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Jouir

Définitions de « jouir »

Trésor de la Langue Française informatisé

JOUIR, verbe

I. − Avoir du plaisir.
A. − Qqn jouit de qqc.
1. [Le compl. prép. désigne qqc. qui est ressenti par le sujet comme étant agréable] Éprouver de la joie, du plaisir, un état de bien-être physique et moral procuré par quelque chose. Synon. goûter, profiter de, se réjouir de, savourer.Pourquoi jouit-on avec délices de chaque nouvelle beauté que l'on découvre dans ce qu'on aime? C'est que chaque nouvelle beauté vous donne la satisfaction pleine et entière d'un désir (Stendhal, Amour,1822, p. 31).Sa versification [de François Coppée] est un enchantement. On jouit du choix des mots, de la recherche des tours, de telle coupe qui alanguit à dessein la marche du vers. On jouit de telle rime rare ou jolie (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 88).Je n'avais pas fait dire mon nom, j'étais impatient de jouir de sa surprise et de sa joie (Proust, Guermantes 1,1920, p. 71).Il faisait encore jour, mais déjà crépusculairement; avec une bonne petite moyenne au thermomètre, ça vous donnait l'envie de jouir du beau temps sans causer (Queneau,Pierrot,1942,p. 8). :
1. Le secret pour être heureux c'est de savoir jouir à table, au lit, d'être debout, d'être assis, jouir du plus proche rayon de soleil, du plus mince paysage, c'est-à-dire aimer tout : de sorte que pour être heureux, il faut déjà l'être... Flaub., Souv.,1841, p. 54.
Vieilli. Jouir de son reste. Profiter de quelque chose d'avantageux que l'on va perdre. Cet homme doit avoir été souvent malade, il jouit de son reste. Dans trois ans, ce sera un homme fini (Balzac, Paix mén.,1830, p. 338).À mon âge (...) l'amour est devenu une habitude d'infirme, c'est un pansement de l'âme, qui ne battant plus que d'une aile s'envole moins dans l'idéal (...), je sens très bien que je n'ai pas de temps à perdre pour jouir de mon reste (Maupass., Fort comme la mort,1889, p. 200).
Rem. Le compl. désigne qqf. un état désavantageux, pénible, qui peut ou non être ressenti comme satisfaisant pour le sujet. Elle jouissait durement et jusqu'à la plus aiguë douleur de tous leurs gestes surpris (Noailles, Nouv. espér., 1903, p. 140). Agathe jouissait d'être victime parce qu'elle sentait cette chambre pleine d'une électricité d'amour dont les secousses les plus brutales demeureraient inoffensives et dont le parfum d'ozone vivifiait (Cocteau, Enf. terr., 1929, p. 110). Elles avaient peur de lui et jouissaient délicieusement d'avoir peur (Maurois, Byron, t. 1, 1930, p. 221).
SYNT. Jouir de l'instant, du présent, de ses passions, (pleinement, avec délice) d'un plaisir, d'un spectacle, de son triomphe, de sa victoire, de la vie, de la beauté de qqc.; jouir de l'affliction, de la détresse, de l'embarras, de la misère de qqn.
DR. Jouir d'un bien. Avoir l'usage d'un bien et en tirer les fruits. Ses oppresseurs continueront de jouir de la propriété qu'ils s'attribuent sur une partie de ses biens (Robesp., Discours, Restit. biens commun., t. 6, 1790, p. 225).La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les réglemens (Code civil,1804, art. 544, p. 100).L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais a la charge d'en conserver la substance (Agenda-code,1977, p. 123).
2. [Le compl. prép. désigne une pers.]
a) Avoir tout loisir de conserver, d'entretenir des relations avec une personne dont la présence est agréable, procure des satisfactions.
Vx. Jouir de qqn. Pourquoi n'as-tu pas saisi l'occasion de voir Paris? Je jouirais de toi depuis quatre mois (Balzac, Mém. jeunes mar.,1842, p. 325):
2. Nous serons peu de monde [à un souper] mais nous jouirons mieux de Monsieur Beckford, dont les talents sont si variés qu'il peut seul captiver l'attention générale autant que dix personnes distinguées dans divers genres. Staël, Lettres jeun.,1784, p. 22.
Mod. Jouir de la présence, de la compagnie de qqn. Je n'ai réellement joui de son commerce [de Gide] que durant les quelques jours où je l'ai tenu sous clef à Malagar, et durant deux décades à Pontigny (Mauriac, Mém. intér.,1959, p. 186).
b) Disposer de quelqu'un afin de combler ses désirs et de satisfaire ses besoins sexuels. L'attrait des sexes fait qu'on cherche une femme dont on puisse jouir, n'importe laquelle (Constant, Journaux,1803, p. 33).Ils assouvissent leurs désirs charnels avec une grande fureur (...). Et ainsi chacun jouit de celle qu'il préfère (France, P. Nozière,1899, p. 157):
