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Lait

Variantes Singulier Pluriel
Masculin lait laits

Définitions de « lait »

Trésor de la Langue Française informatisé

LAIT, subst. masc.

I. − Liquide physiologique, blanc, opaque, légèrement sucré, de densité supérieure à celle de l'eau, sécrété par les glandes mammaires de la femme et des mammifères femelles.
A. − [La sécrétion se produit naturellement après la parturition]
1. [Lait considéré comme aliment naturel du nouveau-né, sécrété par les glandes mammaires de la femme] Lait maternel; gorge gonflée de lait; nourrir un enfant de son lait; avoir beaucoup, peu de lait. Achetez-moi ces numéros; c'est pour donner un morceau de pain à ma femme, à ma pauvre femme, qui n'a presque plus de lait pour son enfant (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 67).Une jeune mère (...) maigre et pâle, donnait le sein à un enfant malingre. L'enfant, qui ne trouvait plus de lait, criait, mais ses cris étaient faibles et les sanglots l'étouffaient (France, Dieux ont soif,1912, p. 74).L'enfant sevré n'est pas ingrat s'il repousse le sein de sa mère. Ce n'est plus du lait qu'il lui faut (Gide, Nouv. Nourr.,1935, p. 297):
1. La mère, grande et droite comme la tige du sapin de ces montagnes, forte, puissante, et telle qu'on se figure la mère du genre humain, s'applaudissait d'avoir mis au jour douze enfants, de les avoir tous et longtemps abreuvés de son lait. Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 177.
Lait colostral. Synon. colostrum.Il y a, en effet, beaucoup plus de protéines et de sels minéraux dans le lait des premiers jours, appelé lait colostral, et beaucoup moins de lipides et de lactose, que dans le lait du 30ejour, appelé lait parfait (Livre d'or pour une future maman, Paris, Éd. du Livre d'or, 1978, p. 25).
Croûte*(s) de lait.
Tire-lait*.
Fièvre de lait. Fièvre apparaissant chez la mère lors de la montée du lait. Il avait perdu en très bas âge son père et sa mère. Sa mère était morte d'une fièvre de lait mal soignée (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 106).
Fille, frère, sœur de lait. Enfant qu'une femme nourrit de son lait en même temps que son propre enfant. Cette maison, c'est celle qu'habitait ma nourrice (...) c'est celle où j'ai été élevée, avec une petite sœur de lait qui est morte (Dumas père, L. Bernard,1843, I, 2, p. 202):
2. ... encore une, celle-là, qui lui devait une belle chandelle! Fille séduite dont l'enfant était mort, nourrice de Séverine qui venait de coûter la vie à sa mère, plus tard femme d'un chauffeur de la compagnie, elle vivait mal, à Paris, d'un peu de couture, son mari mangeant tout, lorsque la rencontre de sa fille de lait avait renoué les liens d'autrefois, en faisant d'elle aussi une protégée du président... Zola, Bête hum.,1890, p. 12.
Dent(s), incisive(s), molaire(s) de lait. Première(s) dent(s) des enfants destinée(s) à tomber vers l'âge de six-sept ans. Le frêle petit crâne était fracassé comme une noix, c'était un enfant de huit ans, et quelques dents de lait tiennent encore à la mâchoire (Claudel, Annonce,1912, p. 18).
Loc. [En parlant d'un enfant, d'un adolescent qui prétend agir, se comporter en adulte] Si on lui pressait/serrait/tordait le nez, il en jaillirait/sortirait du lait. Un moutard (on lui presserait le nez, il en sortirait du lait) qui voudrait m'empêcher d'aller aux cabinets et de faire mes nécessités! (Courteline, Ronds-de-cuir,1893, 2etabl., 2, p. 66).Chacun, sans malice, lui rabattait le caquet : « Si l'on te pressait le nez, il en sortirait du lait » (Mauriac, Myst. Frontenac,1933, p. 77):
3. Ce tas de morveux! ça se convoque sur la place du Panthéon! vertu de ma vie! des galopins qui étaient hier en nourrice! si on leur pressait le nez, il en sortirait du lait! où va-t-on? Il est clair qu'on va à l'abîme. Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 828.
Var. « Sacrés jean-foutres de blancs-becs! », grogne le facteur, en promenant autour de lui un œil courroucé. « Le lait leur coule encore des narines, et ça voudrait déjà chambarder tout! » (Martin du G., Vieille Fr.,1933, p. 1094).
Loc. proverbiale Le vin est le lait des vieillards. Le vin donne aux vieillards des forces, les soutient. Un quasi centenaire de mon pays, qui savoure chaque jour son petit verre d'Armagnac, a coutume de dire : c'est le lait des vieillards (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 51).
P. euphém. Lait noir. Boisson alcoolisée. Buvez du whisky, qui est un remède contre la morsure du serpent. C'est la consolation de ceux qui sont seuls et dont personne n'a souci. Buvez le lait noir! C'est un bon conseil que je vous donne! C'est bon! (Claudel, Échange,1894, III, p. 703).
2. [Lait considéré comme aliment naturel des jeunes animaux, sécrété par les glandes mammaires des femelles des mammifères] La Moune [une vieille chatte ] considère cela [ses deux chatons morts] sans s'émouvoir; le lait n'est pas monté : c'est le secret de son indifférence. À la montée du lait commence l'amour maternel (Gide, Journal,1912, p. 364):
4. ... ils [les petits chiens et les petits chats] savent ramper entre ses jambes, pour aller chercher le mamelon; ils ne se trompent, ni sur sa forme, ni sur la nature du service qu'ils en attendent, ni sur les moyens d'en exprimer le lait. Cabanis, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 106.
Agneau, cochon, veau de lait. Jeune animal qui tète encore, ou qui est nourri exclusivement au lait. Longe de veau de lait aux champignons. M. de Courtin ajoute que « dans un cochon de lait, ce que les plus friands y trouvent de meilleur est la peau et les oreilles » (France, Vie fleur,1922, p. 488).La petite fille, une main au cou d'un veau de lait attaché au râtelier, ignorant s'il tétait encore ou non, lui offrait de l'autre une poignée d'herbe (Pesquidoux, Livre raison,1932, p. 173).
Dent(s), molaire(s) de lait. Première(s) dent(s) des jeunes animaux :
5. Dans l'éléphant des Indes, les défenses de lait tombent le douzième ou le treizième mois; celles qui leur succèdent croissent toute la vie. Les molaires de lait paroissent huit ou dix jours après la naissance. Cuvier, Anat. comp., t. 3, 1805, p. 136.
3. Au fig. Première nourriture spirituelle. Une meilleure philosophie mettra toutes ces vérités sous les sens, et elle en fera à la fois le lait de l'enfance et le pain des forts (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 182).Jacques apportait le plus efficace des cordiaux : une bouffée toute chaude de cet air de France, l'atmosphère de la famille, de l'enfance, lait nourricier qui réconforte l'homme dans l'épreuve (Vogüé, Mort,1899, p. 255).
Loc. Sucer avec le lait une philosophie, une doctrine, une opinion, etc...; boire, sucer le lait d'une philosophie , d'une doctrine, etc... La recevoir dès la plus tendre enfance. Vous avez sucé dans vos lycées le lait de la révolution, et vos idées politiques peuvent s'en ressentir (Balzac, Lys,1836, p. 103).Son fils aîné, ainsi que son second fils, l'abbé de Lamartine, élevés l'un et l'autre dans les doctrines du dix-huitième siècle, avaient sucé, dès leur enfance, le lait de cette philosophie qui promettait au monde un ordre nouveau (Lamart., Confid.,1849, p. 35):
6. En lui, l'homme civilisé se révoltait, la force acquise de l'éducation, le lent et indestructible échafaudage des idées transmises. On ne devait pas tuer, il avait sucé cela avec le lait des générations... Zola, Bête hum.,1890, p. 205.
B. − [La sécrétion est obtenue de manière continue et indépendamment de la parturition]
1. Produit de la sécrétion mammaire de certains mammifères domestiques, obtenu par une ou plusieurs traites et qui est destiné à la consommation humaine. Le renne moussivore offre au lapon, dans ses quatre mamelles, un lait plus épais que celui de la vache (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 73).La Perrine tira un gros verre de sa poche, appela une des biquettes. C'était bon, ce lait qui moussait (Pourrat, Gaspard,1931, p. 103):
7. ... on n'avait pas d'autre lait que celui de la chèvre, pour le déjeuner du matin. − Les premiers jours, on le trouve un peu fort, affirmait-elle, mais après on s'y habitue bien : c'est du lait... Bosco, Mas Théot.,1945, p. 40.
Lait de + subst.[Le subst. indique de quel mammifère provient le lait] Lait de bufflonne, de chamelle, de louve. Avez-vous bu du lait de martre zibeline?... Ah! buvez du lait de martre zibeline... C'est tellement ravissant! (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 207).J'ai vu en Amérique du sud des lépreux boire du lait de vache, d'ânesse, de jument, de chèvre, de brebis et même de vigogne sans en ressentir aucun effet contraire (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 227).
En partic. [Lait destiné à un autre usage que l'alimentation] L'arme sérieuse et presque unique de la femme est sa beauté, et (...) cette arme demande à être soigneusement entretenue, [la coquette] demanda un bain de lait (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 167).La foule était invitée à voir préparer le lait pour le bain. Cent ânesses se laissaient traire (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 614).
P. métaph. C'est parce que c'est leur petit bain de lait l'idée d'un grand artiste miné par la misère et que sa grandeur seule rend inapte (...) à gagner six mille malheureux sous (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1888, p. 237).
2.
a) [Gén. en emploi abs. car la dénomination lait est réservée exclusivement au lait de vache] Produit de la sécrétion mammaire de la vache laitière destiné à la consommation humaine. Au point du jour, les paysans qui descendaient leur lait et leurs denrées à la ville, aperçurent, en traversant le pont de pierre, un cadavre de jeune femme (Borel, Champavert,1833, p. 154).Un bruissement lointain de liquide, une odeur de roussi fade et vaguement sucrée, de lait bouillant débordant sur le feu (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 290).Tout ce qui se fait avec le lait : beurre, crème, petit-lait, lait caillé, fromages frais et fromages durs (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 169):
8. ... les deux Malivoire, mère et fille, à genoux sous le ventre de la vache, tirent par un vif mouvement des mains sur le pis gonflé, qui jette, à chaque pression, un mince fil de lait dans le seau. La mousse un peu jaune monte aux abords et les femmes vont de bête en bête jusqu'au bout de la longue file. Maupass., Contes et nouv., t. 1, Aveu, 1884, p. 159.
SYNT. Lait aigre, aigri, crémeux, frais, fumant, impur, mousseux, pur; bol, bouteille, cruche, jatte, litre, pot, tasse, verre de lait; conservation, consommation, contrôle, coupage, production, ramassage, stérilisation du lait; écume, crème du lait; battre le lait; boire, faire bouillir, faire tourner, frelater, tirer, verser du lait; lait qui se sauve; régime du lait; cure de lait; chat qui lape du lait; aller acheter son lait.
Au lait. Additionné de lait, ou cuit avec du lait. Chocolat, petit pain, potage, purée au lait; tremper un croissant dans un café au lait. Cottard essaya, pour calmer l'agitation de sa malade, le régime lacté. Mais les perpétuelles soupes au lait ne firent pas d'effet parce que ma grand'mère y mettait beaucoup de sel (Proust, Guermantes 1,1920, p. 298).Il y a dans tous les coins des bassines de riz. Il paraît que c'est du riz au lait (Malraux, Espoir,1937, p. 854):
9. ... les ouvriers ne manquent jamais, lors de la sortie d'une nouvelle tablette-régal ou d'un goûter-au-lait d'une forme moderne, de venir offrir à ces demoiselles les fleurs vigoureuses de la montagne... Aragon, Beaux quart.,1936, p. 9.
Expr. fig.
S'emporter, monter comme une soupe au lait. Se laisser aller à de brusques mouvements de colère. C'est que je ne l'ai pas laissé parler; je me suis emporté comme une soupe au lait, et je suis parti (Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 216).Son seul défaut c'était sa pétulance. Il montait... montait, ainsi qu'une soupe au lait, alors qu'il s'apercevait que des religieux n'observaient pas la règle (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 64).
Monter en soupe au lait (rare). La colère de Grande montait en soupe au lait et ne durait guère. Du reste, Gaspard ne le laissa pas la remettre sur le feu (Pourrat, Gaspard,1922, p. 84).
Au fig. Soupe au lait. Personne qui s'emporte rapidement. Quelle mouche a piqué ce... ce... A-t-on idée d'un tel emportement? Une soupe au lait. Une vraie soupe au lait. Car enfin... enfin, oui, c'est stupide, c'est ridicule... (Arland, Ordre,1929, p. 391).« Soupe au lait », sa vengeance se dégrade facilement en injure, qui reste sans lendemain (Mounier, Traité caract.,1946, p. 293).
Vache à lait. Vache laitière. Au fig. Personne, chose que l'on exploite. Les Français sont-ils aujourd'hui plus heureux et plus libres qu'ils ne l'étaient avec moi? Payent-ils moins d'impôts. Quelle vache à lait que cette France! (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 228).Ne lâchons pas l'enfant. Voilà que cette mauviette va devenir une vache à lait (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 248).
Pot au lait. [P. allus. à la fable de La Fontaine : La laitière et le pot au lait] Mais j'avoue que je regrette les milles francs que j'aurais pu gagner. Mon petit pot au lait est brisé. Je voulais renouveler le mobilier de Croisset; bernique! (Flaub., Corresp.,1874, p. 128):
10. ... après une première superbe et semblant annoncer cent représentations, après un chorus laudatif de toute la critique et tous les rêves qu'on avait le droit de faire, maigre recette de deux mille et quelques cents francs... C'est le pot au lait de Perrette, qui se casse dans le ménage! Goncourt, Journal,1860, p. 778.
Petit lait. Synon. lactosérum (s.v. lact(i)-, lact(o)-).V. crémoir ex. de Zola, Terre, 1887, p. 439 :
11. Je suis parti de bonne heure, à l'heure solaire toutefois, pour assister à l'arrivée du lait, voir le ventre de l'usine engloutir le flot blanc et d'organe en organe le séparer en ruisselets de crème et de petit lait, le rafraîchir, le mûrir, le muer à la fin en beurre, mottes fermes et onctueuses... Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 213.
Au fig. Boire* du (petit) lait :
12. On était comme une terre éclairée, chauffée du soleil, arrosée des bonnes pluies tièdes de printemps, des bonnes pluies tièdes d'automne. (...) On était dans la joie, tu comprends. On pleurait de joie. Tu en aurais pris pour ton grade. On pleurait de joie. On se rendait. On pleurait de grâce. Tout le monde. On buvait ce lait. On se ravitaillait, on se rassassiait, on se baignait dans cette grâce. Péguy, Myst. charité,1910, p. 144.
Boire le lait des paroles de qqn. Boire les paroles de quelqu'un. Heureux ceux qui buvaient le lait de vos paroles (Péguy, Myst. charité,1910p. 47).
Bouillir* du lait à qqn.
Avaler qqc. comme du lait doux. Écouter avec délectation des louanges, des compliments; entendre avec indifférence des choses désagréables. Un bel esprit ridicule. Lui ai dit les choses les plus fortes, qu'il a avalées comme du lait doux (Barb. d'Aurev., Memor. 2,1839, p. 234).
[P. allus. à la Bible, Nombres 13, 27] Israël au milieu de ses champs dévastés et de ses citernes sèches ronge le cuir de ses sandales et continue dans une terre promise, jadis coulant de lait et de miel, mais dont aujourd'hui la mer morte constitue la principale curiosité, son épouvantable hivernage (Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 79).
b) INDUSTR. LAITIÈRE
Lait (industriel) humanisé, maternisé. Lait de vache dont la composition est modifiée afin de la rapprocher de celle du lait de femme :
13. ... le lait colostral des premiers jours et la sécrétion qui lui fait suite, c'est-à-dire le lait de transition, ont une composition tout à fait différente de celle d'un lait industriel dit maternisé. Il serait d'ailleurs fortement souhaitable que ces laits maternisés puissent disposer d'une formule du premier âge (0 à 30 jours ou 40 jours) qui copieraient la concentration du lait colostral, ce qui n'est pas le cas actuellement. Livre d'or pour une future maman, Paris, Éd. du Livre d'or, 1978, p. 25.
Lait concentré, condensé. Lait (homogénéisé pour éviter la séparation de la crème et du lait) obtenu par l'évaporation partielle de l'eau contenue dans le lait. Caisse, tube de lait condensé; être friand de lait concentré. [Il] fit chauffer du lait condensé étendu d'eau (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1616).
Lait concentré sucré. Lait obtenu par addition d'une solution de saccharose avant l'évaporation de l'eau :
14. ... souvent, on ajoute du sucre dans le lait concentré (laits concentrés sucrés). Ces laits concentrés ont une valeur énergétique très grande sous un faible volume et ils sont constitués par les principes nutritifs du lait; pour les utiliser on peut les diluer avec de l'eau, et on obtient un aliment qui rappelle le lait, mais qui est moins riche en vitamines et en diastases. R. Lalanne, Alim. hum.,1942, p. 77.
Lait écrémé. Sous-produit de la fabrication du beurre et qui ne contient plus que des traces de matières grasses. La caséine contenue dans le lait écrémé, résidu de la fabrication de crème, premier stade de la préparation du beurre, est une protéine de haute valeur alimentaire (Brunerie, Industr. alim.,1949, p. 66):
15. Le lait écrémé. Pour fabriquer le beurre, on retire la crème, c'est-à-dire les matières grasses du lait; le lait écrémé ainsi obtenu est beaucoup moins riche que le lait entier... R. Lalanne, Alim. hum.,1942p. 76.
Lait en poudre. Lait (entier, écrémé ou partiellement écrémé) qui est d'abord pasteurisé, concentré puis réduit en poudre par évaporation rapide et quasi-totale de l'eau. Par dessiccation presque complète du lait, on obtient le lait en poudre, aliment très riche, qui possède les principes nutritifs du lait à des concentrations six à huit fois plus fortes, sauf en ce qui concerne les vitamines, qui se trouvent partiellement détruites au moment de la fabrication. Ces laits desséchés se conservent bien s'ils sont à l'abri de l'air, mais ils rancissent assez vite dans le cas contraire (R. Lalanne, Alim. hum.,1942p. 77).
Lait pasteurisé. Lait ayant subi un traitement thermique afin de détruire la majeure partie de ses germes microbiens, mais qui ne peut se conserver que deux jours. Dans les grandes villes, les laits sont pasteurisés, c'est-à-dire traités par la chaleur qui détruit la plus grande partie des microbes présents, (et malheureusement aussi une fraction des vitamines) (R. Lalanne, Alim. hum.,1942p. 76).
Lait stérilisé. Lait dont les germes vivants sont totalement détruits par un traitement thermique approprié et qui peut être conservé pendant plusieurs mois. Il vaut mieux recourir au lait stérilisé industriel qui a l'avantage d'être chauffé aussitôt après la traite et d'être d'une conservation extrêmement longue (Macaigne, Précis hyg.,1911, p. 242).
3. Littéraire
a) [P. compar. de couleur] Subst. + de + lait.Qui a la blancheur du lait. Bras, cou, doigts de lait; chair, peau de lait; corps, visage de rose(s) et de lait. Vingt ans, adorablement blonde, des yeux bleus, un teint de lait, rayonnante, d'une santé divine (Leroux, Myst. ch. jaune,1907, p. 21).Si ses yeux avaient pu traverser l'ombre et l'épaisseur des objets, elle aurait pu voir le corps du dormeur, son grand corps d'un blanc de lait (Green, Moïra,1950, p. 38).
b) [P. compar. dans le domaine du toucher] Qui a la douceur du lait. Mais cet enfant si bienveillant, tout de lait, bientôt pour assurer sa vie va commencer l'indéfinie série des meurtres (Barrès, Cahiers, t. 1, 1896, p. 125).Parle encore! Maintiens à toutes les issues de mon âme cette parole de lait! (Claudel, Ours et lune,1919, 1, p. 591).
II. − P. anal.
A. − Liquide blanc, ayant l'apparence du lait et se trouvant dans certains fruits, certaines plantes (v. latex). Lait de concombre, de palme. J'ai vu de même recueillir la résine des pins, la gomme maladive des merisiers, le lait des figuiers élastiques, le vin des palmiers étêtés (Gide, Nourr. terr.,1897, p. 214).Si l'on m'avait ouvert la poitrine, il en aurait coulé de l'amour, comme cette sorte de lait qui coule de certaines plantes, quand on en brise la tige (Montherl., Reine morte,1942, II, 2etabl., 5, p. 199).
Lait d'un œuf (à la coque). Albumen légèrement coagulé qui apparaît sur un œuf à la coque lorsque celui-ci est frais. Dégoûtée elle ne sentira ni un poisson qui n'est plus de la première fraîcheur, ni un œuf qui n'a plus son lait (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 300).
Lait de (noix de) coco. Albumen, liquide blanc, sucré, agréable, rafraîchissant, contenu dans la noix de coco. Riz accommodé au sucre et au lait de coco. Pour les épicuriens de la Polynésie, le lait de noix de coco et ses nombreux dérivés sont indispensables à la préparation de la viande, des légumes et des puddings (Lowie, Anthropol. cult., trad. par G. Métraux, 1936, p. 79).
En lait.Trop jeune, pas encore mûr. Il boit la force dans la flamme. Par elle uniquement, par sa vertu seule il corse et durcit ses grains encore en lait, il compose en eux, sous la pellicule amincie, la farine future (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 140).
B. − Émulsion, préparation ayant l'apparence du lait.
Lait d'amande(s). Émulsion d'amandes (douces ou amères). Potage à la bisque et au lait d'amandes; fécule au lait d'amande. Les pâtés de viandes légères vont, en été, avec du lait d'amandes, du verjus, une pincée de poudre d'épices douces et un œuf battu mêlé à l'aigret (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 171).
Lait de poule. Préparation adoucissante composée de jaunes d'œufs délayés dans de l'eau chaude (parfois du lait) sucrée, aromatisée (d'eau de fleur d'oranger) et utilisée dans le traitement des grippes, des rhumes ou comme fortifiant pour les convalescents. Toujours à crier, à faire le chien de garde, à leur tourner autour avec des lainages pour qu'elles ne prennent pas froid ou des laits de poules pour les rendre fortes (Anouilh, Antig.,1946, p. 141).
Lait démaquillant, de beauté, de toilette. Préparation (semi-) fluide, blanche, destinée à adoucir, nettoyer l'épiderme. Les journaux du siècle dernier n'offraient que des recettes semi-culinaires d'eaux et de laits de beauté (Civilis. écr.,1939, p. 34-6).On utilise également des lotions adoucissantes et des laits de beauté. Ces derniers sont en particulier employés pour le démaquillage du soir (QuilletMéd.1965, p. 316).
Lait de chaux*. Toutes les maisons de la ville, comme pour fêter notre venue venaient d'être passées au lait de chaux (Gide, Si le grain,1924, p. 558).
Lait de ciment. Suspension de ciment dans de l'eau. Synon. laitance (v. ce mot B).On garnit les joints en coulant sur la surface un lait clair de ciment qu'on étend au balai (Bourde, Trav. publ.,1929, p. 118).
C. − BOTANIQUE
1. Lait du diable, lait de couleuvre. Synon. euphorbe.
2. Lait d'âne. Synon. laiteron (Gatin 1924).
3. Arbre à lait. C'est à M. de Humboldt que l'on doit la découverte de l'arbre si curieux le Palo di vacca, arbre à lait ou à vache, qui fournit un très-bon lait, et qu'il a trouvé dans la province de Venezuela (B. Delessert, in Annales des Sciences nat., XX, 1830, p. 59 ds Quem. DDL t. 21).
Prononc. et Orth. : [lε]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1remoitié xiies. « liquide sécrété par les glandes mammaires » (Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, 118, 70); ca 1256 aigniel de lait (Régime du corps, 124, 20 ds T.-L.); 1538 frère, sœur de lait (Est.); 2. 1558 « première nourriture de l'esprit » (Du Bellay, Regrets, éd. J. Jolliffe, 9, p. 66); 3. a) 1552 petit lait (Est.); 1751 lait de poule (Aubert de La Chesnaye des Bois, Dict. univ. d'agriculture, p. 314); 1873 lait concentré (Lar. 19e); b) 1579 avaler doux comme lait « recevoir avidemment des louanges » (Larivey, Esprits, V, I); 1853 boire du lait « id. » (Labiche, Chasse corb., III, 7, p. 335); 1948 boire du petit lait « id. » (A. Bonnerot d'apr. FEW t. 5, p. 112a). B. 1. xiiies. lait d'amandes (Bataille de Caresme et de charnage, éd. G. Lozinski, 489); xiiies. « suc blanc qui se trouve dans les végétaux » (Livre des simples médecines, éd. P. Dorveaux, 396); 1611 laict virginal « produit de beauté pour la peau » (Cotgr.); 2. 1599 « plante » (Hornkens, Recueil de dict., p. 303); 1845 lait de couleuvre « variété d'euphorbe » (Besch.). Du lat. pop. lactem, acc. de déclinaison masc. ou fém. du lat. neutre lac, lactis « lait, suc laiteux des plantes ». Fréq. abs. littér. : 2 832. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 428, b) 3 604; xxes. : a) 4 219, b) 4 649. Bbg. Quem. DDL t. 16, 19, 20.

