J'avais l'idée de partir. Plein de cette idée, il voulut... C'est une idée heureuse. Quelle sotte idée! Quelle singulière idée! Votre idée me paraît bonne. L'idée ne m'en était pas venue. Faites à votre idée; je ferai à mon idée. Je suis tourmenté de l'idée qu'il est encore fâché contre moi. La seule idée du péril l'épouvante. Communiquer ses idées à quelqu'un. Entrer dans les idées de quelqu'un. Faites-moi part de vos idées là-dessus. Idées sages. Mettre ses idées sur le papier. On trouve dans cet ouvrage beaucoup d'idées ingénieuses, originales. Cet auteur n'a point d'idées neuves. Avoir des idées saines. Suivre son idée. Suivre le fil de ses idées. Cela brouille toutes les idées. Mettre en avant des idées hardies. C'est un partisan des idées nouvelles. Idées reçues. Des idées d'un ordre élevé. Dans ce sens, il est synonyme de Disposition d'esprit, direction de pensée et de sentiment, particuliers à un peuple, à une classe. L'idée française. L'idée juive. Idées philosophiques. Idées religieuses. Idées scientifiques. Quelles sont sur ce point les idées de Descartes? Les idées de Newton, de Buffon, de Pasteur, Leur système. L'histoire des idées dans l'Antiquité. Il se dit souvent d'une Préoccupation d'un caractère morbide. Idée fixe.
IDÉE signifie particulièrement Invention, en parlant d'une Production des arts. L'idée de ce tableau est gracieuse. On l'emploie quelquefois au pluriel, dans un sens analogue; et alors il s'applique également aux Ouvrages d'esprit. Il n'y a point d'idées dans cet ouvrage, dans ce tableau, etc. Cet auteur, cet artiste manque d'idées, n'a point d'idées. On dit aussi, dans le langage familier, Avoir des idées. C'est un homme à idées. Il désigne quelquefois, en Littérature et dans les Arts d'imitation, l'Esquisse, l'ébauche rapide d'un ouvrage. Il a jeté l'idée de son article sur le papier. On le dit aussi, en mauvaise part, d'un Ouvrage trop peu achevé. Ce n'est qu'une première idée, qu'une idée informe. Il se dit encore des Visions chimériques, des choses qui ne sauraient avoir lieu, qui ne peuvent se réaliser. Ce ne sont que des idées creuses. Il prend ses idées pour des choses réelles. Il nous a entretenus de ses idées. Il se dit en outre, surtout dans le langage familier de la Pensée, de l'esprit, de l'imagination. J'ai dans l'idée qu'il ne viendra pas. Ils vont se mettre dans l'idée que vous êtes brouillé avec eux. Je ne sais ce qu'il a dans l'idée. Il me revient à l'idée que j'ai promis à mon ami de lui écrire. On ne peut lui ôter cela de l'idée.
Littré (1872-1877)
-
1Représentation qui se fait de quelque chose dans l'esprit, soit que cette chose existe au dehors, ou qu'elle soit purement intellectuelle.
Quelle idée attachez-vous à ce mot ? Tant de choses en font concevoir une haute idée que…
, Pascal, Prov. 1.Il me donnait une grande idée de l'excellence de cet ouvrage
, Pascal, ib. 5.L'étrange idée qu'on leur a donnée de la dévotion !
Pascal, ib. 9.Il est aisé de concevoir quelle idée l'Église a de l'homicide
, Pascal, ib. 14.Ce que nous concevons par une bête, est un certain animal qui pense, mais qui pense peu, qui n'a que des idées confuses et grossières, et qui n'est capable de concevoir qu'un fort petit nombre d'objets
, Nicole, Ess. mor. 1er traité, ch. 10.Je m'en fais une jolie idée
, Sévigné, 326.Il a une grande idée de toute votre personne
, Sévigné, 49.Nous avons des idées très claires non-seulement de notre liberté, mais encore de toutes les choses qui la doivent suivre
, Bossuet, Lib. arb. 2.L'idée de celui qui nous a créés est empreinte profondément en nous
, Bossuet, la Vallière.L'histoire nous donne l'idée de l'empire suprême de Dieu
, Bossuet, Hist. II, 1.Les idées qu'elle [la nation juive] avait conçues de son Christ
, Bossuet, ib. II, 10.Tout ce qui pouvait donner aux peuples une grande idée de leur patrie
, Bossuet, ib. III, 6.Quelque idée que je me fusse faite de votre procédé, il va encore plus loin
, Maintenon, Lett. à de Villette, 5 avril 1682.Il me serait difficile de te faire sentir ce que c'est ; car nous n'en avons point précisément d'idée
, Montesquieu, Lett. pers. 90.On dit que ces brigands aux meurtres acharnés… Ont d'un Dieu cependant conservé quelque idée
, Voltaire, Orph. I, 1.Je ne puis douter que Dieu n'ait accordé des sensations, de la mémoire, et, par conséquent, des idées à la matière organisée dans les animaux
, Voltaire, Philos. ignor. quest. 29e.L'idée seule de cette aventure fait frémir
, Voltaire, Lett. Tabareau, juill. 1770.Voulez-vous prendre une idée de l'éducation publique ?
Rousseau, Ém. I.Le goût des plaisirs faisait perdre aux Romains cette idée de liberté si chère à leurs ancêtres
, Duclos, Mém. jeux scéniques, Œuv. t. I, p. 347, dans POUGENS.Je crois que nous avons plus d'idées que de mots ; combien de choses senties et qui ne sont pas nommées !
Diderot, Pensées de la peinture, Œuv. t. XV, p. 170.Demi-idée, idée incomplète.
J'ai quelquefois des demi-idées, comme quand je vois des objets de loin confusément
, Voltaire, Dial. VIII, 1.Familièrement. Le pays des idées, région imaginaire où l'on relègue ce qui n'existe pas réellement.
Donner une idée d'une chose, la faire concevoir en gros.
Il ne sera pas hors de propos de donner une idée de la cour d'Angleterre
, Hamilton, Gramm. 6.Sa figure donnait une idée de l'aurore
, Hamilton, ib. 9.On aurait désiré que le rédacteur eût imité le cardinal de Retz, qui commence ses mémoires par donner une idée des personnages qu'il va faire paraître sur la scène
, Voltaire, Observ. sur les Mém. de Noailles.Voilà une idée générale de ce qu'il expose en détail dans ses sommaires et plus amplement dans ses dialogues
, Diderot, Opin. des anc. phil. (Jordanus Brunus).Avoir une idée, se représenter.
Si vous y joignez deux chèvres… et un gros chien… vous aurez une idée de tout le revenu et de tout le domestique de ces deux petites métairies
, Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virg.Familièrement. Avoir idée, penser, s'imaginer.
Rosine : Bon ! c'est la lettre de mon cousin l'officier qui était tombée de ma poche. - Bartholo : J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne
, Beaumarchais, Barb. de Sév. II, 15.N'avoir pas la première idée d'une chose, y être tout à fait ignorant.
La marine de la compagnie est commandée par des officiers qui ont tous commencé par être matelots ou mousses ; ils sont pilotes, ils sont manoeuvriers, mais ils n'ont pas la première idée des évolutions navales
, Raynal, Hist. phil. II, 25.Familièrement. Avoir peu d'idées d'une chose, n'avoir pas assez d'intelligence, d'esprit pour y songer.
