« J’ai envie de bâiller mais je ne veux pas donner l’impression de bayer aux corneilles. »
Lors d’une discussion avec un proche, celui-ci m’affirmait que « bâiller » s’écrivait en fait « bayer » avec un « y » ! Me voici donc devant vous pour étudier ce cas particulier ainsi que ses homophones, afin de pouvoir exprimer correctement notre fatigue suite à une longue journée de labeur.
Alors faut-il écrire « bâiller », « bailler » ou « bayer » ? Voici la réponse.
Faut-il écrire « bâiller », « bailler » ou « bayer » ?
On écrit « bâiller » : lorsqu’il s’agit d’évoquer le bâillement par son verbe, on écrira « bâiller » sans « y ». « Bâiller » avec un accent circonflexe signifie « ouvrir involontairement la bouche en inspirant et en contractant les muscles du gosier » ou, par analogie, « être ouvert, béant, mal ajusté ». Attention, l’accent circonflexe est sur le « a » et non sur le « i ».
Exemples : Je commence à bâiller après minuit car je suis fatigué. Après un premier bâillement, j’ai besoin de bâiller à nouveau. Le col de cette chemise bâille (dans le sens « est mal ajusté »). La fenêtre bâille.
On écrit « bailler » : « bailler » sans accent circonflexe est un terme à l’usage vieilli qui signifie « donner ». Il est dérivé aujourd’hui du « bail » et du « bailleur » à propos d’un contrat de location, ou du « bailleur de fonds » (personne qui finance un projet).
Exemples : Justine me l’a baillé bonne (vieille expression signifiant « chercher à faire accroitre »). « Elle me l’a bailler belle » (dans le sens « chercher à me tromper »). Selon ce contrat, le vendeur lui a baillé la maison (dans le sens « lui a donné la maison »).
On écrit « bayer » : « bayer » est souvent confondu avec « bâiller » car son sens en est très proche. Il signifie en effet « rester la bouche ouverte, être bouche bée, s’étonner »… ce qui est la position physique lorsqu’on bâille ! Ce terme vieilli n’est cependant plus qu’utilisé dans l’expression « bayer aux corneilles » qui signifie « perdre son temps en regardant niaisement en l’air, rêvasser ».
Exemples : Je n’ai fait que bayer aux corneilles aujourd’hui. Il bayait d’admiration devant les danseuses.
Attention à bien l’écrire avec un « y ». Selon Félix Biscarrat dans son Nouveau manuel de la pureté du langage (1835), bien que la forme bailler aux corneilles puisse se comprendre dans le sens de « faire quelque chose d’aussi niais que de prêter de l’argent aux corneilles », elle est erronée : « Bayer aux corneilles. Ne dites pas bailler aux corneilles. » — (Félix Biscarrat, Nouveau manuel de la pureté du langage, 1835.
L’origine de l’expression « bayer aux corneilles »
Quelle est cette histoire de corneilles me direz-vous ! Au XVIIe siècle l’expression « bayer aux corneilles » se disait « bayer aux grues ». L’idée était de désigner la futilité de la corneille en tant que proie pour les chasseurs. « Corneille » désigne en effet un petit oiseau qui n’a pas de valeur pour le chasseur tant il est petit.
« Corneille » désigne également de façon dépréciative le fruit du cornouiller dont la saveur est peu appréciée et donc de peu d’intérêt. Ainsi, « bayer aux corneilles » pourrait signifier « perdre son temps en regardant une chose aussi insignifiante que l’est la corneille pour le chasseur » ou « le fruit du cornouiller pour l’amateur de fruits ».
Quelques exemples de cette expression dans la littérature avec une variante :
« La plupart des gens de province ne se rendent évidemment pas un compte exact des procédés que les gens illustres emploient pour mettre leur cravate, marcher sur le boulevard, bayer aux corneilles ou manger une côtelette. » – Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844
« Cet abbé Plomb, il a l’air d’un sacriste effaré ; il bâille à l’on ne sait quelles corneilles ; et il semble si mal à l’aise, si jean-jean, si gauche… ». – Joris-Karl Huysmans, La Cathédrale, 1915 (variante)
J’espère que cet article vous a laissé bouche bée et que vous n’avez pas bâillé d’ennui à sa lecture ! Vous connaissez désormais les différences entre « bâiller », « bayer » et « bailler ». N’hésitez pas à consulter les autres articles sur les petites règles d’orthographe de la langue française et à partager l’article à vos proches.
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Heu…la faute de conjugaison du verbe avoir dans votre commentaire final me laisse rêveuse…
Merci c’est corrigé !
Nicolas.
Pourquoi parle-t-on de la futilité DU Corneille alors que L’ oiseau est LA CORNEILLE ?
Merci pour toutes ces règles très intéressantes
Salut !
Cosette
Bonjour Cosette,
En effet vous avez raison ! C’est corrigé.
À bientôt,
Nicolas.
il est souvent bon le savoirs car un homme doit savoirs s’exprime
Humour ?
Dans votre expression “Elle me l’a bailler belle”, «bailler» ne devrait-il pas s’écrire baillé? (ex. :
elle me l’a dit et non dire)
Je viens de lire l’article et cette faute d’orthographe m’a sauté aux yeux. Nicolas n’a apparemment pas vu votre commentaire. Bien sûr qu’il faut écrire « elle me l’a baillé belle ».
Exemples : Justine me l’a baillé bonne (vieille expression signifiant « chercher à faire accroitre »). « Elle me l’a bailler belle » (dans le sens « chercher à me tromper »). Selon ce contrat, le vendeur lui a baillé la maison (dans le sens « lui a donné la maison »).
Elle me l’a BAILLER belle ? Vraiment ??? GRRRRR
Vous avez écrit : « Elle me l’a bailler belle »… Je pense qu’il conviendrait d’écrire : » Elle me l’a baillée belle ».
Cordialement
La corneille n’est pas un petit oiseau 😉 par contre probablement sans intérêt culinaire, donc sans intérêt pour le chasseur
Excellent article utile !
Une petite faute : dans la deuxième série d’exemples, l’expression « chercher à faire accroitre » ne devrait-elle pas s’écrire « chercher à faire accroire » ?
Car il me semble qu’il s’agit ici de croyance et non de croissance…
«Il ne faut pas bayer aux corneilles» était l’une des expressions de Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, lorsqu’il voulait encourager quelqu’un ou l’inciter à quelque entreprise.
Je viens d’apprendre ça dans le roman Humiliés et offensés, traduit par Sylvie Luneau.