3. ... il (...) s'imposerait à cette femme, jouirait d'elle, dût-elle en crever! Il en ferait un objet à son usage... alors, en lui, elle surgissait muette, soumise, avec cette douce gorge lourde, comme un arbre qui tend son fruit. Il se rappelait ses consentements à mourir d'horreur et sans un cri... Mauriac, Baiser Lépreux,1922, p. 183.
Rem. Le compl. d'obj. indir. désigne presque toujours une femme et les relations qui s'établissent entre le sujet-agent et la femme se posent sur le mode dominant-dominé, la femme étant considérée uniquement du point de vue de son corps et comme un objet (supra ex. 3) dont la fonction est de procurer du plaisir et d'assouvir les désirs. Je me moque de son âme! C'est son corps qu'il me faut, pas autre chose que son corps, la scélérate complicité de son corps! En jouir et m'en débarrasser! (...) Ensuite la rejeter. Elle se traînera à mes pieds et moi je la foulerai sous mes bottes (Claudel, Soulier, 1944, 1repart., 2ejournée, 6, p. 1016).
B. − Absolument
1. [Le suj. désigne une pers., un groupe de pers.] Profiter pleinement de ce dont on dispose et en éprouver un grand plaisir moral ou parfois physique. Jouir est une science, et l'exercice des cinq sens veut une initiation particulière (Baudel., Salon,1846, p. 98).Quelle drôle de manie que celle de passer sa vie à s'user sur des mots et à suer tout le jour pour arrondir des périodes! Il y a des fois, il est vrai, où l'on jouit démesurément (Flaub., Corresp.,1847, p. 53):
4. Le seul propos d'une « science du beau » devait fatalement être ruiné par la diversité des beautés produites ou admises (...). S'agissant de plaisir, il n'y a plus que des questions de fait. Les individus jouissent comme ils peuvent et de ce qu'ils peuvent; et la malice de la sensibilité est infinie. Valéry, Variété IV,1938, p. 248.
2. En partic.
a) Éprouver le plaisir sexuel jusqu'à son aboutissement. Jouir avec feu, éperdument. Le phallus, ce rien dans la vie du sage, cette simple machine à pisser et à jouir (Goncourt, Journal,1860, p. 831).Les hommes trouveront toujours que la chose la plus sérieuse de leur existence, c'est jouir. La femme, pour nous tous, est l'ogive de l'infini (Flaub, Corresp.,1867, p. 274).J'ai mal fait l'amour à Paméla, je l'ai souvent ratée, quelquefois elle paraissait jouir, c'était sans doute pour me faire plaisir (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 19):
5. ... il remuait dans son ventre comme un couteau (...). Elle ne sentait que la douleur; il souffle, il est en nage, il jouit; c'est dans mon sang qu'il jouit, dans mon mal. (...) il fait l'amour comme un soldat dans un bordel. Quelque chose remua en elle, un battement d'ailes... Sartre, Mort ds âme,1949, p. 175.
b) Au fig., fam. Éprouver un grand plaisir. Elle se fendait la gueule à regarder mon père se débattre dans les colombins. Elle jouissait pour toute une journée (Céline, Mort à crédit,1936, p. 87).Mon régal, c'est de lire dans les journaux les listes des fusillés, le compte rendu des procès, les dénonciations, ça me fait jouir (Aymé, Uranus,1948, p. 270).
Par antiphrase, pop. Éprouver une vive douleur physique. Faites donc attention où vous marchez (...) s'écriait une jeune fille, dont le charretier venait maladroitement d'écraser les cors. Ça vous fait jouir la belle enfant, ripostait le rustre (Vidocq, Mém., t. 3, 1828-29, p. 375).Il pleurnichait tout en crevant et en pissant du sang (...) « Finis ça! que je lui dis. Maman! elle t'emmerde! » ... comme ça, dis donc, en passant!... sur le coin de la gueule!... Tu parles si ça a dû le faire jouir la vache!... (Céline, Voyage,1932, p. 54).
II. − Posséder.
A. − [Le suj. désigne un animé]
1.
a) [Le suj. désigne une pers.] Avoir l'usage, la possession de quelque chose qui procure un avantage, un agrément. Synon. avoir, bénéficier, posséder.Du sommet du pic de Bergon, on jouit d'un coup d'œil ravissant, et ce doit être l'un des plus agréables de montagne (Maine de Biran, Journal,1816, p. 173).M. X était âgé de cinquante-sept ans, jouissait d'une aisance honorable et avait tout ce qu'il faut pour être heureux (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Suicides, 1883, p. 823):
