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Abimes

Variantes Singulier Pluriel
Masculin abime abimes

Définitions de « abimes »

Trésor de la Langue Française informatisé

ABÎME, subst. masc.

Cavité naturelle, aux parois abruptes, s'ouvrant au niveau du sol, sans fond apparent, considérée comme insondable.
A.− Accept. concr. phys. Cavité située en dessous du niveau du sol ou du niveau de la mer :
1. Cavité terrestre naturelle (vide ou non), s'ouvrant abruptement au niveau du sol :
1. ... il [l'Adour] s'était engouffré d'abymes en abymes, et n'avait repris son cours ordinaire que lorsque les cavités furent remplies par les eaux du torrent. J. Dusaulx, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées fait en 1788,t. 1, 1796, p. 315.
2. Malgré les rugissements de la cataracte et l'abîme effrayant qui bouillonnait au-dessous de moi, je conservai ma tête et parvins à une quarantaine de pieds du fond. F.-R. de Chateaubriand, Voyage en Amérique, en France et en Italie,1827, p. 56.
3. ... une promenade de plusieurs heures dans ce monde souterrain fut un enchantement véritable. Des galeries tantôt resserrées, étouffantes, tantôt incommensurables à la clarté des torches, des torrents invisibles rugissant dans les profondes entrailles de la terre, des salles bizarrement superposées, des puits sans fond, c'est-à-dire des gouffres perdus dans des abîmes impénétrables et battant avec fureur leurs parois sonores de leurs eaux puissantes, des chauves-souris effarées, des portiques, des voûtes, des chemins croisés, toute une ville fantastique, creusée et dressée par ce que l'on appelle bénignement le caprice de la nature, c'est-à-dire par les épouvantables convulsions de la formation géologique ... G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 25.
4. L'abîme obscur, hagard, funèbre, illimité, Semblait plein de terreur devant cette lumière. V. Hugo, La légende des siècles,t. 6, 1883, p. 334.
5. Il connaissait trop bien tous les détours de l'immense caverne, le réseau des couloirs et des galeries, pour ne pas imaginer tous les accidents qui pouvaient s'y produire. La plus grande partie des couloirs et des salles de la rivière souterraine, devinés seulement, dans des gouffres d'ombre, au cours de ses explorations, lui restait encore inconnue et il sentait, tout autour de lui, les pièges silencieux de l'abîme. A. Chamson, L'Auberge de l'abîme,1933, p. 109.
Rem. En géogr. phys. :
6. Puits − 204 − Vus d'en haut, les puits apparaissent comme des gouffres (...); des abîmes / abysses / (...); des « avens » (Causses) (...). Vus d'en bas, comme des cheminées (...). Baulig1956.
Peut aussi désigner le fond d'un espace vide (vallée profonde, précipice, etc.), p. oppos. à la surface du sol plus ou moins élevée :
7. ... nous nous trouvâmes tout à coup sur le bord à pic d'une immense muraille de rochers de quelques mille pieds de profondeur, qui cernent la vallée des saints. Les parois de ce rempart de granit étaient tellement perpendiculaires, que les chevreuils même de la montagne n'auraient pu y trouver un sentier, et que nos arabes étaient obligés de se coucher le ventre contre terre et de se pencher sur l'abîme pour découvrir le fond de la vallée. A. de Lamartine, Des Destinées de la poésie,1834, p. 407.
8. La montagne des oliviers, au sommet de laquelle je suis assis, descend, en pente brusque et rapide, jusque dans le profond abîme qui la sépare de Jérusalem et qui s'appelle la vallée de Josaphat. A. de Lamartine, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832-1833) ou Note d'un voyageur,t. 1, 1835, p. 427.
2. Cavité marine, au-dessous du niveau de la mer pris comme référence de l'horizontalité :
a) Au plur., le mot s'applique aux cavités de la mer, envisagées du point de vue de leur profondeur :
9. Si, comme on le croît communément, les abîmes de l'océan ont autant de profondeur que les plus hautes montagnes ont d'élévation, il est certain que les rayons du soleil parviennent jusqu'au fond de leurs bassins, à travers des masses liquides de plus de trois mille toises. J.-H. Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 166.
10. La lumière du jour, vous le savez sans doute, ne pénètre pas très avant dans la mer. Ses profondeurs sont ténébreuses ... Abîmes immenses, que longtemps on a pu croire inhabités; ... A. Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1053.
b) P. méton., synon. de océan, de mer :
11. Quant à l'organisation des poissons, leur seule existence dans l'élément de l'eau, le changement relatif de leur pesanteur, par lequel ils flottent dans une eau plus légère comme dans une eau plus pesante, et descendent de la surface de l'abyme au plus profond de ses gouffres, sont des miracles perpétuels; ... F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne,t. 1, 1803, p. 164.
12. ... quelquefois une lame monstrueuse venoit roulant sur elle-même sans se briser, comme une mer qui envahiroit les flots d'une autre mer. Pendant un moment le bruit de l'abîme et celui des vents étoient confondus; le moment d'après, on distinguoit le fracas des courants, le sifflement des rescifs, la triste voix de la lame lointaine. F.-R. de Chateaubriand, Les Natchez,1826, p. 231.
13. Ah! Quand reviendra sur la grève Le cavalier avec son glaive? Déjà cent vagues l'ont bercé; Déjà mille flots ont passé. Quand sortira-t-il de l'abîme? La vague pâlit à sa cime. L'hirondelle effleure le bord; Le flot se tait, le flot s'endort. E. Quinet, Napoléon,1836, p. 278.
Plus partic., dans le lang. biblique,la mer considérée du point de vue des limites qu'elle est chargée par Dieu d'imposer aux eaux (cf. c) :
14. Dieu ayant accompli sa vengeance, dit aux mers de rentrer dans l'abyme ... F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne,t. 1, 1803, p. 150.
c) Dans le lang. biblique,désigne les eaux auxquelles, selon la Genèse (I, 9-10), le Créateur assigna des limites au troisième jour de la Création :
15. En vérité je vous le dis, ce fut comme au jour où l'abîme rompit ses digues, et où déborda le déluge des grandes eaux. F.-R. de Lamennais, Les Paroles d'un croyant,1834, p. 94.
16. La mer, qui ne marche point, est la source de la mythologie, comme l'océan qui se lève deux fois le jour, est l'abîme auquel a dit Jéhovah : « Tu n'iras pas plus loin. » F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 68.
3. P. ext., profondeurs souterraines :
a) Profondeurs géogr. (voisines du) centre de la terre :
17. Au milieu de ces masses terribles, vieux témoins de la création, l'on voit une montagne nouvelle que le volcan a fait naître. Ici la terre est orageuse comme la mer et ne rentre pas comme elle paisiblement dans ses bornes. Le lourd élément, soulevé par les tremblements de l'abîme, creuse les vallées, élève des monts, et ses vagues pétrifiées attestent les tempêtes qui déchirent son sein. Si vous frappez sur ce col, la voûte souterraine retentit. On dirait que le monde habité n'est plus qu'une surface prête à s'entr'ouvrir. G. de Staël, Corinne ou l'Italie,t. 2, 1807, p. 328.
b) Dans un cont. relig.,Enfer (en tant que lieu souterrain, séjour des morts et/ou des damnés) :
18. ... et vous, musulmans, votre enfer, abyme souterrain, surmonté d'un pont; votre balance des âmes et de leurs œuvres, votre jugement par les anges Monkir et Nékir, ont également pris leurs modèles dans les cérémonies mystérieuses de l'antre de Mithra; ... C.-F. de Volney, Les Ruines ou Méditations sur les révolutions des empires,1791, p. 267.
19. Terre, élève ta voix; cieux, répondez; abymes, noirs séjours où la mort entasse ses victimes, Ne formez qu'un soupir. A. de Lamartine, Méditations poétiques,Le Désespoir, 1820, p. 98.
20. Le sombre empire d'Yama, comme le royaume de Satan, est creusé dans les profondeurs souterraines, composé de plusieurs cercles qui descendent, l'un au-dessous de l'autre, en d'interminables abîmes, et dont le nombre diversement rapporté par les mythologues, est souvent de neuf, ou d'un multiple de neuf. Les tortures s'y rencontrent pareilles, et affectées aux mêmes crimes : ténèbres; sables enflammés; océans de sang, où les tyrans sont plongés; régions brûlantes, auxquelles succèdent des régions glaciales. F. Ozanam, Essai sur la philosophie de Dante,1838, p. 211.