Mme de Beuzenval était une très bonne femme, mais bornée, et trop pleine de son illustre noblesse polonaise : elle avait peu d'idées des égards qu'on doit aux talents
, Rousseau, Conf. VII.Familièrement. Ne pas se faire d'idée, ne pouvoir comprendre.
Je ne me faisais pas d'idée de l'ennui d'un semblable esclavage
, Genlis, Théât. d'éduc. la Bonne mère, I, 3.Par exagération et familièrement. On n'a pas d'idée de cela, se dit de ce qui paraît extraordinaire, excessif, offensant, etc.
Vous n'avez pas d'idée de cette situation
, Genlis, ib. la Curieuse, III, 1. -
2Dans le langage psychologique. Fait intellectuel qui répond dans notre esprit aux objets dont nous avons pris connaissance. L'origine, la génération des idées.
Par le nom d'idée j'entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées
, Descartes, Rép. aux secondes obj. 58.Qu'est-ce qu'une idée, qu'est-ce qu'une sensation, une volonté ? c'est moi apercevant, moi sentant, moi voulant
, Voltaire, Dict. phil. Idée.Il n'a pas dépendu de moi ni de recevoir dans ma cervelle ni de rejeter toutes les idées qui sont venues y combattre les unes contre les autres… quand elles se sont bien battues, je n'ai recueilli de leurs dépouilles que l'incertitude ; il est bien triste d'avoir tant d'idées et de ne savoir pas au juste la nature des idées
, Voltaire, ib.Qu'est-ce qu'une idée ? c'est une image qui se peint dans mon cerveau
, Voltaire, ib.Malebranche a prouvé très bien que nous n'avons aucune idée par nous-mêmes, et que les objets sont incapables de nous en donner ; de là il conclut que nous voyons tout en Dieu ; c'est au fond la même chose que de faire Dieu l'auteur de toutes nos idées
, Voltaire, Dict. phil. âme.Les idées ne sont que des sensations comparées, ou, pour mieux dire, des associations de sensations
, Buffon, Disc. nat. anim. Œuv. t. LVI, p. 296.Une idée est un mode de l'âme, et, comme nous ne savons pas ce que l'âme est en elle-même, nous ne savons point non plus ce qu'un mode de l'âme est en lui-même
, Bonnet, Ess. analyt. Ame, ch. 8.Idées innées, voy. INNÉ.
Idées générales, les idées les plus étendues auxquelles les idées particulières sont subordonnées, et que l'on obtient par différents procédés intellectuels.
Toutes les idées générales renferment des idées différentes qui approchent ou qui diffèrent plus ou moins les unes des autres
, Buffon, Animaux, ch. VIII.Terme de philosophie de Kant. Idées pures et nécessaires, concepts rationnels dont l'objet ne peut être fourni par l'expérience. Idées formelles ou subjectives, idées considérées relativement à leur forme dans l'esprit. Idées objectives, idées considérées relativement à leur matière ou à leur objet.
-
3 Terme de philosophie. Type, modèle éternel des choses. Les idées de toutes choses sont en Dieu.
Les idées de Platon, les archétypes qui, suivant ce philosophe, sont les modèles des choses terrestres.
Fig. Dans les idées de Platon, c'est-à-dire ce qui est dans les nuages, ce qui est ajourné indéfiniment.
Croyez, ma fille, que ce n'est pas sans une douleur profonde que je vois votre retour dans ces idées de Platon
, Sévigné, 27 mars 1672.Fig. Modèle, type, idéal.
Et [la reine], ternissant le souvenir Des reines qui l'ont précédée, Devient une éternelle idée De celles qui sont à venir
, Malherbe, III, 3.Il [Brancas] est mon idée sur la perfection de l'amour
, Sévigné, 1er sept. 1680.Ce goût que j'ai pour vous ne m'a point passé, vous êtes mon idée plus que jamais
, Sévigné, à Mme de Guitaut, 29 octob. 1692.Ce n'est point là une idée de perfection que j'imagine
, Fléchier, Aig. -
4Souvenir.
En ma présence même en caresser l'idée
, Corneille, Sophon. I, 4.Ce songe, Hydaspe, est donc sorti de son idée
, Racine, Esth. II, 1.J'ai quelque idée de ce visage-là, et une idée récente
, Lesage, Turcaret, I, 3.Sachez Que le premier devoir est d'étouffer l'idée Dont votre âme à mes yeux est encor possédée
, Voltaire, Alz. IV, 2.Des affronts attachés à mon humble fortune, C'est le seul dont je garde une idée importune
, Voltaire, Orphel. de la Chine, II, 6.Que cette idée encor m'accable et m'humilie !
Voltaire, Tancr. IV, 2. -
5Image.
J'en puis voir sa fenêtre ; et de sa chère idée Mon âme à cet aspect sera mieux possédée
, Corneille, Ment. IV, 1.Rempli de votre idée, il m'adresse pour vous Ces mots, où l'amitié règne sur le courroux
, Corneille, Rodog. V, 4.Je m'en vais avec le bon abbé et mes livres, et votre idée dont je recevrai tous mes biens et tous mes maux
, Sévigné, 422.Ne me rappelez point une trop chère idée
, Racine, Bérén. V, 5.Mais de ce souvenir mon âme possédée A deux fois en dormant revu la même idée
, Racine, Athal. II, 5.Elle ne se le représente [Dieu] plus alors… sous l'idée d'un juge terrible
, Massillon, Avent, Mort du péch. -
6Vision chimérique. Ce ne sont pas des idées creuses. Il se repaît d'idées.
Opinion non fondée. Vous croyez qu'il ne viendra pas, quelle idée !
Fantaisie. Sortir par un temps pareil, quelle idée !
Vaine apparence, sans réalité ni effet.
Le roi n'est qu'une idée et n'a de son pouvoir Que ce que par pitié vous lui laissez avoir
, Corneille, Nicom. III, 2.Ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux
, Molière, l'Av. III, 5.Fig. et familièrement. Petite quantité. Je ne veux qu'y goûter, ne m'en donnez qu'une idée.
-
7Pensée, conception, opinion. Suivre le fil de ses idées. Cela brouille toutes mes idées. Idée sublime. Noble idée.
Mon trouble, il est bien vrai, m'a si fort possédée, Que de le démentir je n'ai point eu l'idée
, Molière, Tart IV, 5.Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit ou moins nette ou plus pure
, Boileau, Art p. I.Crois-tu… Que… D'une si douce erreur si longtemps possédée, Je puisse désormais souffrir une autre idée ?
Racine, Bajaz. II, 1.Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées ; Racine se conforme aux nôtres
, La Bruyère, I.Moi qui, de tant de feux justement possédée, N'avais d'autre bonheur, d'autre soin, d'autre idée Que de t'entretenir, d'écouter ton amour ?
Voltaire, Zaïre, III, 5.Peut-elle réparer les malheurs qu'elle a faits ? En a-t-elle la force ? en a-t-elle l'idée ?