6. Branledore mon voisin d'hôpital, le sergent, jouissait, je l'ai raconté, d'une persistante popularité parmi les infirmières, il était recouvert de pansements et ruisselait d'optimisme. Tout le monde à l'hôpital l'enviait et copiait ses manières. Céline, Voyage,1932, p. 123.
b) [Le compl. prép. désigne une pers.] Synon. avoir.Ce curieux, monsieur de Bourbonne (...) était un gentilhomme très-honorable qui jouissait, pour seul et unique héritier, d'un neveu (Balzac, MmeFirmiani,1832, p. 363).
2. Être en pleine possession d'une faculté. Les animaux jouissent, dans leur sommeil, de leur faculté végétale dans toute sa plénitude (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 262).Je sors de chez un vieillard qui se meurt. Il a plus de quatre-vingt-cinq ans, et jouit de toute sa raison (Lamennais, Lettres Cottu,1819, p. 65).Tu ne me paraissais pas jouir de ton bon jugement, quand dans cette aventure tu mettais tant de vies d'hommes en jeu (Claudel, Agamemnon,1896, p. 885).
DR. Jouir d'un droit. Être titulaire d'un droit. Tout Français jouira des droits civils (Code civil,1804, art. 8, p. 3).
B. − [Le suj. désigne une chose] Posséder un avantage. Châtellerault (...) jouit d'une grande réputation sous le rapport de la coutellerie (Gautier, Tra los montes,1843, p. 4).La chambre de Bouvard (...) jouissait d'un balcon ayant vue sur la rivière (Flaub., Bouvard, t. 1, 1880, p. 6).Un cercle sacré d'une ou deux lieues (...) entourait le monastère et jouissait des plus précieuses immunités (Renan, Souv. enf.,1883, p. 2):
7. Ces rires jouissaient d'une propriété qui les apparentait au phénix. Ils pouvaient mourir subitement (...) mais la seconde d'après, ils renaissaient d'eux-mêmes, éclatants, verticaux comme un feu d'artifice. Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 111.
Rem. Le compl. désigne gén. un avantage, qqc. qui procure de la satisfaction. On relève des emplois où le compl. désigne un désagrément. Nous jouissons d'un été horrible, tempêtes diluviennes, chaleur écrasante, froid tout à coup (Sand, Corresp., t. 5, 1866, p. 124). C'est un hôtel qui jouit d'une mauvaise réputation, qui est une sorte de bordel (Goncourt, Journal, 1894, p. 565). Cet usage est condamné par Littré et n'est gén. accepté que s'il comporte un effet de style ironique.
REM. 1.
Jouir, subst. masc.Action de jouir. Je l'ai prise [Lilou], reprise (...). Le désir, le plaisir, le jouir, le continuer, le ne pas cesser, le ne me reposer que pour recommencer, tu vois ça (L. Daudet, Phryné,1937, p. 148).
2.
Jouissement, subst. masc.,hapax. Ma douce main de maîtresse et d'amant Passe et rit sur ta chère chair en fête, Rit et jouit de ton jouissement (Verlaine, Œuvres compl., t. 2, Parall., 1889, p. 202).
Prononc. et Orth. : [ʒwi:ʀ], (il) jouit [ʒwi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Début xiies. trans. « accueillir chaleureusement, faire fête à » (S. Brendan, 566 ds T.-L.). B. « tirer agrément, avantage, profiter de (la possession de) » 1. ca 1140 id. joïr (une femme) (Gaimar, Estoire des Engleis, 194 ds T.-L.); 1679 part. prés. adj. « qui a la satisfaction de son amour » (La Fontaine, Fables, IX, 15); 2. a) 1155 joïr de (la possession d'un bien) (Wace, Brut, 3596 ds T.-L.); 1272 dr. (doc. ds Gdf. Compl.); 1549 part. prés. adj., dr. « qui a pleine jouissance de » (Est. ds FEW t. 5, p. 76a); b) 1580 trans. joïr la santé (Montaigne, Essais, I, XX, éd. A. Thibaudet et M. Rat, p. 86; cf. la rem. de E. Pasquier, Lettres, XVIII, 1 ds Hug.); 3. ca 1200 joïr de (qqn) « tirer intérêt, avantage à la fréquentation de quelqu'un » (Barlaam et Josaphat, 2965 ds T.-L.); 4. 1678 emploi abs. (La Fontaine, Fables, VIII, 27); 5. av. 1788 en parlant d'une chose (Buffon, Théor. part. hyp. Œuv. t. IX, p. 174 ds Littré : la... température dont jouit... la terre). C. Ca 1165 « être heureux, éprouver de la satisfaction, se réjouir de quelque chose » trans. (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 226); ca 1165 pronom. (Benoit de Sainte-Maure, Troie, 29679 ds T.-L.); ca 1185 part. prés. adj. « joyeux » (Marie de France, Purgatoire S. Patrice, 2276, ibid.). Du lat. vulg. *gaudire, class. gaudere « se réjouir, éprouver une joie intime, aimer quelqu'un, quelque chose ». Fréq. abs. littér. : 5 693. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 14 630, b) 6 381; xxes. : a) 5 972, b) 4 713. Bbg. Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp. 339-341.

