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Le tautogramme – Figure de style [définition et exemples]

Définition du tautogramme

Le tautogramme est une figure de style qui consiste à débuter tous les mots d’une phrase ou d’une proposition par la même lettre.

Très utilisé dans les textes poétiques, ce procédé stylistique rythme les vers en reproduisant un son identique, comme dans le texte de Georges Pérec, cité par les Oulipiens, où tous les mots commencent par la lettre C :

Ca commença comme ça : certaines calomnies circulaient concernant cinq conseillers civils coloniaux : contrats commerciaux complaisamment conclus, collaborateurs congédiés, comptabilités complexes camouflant certains corruptions crapuleuses, chantages comminatoires, concussions classiques…Croyant combattre ces charges confuses, cinquante commissaires-chefs comiquement conformes (cheveux châtain clair coupés courts, costume croisé, chemise couleur chair, cravate café crème, chaussures cloutées convenablement cirées) contactèrent certain colonel congolais causant couramment cubain.

« Cherchez chez Célestin, Cinq Cours Clémenceau », chuchota ce centenaire cacochyme constamment convalescent, « car ce célèbre café-concert contrôle clandestinement ces combines criminelles. »

Cinq commissaires chevronnés coururent courageusement Cours Clémenceau. Cependant, coïncidence curieuse, cinq catcheurs corpulents, cachés chez Célestins, complotaient contre cette civilisation capitaliste complètement corrompue. Ces citoyens comptaient canarder certain chef couronné considéré comme coupable. Commissaires certifiés contre champions casse-cou : choc colossal ! Ça castagna copieusement.

Conclusion : cinquante clients contusionnés, cinq cardiaques commotionnés, cinq cadavres ! Ce chassé-croisé cauchemardesque chagrina chacun.

Georges Perec, Chapitre cent-cinquante-cinq

Pour améliorer l’expression écrite et développer l’imagination de leurs élèves, des enseignants en français proposent des activités autour des tautogrammes. Créer des phrases à la manière d’un jeu de mots littéraire, à l’instar des acrostiches souvent réalisées avec les prénoms, permet d’aborder des notions de grammaire.

Ces jeux d’écriture sont à l’origine de textes mémorables, comme celui de Robert Desnos, dans lequel il compose ses vers en utilisant des mots débutant par les lettres N ou M.

Mon mal meurt mais mes mains miment
Nœuds, nerfs non anneaux. Nul nord
Même amour mol ? mames, mord
Nus nénés nonne ni Nine.
Où est Ninive sur la mammemonde ?
Ma mer, m’amis, me murmure :
« nos nils noient nos nuits nées neiges »
Meurt momie ! môme : âme au mur.
Néant nié nom ni nerf n’ai-je !
Aime haine
Et n’aime
haine aime
aimai ne
M N
N M
N M
M N

Robert Desnos, Élégant cantique de Salomé Salomo, Langage cuit

Tautogramme, allitération ou assonance ?

Des figures de style, plutôt fondées sur des jeux de lettres et de sonorités, peuvent être associées ou confondues avec le tautogramme. Il convient de bien les distinguer.

Le tautogramme est considéré comme un cas particulier de l’allitération, qui consiste à renforcer les sonorités consonantiques en les utilisant à plusieurs reprises dans la phrase ou dans les vers poétiques. Selon la forme utilisée, l’allitération évoque une sensation ou une atmosphère en imitant un son, rythme l’énoncé en créant une harmonie, et peut également avoir un effet comique.

Par exemple, dans la strophe suivante, extraite du poème « Le Pont Mirabeau » de Guillaume Apollinaire, le son de l’eau qui coule est marquée par l’allitération en « l » : 

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne 
La joie venait toujours après la peine

Guillaume Apollinaire, Le Pont Mirabeau

À l’inverse du tautogramme, la répétition de la consonne ne se fait pas sur chaque mot. On pourrait donc dire que le tautogramme est une parfaite allitération.