21. Et sans cesse, tandis que sur l'éternel faîte Celui qui songe à tous pensait dans sa bonté, La plume du plus grand des anges, rejeté Hors de la conscience et hors de l'harmonie, Frissonnait, près du puits de la chute infinie, Entre l'abîme plein de noirceur et les cieux. V. Hugo, La Fin de Satan,1885, p. 808.
22. Parfois, comme quelqu'un qui cherche, elle [la forme] touchait Le mur prodigieux de la cave du monde. Elle serpentait, lente et souple comme une onde, Dans l'abîme où l'esprit lit ce mot triste : absent. Souvent elle laissait derrière elle en passant Le bleuissement pâle et fugitif du soufre. Soudain, comme sentant sous elle plus de gouffre, Elle hésita, pencha ce qui semblait son front, Et regarda. La nuit qu'aucun jour n'interrompt Gisait dans l'étendue effroyable et sublime. Ce précipice était de la mort, faite abîme. V. Hugo, La Fin de Satan,1885p. 916.
4. P. compar.
a) Compar. obtenue à partir de certaines composantes de l'accept. phys. : profondeur immense, vide, ... :
23. Il n'engageait jamais ces soi-disant gastronomes qui ne sont que des gloutons, dont le ventre est un abîme, et qui mangent partout, de tout et tout. J.-A. Brillat-Savarin, Physiologie du goût ou Méditations de gastronomie transcendante,1825, p. 296.
24. Dans nos nuits de cristal ainsi le firmament, Qui nous semble taillé d'un grand bloc seulement, Qu'une même couleur d'une arche à l'autre azure, N'est qu'un immense abîme, un vide sans mesure Où se croisent sans fin les mondes et les cieux; ... A. de Lamartine, La Chute d'un ange,1838, p. 946.
25. L'abîme nocturne s'emplissait de constellations. J. de Pesquidoux, Chez nous,t. 2, 1923, p. 157.
b) Emplois figés dans certains vocab. techn. (avec utilisation de certaines composantes du mot, à l'exclusion de celle de profondeur insondable) :
HÉRALD. Dans l'expr. en abîme, le mot abîme désigne le point central de l'écu, où une pièce ou figure est placée de telle façon que les autres pièces ou figures ne sont ni chargées, ni même touchées par elle et qu'elles apparaissent en relief, celle en abîme étant située comme au fond. En dehors de cette expr., on dit aussi centre ou cœur :
26. ... c'était ainsi que, durant les nuits obscures, flambait [sic] au-dessus de la légende, des armoiries de travail plus récent, éclatantes. Écartelé, un et quatre, deux ou [sic] trois, de Jérusalem et d'Hautecœur (...); d'Haute-cœur, qui est d'azur à la forteresse d'or, avec un écusson de sable au cœur d'argent en abîme, le tout accompagné de trois fleurs de lys d'or, deux en chef, une en pointe. É. Zola, Le Rêve,1888, p. 61.
TECHNOL., en chandellerie : désigne le vaisseau, l'auge où est versé le suif, où est trempée la mèche.
B.− Accept. abstr. De manière gén. dans une lang. soutenue ou légèrement teintée de philos.,abîme désigne, en parlant d'un inanimé abstr., le plus haut degré concevable, l'insondable ou le mystère, à la limite l'infini ou le néant. Ce qui subsiste de la représentation de l'abîme phys. sert à traduire des idées abstr. plus ou moins suggérées par les attributs concr. (intervalle, parois abruptes, profondeur sans fond) ou une image globale de l'abîme envisagé comme contenant ou comme contenu :
1. Idée d'une oppos. difficile ou impossible à réduire :
27. ... partis de l'individualité, les philosophes grecs, éveillés tout à coup en Dieu par les leçons des métaphysiciens de l'Orient, n'ont connu que ces deux termes, les individus et Dieu. Entre ces deux termes, sans lien entre eux, il y avait l'abîme. P. Leroux, De l'Humanité, de son principe et de son avenir,t. 2, 1840, p. 983.
28. Nulle division, nul abîme infranchissable entre le moi ou la liberté humaine, et le semblable, ou la charité humaine. P. Leroux, De l'Humanité, de son principe et de son avenir,t. 1, 1840, p. 217.
29. On conçoit, en effet, ce double travail du pélagianisme, qui, voulant combler l'abîme de l'intervalle, diminuait la hauteur de l'Eden et relevait autant qu'il se pouvait la profondeur de la terre. Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 117.
30. ... quant à mes amis politiques, je ne sais si je vous en entretiendrai : des principes et les discours ont creusé entre nous des abîmes! F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 30.
31. Je les connaissais un peu les Allemands, (...) on tirait (...) à l'arbalète et au pistolet qu'on achetait même quatre marks. On buvait de la bière sucrée. Mais de là à nous tirer maintenant dans le coffret, sans même venir nous parler d'abord et en plein milieu de la route, il y avait de la marge et même un abîme. Trop de différence. L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 16.
Avec en outre suggestion d'une idée d'obstacle :
32. Toute alliance est impossible entre le mal et le bien : on ne se réunit pas à l'abyme; on s'y engloutit. F.-R. de Chateaubriand, Opinion sur le projet de loi relatif à la liberté de la presse,1818, p. 140.
33. Émulation, courage, persévérance, tout est réduit par l'impossible, cet abîme qui sépare du but, et qui ne sera jamais comblé! C. de Duras, Édouard,1825, p. 152.
34. ... mon temps n'est pas à moi. (...) Il s'est brisé, sur ce roc qui me sépare du monde, bien des frêles et douces amitiés qui s'y jetaient étourdiment sans réflexion; (...) C'est parce que je connais ces naufrages que je dois vous prémunir contre cette dureté, vous dire qu'il y a là un abîme ou une muraille de granit et qu'il faut des ailes pour les franchir. H. de Balzac, Correspondance,1836, pp. 29, 30.
35. Rien, maintenant, n'occasionnerait ces heures si douces que remplissaient la distillerie ou la littérature. Un abîme les en séparait. Quelque chose d'irrévocable était venu. G. Flaubert, Bouvard et Pécuchet,t. 2, 1880, p. 107.
2. Idée de mystère insondable, d'inconnaissable :
36. Elle [cette loi] n'est à tes yeux qu'un bizarre caprice, Un piège où la raison trébuche à chaque pas. (...) Comme toi, ma raison en ténèbres abonde, (...) Plus je sonde l'abyme, hélas! plus je m'y perds. A. de Lamartine, Méditations poétiques,L'Homme, 1820, p. 31.
37. Je ne me sens pas la tête assez forte ni l'œil assez sûr pour sonder l'abîme de la science philosophique; ... M. de Guérin, Correspondance,1832, p. 65.
38. A genoux! Une telle femme à genoux! Et ce monsieur-là qui la refuse! Une femme de vingt ans, belle comme un ange et fidèle comme un lévrier! (...) Mais quel abîme est donc le cœur de l'homme! A. de Musset, Comédies et proverbes,Un Caprice, 1840, 7, p. 205.
3. Notion d'infini, parfois associée à l'idée de néant :
39. Mon âme se dissoudra-t-elle avec le reste de ma poussière? Le tombeau est-il un abîme sans issue, ou le portique d'un autre monde? F.-R. de Chateaubriand, Essai historique, politique et moral sur les révolutions,t. 2, 1797, p. 287.
40. Et puis après l'abîme, la nuit sans lendemain, sur ma tête le vide, sous mes pas le néant. E. Quinet, Ahasvérus,1833, p. 352.
41. Un enfant, à côté de nous, regarde le ciel mort. Astronomie, science décourageante : l'infini ou le néant, c'est toujours l'abîme. E. et J. de Goncourt, Journal,juillet 1862, p. 1105.
4. En partic., envisagé non plus comme un contenant, mais comme un contenu, abîme sert à suggérer le mystère de l'homme. Plus spéc. :
Les instincts mauvais, les puissances du mal (cf. inf. styl.) :
42. ... les événements intérieurs, les perceptions, les injonctions, les diversions incomparables, les attentes, les sympathies et les antipathies, les récompenses et les peines immédiates, les trésors de lumière, d'espoir, d'orgueil et de liberté, les enfers que nous portons en nous, et leurs abîmes de démence, de sottise, d'erreur et d'anxiété, tout cet univers pathétique, instable et tout-puissant de la vie affective ne se peut absolument pas séparer de ce qui le perçoit. P. Valéry, Variété 4,1938, p. 177.
L'inconnu de la vie psychique individuelle, orientée vers un ailleurs, ou telle que le révèlent le rêve ou l'inconscient que cherche à percer la psychanalyse :
43. La valeur extraordinaire que Nerval accorde au rêve apparaît ici en toute netteté, avec ses aspects si divers : le rêve, c'est d'abord ce que l'on entend le plus couramment par là, les images du sommeil. Mais ces images constituent une autre vie, pleine de menaces et d'attraits, dans laquelle nous échappons aux conditions terrestres; ce que nous y pouvons percevoir « dès à présent », c'est la préfiguration de la vie éternelle. Seulement, pour que les abîmes intérieurs prennent cette exceptionnelle portée, il faut en forcer les portes; car, dans notre état habituel, ce monde, − que nous appellerions aujourd'hui le monde de l'inconscient, − ne nous apparaît pas dans toute sa pureté. A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,Essai sur le romantisme allemand et la poésie française, 1939, p. 361.