Wiktionnaire

Verbe - ancien français

jouir \Prononciation ?\ transitif (voir la conjugaison)

  1. Variante de joir.

Verbe - français

jouir \ʒwiʁ\ (transitif indirect ou intransitif) 2e groupe (voir la conjugaison)

  1. Profiter d’une chose que l’on a, que l’on possède, en goûter le plaisir, l’agrément, etc.
    • Ce prologue le fatiguait, mais il ne pouvait l’écourter. L’éloquence fait partie de la fonction ; et il en avait trop complaisamment composé les périodes pour se priver de la satisfaction de s’entendre les phraser et de jouir de ces cadences étudiées. — (Jean Rogissart, Passantes d’Octobre, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1958)
  2. Éprouver du plaisir.
    • Jouir de l’embarras de quelqu’un, de son affliction, de sa détresse, etc.
  3. Avoir la liberté ou le temps de conférer avec quelqu’un, de l’entretenir, d’en tirer quelque service, quelque plaisir.
    • Nous jouirons de lui pendant son séjour à la campagne. – Il est si occupé que l’on ne saurait jouir de lui.
  4. Bénéficier.
    • Je ne puis pas comprendre, autrement que par un souffle de Dieu, l’inconcevable popularité dont je jouis ici. — (Lamartine cité par Philippe Sollers in Éloge de l’infini, Gallimard, page 452)
    • La Belote […] inspira même chansonniers et revuistes, et l'extraordinaire faveur dont elle jouit ne paraît guère prête de s’éteindre. — (Frans Gerver, Le guide Marabout de Tous les Jeux de Cartes, Verviers : Gérard & Cie, 1966, p.51)
    • Léon ayant regagné l'Alsace pour quelque temps, ils jouissaient tous deux d'une parfaite tranquillité. Ils lantiponnaient sur tout et sur rien. — (Jean-Gabriel Gobin, La cougar, BoD/Books on Demand, 2016, chap. 10/p. 113)
  5. Avoir l’usage, la possession actuelle de quelque chose et en tirer tous les profits, tous les avantages, etc.
    • Tout Français jouira des droits civils. […] Tout étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra. […] L’étranger qui aura été admis par le Gouvernement à établir son domicile en France, y jouira de tous les droits civils, tant qu’il continuera d'y résider. — (Code civil des Français, Livre Premier - Des Personnes, Titre Premier - De la jouissance et de la privation des droits civils, 1804)
    • Cet homme avait un rang élevé, et jouissait d’une grande considération parmi ses frères. — (Walter Scott, Ivanhoé, traduit de l’anglais par Alexandre Dumas, 1820)
    • Quant au duc d’Orléans, il jouissait de peu de popularité et de peu d’influence. — (Alfred Barbou, Les Trois Républiques françaises, A. Duquesne, 1879)
    • …bien que la production allemande se soit fort améliorée depuis quelques années, elle ne jouit point encore d’une très haute considération. — (Georges Sorel, Réflexions sur la violence, Chap.VII, La morale des producteurs, 1908, p.356)
    • En Belgique, les chèvres étaient assez nombreuses et jouissaient d’une certaine faveur auprès des campagnards, surtout dans les pays ardennais. — (Paul Diffloth, Zootechnie : Chêvres, porcs, lapins , Encyclopédie agricole J. B. Baillière, & fils, 4e éd., 1918, page 62)
    • La foule entend désormais jouir des raffinements réservés naguère à de peu nombreux privilégiés. — (Ludovic Naudeau, La France se regarde : le Problème de la natalité, Librairie Hachette, Paris, 1931)
    • Ces messieurs étaient attablés autour de vichy-fraise et de vittel-cassis, innocents breuvages qui […] jouissent d’une rassurante vertu, laissant le cerveau lucide quand on se voit obligé de boire souvent et qu’on ne veut pas courir le risque de s’enivrer. — (Francis Carco, Messieurs les vrais de vrai, Les Éditions de France, Paris, 1927)
  6. (Absolument) Éprouver un vif plaisir, un orgasme, etc.
    • Quand je baise, la peur que j’ai d’être enceinte me coupe toute envie de jouir. Je n’aime pas baiser. — (Pierre Louÿs, Trois filles de leur mère, René Bonnel, Paris, 1926, chapitre IV)
    • Et j’flippe à n’en plus pouvoir trembler, j’ai joui à n’en plus pouvoir bander […]. — (Casseurs Flowters, Des histoires à raconter, 2014)
    • Ne demandez jamais à une dame la permission d’aller jouir avec sa fille. Dites « jouer », qui est plus décent. — (Pierre Louÿs, Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation, 1926)
    • Il la coquait sans arrêt comme s'il avait hâte de rattraper des années d’abstinence forcée et elle s'amusait plus de ce qu'elle tenait pour des gamineries de bougre trop savant, qu'elle ne jouissait vraiment. — (Raphaël Confiant, Le nègre et l'amiral, Éditions Grasset & Fasquelle, 1988, chap. 5)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