Wiktionnaire

Adjectif - ancien français

lait \Prononciation ?\ masculin

  1. Laid (moche).
    • Mout fu la mer neire e hisdose
      Oscure e laide e tenebrose
      — (Le Roman de Troie, édition de Constans, tome I, page 181, c. 1165)
  2. Mauvais, lamentable, etc.

Nom commun - ancien français

lait \Prononciation ?\ masculin

  1. Lait (liquide blanc buvable).

Nom commun - français

lait \lɛ\ ou \le\ masculin

  1. Liquide produit par les glandes mammaires des femelles de mammifères pendant la période de lactation qui suit la parturition, et destiné à nourrir les bébés lors de l’allaitement. Note : Lorsqu’on ne précise pas l’origine, c’est le contexte qui l’indique. En l’absence de contexte, lorsqu’on ne précise pas, il s’agit généralement de lait de vache, car c’est celui qui est le plus utilisé.
    • Je me rendis avec les chefs militaires aux tentes de Si Saïd, où on nous servit une collation de dattes et de lait de chamelle, une vieille tradition nomade sans doute. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 132)
    • Il leur suffisait […] de passer la main sur le dos d’une vache pour que le lait tournât en urine. — (Octave Mirbeau, Rabalan)
    • La Julie, lui tournant le dos, était en train de traire et, du pis qu’elle pressait en cadence, le lait tombait dans le chaudron de fer battu avec un roulement semi-argentin de tambour. — (Louis Pergaud, La Vengeance du père Jourgeot, dans Les Rustiques, nouvelles villageoises, 1921)
    • Elle abhorrait le lait que mon père aimait beaucoup. — (Jean Rogissart, Hurtebise aux griottes, L’Amitié par le livre, Blainville-sur-Mer, 1954, p. 23)
    • Le lait frais vaut généralement 1 franc le kil de 2 litres, tandis que le vin, de qualité très ordinaire, se vend de 1 fr. 25 à 1 fr. 50 le litre. — (Maurice de Périgny, Au Maroc : Fès, la capitale du Nord, Paris : chez Pierre Roger & Cie, 1917, page 25)
    • Ils ont tété le même lait peut s’employer au sens propre (une femme les a allaités tous les deux) comme au sens figuré (ils ont été élevés ensemble).
  2. (Par métonymie) Toute boisson importante pour une personne.
    • Le vin est le lait des vieillards.
  3. (Par extension) Liquide de couleur blanche présentant des caractéristiques semblables au lait de vache, ou dont la consistance ou la couleur rappelle celle du lait.
    • Prendre du lait d’amande.
    • Blanchir une muraille avec du lait de chaux.
    • La noix verte du cocotier donne une eau rafraîchissante, […] ; de l’amande râpée on extrait par compression un lait crémeux qui entre dans la préparation des aliments. — (Alain Gerbault, À la poursuite du Soleil, tome 1, de New-York à Tahiti, 1929)
  4. (Spécialement) (Cosmétologie) Crème utilisée pour les soins de la peau, en particulier du visage.
    • Parmi les eaux de toilette peuvent se placer les émulsions qui sont utilisées pour entretenir et adoucir la peau. On donne souvent à ces émulsions le nom de laits. — (Marcel Hégelbacher; La Parfumerie et la Savonnerie, 1924)
  5. (Spécialement) Glaire des œufs frais, quand ils sont cuits à point pour être mangés à la coque.
  6. (Spécialement) Suc blanchâtre, comme le latex et l’albumen, qui sort de quelques plantes et de quelques fruits.
    • Lait de figuier.
    • Lait de coco.
  7. (Algérie) Goûter.
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

LAIT. n. m.
Liqueur blanche qui se forme dans les mamelles de la femme pour la nourriture de son enfant, et dans celles des animaux mammifères femelles pour la nourriture de leurs petits. Cette nourrice n'a point de lait, a beaucoup de lait. Son lait est échauffé. Une frayeur lui a troublé son lait, lui a fait perdre son lait. Ils ont tété d'un même lait, le même lait. Lait de vache, de brebis, d'ânesse, de chèvre, de jument. Boire du lait. Se mettre au régime du lait. Être au lait. Ne vivre que de lait. Lait caillé. Du lait bouilli. Café au lait. Un potage, une soupé, des œufs au lait. Un pot au lait. Blanc comme lait, comme du lait. Jeune lait, Lait d'une femme accouchée depuis peu. Lait d'un an, Lait d'une femme accouchée depuis un an. Vieux lait, Lait d'une femme accouchée il y a longtemps. Fièvre de lait. Voyez FIÈVRE. Frères de lait, sœurs de lait. Voyez FRÈRE. Voyez SŒUR. Dents de lait. Voyez DENT. Vache à lait, Vache à laquelle on a enlevé son veau et dont le lait est employé pour les besoins de l'homme. Il se dit figurément et familièrement d'une Personne qu'on exploite, et, par extension, d'une Chose dont on tire un profit continuel. Cette dupe est une vache à lait pour lui. Ce malade est une vache à lait pour les médecins. Cette affaire est une vache à lait. Veau de lait, cochon de lait, Veau, cochon qui tette encore, ou qu'on ne nourrit que de lait. Petit-lait, Sérosité qui se sépare du lait lorsqu'il se caille. Petit-lait clarifié. Lait de beurre, Espèce de petit-lait qui reste dans la baratte, après qu'on a fait le beurre. Lait coupé, Lait dans lequel on a mis une portion d'un autre liquide. Lait coupé avec du bouillon, avec de l'eau d'orge. Fig., Sucer avec le lait une doctrine, une opinion, un sentiment, Recevoir, dès l'enfance, une doctrine, une opinion, un sentiment. Ce sont des principes qu'il a sucés avec le lait. Il existe entre ces deux familles une vieille haine que les enfants sucent avec le lait. On dit à peu près dans le même sens Il a sucé le lait de la doctrine évangélique, le lait des saines doctrines, etc. Prov. et fig., Le vin est le lait des vieillards. Fig. et fam., Il avale cela doux comme lait, se dit de Quelqu'un qui reçoit avidement toutes sortes de louanges, ou qui, par lâcheté, par dissimulation, passe doucement sur les choses qu'on lui dit pour le piquer. Fam., S'emporter comme une soupe au lait. Voyez SOUPE. Fig. et par exagération, Si on lui pressait le nez, il en sortirait encore du lait, se dit d'un Très jeune homme qui vient se mêler de choses au-dessus de son âge et de sa capacité.

LAIT se dit, par analogie, d'une Certaine liqueur blanche qu'on trouve dans les œufs frais, quand ils sont cuits à point pour être mangés à la coque. Il se dit également du Suc blanc qui sort de quelques plantes et de quelques fruits. Lait de figuier. Lait de coco. Il se dit encore de Certains liquides artificiels qui ont une ressemblance de couleur avec le lait. Prendre du lait d'amande. Blanchir une muraille avec du lait de chaux. Lait de poule, Jaune d'œuf délayé dans de l'eau chaude avec du sucre.

Littré (1872-1877)

LAIT (lè ; le t ne se lie que dans le parler soutenu) s. m.
  • 1Liquide opaque, blanc, d'une pesanteur spécifique un peu plus grande que celle de l'eau, d'une saveur douce, fourni par les glandes mammaires de la femme et des femelles des animaux mammifères, pour la nourriture des petits. Sa nourrice avait peu de lait, celle-ci en a comme une vache, Sévigné, 8 avr. 1671. En Hollande, en Italie, en Turquie et en général dans tout le Levant, on ne donne aux enfants que le lait des mamelles pendant un an entier, Buffon, Hist. nat. hom. Œuv. t. IV, p. 199. Le bon lait n'est ni trop épais ni trop clair ; la consistance doit être telle que, lorsqu'on en prend une petite goutte, elle conserve sa rondeur sans couler, Buffon, Quadrup. t. I, p. 214.

    Jeune lait, lait d'une femme accouchée depuis peu.

    Lait d'un an, lait d'une femme accouchée depuis un an.

    Vieux lait, lait d'une femme accouchée depuis longtemps.

    Le lait monte, se dit du lait qui commence à venir à une nouvelle accouchée.

    Fièvre de lait, fièvre causée par le lait qui commence à venir aux femmes dans les premiers jours qui suivent l'accouchement.

    Lait répandu, prétendue déviation du lait, à laquelle le vulgaire attribue la plupart des maladies qui surviennent après les couches, mais qui ne sont nullement dues à un lait répandu.

    On dit vulgairement aussi : son lait lui a remonté, en parlant d'une femme à qui il survient quelque maladie dans le cours de ses couches ; fausse opinion populaire, car le lait ne remonte pas plus qu'il ne se répand.

    Fig. On a troublé le lait à cette nourrice, elle est devenue grosse.

    Frères de lait, sœurs de lait, l'enfant de la nourrice et le nourrisson qui a sucé le même lait.

    Fig. Redoutez-le [l'amour] pour mille causes, Bien qu'il vous soit frère de lait, Béranger, Anniv.

    Dents de lait, les premières dents qui viennent aux enfants et aux jeunes animaux. Cet enfant perd ses dents de lait. Cheval qui a encore ses dents de lait et qui est trop jeune pour travailler.

    Fig. Ce beau réduit par préférence est fait Pour les vieillards dont l'humeur gaie et tendre Paraît encore avoir ses dents de lait, Voltaire, Ép. X.

    Fig. Avoir une dent de lait contre quelqu'un, voy. DENT, n° 4.

    Vache à lait, voy. VACHE.

    Veau de lait, cochon de lait, veau, cochon qui tette encore, ou qu'on ne nourrit que de lait.

  • 2 Fig. Nourriture de l'âme, de l'esprit. À Dieu ne plaise que j'instruise si mal le peuple que le Saint-Esprit a commis à ma conduite, et que je donne aux enfants le poison mortel [une fausse doctrine], au lieu du lait que je leur dois, Bossuet, 2e avert. 20. Le témoignage intérieur est l'appui des commençants ; c'est le lait des âmes tendres et naissantes, Fénelon, t. XVIII, p. 256. Les consolations : c'est un lait dont il nourrit notre faiblesse, Massillon, Prof. rel. 2. Heureux qui, se livrant aux sages disciplines, Nourri du lait sacré des antiques doctrines, Chénier, Poésies div. à M. de Pange.