44. Toute la profondeur du roman tient à ce dialogue de chaque être avec lui-même, à cette révélation de ses abîmes intérieurs, qui ne peut se faire qu'en certains instants, où, libéré de son propre personnage, et soustrait au contrôle de sa conscience, il touche à ce qu'il y a en lui de plus terrible et de plus rassurant à la fois. A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,Essai sur le romantisme allemand et la poésie française, 1939p. 250.
45. Or, le rêve, la poésie, toutes les révélations de l'inconscient ont justement ce prix inestimable : ils nous arrachent à notre solitude d'individus séparés, nous mettent en communication avec ces abîmes intérieurs qui ironisent la vie de la surface, et qui sont en mystérieuse communication avec notre destinée éternelle. A. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,Essai sur le romantisme allemand et la poésie française, 1939p. 122.
46. Si riche soit le domaine de la conscience claire, il est loin d'épuiser la vie psychique individuelle. Des abîmes du corps, des abîmes de l'univers et des abîmes de l'intériorité affleurent à ses rives les eaux sans bords des mondes obscurs. Trois domaines en sont bien étudiés jusqu'ici : les désirs sexuels infantiles refoulés (Freud), les volontés de puissance infantiles déçues (Adler), les reliquats d'instincts, de pensées, ou de sentiments archaïques et collectifs (Jung). Ces découvertes ne sont encore que des sondages dans de vastes continents inconnus. E. Mounier, Traité du caractère,1946, p. 279.
Un sentiment de vide, de néant intérieur (cf. sup. B 3) :
47. On a fort parlé de l'abîme de Pascal qu'il voyait toujours près de lui. Cet abîme se retrouve sous plus d'une forme chez plusieurs. Chez Mmedu Deffand, c'était la crainte de l'ennui qui était son abîme à elle, et contre ce vide son imagination cherchait sans cesse des préservatifs et comme des parapets dans la présence de ceux qui pouvaient lui être agréables. Ch.-A. Sainte-Beuve, Pensées et maximes,1868, p. 101.
5. P. ext. et transpos. de plan
a) Idée de danger grave, de grande peur :
48. On veut dormir au bord de l'abîme, après tant de révolutions, on regarde comme des ennemis ceux qui avertissent des nouveaux dangers. F.-R. de Chateaubriand, Polémiques,1827, p. 455.
49. Les tentants abîmes de la peur, ouverts dans maint roman, grouillaient suffisamment (...) de fantômes classiquement blancs, d'ombres, d'animaux maléfiques ... Colette, La Maison de Claudine,1922, p. 59.
b) Idée de grand espace de temps ou de durée indéfinie :
50. Tous ces astres éteints, ces fleuves qui tarissent, Ces sommets écroulés, ces mondes qui périssent, Dans l'abîme des temps ces siècles engloutis, Ce temps et cet espace eux-mêmes anéantis, Ce pouvoir qui se rit de ses propres ouvrages, A celui qui survit ce sont autant d'hommages, Et chaque être mortel, par le temps emporté, Est un hymne de plus à ton éternité! A. de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, La Perte de l'Anio, 1830, p. 345.
Ou un laps de temps mesurable mais dont l'étendue ne peut être appréhendée par l'imagination :
51. Après Tacite qui a paraphrasé quelques mots de Galgacus conservés par tradition dans les camps romains, un abîme se creuse : on traverse quinze siècles avant d'entendre parler de nouveau du génie des Bretons... F.-R. de Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise, t. 1, 1836, p. 57.
Dans certains cas, l'expr. fond de l'abîme suggère l'idée de degré suprême :
52. D'ailleurs, après l'invasion prussienne, il n'y a plus de malheur possible. Ç'a été là le fond de l'abîme, le dernier degré de la rage et du désespoir! G. Flaubert, Correspondance,1872, p. 380.
6. De là l'emploi de abîme pour exprimer un très haut ou le plus haut degré; dans cet emploi il fonctionne comme un superlatif expressif de subst. abstraits avec lesquels il est mis en relation; base d'un syntagme nom., il est suivi de de et d'un subst. non déterminé par un art. et gén. non caractérisé :
53. On n'avait d'autre vue de la terre habitée que par l'entrée du glacier qui nous laissait une étroite échappée de vue sur la vallée de Grindelwald. C'est là, c'est dans cet abîme de beauté et d'horreur que nous passâmes plusieurs heures ... Chênedollé, Extraits du journal,1820, p. 104.
54. « Le cœur d'une sœur est un diamant de pureté, un abîme de tendresse » se dit-il. H. de Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 99.
55. Il faut que mon existence de fait me plonge dans cet abîme de réflexion, ... P. Ricœur, Philosophie de la volonté,1949, p. 428.
56. S'il m'arrive d'y songer la nuit, c'en est fait du sommeil et je roule dans un abîme de détresse et de désespoir. A. Gide, Et nunc manet in te,1951, p. 1153.
Rem. 1. Comme il apparaît dans les ex., abîme fonctionne souvent avec des caractéristiques d'ordre phys. : la cavité marine, terrestre, ou souterraine est toujours abrupte, profonde, insondable ou difficilement connaissable. Ces attributs se retrouvent dans les emplois fig. dans lesquels ils sont transposés. Cependant, peu à peu, ces constantes s'estompent : l'évocation spatiale de l'abîme fait place à une notion temporelle, puis abîme, en se faisant de plus en plus abstr., devient équivalent de « extrême, comble, dernier degré ». A la limite, abîme tombe en catasémie, dépouillé de son contenu sém. et proche de la catégorie gramm. du superlatif absolu ou relatif. 2. Synt. les plus fréq. : a) Abîme profond, ouvert, noir, infranchissable, grand, insondable, obscur, béant. b) Abîme se trouve en oppos. paradigm. ou en assoc. syntagm. très fréq. avec, par ordre décroissant : fond (ex. 2, 7, 9, 52), bord(s) (ex. 13, 48), profondeur (ex. 9, 10, 20, 29, 58); et également, mais beaucoup moins fréquemment : puits (ex. 3, 6, 21), course, douleur(s), mer(s) (ex. 10, 12, 14, 16). c) Abîme est fréquemment sujet ou compl. de séparer (ex. 8, 33, 35), précipiter, creuser (ex. 30, 51), tomber, ouvrir, sortir (ex. 13), plonger (ex. 55), jeter, combler (ex. 29, 33), franchir (ex. 34), mesurer, sonder (ex. 36, 37).
Stylistique − Emploi relig. peu usité à l'époque mod. sauf dans les cont. se référant à l'A. T. et au N. T. Dans la lang. usuelle, il est surtout localisé dans le vocab. des géographes et dans les emplois fig. de la lang. soutenue. Dans les emplois techn., sa vitalité est faible (chandellerie, hérald.). Niveau de lang. relativement élevé lorsqu'on le compare à ses synon. principaux : précipice/gouffre. Vitalité renouvelée dans le lang. métaph. de la psychanalyse et chez les écrivains introspectifs : 57. Parmi ces chutes intermédiaires, nous placerons les « chutes littéraires », les abîmes lus, toutes chutes virtuelles qui nous enseignent le malheur, qui travaillent notre inconscient au hasard des lectures. G. Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, 1948, p. 349. 58. Une chute littéraire trop circonstanciée, un abîme trop chargé d'images éveillent des intérêts divergents et ces intérêts excitent le lecteur auquel on voulait suggérer des images d'effacement ontique. Une chute littéraire trop imagée nous fait perdre la dynamique d'abîme qu'il faut bien distinguer d'une géographie des profondeurs. En effet, explorer l'abîme, aller avec la lampe du mineur dans les souterrains pour en affronter les monstres, c'est vivre une peur discursive. Id., ibid., p. 350. Abîme fonctionne habituellement avec des termes évoquant des sentiments d'ordre négatif ou déplaisant (mélancolie, souffrance, solitude, détresse, ténèbres, renoncement, maux). Dans la constr. abîme de + subst. abstr., le mot peut être déchargé de sa connotation péjor. et devenir propre à évoquer le plus haut degré dans un domaine neutre ou mélioratif. Dans 2 ex. de la docum. abîme est employé comme adj. Le 1erex., où il est synon. de profond, est emprunté à une œuvre de Michelet non destinée à la publication, ce qui peut expliquer l'écart styl. : 59. Les fols jouissent de la belle terrasse et de la belle vue, moins surplombante néanmoins, moins abîme, que celle de Fourvière. J. Michelet, Journal, avril 1839, p. 298. Le second est emprunté à V. Hugo, coutumier de ce type de syntagme (où abîme est deuxième terme de mot composé) : 60. La révolution française a touché Venise et Venise est tombée; elle a touché l'empire d'Allemagne, et l'empire d'Allemagne est tombé; elle a touché les électeurs, et les électeurs se sont évanouis. La même année, la grande année-abîme a vu s'engloutir le roi de France, cet homme presque dieu, et l'archevêque de Mayence, ce prêtre presque roi. V. Hugo, Le Rhin, Lettres à un ami, 1842, p. 244.