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Aimé

Définitions de « aimé »

Trésor de la Langue Française informatisé

AIMÉ, ÉE, part. passé et adj. verbal.

I.− Part. passé passif de aimer*.
A.− [Constr. avec l'auxil. être pour former la voix passive]
1. [Sans compl. d'agent] :
1. ... oui, certes, elle voulait se marier, et aimer, et être aimée, et être heureuse! É. Zola, Le Rêve,1888, p. 54.
2. ... au fond de la Polynésie, les sauvagesses se couvrent de choses voyantes et de peaux de bêtes, pour être « aimées ». H. de Montherlant, Les Olympiques,1924, p. 310.
3. L'amour de la patrie, la passion de la justice sociale suffiront à faire de ces voix innombrables, de celles qui prient, comme de celles qui refusent de prier, une seule voix entendue et reconnue partout où des hommes respirent, partout où la France est aimée. F. Mauriac, Le Baîllon dénoué,1945, p. 448.
2. [Avec un compl. d'agent]
a) [L'accent est mis sur le procès en cours à un moment du temps, prép. par] :
4. − À mon âge, dit-elle, il me faudrait un homme sérieux, de 40 à 50 ans. Or, je ne suis aimée que par des jeunes gens de 25 ans. J. Renard, Journal,1905, p. 1018.
5. Olga n'est nullement aimée par le peuple qui la considère comme une Slave, comme une barbare. M. Barrès, Le Voyage de Sparte,1906, p. 115.
6. ... elle est aimée par un jeune homme sentimental mais bourgeois, que sa beauté sauvage a fasciné. R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Cahier gris, 1922, p. 625.
7. La Mère de la Miséricorde avait été follement aimée par un lieutenant de lanciers qui, lors de la prise de voile, était tombé raide devant la grille en s'écriant : « tout est fini! » H. Pourrat, Gaspard des Montagnes,À la belle bergère, 1925, p. 93.
8. Français, Françaises, que vos pensées se rassemblent sur la France! Plus que jamais, elle a besoin d'être aimée et d'être servie par nous tous qui sommes ses enfants. Ch. de Gaulle, Mémoires de guerre,Le Salut, 1959, p. 422.
b) [L'accent est mis sur l'état résultant du procès, prép. de] :
9. ... mourir sans être aimé de toi, mourir sans cette certitude, c'est le tourment de l'enfer, c'est l'image vive et frappante de l'anéantissement absolu. Napoléon 1er, Lettres à Joséphine,1796, p. 23.
10. La gloire intérieure de Dieu est dans sa souveraine perfection; sa gloire extérieure consiste à être connu et aimé des intelligences libres; et il est hors de discussion qu'il a en effet donné l'être à ces intelligences pour en être connu et aimé. H.-D. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame,1848, p. 83.
11. Comme elles redisaient le nom sacré de Jupiter, le sculpteur eut de l'impatience. Il haussa les épaules. Ce signe de mépris ne fut point remarqué sinon du jeune Pantarcès et de la belle Polydamie, qui, aimant Phidias, étaient tous deux aimés de lui. Ch. Maurras, Le Chemin de Paradis,1894, pp. 35-36.
12. La musique n'était vraiment aimée que d'une poignée de gens; et ce n'étaient pas toujours ceux qui s'en occupaient le plus : compositeurs et critiques. Il y a si peu de musiciens en France, qui aiment vraiment la musique! R. Rolland, Jean-Christophe,La Foire sur la place, 1908, p. 700.
B.− [Sans l'auxil. être, en constr. d'appos.]
1. [Sans compl. d'agent] :
13. Ô semblable! ... Et pourtant plus parfait que moi-même, Éphémère immortel, si clair devant mes yeux, Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux, Faut-il qu'à peine aimés, l'ombre les obscurcisse, Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse, Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit! P. Valéry, Charmes,Fragments du Narcisse, 1922, p. 125.
2. [Avec un compl. d'agent, prép. par ou de] :
14. Ingrat d'avance, cette rude instruction de Bonaparte est adressée à Desaix qui offrait à la tête des braves, dans la Haute-Égypte, autant d'exemples d'humanité que de courage, marchant au pas de son cheval, causant de ruines, regrettant sa patrie, sauvant des femmes et des enfants, aimé des populations qui l'appelaient le sultan juste, enfin à ce Desaix tué depuis à Marengo dans la charge par laquelle le premier consul devint le maître de l'Europe. F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 363.
15. La fille de la Berma, aimée en secret par le médecin qui soignait son mari, s'était laissé persuader que ces représentations de Phèdre n'étaient pas bien dangereuses pour sa mère. M. Proust, À la recherche du temps perdu,Le Temps retrouvé, 1922, p. 995.
II.− Emploi adj. [En constr. d'épithète]
A.− [Sans déterm. intensif spécifique d'adj.]
1. [Sans compl.] :
16. Du moment qu'il aime, l'homme le plus sage ne voit plus aucun objet tel qu'il est. Il s'exagère en moins ses propres avantages, et en plus les moindres faveurs de l'objet aimé. Stendhal, De l'Amour,1822, p. 32.
17. Une maîtresse aimée est si près d'une sœur! A. de Musset, Namouna,1832, p. 407.
18. Il y a un amour qui aime l'oubli, le silence, les bois, ou indifféremment un lieu solitaire quelconque, dans la présence, ou dans la pensée de l'être aimé. Ch.-A. Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 78.
19. Sa [de Baudelaire] saison aimée est la fin de l'automne, quand un charme de mélancolie ensorcelle le ciel qui se brouille et le cœur qui se crispe. P. Bourget, Essais de psychologie contemporaine,1883, p. 18.
