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Tirer les marrons du feu : définition et origine de l’expression

La langue française est vivante, et le sens de ses expressions change avec le temps, les usages, et les différentes manières dont on se les approprie. Tel est le cas de la locution « tirer les marrons du feu », une formule ancienne s’il en est, puisqu’elle remonte au XVIIe siècle — bien qu’elle ait depuis dévié de son acception première.

Dans cet article, nous reviendrons sur la provenance de cette image, et sur l’évolution de ses interprétations : quelle était sa signification originale, et dans quel contexte l’emploie-t-on aujourd’hui ? Retour sur la définition et l’origine de l’expression « tirer les marrons du feu ».

Définition de l’expression « tirer les marrons du feu »

Dans son sens initial, « tirer les marrons du feu » signifie prendre des risques pour autrui, sans en récolter le moindre profit. Celui ou celle qui « tire les marrons du feu » se donne de la peine, voire entreprend une mission périlleuse, pour le seul avantage de quelqu’un d’autre. 

Comme nous le verrons plus loin, la formule fait référence à une fable de Jean de la Fontaine, « Le Singe et le Chat », dans laquelle ledit Chat se met en danger pour voler des marrons, pour que le Singe lui dérobe aussitôt les fruits de son labeur.

Illustration de la fable Le Singe et le Chat par Gustave Doré
Illustration de la fable Le Singe et le Chat par Gustave Doré

Depuis, l’expression a connu un glissement de sens, dans le même temps qu’elle a subi un changement de perspective : désormais, ce n’est plus la personne qui prend les risques qui « tire les marrons du feu », mais celle qui en recueille les bénéfices

De ce fait, « tirer les marrons du feu » est aujourd’hui employée pour signifier « tirer profit d’une situation aux dépens d’autrui ». La formule trouve donc une signification analogue à « tirer son épingle du jeu » ou « tirer la couverture à soi », en désignant cette attitude opportuniste qui consiste à s’attribuer le mérite des autres, ou bien d’un contexte hasardeux et fortuit.

Origine de l’expression « tirer les marrons du feu »

Si l’expression a changé de sens, c’est sans doute parce qu’elle s’est vue raccourcie avec l’usage. À l’origine, on employait la formule « tirer les marrons du feu avec la patte du chat », en référence directe à la fable de La Fontaine, « Le Singe et le Chat » :

[...]
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galands y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd'hui
Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,
D'une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.
Une servante vient : adieu mes gens. Raton
N'était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des Provinces
Pour le profit de quelque Roi.

Jean de la Fontaine, Fables, Le Singe et le Chat

Dans celle-ci, Bertrand, le Singe, et Raton, le Chat, sont deux animaux domestiqués par un grand seigneur. Ils tirent avantage de leur vie fastueuse et paresseuse pour se repaître des denrées de leur maître et commettre de mauvais coups. 

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Un jour que des marrons sont en train de cuire au-dessus d’un feu, Bertrand demande à Raton, dont les pattes sont plus adroites, de tirer ces marrons hors du feu, ce que le Chat s’empresse de faire. Cependant, le Singe s’empare aussitôt des marrons et les déguste seul, laissant le Chat circonspect, et déçu de s’être donné du mal pour son compère sans en recevoir le moindre profit.

Exemples de l’usage de l’expression « tirer les marrons du feu »

Ils ne rechignaient ni à la peine ni au sacrifice, sachant bien que, de tout le mal qu’ils se donnaient, eux-mêmes recueilleraient les fruits, ou à défaut leur descendance et non une bande d’humains désœuvrés, tirant les marrons du feu.

George Orwell, La ferme des animaux

Enfin l’ouvrier a compris, il est las de tirer les marrons du feu pour l’U. R. S. S. et marque sa défiance au Parti qui voulait le dresser contre les institutions républicaines ; rassasié de violence, il retourne à son jardinet de banlieue, à la douceur tant vantée de ses mœurs.

Jean-Paul Sartre, Situations

Mais aucun des projets d'une telle action, que préconisaient alors les esprits les plus éclairés d'Occident, ne fut mis en œuvre, en raison de la politique bornée et égoïste menée surtout par les Etats italiens, et notamment par le Saint-Siège, qui entendait faire tirer les marrons du feu par les Albanais, les peuples balkaniques ou d'autres encore.

Ismaïl Kadaré, Les Tambours de la pluie

Et que fait le Piémont ? A part ce charroi nocturne dans les forêts et sur mon lac ? Il joue un jeu de malice, le roi tout au moins. Il attend qu'on tire les marrons du feu.

Jean Giono, Le bonheur fou
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Nicolas Lafarge-Debeaupuis

Nicolas Lafarge-Debeaupuis

Nicolas Lafarge-Debeaupuis est rédacteur indépendant, et prête ses mots à différents médias et entreprises. Se décrivant volontiers comme « un geek avec une plume », il se sent dans son élément naturel lorsqu’il écrit sur des sites web tels que La langue française.

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