JOUIR. v. intr.
Profiter d'une chose qu'on a, qu'on possède, en goûter le plaisir, l'agrément, etc. Jouir de sa bonne fortune. Il sait jouir de la vie. Il jouit du présent, sans trop s'occuper de l'avenir. Jouir de la victoire. Jouir des plaisirs du monde. Jouir de l'embarras de quelqu'un, de son affliction, de sa détresse, etc., Éprouver du plaisir à le voir ou à le savoir embarrassé, affligé, malheureux, etc. Jouir de quelqu'un, Avoir la liberté, le temps de conférer avec lui, de l'entretenir, d'en tirer quelque service, quelque plaisir. Nous jouirons de lui pendant son séjour à la campagne. Il est si occupé que l'on ne saurait jouir de lui. Il signifie aussi Avoir l'usage, la possession actuelle de quelque chose et en tirer tous les profits, tous les avantages, etc. Jouir d'une terre, d'une pension. Jouir d'un privilège, du droit de... Jouir des droits civils, des droits politiques. Il est majeur, il jouit de son bien. Il ne jouit de rien. Jouir d'une honnête aisance. Jouir d'une parfaite santé. Jouir du repos. Jouir de la félicité, de la gloire éternelle. Jouir d'une grande réputation, d'un immense crédit. Jouir de la considération publique. Jouir de l'estime de quelqu'un. Jouir de la présence, de la société de quelqu'un. Par extension, en parlant des Choses, La réputation dont cet ouvrage a si longtemps joui.

Littré (1872-1877)

JOUIR (jou-ir) v. n.
  • 1Tirer plaisir, agrément. profit de quelque chose (sens le plus voisin du sens étymologique). Vous jouirez fort peu d'une telle insolence, Corneille, Médée, II, 7. … Ce malheureux attendait, Pour jouir de son bien, une seconde vie, La Fontaine, Fabl. IV, 20. L'heureux vieillard jouit jusqu'à la fin des tendresses de sa famille, Bossuet, le Tellier. La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi ; jouissez, prince, de cette victoire, jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice [celui de Jésus-Christ], Bossuet, Louis de Bourbon. Jouissant, en sujet fidèle, des prospérités de l'État et de la gloire de son maître, Bossuet, le Tellier. La liberté qu'on se donne de penser tout ce qu'on veut fait qu'on croit respirer un air nouveau ; on s'imagine jouir de soi-même et de ses désirs, Bossuet, Anne de Gonz. Hâtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie ; Qui sait si nous serons demain ? Racine, Ath. II, 9. Roxane… Nous engagea tous deux par sa facilité à la laisser jouir de sa crédulité, Racine, Baj. I, 4. Le coup de foudre qui allait éclater se cachait encore sous l'éclat trompeur de la nuée ; Dieu nous laissait encore jouir de notre erreur, Massillon, Or. fun. Dauphin. On s'enferme dans une maison sainte, plutôt pour jouir quelques moments plus à loisir de la paresse, que pour fuir les plaisirs, Massillon, Carême, Vérit. culte. Après avoir calculé pour le sage, calculons pour l'homme bien moins rare qui jouit de ses erreurs souvent plus que de sa raison, Buffon, Homme, arith. morale. Pendant que Davoust jouissait peut-être du dangereux plaisir d'avoir humilié son ennemi [Berthier], Ségur, Hist. de Nap. III, 2. Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive, Il coule et nous passons, Lamartine, Médit. I, 13.