Voltaire, Oreste, V, 2.Rassemblons des faits pour nous donner des idées
, Buffon, Animaux, Reproduction.Avoir une grande idée de…, penser magnifiquement, orgueilleusement de…
Vous avez une si grande idée de votre rang
, Massillon, Petit car. Vices et vert.Par opposition. Avoir, se faire une triste idée, une pauvre idée, penser peu de bien d'une chose.
Idée fixe, celle qui nous domine, qui nous occupe exclusivement.
En médecine, idée fixe, forme de monomanie intellectuelle ou délire partiel et chronique, dont il y a autant de variétés que de malades, et dans laquelle le patient demeure obsédé par une idée déraisonnable ou criminelle qui influe sur toutes ses actions.
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8Il se dit quelquefois pour système philosophique. Les idées d'Aristote ont dominé le moyen âge.
Les idées nouvelles, les opinions qui tendent à renouveler la société. Partisan, adversaire des idées nouvelles.
L'idée fouriériste, l'idée saint-simonienne, le système de Fourier, de Saint-Simon, ou du moins le principe de ces systèmes.
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9Première conception d'où se développe une œuvre d'art ou de littérature. L'idée de ce tableau est gracieuse. Il a pris l'idée de sa pièce dans tel roman.
C'est une idée qui m'avait passé une fois par la tête et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie qui peut-être n'aurait pas fait rire
, Molière, Impr. 1.Terme de musique. Idée musicale, trait de chant qui se présente à l'esprit du compositeur avec tous les accessoires qu'il comporte.
Absolument, et souvent au pluriel, les idées, les conceptions qui inventent, qui donnent de l'originalité. Cet auteur a des idées. Il n'y a point d'idées dans ce livre, chez cet artiste.
Faute d'idée, il allait faire une ode
, Béranger, Vin de Chypre.Familièrement. Avoir de l'idée, avoir de l'intelligence, un esprit fécond en expédients.
Absolument, au singulier, et dans un emploi néologique. L'ensemble idéal des aspirations du génie et de l'époque. Les penseurs sont les serviteurs de l'idée. La forme n'est rien ; l'idée est tout.
La forme, ô grand sculpteur, c'est tout et ce n'est rien ; Ce n'est rien sans l'esprit, c'est tout avec l'idée
, Hugo, Rayons et ombres, xx.[Paris] Mamelle sans cesse inondée, Où, pour se nourrir de l'idée, Viennent les générations
, Hugo, Voix intérieures, IV. -
10Invention ; sens peu usité aujourd'hui.
L'autre femme est une pure idée de mon esprit
, Corneille, Sertor. Au lecteur. -
11Esquisse, ébauche. Il en a jeté l'idée sur le papier.
En mauvaise part. Ce n'est qu'une première idée, qu'une idée informe, se dit d'un ouvrage qui est trop peu achevé.
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12Esprit, imagination. En ce sens il ne s'emploie qu'avec les prépositions en, dans, à, de, etc. Il me revient à l'idée, en idée que… On ne peut lui ôter cela de l'idée. J'ai dans l'idée qu'il ne viendra pas. Il s'est mis dans l'idée de faire cela, qu'il devait aller à Rome.
Et n'avait rien que Pinuce en l'idée
, La Fontaine, Berc.Personne n'aspire à l'égalité ; cela ne vient pas même dans l'idée
, Montesquieu, Esp. V, 4.En idée, c'est-à-dire en esprit.
Va, triomphe en idée avec ta Rodogune
, Corneille, Rodog. IV, 5.De pareils lieutenants n'ont de chefs qu'en idée
, Corneille, Sertor. III, 2.Général en idée et monarque en peinture
, Corneille, Agés. III, 1.Les projets frivoles d'un vainqueur en idée
, Fléchier, Tur.Le monde semble respecter la vertu en idée
, Massillon, Carême, Injust.Le pape Jean XXII déposa en idée Louis de Bavière par une de ces bulles
, Voltaire, Mœurs, 68.
SYNONYME
IDÉE, PENSÉE. L'idée est proprement la représentation d'un objet dans l'esprit ; la pensée est la considération de cet objet dans l'esprit. L'idée est l'élément ; la pensée est la combinaison de ces éléments.
HISTORIQUE
XIIIe s. Et lor promet, en ses idées, Des œuvres qu'il auront ovrées, Sauvement ou dampnacion
, la Rose, 17685.
XVIe s. Sur la plus belle idée au ciel vous fustes faite, Voulant nature un jour monstrer tout son pouvoir ; Depuis vous lui servez de forme et de miroir
, Desportes, Diane, II, 67.
Encyclopédie, 1re édition (1751)
IDÉE, s. f. (Philos. Log.) nous trouvons en nous la faculté de recevoir des idées, d’appercevoir les choses, de se les représenter. L’idée ou la perception est le sentiment qu’a l’ame de l’état où elle se trouve.
Cet article, un des plus importans de la Philosophie, pourroit comprendre toute cette science que nous connoissons sous le nom de Logique. Les idées sont les premiers degrés de nos connoissances, toutes nos facultés en dépendent. Nos jugemens, nos raisonnemens, la méthode que nous présente la Logique, n’ont proprement pour objet que nos idées. Il seroit aisé de s’étendre sur un sujet aussi vaste, mais il est plus à propos ici de se resserrer dans de justes bornes ; & en indiquant seulement ce qui est essentiel, renvoyer aux traités & aux livres de Logique, aux essais sur l’entendement humain, aux recherches de la vérité, à tant d’ouvrages de Philosophie qui se sont multipliés de nos jours, & qui se trouvent entre les mains de tout le monde.
Nous nous représentons, ou ce qui se passe en nous mêmes, ou ce qui est hors de nous, soit qu’il soit présent ou absent ; nous pouvons aussi nous représenter nos perceptions elles-mêmes.
La perception d’un objet à l’occasion de l’impression qu’il a fait sur nos organes, se nomme sensation.
Celle d’un objet absent qui se représente sous une image corporelle, porte le nom d’imagination.
Et la perception d’une chose qui ne tombe pas sous les sens, ou même d’un objet sensible, quand on ne se le représente pas sous une image corporelle, s’appelle idée intellectuelle.
Voilà les différentes perceptions qui s’allient & se combinent d’une infinité de manieres ; il n’est pas besoin de dire que nous prenons le mot d’idée ou de perception dans le sens le plus étendu, comme comprenant & la sensation & l’idée proprement dite.
Réduisons à trois chefs ce que nous avons à dire sur les idées ; 1°. par rapport à leur origine, 2°. par rapport aux objets qu’elles représentent, 3°. par rapport à la maniere dont elles représentent ces objets.
1°. Il se présente d’abord une grande question sur la maniere dont les qualités des objets produisent en nous des idées ou des sensations ; & c’est sur celles-ci principalement que tombe la difficulté. Car pour les idées que l’ame apperçoit en elle-même, la cause en est l’intelligence, ou la faculté de penser, ou si l’on veut encore, sa maniere d’exister ; & quant à celles que nous acquérons en comparant d’autres idées, elles ont pour causes les idées elles-mêmes, & la comparaison que l’ame en fait. Restent donc les idées que nous acquérons par le moyen des sens ; sur quoi l’on demande comment les objets produisant seulement un mouvement dans les nerfs, peuvent imprimer des idées dans notre ame ? Pour résoudre cette question, il faudroit connoître à fond la nature de l’ame & du corps, ne pas s’en tenir seulement à ce que nous présentent leurs facultés & leurs propriétés, mais pénétrer dans ce mystere inexpliquable, qui fait l’union merveilleuse de ces deux substances.