20. Bien avec tout le monde, elle est vieille et a l'air jeune. On la voit très bien maîtresse aimée et amoureuse. J. Renard, Journal,1895, p. 289.
21. Oh! qu'il me soit donné, encore une fois, de revoir quelques endroits aimés comme la place du Pacifique, à Séville ... V. Larbaud, A. O. Barnabooth,1913, p. 97.
22. Seule de ses amantes aimées, la reine Bérénice existe parce que, toute chérie qu'elle soit, sa passion trouve une résistance et que Titus la sacrifie à Rome. La seule vivante des amantes aimées, elle l'est beaucoup moins, pourtant, que les désespérées, Hermione, Roxane et Phèdre. F. Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 115.
2. [Avec un compl., prép. par ou plus fréquemment de] :
23. C'était un air étrusque aux paroles hardies, Un refrain de taverne aimé des carrefours; Sa voix brève heurtait les vieilles mélodies, Ses pieds tombaient d'aplomb et cadencés toujours, Tandis que ses deux mains sur sa tête arrondies, De ses bras onduleux dessinaient les contours. L. Bouilhet, Melaenis,1857, p. 148.
24. Sur la tablette supérieure des bibliothèques sont posés de petits bronzes japonais, (...) les poissons aimés par les gourmets de là-bas ... E. et J. de Goncourt, Journal,déc. 1894, p. 689.
25. Ils enseignent que, située d'abord dans l'océan glacial, leur île, flottante comme Délos, était venue mouiller dans les mers aimées du ciel dont elle est aujourd'hui la reine. A. France, L'Île des pingouins,1908, p. 179.
26. « ... C'est l'histoire d'un homme qui aimait un être. (...) Il était fiancé, encore très jeune homme, à une pauvre fille, si bonne et belle, si vraiment aimée de Dieu, que lui aussi l'aimait ... » Son regard devint pesant. « ... Avec toute son âme », accentua-t-il. R. Martin du Gard, Les Thibault,Le Pénitencier, 1922, p. 784.
27. ... nous abandonnons successivement les différents êtres aimés tour à tour par nous ... M. Proust, À la recherche du temps perdu,La Prisonnière, 1922, p. 76.
28. À côté des impertinents, des égoïstes ou des tyrans, il y a les gourdes, qui ne savent pas se servir des robinets, qui n'osent ni redemander un peu de poulet, ni écrire sur le papier à lettres de la maison, ni se lever plus tard que midi de peur de déplaire à la femme de chambre. Clientèle généralement aimée du personnel, à tout le moins préférée à l'autre, celle des filous, qui ne pensent qu'à emporter des verres à dents et à quitter l'hôtel sans donner de pourboires ... L.-P. Fargue, Le Piéton de Paris,1939, pp. 231-232.
B.− [Avec un déterm. intensif spécifique d'adj. : si, très ...]
1. [Sans compl.] :
29. Plein des idées tristes qu'amenait ce retour tardif en des lieux si aimés, je sentis le besoin de revoir Sylvie, seule figure vivante et jeune encore qui me rattachât à ce pays. G. de Nerval, Les Filles du feu,Sylvie, 1854, p. 613.
30. Aphrodisia était l'esclave favorite, la plus jolie, la plus aimée. P. Louÿs, Aphrodite,1896, p. 126.
Rem. Cet emploi se rencontre aussi en constr. d'attribut :
31. Bonaparte était si aimé que pendant quelques instants Paris fut dans la joie ... F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 2, 1848, p. 468.
32. « Voici l'histoire atroce de cette malheureuse », dit-il. Elle s'appelle MmeHermet. Elle fut très belle, très coquette, très aimée et très heureuse de vivre. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, Madame Hermet, 1887, p. 1127.
2. [Avec un compl. prép. de] :
33. De moins lancés dans leurs propos blâmaient les tracasseries dont la police accablait les réfugiés polonais, très-aimés des habitants de Chantilly, où ils ont tenu garnison sous l'Empire. L. Gozlan, Le Notaire de Chantilly,1836, p. 237.
34. Intelligent, gracieux, sympathique et divertissant au possible, ce gamin, qui devait être un jour un des acteurs les plus aimés du public et que je devais retrouver pour lui confier des rôles, s'appelait Prosper Bressant. G. Sand, Histoire de ma vie,t. 4, 1855, p. 202.
35. Le numéro 662, gens sur une terrasse. On y voit une naïade de dos, une femme en robe jaune, la tête touchée dans la gamme la plus claire du blanc et du rose. Toujours l'harmonie des tons bleus, jaunes, violets, les violets si aimés des Vénitiens. E. et J. de Goncourt, Journal,sept. 1860, p. 805.
36. « Vous avez les tresses de Laura Dianti, d'Éléonore de Guyenne, et de sa descendante si aimée de Chateaubriand. Vous devriez porter toujours les cheveux un peu tombants », lui [à Albertine] dis-je à l'oreille pour me rapprocher d'elle. M. Proust, À la recherche du temps perdu,À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, p. 920.
Rem. 1. Comme le montre le détail des constr., la frontière entre les emplois I et II (à l'exception de II B 2, plus net quant à sa valeur adj.) restent difficiles à tracer, en raison du caractère ambigu du part. passé, et de l'absence de rigueur morphol. du passif français. 2. La correspondance de V. Hugo offre des ex. d'un emploi subst. de aimé (toujours au masc. plur. et dans l'emploi vocatif-allocutif notamment des fins de lettre) : ,,Je vous serre tous dans mes bras, chers aimés.`` (V. Hugo, Correspondance, 1867, p. 17). ,,Je vous embrasse, mes aimés.`` (V. Hugo, Correspondance, 1867, p. 26). En dehors de l'emploi allocutif, aimé(s) substantivé est rare :