    Absolument. Savoir profiter de ce qu'on a, vie, temps, fortune. Il est riche, mais il ne sait pas jouir. L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage, Ne dira-t-il jamais : c'est assez, jouissons ? La Fontaine, Fabl. VIII, 27. Cependant jouissons ; l'âge nous y convie ; Avant de la quitter, il faut user la vie ; Le moment d'être sage est voisin du tombeau, Chénier, Élégie XX.

    Jouir de l'embarras de quelqu'un, jouir de son affliction, de sa détresse, etc. éprouver du plaisir à le voir ou à le savoir embarrassé, affligé, malheureux, etc. Du malheur qui me presse Tu ne jouiras pas, infidèle princesse, Racine, Mithr. IV, 7. Jouissez de sa perte injuste ou légitime, Racine, Phèdre, V, 7. Laissez-moi le plaisir de confondre l'ingrat ; Je veux voir son désordre, et jouir de sa honte, Racine, Baj. IV, 6.

  • 2 Absolument. Éprouver un plaisir sensuel. Le gastronome jouit en mangeant de bons morceaux.

    Populairement. Ça ne fait pas jouir, se dit de quelque douleur physique, par exemple l'arrachement d'une dent.

  • 3 Par extension, avoir la possession, l'usage de toute chose qui procure bien-être, avantage, agrément. Jouir d'une grande réputation. Jouir de l'estime publique. Leur roi n'a pu jouir de ton cœur adouci, Corneille, Mort de P. V, 4. Les honneurs dont a joui Marie-Thérèse, Fléchier, Mar.-Thér. Il allait jouir d'un noble repos dans sa retraite de Bâville, Fléchier, Lamoignon. Vous jouirez bientôt de son aimable vue, Racine, Baj. V, 6. Du fruit de tant de soins à peine jouissant En avez-vous six mois paru reconnaissant, Racine, Brit. IV, 2. Chacun peut désormais jouir de mon aspect, Voltaire, Zaïre, I, 3.

    Cet homme ne jouit pas de sa raison, c'est-à-dire son intelligence est troublée, il est fou, il est en enfance.

    On dit quelque fois jouir, en parlant des animaux. Les animaux qui jouissent de la faculté de voir dans l'obscurité.

  • 4 Particulièrement. Avoir la possession de quelque bien, de quelque avantage, et en profiter. Jouir d'une terre, d'un emploi. Jouir des droits civils, politiques. Il est majeur, il jouit de son bien. On ne m'a rien dit ni rien fait de leur part [les magistrats hollandais sollicités par Jurieu] ; j'ai joui de tous mes droits, et fait toutes mes fonctions comme auparavant, Bayle, Lett. à Minutoli, 27 août 1691. Il m'avoua, pour me consoler, qu'il jouissait de quatre cent mille livres de rente, Voltaire, l'Homme aux quarante écus, désastre. L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance, Cod. Nap. 578. La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements, ib. 544.

    Absolument. Jouir de bonne foi. Vous m'avez vendu votre terre, faites-moi jouir. Il jouissait paisiblement.

    Au sens juridique, percevoir les fruits que produit une chose. L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit, Cod. Nap. 582.