    Sucer avec le lait une doctrine, une opinion, un sentiment, recevoir, dès l'enfance, une doctrine, une opinion, un sentiment. Cette haine des rois que depuis cinq cents ans Avec le premier lait sucent tous ses enfants [de Rome], Corneille, Cinna, II, 1. N'es-tu pas dans ces lieux Où la haine des rois, avec le lait sucée, Par crainte ou par amour ne peut être effacée ? Racine, Bérén. IV, 4. C'est peu qu'avec son lait une mère amazone M'ait fait sucer encor cet orgueil qui t'étonne, Racine, Phèdre, I, 1. Celui qui depuis vingt ans combat toutes les oppressions, qui parlait aux Français de liberté, de constitution, de résistance, lorsque ses vils calomniateurs suçaient le lait des cours et vivaient de tous les préjugés dominants, Mirabeau, Collection, t. III, p. 357. Lui qui des muses de l'école N'avait jamais sucé le lait, Béranger, Épit.

    On dit dans le même sens : il a sucé le lait de la doctrine évangélique, le lait des saines doctrines, etc.

  • 3Lait considéré comme aliment des personnes qui ne tettent plus. Perrette [qui avait un pot au lait sur sa tête] là-dessus saute aussi transportée ; Le lait tombe ; adieu, veau, vache, cochon, couvée, La Fontaine, Fabl. VII, 10. C'est une fille accoutumée à vivre de salade, de lait, de fromage et de pommes, Molière, l'Avare, II, 6. Peut-être que le lait vous est contraire ; suivez votre expérience, Sévigné, 28 juill. 1677. Ils ne savaient que conduire leurs brebis, les tondre, traire leur lait et faire des fromages, Fénelon, Tél. II. Le lait de la femelle buffle n'est pas si bon que celui de la vache ; elle en fournit cependant en plus grande quantité, Buffon, Quadrup. t. V, p. 111.

    Battre le lait, le remuer dans la baratte pour faire le beurre. Ces Scythes dont parle Hérodote, qui crevaient les yeux à leurs esclaves, afin que rien ne pût les distraire et les empêcher de battre leur lait, Montesquieu, Rom. 22.

    Pot au lait, voy. POT.

    Se mettre au lait, se mettre au régime lacté, faire du lait sa principale nourriture. Maulevrier fit le malade de la poitrine, se mit au lait, fit semblant d'avoir perdu la voix, Saint-Simon, 139, 38. Il m'arriva une fois à Compiègne d'être six semaines au lait pour mon plaisir et en pleine santé ; jamais mon âme n'a été plus calme, plus paisible que durant ce régime, Marmontel, Mém. V.

    Lait coupé, lait dans lequel on a mis une portion d'un autre liquide. Lait coupé avec de l'eau, avec du bouillon.

    Fig. et familièrement. Il avale cela doux comme lait, se dit d'un homme qui reçoit avidement toutes sortes de louanges, ou qui, par lâcheté, par dissimulation, passe doucement sur les choses qu'on lui dit pour le piquer.

    Fig. Bouillir du lait à quelqu'un, voy. BOUILLIR. n° 2.

    Veiller à quelque chose comme au lait sur le feu, veiller sans se relâcher à quelque chose, locution qui vient de ce que le lait, quand il commence à bouillir, si on ne le retire pas à temps, déborde et tombe dans le feu.

    Soupe au lait, soupe de lait, voy. SOUPE.

  • 4Petit-lait ou lait clair, la sérosité qui se sépare du lait lorsqu'il se caille. Une prise de petit-lait clarifié et édulcoré, pour adoucir, Molière, Mal. im. I, 1.
  • 5Lait de beurre, espèce de petit-lait qui reste dans la baratte, après qu'on a fait le beurre, et qui n'est que du petit-lait tenant en suspension des grumeaux de beurre.
  • 6Lait ribot, nom du petit-lait en Bretagne, ainsi nommé parce qu'il se produit quand on ribote le beurre, voy. RIBOTER.

    Gros lait, nom donné en Bretagne au lait caillé.

  • 7Lait artificiel, solution de caséine dans les carbonates alcalins, voy. LACTOLINE.
  • 8Sucre de lait, voy. LACTINE.
  • 9Liqueur blanche qui est dans les œufs frais, quand ils sont cuits à point pour être mangés à la coque. Cet œuf est bien cuit, il fait le lait.
  • 10Suc blanc qui sort de quelques plantes et de quelques fruits. Lait de figuier. Lait de coco.
  • 11Nom de certaines liqueurs artificielles qui ont une ressemblance de couleur avec le lait.

    Lait d'amandes, émulsion d'amandes douces ou amères, ayant beaucoup de ressemblance avec le lait.

    Lait virginal, cosmétique dans lequel on faisait entrer autrefois le baume du Pérou, le storax, l'ambre et la civette ; on le prépare aujourd'hui en versant goutte à goutte de la teinture alcoolique de benjoin dans de l'eau commune, jusqu'à ce que la liqueur soit parfaitement blanche. Le lait virginal est ainsi dit parce qu'il est employé pour entretenir la fraîcheur du teint. Je ne vois partout que blancs d'œufs, lait virginal, et mille autres brimborions que je ne connais point, Molière, Préc. 4.

    Lait de poule, sorte d'émulsion qu'on prépare en battant un jaune d'œuf avec de l'eau chaude et du sucre, et aromatisant avec de l'eau de fleur d'orange.

    Terme d'alchimie. Lait virginal ou lait de la vierge, mercure hermétique qui, projeté sur quelque métal, le change en une liqueur blanche.

  • 12Lait de chaux, solution aqueuse, tenant de l'hydrate de chaux en suspension. Blanchir une muraille avec du lait de chaux.
  • 13Lait de cire, composition qui sert à lustrer les meubles.

    Lait de soufre, liqueur laiteuse qui résulte de la précipitation d'un sulfhydrate par un acide.

  • 14Voie de lait, voy. LACTÉE (VOIE). N'étaient-ils pas excusables [les anciens] dans la pensée qu'ils ont eue pour la voie de lait, quand, la faiblesse de leurs yeux n'ayant pas encore reçu le secours de l'artifice, ils ont attribué cette couleur à une plus grande solidité en cette partie du ciel, qui renvoie la lumière avec plus de force ? Pascal, Fragm. d'un traité sur le vide.
  • 15Nom de diverses plantes. Lait battu, la fumeterre.

    Lait de couleuvre, le réveil-matin ou euphorbia cyparissias, L.

    Lait doré, l'agaric délicieux.

    Lait d'oiseau, l'ornithogale blanc.

    Lait de Sainte-Marie, le chardon-Marie.

    Lait d'âne, laiteron

  • 16Nom de certaines substances minérales. Lait de roche, chaux carbonatée spongieuse.

    Lait de montagne, variété terreuse de carbonate de chaux.

PROVERBES

Le vin est le lait des vieillards, il soutient leurs forces.

Il sait connaître mouches en lait, c'est-à-dire il n'est pas niais, il sait l'air du monde.

Si on lui tordait le nez, il en sortirait du lait, voy. TORDRE.

HISTORIQUE

XIIIe s. Le lait d'amandes au lait dolz, Barbazan, Fabliaux, t. IV, p. 96. Il vivent du let de leur bestes, Joinville, 230.

XIVe s. Lait d'amandes : pourboulez et pelez vos amandes…, Ménagier, II, 5. Qu'elle ne le vous baille point [le lait] s'elle y a mis eaue, car moult souvent elles agrandissent leur lait, ib. II, 5.

XVe s. Le comte de Flandre qui eut des nouvelles des laits… qui alloient à Gand… si y mit remede, Froissart, II, II, 148. Rien ne congnois ; si fais, mouches en laict ; L'ung est blanc, l'autre est noir, c'est la distance [différence], Villon, Débat du cœur et du corps, Ballade. Je congnois bien mouches en laict ; Je congnois à la robe l'homme, Villon, Ballade des menus propos. Doit-il presumer [le mari] n'enquester Qui est Michaut ne Michelet, S'il congnoistra mouches en laict ? Coquillart, Droits nouveaux.

XVIe s. Ô gentil joli vin clairet, Qui sert aux vieilles gens de lait, Tu sois bien venu…, J. le Houx, Vau de Vire, 38. Nous avons toujours quelques hardes perdues que nous leur faisons payer ; nous demandons du lait de truye à l'hostesse ; l'un fait le mauvais, l'autre le Judas, et tout vient en partage avec les compagnons, D'Aubigné, Faen. III, 1. Sur ce point voilà la mer calme comme du lait, D'Aubigné, Hist. II, 80. Le lait de tithymal, Paré, V, 21. Laict clair ou petit laict, Paré, XVI, 22. Vin sur laict est souhait ; laict sur vin est venin, H. Estienne, Précell. du lang. fr. 170. Avalant cela doux comme laict, Nuits de Straparole, t. II, p. 20, dans LACURNE.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

LAIT. Ajoutez :
17Arbre à lait ou arbre à la vache, voy. ARBRE à LA VACHE dans le Supplément, au mot ARBRE.
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Encyclopédie, 1re édition (1751)

LAIT, s. m. (Chimie, Diete & Mat. med.) Il est inutile de définir le lait par ses qualités extérieures : tout le monde connoît le lait.

Sa constitution intérieure ou chimique, sa nature n’est pas bien difficile à dévoiler non plus : cette substance est de l’ordre des corps surcomposés, voyez Mixtion, & même de ceux dont les principes ne sont unis que par une adhérence très-imparfaite.

Une altération spontanée & prompte que cette liqueur subit infailliblement lorsqu’on la laisse à elle-même, c’est-à-dire sans mélange & sans application de chaleur artificielle ; cette altération, dis-je, suffit pour désunir ces principes & pour les mettre en état d’être séparés par des moyens simples & méchaniques. Les opérations les plus communes pratiquées dans les laiteries, prouvent cette vérité. Voy. Lait, économie rustique.

Les principes du lait ainsi manifestés comme d’eux-mêmes, sont une graisse subtile, connue sous le nom de beurre, voyez Beurre ; une substance muqueuse, appellée caséeuse, du latin caseus, fromage, voyez Muqueux & Fromage ; & une liqueur aqueuse, chargée d’une matiere saline & muqueuse. Cette liqueur est connue sous le nom de petit-lait, & sous le nom vulgaire de lait de beurre ; & cette matiere saline-muqueuse, sous celui de sel ou de sucre de lait. Voyez Petit-lait & Sucre de lait, à la suite du présent article.

Cette altération spontanée du lait est évidemment une espece de fermentation. Aussi la partie liquide du lait ainsi altéré, qui a été débarrassée des matieres concrescibles dont elle étoit auparavant chargée, est-elle devenue une vraie liqueur fermentée, c’est-à-dire qu’il s’est engendré ou développé chez elle le produit essentiel & spécifique d’une des fermentations proprement dites, voyez Fermentation. C’est à la fermentation acéteuse que tourne communément le petit lait séparé de soi même, ou lait de beurre ; mais on pense qu’il n’est pas impossible de ménager cette altération de maniere à exciter dans le lait la fermentation vineuse, & à saisir dans la succession des changemens arrivés dans le petit-lait, au moins quelques instans, pendant lesquels on le trouveroit spiritueux & enivrant. On ajoûte que de pareilles observations ont été faites plus d’une fois par hasard dans les pays où, comme en Suisse, le lait de beurre est une boisson commune & habituelle pour les hommes & pour quelques animaux domestiques, tels que les cochons, &c. On prétend donc qu’il n’est pas rare dans ces contrées de voir des hommes & des cochons enivrés par une abondante boisson de lait de beurre. On peut tenter sur ce sujet des expériences très-curieuses & très-intéressantes.

La fermentation commence dans le lait, & même s’y accomplit quant à son principal produit, celui de l’acide, avant que le beurre & fromage se séparent ; car le lait laissé à lui-même s’aigrit avant de tourner, c’est-à-dire avant la desunion des principes dont nous venons de parler : l’un & l’autre changement, savoir l’aigrir & le tourner, sont d’autant plus prompts, que la saison est plus chaude.

On n’a pas déterminé, que je sache, par des expériences, si une partie de l’acide du lait aigri étoit volatile.

Les principes immédiats du lait se desunissent aussi par l’ébullition. Dès qu’on fait bouillir du lait, il se forme à sa surface une pellicule qui ne differe presque point de celle qui nage sur le lait qui a subi la décomposition spontanée : cette matiere s’appelle crême ; elle n’est autre chose que du beurre mêlé de quelques parties de fromage, & empreint ou imbibé de petit-lait. On peut épuiser le lait de sa partie butireuse, par le moyen de l’ébullition. Dans cette opération, le fromage reste dissous dans le petit-lait qui n’aigrit point (ce qui est conforme à une propriété constante de la fermentation vineuse & de l’acéteuse, savoir d’être empêchées, prévenues, suspendues par un mouvement étranger), & qui acquiert même la propriété d’aigrir beaucoup plus tard, lorsqu’on l’abandonne ensuite à sa propre pente. Le lait qu’on a fait bouillir seulement pendant un quart-d’heure, se conserve sans aigrir ni tourner pendant beaucoup plus de tems, pendant trente-six & même quarante-huit heures, plus ou moins, selon la température de l’air ; au lieu que le lait qui n’a pas bouilli, se conserve à peine douze heures. Mais enfin, comme nous venons de l’indiquer, la séparation du fromage & du petit-lait arrivent enfin aussi bien que l’aigrissement du petit-lait.

On opere encore la décomposition du lait par un moyen très-connu, très-vulgaire, mais dont il n’existe encore dans l’art aucune théorie satisfaisante, je veux dire, la coagulation par l’application de certaines substances, savoir les acides (soit foibles, soit très-forts, tels que l’acide vitriolique le plus concentré, qu’Hoffman prétend produire dans le lait l’effet directement contraire. Voyez la dissertation de salub. seri lactis virtute, §. 4), les alcalis, les esprits ardens, & particulierement le lait aigri dans l’estomac des jeunes animaux à la mamelle, lactantium, & certaines fleurs & étamines ; ce lait aigri & ces fleurs tirent de leur usage le nom commun de presure. Voy. Coagulation, Presure & Lait, Economie rustique.

Le lait n’est séparé par la coagulation qu’en deux parties, & cette séparation n’est pas absolue ou parfaite. Le coagulum ou caillé contient cependant presque tout le fromage & le beurre, & la liqueur est le petit-lait ou le principe aqueux chargé du sel ou sucre, & d’une très petite quantité de fromage & de beurre.

Quelques auteurs ont prétendu que de même que certaines substances mêlées au lait hâtoient son altération ou le coaguloient, de même il en étoit d’autres qui le préservoient de la coagulation en opérant une espece d’assaisonnement. Ils ont attribué principalement cette vertu aux eaux minérales alcalines ou sulphureuses, & aux spiritueuses. Ces prétentions sont sans fondement : on ne connoît aucune matiere qui étant mêlée en petite quantité au lait, en empêche l’altération spontanée ; & quant aux eaux minérales, j’ai éprouvé que le principe aqueux étoit le seul agent utile dans les mélanges d’eaux minérales & de lait, faits dans la vûe de corriger la tendance du lait à une prompte décomposition : car il est vrai que ces eaux minérales mêlées à du lait frais à parties à-peu-près égales, en retardent sensiblement, quoique pour peu de tems, l’altération spontanée ; mais de l’eau pure produit exactement le même effet.

Le petit-lait n’aigrit point, n’a pas le tems d’aigrir dans cette derniere opération. Aussi est-ce toûjours par ce moyen qu’on le sépare pour l’usage médicinal ordinaire. Voyez Petit-lait, à la suite du présent article.

Le lait distillé au bain-marie, donne un phlegme chargé d’une odeur de lait ; mais cette odeur n’est point dûe à un principe aromatique particulier, & distinct des principes dont nous avons parlé jusqu’à présent. Ce n’est ici, comme dans toutes les substances véritablement inodores (c’est-à-dire dépourvûes d’un principe aromatique dictinct) qui se font reconnoître pourtant dans le produit le plus mobile de leur distillation, qu’une foible & legere émanation, effluvium, de leur substance entiere.

Tout ce principe aqueux étant séparé par la distillation au bain-marie, ou dissipé par l’évaporation libre au même degré de chaleur, on obtient une matiere solide, friable, jaunâtre, d’un goût gras & sucré assez agréable, qui étant jettée dans des liqueurs aqueuses bouillantes, s’y dissout en partie, les blanchit, & leur donne presque le même goût que le mêlange du lait frais & inaltéré. Il est évident que cette matiere n’est que du lait concentré, mais cependant un peu dérangé dans sa composition. Voyez Sucre de lait, à la suite du présent article.

L’analyse ultérieure à la violence du feu, ou la distillation par le feu seul poussée jusqu’à ses derniers degrés, fournit une quantité assez considérable d’huile empyreumatique ; & s’il en faut croire Homberg, Mém. de l’Acad. royale des Scienc. 1712, incomparablement plus d’acide que le sang & la chair des gros animaux, & point du tout de sel volatil concret. Cette attention à spécifier l’état concret de l’alcali volatil que ce chimiste exclut des produits du lait, fait conjecturer, avec beaucoup de fondement, qu’il retiroit du lait de l’alcali volatil sous son autre forme, c’est-à-dire liquide. Or, quoique les matieres d’où on ne retire de l’alcali volatil que sous cette derniere forme, dans les distillations vulgaires, en contiennent beaucoup moins en général que celles qui fournissent communément ce principe sous forme concrete, cependant cette différence peut n’être qu’accidentelle, dépendre d’une circonstance de manuel, savoir du desséchement plus ou moins absolu du sujet pendant le premier tems de la distillation. Voyez Distillation, Manuel Chimique & Sel volatil. Ainsi l’observation d’Homberg sur ce principe du lait, n’est rien moins qu’exacte & positive.