37. Est-elle brune, blonde ou rousse? − Je l'ignore. Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila. Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues. P. Verlaine, Poèmes saturniens,Melancholia mon rêve familier, 1866, pp. 64-65.
38. ... Pline l'Ancien a raconté, dans son Histoire naturelle comment la fille du potier Boutadès de Corinthe, « capta amore juvenis », prise par l'amour d'un jeune homme, qui allait partir, voulut retenir tant de bonheur fugitif. Alors lui vint l'idée de garder l'image de l'aimé. Ce mythe traduit une des raisons d'être du réalisme, peut-être la plus valable : la hantise de remplacer la fragilité du souvenir par la fixité de l'apparence captée au piège de l'art. R. Huyghe, Dialogue avec le visible,1955, p. 127.
Pour parler des morts (infra III) :
39. − Seigneur, ce n'est rien de s'oublier soi-même, de rejeter son âme morte. Mais puis-je rejeter mes morts, puis-je oublier mes aimés? R. Rolland, Jean-Christophe,Le Buisson ardent, 1911, p. 1421.
III.− Bien-aimé(e)
A.− Emploi adj.
1. Usuel [Post-posé au subst.]
a) [Le subst. désigne une pers. ou une collectivité. ou une partie de l'être individuel ou coll.] :
40. Adieu, ange! soigne-toi, porte-toi bien, aime-moi, pardonne-moi. Quand je reviendrai, je te ferai ôter tes bas pour baiser tes petits pieds bien-aimés. V. Hugo, Correspondance,1831, p. 498.
41. Mon cousin m'a fait plus d'une injure; Qu'un bon cercueil de plomb m'en réponde, et je jure Que les ducs bourguignons, mes sujets bien-aimés, Seront dans son linceul pour jamais renfermés; ... C. Delavigne, Louis XI,1832, III, 4, pp. 115-116.
42. ... le bruit de l'arrivée des restes du souverain bien-aimé s'était répandu en Thuringe et avait profondément remué toute la contrée. Ch. de Montalembert, Histoire de sainte Élisabeth de Hongrie,1836, p. 186.
43. Chère amie, ma femme bien-aimée, pauvre mère éprouvée, que te dire? Je viens de lire un journal par hasard. Ô mon Dieu! Que vous ai-je fait! J'ai le cœur brisé ... Je n'irai pas jusqu'à La Rochelle ... V. Hugo, Correspondance,1843, p. 611.
44. Ô visages des saints, douces et fortes lèvres accoutumées à nommer Dieu et à baiser la croix de son fils; regards bien-aimés qui discernez un frère dans la plus pauvre des créatures ... H.-D. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame,1848, p. 107.
45. Est-ce un sacrifice si pénible que de suivre les désirs d'une mère aimante et bien-aimée? L.-É.-E. Duranty, Le Malheur d'Henriette Gérard,1860, p. 279.
46. ... au lever du soleil, j'allais partir pour toujours ... Tout ce pays [l'Océanie] et ma petite amie bien-aimée allaient disparaître, comme s'évanouit le décor de l'acte qui vient de finir ... P. Loti, Le Mariage de Loti,1882, p. 266.
47. Viens sur mon cœur. Laisse-moi caresser la moisson solaire de l'or, sur ta tête bien-aimée. J. Rivière, Alain-Fournier, Correspondance,lettre de J.-R. à A.-F., juin 1908, p. 379.
48. Les pires corrupteurs, les destructeurs ironiques qui ruinent nos croyances du passé, qui tuent nos morts bien-aimés, travaillent, sans le savoir, à l'œuvre sainte, à la nouvelle vie. R. Rolland, Jean-Christophe,La Nouvelle journée, 1912, p. 1473.
49. ... nous, nous sommes dans la douce amitié catholique, et nous sommes dans le monde comme dans un monde fermé, parce que tous les hommes sont nos frères bien-aimés et qu'ils sont avec nous une même famille. E. Psichari, Le Voyage du centurion,1914, pp. 226-227.
50. ... s'il [le Seigneur] pouvait dire un seul jour : « Il n'y a plus un seul Juif dans ma Sion bien-aimée; ils m'ont abandonné pour toujours! » Quels fléaux, quelles calamités s'abattraient sur Israël! J. et J. Tharaud, L'An prochain à Jérusalem!, 1924, p. 59.
51. ... quand la petite main bien-aimée toucha la poignée, quand il vit la noire silhouette déjà dressée sur le seuil, tout son pauvre corps n'eut qu'un cri : − Germaine! G. Bernanos, Sous le soleil de Satan,1926, p. 104.
b) [Le subst. désigne un inanimé concr. ou abstr.] :
52. ... pendant ce temps-là, ces fleurs bien-aimées s'épanouissaient autour de nous. A. de Musset, La Mouche,1854, p. 267.
53. La route était déserte, la campagne vide d'êtres, ils ne voyaient point à dix pas devant eux; ils allaient sereins et sûrs, dans la nuit bien-aimée. R. Rolland, Jean-Christophe,L'Adolescent, 1905, p. 325.
54. Ils sont sûrs de voir tantôt S'avancer entre les rythmes La démarche bien-aimée. J. Romains, La Vie unanime,1908, p. 251.
55. Cette mauvaise foi, cette dureté que vous pressentez qui seront les vôtres et qui me valent déjà la sincérité affreuse et bien-aimée de votre dernière lettre ne seront jamais que la manifestation d'une « royauté ». M. Jouhandeau, M. Godeau intime,1926, p. 84.
56. J'attendrai la nuit, si je puis vivre encore, pour m'en aller un peu à pied sur la grand'route qui traverse notre village, enveloppé dans ma solitude bien-aimée, afin d'y reconnaître pourquoi je dois mourir. A. de Saint-Exupéry, Pilote de guerre,1942, p. 272.
57. C'est assez curieux comme genre de préoccupations en ce moment de la vie, de ma vie, quand je ne pense qu'à lui, à mon malheur bien-aimé, et à tout ce que je ne peux coucher par écrit. E. Triolet, Le Premier accroc coûte deux cents francs,1945, p. 247.
Rem. Bien-aimé suivi d'un compl. prép. est rare :
58. ... tout est beau, harmonique, sérieux, grave et comme divin dans ce pays bien-aimé du soleil. M. Du Camp, Le Nil, Égypte et Nubie,1854, p. 192.
2. Emphatique. [Antéposé au subst.]