  • 5 Fig. Avec un nom de chose pour sujet, il se dit des avantages attachés à cette chose. La réputation méritée dont jouit cet ouvrage. Cette entreprise jouit d'une grande faveur dans le public. Cette contrée jouit d'un printemps perpétuel. D'où l'on voit que ç'a été dans l'année 36588 de la formation des planètes, c'est-à-dire il y a 38244 ans, que ce satellite [de Jupiter] jouissait de la même température dont jouit aujourd'hui la terre, Buffon, Théor. terre, part. hyp. Œuv. t. IX, p. 174.
  • 6Jouir de quelqu'un, avoir la liberté, le temps de conférer avec lui, de l'entretenir, d'en tirer quelque service, quelque plaisir. Nous jouirons de lui pendant son séjour à la campagne.

    Familièrement. On ne peut jouir de cet enfant, c'est-à-dire il est turbulent, capricieux, volontaire, on ne peut en venir à bout.

  • 7En langage libre, jouir d'une femme, avoir commerce avec elle. J'aimerais autant croire Dion Cassius, qui assure que les graves sénateurs de Rome proposèrent un décret, par lequel César, âgé de cinquante-sept ans, aurait le droit de jouir de toutes les femmes qu'il voudrait, Voltaire, Mœurs, introduction.
  • 8 Terme de chasse. Les chiens courants jouissent lorsque après avoir chassé, ils prennent l'animal et font curée. Pour avoir de bons chiens, il faut les faire jouir souvent.

    PROVERBE

    Qui de loin se pourvoit, de près jouit.

REMARQUE

Jouir, impliquant une satisfaction, ne se dit pas des choses mauvaises. Ainsi c'est parler ridiculement que de dire : Il jouit d'une mauvaise santé, d'une mauvaise réputation. Toutefois, quand la chose mauvaise dont il s'agit, malheur, peine, souffrance, peut être, par une hardiesse de l'écrivain, considérée comme quelque chose dont l'âme se satisfasse, alors jouir est très bien employé : Il ne croit rien avoir s'il n'a tout ; son âme est toujours avide et altérée, et il ne jouit de rien que des malheurs, Massillon, cité dans GIRAULT-DUVIVIER. Je t'ai perdu ; près de ta cendre Je viens jouir de ma douleur, Saint-Lambert, Épitaphe d'Helvétius.

HISTORIQUE

XIIe s. Li quelz doit mieux, par droit, d'amors joïr… ? Couci, X. Li rois les voit, s'est encontre saillis ; Assés les a acolés et joïs, Bernier baisa et puis le sor Geri, Raoul de C. 256.

XIIIe s. Vieschi [voici] li roi Ricart qui est entrés en ma terre, et bien sai qu'il est outrecuidiés ; et, s'il pooit tant faire qu'il peust de moi goïr, bien sai de voir [de vrai] ne porteroie la vie, Chr. de Rains, p. 75. Chil [celui] qui doit goïr se vie [sa vie durant] des fruis par reson du testament…, Beaumanoir, XII, 12. Jà ne la querroient oïr [la vérité], Trop en porroient mal joïr, Se je disoie d'eus parole Qui ne lor fust plesante et mole, la Rose, 11000. Joie d'amours fait tant gai Le cuer [le cœur], que c'est faerie [féerie], Que nulz qui got set celer, Bibl. des ch. 4e série, t. V, p. 26.

XVe s. Si jouirent chevaliers et escuyers paisiblement de leurs prisonniers, Froissart, II, II, 19.

XVIe s. Il n'y eust rien qui leur semblast si plaisant à regarder, ne si doulx à jouir que sa compaignie et sa personne propre, Amyot, P. Aem. 37. La santé que j'ay jouie jusques à present très vigoureuse, Montaigne, I, 78. Il se trouva court à jouir d'elle, Montaigne, I, 76. L'amitié est jouie à mesure qu'elle est desirée, Montaigne, I, 209. Jouir du privilege de…, Montaigne, I, 234. La solitude se puelt jouir au milieu des courts, Montaigne, I, 276. Les vrays biens desquels on jouit à mesure qu'on les entend, Montaigne, I, 287. C'est le jouir, non le posseder, qui nous rend heureux, Montaigne, I, 329. Je le voyois [Montaigne] habiller le mot de jouir du tout à l'usage de Gascongne, et non de nostre langue françoise : la santé que je jouy jusques à present, Pasquier, Lettres, t. II, p. 380.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

JOUIR. - REM. Ajoutez :

2. Malherbe a employé jouir activement : A quoi doit-il penser qu'à vivre, Vous jouir et se réjouir ? Lexique, éd. L. Lalanne. Cela est tout à fait hors d'usage.

