Prendre la poudre d’escampette : définition et origine
Sommaire
L’expression « prendre la poudre d’escampette » est originale. Mais qu’est-ce donc que l’escampette ? Que signifie vraiment cette expression, qu’on utilise quand on s’éclipse discrètement ou quand on prend carrément ses jambes à son cou ? Je vous explique tout ci-dessous.
Définition de « prendre la poudre d’escampette »
L’expression « prendre la poudre d’escampette » signifie s’enfuir rapidement, s’éclipser discrètement ou s’évader pour échapper à un danger, une obligation ou une contrainte. Elle est très imagée : la « poudre » suggère la poussière soulevée par une course précipitée, tandis que « l’escampette » renvoie à l’idée d’une fuite (voir ci-dessous l’origine de l’expression).
L’expression véhicule l’idée d’une disparition soudaine, parfois lâche, mais pas toujours grave : elle peut tout aussi bien désigner une fuite sans importance qu’une évasion sérieuse.
On l’emploie généralement dans un registre familier, souvent teinté d’humour ou d’ironie :
- À la vue du contrôleur, les fraudeurs ont pris la poudre d’escampette.
- Dès que l’on a parlé de faire la vaisselle, il a pris la poudre d’escampette.
L’expression est synonyme de :
- Fuir
- Se sauver
- Détaler
- Partir en douce
- Filer à l’anglaise
- Fausser compagnie
- Se carapater
- Décamper
- Se sauver comme un voleur
- Prendre ses jambes à son cou
- Prendre la clé des champs
Origine de l’expression
L’expression apparaît dans la langue française au XVIIᵉ siècle. Son origine fait l’objet de plusieurs hypothèses.
L’hypothèse d’ordre médical et satirique
La première hypothèse, d’ordre médical et satirique, fait écho à une mode du XVIIe siècle consistant à consommer des poudres purgatives. Ces remèdes à la mode, souvent vendus par des charlatans ambulants, promettaient une santé retrouvée en se purgeant l’estomac…
De là née l’idée qu’on quitte précipitemment les lieux une fois la fameuse poudre ingurgitée. Les effets laxatifs poussent à une retraite stratégique vers les toilettes ! Molière tourne en ridicule cet engouement médical dans Le Malade imaginaire, où le personnage d’Argan multiplie les purges et autres traitements aussi inutiles qu’inconfortables.
L’expression est ainsi issue d’un registre comique et populaire : on prend la poudre, puis on prend la fuite… vers les latrines.
L’hypothèse militaire
Une seconde explication, d’ordre militaire, serait liée à l’artillerie d’Ancien Régime. À cette époque, les canons étaient positionnés à l’avant, tandis que les réserves de poudre étaient gardées à l’arrière, à l’abri. Des porteurs, parfois civils, étaient chargés de faire des allers-retours pour ravitailler les artilleurs.
Mais dans la panique des batailles, certains de ces « coursiers de la poudre » profitaient de leur mission pour s’éclipser et fuir le champ de bataille. Leur aller simple vers la poudrière servait de prétexte à une fuite discrète : ils prenaient littéralement « la poudre », puis « l’escampette », c’est-à-dire la fuite.
L’hypothèse étymologique et linguistique
Au-delà des explications médicales ou militaires, une lecture purement linguistique permet d’éclairer l’origine de l’expression « prendre la poudre d’escampette ». Elle repose sur l’analyse des deux termes clés de la locution : poudre et escampette.
Poudre
Le mot « poudre », du latin pulvis, désigne d’abord une matière réduite en particules fines. À partir du bas Moyen Âge, il est associé aux poudres explosives, notamment la poudre à canon utilisée dans les armes à feu. L’idée de vitesse et de détonation s’y attache progressivement : la poudre est ce qui provoque un départ brutal, une explosion soudaine.
Dans cette expression, on peut aussi voir l’image de la poudre associée au nuage de fumée provoqué par la course de quelqu’un en fuite.
L’image de la poudre est utilisée dans plusieurs expressions françaises comme « à brûle-pourpoint », « faire long feu » ou encore « mettre le feu aux poudres ».
Escampette
Le mot « escampette », quant à lui, est un dérivé ancien du verbe escamper (XVIIIe siècle), emprunté de l’ancien provençal escampar et formé à partir du latin excampare (« sortir du champ »). Il signifie « s’esquiver, se retirer furtivement. »
L’étymologie de s’escamper se rapporte à l’italien scampare, qui signifie également échapper, s’enfuir, et que l’on retrouve en français moderne dans le verbe décamper, ayant la même racine latine excampare.
À cela s’ajoute une influence probable de l’occitan escamper, qui porte le même sens : prendre la fuite. L’ajout du suffixe -ette, typique des diminutifs familiers, donne alors escampette, petite fuite, fuite légère ou rapide, renforçant l’image d’un départ discret et soudain, avec une pointe d’ironie.
Un possible glissement sémantique ?
À cela s’ajoute l’hypothèse d’un glissement sémantique avec le mot escopette, désignant une petite arme à feu en usage entre les XVIe et XVIIIe siècles.
L’escopette fonctionnant grâce à de la poudre, il n’est pas exclu qu’une confusion phonétique ait entretenu l’idée d’un départ précipité sous la menace d’un coup de feu.
Fréquence d’usage de « prendre la poudre d’escampette »
Si Molière écrit Le malade imaginaire en 1673, il faut attendre le début du XVIIIe siècle pour voir apparaître l’expression « prendre la poudre d’escampette ». La première occurence de l’expression sur Gallica se trouve en 1728 dans un recueil rassemblant les meilleures pièces de théâtre qui ont été représentées aux foires de Saint Germain & de Saint Laurent :

L’analyse de la fréquence d’usage de l’expression dans textes publiés depuis 1700 montre qu’elle est de plus en plus populaire au fil du temps :

Exemples d’usage dans la littérature
Brusquement, il se souvint du cheval. « Il a dû prendre la poudre d’escampette », se dit-il. Il sortit. Le cheval était bien tranquille.
Jean Giono, Le hussard sur le toit
La semaine dernière, six de mes ouvriers ont pris la poudre d’escampette. Ils ont juste quitté les champs, comme ça, sans prévenir. Ils sont encore dans la nature.
Arto Paasilinna, Moi, Surunen, libérateur des peuples opprimés
L’Anglais, enchanté d’avoir affaire à un gentilhomme d’aussi bonne composition, serra d’Artagnan entre ses bras, fit mille caresses aux trois mousquetaires, et, comme l’adversaire de Porthos était déjà installé dans la voiture et que celui d’Aramis avait pris la poudre d’escampette, on ne songea plus qu’au défunt.
Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires
Le premier a dû prendre très tôt la poudre d’escampette, la seconde m’a abandonnée sur le bitume moins d’une heure après sa délivrance.
Sylvie Germain, Chanson des mal-aimants