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Schisme

Variantes Singulier Pluriel
Masculin schisme schismes

Définitions de « schisme »

Trésor de la Langue Française informatisé

SCHISME, subst. masc.

A. − RELIGION
1. Acte par lequel un groupe de personnes appartenant à une confession religieuse se sépare de celle-ci et reconnaît une autorité spirituelle différente. Synon. dissidence, division.Au sein même des musulmans éclata un schisme terrible: les partisans d'Omar et d'Ali se traitant mutuellement d'hérétiques, d'impies, de sacriléges, s'accablèrent de malédictions (Volney,Ruines, 1791, p. 168).
HIST. DU JUDAÏSME. ,,Séparation des tribus d'Israël en deux royaumes: de Juda, au Sud, et d'Israël au Nord, à la mort de Salomon (931 av. J.-C.)`` (Foi t. 1 1968). [Jéroboam] compléta la scission politique par un schisme religieux et proposa à Israël deux veaux d'or (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 977).
2. HIST. DE L'ÉGLISE, DR. CANON. Rupture d'un groupe de fidèles d'avec le Saint-Siège. Schisme anglican, protestant, de la Réforme; schismes doctrinaux, ecclésiastiques; éviter un schisme; précipiter un pays dans un schisme; tomber dans le schisme; le schisme éclate. Les parlements changèrent quatre fois la religion de l'Angleterre. Ils consacrèrent le schisme de Henri VIII et le protestantisme d'Édouard VI (Staël,Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 287):
Tous les premiers schismes sont venus de la question du sabbat. C'est qu'en effet cette question marquait le point capital du débat, qui était de savoir si le christianisme était une continuation du mosaïsme ou une religion nouvelle. P. Leroux,Humanité, 1840, p. 781.
Schisme (d'Orient), schisme grec ou oriental. Séparation de l'Église d'Occident et de l'Église d'Orient. Le schisme de 1054, qui sépara du pape l'Église d'Orient, fut la consécration du schisme politique qui séparait l'Orient de l'Occident depuis le partage de l'Empire (Faure,Hist. art, 1912, p. 247).
(Grand) schisme (d'Occident). Division entre les chrétiens d'Occident (1378-1417), alors que deux ou même trois papes se disputent la papauté à Rome et à Avignon. Il y a un schisme dans l'Église, deux papes en guerre, l'un à Rome, l'autre à Avignon (Bainville,Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 108).
Faire (le) schisme. [L'archevêque de Lisbonne] est éloquent, téméraire, fanatique, il fera schisme. Archevêque contre archevêque (Lemercier,Pinto, 1800, i, 8, p. 24).Se séparer de Rome, faire le schisme, créer une Église nationale, ce seroit proclamer l'athéisme et ses conséquences (Lamennais,Religion, 1826, p. 215).
B. − P. anal.
1. Désaccord, conflit d'opinions. Il y a ici un schisme entre les chronologistes (Chateaubr., Essai litt. angl., t. 1, 1836, p. 274, note). Le drapeau noir flotte sur La belle Angerie. Une longue série de désastres familiaux, de schismes retentissants, est inscrite dans ses plis (H. Bazin,Vipère, 1948, p. 196).Un nouveau schisme s'est d'ailleurs produit: à côté du rugby à quinze (joueurs) s'est développé, depuis une vingtaine d'années, le rugby à treize (Comment parlent les sportifsds Vie Lang., 1954, p. 231).
2. Scission d'un groupe organisé, d'une école de pensée, d'un parti. Le grand fossé. Téléfilm français d'Yves Ciampi et Jean Elleinstein sur le congrès de Tours de 1920 et le schisme socialo-communiste (Le Point, 28 avr. 1980, p. 41, col. 1).
Prononc. et Orth.: [ʃism̭]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1174 cisme « dans une religion établie, formation d'une Église qui se sépare de l'Église reconnue, sans dissidence complète sur les points essentiels du dogme et du culte » (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 452); ca 1175 fig. cisme « dispute » (Chronique Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 4220, 38707). Empr. au b. lat. ecclés.schisma, gr. σ χ ι ́ σ μ α, dér. de σ χ ι ́ ζ ε ι ν « fendre ». La graphie lat. schisme est att. en 1534 chez Rabelais, Gargantua, XVI, éd. R. Calder, M. A. Screech et V.-L. Saulnier, p. 112. Fréq. abs. littér.: 192.