Ce que nous avons dit du lait jusqu’à présent, convient au lait en général. Ces connoissances sont déduites des observations faites sur le lait de plusieurs animaux, différant entr’eux autant qu’il est possible à cet égard, c’est-à-dire sur celui de plusieurs animaux qui ne se nourrissent que de substances végétales, & sur celui de certains autres qui vivent principalement de chair. L’analogie entre ces différens laits est parfaite, du moins très considérable ; & il y a aussi très-peu de différence quant au fond de la composition du lait entre celui que donne un même individu, une femme, par exemple, nourrie absolument avec des végétaux, ou qui ne vivra presque que de substances animales. Ce dernier fait est une suite bien naturelle de l’observation précédente. Une expérience décisive prouve ici que la Chimie, en découvrant cette identité, ne l’établit point seulement sur des principes grossiers, tandis que des principes plus subtils & qui fondent des différences essentielles lui échappent. Cette expérience est que les quadrupedes, soit très-jeunes, lactantia, soit adultes, sont très-bien nourris avec le lait de quelqu’autre quadrupede que ce soit : on éleve très bien un jeune loup avec du lait de brebis. Rien n’est si commun que de voir des petits chats têter des chiennes. On nourrit très-bien les enfans avec le lait de vache, de chevre, &c. Un observateur très-judicieux, très-philosophe, très-bon citoyen, a même prétendu qu’il résulteroit un grand bien pour l’espece humaine en général, & un avantage décidé pour les individus, de l’usage de nourrir tous les enfans avec le lait des animaux. Voyez Nourrice.

Cette identité générique ou fondamentale, n’empêche pas que les laits des divers animaux ne soient distingués entr’eux par des qualités spécifiques ; la différence qui les spécifie principalement & essentiellement, c’est la diverse proportion des principes ci-dessus mentionnés. Les Chimistes medecins se sont principalement attachés à déterminer ces proportions dans les especes de lait qui ont des usages médicinaux, savoir le lait de femme, le lait d’anesse & celui de jument, le lait de vache, celui de chevre, & celui de brebis.

Frideric Hoffman a trouvé qu’une livre de médecine ou douze onces de lait de vache, épuisée par l’évaporation de sa partie aqueuse, laissoit une once & cinq gros de matiere jaunâtre, concrete, seche & pulvérulente ; que cette matiere lessivée avec l’eau bouillante, perdoit une dragme & demie. Homberg a d’ailleurs observé dans les mémoires de l’acad. R. des Sc. ann. 1712. que la partie caséeuse & la butireuse étoient contenues à parties à peu près égales dans le lait de vache. Ainsi supposé que l’eau employée à lessiver le lait concentré & desséché, n’en ait emporté que la matiere qui est naturellement dissoute dans le petit-lait, il résultera de ces expériences que le lait de vache examiné par Hoffman, contenoit environ un seizieme de son poids de beurre, autant de fromage, & un soixante-quatrieme de matiere, tant saline ou sucrée, que caseoso-butyreuse, soluble par l’eau. Voyez Petit-lait & Sucre de lait.

Les mêmes expériences tentées par Hoffman & par Homberg sur le lait de chevre, ont indiqué que la proportion des principes étoit la même dans ce lait : & que la quantité de matiere concrescible prise en somme, étoit seulement moindre d’un vingt-sixieme.

Hoffman a tiré, par la même voie, de douze onces de lait d’anesse, une once de résidu sec, pulvérulent & blanc, qui ayant été lessivé avec de l’eau bouillante, a perdu environ sept gros. Homberg prétend que le lait d’anesse contient trois ou quatre sois plus de fromage que de crême ou de substance dans laquelle le beurre domine. Ainsi la partie soluble dans l’eau, ou le sucre de lait un peu barbouillé de fromage & de beurre domine dans le lait d’anesse, y est contenue à la quantité d’environ un quinzieme ou un seizieme du poids total ; le beurre fait tout au plus le trois-centieme du tout, & le fromage le centieme.

Le lait de femme a donné à Hoffman un résidu blanchâtre, presqu’égal en quantité à celui du lait d’ânesse ; mais qui ne contenoit pas tant de matiere soluble par l’eau, & seulement six gros sur neuf ou les deux tiers.

Les expériences que nous venons de rapporter ont été faites avec beaucoup de négligence & d’inéxactitude ; l’énoncé de celles d’Homberg est on ne peut pas plus vague, & Hoffman a manqué, 1°. à employer le bain-marie pour dessécher la substance fixe ou concrescible du lait : or il est presqu’impossible de dessécher cette matiere parfaitement au feu nud, sans la brûler ou du moins la rissoler tant soit peu, ce qui est le défaut contraire au desséchement imparfait. Secondement, il n’a point distingué dans la partie insoluble de son résidu, le beurre du fromage, ni dans la matiere enlevée par les lessives le sel ou sucre du lait d’un fromage subtil, uni à un peu de beurre que l’eau entraîne avec ce sel, qui fournit la matiere de la recuite, & qui est celle qu’on se propose d’enlever par la clarification du petit-lait, & par la lotion du sel ou sucre de lait. Voyez ci-dessous Petit-lait & Sucre de lait. Cet examen bien fait seroit donc encore un travail tout neuf, & certainement, indépendamment des différences qu’on doit se promettre dans les résultats d’une analyse exacte, on en trouveroit beaucoup qui seroient nécessairement dépendantes de l’âge, du tempérament de la santé des divers animaux, & sur-tout de la maniere dont ils seroient nourris ; par exemple des paturages plus ou moins gras, & encore du climat où ils vivroient, &c.

Ce que nous venons de rapporter, tout imparfait qu’il est, suffit pourtant pour fixer l’idée des Médecins sur les différences essentielles des especes de lait qui fournissent des alimens ou des remedes aux hommes ; car l’usage médicinal se borne presque aux quatre especes de lait dont nous venons de faire mention ; & il est connu encore par des observations à peu près suffisantes, que le lait de brebis qu’on emploie dans quelques contrées, est fort analogue à celui de vache, & que le lait de jument, dont l’usage commence à s’établir en France, est d’une nature moyenne entre le lait de vache & celui d’ânesse, s’approchant pourtant d’avantage de celle du dernier. Celui de chameau dont les peuples du Levant se servent, est un objet absolument étranger pour nous.

Usage diététique & médicamenteux du lait, & premierement du lait de vache, de chevre &. de brebis.

Le lait de vache est, pour les Médecins, le lait par excellence ; c’est de ce lait qu’il est toujours question dans leurs ouvrages, lorsqu’ils parlent de lait en général, & sans en déterminer l’espece. Le lait de vache possede en effet le plus grand nombre des qualités génériques du lait : il est, s’il est permis de s’exprimer ainsi, le plus lait de tous ceux que la Médecine emploie, celui qui contient les principes que nous avons exposés plus haut, dans la proportion la plus exacte. Il est vraissemblable pourtant que cette espece de prééminence lui a été principalement accordée, parce qu’il est le plus commun de tous, celui qu’on a le plus commodément sous la main ; car le lait de chevre est très-analogue au lait de vache : la prétendue qualité plus particulierement pectorale, vulnéraire, par laquelle on distingue le premier dans la pratique la plus reçue, est peu évidente ; & dans les pays où l’on trouve plus facilement du lait de chevre que du lait de vache, on emploie le premier au lieu du second, sans avoir observé des différences bien constatées dans leurs bons & dans leurs mauvais effets. Le lait de brebis supplée très-bien aussi dans tous les cas à l’un & à l’autre, dans les pays où l’on manque de vaches & de chevres. Tout cela pourroit peut-être s’éclaircir par des observations : je dis peut-être, car ces observations seroient au moins très-difficiles, très-fines. Quoi qu’il en soit, elles n’existent pas, & il paroît que l’art y perd peu. On peut cependant, si l’on veut, regarder le lait de vache comme le remede principal, chef majeur ; & les deux autres seulement comme ses succédanées.

Le mot lait sans épithéte signifiera donc dans la suite de cet article, comme il doit le signifier dans les ouvrages de Médecine, lait de vache, ou à son défaut lait de chevre ou de brebis ; & nous renfermerons ce que nous avons à dire à ce sujet dans les considérations suivantes, où nous nous occuperons premierement de ses usages diététiques dans l’état sain, & ensuite de son emploi plus proprement médicinal, c’est-à-dire dans le cas de maladie.

Le lait fournit à des nations entieres, principalement aux habitans des montagnes, la nourriture ordinaire, journaliere, fondamentale. Les hommes de ces contrées sont gras, lourds, paresseux, stupides ou du moins graves, sérieux, pensifs, sombres. Il n’est pas douteux que l’usage habituel du lait ne soit une des causes de cette constitution populaire. La gaité, l’air leste, la légereté, les mouvemens aisés, vifs & vigoureux des peuples qui boivent habituellement du vin, en est le contraste le plus frappant.

Ce qui confirme cette conjecture, & qui est en même tems une observation utile, c’est que le lait donné pour toute nourriture, ou ce qu’on appelle communément la diete lactée ou la diete blanche, que ce régime, dis-je, jette très-communément les sujets qu’on y soumet dans une mélancolie très-sombre, très-noire, dans des vapeurs affreuses.

Il est admirable cependant combien le lait pris en très-petite quantité pour toute nourriture, nourrit & soutient, lorsqu’il réussit, les personnes mêmes les plus vigoureuses, & de l’esprit le plus vif, sans faire tomber sensiblement leurs forces corporelles, & sans affoiblir considérablement leurs facultés intellectuelles, & cela pendant des années entieres. On comprend plus aisément, mais il est pourtant assez singulier aussi que des personnes auparavant très-voraces, s’accoutument bientôt à la sobriété que cette diete exige, & qu’elles contractent de l’indifférence & enfin même du dégoût pour les alimens ordinaires.

Nous ne parlons dans les deux observations précédentes que des sujets qui se réduisent à la diete lactée pour prévenir des maux dont ils sont menacés, & non pas pour remédier à des maux présens. Ces sujets doivent être considérés alors comme véritablement sains, & nous n’examinons encore que les effets du lait dans l’état sain.

Le lait pur, certains alimens solides, & quelques boissons assaisonnées avec le lait, tels que le ris, les œufs, le thé, le caffé, ont l’inconvénient très-commun de lâcher le ventre. Ces alimens, sur-tout ceux qui sont sous forme liquide, produisent cet effet par une espece de corruption qu’ils éprouvent dans les premieres voies, ils deviennent vraiment purgatifs par cette altération qui se démontre, & par la nature des rapports nidoreux qui s’élevent de l’estomac, & par des borborygmes & des légeres tranchées, & enfin par la mauvaise odeur des excrémens qui est exactement semblable à celle des évacuations excitées par une légere médecine. De toutes les boissons que nous mêlons ordinairement avec le lait, celle qui produit le moins communément cette espece de purgation, c’est le caffé au lait, soit que la petite quantité qu’on en prend en comparaison du thé au lait, par exemple, cause cette différence, soit que le caffé corrige véritablement le lait. Voyez Correctif.

L’effet dont nous venons de parler s’observe principalement sur les personnes robustes, agissantes, peu accoutumées au lait, & qui sont dans l’usage journalier des alimens & des boissons ordinaires, sur-tout de la grosse viande & du vin ; & ces personnes sont sensiblement affoiblies par cette opération de ces laitages. Les gens foibles, peu exercés au lait, ou ceux qui sont accoutumés au lait, & ceux enfin de quelque constitution qu’ils soient qui vivent de lait pour toute nourriture, sont au contraire ordinairement constipés par le lait ; & cet accident qui est principalement propre à la diete lactée, est un des principaux inconvéniens de cette diete.

En général le lait passe mieux, c’est-à-dire est mieux digéré, laisse mieux subsister l’état naturel & sain des organes de la digestion, lorsqu’on le prend pour toute nourriture, ou qu’on n’en combine l’usage qu’avec celui des farineux fermentés ou non-fermentés, tels que le pain, le ris, les pâtes d’italie, le sagou, &c. que lorsqu’on en use, sans cesser de tirer le fond de la nourriture des alimens ordinaires, même avec les exceptions vulgaires des assaisonnemens acides, des fruits cruds, des salades, &c. Cependant il y a encore en ceci une bisarrerie fort remarquable (quoique ces sortes de contradictions soient fort communes dans l’ordre des objets diététiques. Voyez Régime, Digestion, & presque tous les articles particuliers de diete de ce Dictionnaire ; l’article Concombre, par exemple) : il est très-ordinaire de voir des personnes qui dans un même jour, & souvent même dans un seul repas, se gorgent de viandes de toute espece, de vin, de salades, de fruits & de laitages, & qui digerent très-bien & cent fois de suite ce margouilli qui feroit frémir tout médecin raisonneur.

Le proverbe vulgaire, que le vin bu après le lait est salutaire, & que le lait bu après le vin est un poison, ne porte sur rien, si on l’explique in sensu abvio, & comme on l’entend communément ; c’est-à-dire qu’il n’est rien moins qu’observé qu’un mélange de vin & de lait affecte différemment l’estomac, selon que l’une ou l’autre de ces liqueurs y est versée la premiere. Il est très-sûr, au contraire, que ce mélange, dans quelque ordre qu’il soit fait, est toujours monstrueux aux yeux de la Médecine rationelle, & plus souvent nuisible qu’indifférent aux yeux de l’observation ; mais si ce dogme populaire signifie que le vin rémédie au mauvais effet que du lait pris de puis quelques heures a produit sur les premieres voies, & qu’au contraire du lait jetté dans un estomac n’a guere chargé de vin, y cause constamment un mal considérable ; alors il ne fait que trop promettre sur le premier chef, & il est conforme à l’expérience pour le second.

Il est facile de conclure de ce petit nombre d’observations sur les propriétés diététiques du lait dans l’état sain, que c’est un aliment suspect, peu analogue aux organes digestifs de l’adulte, & que l’art humain, l’éducation, l’habitude, n’ont pu faire adopter à la nature, comme elles ont naturalisé le vin, liqueur pourtant bien plus étrangere à l’homme que le lait des animaux ; & qu’ainsi un canon diététique sûr & incontestable, & qui suffit seul en cette matiere, c’est que les personnes qui n’ont point éprouvé leur estomac à ce sujet, ne doivent user de lait que dans le cas de nécessité, c’est-à-dire s’il arrivoit par hasard qu’elles manquassent dans quelque occasion particuliere d’autres alimens, ou si elles étoient menacées de quelques maladies que l’usage du lait peut prévenir. Mais comme il est peu d’hommes qui se soient toûjours conduits assez médicinalement pour avoir constamment usé de cette circonspection, & qu’ainsi chacun sait à-peu-près, par le souvenir des effets du lait sur son estomac, si c’est pour lui un aliment sain, mal-sain ou indifférent, & dans quelles circonstances il lui a fait du bien, du mal, ni bien ni mal ; cette expérience peut suffire à chacun pour s’observer convenablement à cet égard. Il faut se souvenir pourtant, il n’est pas inutile de le repéter, que pour toute personne qui n’est pas très accoutumée au lait, c’est toûjours un aliment suspect que celui-là, tant en soi, par sa propre nature, qu’à cause des altérations dont il est très-susceptible dans les premieres voies, par le mêlange des autres alimens ; & que ceci est vrai principalement des personnes vigoureuses & vivant durement, qui sont peut-être les seules qu’on puisse appeller vraiment saines, les sujets délicats, élevés mollement, étant par leur propre constitution dans un état de maladie habituelle. Cette importante distinction méritera encore plus de considération dans ce que nous allons dire de l’emploi du lait dans le cas de maladie.

Nous observons d’abord, sous ce nouvel aspect, que le lait est une de ces matieres que les Medecins appellent alimens médicamenteux. Voyez Médicament.

Les lois ou les canons thérapeutiques sur l’usage du lait, observés encore aujourd’hui, existent de toute ancienneté dans l’art ; ils sont renfermés dans un aphorisme d’Hippocrate, mille fois repété, & commenté par les auteurs anciens & modernes, depuis Galien & Celse, jusqu’aux écrivains de nos jours. Voici cet aphorisme : « Il est mal de donner le lait à ceux qui souffrent des douleurs de tête : il est mal aussi de le donner à ceux qui ont la fievre, à ceux qui ont les hyppocondres bouffis & murmurans, à ceux qui sont tourmentés de soif, à ceux qui rendent des déjections bilieuses, à ceux qui sont dans des fievres aiguës, & enfin à ceux qui ont subi des hémorrhagies considérables ; mais il est bon dans la phtisie lorsqu’il n’y a pas beaucoup de fievre ; dans les fievres longues & languissantes, c’est-à-dire dans les fievres lentes, & dans les extrèmes amaigrissemens ». Les anciens avoient aussi observé l’efficacité du lait contre l’action des venins corrosifs sur l’estomac & les intestins, & contre celle des cantharides sur les voies urinaires.

L’observation journaliere & commune confirme à-peu-près toutes ces lois : cependant quelques nouvelles tentatives ont appris à s’écarter, sans inconvénient & même avec quelqu’avantage, de la route ordinaire, & d’étendre l’usage du lait à quelques-uns des cas prohibés ; elles en ont encore augmenté l’usage, en découvrant son utilité dans un plus grand nombre de maladies que celles qui sont comprises sous le genre de phtisies, marasmes, consomptions, &c. & sous celui d’amaigrissemens, épuisemens, &c. Quelques auteurs modernes se sont élevés au contraire contre l’ancienne réputation du lait, & en ont voulu resserrer & presqu’anéantir l’usage. Nous allons entrer dans quelque détail sur tout cela.