a) [Le subst. désigne le plus souvent une pers., rarement une partie de l'être] :
59. Adieu, ma bien-aimée Joséphine. Tout à toi. Napoléon 1er, Lettres à Joséphine,1806, p. 122.
60. Hier 23, jour anniversaire de la mort de Louise Fournier, ma bien-aimée femme, morte à Grateloup, le 23 octobre 1803. Maine de Biran, Journal,1814, p. 25.
61. « Ta lettre est bien triste, mon cher et bien-aimé père, elle m'a fait une vraie peine... » J.-J. Ampère, Correspondance,1824, p. 271.
62. ... si tu as ouï, Raphaël, Gabriel, ou comme on t'appelle, − cela est écrit, − si ta naturelle ineptie t'a permis de pénétrer les suprêmes intentions de notre bien-aimée maîtresse, je t'enjoins en son nom de nous faire connaître ta résolution élective ou optative, qui ne me paraît pas difficile à prévoir. Ch. Nodier, La Fée aux miettes,1831, p. 134.
63. À mon bien-aimé frère Maurice (le 15 novembre 1834) − Puisque tu le veux, mon cher Maurice, je vais donc continuer ce petit journal que tu aimes tant. E. de Guérin, Journal,1834, p. 3.
64. Ô mes bien-aimés paroissiens! Entrons sans délai dans les voies du salut ... R. Tœpffer, Nouvelles genevoises,1839, p. 56.
65. Tout étant alors en ordre, les ducs employèrent « leurs chers et bien-aimés habitants de Phalsbourg à relever et rhabiller les remparts, à bâtir les deux portes d'Allemagne et de France en pierres de taille et roches ... » Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan,t. 1, 1870, p. 8.
66. Ô ma bien-aimée petite amie, nous retrouverons-nous jamais là-bas, − dans notre chère île, − assis le soir sur les plages de corail? ... P. Loti, Le Mariage de Loti,1882, p. 288.
67. Voici le testament de ma bien-aimée mère : Je, soussignée, Anne-Catherine-Geneviève-Mathilde de Croixluce, épouse légitime de Jean-Léopold-Joseph-Gontran de Courcils, saine de corps et d'esprit, exprime ici mes dernières volontés. G. de Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Le Testament, 1882, p. 664.
68. ... Tant mieux pour les maîtres, et autant de gagné pour moi, Puisque le triple-six me tombe de cette torche! Ceci seulement! Soulever la bien-aimée main, Avec cette main, du maître qui est là. P. Claudel, Agamemnon,trad. d'Eschyle, 1896, p. 864.
b) Rare. [Le subst. désigne un inanimé] :
69. Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle, Dors, bercé dans ma main, patriote trésor! Tu dois être bien las? Sur toi le sang ruisselle, Et du choc de cent coups ta lame vibre encor! Suspendue à mon flanc, bien-aimée estocade, Toujours tu sonneras... Je baise ton acier! Et d'opimes joyaux, même dans la décade, Couverte tu seras comme un riche coursier. P. Borel, Rhapsodies,1831, p. 43.
70. Ses papillotes noires − ses pauvres bien-aimées papillotes qui n'ont pas changé de forme, mais qui sont, hélas! éclaircies et toutes blanches aujourd'hui − n'étaient alors mêlées d'aucun fil d'argent. P. Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 21.
B.− Emploi subst. [Ordin. avec un adj. poss.]
1. Au sing. masc. et surtout fém. [Fréquemment en emploi allocutif ou en apostrophe] :
71. Adieu, ma bien-aimée, un baiser sur ta bouche; un autre, sur ton cœur, et un autre sur ton petit absent. Napoléon Ier, Lettres à Joséphine,1796, p. 43.
72. Chœur de femmes. L'ombre des bois d'Aser est toute parfumée. Quel est celui qui vient par le frais chemin vert? Est-ce le bien-aimé qu'attend la bien-aimée? Il est jeune, il est doux. Il monte du désert Comme de l'encensoir s'élève une fumée. Est-ce le bien-aimé qu'attend la bien-aimée? V. Hugo, La Fin de Satan,Le Gibet de Jésus-Christ, 1885, p. 840.
73. Tel le poète que secoue l'inspiration, tel le compositeur qui improvise, tel, dans le lit, l'homme tenant la bien-aimée nue lui fait prendre la forme qu'il veut avec ses longues caresses tâtonnantes, tel Alban façonne le taureau, son élan et son âme, façonne la vie qui se dévore elle-même à mesure, dans l'ivresse et la douleur de la création. H. de Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 560.
[Dans la langue des mystiques, pour désigner Dieu] :
74. Rien ne saurait surpasser la douce clémence qui présida à l'origine de ces célestes communications. Un jour que la veuve affligée cherchait intérieurement son bien-aimé avec ferveur et anxiété, sans pouvoir le trouver, sa pensée vint s'arrêter sur les causes de la fuite de Jésus en Égypte, et elle conçut un vif désir d'en être instruite par quelque saint moine. Ch. de Montalembert, Histoire de sainte Élisabeth de Hongrie,1836, p. 166.
2. Au plur.
[Pour désigner des membres de la famille, notamment les enfants] :
75. Il m'est survenu, comme Président de l'Institut, un petit travail qui me cloue ici. Dès que je serai libre j'irai tous vous voir et vous embrasser; j'en ai le désir autant que vous, mes bien-aimés. V. Hugo, Correspondance,1842, p. 592.
76. Les voilà! Ce sont mes deux bien-aimés, pour qui il faut bien que je me donne un peu de la peine. Tes enfants, Georges, et dis! Les miens aussi ... P. Claudel, L'Otage,1911, I, 1, p. 221.
P. compar. [En parlant de choses] :
77. Plus tard, quand on n'y est plus, on s'aperçoit que ces rues vous sont chères, que ces toits, ces fenêtres et ces portes vous manquent, que ces murailles vous sont nécessaires, que ces arbres sont vos bien-aimés, que ces maisons où l'on n'entrait pas on y entrait tous les jours, et qu'on a laissé de ses entrailles, de son sang et de son cœur dans ces pavés. V. Hugo, Les Misérables,t. 1, 1862, p. 536.