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Étymologie de « jouir »

Génev. gaudir de quelqu'un, en venir à bout ; norm. cette poutre est lourde, mais j'en jouirai bien, je viendrai à bout de la porter ; provenç. gaudir, jauzir, gauzir ; cat. gausir, jausir ; anc. ital. gaudire ; ital. mod. gaudere ; du lat. gaudere.

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(début XIIe siècle) Du latin gaudere (« se réjouir, éprouver une joie intime, aimer quelqu’un ou quelque chose ») devenu, en latin populaire *gaudīre.
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Phonétique du mot « jouir »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
jouir ʒwir

Citations contenant le mot « jouir »

  • Jouir sans interruption, c'est ne jouir de rien. Paul Henri Thiry, baron d'Holbach, Système de la nature
  • C'est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être. Michel Eyquem de Montaigne, Essais, III, 13
  • Les moyens qui rendent un homme propre à faire fortune sont les mêmes qui l'empêchent d'en jouir. Antoine Rivaroli, dit le Comte de Rivarol, Discours sur l'homme intellectuel et moral
  • Jouir sans interruption, c’est ne jouir de rien. De Baron d’Holbach / Système de la nature , 
  • Acquérir et jouir sont deux. De Proverbe français , 
  • Méprise la vie pour en jouir. De Jean-Paul Richter , 
  • Posséder sans jouir n’est rien. De Esope / L’avare , 
  • Vivre c'est pour en jouir. De France Théoret / Nous parlerons comme on écrit , 
  • On ne sait jouir de rien à force de vouloir jouir de tout. De George Sand / Lélia , 
  • Pour bien jouir, il serait sage de se priver. De Henri Matisse , 
  • Amants, faites-vous de plus en plus jouir. De André Breton , 
  • A jouir sans péril, on s'essouffle sans gloire. De Jean Adrian / Fé , 
  • La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens. De Montesquieu / Cahiers , 
  • Vivre sans temps mort et jouir sans entrave. De Anonyme / Mai 1968 , 
  • Toute chose appartient à qui sait en jouir. De André Gide / Si le grain ne meurt , 
  • Aimer, c'est jouir, tandis que ce n'est pas jouir que d'être aimé. De Aristote , 
  • LES STARS DU CONFINEMENT (1/6) – La crise leur a permis de rencontrer un succès inattendu et de jouir d'une notoriété nouvelle. Le Figaro prend des nouvelles de ceux qui nous ont accompagnés pendant cette période si spéciale. Le Figaro.fr, Marie-Solène Letoqueux, la maîtresse d'école devenue youtubeuse à succès
  • Il est essentiel de ne jamais perdre de vue que la mondialisation ne rend pas une nation compétitive par nature, c’est la compétitivité d’une nation qui lui permet de jouir du potentiel de la mondialisation L'Opinion, «La mondialisation: du grand déballage au grand remodelage» – La Tribune d’Olivier Duha – Economie | L'Opinion
  • Alors que commencent les vacances de la construction, nous sommes très nombreux à jouir de l’été comme s’il n’y avait pas de lendemain. Si vous essayez de magasiner un mobilier de patio ou un barbecue ces temps-ci, vous le constaterez : les gens ont investi dans leur cour arrière. Il ne reste presque rien dans les magasins. Le Journal de Québec, Soyons reconnaissants | Le Journal de Québec
  • Jouir sans interruption, c'est ne jouir de rien. Paul Henri Thiry, baron d'Holbach, Système de la nature
  • C'est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être. Michel Eyquem de Montaigne, Essais, III, 13
  • Les moyens qui rendent un homme propre à faire fortune sont les mêmes qui l'empêchent d'en jouir. Antoine Rivaroli, dit le Comte de Rivarol, Discours sur l'homme intellectuel et moral
  • Jouir sans interruption, c’est ne jouir de rien. De Baron d’Holbach / Système de la nature , 
  • Acquérir et jouir sont deux. De Proverbe français , 

Images d'illustration du mot « jouir »

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Traductions du mot « jouir »

Langue Traduction
Anglais enjoy
Espagnol disfrutar
Italien godere
Allemand genießen
Chinois 请享用
Arabe استمتع
Portugais desfrutar
Russe наслаждаться
Japonais 楽しい
Basque gozatzeko
Corse prufittà
Source : Google Translate API

Synonymes de « jouir »

Source : synonymes de jouir sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « jouir »

Combien de points fait le mot jouir au Scrabble ?

Nombre de points du mot jouir au scrabble : 12 points

Jouir

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