Et, premierement, quant aux cas prohibés par l’ancienne loi, on donne assez communément le lait dans les grandes hémorrhagies, principalement dans les pertes des femmes, & dans ces éruptions abondantes de sang par les vaisseaux du poulmon, qu’on appelle vulgairement & très-improprement vomissement de sang. La diete lactée est même dans ce dernier cas le secours le plus efficace que l’art fournisse contre les récidives. On ne craint pas tant non plus aujourd’hui la fievre, sur-tout la fievre tente ou hectique, lors même qu’elle redouble par accès vifs, soit réguliers, soit irréguliers : ce symptome n’empêche point de donner le lait lorsqu’on le croit indiqué d’ailleurs ; & il est vraissemblable que si le lait réussit peu dans ces cas, comme il faut en convenir, c’est moins parce qu’il fait un mal direct, qu’il nuit en effet, que parce qu’il est simplement inefficace, c’est-à-dire qu’une telle maladie est trop grave pour que le lait puisse la guérir, & même en retarder les progrès. Ce qui paroît établir ce sentiment, c’est que si l’on observe que le lait donné avec la fievre dans une pulmonie au dernier degré, par exemple, ne réussisse point, c’est-à dire qu’il augmente quelques symptômes, & qu’il produise divers accidens, tels que des aigreurs, des pesanteurs d’estomac, des ventosités, des dévoiemens, des sueurs, &c. & qu’on se détermine à en supprimer l’usage, tous ces effets cessent, il est vrai, mais le malade n’en est pas mieux : la maladie fait ses progrès ordinaires, & il n’est décidé par aucune observation si ces effets du lait, qui paroissent funestes au premier aspect, hâtoient réellement, ou si au contraire ils ne suspendoient pas ses progrès.

Enfin, plusieurs medecins pensent que ce pourroit bien n’être qu’un préjugé que de redouter l’usage du lait dans les maladies aiguës. L’usage du posset simple ou du zythogala, c’est à dire du mélange de la biere & du lait, pour boisson ordinaire dans les maladies aiguës, est connu en Angleterre. Sydenham ne desapprouve point qu’on nourrisse les malades attaqués de la petite vérole avec du lait dans lequel on aura écrasé des pommes cuites. Je connois un célebre praticien qui n’hesite point à donner du lait dans les fluxions de poitrine. Il est observé que l’hydrogale ou le lait mélé avec l’eau, est une boisson très-salutaire dans les maladies dissenteriques.

Secondement, quant à l’extension de l’application du lait à plusieurs nouveaux usages, la doctrine clinique s’est considérablement accrûe à cet égard. D’abord elle prescrit l’usage du lait dans tous les cas de simple menace des maladies contre lesquelles Hippocrate ne l’ordonne que lorsqu’elles sont confirmées & même parvenues à leur degré extrème, præter rationem extenuatis. Par exemple, les modernes emploient le lait contre les hæmophtysies, les toux même simples, la goutte, les rhumatismes, les dartres & autres maladies de la peau, comme le principal remede des fleurs blanches, dans le traitement de la maladie vénérienne, dans la petite vérole, dans quelques cas d’hydropisies, &c. (Voyez ces articles particuliers), sans parler de plusieurs usages extérieurs dont il sera question dans la suite de cet article. Jean Costœus a écrit un traité entier de la Medecine aisée, de facili Medicinâ ; & son secret, son moyen de rendre la Medecine aisée, c’est d’employer le lait, comme remede universel. Wepfer, medecin suisse, auteur de très-grande considération, parle du lait comme d’une substance qui renferme en soi quelque chose de divin. Cheyne, célebre auteur anglois, a proposé dépuis peu d’années, pour le bien de l’humanité, avec tout l’enthousiasme que cette vûe sublime est capable d’inspirer, & avec toute la bonne-foi & la confiance de la conviction, a proposé, dis-je, de réduire tous les hommes, lorsqu’ils ont atteint un certain âge, à la diete lactée, ou à un régime dont le lait fait la base. La doctrine des écoles & le penchant des medecins théoriciens ou raisonneurs, sont assez généralement en faveur du lait.

Troisiemement, pour ce qui regarde le sentiment des medecins modernes qui ont combattu les vertus les plus célébrées du lait, nous observerons d’abord que leur avis devroit être d’un grand poids, qu’il mériteroit au moins d’être discuté avec la plus grande circonspection, quand même ces auteurs n’auroient d’autre mérite que d’avoir osé douter sur un objet grave, des opinions reçues à peu-près sans contradiction ; car en général, & plus encore en Medecine qu’ailleurs, les opinions anciennes & non contredites doivent être très-suspectes au sage. Mais ces auteurs ont outre le mérite d’un louable scepticisme, celui d’avoir appuyé leur sentiment de bonnes observations. Bennet, célebre medecin anglois, interdit le lait aux vrais phtysiques, dans son traité vraiment original, intitulé Theatrum tabidorum. Sydenham compte fort peu sur la diete lactée dans le traitement prophilactique de la goutte, qui est aujourd’hui un des cas où le lait est le plus généralement recommandé. Morton, l’oracle de la médecine moderne, sur les maladies chroniques de la poitrine, auxquelles le lait est éminemment consacré dans la pratique la plus répandue, n’est rien moins que partisan de ce remede. De Sault, medecin de Bordeaux, auteur plein du génie & du vrai zele de l’art, ne nomme pas même le lait dans sa dissertation sur la phtisie. Frideric Hoffman fait à la vérité un éloge pompeux du lait au commencement de sa dissertation sur le lait d’ânesse ; mais c’est là le dissertateur qui parle ; car Hoffman lorsqu’il est praticien oublie si parfaitement toutes ces admirables qualités qu’il a célébrées dans le lait, que ce remede entre à peine dans sa pratique ; il n’est pas ordonné deux fois dans ses consultations sur les maladies chroniques de la poitrine. Juncker, excellent juge en cette matiere, est très-peu favorable à l’usage du lait. M. Bordeu, pere, medecin de Pau en Béarn, un de plus consommés & des plus habiles praticiens du royaume, a proposé (dans sa dissertation sur les eaux minérales de Béarn) sur l’usage du lait, des remarques très-judicieuses & presque toutes contraires à ce remede. Enfin, beaucoup de très-habiles praticiens de nos jours, qui ont été élevés dans une entiere confiance aux vertus admirables du lait, s’en sont absolument dégoûtés.

L’espece d’éloge que nous venons de faire du système antilactaire, n’est pas cependant une adoption formelle de ce système. Nous n’avons prétendu jusqu’ici qu’exposer historiquement les sentimens divers qui partagent les Medecins sur cette importante matiere.

Si nous passons à-présent de l’exposition de ce qu’on peut appeller le fait, à ce qu’on peut appeller le droit (nous ne parlons toûjours que de l’usage intérieur, qui est l’essentiel), il me paroît, toutes les autorités & les observations étant opposées, comparées, résumées, & en y joignant le résultat de mes propres expériences, qu’on a dit en général du lait trop de bien & trop de mal.

Premierement, trop de bien, car il est sûr que le lait ne guérit véritablement aucune maladie grave, nommément les phtisies décidées, c’est-à-dire dès le commencement du second degré, lors même qu’il réussit, ou passe très-bien. J’ai même observé plus d’une fois que quoiqu’il calmât certains symptômes, ce n’étoit-là qu’un calme trompeur, comme celui de l’opium, & que la maladie n’en alloit pas moins son train perfide. Que s’il réussit quelquefois très bien dans le premier degré de phtisie, c’est que cet état est moins une maladie qu’une menace de maladie. Il ne guérit non-plus aucun ulcere des organes intérieurs, ni les rhumatismes, ni les maladies de la peau, notamment les boutons au visage, ni les ophtalmies. Il a, dans la petite vérole, le défaut capital de constiper trop opiniâtrément, trop long-tems ; c’est même, comme nous l’avons observé dejà, un des effets des plus communs de la diete lactée : cette diete a encore l’inconvénient très-grave de devenir presque nécessaire pour toute la vie, une fois qu’on s’y est accoutumé, notamment chez les goutteux qui éprouvent, selon l’observation de Sydenham, des accès plus cruels & plus fréquens, lorsqu’après s’être soumis pendant un certain tems à la diete lactée, ils reviennent à l’usage des alimens ordinaires. En général l’usage du lait demande une façon de vivre très-réguliere, & à laquelle il est difficile de réduire la plûpart des malades ; & soit par des erreurs de régime presque inévitables, soit même sans aucune de ces erreurs, il est très sujet à causer des nausées, des abolitions totales d’appétit, diarrhées, des vents, des sueurs, une mélancholie noire, des douleurs de tête, la fievre. Or tous ces accidens, qui rendent son usage dangereux, même dans l’état de santé, comme nous l’avons observé plus haut, sont bien plus funestes, sans doute, dans l’état de maladie, & principalement dans les maladies chroniques de la poitrine, & presque tous les cas de suppuration interne. Il n’est pas rare non-plus d’observer dans ces derniers cas, & lorsque le pus a une issue, comme dans les ulceres du poumon ou de la matrice, que cet écoulement est supprimé par l’usage du lait, avec augmentation de symptômes & accélération de la mort. Enfin c’est un reproche très-grave à faire au lait, que celui de ne pouvoir être supporté que par la moindre partie des sujets non-accoutumés, auxquels on le prescrit.

Secondement, trop de mal, car il est observé d’abord que si on s’obstine à user du lait, quoiqu’il cause la plûpart des accidens ci-dessus rapportés, il n’est pas rare de voir tous ces accidens disparoître peu-à-peu, & le lait passer ensuite assez heureusement. Il est observé encore, comme nous en avons touché quelque chose déjà, que de même que le lait passe très-bien quelquefois sans que le fond de la maladie reçoive aucun amandement utile, de même il paroît quelquefois causer & même il cause en effet dans les cas graves, certains accidens, ou qui ne sont funestes qu’en apparence, ou qui n’en existeroient pas moins si on n’avoit pas donné le lait. Il est sûr encore que le lait fait communément très-bien dans les amaigrissemens externes, sans fievre suppuratoire, dans les toux simples & vraiment pectorales ou gutturales, dans les menaces de phtisie, & dans les dispositions à l’hémoptisie, dans les fleurs blanches, &c. On l’a vu même réussir plus d’une fois dans les vapeurs hystériques, & dans les affections mélancoliques hypocondriaques ; mais le lait brille principalement sur un ordre de sujets que beaucoup de medecins n’ont pas été à portée de distinguer & d’observer, savoir les habitans élevés délicatement des grandes villes. Toutes les petites incommodités presque particulieres aux grands & aux riches, aux constitutions dégénérées par le luxe, que les Medecins comprennent sous le nom d’affections vaporeuses ou nerveuses, dont la plus grande partie sont inconnues dans les provinces ; tout cela, dis-je, est assez bien assoupi, masqué par l’usage du lait ; & l’on ne se passeroit que très-difficilement de ce secours dans la pratique de la Medecine exercée dans le grand monde. Enfin le lait est au-moins une ressource dans les cas desespérés pour calmer les angoisses, les douleurs, l’horreur du dernier période de la maladie, pour cacher au malade, par l’emploi d’un secours indifférent, la triste vérité qu’il n’a plus de secours à espérer.

Le lait étant suffisamment indiqué par la nature de la maladie, il reste à déterminer les autres circonstances qui doivent diriger dans son administration, & premierement la constitution du sujet. Quant à ce premier chef, toutes les regles se réduisent à celle-ci. On le donne sans hésiter à ceux qui y sont accoutumés ; Bennet ajoûte, & qui l’appetent vivement, avidè petentibus. On ne le donne point à ceux qui l’ont en horreur, & même on en suspend, on en supprime l’usage lorsqu’il dégoûte celui qui en use. Enfin, dans les sujets neutres, s’il est permis d’appeller ainsi ceux qui n’ont pour le lait, ni penchant, ni dégoût, & qui n’y sont point accoutumés, on n’a d’autre ressource que le tatonnement.

2°. La saison de l’année ; on choisit, lorsque les circonstances le permettent, le printems & l’autommne ; quand la nécessité est urgente, on le donne en tout tems.

3°. L’heure dans la journée. Si on n’en prend qu’une fois par jour, c’est le matin à jeun, ou le soir en se couchant, trois heures au moins après le souper. S’il s’agit de la diete lactée, ou de la boisson du lait en guise de ptisane dans la toux par exemple, ou dans certaines maladies aiguës, la question n’a plus lieu. Dans le premier cas, on le prend à l’heure des repas, & dans le second, à toutes les heures de la journée.

4°. Faut-il préparer le sujet au moins par une médecine ? Cette pratique est salutaire dans la plupart des cas ; mais certainement on en fait une loi trop universelle.

5°. Quel régime doivent observer ceux qui prennent le lait ? Il y a ici une distinction essentielle à faire savoir entre le lait donné pour toute nourriture, ou à peu près ; & le lait pris pendant l’usage, sub usu, des alimens communs. Dans le premiers cas, la premiere est de régime, c’est-à-dire la privation de tout aliment ou boisson qui pourroit corrompre le lait, est comprise dans la prescription même de cet aliment médicamenteux, puisqu’on le prend pour toute nourriture, c’est-à-dire pour tout aliment & pour toute boisson. Cependant comme cet usage est moins sévere que ne l’annonce la valeur de ces mots pour toute nourriture, on accorde communément avec le lait, comme nous l’avons dit plus haut, les farineux fermentés & non fermentés, & on supprime tout autre aliment.

Une tasse de lait pur ou coupé, d’environ six onces le matin, une soupe faite avec deux ou trois petites tranches de pain, & environ dix ou douze onces de lait à midi, un riz clair avec pareille quantité de lait à sept heures du soir, & une tasse de lait pareille à celle du matin, le soir en se couchant ; cette maniere de vivre, dis-je, fait une diete lactée très-pleine, & capable de soutenir les forces & l’embonpoint. Une diete lactée purement suffisante pour vivre, peut ne consister qu’en trois petites tasses à caffé de lait par jour.

On interdit à ceux qui usent en même tems du lait, & les alimens communs, tout ce qui peut cailler le lait, & principalement les acides. En général cette pratique est bonne, mais non pas autant qu’on le croit, ni par la raison qui le fait croire ; car il est de fait que le lait est caillé, même dans l’estomac le plus sain avant d’être digéré ; qu’il subit dans l’état sain une vraie digestion, à la maniere des alimens solides ; par conséquent les acides ne nuisent pas en le coagulant. D’ailleurs ils ne nuisent pas aussi généralement qu’on le croit ; & peut-être sont-ils utiles au contraire dans certains cas ; dans celui du défaut de la présure naturelle, à laquelle ils peuvent suppléer utilement. On a vu plusieurs personnes ne digérer jamais mieux le lait, que lorsqu’elles prenoient ensuite des acides. Une femme m’a assuré qu’elle ne pouvoit souffrir le lait que coupé avec la limonade ; j’ai entendu dire que ce mélange étoit communément usité en Italie. Quoi qu’il en soit, il est clair que la sobriété est plus nécessaire à ceux qui prennent le lait, que la privation de tel ou tel aliment. Cependant si ce doit être la la premiere loi diététique, la seconde chez les gens vraiment malades, doit être d’éviter autant qu’il est possible les crudités, sur-tout les fruits verds, les alimens éminemment indigestes.

Une regle commune à la diete lactée, & à l’usage non-exclusif du lait, c’est que ceux qui en usent, soient très circonspects, très-sobres sur l’usage de la veille, des exercices, de l’acte vénérien, des passions & qu’ils évitent l’air humide & froid, & le chaud excessif.

6°. Quels sont les effets du lait évidemment mauvais, & qui doivent engager à en suspendre, & même à en abandonner absolument l’usage. Nous avons déja répondu en partie à cette question, lorsque nous avons rapporté les accidens divers qui suivent assez souvent l’usage du lait. Car, quoique nous ayons observé qu’il arrivoit quelquefois qu’en bravant ces accidens, & s’obstinant dans l’emploi du lait, on réussissoit à le faire passer : quoique nous ayons remarqué aussi que les malade ne se trouvoient pas mieux, quoiqu’on eût éloigné par la suppression lu lait les accidens qui étoient évidemment dûs à l’usage de ce remede : cependant ce n’est pas là la loi commune ; & en général lorsque le lait donne des nausées, des gonflemens, des vents, des pertes d’appétit, des diarrhées, des sueurs, des maux de tête, la fievre, ou seulement une partie de ces accidens, il faut en suspendre, ou en supprimer absolument l’usage.

Nous avons déja observé que la coagulation du lait dans l’estomac, n’étoit point un mal : par conséquent ce n’est pas une raison pour quitter le lait, que d’en vomir une partie sous la forme d’un caillé blanc & peu dense.

Mais lorsque pendant l’usage du lait, les gros excrémens sont mêlés d’une matiere coagulée dense, de la nature du fromage, blanchâtre, verte ou jaune, & qu’en même tems les hypocondres sont gonflés, & que le malade se sent lourd, bouffi, foible, & qu’il n’a point d’appétit, &c. alors, dis-je, il faut quitter le lait. Ce genre d’altération ne se corrige ni par les remedes, ni par le tems ; l’espece d’engorgement sans irritation, iners, qu’il cause dans l’estomac & dans les intestins, augmente chaque jour, & élude si bien la force expultrice de ces organes, qu’on a vu des malades rendre abondamment de ces concrétions fromageuses six mois près avoir quitté le lait ; or ces embourbemens sont toujours funestes.

La constipation opiniâtre, c’est-à-dire qui ne cede point aux remedes ordinaires que nous allons indiquer dans un instant, est aussi une raison pour quitter le lait, sur-tout chez les vaporeux des deux sexes ; ou si elles donnent des vapeurs a ceux même qui n’y étoient pas sujets, ce qui est une suite très-ordinaire de la constipation.

Enfin le dégoût du lait, sur-tout lorsqu’il est considérable, est une indication certaine & évidente d’en interdire, ou au moins d’en suspendre l’usage.

7°. Quels sont les remedes de ces divers accidens causés par le lait, soit qu’ils exigent qu’on en suspende l’usage, soit qu’on se propose d’y remédier, afin de continuer le lait avec moins d’inconvénient.

Lorsqu’on se détermine à renoncer au lait, il est presque toujours utile de purger le malade ; & c’est même l’unique remede direct à employer dans ce cas. Les autres remedes destinés à réparer le mal causé dans les premieres voies, doivent être réglés non-seulement sur cette vûe, mais même sur la considération de l’état général du malade.