Spéc. [En parlant des absents défunts ou en danger de mort] :
78. J'entendais tout à coup Édouard éclater en un long sanglot. Ces chants, ces modulations, ces plaintes musicales avaient fait tout à coup remonter à la surface de nos cœurs, saignantes et vives, des douleurs enterrées, et tous deux, nous repleurions nos bien-aimés. E. et J. de Goncourt, Journal,août 1874, pp. 991-992.
79. Mais nos amis disparus emportèrent avec eux, dans la mort, les poètes que nous avions chéris ensemble : à mesure que nous nous éloignions de notre jeunesse et des tombes où nos bien-aimés sont redevenus poussière, le souvenir de Maurice de Guérin pâlissait, s'effaçait. F. Mauriac, Journal 1,1934, p. 90.
80. Lorsque, dans cet août glorieux de la délivrance, nous nous disions : « À Noël, peut-être ... » ce n'était pas ce sursaut redoutable de l'ennemi que nous envisagions, ni cette blessure rouverte au flanc de la Belgique, ni cette angoisse de la France sans armes. Nous songions au retour de nos bien-aimés, à une messe de minuit qui eût été une messe d'action de grâce, à tous ces rires, à toute cette joie, autour d'une table illuminée ... F. Mauriac, Le Baîllon dénoué,1945, pp. 464-465.
Rem. 1. La présence d'un trait d'union souligne le caractère de syntagme figé de bien-aimé. Cependant, à l'intérieur de la période ici considérée, il est possible de relever sporadiquement des syntagmes moins figés, depuis l'emploi part.-passif :
81. Les morts doivent avoir été bien-aimés dans leur vie pour qu'à Paris, où tout le monde voudrait trouver une vingt-cinquième heure à chaque journée, on suive un parent ou un ami jusqu'au cimetière. H. de Balzac, Le Cousin Pons,1848, p. 294.
jusqu'au remplacement de bien par un autre adv. :
82. ... si je vaux quelque chose, c'est en raison de cette faculté panthéistique et aussi de cette âpreté qui t'a blessée. Allons, n'en parlons plus. J'ai eu tort, j'ai été sot. J'ai fait avec toi ce que j'ai fait en d'autres temps avec mes mieux aimés : je leur ai montré le fond du sac, et la poussière âcre qui en sortait les a pris à la gorge. G. Flaubert, Correspondance,1846, p. 239.
83. ... Et vois, moi, comme je souffre! Ô Violaine! Pourquoi as-tu fait cela? Ô ma très aimée, souillée de ce grossier péché! P. Claudel, La Jeune fille Violaine,1reversion, 1892, p. 517.
Rem. 2. L'anton. mal aimé, qui s'écrit sans trait d'union, semble de date plus récente (cf. F. Mauriac, Les Mal Aimés, 1945), et peut être jalonné d'ex. qui illustrent sa lexicalisation progressive :
84. Elle était dans son droit, en rompant les liens qui la meurtrissaient. − Ce n'est pas sa faute, pensait-il. C'est la mienne. Je l'ai mal aimée. Pourtant, je l'aimais bien. Mais je n'ai pas su l'aimer, puisque je n'ai pas su me faire aimer. R. Rolland, Jean-Christophe,Les Amies, 1910, p. 1233.
85. Mais la vaniteuse avait bien pu lui conter ses succès d'autrefois, et ce mal aimé est trop fier de nous donner à entendre qu'il l'a été au moins une fois d'une grande dame que de beaux esprits avaient tenu à honneur de courtiser. J. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, pp. 44-45.
86. ... quand Zaza, au lieu de se comporter en membre du clan, se retrouvait tout juste elle-même, elle se découvrait un tas de défauts : elle était laide, disgraciée, peu aimable, mal aimée. Elle compensait par la raillerie ce sentiment d'infériorité. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 118.
Rem. 3. L'influence de la lang. biblique (Cantique des Cantiques et Évangile et Épître de saint Jean) est sous-jacente à plusieurs emplois et notamment aussi à la constr. bien-aimé de ... :
87. Quand on sort du théâtre d'art, on a envie d'appeler sa femme la bien-aimée de son âme et la bonne, fille de Jérusalem. Je trouve ça très dansant, le Cantique de Salomon. J. Renard, Journal,1891, p. 104.
88. Venez, les bien-aimés de mon père et que celui qui a faim et soif boive et mange! P. Claudel, Processionnal pour saluer le siècle nouveau,1910, p. 298.
Étymol. ET HIST. − Bien-aimé. 1. « aimé d'une affection particulière » a) 1417 adj. (G. de Beaucourt, Hist. de Ch. VII, I, 437 ds DG : Chers et bien amez); 1554 cont. biblique (Bible, impr. à Lyon chez Ian de Tournes, Mat., III [17] : Cestuy est mon Filz bien aymé [Filius meus dilectus] auquel j'ay prins mon bon plaisir); rare dans la lang. littér. jusqu'au xviiies.; cf. av. 1778 (Voltaire, Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire ds Dict. hist. Ac. fr. t. 2 1884, s.v. aimer : Ce fut pour cette action que le peuple de Paris donna à Louis XV le surnom de bien aimé); b) av. 1704 subst. (Bossuet ds Lar. 19e: Joseph et Benjamin étaient les bien aimés et toute la joie de Jacob); 2. « qui inspire une passion amoureuse » a) 1548 adj. (Noël du Fail, Contes d'Eutrapel, II, p. 241 : La belle Œnone, ayant perdu son bien aimé Paris ...); b) 1554 subst. cont. biblique (même Bible, Cant., I [15] : Mon bien aymé [dilecte mi] est vers moy comme un saiscelet de myrrhe). Composé de l'adv. bien* et de aimé, part. passé de aimer*.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 8 998. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 14 352, b) 12 614; xxes. : a) 13 478, b) 11 154.