Wiktionnaire

Nom commun - français

schisme \ʃism\ masculin

  1. Division au sein d’une Église donnant naissance à une nouvelle Église.
    • Les Turcs regardent les Persans comme ayant fait schisme dans la religion mahométane. - Fomenter, étouffer, éteindre un schisme.
    • On appelle grand schisme d’Occident la division qui eut lieu, dans l’Église catholique, durant une partie du XIVe et du XVe siècles, pendant laquelle il y eut à la fois plusieurs papes qui se prétendaient légitimes.
    • Ces querelles de rites et de frontières entretinrent entre les deux hiérarchies ecclésiastiques, celle de Rome et celle de Constantinople, une animosité croissante qui ne fut pas étrangère à la grande rupture que constitua le schisme de 1054. — (Robert Fossier, « Mise en place des États », dans Histoire du Moyen Âge - Tome II, Éditions Complexe, 2005)
    • Séparées depuis le schisme de 1054, l’Église catholique, héritière de l’Église chrétienne d’Occident, et les Églises orthodoxes, issues de l’Église d’Orient, ont entrepris depuis un demi-siècle de se rapprocher, avec des hauts et des bas dans le dialogue. — (Cyberpresse, 29 novembre 2006)
    • L’Église anglicane risque même le schisme, parce qu’un évêque homosexuel, non abstinent, a été élu aux États-Unis. — (La Presse, 28 février 2006)
    • Le pape a justifié sa décision par un souci de « réconciliation » au sein de l’Église catholique, 19 ans après le schisme des adeptes de Mgr Marcel Lefebvre, l’évêque français (décédé en 1991) qui avait refusé Vatican II. — (Cyberpresse, 7 juillet 2007)
    • À la suite de son excommunication, le prélat, ancien archevêque de Lusaka, avait écrit au pape début novembre pour lui demander que « les prêtres et les évêques mariés soient réintégrés » dans l’Église. Il affirmait également qu’une « nouvelle Église catholique » serait formée « avec ou sans votre bénédiction », laissant planer la menace d’un schisme. — (Cyberpresse, 16 novembre 2006)
    • La grande fête chiite de l’Achoura […] commémore le martyre de l’imam Hussein […] tué en 680 à Kerbala pendant les guerres pour la succession califale, considéré comme le moment fondateur du schisme entre sunnites et chiites. — (Cyberpresse, 28 janvier 2007)
    • (Par analogie)On sait qu’en Angleterre il y a schisme dans cette société, et qu’elle se partage en maçons d’Yorck et d’Écosse. — (Anonyme, Mexique.- Situation des partis, Revue des Deux Mondes, 1829, tome 1)
  2. (Par analogie) Division analogue dans le domaine de la politique, de la morale, de la littérature, etc.
    • Le schisme a entraîné aussi la division du syndicalisme. À côté de la C.G.T. est apparue une petite C.G.T.U. (…) d'obédience communiste, […]. — (Jacques Delpierrié de Bayac, Histoire du Front populaire, Fayard, 1972, p.22)
    • Celui-ci n’écarte pas qu’un bouillonnement d’idées au sein du PQ engendre un véritable schisme dans le parti. — (La Presse, 12 mai 2007)
    • Il a l’esprit ouvert sur le nucléaire par exemple, nous rappelant qu’il y a maintenant un schisme chez les écolos. — (La Presse, 6 septembre 2006)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

SCHISME. n. m.
Formation d'une Église qui se sépare de l'Église. Le schisme des Grecs. Le schisme d'Angleterre. Les Turcs regardent les Persans comme ayant fait schisme dans la religion mahométane. Fomenter, étouffer, éteindre un schisme. Le grand schisme d'Occident, La division qui eut lieu, dans l'Église catholique, durant une partie du XIVe et du XVe siècle, et pendant laquelle il y eut à la fois plusieurs papes qui se prétendaient légitimes.

SCHISME se dit, par analogie, en matière de politique, de morale, de littérature, etc. Il est l'auteur du schisme qui divise en ce moment ce parti politique.