La constipation causée par le lait n’est pas vaincue communément par les lavemens ; ils ne font que faire rendre quelques crotins blancs ; & il arrive souvent même que la constipation augmente. La magnésie blanche, & la casse cuite qui sont fort usitées dans ce cas ne réussissent pas toujours ; le suc d’herbe de violette, de mauve & de cerfeuil, mêlés en parties égales, ajoutés à pareille quantité d’eau de veau ou de poulet, & pris à la dose de quelques cuillerées seulement dans la matinée, font à merveille dans ces sujets délicats, dont nous avons parlé déja : or c’est à ceux-là principalement, comme nous l’avons observé encore, que convient la diete lactée ; & c’est eux aussi que tourmentent particulierement les constipations & les bouffées portant à la tête & à la poitrine, qui sont les suites les plus fâcheuses de la constipation.

On remédie communément d’avance autant qu’il est possible, aux autres mauvais effets du lait, par les diverses circonstances de sa préparation, que nous allons exposer sur le champ.

On donne le lait pur & chaud sortant du pis, ou bouilli ou froid ; on le mêle ou on le coupe avec différentes liqueurs, avec de l’eau pure (ce qui fait le mêlange appellé par les Grecs ὑδρόγαλα), avec des décoctions des semences farineuses, principalement de Forge, avec les sucs, infusions ou décoctions de plusieurs plantes vulnéraires, astringentes, adoucissantes, antiscorbutiques, sudorifiques, &c. telles que le suc ou la décoction de plantain, l’infusion de millepertuis, de violette, de bouillon-blanc, le suc de cresson, la décoction d’esquine, &c. avec des bouillons & des brouets ; tels que le bouillon commun de bœuf ou de mouton, l’eau de veau, l’eau de poulet, &c. avec les liqueurs fermentées même, comme le vin & la bierre, avec les eaux minérales, &c. On l’assaisonne avec le sucre, le sel, le miel, divers syrops, les absorbans, le fer rouillé & rougi au feu, & éteint dedans, &c. On l’emploie comme assaisonnement lui-même dans les crêmes de riz, de gruau, d’orge mondé, avec les pâtes d’Italie, le sagou, &c. On le donne entier, ou privé de l’un de ses principes, d’une partie du beurre, par exemple, ce qui fait le lait écremé, ou de plusieurs de ses principes, du beurre & du fromage, par exemple ; ce qui fait le petit lait, dont nous ferons un petit article à part, à la suite de celui-ci. Le beurre & le fromage, soit confondus ensemble, soit séparés, ne sont pas mis communément au rang des laitages considérés médicinalement : nous en avons fait des articles particuliers. Voyez ces articles.

Le lait pur demande la trop grande habitude pour bien passer. La circonstance d’être pris chaud, froid, au sortir du pis, bouilli, &c. est souvent si essentielle que tel estomac exige constamment l’un de ces états, à l’exclusion de tous les autres ; mais elle est entierement dépendante d’une disposition inconnue, & aussi bisarre que tout ce qui regarde le goût. Le lait coupé avec l’eau ou les décoctions farineuses, passe beaucoup plus aisément, & ce mélange ne remplit que l’indication simple qui fait employer le lait ; les sucs, décoctions, infusions vulnéraires, sudorifiques, &c. mêlés avec le lait, remplissent des indications composées. On ordonne par exemple, le lait coupé avec le suc ou la décoction de plantain, dans les pertes de sang, pour adoucir par le lait, & resserrer par le plantain, &c. Les mélanges peu communs de bouillon, & de liqueurs vineuses avec le lait sont plus nourrissans & plus fortifians que le lait pur. Le dernier est même une espece de stomachique cordial chez certains sujets singuliers, indéfinis, indéfinissables, qu’on ne découvre que par instinct ou par tatonnement. Le lait assaisonné de sucre, de sel, de poudre absorbante, &c. est utilement préservé par ces additions, des différentes altérations auxquelles il est sujet. Il est sur-tout utile de le ferrer, pour prévenir ou pour arrêter le devoyement. Les farineux mêlés au lait l’empêchent aussi de jouir de tous ses droits, d’être autant sui juris ; il est au contraire entraîné dans la digestion propre à ces substances, beaucoup plus appropriées que le lait à nos organes digestifs, & même éminemment digestibles pour ainsi dire ; mais aussi l’effet médicamenteux du lait est moindre dans la même proportion. Enfin le lait écremé passe plus communément que le lait entier ; il est moins sujet à fatiguer l’estomac.

Choix du lait. On doit prendre le lait d’un jeune animal, bien soigné, nourri habituellement à la campagne, & dans de bons paturages autant qu’il est possible, ou du moins dans une étable bien aérée, & pourvûe de bonne litiere fraîche, abondante, & souvent renouvellée. Les vaches qu’on entretient dans les fauxbourgs de Paris pour fournir du lait à la ville, ne jouissent certainement d’aucun de ces avantages, & sur-tout de celui d’une étable bien saine, & d’une litiere fraîche, choses très-essentielles pourtant à la santé de l’animal, & par conséquent à la bonne qualité du lait. Le lait est meilleur quelques semaines après que la bête qui le fournit a mis bas, & tant qu’elle en donne abondamment, que dans les premiers jours, & lorsqu’il commence à être moins abondant. On doit rejetter celui d’une bête pleine, ou qui est en chaleur : on doit choisir le lait aussi frais & aussi pur qu’il est possible. On en vend assez communément à Paris qui est fourré d’eau & de farine, & qui d’ailleurs est fort peu récent. Il importe beaucoup encore de le loger dans des vaisseaux propres, & qui ne puissent lui communiquer aucune qualité nuisible. Il s’en faut bien que les cruches de cuivre dans lesquelles on le porte ordinairement à Paris, soient des vaisseaux convenables à cet usage. Un reste de lait oublié dans ces cruches, est, par sa pente à aigrir, beaucoup plus propre que la plupart des liqueurs qu’on loge dans le cuivre, à y former du verd-de-gris, qui communique très aisément sa qualité malfaisante au lait qu’on y met ensuite. Les exemples de familles entieres empoisonnées par de pareil lait, ne sont pas rares à Paris. On prétend enfin qu’il est utile pendant l’usage suivi & continu du lait, de prendre constamment celui d’une même vache ou d’une même chevre. En effet, il se trouve des estomacs dont la sensibilité est si exquise, qu’ils distinguent très-bien les laits tirés de diverses individus, & qui n’en peuvent supporter l’alternative ou le mélange. C’est encore ici une disposition d’organes particuliere aux victimes du luxe. Les estomacs vulgaires n’y regardent pas de si près ; il est très-avantageux pour les premiers, & c’est aussi un usage reçu chez les grands, de prendre une vache ou une chevre à soi.

Usage extérieur du lait. On emploie assez communément le lait comme émollient, calmant, adoucissant dans plusieurs affections externes, principalement quand elles sont accompagnées de douleurs vives. On en verse quelques gouttes dans les yeux contre l’ophtalmie ; on bassine les hémorrhoïdes très-douloureuses avec du lait chaud ; on le donne en lavement dans les dyssenteries ; on le fait entrer dans les bouillies, les cataplasmes, &c. qu’on applique sur des tumeurs inflammatoires, &c. Cet emploi ne mérite aucune considération particuliere ; on peut avancer qu’en général il réussit assez bien dans ces cas.

2°. Du lait d’ânesse, c’est-à-dire, des usages medicinaux du lait d’ânesse. Ce que nous avons dit de la composition naturelle du lait d’ânesse, annonce déja ses propriétés medicinales. On peut en déduire, avec beaucoup de vraissemblance, que ce lait possede en un degré supérieur toutes les vertus du lait, sans faire appréhender ses principaux inconvéniens. En effet, c’est par le principe caséeux & par le principe butyreux que le lait est principalement capable de produire tous les accidens qu’on lui reproche. C’est par la facilité avec laquelle ces principes se séparent & s’alterent diversement dans le lait de vache, par exemple, que ce lait est sujet à produire les mauvais effets que nous avons détaillés plus haut. Or le lait d’ânesse contient fort peu de ces principes. Une expérience ancienne & constante vient à l’appui de ce raisonnement. Hippocrate a compté parmi les bonnes qualités du lait d’ânesse, celle de passer plus facilement par les selles que les autres especes de lait, de lâcher doucement le ventre. Sur quoi il faut observer que cet effet appartient au lait d’ânesse inaltéré ; au lieu que le lait de vache, par exemple, ne devient laxatif que lorsqu’il a essuyé une vraie corruption. Aussi un leger dévoiement, ou du-moins une ou deux selles liquides, quelques heures après l’usage du lait d’ânesse, sont ordinairement un bien, un signe que le remede réussit, & ces selles sont sans douleur & sans ventosités : au lieu que le dévoiement, même égal pour l’abondance & la fréquence des selles, est presque toujours de mauvais augure pendant l’usage du lait de vache ou de chevre, & les déjections sont ordinairement flatueuses & accompagnées de quelques tranchées. Au reste, il faut observer qu’il ne s’agit point ici du dévoiement qu’on peut appeller in extremis, c’est-à dire, de celui par lequel finissent communément les malades qui succombent à plusieurs des maladies pour lesquelles on donne du lait. Il est à peu-prés démontré, comme nous l’avons remarqué plus haut, que cet accident appartient à la marche de la maladie, & non pas au lait, ou à tel lait.

La quantité très-considérable de substance sucrée que contient le lait d’ânesse le rend aussi très-nourrissant. Cette substance est dans le lait la matiere nutritive par excellence ; la substance caséeuse ne mérite que le second rang, & le beurre n’est point nourrissant, du-moins le beurre pur. C’est par conséquent un préjugé, une erreur, que d’imaginer, comme on le fait assez généralement, que le lait le plus épais est le plus nourrissant, car c’est le plus butyreux qui est le plus épais ; & un lait très-clair, comme celui d’ânesse, peut être éminemment sucré, comme il l’est en effet. C’est manifestement cette opinion qui a empêché d’essayer l’usage du lait d’ânesse pour toute nourriture, ou du-moins cet usage de prendre, si tant est que quelqu’un l’ait essayé. Or je crois que cette pratique pourroit devenir très-salutaire.

Selon la méthode ordinaire, le lait d’ânesse se donne seulement une fois par jour, à la dose de huit onces jusqu’à une livre. On le prend ou le matin à jeun, ou le soir en se couchant, & quant au degré de chaleur, tel qu’on vient de le traire. Pour cela, on amene l’ânesse à côté du lit, ou à la porte de la chambre du malade, où on la trait dans un vaisseau de verre à ouverture un peu étroite, plongé dans de l’eau tiede, & qu’on tient dans cette espece de bain-marie jusqu’à ce qu’on le présente au malade. On y ajoute quelquefois un morceau de sucre, mais cet assaisonnement est assez inutile, le lait d’ânesse étant naturellement très-doux.

On donne le lait d’ânesse contre toutes les maladies dans lesquelles on emploie aussi le lait de vache, &c. & que nous avons énoncées, en parlant de cette autre espece de lait. Mais on préfere le lait d’ânesse dans les cas particuliers où l’on craint les accidens propres du lait que nous avons aussi rapportés ; & principalement lorsque les sujets étant très-foibles, ces accidens deviendroient nécessairement funestes, c’est-à-dire, que le lait d’ânesse est dans la plûpart de ces maladies, & sur-tout dans les maladies chroniques de la poitrine, un remede extrème, une derniere ressource, sacra anchora ; que par cette raison, on voit très-rarement réussir, du moins guérir. Mais quand il est employé de bonne heure, ou contre ces maladies lorsqu’elles sont encore à un degré curable, il fait assez communément des merveilles. Il est admirable, par exemple, dans les toux séches vraiment pectorales, dans les menaces de jaunisse, ou les jaunisses commençantes, dans presque toutes les affections des voies urinaires, dans les sensibilités d’entrailles, les dispositions aux ophtalmies appellées bilieuses ou séches, les fleurs blanches.

On prend le lait d’ânesse principalement au printems & en automne. On a coutume, & on fait bien, de mettre en pâture l’ânesse qui fournit le lait, ou de la nourrir, autant qu’il est possible, de fourrage vert, sur-tout d’herbe presque mûre de froment ou d’orge ; on lui donne aussi du grain, sur-tout de l’orge. On doit encore la bien étriller plusieurs fois par jour, lui fournir de la bonne litiere, &c.

3°. Du lait de femme, ou des usages medicinaux du lait de femme. Le lait de femme peut être considéré medicinalement sous deux aspects ; ou comme fournissant la nourriture ordinaire, propre, naturelle des enfans ; ou comme un aliment médicamenteux ordonné aux adultes dans certains cas. Nous ne le considérerons ici que sous le dernier aspect. Quant au premier, voyez Enfant & Nourrice.

Le lait de femme, considéré comme remede, a été célébré, dès l’enfance de l’art, comme le premier de tous les laits, principalement dans les marasmes, in tabidis, celui qui étoit le plus salutaire, le plus approprié à la nature de l’homme. Les livres, les théories, tirent un merveilleux parti de cette considération. Quoique les raisonnemens ne se soient pas dissimulés cette observation défavorable, savoir que ce lait provenant d’un animal carnivore, est plus sujet à rancir que celui des animaux qui se nourrissent uniquement de végétaux. Mais la pratique, l’expérience, le mettent au dernier rang au contraire ; ne fût-ce que parce qu’il est le moins usité, & que le plus grand nombre de Medecins ne l’ont point essayé. D’ailleurs le raisonnement a dit encore que pour l’appliquer convenablement & avec espoir de succès, il falloit ne le donner qu’à des sujets qui approchassent beaucoup de la nature des enfans, & qui vecussent comme les enfans, non seulement quant à l’exercice, aux mouvemens du corps, mais encore quant aux passions, aux affections de l’ame. Or il est très-rare de rencontrer ces conditions chez des adultes.

Quant à la circonstance de faire teter le malade, & de lui faire ainsi avaler un lait animé d’un prétendu esprit vivifiant, que Galien lui-même a célébré ; outre que le malade pourroit aussi-bien teter une vache ou une ânesse qu’une femme ; d’ailleurs l’esprit du lait, & sa dissipation par la moindre communication avec l’air, ne sont certainement pas des choses démontrées. Au reste, c’est cependant là un remede & une maniere de l’administrer qu’il paroît fort utile de tenter.

Nous ne pensons certainement pas aussi avantageusement de la méthode de faire coucher de jeunes hommes absolument exténués, réduits au dernier degré d’étisie, tabe consumptis, avec des jeunes nourrices, jolies, fraiches, proprettes, afin que le pauvre moribond puisse teter à son aise, tant que la nourrice y peut fournir. Forestius étale envain l’observation fameuse d’un jeune homme arraché des bras de la mort par ce singulier remede ; & plus vainement encore, à mon avis, un très-célebre auteur moderne prétend-il qu’une émanation très-subtile qui s’échappe du corps jeune & vigoureux de la nourrice, venant à s’insinuer dans le corps très-foible du malade (subtilissima exhalentia è valido juvenili corpore insinuata debilissimis, &c.) doit le ranimer très-efficacement. L’exemple de David, dont on réchauffoit la vieillesse par ce moyen, que cet écrivain allegue, ne conclut rien en faveur de son opinion : car, 1°. il n’est pas rapporté que cette pratique ait été suivie de quelque succès. 2°. Quand bien même ce seroit là une bonne recette contre les glaces de l’extrème vieillesse, il paroît que la maniere d’opérer de ce secours seroit fort mal estimée par l’insinuation des tenuissima exhalantia è validè juvenili corpore, in effœtum senile, &c. Il nous paroît donc évident sur tout ceci, d’abord que les tenuissima exhalantia, c’est-à-dire la transpiration, ne fait absolument rien ici. En second lieu, que si des jeunes gens réduits au dernier degré de marasme, pouvoient en être retirés en couchant habituellement avec des jeunes & belles nourrices, cette révolution salutaire seroit vraissemblablement dûe (si l’usage du lait de femme ne l’opéroit pas toute entiere) à l’appétit vénérien constamment excité, & jamais éteint par la jouissance, qui agiroit comme un puissant cordial, ou comme un irritant extérieur, les vésicatoires ou la flagellation. Enfin, que quand même la religion permettroit d’avoir recours à un pareil moyen, ce seroit toujours une ressource très-équivoque, parce que l’espece de fièvre ; d’ardeur, de convulsion continuelle dans laquelle je suppose mon malade, état dont il est en effet très-susceptible, & même éminemment susceptible, selon une observation très-connue ; que cet état, dis-je, paroît plus capable de hâter la mort que de la prévenir, encore qu’on fût sûr que le malade ne consommeroit point l’acte vénérien, à plus forte raison s’il le consommoit ; car il est très connu que cette erreur de régime est mortelle aux étiques, & que plusieurs sont morts dans l’acte même.

Du petit-lait. Nous avons déja donné une idée de la nature du petit-lait au commencement de cet article. Nous avons observé aussi que le petit-lait étoit différent, selon qu’on le séparoit par l’altération spontanée du lait, ou bien par la coagulation. Celui qui est séparé par le premier moyen est connu dans les campagnes, comme nous l’avons déja rapporté aussi sous le nom de lait de beurre. Il est aigrelet ; car c’est dans son sein que réside l’unique substance qui s’est aigrie pendant la décomposition spontanée du lait : il est fort peu usité en Medecine ; on pourroit cependant l’employer avec succès, comme on l’employe en effet dans les pays où les laitages sont très-abondans, dans les cas où une boisson aqueuse & légerement acide est indiquée. Le nom de petit-lait acidule lui convient beaucoup mieux qu’à celui que M. Cartheuser a désigné par ce nom dans sa Pharmacologie, & qui n’est autre chose que le petit-lait, séparé du lait coagulé par les acides. Car on peut bien par ce moyen même obtenir un petit-lait très-doux : il n’y a pour cela qu’à être circonspect sur la proportion de l’acide employé ; & M. Cartheuser n’exige pas qu’on employe l’acide en une quantité surabondante. En un mot, le serum lactis acidulum de M. Cartheuser est du petit-lait ordinaire, dont nous allons nous occuper sur le champ.