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abim]. Pour la prononc. avec [i:] encore signalée au début du siècle, cf. III B. Enq. : /abim/. 2. Homon. : abîme (-s, -nt) du verbe abîmer. 3. Hist. − On relève le mot abîme sous sa forme actuelle avec un accent circonflexe ds Rich. 1680, mais la forme ne s'est définitivement imposée qu'à partir d'Ac. 1798. Au xiies., on trouve les formes concurrentes suiv. : abys, abis, encore attestées ds Hug. (xvies.), issues directement du lat. chrét. abyssus; abysme, abisme et bysme, bisme par déglutination (cf. Fouché 1952, p. 591). Au xives. abesme et abime (cf. Gdf.). a) Graph. y et i. Dès l'entrée du mot dans la lang., la graph. étymol. avec y est concurrencée par des formes en i en raison de la confusion qui régnait entre ces graph. En effet, dès le xiies., y était introd. par les copistes à la place de l'i dans les noms propres et dans les mots de physionomie étrangère (cf. Beaul. t. 1 1927, p. 51). A partir du xiiies., l'y fut utilisé comme « litera legibilior » à la place de i voyelle. ,,A la fin du xiiies. l'abus de l'y à toutes les places du mot était fort répandu, et dans les régions les plus diverses de la langue d'oïl.`` (Beaul. t. 1, pp. 163-165). Cet abus n'a cessé de s'accentuer (cf. Beaul. t. 1, pp. 271-276). Ronsard recommande le remplacement de l'y gr. dans abisme, cigne, Nimphe, etc., par ,,l'i françois pour monstrer qu'ils sont nostres, et non plus incogneus estrangers; ...`` (Opinions de Ronsard sur l'orth. étymol. en tête de l'Abrégé de l'Art poétique ds Didot 1868, p. 122). Rich. 1680 supprime l'y dans abîme, mais Fur. 1690, Ac. 1694 à 1762, le maintiennent ainsi que Trév. 1752 et 1771. Ce n'est qu'à partir de Ac. 1798 que i l'emporte définitivement et Littré note encore : ,,On n'écrit plus abyme, malgré l'étymologie``. (Pour la suppression et le rétablissement de l'y gr. dans les différentes éd. d'Ac., cf. Didot, p. 85). b) Suppression de l's et introd. de l'accent circonflexe. Pour la chronol. de l'amuïssement de l'[s] implosive dans la prononc. aux xieet xiies., cf. G. Straka, Remarques sur la « désarticulation » et l'amuïssement de l's implosive. Mél. de Ling. rom. et de Philol. médiév. 1964, p. 621. La graph. bihme (xiiies.) citée par Gdf. correspond à un stade intermédiaire de l'amuïssement de l'[s] qui ,,a dû être précédé d'une aspirée`` (cf. Fouché, p. 861 et G. Straka, op. cit., p. 607). Parallèlement les graph. abeme (vers 1350, T.-L.) et abime (xives., T.-L.) témoignent de l'amuïssement de [s]. En ce qui concerne la prononc. de abîme au xvies., Nicot précise : ,,le François l'escrit par s, Abysme, combien qu'il ne le prononce, ains comme s'il estoit escrit Abyme``. Pour l'hist. de l's implosive au xvies., selon qu'il est rétabli ou introd. dans la prononc., puis maintenu ou amuï, cf. Beaul. t. 1, pp. 307-308 et Fouché, pp. 867-869, ou encore qu'il est maintenu ou introd. dans la graph. comme signe de durée, cf. Thurot Prononc. t. 2 1883, p. 593. La graph. avec s est maintenue jusqu'au mil. du xviiies. Rich. 1680 et Ac. 1740 sont les premiers à supprimer l's. Trév. 1704 donne abysme et abîme mais en 1752 ne mentionne que la graph. avec s. ,,C'est dans sa troisième édition, en 1740, que l'Académie (...) supprima des milliers de lettres devenues parasites (...); ainsi abysme fut écrit abyme...`` (Didot, pp. 11-12). Ac. 1762 : ,,Dans les mots où la lettre s marquoit l'allongement de la syllabe, nous l'avons remplacé par un accent circonflexe.`` Cf. (Didot, p. 14). Néanmoins la graph. abîme avec l'accent circonflexe n'apparaît que dans l'éd. de 1798. La durée longue de [i:] dans abîme est encore signalée par Passy 1914 et par Barbeau-Rodhe 1930 qui donne également la possibilité d'une prononc. avec [i] bref. C'est en raison de l'accent circonflexe ,,considéré comme signe de longueur, que la quantité longue se maintient; seules les voyelles extrêmes i, v, u, se sont abrégées malgré la présence de l'accent circonflexe : gîte, il dîne, huître...`` (G. Straka, Système des voyelles du français moderne. B. de la Faculté des Lettres de Strasbourg, 1950, p. 32). − Rem. Ds T.-L. et Gdf. ce subst est signalé comme masc. et fém. et au xvies. encore, Hug. note que ,,Abisme est souvent féminin.``
Étymol. − Corresp. rom. : prov., cat. abisme; n. prov. abime, abisme; port., esp. abismo (> logoud. abismu). 1. Début xiies. « gouffre, profondeur insondable (de la terre) » terme relig. dans trad. (Ps. Oxford, éd. F. Michel, LXX, 23 : e des abysmes de terre derechief remenas mei); ca 1170 « id. », cont. non relig. (Benoit de Sainte Maure, Chr. Ducs de Norm., éd. Fahlin, I, 4219 : Li quatre vent eissant d'abisme commencerent entr'eus teu cisme... Que foudres volent e arson. [Description d'une tempête; cf. Virgile, Énéide, I, 60 ss]). 2. Début xiies. « profondeur insondable (de la mer) », terme relig. dans trad. (Ps. Oxford, éd. F. Michel, LXXVI, 15 : ... virent teil es ewes e crienstrent, e turbed sunt les abysmes); 2emoitié du xves. « id. », cont. non relig. (J. Molinet, Le Siège d'amours ds Gdf. Compl. : Mers et abismes loingtaines...). 3. Début xiies. « profondeur de l'enfer », terme relig. (Li ver del Juïse, éd. Feilitzen, 352 ds T.-L. : la terre crollerat trosk'en abisme el fonz). 4. Début xiies. « profondeur insondable », emploi fig., terme relig. dans trad. (Ps. Oxford, éd. F. Michel, XXXV, 6 : ... li tun jugement mult abysme); ca 1265 « id. » (Philippe de Novare, Quatre âges de l'homme, éd. Fréville, 117, ds T.-L. : la justice de Dieu si est une abisme). Du lat. chrét. abyssus (dep. Tertullien, voir abyssal) (d'où a. fr. abis « profondeur de l'enfer », terme relig., début xiies. ds T.-L., repris au xvies. ds Hug.; a. prov. abis, a. ital. abisso); les formes rom. (voir sup.) postulent une altération en *abismus au niveau du lat. vulg. (Gröber, Arch. lat. Lex., I, 233), d'orig. controversée, peut-être issu d'une formation superl. *abyss/íssimus devenue *abíss(i)mus par haplologie (Diez5, DG, REW3, Cor.) hyp. satisfaisante des points de vue sém. et phonét.; à remarquer cependant que le suff. -íssimus, fréq. en lat. vulg., affecte des adj., très rarement des subst., et dans ce cas toujours avec valeur hypocoristique, voir Hofmann, Lat. Umgangs-Spr., § 84; dominissimus invoqué par Diez5et Cor. est restreint au domaine hisp. (Du Cange, s.v.) où le superl. en -issimus, fréq., est repris par les lang. rom. Emplois analogues du lat. abyssus et de l'a. fr. abisme : cf. pour 1, Ps., LXX, 20 : et de abyssis terrae iterum reduxisti me; - pour 2, ibid. LXXVI, 17 : viderunt te aquae et timuerunt; et turbatae sunt abyssi; et ca 768 Aethicus Ister, 36 ds Mittellat. W. s.v., 70, 40 : ut... differentiam maris et abyssi sciret; - pour 3, Vulg., Apoc., 9, 1 ds TLL s.v., 244, 30 : data est ei clavis putei abyssi; - pour 4, Ps., XXXV, 7 : judicia tua abyssus multa; et Alcuin, Épist., 136 ds Mittellat. W., s.v., 70, 32. L'hyp. abyssu + īmu > *abiss(i)mu (Rohlfs, R. Ling. rom., 21, 1957, pp. 300-301; Bambeck, Lat. rom. Wortstud., 124) par assimilation de *abíssímu à la formation superl. -íssimu (> *abísmu.) est satisfaisante du point de vue sém. (ímus est fréq. chez St Augustin, voir TLL; mêmes emplois propre et fig. que abyssus, voir Blaise), cependant ímus signifie « qui est au fond », alors que la notion d'abîme suggère gén. l'idée d'absence de fond; d'autre part, il est difficile d'admettre que l'adj. -ímus n'ait plus été senti comme tel. L'hypoth. d'une adaptation de l'a. fr. abis en abisme sous l'influence de l'anton. a. fr. altisme (Brüch, Neu. Spr., XXXII, 426), satisfaisante du point de vue sém. et styl. (l'adj. altisme fréq. dans cont. relig.), est difficilement acceptable, parce que ne pouvant rendre compte de l'esp. abismo (avismo, 1219, Aguilar de Campóo, d'après Blondheim ds Rom., XLIX, 15), dont l'empr. au fr. est peu vraisemblable. L'hypoth. d'une assimilation au suff. sav. -ísmus (FEW, Dauzat 1964, Bl.