Littré (1872-1877)

SCHISME (chi-sm') s. m.
  • 1Séparation du corps et de la communion d'une religion. Saint Athanase était un homme appelé Athanase, accusé de plusieurs crimes, condamné en tel et tel concile pour tel et tel crime ; tous les évêques y consentaient et le pape enfin ; que dit-on à ceux qui y résistent ? qu'ils troublent la paix, qu'ils font schisme, Pascal, Pensées sur le pape et l'Église, 21, édit. FAUGÈRE. Nous ferons voir, du propre aveu de nos adversaires, que l'Église peut prendre parti dans les choses que l'Évangile laisse indifférentes, et que, lorsqu'elle l'a pris, on ne peut s'y opposer ni lui désobéir sans se rendre coupable de schisme, Bossuet, Déf. de la trad. sur la communion, Avertiss. 2. Je distingue le schisme où la foi est intéressée d'avec les schismes où l'on tombe innocemment sur de purs faits, Bossuet, 2e instr. sur les prom. de l'Église, 58. Le plus ancien schisme parmi les chrétiens est celui de Nestorius, 1re instruct past. 18. Le schisme est toujours connu par son auteur ; la plaie ne se ferme pas par le temps, et, pour peu qu'on y regarde de près, la rupture paraît toujours fraîche et sanglante, ID. Polit. VII, III, 5. Le jansénisme trouble la France, mais sans faire de schisme, sans exciter de guerre civile, Voltaire, Louis XIV, 24. D'autres croient que le premier siége de cette peste [les guerres religieuses] fut l'Égypte, et que les chiens et les chats, qui étaient en grande considération, étant devenus enragés, communiquèrent la rage du schisme à la plupart des Égyptiens qui avaient la tête faible, Voltaire, Dict. phil. Schisme.

    Schisme d'Orient ou des Grecs, séparation de l'Église grecque et de l'Église romaine provoquée par Photius en 862. C'est sous son règne [de Basile à Constantinople] qu'est l'époque du grand schisme qui divisa l'Église grecque de la latine, Voltaire, Mœurs, 29.

    Schisme passif, nom que les protestants donnent à leur séparation, parce que, disent-ils, c'est l'Église elle-même qui les a repoussés.

  • 2Schisme des dix tribus, se dit quelquefois de la séparation du peuple juif en deux royaumes, l'an 979 avant Jésus-Christ. Elle [l'Écriture] nous parle du schisme de Jéroboam comme d'une action détestable, qui a commencé par une révolte, qui s'est soutenue par une idolâtrie formelle…, Bossuet, Var. XV, 77.

    Le schisme des Samaritains, la division qui existait entre Jérusalem et Samarie. Plutôt que répudier cette étrangère… il embrassa le schisme des Samaritains, Bossuet, Hist. I, 8.

  • 3Le grand schisme d'Occident, anarchie qui eut lieu dans l'Église catholique pendant une partie du XIVe et du XVe siècle, et dans laquelle il y eut à la fois plusieurs papes qui se prétendaient légitimes.
  • 4 Par analogie. Il se dit en matière de politique, de morale, de littérature, d'usages. Le romantisme, au moment de son apparition, fut un schisme dans la littérature. La révérence en mante, que les dames de Lorraine vinrent faire au roi sur la mort de la reine-duchesse, mère de M. de Lorraine, fit schisme entre elles, Saint-Simon, 53, 133.

SYNONYME

SCHISME, HÉRÉSIE. Dans le langage de l'Église catholique romaine, il y a schisme quand, ne se séparant pas sur des points essentiels de doctrine, on se sépare de la communion avec l'Église et de l'autorité du saint-siége ; il y a hérésie, quand on se sépare de l'Église sur des points considérables : les Grecs sont schismatiques, les protestants sont hérétiques. L'hérésie entraîne le schisme ; mais le schisme n'entraîne pas l'hérésie.

HISTORIQUE

XIIe s. Pur cel cisme qu'il fist cuntre Deu e raisun, Th. le mart. 28.