aimé < aimer-

Wiktionnaire

Adjectif - français

aimé \ɛ.me\

  1. Chéri.
    • Quand Lucien eut engagé la lutte par une de ces fortes bouderies dont se rient les femmes encore libres d’elles-mêmes et qui n’attriste que les femmes aimées, Louise prit un air digne et commença l’un de ces longs discours bardés de mots pompeux. — (Honoré de Balzac, Nouvelles Scènes de la vie de province, Meline Cans et Compagnie, 1837, page 124)
    • Nous nous souvenons du premier dîner avec l’être aimé (nous pouvions à peine manger, tant le désir de l’autre nous emplissait). Nous nous souvenons du goût de son corps sur notre langue. — (Françoise Vergès, À vos mangues !, traduction de Dominique Malaquais, dans Politique africaine, 2005/4, n° 100, page 319)
  2. Apprécié.
    • Évitez l’erreur fréquente qui consiste à obliger l’enfant à finir le plat qu'il n’aime pas en lui promettant un dessert aimé après. — (Jacqueline Rossant-Lumbruso, ‎Lyonel Rossant, Bien nourrir son bébé : De 0 à 3 ans, Odile Jacob, 2007, page 180)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

AIMER. v. tr.
Avoir un sentiment d'affection, un vif attachement pour quelqu'un ou pour quelque chose. Aimer Dieu par-dessus toutes choses. Aimer son prochain comme soi-même. Aimer son père et sa mère. Aimer ses enfants, sa famille. Aimer une femme. Aimer d'un amour honnête. Aimer tendrement. Aimer quelqu'un plus que ses yeux, l'aimer plus que sa vie, plus que le jour, plus qu'on ne peut dire, l'aimer à la folie, jusqu'à la folie. Aimer éperdument. Aimer de tout son cœur. Aimer quelqu'un d'amitié, de bonne amitié. Aimer son chien, son cheval. Cette femme aime beaucoup son perroquet. On le dit également en parlant des Choses physiques ou morales. Aimer son pays, sa patrie. Aimer sa maison de campagne, ses livres, etc. Aimer l'étude, le travail. Aimer son devoir. Aimer la vertu. Aimer la gloire. Il devrait suffire de s'aimer soi-même pour éviter tout excès. Cet homme s'aime trop pour aimer les autres. Deux personnes qui s'aiment tendrement. Ils s'aiment comme frères. Aimez-vous les uns les autres.

S'AIMER signifie quelquefois Se plaire, trouver plaisir. Il s'aime à la campagne. Je m'aimerais infiniment chez vous, dans votre société. Les pigeons s'aiment où il y a de l'eau. Les oliviers s'aiment dans les lieux sablonneux.

AIMER s'emploie absolument. L'homme est fait pour connaître et pour aimer. Le temps d'aimer. Dans cet emploi, il se dit particulièrement de la Passion de l'amour. Prov., Qui aime bien, châtie bien. Prov. et fig., Qui m'aime, aime mon chien, Quand on aime une personne, on aime tout ce qui lui appartient.

AIMER signifie aussi Avoir un goût plus ou moins vif pour certaines personnes, pour certains animaux, pour certaines choses. Aimer les enfants. Aimer la musique. Aimer la société des femmes. Aimez-vous l'odeur de cette plante? J'aime beaucoup ce tableau. J'aime ce procédé. J'aime ce ton de franchise. Aimer le lait. Cet homme n'est pas difficile à nourrir, il aime tout.

AIMER À, suivi d'un infinitif, signifie Prendre plaisir à quelque chose. Aimer à jouer, à chasser, à se promener. Aimer à lire, à travailler. J'aime à voir comme vous vous conduisez avec lui. Il aime à être flatté, caressé. On dit de même Cet animal aime à courir. Cet arbuste aime à être arrosé, etc.

AIMER, suivi du subjonctif, signifie Trouver bon, avoir pour agréable. Aimez qu'on vous conseille. Il aime qu'on le prévienne. Il n'aime pas qu'on le flatte.