Remonter à la premiere cause, en disant que la faculté de penser a été accordée à l’homme par le Créateur, ou avancer simplement que toutes nos idées viennent des sens ; ce n’est pas assez, & c’est même ne rien dire sur la question : outre qu’il s’en faut de beaucoup que nos idées soient dans nos sens, telles qu’elles sont dans notre esprit, & c’est là la question. Comment à l’occasion d’une impression de l’objet sur l’organe, la perception se forme-t-elle dans l’ame ?
Admettre une influence réciproque d’une des substances sur l’autre, c’est encore ne rien expliquer.
Prétendre que l’ame forme elle-même ses idées, indépendamment du mouvement ou de l’impression de l’objet, & qu’elle se représente les objets desquels par le seul moyen des idées elle acquiert la connoissance, c’est une chose plus difficile encore à concevoir, & c’est ôter toute relation entre la cause & l’effet.
Recourir aux idées innées, ou avancer que notre ame a été créée avec toutes ses idées, c’est se servir de termes vagues qui ne signifient rien ; c’est anéantir en quelque sorte toutes nos sensations, ce qui est bien contraire à l’expérience ; c’est confondre ce qui peut être vrai à certains égards, des principes, avec ce qui ne l’est pas des idées dont il est ici question ; & c’est renouveller des disputes qui ont été amplement discutées dans l’excellent ouvrage sur l’entendement humain.
Assurer que l’ame a toujours des idées, qu’il ne faut point chercher d’autre cause que sa maniere d’être, qu’elle pense lors même qu’elle ne s’en apperçoit pas, c’est dire qu’elle pense sans penser, assertion dont par cela même, qu’on n’en a ni le sentiment ni le souvenir, l’on ne peut donner de preuve.
Pourroit-on supposer avec Mallebranche, qu’il ne sauroit y avoir aucune autre preuve de nos idées, que les idées mêmes dans l’Être souverainement intelligent, & conclure que nous acquérons nos idées dans l’instant que notre ame les apperçoit en Dieu ? Ce roman métaphysique ne semble-t-il pas dégrader l’intelligence suprème ? La fausseté des autres systèmes suffit-elle pour le rendre vraissemblable ? & n’est-ce pas jetter une nouvelle obscurité sur une question déja très-obscure par elle-même ?
A la suite de tant d’opinions différentes sur l’origine des idées, l’on ne peut se dispenser d’indiquer celle de Leibnitz, qui se lie en quelque sorte avec les idées innées ; ce qui semble déjà former un préjugé contre ce système. De la simplicité de l’ame humaine il en conclut, qu’aucune chose créée ne peut agir sur elle ; que tous les changemens qu’elle éprouve dépendent d’un principe interne ; que ce principe est la constitution même de l’ame, qui est formée de maniere, qu’elle a en elle différentes perceptions, les unes distinctes, plusieurs confuses, & un très-grand nombre de si obscures, qu’à peine l’ame les apperçoit-elle. Que toutes ces idées ensemble forment le tableau de l’univers ; que suivant la différente relation de chaque ame avec cet univers, ou avec certaines parties de l’univers, elle a le sentiment des idées distinctes, plus ou moins, suivant le plus ou moins de relation. Tout d’ailleurs étant lié dans l’univers, chaque partie étant une suite des autres parties ; de même l’idée représentative a une liaison si nécessaire avec la représentation du tout, qu’elle ne sauroit en être séparée. D’où il suit que, comme les choses qui arrivent dans l’univers se succedent suivant certaines lois, de même dans l’ame, les idées deviennent successivement distinctes, suivant d’autres lois adaptées à la nature de l’intelligence. Ainsi ce n’est ni le mouvement, ni l’impression sur l’organe, qui excite des sensations ou des perceptions dans l’ame ; je vois la lumiere, j’entends un son, dans le même instant les perceptions représentatives de la lumiere & du son s’excitent dans mon ame par sa constitution, & par une harmonie nécessaire, d’un côté entre toutes les parties de l’univers, de l’autre entre les idées de mon ame, qui d’obscures qu’elles étoient, deviennent successivement distinctes.
Telle est l’exposition la plus simple de la partie du système de Leibnitz, qui regarde l’origine des idées. Tout y dépend d’une connexion nécessaire entre une idée distincte que nous avons, & toutes les idées obscures qui peuvent avoir quelque rapport avec elle, qui se trouvent nécessairement dans notre ame. Or, l’on n’apperçoit point, & l’expérience semble être contraire à cette liaison entre les idées qui se succedent ; mais ce n’est pas là la seule difficulté que l’on pourroit élever contre ce système, & contre tous ceux qui vont à expliquer une chose qui vraisemsemblablement nous sera toujours inconnue.
Que notre ame ait des perceptions dont elle ne prend jamais connoissance, dont elle n’a pas la conscience (pour me servir du terme introduit par M. Locke) ou que l’ame n’ait point d’autres idées que celle qu’elle apperçoit, en sorte que la perception soit le sentiment même, ou la conscience qui avertit l’ame de ce qui se passe en elle ; l’un ou l’autre système, auxquels se réduisent proprement tous ceux que nous avons indiqués, n’explique point la maniere dont le corps agit sur l’ame, & celle-ci réciproquement. Ce sont deux substances trop différentes ; nous ne connoissons l’ame que par ses facultés, & ces facultés que par leurs effets : ces effets se manifestent à nous par l’intervention du corps. Nous voyons par-là l’influence de l’ame sur le corps, & réciproquement celle du corps sur l’ame ; mais nous ne pouvons pénétrer au-delà. Le voile restant sur la nature de l’ame, nous ne pouvons savoir ce qu’est une idée considérée dans l’ame, ni comment elle s’y produit ; c’est un fait, le comment est encore dans dans l’obscurité, & sera sans doute toujours livre aux conjectures.