-W.4, EWFS2) fait difficulté, ce suff. formant, en gén., des mots abstr. (Diez5), sémantiquement éloignés de abismus; il est cependant fréq. en lat. chrét.; cf. Berger, Die Lehnwörter in der fr. Spr., 40 et 287. HIST. − Directement issu du lat. chrét., abîme, trad. fr. du lat. abyssus, est d'abord attesté comme terme biblique (début xiies.) dans les trad. fr. de l'Anc. et du Nouv. Test. Dans l'A. T. il désigne à la fois le chaos primitif, les cavernes immenses de la terre où Dieu rassembla les eaux, enfin les eaux elles-mêmes tirées du chaos; dans le N. T. il désigne l'enfer, séjour des damnés. Il s'emploie aussi au fig. dans la lang. relig. Très tôt (fin xiies.) il passe dans la lang. profane où son sens s'élargit pour désigner du seul point de vue phys. toute profondeur (marines, à ciel ouvert ou souterraines) dont on ne peut mesurer le fond (ext. à toutes les dimensions). Dans cette même lang. profane, il prend parallèlement des sens fig. : le mot est alors empl. métaphoriquement soit comme terme techn. (chandellerie, hérald.), soit pour exprimer l'idée d'impénétrabilité pour l'esprit ou l'idée d'incommensurable (par ex. dans abîme de misère pour comble de la misère). − Rem. 1. Ne pas confondre abis, abîme et abysse : abis < abyssus, avec en anc. et moy. fr., l'unique sens d'« enfer », disparaît des dict. au xvies. (dernière attest. ds Hug.); abîme < abyssus + issimus (cf. étymol.), absorbe abis et subsiste seul; abysse < abyssus mot sav. entré dans la lang. au xixes. avec un sens techn. (cf. art. abysse). 2. Subst. masc. et fém. jusqu'au xviies. (avec prédominance du fém. au xvies., nombreux ex. ds Hug.), il devient exclusivement masc. à partir de Nicot 1606. 3. Par déglutination, l'abisme fém. a pu se dissocier en la bisme cf. inf. : A 2 (1erex.) et B 1 (2eex.). I.− Disparition av. 1789. − Estre l'abîme des yeux de qqn « être l'obj. de la contemplation intense de qqn », xvies., 1 seul ex. dans la docum. : et il s'agit donc sans doute d'un fait de style. Tu es à son gré la personne De la cour qui danse le mieux, Tu es l'abîme de ses yeux, Tant tu vas propre et bien en poinct. (1491-1558, Saint-Gelays, Chansons, 9, II, 230 ds Hug.). II.− Hist. des sens et accept. attestés apr. 1789. − A. − Sém. sens A (phys.) « profondeurs immenses, terrestres ou autres » : Il y a de profonds abysmes dans ces montagnes, dans ces rochers, dans ces mers, dans ces rivieres. (Fur. 1690). 1. « cavités marines » (cf. sém. A 2) (et étymol. 1). xiiies. : Et puis recheoit [le navire] si profond que avis estoit qu'elle cheïst en l'abisme et avenoit priés la tere el fons. (Chronique de Rains, 47 ds Littré). xives. : Tant sur terre comme en abysmes [en mer]. (1373, Froissart, Joli buisson de jonesce ds Littré). xvies. : Mers et abismes loingtaines. (av. 1507, J. Molinet, Le siège d'amours ds Gdf.). Les hault rochers des monstrueuses undes Se sont cachez es abismes profondes. (1544, Apol. nouv. du Debat d'Eole et Neptune ds Hug.). xviies. : L'océan étoit jaloux de voir sonder ses abysmes. (Ablancourt ds Trév. 1752). xviiies. : Dans l'Écriture il se prend pour les eaux que Dieu créa au commencement avec la terre, et qui l'environnoient de toutes parts. (Trév. 1752). 2. « cavités terrestres à ciel ouvert » (cf. sém. A 1 et étymol. 1). ca 1300 : il sont tuit aussi perdu en ceste queste come s'il fussent fondu en bisme. (Lancelot, ms. Frib., 1o61 c ds Gdf.). xviies. : Abîme, gouffre profond. (Rich. 1680). Le terrain s'affaisse et ouvre un abîme. (1699, Fénelon, Télém., 15 ds DG). xviiies. : Il se prend encore pour les cavernes immenses de la terre où Dieu rassembla toutes ces eaux le troisième jour et que Moyse appelle le grand abysme. (Trév. 1752). 3. « cavités souterraines » (cf. sém. A 3) (cf. étymol. 3, 4), notamment pour désigner l'enfer. xiiies. : Ke m'anrme n'assorbisset en abisme diables. (ca 1200, Poème moral ds T.-L.). Li poins de la terre, ce est li mileu dedans, qui est apelez abismes, la ou enfers est assis. (1266, Br. Latini, Li livres dou tresor ds T.-L.). xves. : Pour en bysme tres orde Faire sejour au nombre des dampnez. (fin xves., Myst. des Actes des apôtres ds Gdf.). xviies. : Les damnés sont dans l'abîme infernal. (1609, F. de Sales, Introd. à la vie dévote, I, 15 ds DG). − Rem. « chaos » peu employé, 1reattest. xives.; résurgence dans un contexte relig. ou moral ds Besch., Rob., ds Lar. encyclop. Cf. aussi art. sém. ex. 18 : Cahos : abysmes (ds G. Briton, Rem. sur le patois suivies du vocab. lat.-fr. 97 b ds T.-L.). 4. emplois fig. (cf. art. sém. A 4) a) chandellerie, 1reattest. ds Fur. 1690 : Abysme est aussi un vaisseau fait en prisme triangulaire renversé qui sert aux chandeliers à fondre leur suif, et à faire leur chandelle, en y trempant plusieurs fois leur mèche, (cf. aussi Trév. 1704, 1752, 1771; Ac. Compl. 1842; Besch.; Littré; DG; Lar. 20eet art. sém.); b) hérald. 1reattest. dans la docum. disponible ds Fur. 1690 : Abysme. Terme de blason. C'est le cœur, ou le milieu de l'Écu, en sorte que la pièce qu'on y met ne touche et ne charge aucune autre pièce telle qu'elle soit. Ainsi on dit d'un petit Écu qui est au milieu d'un grand qu'il est mis en abysme (...). (Cf. aussi Ac. 1694 à 1798; Trév. 1704, 1752, 1771; Ac. Compl. 1842; Littré; DG et art. sém.). B.− Art. sém. sens B (philos.) 1reattest., cf. étymol. 4. 1. « profondeur insondable, impénétrable pour l'esprit humain, la raison » : xiiies. : Li abysmes des escritures. (av. 1250?, Délivrement du peuple d'Israël, ms. du Mans Io31 vods Gdf.). xives. : Telx sont li jugement de dieu le roi haultisme, Qu'il n'y a fons ne rive, c'est une droite bisme. (Girart de Rossillon, 24 ds T.-L.). xviies. : La raison humaine est un abisme où l'on se perd. (1654-1655, Ablancourt, Lucien ds Rich. 1680). Les secrets de la nature sont des abysmes. (Ac. 1694). xviiies. : La divisibilité de la matière à l'infini est un abysme pour l'esprit humain. (Ac. 1762). 2. « degré élevé dans le quantifiable ». xvies. : On l'eust jugé à l'ouyr et le veoir/Une profunde abisme de scavoir. (1476-1550, J. Bouchet, Épist. famil. du Traverseur, 68 ds Hug.). xviies. : Se dit aussi de ces dépenses excessives dont on ne peut juger avec certitude. On ne peut certainement régler la dépense de la Marine, c'est un abysme. (Fur. 1690). xviiies. : Il se dit aussi fig. Des sciences difficiles, et qui demandent une tres-grande estude. C'est un abysme que les Mathematiques. On dit au fig. Un abyme de malheur, un abyme de misère, pour dire Un extrême malheur, une extrême misère. (Ac. 1740). Abyme, se dit aussi figurément Des choses qui engagent à une excessive dépense, et qui sont capables de ruiner. Le jeu, les procès, les bâtiments sont des abymes. (Ac. 1762, cf. aussi Fur. 1690). − Rem. Au xixes.; disparition de l'emploi absolu, et comme quantificateur de subst. concr. A citer encore l'emploi mentionné par Ac. 1798 : On dit familièrement et populairement d'un mets, qui consume une grande quantité de sucre ou d'autre chose, c'est un abîme de sucre, etc. Aujourd'hui, quand il s'agit de consommation de biens ou d'argent, le lang. tend à substituer gouffre à abîme.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 4 175. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 7 769, b) 7 168; xxes. : a) 4 466, b) 4 598.
BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Antoine (G.). Pour une nouvelle exploration du gouffre baudelairien. Fr. mod. 1962. t. 30, pp. 81-98. − Bambeck (M.). Lateinische romanische Wortstudien. Wiesbaden. 1959. p. 78. [Cr. Lecoy (Félix). Romania. 1961. t. 82, pp. 430-431]. − Blondheim (D. S.). Essai d'un vocabulaire comparatif des parlers romans des juifs au Moyen Âge. Romania. 1923. t. 49, pp. 1-47, 526-569. − Blondheim (D. S.). Les Parlers judéo romans et la Vetus latina. Romania. 1924. t. 50, pp. 541-590. − Brard, 1838. − Dainv. 1964. − Dheilly 1964. − Guiraud (P.). Champ stylistique du gouffre de Baudelaire. Orbis litterarum. 1958. t. 13, pp. 75-84. − Jal 1848. − Le Clère 1960. − Lejeune (R.). Le Linteau d'Angoulême et la Chanson de Roland. Romania. 1961. t. 82, pp. 1-26. − Marcel 1938. − Mots rares 1965. − REW [Cr. Thomas (A.). Romania. 1911. t. 40, pp. 102-111]. − Rigaud (A.). Voyage autour de périple. Vie Lang. 1965. no156. p. 174. − Ritter (E.). Les Quatre dictionnaires français. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905. t. 36, pp. 291-533. − Spitzer (L.). Tervagant. Romania. 1948. t. 70, pp. 397-407.