AIMER MIEUX signifie Préférer, aimer une chose par préférence à une autre. Elle a mieux aimé rester fille que de faire le mariage qu'on lui proposait. J'aimerais mieux mourir que de faire une si mauvaise action. J'aime mieux qu'il vienne. Aimer mieux l'étude que le jeu.

Littré (1872-1877)

AIMÉ (è-mé, mée) part. passé.
  • 1Aimé parce qu'il était bienfaisant. Aimé de ses concitoyens. Aimé de Dieu. Ô rives du Jourdain, ô champs aimés des cieux ! Racine, Esth. I, 2.
  • 2 Substantivement. [Elle]… verrait en l'aimé ce qu'il y faut blâmer, Si ce même devoir lui commandait d'aimer, Corneille, Perthar. I, 2.

REMARQUE

Aimé de, aimé par. Il n'y a point de règle précise pour l'emploi de l'une ou de l'autre préposition ; il n'y a que des nuances quelquefois sensibles, et qui d'autres fois se confondent. On se sert généralement de de, à l'exclusion de par, quand le nom n'a point d'article : Aimé de tous ceux qui le connaissent ; aimé de chacun ; cependant il n'y aurait pas de faute à dire aimé par chacun, par tous ceux qui le connaissent. Quand aimé n'est plus simplement participe, mais verbe passif, il faut par de préférence : Cette femme a été aimée par son cousin ; Louis XII fut aimé par ses sujets ; mais on dirait aussi sans faute : Fut aimé de ses sujets. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'aimé de porte plutôt l'idée sur aimé considéré comme adjectif et exprimant un état ; et aimé par, sur aimé considéré comme participe passif et exprimant une action reçue.

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Étymologie de « aimé »

Participe passé adjectivé de aimer.
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Phonétique du mot « aimé »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
aimé ɛme

Fréquence d'apparition du mot « aimé » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « aimé »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « aimé »