XVe s. Pour le temps que ce scisme vint en l'Eglise, France, Castille et Escosse estoient conjointes ensemble par alliance, Froissart, II, III, 27. Ô roi très crestien, ensuivez vos predecesseurs, qui tousjours à faire cesser le scisme de saincte eglise ont mis tout leur estude singulierement sur tous aultres, Gerson, dans Hist. litt. de la Fr. t. XXIV, p. 376.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

SCHISME, s. m. (Théologie.) en général signifie division ou séparation. Mais il se dit plus particulierement de la séparation qui arrive en conséquence de la diversité d’opinions entre gens d’une même créance & d’une même religion. Le parti qui le premier se sépare de l’autre ouvre & commence le schime.

Ce mot vient du grec σχίσμα, qui signifie scission, déchirure.

C’est en ce sens qu’on dit le schisme des dix tribus d’Israël d’avec les deux tribus de Juda & de Benjamin. Le schisme des Grecs avec l’Eglise romaine, le schisme réciproque que se reprochent parmi les mahométans les sectateurs d’Omar & d’Aly.

Les trois schismes les plus fameux dans la religion chrétienne sont 1°. le schisme des Grecs, commencé dans le ix. siecle par Photius, & consommé dans le xj. par Michel Cerularius, tous deux patriarches de Constantinople. Il subsiste encore malgré les différentes tentatives qu’on a faites en plusieurs conciles généraux pour y mettre fin, & les facilités que l’Eglise romaine a toujours apportées à la réunion. Voy. l’article suivant.

2°. Le grand schisme d’Occident, commencé en 1378, entre Urbain VI. & Clément VII. & continué par les antipapes, successeurs de celui-ci, contre les papes légitimes, successeurs du premier, jusqu’à l’an 1429, que Martin V. fut reconnu seul pape & vrai chef de l’Eglise. On compte divers autres schismes particuliers arrivés dans l’église de Rome à l’occasion de l’élection des papes, mais qui n’intéressent pas si vivement, ou ne partagerent pas les églises nationales d’Occident, comme dans le xiv. & le xv. siecles.

3°. Le schisme d’Angleterre par lequel, sous Henri VIII. l’Eglise de cette île commença à se séparer de la communion du siege de Rome, auquel elle avoit été unie depuis la conversion de l’Angleterre à la foi. Ce schisme prit de nouvelles forces sous Edouard VI. & fut consommé sous Elisabeth.

La séparation des protestans d’avec l’Eglise romaine est aussi un vrai schisme ; on peut voir sur cette matiere l’ouvrage de M. Nicole, intitulé les prétendus reformés convaincus de schisme.

Quelques auteurs distinguent un schisme passif & un schisme actif. Ils entendent par schisme actif celui d’une portion de la chrétienté, qui d’elle-même s’est séparée du corps de l’Eglise. Tel est le schisme des Grecs & des Anglois, qui se sont eux-mêmes soustraits volontairement à l’obéissance dûe au saint siége.

Par schisme passif, ils entendent la séparation d’une portion de la chrétienté exclue de la communion avec le reste des fideles pour cause d’hérésie. Cette idée peut avoir lieu par rapport à quelques sectes que l’Eglise déclare séparées d’elle, à cause de leur opiniâtreté ; mais les protestans ne sauroient abuser de cette notion pour rejetter la faute de leur séparation sur les catholiques romains ; car il est prouvé par tous les monumens historiques du tems, & par tous les écrits des calvinistes & des luthériens, qu’avant le concile de Trente, qui a anathématisé leurs erreurs, ils crioient que l’Eglise romaine étoit la Babylone corrompue, que le pape étoit l’antechrist, qu’il falloit s’en séparer, & ils s’en sont séparés en effet. Aussi le schisme est actif de leur part.

Les Anglicans regardent parmi eux comme un schisme la séparation des non-conformistes, des presbytériens, des indépendans, des anabaptistes & autres qui ont prétendu réformer la réforme.

Schisme des Grecs, (Hist. ecclésiastique.) on appelle schisme des Grecs, la séparation de Photius d’avec la communion de Rome, vers l’an 868.