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Comme l’allitération, l’assonance est la répétition du même son mais avec des voyelles (phonèmes vocaliques). Contrairement au tautogramme qui se fonde sur la répétition d’une lettre, l’assonance se construit avec des sonorités semblables :

Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire

Jean Racine, Phèdre

Grâce à ces jeux de sonorités, les phrases ou vers sont mis en relief et se mémorisent donc plus facilement. D’où l’utilisation de tautogrammes dans les publicités, proverbes ou maximes et virelangues célèbres :

Didon dîna, dit-on, au dos du dodu dindon.

Origine et étymologie du tautogramme 

Le terme tautogramme provient du grec « Ταὐτὸ, tautos » qui signifie « le même », et du mot « γράμμα, grάmma » signifiant « lettre ».

De nombreux poètes latins se sont exercés au tautogramme en composant des vers dits lettrisés, comme ces vers de Quintus Ennius, sur la destinée du roi Titus Tatius : 

O, Tite, tute, Tati, tibi tanta tyranne tulisti
At, tuba terribili sonitu tarantara dixit.

Quintus Ennius

On rencontre également dans la littérature des vers qualifiés de « quasi-tautogrammes », c’est-à-dire presque parfaits, tous les mots de la séquence ne commençant pas systématiquement par la même lettre (ou presque…) :

Dans la zone zoologique, bon zigue, zigzaguait l’ouvrier zingueur, zieutant les zèbres mais zigouillant plutôt les zibelines.

Jean Lescure, Z’ai nom Zénon

Exemples de tautogrammes

Cauchemar !
Voici venir vingt vampires verts ! 
Six sales sorcières sifflantes suivent ! 
Deux dragons déchaînés dégobillent des déchets dégoûtants. 
Attention aux affreux assaillants ! 
Courez, car cinquante crapauds crachent cent cancrelats caoutchouteux ! 
Trente terrifiants tapirs tonitruants ! 
Mille monstres marins mordent ! 
Cent cavaliers chevauchent cent centaures colossaux ! 
Douze diables dévorent des dames désespérées ! Fuyez Faibles femmes !

Yak Rivais, Les sorcières sont N.R.V

Veni, vedi, vici

Jules César

François faisant fleurir France
Royalement règnera
Amour aimable aura
N’y aura nulle nuisance
Ordonnant obéissance
Justice il illustrera
Sur ces subjects sans souffrance

Etienne Tabourot, Les bigarrures du Seigneur des Accords

Et la grande dolichocéphale sur son sofa s’affale et fait la folle.

Jacques Prévert, Paroles

Pétulante et primesautière, la puce est un petit pulicidé qui pique et pond partout, avec une prédilection pour les pelages et les pyjamas.
Peaux, poils ou plumes, elle y plonge avec passion et prend son pied pareillement, à poinçonner le porc-épic et le politique, le perroquet, le paltoquet, le pékin et le pékinois. Mais son pili-pili, c’est le pur puceau dont elle se plaît à pomper la pulpe ponceau.
Plus pernicieuse que les perfides pipistrelles de Pitesti, la puce pioche, perce et puise à s’en péter la panse, puisque c’est en permanence qu’elle ponctionne sa pourpre pitance. Pif, paf, plic, ploc, elle se pinte aux plaquettes plutôt qu’au picpoul. […]

Danielle Grondein, La puce

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Natacha Lovato

Natacha Lovato

Natacha Lovato rédige pour La langue française des articles autour de la linguistique, la littérature et les expressions. Passionnée par la langue française, elle s'est aujourd'hui spécialisée dans la communication écrite afin de transmettre ses connaissances. Elle est aussi gérante d'un organisme de formation dédié à la communication écrite, et accompagne les adultes pour des remises à niveaux en français afin de perfectionner leurs écrits professionnels.

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Commentaires

BONGONO

J'ai enfin découvert le style tautogramme et je l'aimé.

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Gravic

Variante : Didier dîna, dit-on, du dos dodu d'un dindon (froid).

Correction : »Veni, VIDI, vici

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