2°. Passons aux objets de nos idées. Ou ce sont des êtres réels, & qui existent hors de nous & dans nous, soit que nous y pensions, soit que nous n’y pensions pas ; tels sont les corps, les esprits, l’Être suprème. Ou ce sont des êtres qui n’existent que dans nos idées, des productions de notre esprit qui joint diverses idées. Alors ces êtres ou ces objets de nos idées, n’ont qu’une existence idéale ; ce sont ou des êtres de raison, des manieres de penser qui nous servent à imaginer, à composer, à retenir, à expliquer plus facilement ce que nous concevons ; telles sont les relations, les privations, les signes, les idées universelles, &c. Ou ce sont des fictions distinguées des êtres de raison, en ce qu’elles sont formées par la réunion ou la séparation de plusieurs idées simples, & sont plûtôt un effet de ce pouvoir ou de cette faculté que nous avons d’agir sur nos idées, & qui, pour l’ordinaire est désignée par le mot d’imagination. Voyez Imagination. Tel est un palais de diamant, une montagne d’or, & cent autres chimères, que nous ne prenons que trop souvent pour des réalités. Enfin, nous avons, pour objet de nos idées, des êtres qui n’ont ni existence réelle, ni idéale, qui n’existent que dans nos discours, & pour cela on leur donne simplement une existence verbale. Tel est un cercle quarré, le plus grand de tous les nombres, & si l’on vouloit en donner d’autres exemples, on les trouveroit aisément dans les idées contradictoires, que les hommes & même les philosophes joignent ensemble, sans avoir produit autre chose que des mots dénués de sens & de réalité. Ce seroit trop entreprendre que de parcourir dans quelque détail, les idées que nous avons sur ces différens objets ; disons seulement un mot sur la maniere dont les êtres extérieurs & réels se présentent à nous au moyen des idées ; & c’est une observation générale qui se lie à la question de l’origine des idées. Ne confondons pas ici la perception qui est dans l’esprit avec les qualités du corps qui produisent cette perception. Ne nous figurons pas que nos idées soient des images ou des ressemblances parfaites de ce qu’il y a dans le sujet qui les produit ; entre la la plûpart de nos sensations & leurs causes, il n’y a pas plus de ressemblance, qu’entre ces mêmes idées & leurs noms ; mais pour éclaircir ceci, faisons une distinction.
Les qualités des objets, ou tout ce qui est dans un objet, se trouve propre à exciter en nous une idée. Ces qualités sont premieres & essentielles, c’est-à-dire, indépendantes de toutes rélations de cet objet avec les autres êtres, & telles qu’il les conserveroit, quand même il existeroit seul. Ou elles sont des qualités secondes, qui ne consistent que dans les relations que l’objet a avec d’autres, dans la puissance qu’il a d’agir sur d’autres, d’en changer l’état, ou de changer lui-même d’état, étant appliqué à un autre objet ; si c’est sur nous qu’il agit, nous appellons ces qualités sensibles ; si c’est sur d’autres, nous les appellons puissances ou facultés. Ainsi la propriété qu’a le feu de nous échauffer, de nous éclairer, sont des qualités sensibles, qui ne seroient rien s’il n’y avoit des êtres sensibles, chez lesquels ce corps peut exciter ces idées ou sensations ; de même la puissance qu’il a de fondre le plomb par exemple, lorsqu’il lui est appliqué, est une qualité seconde du feu, qui excite chez nous de nouvelles idées, qui nous auroient été absolument inconnues, si l’on n’avoit jamais fait l’essai de cette puissance du feu sur le plomb.
Disons que les idées des qualités premieres des objets représentent parfaitement leurs objets ; que les originaux de ces idées existent réellement ; qu’ainsi l’idée que vous vous formez de l’étendue, est véritablement conforme à l’étendue qui existe. Je pense qu’il en est de même des puissances du corps, ou du pouvoir qu’il a en vertu de ses qualités premieres & originales de changer l’état d’un autre, ou d’en être changé. Quand le feu consume le bois, je crois que la plûpart des hommes conçoivent le feu, comme un amas de particules en mouvement, ou comme autant de petits coins qui coupent, séparent les parties solides du bois, qui laissent échapper les plus subtiles & les plus légeres pour s’élever en fumée, tandis que les plus grossieres tombent en forme de cendre.
Mais, pour ce qui est des qualités sensibles, le commun des hommes s’y trompe beaucoup. Ces qualités ne sont point réelles, elle ne sont point semblables aux idées que l’on s’en forme ; ce qui influe pour l’ordinaire, sur le jugement qu’on porte des puissances & des qualités premieres. Cela peut venir de ce que l’on n’apperçoit pas par les sens, les qualités originales dans les élemens dont les corps sont composés ; de ce que les idées des qualités sensibles, qui sont effectivement toutes spirituelles, ne nous paroissent tenir rien de la grosseur, de la figure, ou des autres qualités corporelles ; & enfin de ce que nous ne pouvons pas concevoir, comment ces qualités peuvent produire les idées & les sensations des couleurs, des odeurs, & des autres qualités sensibles, suite du mystere inexplicable qui regne, comme nous l’avons dit, sur la liaison de l’ame & du corps. Mais, pour cela, le fait n’en est pas moins vrai ; & si nous en cherchons les raisons, nous verrons que l’on en a plus d’attribuer au feu, par exemple, de la chaleur, ou de croire que cette qualité du feu que nous appellons la chaleur, nous est fidellement représentée par la sensation à laquelle nous donnons ce nom, que l’on en a de donner à une aiguille qui me pique, la douleur qu’elle me cause ; si ce n’est que nous voyons distinctement l’impression que l’aiguille produit chez moi, en s’insinuant dans ma chair, au lieu que nous n’appercevons pas la même chose à l’égard du feu ; mais cette différence, fondée uniquement sur la portée de nos sens, n’a rien d’essentiel. Autre preuve encore du peu de réalité des qualités sensibles, & de leur conformité à nos idées, ou sensations ; c’est que la même qualité nous est représentée par des sensations très-différentes, de douleur ou de plaisir suivant les tems & les circonstances. L’expérience montre d’ailleurs en plusieurs cas, que ces qualités que les sens nous font appercevoir dans les objets, ne s’y trouvent réellement pas. D’où nous nous croyons fondés à conclure que les qualités originelles des corps sont des qualités réelles, qui existent réellement dans les corps, soit que nous y pensions, soit que nous n’y pensions pas, & que les perceptions que nous en avons, peuvent être conformes à leurs objets ; mais que les qualités sensibles n’y sont pas plus réellement que la douleur dans une aiguille ; qu’il y a dans les corps quelques qualités premieres, qui sont les sources & les principes des qualités secondes, ou sensibles, lesquelles n’ont rien de semblable avec celles-ci qui en dérivent, & que nous prêtons aux corps.
Faites que vos yeux ne voyent ni lumiere ni couleur, que vos oreilles ne soient frappées d’aucun son, que votre nez ne sente aucune odeur ; dès-lors toutes ces couleurs, ces sons, & ces odeurs s’évanouiront & cesseront d’exister. Elles rentreront dans les causes qui les ont produites, & ne seront plus ce qu’elles sont réellement, une figure, un mouvement, une situation de partie : aussi un aveugle n’a-t-il aucune perception de la lumiere, des couleurs.
Cette distinction bien établie pourroit nous mener à la question de l’essence & des qualités essentielles des êtres, à faire voir le peu d’exactitude des idées que nous nous formons des êtres extérieurs ; à ce que nous connoissons des substances, & à ce qui nous en restera toujours inconnu, aux modes ou aux manieres d’être, & à ce qui en fait le principe ; mais outre que cela nous meneroit trop loin, on trouvera ces sujets traités dans les articles relatifs. Contentons-nous d’avoir indiqué cette distinction sur la maniere de connoître les qualités premieres, & les qualités sensibles d’un objet, & passons aux êtres qui n’ont qu’une existence idéale. Pour les faire connoître, nous choisissons, comme ayant un rapport distinct à nos perceptions, ceux que notre esprit considere d’une maniere générale, & dont il se forme ce que l’on appelle idées universelles.