Comme cette séparation des Grecs & des Latins n’étoit pas seulement la plus grande affaire que l’Eglise chrétienne eût alors sur les bras, mais qu’elle est encore aujourd’hui regardée comme une chose très importante ; il en faut tracer l’origine, & c’est le peintre moderne de l’histoire universelle qui m’en fournira le tableau.

Le siege patriarchal de Constantinople étant, dit-il, ainsi que le trône, l’objet de l’ambition, étoit sujet aux mêmes révolutions. L’empereur Michel III. mécontent du patriarche Ignace, l’obligea à signer lui-même sa déposition, & mit à sa place Photius, eunuque du palais, homme d’une grande qualité, d’un vaste génie, & d’une science universelle. Il étoit grand-écuyer & ministre d’état. Les évêques pour l’ordonner patriarche, le firent passer en six jours par tous les degrés. Le premier jour on le fit moine, parce que les moines étoient alors regardés comme faisant partie de la hiérarchie. Le second jour il fut lecteur, le troisieme soudiacre, puis diacre, prêtre, & enfin patriarche, le jour de Noël en 858.

Le pape Nicolas prit le parti d’Ignace, & excommunia Photius. Il lui reprochoit surtout d’avoir passé de l’état laïc à celui d’évêque avec tant de rapidité ; mais Photius répondoit avec raison, que S. Ambroise, gouverneur de Milan, & à peine chrétien, avoit joint la dignité d’évêque à celle de gouverneur plus rapidement encore. Photius excommunia donc le pape à son tour, & le déclara déposé. Il prit le titre de patriarche écuménique, & accusa hautement d’hérésie les évêques d’Occident de la communion du pape. Le plus grand reproche qu’il leur faisoit, rouloit sur la procession du pere & du fils. Des hommes, dit-il dans une de ses lettres, sortis des ténebres de l’Occident, ont tout corrompu par leur ignorance. Le comble de leur impiété est d’ajouter des nouvelles paroles au sacré symbole autorisé par tous les conciles, en disant que le S. Esprit ne procede pas du pere seulement, mais encore du fils, ce qui est renoncer au christianisme.

On voit par ce passage & par beaucoup d’autres, quelle supériorité les Grecs affectoient en tout sur les Latins. Ils prétendoient que l’Eglise romaine devoit tout à la greque, jusqu’aux noms des usages, des cérémonies, des mysteres, des dignités. Baptême, eucharistie, liturgie, diocèse, paroisse, évêque, prêtre, diacre, moine, église, tout est grec. Ils regardoient les Latins comme des disciples ignorans, révoltés contre leurs maîtres.

Les autres sujets d’anathème étoient, que les Latins se servoient de pain non levé pour l’Eucharistie, mangeoient des œufs & du fromage en carême, & que leurs prêtres ne se faisoient point raser la barbe. Etranges raisons pour brouiller l’Occident avec l’Orient.

Mais quiconque est juste, avouera que Photius étoit non-seulement le plus savant homme de l’Eglise, mais un grand évêque. Il se conduisoit comme S. Ambroise ; quand Bazile, assassin de l’empereur Michel, se présenta dans l’église de Ste Sophie : vous êtes indigne d’approcher des saints mysteres, lui dit-il à haute voix, vous qui avez encore les mais souillées du sang de votre bienfaiteur. Photius ne trouva pas un Théodose dans Bazile. Ce tyran fit une chose juste par vengeance. Il rétablit Ignace dans le siége patriarchal, & chassa Photius. Rome profita de cette conjoncture pour faire assembler à Constantinople le huitieme concile écuménique, composé de trois cens évêques. Les légats du pape présiderent, mais ils ne savoient pas le grec ; & parmi les autres évêques, très-peu savoient le latin. Photius y fut universellement condamné comme intrus, & soumis à la pénitence publique. On signa pour les cinq patriarches avant que de signer pour le pape ; ce qui est fort extraordinaire : car puisque les légats eurent la premiere place, ils devoient signer les premiers. Mais en tout cela les questions qui partageoient l’Orient & l’Occident ne furent point agitées : on ne vouloit que déposer Photius.