ABÎMER, verbe trans.

I.− Jeter, plonger dans un abîme.
A.− Emploi trans., rare [Le suj. est un inanimé ou un animé hum.]. Acceptions fortement liées au contexte :
[En parlant d'un tremblement de terre engloutissant une région sous les éboulis] :
1. Ces désastres ne sont rien encore en comparaison de l'épouvantable tremblement de terre de 1783, dans lequel la Calabre crut être abîmée. Les villes et les villages s'écroulaient; des montagnes se renversaient sur les plaines; des populations fuyant les hauteurs s'étaient réfugiées sur le rivage; la mer sortit de son lit et les engloutit. J. Michelet, Histoire romaine,t. 1, 1831, p. 13.
[En parlant d'une pers. voulant en jeter une autre dans des oubliettes] :
2. Au moment où toutes les femmes regardèrent alternativement le marquis et la comtesse, Foedora aurait voulu l'abîmer dans les oubliettes de quelque Bastille, car, malgré son talent pour la dissimulation, ses rivales devinèrent sa souffrance. H. de Balzac, La Peau de chagrin,1831, p. 213.
[En parlant d'une pers. jetant sa tête dans un oreiller pour s'y cacher] :
3. ... quand il se retrouva seul (...), un affreux désespoir le prit, il se hâta d'en sortir, d'aller abîmer sa tête au fond de son oreiller, pour y anéantir l'abomination de son existence. É. Zola, La Bête humaine,1890, p. 209.
[En parlant d'un philosophe panthéiste faisant perdre à l'homme son autonomie] :
4. Locke n'abstrayait-il pas l'homme de l'humanité, aussi complètement au moins que son rival, lui qui imaginait que l'homme, avant de recevoir des sensations du monde extérieur, n'était en essence qu'une table rase, sans innéité, sans spontanéité aucune? Spinoza, en abîmant le rêveur solitaire de son maître Descartes dans la substance divine, sans intermédiaire; Malebranche (...); Berkeley (...); Hume enfin, (...) ont tous travaillé sur l'homme solitaire et abstrait dont je cherche en ce moment la définition. P. Leroux, De l'Humanité, de son principe et de son avenir,t. 1, 1840, p. 123.
B.− Emploi pronom. réfl.
1. [Le suj. est un inanimé ou un animé surtout hum.] Tomber, s'écrouler au fond d'une cavité, d'un creux de l'espace terrestre, marin, cosmique, de manière à disparaître momentanément ou définitivement. Sens propre :
5. ... pourquoi tant d'interruptions et d'inégalités de profondeurs dans la plupart de ces gaves? C'est-à-dire, pourquoi les voit-on s'abîmer dans des canaux ténébreux taillés à pic, d'où ils reparaissent après de longs espaces, pour rouler au grand jour leurs eaux écumantes sur le sable ou à travers les rochers? J. Dusaulx, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées fait en 1788,t. 1, 1796, p. 101.
6. ... mais Jéhovah descend dans le chaos, et lorsqu'il prononce le fiat lux, le fabuleux fils de Saturne s'abyme et rentre dans le néant. F.-R. de Chateaubriand, Génie du Christianisme ou Beautés de la religion chrétienne,t. 1, 1803, p. 485.
7. ... quand les rochers s'écroulent, quand les montagnes s'abîment dans les vallées, la terre change seulement de face ... G. de Staël, De l'Allemagne,t. 5, 1810, p. 183.
8. Le vaisseau s'inclina avec tant de violence, qu'on eût dit qu'il allait s'abîmer. P. Mérimée, Mosaïque,1833, p. 71.
9. Tranquillement, Morange fit le pas, dans les ténèbres, dans le vide. Et, sans un cri, il s'abîma. É. Zola, Fécondité,1899, p. 685.
10. J'ai vu une de ces cascades, à Esquit. Elle se comportait comme la plus majestueuse cataracte. En touchant le vide, en s'y abîmant, elle se perdait aussi d'un bond, développait la même courbe liquide, irisée, et rendait ce mugissement éternel et égal, unique dans les bruits de la nature... J. de Pesquidoux, le Livre de raison,t. 1, 1925, p. 186.
Au fig. [Le suj. est un inanimé ou un animé surtout hum.] Disparaître comme par une chute dans un abîme, un creux :
11. On avoit miné pendant plusieurs siècles les bases de la société; elle s'abîma tout entière dans le gouffre que les rois et les parlements avoient eux-mêmes creusé. F.-R. de Lamennais, De la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil,2epart, 1826, p. 89.
12. Combien plus doit frémir, s'abîmer d'épouvante la faible créature désarmée, prise en son nid, et sans pouvoir se servir de ses ailes! J. Michelet, L'Oiseau,1856, p. 224.
13. On se sent emprisonné, muré dans son moi, et l'on voudrait s'en aller de ce moi malheureux, se plonger, se rouler, s'abîmer dans la fraîcheur de la mort où tout s'abolit. P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 189.
14. Marie et moi nous l'assistâmes dans ses derniers instants, et lorsqu'enfin son cœur cessa de battre, je sentis s'abîmer tout mon être dans un gouffre d'amour, de détresse et de liberté. A. Gide, Si le grain ne meurt,1924, p. 612.
15. Nous montâmes la colline du côté du couchant. Le soleil s'abîmait. Il accélérait sa chute de minute en minute. J. de Pesquidoux, Le Livre de raison,t. 3, 1932, p. 234.
16. J'étais sûr que tu allais faire une bêtise, dit Fabrizio en fermant sa main sur mon épaule quand − les minutes s'abîmant après les minutes comme les brasses d'une sonde − il n'y eut plus de doute que la chose maintenant avait eu lieu ... J. Gracq, Le Rivage des Syrtes,1951, p. 224.
2. [Le suj. désigne une pers.]
a) [Cont. profane (avec gén. un compl. introduit par la prép. dans)]
Sens propre. Cacher sa tête (comme pour disparaître dans un profond refuge (cf. aussi ex. 3)) :
17. ... ma mère entra ... Oh! Alors je me jetai sur elle; je me cachai la tête, je m'abîmai dans sa robe : c'était la protection suprême, l'asile où rien n'atteignait plus, le nid des nids où l'on oubliait tout ... P. Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 10.
Au fig. Se laisser absorber par une activité ou une préoccupation de nature intellectuelle, spirituelle ou affective (comme si l'esprit était plongé dans un abîme qui lui cache la vue de tout autre obj.) :
18. Adieu, mon cher papa, je t'embrasse au nom de mes frères abîmés comme moi dans la douleur. V. Hugo, Correspondance,1821, p. 323.
19. Je m'abîmai dans ma tristesse. A. de Lamartine, Les Confidences,1849, p. 380.
20. Alors le pauvre poête s'abîma dans une contemplation obstinée. Il s'isola dans cette pensée unique autour de laquelle vint se grouper l'essaim de ses espérances, − et il fut heureux. H. Murger, Les Nuits d'hiver,Les Amours d'un grillon et d'une étincelle, 1861, p. 211.
21. L'homme qui s'enfonce et s'abîme dans la création littéraire n'a pas besoin d'affection de femme, d'enfants. Son cœur n'existe plus, il n'est plus qu'une cervelle. E. et J. de Goncourt, Journal,mars 1877, p. 1175.
22. Je posais ma plume pour m'abîmer, devant ce paysage muet, dans une de ces rêveries cosmogoniques dont j'étais coutumier jadis. P. Bourget, Le Disciple,1889, p. 174.
23. Mais quelque chose à définir prit Guaita par la main : le sentiment du divin. Il perdit le goût de la création pour s'abîmer dans la recherche des lois. M. Barrès, Mes cahiers,t. 2, 1902, p. 5.
24. Couchés sur le tapis, les oreilles bouchées avec leurs pouces, ils s'enfonçaient, s'abîmaient dans l'histoire; ... F. Mauriac, Le Mystère Frontenac,1933, p. 13.
b) [Cont. relig. 1, avec un compl. introduit par les prép. dans ou en]
Le compl. désigne une activité spirituelle d'adoration ou de méditation par laquelle l'esprit se laisse absorber (cf. 2 a fig.) :
25. Une intime chaleur d'amour lui fondait le cœur comme la cire; il se taisait, il s'abîmait, il s'enfonçait dans son adoration : son âme, entièrement vibrante et immobile, bientôt, ne connaissait plus rien qu'un bonheur tranquille et infini, où chaque joie distincte se perdait, ainsi que les pâles étoiles sont effacées par le soleil. E. Bourges, Le Crépuscule des dieux,1884, p. 227.
26. Calviniste fervent, sectaire endurci, affolé de cantiques et de prières, il composait des poésies religieuses qu'il illustrait, paraphrasait en vers les psaumes, s'abîmait dans la lecture de la bible d'où il sortait, extasié, hagard, le cerveau hanté par des sujets sanglants la bouche tordue par les malédictions de la Réforme, ... J.-K. Huysmans, À rebours,1884, p. 83.
Le compl. désigne la divinité, dans l'intimité de laquelle l'esprit pénètre comme en se jetant dans un abîme :
27. ... plongé, pendant des minutes que je ne comptais plus, dans une muette mais intarissable adoration, je ne sentais plus la terre sous mes genoux ou sous mes pieds, et je m'abîmais en Dieu, comme l'atome flottant dans la chaleur d'un jour d'été s'élève, se noie, se perd dans l'atmosphère, et, devenu transparent comme l'éther, paraît aussi aérien que l'air lui-même et aussi lumineux que la lumière! A. de Lamartine, Les Confidences,1849, p. 108.
28. Plus l'avenir s'ouvre devant moi comme une crevasse vertigineuse ou un passage obscur, plus, si je m'y aventure sur votre parole, je puis avoir confiance de me perdre ou de m'abîmer en vous, − d'être assimilé par votre corps, Jésus. P. Teilhard de Chardin, Le Milieu divin,1955, p. 95.
c) [Cont. relig. 2, s'abîmer étant fréquemment construit avec le syntagme devant + Dieu] Abaisser son orgueil, s'humilier (comme dans un abîme dominé par la grandeur infinie de Dieu) :
29. Cette poésie éclate ailleurs et déborde par d'autres voies. (...) elle est surtout, avec sa foi religieuse et son génie catholique, dans ces innombrables et magnifiques églises, dans ces sublimes cathédrales, devant lesquelles se confond et s'abîme notre misérable petitesse. Ch.-A. Sainte-Beuve, Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIesiècle,1828, p. 283.
30. Voilà, non pas le véritable esprit de l'évangile, mais la véritable loi du prêtre, la vraie prescription de l'église orthodoxe : « Quitte-toi, abîme-toi, méprise-toi; détruis ta raison, confonds ton jugement : fuis le bruit des paroles humaines. Rampe, et fais-toi poussière sous la loi du mystère divin; ... » G. Sand, Histoire de ma vie,t. 3, 1855, p. 285.
31. Le ciel lui répondait par le signe qu'il avait fixé! Il eût dû s'abîmer devant Dieu, s'écraser à ses pieds, s'épandre en une fougue de gratitude; ... J.-K. Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 125.
32. Par l'adoration, nous reconnaissons l'infinie grandeur de cet objet, nous nous abaissons et abîmons lyriquement devant lui; ... H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France,t. 3, 1921, p. 127.
Rem. Dans ce dernier emploi (cont. relig. 2), une idée de destruction se mêle au sens, et de ce fait cet emploi pourrait être classé sous le sens II; en raison de la composante « dommage » qui caractérise le sens II et qui est absente de l'accept. relig. 2, il nous a paru préférable de laisser celle-ci sous le sens I.
II.− [Le suj. désigne une pers., une force agissante] Faire baisser la valeur d'une chose ou d'une pers. en la dégradant (et lui causant ainsi un dommage total ou partiel, définitif ou momentané).
A.− Emploi trans., usuel
1. [Le compl. est un n. de chose] Dégrader en rendant méconnaissable, ou inutilisable, ou en mettant dans un état voisin de la destruction :
33. ... jamais les Lucullus et les Héliogabale de l'ancienne Rome ne croyaient avoir assez détruit, abîmé de denrées; ... J.-B. Say, Traité d'économie politique,1832, p. 451.