Si je me représente un être réel, & que je pense en même tems à toutes les qualités qui lui sont particulieres, alors l’idée que je me fais de cet individu, est une idée singuliere ; mais, si écartant toutes ces idées particulieres, je m’arrête seulement à quelques qualités de cet être, qui soient communes à tous ceux de la même espece, je forme par-là une idée universelle, générale.
Nos premieres idées sont visiblement singulieres. Je me fais d’abord une idée particuliere de mon pere, de ma nourrice ; j’observe ensuite d’autres êtres qui ressemblent à ce pere, à cette femme, par la forme, par le langage, par d’autres qualités. Je remarque cette ressemblance, l’y donne mon attention, je la détourne des qualités par lesquelles mon pere, ma nourrice, sont distingués de ces êtres ; ainsi je me forme une idée à laquelle tous ces êtres participent également ; je juge ensuite par ce que j’entends dire, que cette idée se trouve chez ceux qui m’environnent, & qu’elle est désignée par le mot d’hommes. Je me fais donc une idée générale, c’est-à-dire, j’écarte de plusieurs idées singulieres, ce qu’il y a de particulier à chacune, & je ne retiens que ce qu’il y a de commun à toutes : c’est donc à l’abstraction que ces sortes d’idées doivent leur naissance. Voyez Abstraction.
Nous avons raison de les ranger dans la classe des êtres de raison, puisqu’elles ne sont que des manieres de penser, & que leurs objets qui sont des êtres universels, n’ont qu’une existence idéale, qui néanmoins a son fondement dans la nature des choses, ou dans la ressemblance des individus ; d’où il suit qu’en observant cette ressemblance des idées singulieres, on se forme des idées générales ; qu’en retenant la ressemblance des idées générales, on vient à s’en former de plus générales encore ; ainsi l’on construit une sorte d’échelle ou de pyramide qui monte par dégré, depuis les individus jusqu’à l’idée de toutes, la plus générale, qui est celle de l’être.
Chaque degré de cette pyramide, à l’exception du plus haut & du plus bas, sont en même tems espece & genre ; espece, relativement au degré supérieur ; genre, par rapport à l’inférieur. La ressemblance entre plusieurs personnages de différentes nations, leur fait donner le nom d’hommes. Certains rapports entre les hommes & les bêtes, les fait ranger sous une même classe, désignée sous le nom d’animaux. Les animaux ont plusieurs qualités communes avec les plantes, on les renferme sous le nom d’êtres vivans ; l’on peut aisément ajoûter des degrés à cette échelle. Si on la borne là, elle présente l’être vivant, pour le genre, ayant sous lui deux especes, les animaux & les plantes, qui, relativement a des dégrés inférieurs, deviennent à leur tour des genres.
Sur cette exposition des idées universelles, qui ne sont telles, que parce qu’elles ont moins de parties, moins d’idées particulieres, il semble qu’elles devroient être d’autant plus à la portée de notre esprit. Cependant l’expérience fait voir que plus les idées sont abstraites, & plus on a de peine à les saisir & à les retenir, à moins qu’on ne les fixe dans son esprit par un nom particulier, & dans sa mémoire, par un emploi fréquent de ce nom ; c’est que ces idées abstraites ne tombent ni sous les sens, ni sous l’imagination, qui sont les deux facultés de notre ame, dont nous aimons le plus à faire usage. Que pour produire ces idées universelles ou abstraites, il faut entrer dans le détail de toutes les qualités des êtres, observer & retenir celles qui sont communes, écarter celles qui sont propres à chaque individu ; ce qui ne se fait pas sans un travail d’esprit, pénible pour le commun des hommes, & qui devient difficile, si l’on n’appelle les sens & l’imagination au secours de l’esprit, en fixant ces idées par des noms ; mais, ainsi déterminées, elles deviennent les plus familieres & les plus communes. L’étude & l’usage des langues nous apprennent que presque tous les mots, qui sont des signes de nos idées, sont des termes généraux, d’où l’on peut conclure, que presque toutes les idées des hommes sont des idées générales, & qu’il est beaucoup plus aisé & plus commode de penser ainsi d’une maniere universelle. Qui pourroit en effet imaginer & retenir des noms propres pour tous les êtres que nous connoissons ? A quoi aboutiroit cette multitude de noms singuliers ? Nos connoissances, il est vrai, sont fondées sur les existences particulieres, mais elles ne deviennent utiles que par des conceptions générales des choses, rangées pour cela sous certaines especes, & appellées d’un même nom.
Ce que nous venons de dire sur les idées universelles, peut s’étendre à tous les objets de nos perceptions, dont l’existence n’est qu’idéale : passons à la maniere dont elles nous peignent ces objets.
3°. A cet égard on distingue les idées, en idées claires ou obscures, appliquant par analogie à la vûe de l’esprit, les mêmes termes dont on se sert pour le sens de la vûe. C’est ainsi que nous disons qu’une idée est claire, quand elle est telle, qu’elle suffit pour nous faire connoître ce qu’elle représente, dès que l’objet vient à s’offrir à nous. Celle qui ne produit pas cet effet, est obscure. Nous avons une idée claire de la couleur rouge, lorsque, sans hésiter, nous la discernons de toute autre couleur ; mais bien des gens n’ont que des idées obscures des diverses nuances de cette couleur, & les confondent les unes avec les autres, prenant, par exemple, le couleur de cerise pour le couleur de rose. Celui-là a une idée claire de la vertu, qui sait distinguer sûrement une action vertueuse d’une qui ne l’est pas ; mais c’est en avoir une idée obscure, que de prendre des vices à la mode pour des vertus.
La clarté & l’obscurité des idées peuvent avoir divers degrés, suivant que ces idées portent avec elles plus ou moins de marques propres à les discerner de toute autre. L’idée d’une même chose peut être plus claire chez les uns, moins claire chez les autres ; obscure pour ceux-ci, très-obscure à ceux-là ; de même elles peuvent être obscures dans un tems, & devenir très-claires dans un autre. Ainsi une idée claire peut être subdivisée en idée distincte & confuse. Distincte, quand nous pouvons détailler ce que nous avons observé dans cette idée, indiquer les marques qui nous les font reconnoître, rendre compte des différences qui distinguent cette idée d’autres à peu-près semblables ; mais on doit appeller une idée confuse, lorsqu’étant claire, c’est-à-dire distinguée de toute autre, on n’est pas en état d’entrer dans le détail de ses parties.
Il en est encore ici comme du sens de la vûe. Tout objet vû clairement ne l’est pas toujours distinctement. Quel objet se présente avec plus de clarté que le soleil, & qui pourroit le voir distinctement à moins que d’affoiblir son éclat ? des exemples diront mieux que les définitions. L’idée de la couleur rouge est une idée claire, car l’on ne confondra jamais le rouge avec une autre couleur ; mais si l’on demande à quelqu’un, à quoi donc il reconnoît la couleur rouge, il ne saura que repondre. Cette idée claire est donc confuse pour lui, & je crois qu’on peut dire la même chose de toutes les perceptions simples. Combien de gens qui ont une idée claire de la beauté d’un tableau, qui guidés par un goût juste & sûr, n’hésiteront pas à le distinguer sur dix autres tableaux médiocres. Demandez-leur ce qui les détermine à trouver cette peinture bonne, & ce qui en fait la beauté, ils ne sauront pas rendre raison de leur jugement, parce qu’ils n’ont pas une idée distincte de la beauté. Et voilà une différence sensible entre une idée simplement claire, & une idée distincte ; c’est que celui qui n’a qu’une idée claire d’une chose, ne sauroit la communiquer à un autre. Si vous vous adressez à un homme qui n’a qu’une idée claire, mais confuse de la beauté d’un poëme, il vous dira que c’est l’Iliade, l’Enéide, ou il ajoûtera quelques synonymes ; c’est un poëme qui est sublime, noble, harmonieux, qui ravit, qui enchante ; des mots tant que vous voudrez, mais des idées, n’en attendez pas de lui.