Quelque tems après, le vrai patriarche, Ignace, étant mort, Photius eut l’adresse de se faire rétablir par l’empereur Bazile. Le pape Jean VIII. le reçut à sa communion, le reconnut, lui écrivit ; & malgré ce huitieme concile écuménique, qui avoit anathématisé ce patriarche, le pape envoya ses légats à un autre concile à Constantinople, dans lequel Photius fut reconnu innocent par quatre cens évêques, dont trois cens l’avoient auparavant condamné. Les légats de ce même siége de Rome, qui l’avoient anathématisé, servirent eux-mêmes à casser le huitieme concile écuménique.

Combien tout change chez les hommes ! combien ce qui étoit faux, devient vrai selon les tems ! les légats de Jean VIII. s’écrient en plein concile : si quelqu’un ne reconnoît pas Photius, que son partage soit avec Judas. Le concile s’écrie ; longues années au patriarche Photius, & au patriarche Jean.

Enfin à la suite des actes du concile, on voit une lettre du pape à ce savant patriarche, dans laquelle il lui dit ; nous pensons comme vous ; nous tenons pour transgresseurs de la parole de Dieu, nous rangeons avec Judas ceux qui ont ajouté au symbole, que le S. Esprit procede du pere & du fils ; mais nous croyons qu’il faut user de douceur avec eux, & les exhorter à renoncer à ce blasphème.

Il est donc clair que l’Eglise romaine & la greque pensoient alors différemment de ce qu’on pense aujourd’hui. Il arriva depuis que Rome adopta la procession du pere & du fils ; & il arriva même qu’en 1274 l’empereur des grecs Michel Paléologue, implorant contre les turcs une nouvelle croisade, envoya au second concile de Lyon son patriarche & son chancelier, qui chanterent avec le concile en latin, qui ex patre filioque procedit. Mais l’Eglise greque retourna encore à son opinion, & sembla la quitter encore dans la réunion passagere qui se fit avec Eugene IV. Que les hommes apprennent de-là à se tolerer les uns les autres. Voilà des variations & des disputes sur un point fondamental, qui n’ont ni excité de troubles, ni rempli les prisons, ni allumé les buchers.

On a blâmé les déférences du pape Jean VIII. pour le patriarche Photius ; on n’a pas assez songé que ce pontife avoit alors besoin de l’empereur Bazile. Un roi de Bulgarie, nommé Bogoris, gagné par l’habileté de sa femme, qui étoit chrétienne, s’étoit converti, à l’exemple de Clovis & du roi Egbert. Il s’agissoit de savoir de quel patriarchat cette nouvelle province chrétienne dépendroit. Constantinople & Rome se la disputoient. La décision dépendoit de l’empereur Bazile. Voilà en partie le sujet des complaisances qu’eut l’évêque de Rome pour celui de Constantinople.

Il ne faut pas oublier que dans ce concile, ainsi que dans le précédent, il y eut des cardinaux. On nommoit ainsi des prêtres & des diacres qui servoient de conseils aux métropolitains. Il y en avoit à Rome comme dans d’autres églises. Ils étoient déjà distingués ; mais ils signoient après les évêques & les abbés.

Le pape donna par ses lettres & par ses légats le titre de votre sainteté au patriarche Photius. Les autres patriarches sont aussi appellés papes dans ce concile. C’est un nom grec commun à tous les prêtres, & qui peu-à-peu est devenu le titre distinctif du métropolitain de Rome.

Il paroît que Jean VIII. se conduisoit avec prudence ; car ses successeurs s’étant brouillés avec l’empire grec, & ayant adopté le huitieme concile écuménique de 869, & rejetté l’autre qui absolvoit Photius, la paix établie par Jean VIII. fut alors rompue. Photius éclata contre l’Eglise romaine, la traita d’hérétique au sujet de cet article du filioque procedit, des œufs en carême, de l’Eucharistie faite avec du pain sans levain, & de plusieurs autres usages. Mais le grand point de la division étoit la primatie. Photius & ses successeurs vouloient être les premiers évêques du christianisme, & ne pouvoient souffrir que l’évêque de Rome, d’une ville qu’ils regardoient alors comme barbare, séparée de l’empire par sa rébellion, & en proie à qui voudroit s’en emparer, jouît de la préséance sur l’évêque de la ville impériale.