Celui-ci, c’est-à-dire le petit-lait ordinaire, qu’on pourroit aussi appeller doux, en le comparant au précédent, au lait de beurre, est celui qu’on sépare du lait coagulé par la pressure ordinaire, ou même, quoique beaucoup moins usuellement, par des acides végétaux. La coagulation du lait, pour la préparation pharmaceutique du petit-lait, & la séparation de cette derniere liqueur d’avec le caillé, n’ont rien de particulier. On s’y prend dans les Pharmacies comme dans les Laiteries. Voyez Lait, Economie rustiq. L’opération vraiment pharmaceutique qu’on exécute sur le petit lait, c’est la clarification. Voici cette opération : prenez du petit-lait récent, qui est naturellement très-trouble ; ajoutez-y à froid un blanc d’œuf sur chaque livre de liqueur ; mêlez exactement en fouettant ; faites bouillir, & jettez dans la liqueur pendant l’ébullition, environ 18 ou 20 grains de crême de tartre ; passez au blanchet & ensuite au papier à filtrer.

Quoique ce soit principalement la saveur & l’élégance du remede, le jucundè qu’on a en vûe dans cette clarification, il faut convenir aussi que les parties fromageuses & butireuses qui sont suspendues dans le petit-lait trouble, non-seulement rendent ce remede dégoûtant, & souvent trop laxatif, mais même peuvent le disposer à engendrer dans les premieres voies, ces concrétions butyreuses & fromageuses que nous avons comptées parmi les mauvais effets du lait. Il faut convenir encore que c’est vraissemblablement une pratique très mal entendue que l’usage constant de donner toujours le petit-lait le mieux clarifié qu’il est possible. Car quoiqu’il n’en faille pas croire M. Quincy, qui assure dans sa Pharmacopée, que le petit-lait ainsi clarifié, n’est qu’un pur phlegme, qui n’est bon à rien : il est indubitable cependant qu’il est des cas où une liqueur, pour ainsi dire moins seche, plus muqueuse, plus grasse que le petit-lait très-clarifié, est plus indiquée que le petit-lait clair comme de l’eau. Au reste, ces petits-laits ne différeroient entr’eux que par des nuances d’activité ; & je ne voudrois pas qu’on admît dans l’usage l’extrème opposé au très-clair, c’est-à-dire le petit-lait brut très-trouble, tel qu’il se sépare du caillé.

Il est une troisieme espece de petit-lait, qui doit peut-être tenir lieu de ce dernier, du petit-lait éminemment gras ; savoir, celui qui est connu sous le nom de petit-lait d’Hoffman, & que M. Cartheuser appelle petit-lait doux, serum lactis dulce. Voici comment Frédérick Hoffman en expose la préparation dans sa dissertation de saluberrima seri lactis virtute. Il prend du lait sortant du pis ; il le fait évaporer au feu nud dans un vaisseau d’étain (il vaut beaucoup mieux exécuter cette évaporation au bain-marie) jusqu’à ce qu’il obtienne un résidu qui se présente sous la forme d’une poudre jaunâtre & grumelée. Alors il jette sur ce résidu autant d’eau qu’il s’en est dissipé par l’évaporation ; il donne quelques bouillons, & il filtre. L’auteur prétend, avec raison, que cette liqueur, qui est son petit-lait (& qu’il appelle eau de lait par décoction, ou petit-lait artificiel), a bien des qualités au-dessus du petit-lait ordinaire, du moins s’il est vrai que le petit-lait soit d’autant meilleur, que la substance muqueuse qu’il contient, est plus grasse, plus savonneuse : car il est très-vrai que les substances salines & sucrées quelconques, se chargent facilement des matieres oléagineuses, lorsqu’elles ont avec ces matieres une communication pareille à celle que la matiere sucrée du petit-lait a, dans la méthode d’Hoffman, avec la matiere butyreuse.

Ce caractere, qui distingue le petit-lait d’Hoffman d’avec le petit-lait ordinaire, n’a cependant rien d’absolu : il ne peut constituer qu’une variété dans le degré d’action, & même une variété peu considérable.

Une livre de petit-lait (apparemment de vache) fournie par une livre & demie de lait entier, filtrée, évaporée au bain-marie, & rapprochée autant qu’il est possible, & cependant imparfaitement, a donné à M. Geoffroi une once un gros & trois grains de matiere concrete, qui est le sel ou sucre de lait dont nous allons parler dans un moment.

Hoffman n’a retiré, par l’évaporation, d’une livre de medecine (qui répond à 10 ou 12 onces, poids de marc) qu’un gros, c’est-à dire 60 ou 72 grains de matiere sucrée. La différence prodigieuse de ces deux produits ne paroît pas pouvoir être raisonnablement déduite de ce que M. Geoffroi a desseché sa matiere au bain-marie, & qu’Hoffman a employé la chaleur d’un bain de sable. On ne peut cependant avoir recours qu’à cette cause, ou à la différence individuelle des laits que chacun de ces chimistes a traités, ou enfin à l’inexactitude de l’un d’eux, ou de tous les deux : car il ne faut pas soupçonner que la matiere concrescible du petit-lait ayant été une fois dessechée, soit devenue moins soluble qu’elle ne l’étoit auparavant, & que le beurre & le fromage avec lesquels elle a été intimement entremêlée dans cette dessication, la défendent contre l’action de l’eau. Le sucre de lait est une substance trop soluble par le menstrue aqueux, pour qu’on puisse former raisonnablement cette conjecture.

Vertus ou usages medicinaux du petit-lait. Presque tous les auteurs, sur-tout les anciens, que Fréd. Hoffman a imités en cela, recommandent par préférence le petit-lait de chevre. On se sert en France principalement du petit-lait de vache, excepté dans les cantons où le lait de chevre est plus commun que celui de vache. A Paris, où cette raison de commodité n’est pas un titre de préférence, on distingue ces deux petits-laits dans l’usage, & beaucoup de medecins assurent qu’ils different réellement en vertu, de même que les Apoticaires observent qu’ils présentent des phénomenes différens dans la coagulation & dans la clarification.

Nous croyons cependant pouvoir regarder ces différences d’action médicamenteuse, comme méritant d’être constatées par de nouvelles observations, ou comme peu considérables. D’après ce sentiment nous ne parlerons que des vertus communes à l’un & à l’autre petit-lait. Au reste, comme on ne prépare ordinairement que ces deux especes, ce que nous dirons du petit lait en général ne sera censé convenir qu’à celles là.

La vertu la plus évidente du petit lait est d’être un laxatif doux & assez sûr, peut-être le premier ou le plus réel des eccoprotiques. Il pousse aussi assez communément par les urines. On le donne pour exciter l’une ou l’autre de ces deux évacuations, ou seul, ou chargé de différentes matieres purgatives ou diurétiques. Plusieurs auteurs le proposent même comme un bon excipient des purgatifs les plus forts, dont ils croyent que le petit-lait opere une véritable correction ; mais ce mélange est assez chimérique dans cette vûe.

Il n’y a point d’inconvénient de mêler le petit-lait aux remedes acides, tels que les tamarins, les sucs acidules des fruits, &c. Le petit-lait n’est point, comme le lait, altéré par ces substances ; au contraire, leur mélange avec le petit-lait peut être agréable & salutaire toutes les fois qu’on se propose de rafraîchir & de relâcher. Une légere limonade préparée avec le petit-lait au lieu de l’eau, doit mériter la préférence sur la limonade commune dans les ardeurs d’entrailles & des voies urinaires, avec menace d’inflammation, &c. Une décoction de tamarins dans le petit lait, vaut mieux aussi que la décoction de ces fruits dans l’eau commune, lorsqu’on se propose de lâcher le ventre dans les mêmes cas.

Le petit-lait est regardé, avec raison, comme le premier des remedes relâchans, humectans & adoucissans. On s’en sert efficacement en cette qualité dans toutes les affections des visceres du bas-ventre qui dépendent de tensions spontanées ou nerveuses, ou d’irritations, par la présence de quelque humeur vitiée, ou de quelque poison ou remede trop actif. On le donne par conséquent avec succès dans les maladies hypochondriaques & hystériques, principalement dans les digestions fougueuses, les coliques habituelles d’estomac, manifestement dûes à la tension & à la sécheresse de ce viscere, les flux hémorrhoïdaux irréguliers & douloureux, les jaunisses commençantes & soudaines, le flux hépatiques, les coliques bilieuses, les fleurs blanches, les flux dissentériques, les diarrhées douloureuses, les tenesmes, les superpurgations, &c. Il est regardé aussi comme capable d’étendre sa salutaire influence au-delà des premieres voies, du moins de produire de bons effets dans des maladies qu’on peut regarder comme plus générales que celles dont nous venons de parler. On le donne avec succès dans toutes les fievres aigues, & principalement dans la fievre ardente & dans la fievre maligne.

Il est utile aussi dans tous les cas d’inflammation présente ou imminente des organes particuliers, des parties de la génération ; par exemple, dans les maladies vénériennes inflammatoires, dans l’inflammation d’une partie des intestins, après une blessure ou une opération chirurgicale, dans les ophtalmies exquises, &c.

On peut assurer que dans tous ces cas il est préférable aux émulsions & aux ptisanes mucilagineuses qu’on a coûtume d’employer.

Hoffman remarque (dans sa dissertation sur le petit-lait) que les plus habiles auteurs qui ont traité du scorbut, recommandent le petit-lait contre cette maladie. M. Lind, auteur bien postérieur à Hoffman, qui a composé un traité du scorbut très-complet, le met aussi au rang des remedes les plus efficaces de ce mal.

Fréd. Hoffman attribue encore au petit-lait, d’après Sylvaricus, célebre medecin italien, de grandes vertus contre la manie, certaines menaces de paralysie, l’épilepsie, les cancers des mamelles commençans, &c.

Le petit-lait a beaucoup d’analogie avec le lait d’ânesse. Hippocrate ordonne presque indifféremment le lait d’ânesse ou le petit-lait de chevre ; & Fréd. Hoffman, dans la dissertation que nous avons déja citée plusieurs fois, attribue au petit-lait, sur l’autorité d’Hippocrate, toutes les vertus que cet auteur attribue au lait d’ânesse, lors même qu’il ne propose pas l’alternative de ce remede ou du petit-lait.

En général le petit-lait doit être donné à grandes doses & continué longtems : il faut prendre garde cependant qu’il n’affadisse point l’estomac, c’est-à-dire qu’il ne fasse point perdre l’appétit & qu’il n’abatte point les forces ; car c’est-là son unique, mais très-grave inconvénient. On voit bien au reste que cette considération ne peut avoir lieu que dans les incommodités & les maladies chroniques ; car dans les cas urgens, tels que les fievres aiguës & les inflammations des visceres, l’appétit & les forces musculaires ne sont pas des facultés que l’on doive se mettre en peine de ménager. Il est encore vrai cependant que dans les fievres aiguës il ne faut pas donner le petit-lait dans le cas de foiblesse réelle.

Petit-lait à l’angloise, ou préparé avec les vins doux. Les Anglois préparent communément le petit-lait en faisant cailler le lait avec le vin d’Espagne ou de Canarie. On nous rapporte même que c’est presque-là l’unique façon dont on prépare ce remede à Londres ; mais nous ne le connoissons en France que sur quelques exposés assez vagues. Les pharmacopées angloises les plus modernes ne font point mention de cette préparation : il est naturel de conjecturer pourtant qu’elle doit varier beaucoup selon la quantité de vin qu’on y employe. Jusqu’à présent ce remede n’a point été reçu en France ; ainsi nous ne saurions prononcer légitimement sur ses propriétés medicinales, qui ne peuvent être établies que sur des observations. Nous osons avancer pourtant que l’usage de mêler une petite quantité de vin d’Espagne à du petit-lait déja préparé, que quelques praticiens de Paris ont tenté avec succès dans les sujets chez qui le petit lait pur avoit besoin d’être aiguisé par quelque substance un peu active ; que cet usage, dis-je, doit paroître préférable à celui du petit lait tiré du lait caillé avec le même vin. Car de la premiere façon, la préparation du vin peut se déterminer bien plus exactement ; & il ne seroit pas difficile, si l’on desiroit une analogie plus parfaite avec la méthode angloise, de l’obtenir, en chauffant le vin qu’on voudroit mêler au petit-lait jusqu’au degré voisin de l’ébullition, ou même jusqu’à une ébullition légere.

Sel ou sucre de lait. Kempfer rapporte que les Brachmanes ont connu autrefois la maniere de faire le sucre de lait ; quoi qu’il en soit, Fabricius Bartholetus, médecin italien, est le premier qui ait fait mention, au commencement du siecle dernier, du sel essentiel de lait, sous le titre de manne ou de nitre du lait. Ettmuler en a donné une description qu’il a empruntée de cet auteur. Testi, médecin vénitien, est le second qui, sur la fin du dernier siecle, a trouvé le moyen de retirer ce sel, & il l’a appellé sucre de lait.

Ce médecin composoit quatre especes de sucre de lait. La premiere étoit fort grasse ; la seconde l’étoit moins, la troisieme ne contenoit presque pas de parties grasses ; la derniere étoit mêlée avec quelques autres médicamens. Ce sel étoit sujet à se rancir comme la graisse des animaux, sur tout lorsqu’on le conservoit dans des vaisseaux fermés, c’est pourquoi l’auteur conseilloit de le laisser exposé à l’air libre.

M. Fickius, en 1710, publia en Allemagne une maniere de faire le sel de lait. Enfin on a poussé en Suisse à sa perfection la maniere de préparer cette espece de sel ; mais on en a tenu la préparation secrete. M. Cartheuzer en a donné une préparation particuliere, qu’il attribue mal-à-propos à Testi ; & que l’auteur, dont nous empruntons ce morceau sur le sucre de lait, a tentée sans succès.

Il y a en Suisse un chimiste nommé Creusius, qui a une maniere admirable de composer ce sel, mais malheureusement il ne fait part de son secret à personne, ce qui est d’autant plus fâcheux, que celui dont il a la propriété est infiniment plus beau que les autres ; il est plus blanc, plus doux ; il se dissout mieux sur la langue.

En attendant qu’il plaise à M. Creusius de publier son secret[1], voici la méthode la meilleure de faire ce sel que nous propose notre auteur, & qui est celle qu’on pratique dans les Alpes du côté de la Suisse. On prépare dans ce pays deux especes de sucre de lait ; l’une est en crystaux, l’autre se vend sous la forme de tablettes. La derniere espece se fait de cette maniere : on écrême le lait à l’ordinaire ; on le fait prendre ensuite avec de la présure pour en tirer le petit lait que l’on filtre à travers un linge propre, & que l’on fait évaporer sur un feu lent, en le remuant doucement, jusqu’à ce qu’il soit réduit en consistence de miel. Quand il est épaissi de cette façon on le moule, on lui donne différentes figures & on le fait sécher au soleil ; c’est ce qu’on appelle sucre de lait en tablettes.

L’autre espece se tire de la précédente. On fait dissoudre dans de l’eau le sucre de lait en tablettes, on le clarifie avec le blanc-d’œuf, on le passe à la chausse, on le fait épaissir par l’évaporation jusqu’à ce qu’il ait la consistence d’un sirop, & on le met reposer pour que la crystallisation se fasse. Les crystaux se trouvent séparés formant des masses cubiques, brillantes & très-blanches ; ils sont attachés aux parties du vase par couches. Si l’on veut encore faire épaissir la liqueur qui reste & la mettre en repos, on en retire de nouveaux crystaux ; on peut répéter ce manuel trois fois. Les premiers crystaux sont d’un blanc éblouissant ; les seconds sont paillés ; les derniers sont d’une couleur brune. En les faisant dissoudre de nouveau dans de l’eau pure, & répétant la clarification, la filtration & la crystallisation, on peut porter les derniers au dégré de blancheur des premiers.

L’auteur prétend que, quoique le lait de tous les animaux soit propre à fournir du sel essentiel, cependant celui de la femme est le meilleur, ensuite ceux d’anesse, de chevre & de vache.

Le sel essentiel de lait est très-soluble dans l’eau ; mais le différent degré de chaleur de ce menstrue fait varier considérablement la proportion dans laquelle se fait cette dissolution. Une once d’eau bouillante dissout parfaitement sept gros de sucre de lait, tandis que la même quantité a bien de la peine à fondre dans une livre d’eau qui n’étoit refroidie que jusqu’au 160 degré du thermomètre de Fareneith.

Quant aux vertus médicinales du sucre de lait, notre auteur remarque que s’il convient d’avoir égard aux éloges que Boerhaave & Hoffman ont donnés au sucre ordinaire, on doit les accorder à plus forte raison au sucre de lait. Le sel essentiel de lait produit le même effet que le petit-lait, qui n’est que le même remede plus étendu. On peut employer le premier avec avantage pour les estomacs paresseux qui ne sont pas en état de soutenir de grandes boissons. Lorsque le petit-lait est indique pour de pareils sujets, on peut y substituer du sucre de lait dissous dans une liqueur convenable à l’état & aux forces du malade. Testi, Aloysius Afabra, & beaucoup d’autres auteurs le croient merveilleux dans les affections goutteuses & rhumatismales ; notre auteur ne croit pas beaucoup à cette propriété que son expérience a constamment démentie. Extrait d’un écrit de M. Vullyamoz, médecin de Lausane, inséré dans le receuil périodique d’observations de médecine, &c. pour le mois de Décembre 1756.

On distribue dans le royaume une espece de placard ou mémoire sur la nature & l’usage du sucre de lait de Suisse qui se vend dans plusieurs villes du royaume, & principalement à Lyon. Il est dit dans ce mémoire que ce précieux remede convient fort, lorsqu’on soupçonne d’avoir quelques restes de maux vénériens, & qu’il est très-propre pour les enfans qui peuvent avoir apporté cette maladie en naissant, ou qui ont sucé quelques nourrices infectées. Tout médecin raisonnable peut assurer très-positivement au contraire que le sucre de lait est un remede impuissant dans l’un & dans l’autre cas.