Ce ne sont aussi que les idées distinctes qui sont propres à étendre nos connoissances, & qui par-là sont préférables de beaucoup aux idées simplement claires, qui nous séduisent par leur éclat, & nous jettent cependant dans l’erreur ; ce qui mérite que l’on s’y arrête pour faire voir que, quoique distinctes, elles sont encore susceptibles de perfection. Pour cela une idée distincte doit être complette, c’est-à-dire qu’elle doit renfermer les marques propres à faire reconnoitre son objet en tout tems & en toutes circonstances. Un fou, dit-on, est un homme qui allie des idées incompatibles ; voilà peut-être une idée distincte, mais fournit-elle des marques pour distinguer en tout tems un fou d’un homme sage ?
Outre cela les idées distinctes doivent être ce qu’on appelle dans l’école adéquates. On donne ce nom à une idée distincte des marques même qui distinguent cette idée ; un exemple viendra au secours de cette définition. On a une idée distincte de la vertu, quand on sait que c’est l’habitude de conformer ses actions libres à la loi naturelle. Cette idée n’est ni complettement distincte, ni adéquate, quand on ne sait que d’une maniere confuse ce que c’est que l’habitude de conformer ses actions à une loi, ce que c’est qu’une action libre. Mais elle devient complette & adéquate, quand on se dit qu’une habitude est une facilité d’agir, qui s’acquiert par un fréquent exercice ; que conformer ses actions à une loi, c’est choisir entre plusieurs manieres d’agir également possibles, celle qui suit la loi ; que la loi naturelle est la volonté du Législateur suprème qu’il a fait connoître aux hommes par la raison & par la conscience ; qu’enfin les actions libres sont celles qui dépendent du seul acte de notre volonté.
Ainsi l’idée de vertu emporte tout ceci, une facilité acquise par un fréquent exercice, de choisir entre plusieurs manieres d’agir, que nous pouvons exécuter par le seul acte de notre volonté, celle qui s’accommode le mieux à ce que la raison & la conscience nous représentent, comme conformes à la volonté de Dieu ; & cette idée de la vertu est non seulement distincte, mais adéquate au premier degré. Pour la rendre plus distincte encore, on pourroit pousser cette analyse plus loin, & en cherchant les idées distinctes de tout ce qui entre dans l’idée de vertu, on seroit surpris combien ce mot embrasse de choses, auxquelles la plûpart de ceux qui l’emploient, ne pensent gueres. Il convient même de s’arrêter quand on est parvenu à des idées claires, mais confuses que l’on ne peut plus résoudre ; aller au-de-là ce seroit manquer son but, qui ne peut être que de former un raisonnement pour s’éclairer soi-même, ou pour communiquer aux autres ce que nous avons dans l’esprit. Dans le second cas nous remplissons nos vûes, lorsque nous nous faisons entendre de celui à qui nous parlons : au premier il suffit d’être parvenu à des principes assez certains, pour que nous puissions y donner notre assentiment.
De là on peut conclure l’importance de ne pas se contenter d’idées confuses dans les cas où l’on peut s’en procurer de distinctes ; c’est ce qui donne cette netteté d’esprit qui en fait toute la justice. Pour cela il faut s’exercer de bonne heure & assidument sur les objets les plus simples, les plus familiers, en les considérant avec attention sous toutes leurs faces, & sous toutes les relations qu’ils peuvent avoir en les comparant ensemble, en ayant égard aux moindres différences, & en observant l’ordre & la liaison qu’elles ont entr’elles.
Passant ensuite à des objets plus composés, on les observera avec la même exactitude, & l’on se fera par-là une habitude d’avoir presque sans travail & sans peine des idées distinctes, & même de discerner toutes les idées particulieres qui entrent dans la composition de l’idée principale. C’est ainsi qu’en analysant les idées de plusieurs objets, l’on parviendra à acquérir cette qualité d’esprit qu’on désigne par le mot profondeur. Au contraire en négligeant cette attention, l’on n’aura jamais qu’un esprit superficiel qui se contente des idées claires, & qui n’aspire point à s’en former de distinctes ; qui donne beaucoup à l’imagination, peu au jugement, qui ne saisit les choses que par ce qu’elles ont de sensible, ne voulant ou ne pouvant avoir d’idées de ce qu’elles ont d’abstrait & de spirituel ; esprit qui peut se faire écouter, mais qui pour l’ordinaire est un fort mauvais guide.
C’est sur-tout le manque d’attention à examiner les objets de nos idées, à nous les rendre familiers, qui fait que nous n’en avons que des idées obscures ; & comme nous ne pouvons pas toujours conserver présens les objets dont nous avons acquis même des idées distinctes, la mémoire vient à notre secours pour nous les retracer ; mais, si alors nous ne donnons pas la même attention à cette faculté de notre ame, l’expérience fait voir que les idées s’effaçant autant & par les mêmes degrés, par lesquels elles ont été acquises & se sont gravées dans l’ame, ensorte que nous ne pouvons plus nous représenter l’objet quand il est absent, ni le reconnoître quand il est présent : des idées légérement saisies, imparfaitement digérées, quoique distinctes, ne seront bientôt plus que claires, ensuite confuses, puis obscures, & deviendront si obscures qu’elles se réduisent à rien. L’exemple de la maniere dont un jeune homme transporté en pays étranger, vient à oublier sa langue maternelle apprise par routine, en seroit une preuve, si l’on n’en n’avoit une infinité d’autres.
La maniere de voir, d’envisager un objet, de le considérer avec attention sous toutes ses faces, de l’étudier, de ranger dans son esprit sous un certain ordre les idées particulieres qui en dépendent, de s’appliquer à se rendre familiers les premiers principes & les propositions générales, de se les rappeller souvent, de ne pas s’occuper de trop d’objets à la fois, ni d’objets qui ayant trop de rapports peuvent se confondre ; de ne point passer d’un objet à l’autre qu’on ne s’en soit fait une idée distincte s’il est possible. Tout cela forme une méthode de se représenter les objets, de connoître, d’étudier, sur laquelle on ne peut prescrire ici toutes les regles, que l’on trouvera dans un traité de logique bien fait.