  • Voilà. Ces personnages vont vous jouer l’histoire d’Antigone. Antigone, c’est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu’elle va être Antigone tout à l’heure, qu’elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu’elle va mourir, qu’elle est jeune et qu’elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n’y a rien à faire. Elle s’appelle Antigone et il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout… Et, depuis que ce rideau s’est levé, elle sent qu’elle s’éloigne à une vitesse vertigineuse de sa sœur Ismène, qui bavarde et rit avec un jeune homme, de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous qui n’avons pas à mourir ce soir.Le jeune homme avec qui parle la blonde, la belle, l’heureuse Ismène, c’est Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé d’Antigone. Tout le portait vers Ismène : son goût de la danse et des jeux, son goût du bonheur et de la réussite, sa sensualité aussi, car Ismène est bien plus belle qu’Antigone ; et puis un soir, un soir de bal où il n’avait dansé qu’avec Ismène, un soir où Ismène avait été éblouissante dans sa nouvelle robe, il a été trouver Antigone qui rêvait dans un coin, comme en ce moment, ses bras entourant ses genoux, et il lui a demandé d’être sa femme. Personne n’a jamais compris pourquoi. Antigone a levé sans étonnement ses yeux graves sur lui et elle lui a dit « oui » avec un petit sourire triste… L’orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats, là-bas, au milieu des autres garçons, et voilà, maintenant, lui, il allait être le mari d’Antigone. Il ne savait pas qu’il ne devait jamais exister de mari d’Antigone sur cette terre et que ce titre princier lui donnait seulement le droit de mourir.Cet homme robuste, aux cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c’est Créon. C’est le roi. Il a des rides, il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. Avant, du temps d’Œdipe, quand il n’était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes. Mais Œdipe et ses fils sont morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches, et il a pris leur place.Quelquefois, le soir, il est fatigué, et il se demande s’il n’est pas vain de conduire les hommes. Si cela n’est pas un office sordide qu’on doit laisser à d’autres, plus frustes… Et puis, au matin, des problèmes précis se posent, qu’il faut résoudre, et il se lève, tranquille, comme un ouvrier au seuil de sa journée.La vieille dame qui tricote, à côté de la nourrice qui a élevé les deux petites, c’est Eurydice, la femme de Créon. Elle tricotera pendant toute la tragédie jusqu’à ce que son tour vienne de se lever et de mourir. Elle est bonne, digne, aimante. Elle ne lui est d’aucun secours. Créon est seul. Seul avec son petit page qui est trop petit et qui ne peut rien non plus pour lui.Ce garçon pâle, là-bas, au fond, qui rêve adossé au mur, solitaire, c’est le Messager. C’est lui qui viendra annoncer la mort d’Hémon tout à l’heure. C’est pour cela qu’il n’a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà…Enfin les trois hommes rougeauds qui jouent aux cartes, leurs chapeaux sur la nuque, ce sont les gardes. Ce ne sont pas de mauvais bougres, ils ont des femmes, des enfants, et des petits ennuis comme tout le monde, mais ils vous empoigneront les accusés le plus tranquillement du monde tout à l’heure. Ils sentent l’ail, le cuir et le vin rouge et ils sont dépourvus de toute imagination. Ce sont les auxiliaires toujours innocents et toujours satisfaits d’eux-mêmes, de la justice. Pour le moment, jusqu’à ce qu’un nouveau chef de Thèbes dûment mandaté leur ordonne de l’arrêter à son tour, ce sont les auxiliaires de la justice de Créon.Et maintenant que vous les connaissez tous, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire. Elle commence au moment où les deux fils d’Œdipe, Étéocle et Polynice, qui devaient régner sur Thèbes un an chacun à tour de rôle, se sont battus et entre-tués sous les murs de la ville, Étéocle l’aîné, au terme de la première année de pouvoir, ayant refusé de céder la place à son frère. Sept grands princes étrangers que Polynice avait gagnés à sa cause ont été défaits devant les sept portes de Thèbes. Maintenant la ville est sauvée, les deux frères ennemis sont morts et Créon, le roi, a ordonné qu’à Étéocle, le bon frère, il serait fait d’imposantes funérailles, mais que Polynice, le vaurien, le révolté, le voyou, serait laissé sans pleurs et sans sépulture, la proie des corbeaux et des chacals… Quiconque osera lui rendre les devoirs funèbres sera impitoyablement puni de mort.Pendant que le Prologue parlait, les personnages sont sortis un à un. Le Prologue disparaît aussi. L’éclairage s’est modifié sur la scène. C’est maintenant une aube grise et livide dans une maison qui dort. Antigone entr’ouvre la porte et rentre de l’extérieur sur la pointe de ses pieds nus, ses souliers à la main. Elle reste un instant immobile à écouter. La nourrice surgit.
    Jean Anouilh —  Antigone
  • Ils auraient aimé être riches. Ils croyaient qu’ils auraient su l’être. Ils auraient su s’habiller, regarder, sourire comme des gens riches. Ils auraient eu le tact, la discrétion nécessaires. Ils auraient oublié leurs richesses, auraient su ne pas l’étaler. Ils ne s’en seraient pas glorifiés. Ils l’auraient respirée. Leurs plaisirs auraient été intenses. Ils auraient aimé marcher, flâner, choisir, apprécier. Ils auraient aimé vivre. Leur vie aurait été un art de vivre.
    Georges Perec — Les Choses
  • Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,Dans la nuit éternelle emporté sans retour,Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âgesJeter l’ancre un seul jour ?Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierreOù tu la vis s’asseoir !Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondesSur ses pieds adorés.Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadenceTes flots harmonieux.Tout à coup des accents inconnus à la terreDu rivage charmé frappèrent les échos :Le flot plus attentif, et la voix qui m’est chèreLaissa tomber ces mots :« Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices,Suspendez votre cours !Laissez-nous savourer les rapides délicesDes plus beaux de nos jours !Assez de malheureux ici-bas vous implorent,Coulez, coulez pour eux ;Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;Oubliez les heureux.Mais je demande en vain quelques moments encore,Le temps m’échappe et fuit ;Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’auroreVa dissiper la nuit.Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,Hâtons-nous, jouissons !L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;Il coule, et nous passons ! »Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,S’envolent loin de nous de la même vitesseQue les jours de malheur ?Hé quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?Quoi ! passés pour jamais ? quoi ! tout entiers perdus ?Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,Ne nous les rendra plus ?Éternité, néant, passé, sombres abîmes,Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimesQue vous nous ravissez ?Ô lacs ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,Au moins le souvenir !Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvagesQui pendent sur tes eaux !Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surfaceDe ses molles clartés !Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,Que les parfums légers de ton air embaumé,Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,Tout dise : Ils ont aimé !
    Alphonse de Lamartine — Méditations poétiques
  • – Je sais bien que c’est ta mère, mais c’est tout de même beau, un amour comme ça. Ça finit par vous faire envie… Y aura jamais une autre femme pour t’aimer comme elle, dans la vie. Ça, c’est sûr. C’était sûr. Mais je ne le savais pas. Ce fut seulement aux abords de la quarantaine que je commençai à comprendre. Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours.
    Romain Gary — La Promesse de l’aube
  • Âme énigmatique et cœur fermé, il passait pour avoir aimé violemment, autrefois, une femme qui l'avait fait souffrir, et pour s'être ensuite vengé sur les autres.
    Guy de Maupassant — Notre cœur
  • Mais parce que je n'avais rien compris à ce qu'il disait il était à moitié dans le coaltar, l'estropié, s'est énervée Suzie, en se rencognant contre la vitre. Tu me déçois, Aimé, tu me déçois tellement.
    François Chrétien — L'infortune des Lavertue
  • Sa mère tire le diable par la queue, pour offrir à son fils des études coûteuses. Paul Cézanne se prend de sympathie pour ce garçon mal aimé, son cadet d'un an.
    Bernard Fauconnier — Cézanne
  • Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompés en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui.
    Alfred de Musset — On ne badine pas avec l’amour
  • Vous, dit Gabriel, je vous emmerde. Non, mes amis, ajouta-t-il à l’intention des autres, non, c’est pas seulement ça (soupir) (silence), mais j’aurais tellement aimé que Marceline puisse m’admirer, elle aussi.
    Raymond Queneau — Zazie dans le métro
  • à André BretonNi les couteaux ni la salièreNi les couchants ni le matinNi la famille familièreNi j’accepte soldat ni DieuNi le soleil attendre ou vivreLes larmes danseuses du rireN-I ni tout est finiMais Si qui ressemble au désirSon frère le regard le vinMais le cristal des roches d’aubeMais MOI le ciel le diamantMais le baiser la nuit où sombreMais sous ses robes de scrupuleM-É mé tout est aimé.
    Louis Aragon — « La route de la révolte »
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Traductions du mot « aimé »

Langue Traduction
Anglais like
Espagnol como
Italien piace
Allemand wie
Chinois 喜欢
Arabe يحب
Portugais como
Russe нравиться
Japonais 好き
Basque atsegin
Corse cum&#39;è
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Antonymes de « aimé »

Combien de points fait le mot aimé au Scrabble ?

Nombre de points du mot aimé au scrabble : 5 points

Aimé

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