Tout ce qu’on sait de la nature du sucre de lait, c’est que c’est une matiere de la classe des corps muqueux du genre des corps doux, & de l’espece de ces corps qui est caractérisée par la propriété de prendre une forme concrete. Le sucre de lait est distingué dans cette division par la moindre pente à subir la fermentation spiritueuse, & par un degré de douceur beaucoup moindre que celle des sucres végétaux avec lesquels il a d’ailleurs beaucoup d’analogie. Voyez Doux, Muqueux & Sucre.

Lait distillé. Le petit-lait distillé au bain-marie qui a été mis au nombre des médicamens, doit être rejetté dans la classe des eaux distillées parfaitement inutiles. Celle-ci est recommandée principalement comme cosmétique ; mais on peut avancer que la très-petite quantité & l’extrème subtilité des principes propres du lait qui s’élevent avec la partie aqueuse dans la distillation, & qui donnent à l’eau de lait distillée une odeur de lait très-reconnoissable, ne sauroit cependant lui communiquer aucune vertu médicamenteuse. On doit penser la même chose de l’eau distillée de limaçons avec le petit-lait, qui est décrite dans la plupart des dispensaires sous le nom d’eau de limaçon, & d’une autre eau plus composée, connue sous le nom d’eau de lait aléxitere : du moins est-il certain que cette eau dont les autres ingrédiens sont de chardon-bénit, la scabieuse, la reine des prés, la mélisse, la menthe & l’angélique, ne doit sa vertu médicinale qu’à la plupart de ces plantes qui contiennent un principe actif & volatil, & plus généralement que l’eau de lait alexitere, est une préparation sort mal-entendue.

Le petit-lait entre dans la composition de la confection-hamec, & en est un ingrédient fort ridicule. (b)

Lait virginal, (Chimie, Mat. méd.) les Pharmacopistes ont donné ce nom à plusieurs liqueurs rendues laiteuses, c’est à dire opaques & blanches, par un précipité blanc & très-léger, formé & suspendu dans leur sein.

Celle de ces liqueurs la plus connue est une teinture de benjoin précipitée par l’eau. Une résine quelconque, dissoute dans l’esprit-de-vin, & précipitée par l’eau, fourniroit un lait virginal pareil à celui-ci, qui n’a prévalu dans l’usage que par l’odeur agréable & l’âcreté modérée du benjoin. Le lait virginal du benjoin est un remede externe, recommandé contre les taches du visage ; ce cosmétique n’a, dans la plupart de ces cas, qu’un succès fort médiocre. Voyez Benjoin, Résine & Teinture.

Une autre liqueur fort différente de la précédente, & qui porte le nom de lait virginal dans quelques livres classiques, dans la Chimie de Lemery, par exemple, c’est le vinaigre de Saturne précipité par l’eau. Ce remede est vanté contre les dartres, les éruptions érésipélateuses, & presque toutes les maladies de la peau. Son usage mérite quelque considération dans la pratique, à cause de sa qualité répercussive. Voyez Repercussif & Plomb. (b)

Lait, maladies qui dépendent du, (Méd. Pathologie.) nous ne considérons le lait dans cet article que comme cause de maladie, comme contribuant à grossir le nombre de celles qui attaquent spécialement cette moitié aimable du genre humain, & qui lui font payer bien cher la beauté, les agrémens & toutes les prérogatives qu’elle a par-dessus l’autre. Les maladies les plus communes excitées par le lait, sont la fievre de lait, le lait répandu, le caillement de lait dans les mamelles, & le poil de lait. On pourroit encore ajouter aux maladies dont le lait est la source, celles qu’il occasionne dans les enfans lorsqu’il est altéré. Ces machines délicates, avides à recevoir les plus légeres impressions, faciles (cerei) à s’y plier, se ressentent d’abord des vices de cette liqueur leur seule nourriture, & elles en portent les funestes marques pendant tout le cours d’une vie languissante & maladive ; quelquefois ils payent par une mort prompte les dérangemens d’une nourrice infectée ou trop emportée dans ses passions. C’est un fait confirmé par l’expérience de tous les jours, que le lait d’une femme en colere fait, dans les petits enfans qui le sucent, l’effet d’un poison actif ; & personne n’ignore que l’obstruction des glandes du mésentere, l’atrophie, le rachitis, &c. ne doivent le plus souvent être imputés qu’à un lait vicieux, & sur-tout à celui qui est fourni par une nourrice enceinte, qui pour n’être pas privée d’un gain mercenaire, immole cruellement ces innocentes victimes à ses plaisirs & à sa cupidité. Nous ne poursuivrons pas cette matiere, parce qu’elle est traitée plus au long aux articles particuliers des Maladies des enfans ; nous nous bornerons ici à l’exposition succinte des maladies produites immédiatement par le lait dans les femmes.

Fievre de lait, febris lactea. D’abord que la matrice a été débarrassée par l’accouchement de l’enfant qu’elle contenoit, elle se resserre ; les humeurs qui s’y étoient ramassées s’écoulent, les sucs nourriciers qui y abordoient, destinés à la nourriture de l’enfant, prennent une autre route ; ils se portent aux mamelles, & concourent à y former le vrai lait alimenteux, bien différent de cette humeur tenue & blanchâtre qui y étoit contenue pendant la grossesse, & qui n’avoit rien que de désagréable au goût & de nuisible à l’estomac ; les mamelles paroîtront alors gonflées, distendues, raffermies par le lait qui en remplit & dilate les vaisseaux. Sa quantité augmente à chaque instant, & si l’enfant en tetant ne vient la diminuer, ou si on ne l’exprime de quelqu’autre façon, les mamelles se tendent, deviennent douloureuses, s’enflamment, le lait s’y épaissit, empêche l’abord de celui qui vient après, qui reflue ou reste sans être séparé dans les vaisseaux sanguins, & y forme une plethore de lait. Cette humeur pour lors étrangere dans le sang, trouble, gêne, dérange, & sans doute par-là même anime le mouvement intestin, & y excite la fievre qu’on appelle pour cela fievre de lait. Quelques auteurs ont prétendu qu’elle n’étoit qu’une suite du trouble, du désordre de l’accouchement & de l’agitation des humeurs, obligées dans ces circonstances à se frayer de nouvelles routes. C’est ainsi qu’Hoffman pense qu’elle est produite par les humeurs qui vont, dit-il, de la matrice aux mamelles, & qui en irritent les nerfs. (De febrib. symptomat. sect. 11. capit. xiv. tom. II.) Mais pour faire appercevoir tout le faux & l’inconséquent de cette assertion, il suffit de remarquer, 1°. que cette fievre ne se manifeste que le trois ou quatrieme jour après l’accouchement ; 2°. qu’elle ne s’observe bien sensible que chez les personnes qui ne veulent pas allaiter ; les femmes qui nourrissent elles-mêmes leurs enfans, en sont presqu’entierement exemptes. Cette fievre n’a aucun symptome particulier que la douleur tensive des mamelles, qui se continue jusques sous les aisselles, au dos & aux épaules ; il n’est pas rare de la voir compliquée avec la fievre miliaire. Elle se termine ordinairement en trois ou quatre jours sans accident fâcheux ; bien plus, elle sert plus que tout autre remede à dissiper le lait, à le faire passer ; elle en procure l’évacuation par les sueurs principalement qui sont assez abondantes. Lorsque la suppression des vuidanges se joint à cette maladie, elle en augmente beaucoup le danger ; & l’on a tout sujet de craindre une mort prochaine, si l’on observe en même tems pesanteur de tête & tintement d’oreille ; si l’oppression est grande, le pouls foible, petit, resserré, &c. Si le délire est considérable, &c. elle est alors une juste punition de la plupart des femmes, qui sous le spécieux prétexte d’une excessive délicatesse, d’une santé peu solide, d’une foible complexion, ou simplement pour éviter les peines attachées à l’état de nourrice, refusent d’allaiter elles-mêmes leurs enfans, se soustrayant par-là à une des lois les plus sacrées de la nature, & confient cet emploi important & périlleux à des nourrices mercénaires, à des domestiques, le plus souvent au grand préjudice des enfans.

Cette fievre n’exige aucun secours, lorsqu’elle est contenue dans les bornes ordinaires ; il suffit d’astreindre la nouvelle accouchée à un régime exact ; le moindre excès dans le manger peut avoir de très fâcheux inconvéniens ; la diete un peu sévere a outre cela l’avantage réel d’empêcher une abondante secrétion du lait. Il faut avoir soin de tenir toujours les mamelles enveloppées de linges chauds ; on peut même les humecter avec les décoctions d’anis, de fenouil, de menthe, de fleurs de sureau, plantes dont l’usage est presque consacré pour favoriser la dissipation du lait. Si la fievre miliaire se met de la partie, il faudra recourir aux légers cordiaux & diaphorétiques, quelquefois aux vesicatoires. Voyez Fievre miliaire. Si le cours des vuidanges est dérangé, diminué ou suspendu totalement, il faut tourner principalement ses vûes de ce côté, & employer les secours propres à remettre cette excrétion dans son état naturel. Voyez Vuidanges.

Lait répandu. Le lait répandu ou épanché ne forme pas une maladie particuliere qui ait ses symptomes propres ; il est plutôt la source d’une infinité de maladies différentes, d’autant plus funestes qu’elles restent plus long-tems cachées, & qu’elles tardent plus à se développer : c’est un levain vicieux qui altere sourdement le sang, & imprime aux humeurs un mauvais caractere, & qui prépare ainsi de loin, tantôt des ophtalmies, tantôt des ulceres, quelquefois des tumeurs dans différentes parties ; chez quelques femmes des attaques de vapeurs, dans d’autres une suite d’indispositions souvent plus fâcheuses que des maladies décidées. Toutes ces maladies, effets du lait répandu, sont ordinairement rebelles, & cedent rarement aux remedes usités ; c’est aussi une tradition qui se perpétue chez les femmes, que ces sortes d’accidens sont incurables ; on voit que cette tradition n’est pas tout-à-fait sans fondement : au reste une des grandes causes d’incurabilité, est que dans le traitement on perd de vûe cet objet, on oublie, ou l’on ne fait pas attention que la maladie est produite, ou entretenue par un lait répandu ; ce qui donne occasion au repompement & à l’épanchement du lait, c’est l’inattention & l’imprudence des nourrices, qui étant dans le dessein de ne plus nourrir, négligent tous les secours propres à faire perdre leur lait, ou se contentent de quelques applications extérieures, inéfficaces, ou trop actives, sans continuer pendant quelque tems de se faire teter, ou d’exprimer elles-mêmes leur lait surabondant. La même chose arrive aux nouvelles accouchées qui ne veulent pas allaiter, lorsque la fievre de lait est foible & de courte durée, & qu’elle n’est point suppléée par des vuidanges abondantes ou quelqu’autre excrétion augmentée : alors le lait repompé dans le sang, se mêle avec lui, & l’altere insensiblement.

Il est plus facile de prévenir les desordres du lait répandu, que de les réparer ou de les faire cesser ; ainsi lorsqu’une nourrice veut cesser de l’être, elle doit s’astreindre à une diete médiocre, n’user que d’alimens légers, de peu de suc, prendre quelques purgatifs légers, des lavemens réitérés ; les diurétiques conviennent aussi très-bien ; la térébenthine jointe à la poudre de cloportes, est celui dont on use le plus familierement, & dont on éprouve le succès le plus prompt & le plus constant. On peut laisser à la femme la liberté & le choix d’applications sur les mamelles, pourvu cependant qu’elles ne soient pas trop astringentes ou emplastiques ; il ne faut pas non plus les envelopper & les affaisser sous le poids des linges & des cataplasmes, dans la vûe de les tenir chaudes. Avec ces précautions, ces topiques peuvent être appliqués avec quelque succès, du moins sans inconvénient. Lorsqu’on a négligé ces remedes, ou qu’ils ont été sans effet, que le lait répandu a excité quelques maladies, outre les remedes particulierement indiqués dans cette maladie, il faut avoir recours aux diuretiques, aux légers diaphorétiques, aux différens sels neutres, & sur-tout aux eaux minérales dont le succès est presque assuré.

Caillement de lait, poil de lait. Un autre accident assez ordinaire aux femmes qui ne veulent pas nourrir, & aux nourrices qui ne sont pas suffisamment tetées, & qui laissent par-là engorger leurs mamelles, est le caillement de lait ; il est aussi quelquefois occasionné par des passions d’ames vives, par la colere, par une grande & subite joie, par une terreur, par des applications acides, astringentes sur les mamelles, par un air froid agissant trop immédiatement sur une gorge de nourrice imprudemment découverte, & sur-tout par l’usage trop continué d’alimens gélatineux, austeres, acides, &c. Il est inconcevable avec quelle rapidité les vices des alimens se communiquent au lait, & quelle impression ils y font ; c’est un fait connu de tout le monde, que le lait d’une nourrice devient purgatif lorsqu’elle a pris quelque médicament qui a cette propriété. Olaus Borrichius raconte que le lait d’une femme qui fit usage pendant quelques jours d’absinthe, devint d’une amertume insoutenable. Salomon Branner assure avoir vu sortir par une blessure à la mamelle, de la bierre inaltérée qu’on venoit de boire, ce qui doit être un motif pour les nourrices d’éviter avec soin tous les mets trop salés, épicés, les liqueurs ardentes, spiritueuses, aromatiques, &c. & un avertissement aux medecins de ne pas trop les surcharger de remedes. Lorsque par quelqu’une des causes que je viens d’exposer, le lait s’est caillé, la mamelle paroît au tact dure, inégale ; on sent sous le doigt les grumeaux de lait endurci ; son excrétion est diminuée, suspendue ou dérangée ; la mamelle devient douloureuse, s’enflamme même quelquefois. On appelle proprement poil de lait, lorsque le caillement est joint à une espece particuliere de douleur que les femmes savent bien distinguer, & qui est semblable, dit Mauriceau, liv. III. chap. xvij. à celle qu’Aristote, Hist. animal. liv. VII. cap. II. « assure fabuleusement procéder de quelque poil avalé par la femme en buvant, lequel étant ensuite facilement porté dans la substance fongueuse des mamelles, y fait une très grande douleur qui ne s’appaise pas avant qu’on ait fait sortir le poil avec le lait, soit en pressant les mamelles, soit en les suçant ».

Si l’on ne remédie pas tout de suite à cet accident, il peut avoir des suites fâcheuses ; il occasionne assez ordinairement l’abscès ou apostème des mamelles ; quelquefois la tumeur s’endurcit, devient skirrheuse, & dégénere enfin en cancer, comme Fabrice de Hilden dit l’avoir observé, Observ. chirurg. centur. 2.

On ne peut remédier à cet accident plus sûrement & plus promptement, qu’en faisant teter fortement la femme ; mais comme le lait vient difficilement, l’enfant ne sauroit être propre à cet emploi ; il faut alors se servir d’une personne robuste qui puisse vuider & tarir entierement les mamelles ; il est vrai que la suction entretient la disposition à l’engorgement, & attire de nouvelles humeurs aux mamelles, ce qui est un bien si la femme veut continuer de nourrir, & n’est pas un grand mal si elle est dans un dessein contraire ; car il est bien plus facile de dissiper le lait fluide & naturel, que de le résoudre & l’évacuer lorsqu’il est grumelé ; on peut hâter ou faciliter la résolution de ce lait, par les applications résolutives ordinaires ; telles sont celles qui sont composées avec les plantes dont nous avons parlé, fievre de lait ; tels sont aussi les cataplasmes de miel, des quatre farines, & lorsque la douleur est un peu vive, dans le poil, celui qui reçoit dans sa composition le blanc de baleine ; les fomentations faites avec la liqueur de saturne animée avec un peu d’eau-de-vie, me paroissent très-appropriées dans ce dernier cas.

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Étymologie de « lait »

Bourguig. laissea ; wallon, lèsai ; namur, lasia ; Hainaut, lachau, lassau ; bressan, lassay ; provenç. lach, lag, lait, layt ; catal. llet ; espagn. leche ; portug. leite ; ital. latte ; du lat. lactem, accusatif archaïque de lac. Comp. le celtique : kymri, llaeth ; irland. lacht ; bas-bret leaz. Les patois laissea, lèsai, etc. viennent d'un diminutif lactellum.

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(XIIe siècle) Du latin lac, lactis (« lait »).
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Phonétique du mot « lait »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
lait

Fréquence d'apparition du mot « lait » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Citations contenant le mot « lait »

  • La vie, cette goutte de lait et d'absinthe.
    Henri Lacordaire — Pensées
  • Les deux accessoires indispensables à la vie sont le soleil et le lait de coco.
    Dustin Hoffman
  • Le café au lait est une boisson mulâtresse.
    Ramon Gomez de la Serna — Greguerias
  • Ouvrez les yeux ! Le monde est encore intact ; il est vierge comme au premier jour, frais comme le lait !
    Paul Claudel — Art poétique, Mercure de France
  • Le fromage - le saut du lait vers l’immortalité.
    Cliff Fadiman
  • La mouche va si souvent au lait qu’elle y demeure.
    Proverbe français
  • Dans le lait des rêves il tombe toujours une mouche.
    Ramon Gomez de la Serna — Greguerias
  • C’est celui qui a du lait qui peut faire la crème.
    Proverbe bambara
  • Le vin est le lait des vieillards.
    Platon
  • Dieu donne le lait, mais non le seau.
    Proverbe anglais
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Images d'illustration du mot « lait »

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Traductions du mot « lait »

Langue Traduction
Anglais milk
Espagnol leche
Italien latte
Allemand milch
Chinois 牛奶
Arabe حليب
Portugais leite
Russe молоко
Japonais 牛乳
Basque esne
Corse u latti
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Synonymes de « lait »

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Lait

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