Convenons cependant qu’il est des choses, dont avec toute l’attention & la disposition possible, on ne peut parvenir à se faire des idées distinctes, soit parce que l’objet est trop composé, soit parce que les parties de cet objet different trop peu entr’elles pour que nous puissions les demêler & en saisir les différences, soit qu’elles nous échappent par leur peu de proportion avec nos organes, ou par leur éloignement, soit que l’essentiel d’une idée, ce qui la distingue de toute autre, se trouve enveloppé de plusieurs circonstances étrangeres qui les dérobent à notre pénétration. Toute machine trop composée, le corps humain, par exemple, est tellement combiné dans toutes ses parties ; que la sagacité des plus habiles n’y peut voir la millieme partie de ce qu’il y auroit à connoître, pour s’en former une idée complettement distincte. Le microscope, le télescope nous ont donné à la vérité des idées plus distinctes sur des objets, qui avant ces découvertes, étoient dans le second cas, c’est-à-dire très-obscures par la petitesse ou l’éloignement de ces objets, & encore combien sommes-nous éloignés d’en avoir des idées nettes ! La plûpart des hommes n’ont qu’une idée assez obscure de ce qu’ils entendent par le mot de cause, parce que dans la production d’un effet la cause se trouve ordinairement enveloppée, & tellement jointe à diverses choses, qu’il leur est difficile de discerner en quoi elle consiste.
Cet exemple même nous indique un obstacle à nous procurer des idées distinctes, c’est l’imperfection & l’abus des mots comme signes représentatifs, mais signes arbitraires de nos idées. Voyez Mots, Syntaxe. Il n’est que trop fréquent, & l’expérience nous montre tous les jours que l’on est dans l’habitude d’employer des mots sans y joindre d’idées précises, ou même aucune idée, de les employer tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, ou de les lier à d’autres, qui en rendent la signification indéterminée, & de supposer toujours comme on le fait, que les mots excitent chez les autres les mêmes idées que nous y avons attachées. Comment se faire des idées distinctes avec des signes aussi équivoques ? Le meilleur conseil que l’on puisse donner contre cet abus, c’est qu’après s’être appliqué à n’avoir que des idées bien nettes & bien terminées, nous n’employons jamais, ou du moins le plus rarement qu’il nous sera possible, de mots qui ne nous donnent du moins une idée claire, que nous tâchions de fixer la signification de ces mots, qu’en cela nous suivions autant qu’on le pourra, l’usage commun, & qu’enfin nous évitions de prendre le même mot en deux sens différens. Si cette regle générale dictée par le bon sens, étoit suivie & observée dans tous ses détails avec quelque soin, les mots bien loin d’être un obstacle, deviendroient un aide, un secours infini à la recherche de la vérité, par le moyen des idées distinctes, dont ils doivent être les signes. C’est à l’article des définitions & à tant d’autres, sur la partie philosophique de la Grammaire que nous renvoyons.
Quelque étendue que l’on ait donné à cet article, il y auroit encore bien des choses a dire sur nos idées, considérées relativement aux facultés de notre ame, sur leurs usages, comme étant les sources de nos jugemens, & les principes de nos connoissances. Mais tout cela a été dit, & se trouve dans un si grand nombre de bons ouvrages sur l’art de penser & de communiquer nos pensées, qu’il seroit superflu de s’y arrêter davantage. Quiconque voudra méditer sur ce qui se passe en lui, lorsqu’il s’applique à la recherche de quelque vérité, s’instruira mieux par lui même de la nature des idées, de leurs objets, & de leur utilité.
Idée, s. f. (Antiq. grecq. & rom.) Idæa, surnom de Cybele, qu’on adoroit particulierement sur le mont Ida ; par la même raison ses ministres les dactyles, ou les corybantes, étoient appellés Idéens, mais ils ne tenoient cette qualification que de l’honneur qu’ils avoient de servir la mere des dieux ; on la nommoit par excellence Idæa magna mater, & c’est elle que regardent les inscriptions avec ces trois lettres I. M. M. Ideæ magnæ matri. On célébroit solemnellement dans toute la Phrygie la fête sacrée de la mere Idéenne, par des sacrifices & des jeux, & on promenoit sa statue au son de la flûte & du tympanon.
Les Romains lui sacrifierent à leur tour, & instituerent des jeux à sa gloire, avec les cérémonies romaines ; mais ils y employerent des Phrygiens & des Phrygiennes, qui portoient par la ville la statue de Cybele, en sautant, dansant, battant de leurs tambours, & jouant de leurs crotales. Denys d’Halycarnasse remarque qu’il n’y avoit aucun citoyen de Rome qui se mêlât avec ces Phrygiens, & qui fût initié dans les mysteres de la déesse. (D. J.)
Étymologie de « idée »
- Emprunté au latin idea, issu du grec ancien ἰδέα idéa (« forme visible, aspect »).
Latin, idea ; du grec ἰδέα, image, idée, de εἴδειν, voir, lequel est le même que le latin videre, voir ; de sorte que c'est le fait de la vision qui a fourni, par figure, la dénomination au fait intellectuel.
Phonétique du mot « idée »
Mot | Phonétique (Alphabet Phonétique International) | Prononciation |
---|---|---|
idée | ide |
Fréquence d'apparition du mot « idée » dans le journal Le Monde
Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.
Évolution historique de l’usage du mot « idée »
Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.
Citations contenant le mot « idée »
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On doit appeler machine, dans le sens le plus étendu, toute idée sans penseur.
Émile Chartier, dit Alain — Propos sur la religion, P.U.F. -
L'éducation consiste à nous donner des idées, et la bonne éducation à les mettre en proportion.
Montesquieu -
C'est l'idée qui fait le bon bûcheron, ce n'est pas la force.
Homère — L'Iliade, XXIII, 315 (traduction P. Mazon) -
Il n'est pas difficile d'avoir une idée. Le difficile, c'est de les avoir toutes.
Émile Chartier, dit Alain — Propos, Gallimard -
Rien n'est plus dangereux qu'une idée, quand on n'a qu'une idée.
Émile Chartier, dit Alain — Propos sur la religion, P.U.F. -
Un homme sérieux a peu d'idées. Un homme d'idées n'est jamais sérieux.
Paul Valéry — Mauvaises Pensées et autres, Gallimard -
Toutes les idées sur lesquelles repose aujourd'hui la société ont été subversives avant d'être tutélaires.
Anatole François Thibault, dit Anatole France — La Vie littéraire, Calmann-Lévy -
Aimer une idée, c'est l'aimer un peu plus qu'on ne devrait.
Jean Rostand — Carnet d'un biologiste, Stock -
Une idée forte communique un peu de sa force au contradicteur.
Marcel Proust — À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs , Gallimard -
L'ordre et la connexion des idées sont la même chose que l'ordre et la connexion des choses.
Baruch Spinoza — L'Éthique, Livre II
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Traductions du mot « idée »
Langue | Traduction |
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Anglais | idea |
Espagnol | idea |
Italien | idea |
Allemand | idee |
Chinois | 理念 |
Arabe | فكرة |
Portugais | idéia |
Russe | идея |
Japonais | 考え |
Basque | ideia |
Corse | idea |
Synonymes de « idée »
- pensée
- vision
- imagination
- vue
- conception
- notion
- sentiment
- opinion
- aperçu
- connaissance
- rêve
- avant-goût
Antonymes de « idée »
Combien de points fait le mot idée au Scrabble ?
Nombre de points du mot idée au scrabble : 4 points