34. ... les habitudes d'une vie insoucieuse avaient abîmé, perdu, confondu, déchiré, huilé, ruiné tout un mobilier à peu près élégant dans sa primeur, ... H. de Balzac, Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau,1837, p. 311.
35. Le Cochon. Que je suis malade! Comme je souffre! Qu'ils me tourmentent! Ils sont tous déchaînés contre moi. (...) Je suis brûlé, asphyxié, étranglé; je crève de toutes les façons on me tire la queue, on me déchire les oreilles, on me perce le ventre, on me crache du venin dans l'œil, on me lance des cailloux, on m'abîme, on m'écorche le dos, et j'ai un aspic qui me mord la verge! G. Flaubert, La Tentation de saint Antoine,1849, p. 404.
36. abîmer une robe, un chapeau. Dites plutôt froisser, salir, gâter une robe, un chapeau. Il ne faut pas croire toutefois qu'abîmer une robe soit un barbarisme, c'est seulement une expression trop forte et qui n'est pas justifiée par la chose dont il s'agit. B. Jullien, Le Langage vicieux corrigé,1853.
37. ... il y a des choses qu'on ne peut ni dire, ni écrire. Qu'on tâche de faire sentir, qu'on sent quelquefois, mais qu'il ne faut pas risquer d'« abîmer » ou de détruire ou de perdre éternellement dans une phrase mal dite, qui sonne faux ou qui fait rire. J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,Lettre de A.-F. à J.-R., janv. 1905, p. 8.
38. J'ai plusieurs fois regardé dans les villages messins des écoliers qui s'en allaient abîmer leur esprit clair sous les mots allemands du maître étranger. M. Barrès, Mes cahiers,t. 4, 1906, p. 175.
39. On oublie que chaque doctrine nous instruit d'abîmer les autres, et nous anime et nous enseigne à les ruiner. P. Valéry, Variété 4,1938, p. 36.
2. [Le compl. est un n. de pers.]
a) Priver qqn de sa vitalité par une torture mor., accabler profondément :
40. ... fatal isolement! Ce long tourment me ronge et me déchire, M'abîme entier! ... P. Borel, Rhapsodies,Désespoir, 1832, p. 57.
41. Bâti de puérilités, il abîmera sa femme de brusqueries, la traitera en enfant et sera mené et trompé par elle à la confusion de toutes ses prétentions ignorantes et têtues, ... J. Barbey d'Aurevilly, Premier Mémorandum,1837, p. 114.
42. ... il m'a dit (...) : « Cet amour jaloux vous abîme : on dirait qu'il ronge votre personnalité : ... » J. Bousquet, Traduit du silence,1936, p. 86.
b) Anéantir qqn par la crit. publ. :
43. ... le livre parut et réussit dans son genre. Il abîma le pauvre M. Mallet, selon l'expression de Bayle, et le mot était vrai au pied de la lettre; car dans l'intervalle de publication du premier et du second volume, Mallet mourut comme foudroyé (20 août 1680). Ch.-A. Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 5, 1859, p. 141.
Ou plus communément, dégrader qqn dans l'opinion d'autrui par la médisance :
44. Elle [Manette] est d'une jalousie ... et éreinteuse! Je t'assure que c'est amusant de l'entendre abîmer ses petites camarades ... Elle en fait des portraits! Jusqu'à des noms de muscles qu'elle a retenus pour les échigner! ... E. et J. de Goncourt, Manette Salomon,1867, p. 187.
45. En somme, tous ceux que vous avez abîmés sont devenus vos meilleurs amis, et c'est une honte que des littérateurs que vous avez traînés dans la boue vous tendent ensuite la main, comme s'ils voulaient s'essuyer. J. Renard, Journal,17 novembre 1896, p. 355.
B.− Emploi pronom. (non réfléchi)
1. Pronom. intrans. (cf. sup. II A 1) :
46. Un bateau s'abîme quand il reste trop longtemps déchargé : le soleil lui ouvre les jointures des planches hors de l'eau. J. Renard, Journal,1903, p. 838.
2. Pronom. trans. [avec un compl. d'obj. désignant une partie du corps (s'abîmer les yeux, « abîmer ses yeux »)] :
47. Olivier s'abîmait les yeux à recopier, la nuit, en cachette, les partitions de Christophe. R. Rolland, Jean-Christophe,Dans la maison, 1909, p. 1012.
Stylistique − Ex. de l'affaiblissement de la valeur expressive des mots. Usité au xviies. par les class. et spéc. les écrivains relig. au sens fig. « précipiter dans un abîme », le mot appartient à la lang. litt. soutenue. Au sens physique, abîmer se dit de dégâts, taches, trous, déchirures; ce qui n'était au départ que l'expr. emphatique d'un état affectif est devenu une façon de parler usuelle (cf. le synon. gâter qui a suivi la même évolution). On note le même emploi primitivement emphatique pour abîmer pris au sens phys. d'« écrouler »; cf. encore : 48. Je me sentis rouler à terre : c'était ma mère qui s'abîmait évanouie. A. Dumas, père, Le Comte de Monte-Cristo, 1846, t. 2, p. 270. Au 2esens le mot est dépréc. (idée de flétrissure) et peut être rapproché de ses princ. synon. à caractère également négatif : vicier, pervertir, enlaidir, détériorer, endommager, gâter, gâcher, salir, profaner. Dans l'action d'abîmer, il s'agit toujours de diminuer la qualité intrinsèque d'un être. D'après les ex., on abîme de 4 façons princ. : en altérant la forme première, en cassant, en salissant, en dérangeant le fonctionnement. Dans le domaine mor., abîmer ou s'abîmer s'emploie dans des cont. gén. tristes. C'est ainsi que nous rencontrons fréquemment des assoc. du type : s'abîmer dans la tristesse, le chagrin, les pleurs. Même lorsqu'il s'agit de plaisirs, la nuance dépr. est toujours sensible.
Prononc. ET ORTH. − 1. Forme phon. : [abime], j'abîme [ʒabim]. Enq. : /abim/. Conjug. parler. 2. Dér. et composés : abîme, abîmement, abysse, abyssal, abyssique. 3. Forme graph. − Dans cette famille de mots, le rad. présente une alternance entre les graphèmes i et y que l'on peut distribuer selon 2 critères : forme et domaine d'emploi :
Domaine
Forme
Graph.
Série
Technique
[i] est suivi de [s]
y
abysse, abyssal, abyssique
Courant
[i] est suivi de [m]
i
abîme, abîmer, abîmement
4. Hist. − Abîmer apparaît pour la 1refois comme ved. de dict. sous sa forme actuelle ds Rich. 1680 et la forme ne s'est définitivement imposée qu'à partir de Ac. 1798. Pour l'explication des var. graph. abimer, abismer, abymer, abysmer, cf. abîme.
Étymol. − 1. Av. 1231 « jeter dans une profondeur insondable » (Chron. d'Ernoul, p. 72 ds Gdf. Compl. : Qu'il les feroit abismer pour l'ort pecié de contre nature); 2. [1559] 1567 « effacer, ruiner », sens dér. de 1 (Amyot, César, 5 ds Les Vies des hommes illustres, trad. de Plutarque, Paris, 1567 ds Hug. : En toute autre sumptuosité de faire jouer jeux, et donner festins publiques, il abysma, par maniere de dire, la magnificience de tous ceulx qui s'estoyent efforcez d'en faire au paravant). Dér. de abîme*; suff. -er*.
HISTORIQUE I.− Sens disparus av. 1789. − « Approfondir (un suj., une science) » : Chiens ki ce set bien abimer, Il doit orguel si sourmonter k'en son despit se doit despire. Li. XII. cordon, Richel. 2039, fo13 (Gdf.). − Rem. Constr. signalée inf. II A 2 a, rem. 1. II.− Hist. des sens attestés apr. 1789. − A.− Étymol. 1 (sens propre fort « jeter dans un abîme »). 1. Dans un cont. relig. et le plus souvent biblique cf. abîme, hist., introd. (abîme matériel mais à l'échelle divine c.-à-d. l'Enfer ou les enfers). Divers emplois gramm., le principal étant trans. direct. : 1reattest. 1231, cf. étymol. 1. xvies. : Dont il est necessaire que les uns soient par desespoir jettés en un gouffre qui les abysme. Calvin, Inst., 662 (Littré). xviies. : Abîmer les coupables, les uns par des tremblemens de terre, les autres par des déluges. D'Ablancourt, Luc. (Rich.). xviiies. : Les cinq villes que Dieu abyma. Ac. 1740. − Rem. 1. La var. emploi réfl. est impossible en parlant de Dieu qui ne peut s'abîmer lui-même. 2. Var. emploi passif : Or est nostre ange Lucifer Tresbuché, luy et ses complices, Es abismés palus d'enfer, Pour leurs faulx et orgueilleux vices. Mist. du viel Test., 1500, 547, A. T. (Gdf). Sodome et Gomorrhe furent abysmées. Nicot 1606. 2. Dans un cont. profane cf. abîme, hist., introd. (abîme matériel mais à l'échelle humaine). Grande variété d'emplois gramm. : a) Trans. direct : Un flot survient et l'abîme : on ne le revoit plus, il est noyé. La Bruyère, Car., XIII, 9 (Cayrou). Les ouragans abysment les vaisseaux. − Rem. 1. La var. emploi réfl. est possible mais rare (Fur. 1690 précise qu'elle s'emploie plus au fig. qu'au propre) : Mout de cités s'abismeront. Sydrac, Ars, ca 1291, 393 (Gdf). 2. Var. emploi passif : Le village de Frittole auprès de Puzzole a été abysmé. Nicot 1606. Un navire abîmé dans la mer, dans les flots. Ac. 1835. b) Intrans. : « s'abîmer, s'engloutir » : Si que les nefz sans crainte d'abismer Nageoient en mer à voilles avallées. Marot, Ballades, 7 (Hug.). Cette ville abysma en une nuit. Ac. 1694. − Rem. Emploi vieillissant au xixes. : Tomber soudainement en état de destruction, en ruine totale. Cette maison abîma tout à coup. Dans cette acception (...), il a vieilli. Ac. 1835. B.− Étymol. 2 (sens fig. « effacer, ruiner) ». 1. Fort (idée de destruction). a) Trans. direct. Se dit de tout ce qu'on plonge ou précipite comme dans un abîme : Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté Que pour les abîmer dans plus d'obscurité. Corneille, Horace, 1640, vers 746 (Cayrou). En partic. : On dit en matière de dispute et de raisonnement : ce Docteur a été abîmé par son adversaire, qui l'a réduit à ne rien répondre. Fur. 1701. − Rem. Var. emploi réfl. : Si tu savois dans quels maux mon cœur s'est abîmé, toi même tu voudrois qu'il n'eût jamais aimé. Molière (Rich.). « S'humilier devant Dieu », à la forme réfl. : On dit aussi s'abîmer devant Dieu pour dire s'humilier profondément, reconnaître son néant devant lui. Fur. 1701. « Perdre et ruiner entièrement » : . xviies. : (by metaphor) utterly, and on a sudden, to destroy, ruine, undoe, overthrow. Cotgr. 1611. . xviiies. : Les gros intérêts ont abymé ce Marchand. Trév. 1771. . xixes. cf. sém. II et aussi : Cet homme est puissant et vindicatif; il vous abîmera. Ac. 1835. − Rem. Var. emploi réfl. : Cet homme a si mal fait ses affaires qu'il s'est abymé. Fur. 1690. « Tuer, exterminer » : Il a abysmé son ennemy. Nicot 1606. b) Intrans. « périr » : xviies. : Je m'embarque sur la même mer où j'ai pensé tant de fois abîmer. Voiture, Poes. (Rich. 1680). xviiies. : Ce méchant abymera avec tout son bien. Trév. 1771. xixes. : Ac. 1835 souligne que abîmer « périr » est vieilli. 2. Affaibli. a) Idée de destruction, appliquée à une chose. Vers la fin du xviies., abîmer s'est empl. familièrement et par exagération pour exprimer le dommage causé à une chose ordinaire, banale; d'où « mettre hors de service, gâter, endommager ». Trans. : Le soleil abîme certaines étoffes. Littré. Var. emploi passif : . xviies. : Mes pauvres petits yeux sont abîmés. MmeDe Sévigné, 348 (DG). . xviiies. : Ce meuble est abîmé de taches. Ac. 1798. Var. pron. réfl. équivalent au passif : Cette robe s'abîme à la poussière. Ac. 1835. b) Idée de pénétration profonde (emploi fig. toujours pron. réfl. suivi de la prép. dans) cf. sém. I B 2. xviies. : S'appliquer profondément à quelque chose à force de contemplation. S'abîmer dans la méditation. Rich. 1680. xviiies. : S'abandonner tellement à quelque chose, qu'on ne songe à aucune autre. S'abysmer dans ses pensées. S'abysmer dans l'étude des Mathematiques. S'abysmer dans la douleur. Ac. 1718.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 644. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 681, b) 960; xxes. : a) 1 307, b) 854.
BBG. − Spr. 1967.

ABÎMÉ, part. passé et adj.

I.− Qui est jeté, plongé dans un abîme.
A.− [En parlant d'une pers. ou d'une chose] Qui est tombé et a disparu au fond d'un abîme ou de toute autre cavité de l'espace physique :
1. − Je le croyais noyé, disparu, abîmé avec tout l'équipage du Britannia. Je pensais avoir survécu seul. J. Verne, Les Enfants du capitaine Grant,t. 2, 1868, p. 72.
2. Sous l'azur tendre de la belle journée, c'était un cloaque, les ruines d'une ville abîmée et fondue dans de la boue. É. Zola, Germinal,1885, p. 1556.
P. ext. [En parlant d'une région géogr.] Qui contient des abîmes, est creusé d'abîmes :
3. La Germanie « hérissée de forêts et abîmée de marécages », sous un ciel triste, où le printemps n'existe guère, sur cette terre, ils rêvent de proie. M. Barrès, Mes cahiers,t. 11, 1918, p. 219.
Emploi fig. :
4. Combien de découvertes n'ai-je pas faites durant ces quarante premiers jours pleins d'amertumes réelles, de joies tacites, d'espérances tantôt abîmées, tantôt surnageant! H. de Balzac, Le Lys dans la vallée,1836, p. 72.
HÉRALD. Qui se trouve dans l'abîme d'un écusson (cf. abîme) :
5. ... le cintre était surmonté de l'écusson de pierre, aux armes de l'antique famille des comtes d'Athol, savoir : d'azur, à l'étoile abîmée d'argent, ... P.-A.-M. de Villiers de L'Isle-Adam, Contes cruels, Vera, 1883, p. 21.
B.− Contexte profane ou religieux[En parlant d'une pers., l'adj. étant souvent accompagné d'un compl. introduit par la prép. dans + n. de chose ou en + Dieu] Qui est absorbé par une activité ou une préoccupation de nature intellectuelle, spirituelle ou affective :
6. Souvent on la surprend au pied des autels, à genoux sur le marbre, abîmée dans un profond recueillement, ne voyant rien, n'entendant rien de ce qui se passe autour d'elle ... MmeCottin, Mathilde,t. 2, 1805, p. 69.
7. Je suis convaincu que depuis le commencement du monde, il n'a pas existé deux hommes vivant comme nous, uniquement plongés, abîmés, engloutis dans les choses d'intelligence et d'art. E. et J. de Goncourt, Journal,févr. 1862, p. 1021.
8. Il y vécut jusqu'en 1830, solitaire et abîmé dans l'étude, plongé dans la lecture, en tirant une éducation immense, un savoir en tout sens, ... E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 17.
9. ... elle y répondit par un air de stupeur qui pouvait exprimer une soumission abîmée aussi bien qu'une morne indifférence. A. France, Les Dieux ont soif,1912, p. 138.
10. Nous devons être (et par lui) tout changés en lui, consommés et abîmés en lui [Dieu]; ... H. Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France,t. 3, 1921, p. 377.
II.− [En parlant d'une chose ou d'une pers.] Qui a subi un dommage, une dégradation de sa valeur (cf. abîmer II).
A.− [En parlant d'une chose] :
11. Quelque chose de bougrement magnifique, ce sont les tombeaux des rois (...) C'est très ravagé et abîmé, non pas par le temps, mais par les voyageurs et les savants. G. Flaubert, Correspondance,1850, p. 205.
12. Des gestes redonnaient force aux mots abîmés par un trop fréquent usage. R. Queneau, Pierrot mon ami,1942, p. 17.
B.− [En parlant d'une pers., parfois d'un pays habité, cf. ex. 14] :
13. Je suis abîmé d'avoir été si longtemps dans le monde. Quel étouffoir pour toute espèce de talent! B. Constant, Journaux intimes,sept. 1804, p. 136.
14. Les journaux de France, en comparant l'état des finances des deux pays, représentaient toujours l'Angleterre comme abîmée de dettes, et la France comme maîtresse d'un trésor considérable. G. de Staël, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française,t. 2, 1817, p. 305.
15. ... elle courut sur un sol qui était un peu mieux battu, abîmée, déchirée, salie à se faire peur, si elle avait pu se voir. L.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 329.
16. ... j'ai passé toute la semaine dernière dans mon lit, tellement abîmé de rhumatismes que je ne pouvais faire un mouvement sans crier. G. Flaubert, Correspondance,1862, p. 52.
17. ... je constate que l'homme actuel est un être abîmé, dégradé, par le système social qu'il subit. R. Martin du Gard, Les Thibault,L'Été 1914, 1936, p. 164.
C.− [En parlant d'une partie de l'être phys. ou psychique, ou de l'aspect de l'homme] :
18. Ah! Quel déchirement cette nouvelle affreuse m'a causé! A peine si je puis vous écrire, tant mes yeux sont abîmés par les larmes. G. de Staël, Correspondance générale,Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794, p. 228.
19. ... ces pauvres lieux où l'on fumait des cigarettes de Maryland, roulées si poétiquement avec des doigts abîmés d'engelures! G. Flaubert, Correspondance,1857, p. 218.
20. ... ses cheveux jaunes, rares et collés sur le crâne, donnent à sa figure un air usé, un air sale, un air abîmé tout à fait affreux. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Une Vente, 1884, p. 140.
21. Après un instant la paysanne retira sa main abîmée par les grosses besognes, dont les ongles étaient chargés de terre, et la laissa tomber sur son tablier. P.-J. Jouve, Paulina i880, 1925, p. 255.
Rem. L'adj. empl. au sens II est fréquemment accompagné d'un compl. introduit par l'une des prép. dans, sous, par ou de, et indiquant les circonstances dans lesquelles s'est produit l'abîmement. Avec dans, le compl. suggère l'image d'un être tombé au fond d'un abîme; avec sous, l'image est celle d'un écrasement sous la masse des éboulis; par et de introduisent un compl. d'agent ou de cause; par se construit avec un nom actualisé par l'article, avec l'idée que l'agent est une force de destruction; de se construit avec un inf. ou avec un nom sans article qui en raison de son indétermination suggère une idée de cause type, voire de mal(adie) déjà classique.
En emploi subst. :
22. Les dernières, deux vieilles, ficelées dans des paquets de loques, la face noire de la poussière de la route où elles se prosternent par moments, chantent une de ces plaintes entrecoupées de longues aspirations et de hoquets, qui est le désespoir professionnel de ces abîmés. P. Claudel, Connaissance de l'Est,1907, p. 26.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 386. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 463, b) 571; xxes. : a) 742, b) 493.

Wiktionnaire

Forme de nom commun - français

abimes \a.bim\ masculin (orthographe rectifiée de 1990)

  1. Pluriel de abime.
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Fréquence d'apparition du mot « abimes » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « abimes »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Combien de points fait le mot abimes au Scrabble ?

Nombre de points du mot abimes au scrabble : 10 points

Abimes

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