Le patriarche de Constantinople avoit alors dans son district toutes les églises de la Sicile & de la Pouille ; & le saint siége en passant sous une domination étrangere, avoit perdu à-la-fois dans ces provinces son patrimoine & ses droits de métropolitain. L’Eglise greque méprisoit l’Eglise romaine. Les sciences fleurissoient à Constantinople, mais à Rome tout tomboit jusqu’à la langue latine ; & quoiqu’on fût plus instruit que dans tout le reste de l’Occident, ce peu de science se ressentoit de ces tems malheureux.

Les Grecs se vengeoient bien de la supériorité que les Romains avoient eu sur eux depuis le tems de Lucrece & de Cicéron jusqu’à Corneille Tacite. Ils ne parloient des Romains qu’avec ironie. L’évêque Luitprand, envoyé depuis en embassade à Constantinople par les Othons, rapporte que les Grecs n’appelloient S. Grégoire le grand, que Grégoire dialogue, parce qu’en effet ses dialogues sont d’un homme trop simple. Le tems a tout changé. Les papes sont devenus de grands souverains ; Rome, le centre de la politesse & des arts, l’Eglise latine savante, & le patriarche de Constantinople n’est plus qu’un esclave, évêque d’un peuple esclave.

Photius, qui eut dans sa vie plus de revers que de gloire, fut déposé par des intrigues de cour, & mourut malheureusement ; mais ses successeurs, attachés à ses prétentions, les soutinrent avec vigueur.

Le pape Jean VIII. mourut encore plus malheureusement. Les annales de Fulde disent qu’il fut assassiné à coups de marteau. Les tems suivans nous font voir aussi le siége pontifical souvent ensanglanté, & Rome un grand objet pour les nations, mais toujours à plaindre.

Le dogme ne trouble point encore l’Eglise d’Occident ; à peine a-t-on conservé la mémoire d’une petite dispute excitée en 814, par un nommé Jean Godescald sur la prédestination & sur la grace ; & je ne serois nulle mention d’une folie épidémique, qui saisit le peuple de Dijon en 844 à l’occasion de S. Benigne, qui donnoit, disoit-on, des convulsions à ceux qui prioient sur son tombeau : je ne parlerois pas, dis-je, de cette superstition populaire, si elle ne s’étoit renouvellée de nos jours avec fureur dans des circonstances pareilles. Les mêmes folies semblent destinées à reparoître de tems en tems sur la scene du monde, mais aussi le bon sens en est le même dans tous les tems ; & on n’a rien dit de si sage sur les miracles modernes opérés sur le tombeau de je ne sais quel diacre de Paris, que ce que dit, en 844, un évêque de Lyon sur ceux de Dijon. « Voilà un étrange saint qui estropie ceux qui ont recours à lui : il me semble que les miracles devroient être faits pour guérir les maladies, & non pour en donner ».

Ces minuties ne troubloient point la paix en Occident, & les querelles théologiques y étoient alors comptées pour rien, parce qu’on ne pensoit qu’à s’agrandir. Elles avoient plus de poids en Orient, parce que les prélats n’y ayant jamais eu de puissance temporelle, cherchoient à se faire valoir par les guerres de plume. Il y a encore une autre source de la paix théologique en Occident ; c’est l’ignorance qui au-moins produisit ce bien parmi les maux infinis dont elle étoit cause.

Je reviens à Photius ; sa mort ne fit que suspendre le schisme, & ne l’éteignit pas : il fut renouvellé plusieurs fois, jusqu’à ce que la couronne de Constantinople eût passé aux Latins : alors l’empereur Baudouin ayant fait élire un patriarche latin, réunit l’Eglise d’Orient avec celle d’Occident ; mais cette réunion n’eut que la durée de l’empire latin, & finit au bout de 55 ans, que l’empereur Paléologue ayant repris Constantinople en 1261, se sépara de nouveau de la communion de Rome. Ce renouvellement de schisme fut long, & ne fut terminé qu’en 1439 au concile de Florence ; encore cette réunion, qui n’étoit fondée que sur le besoin que l’empereur grec avoit du pape, fut-elle désavouée par tout l’empire, & n’eut gueres de lieu ; mais enfin, ce fut le dernier état de la religion chrétienne en Orient, qui en fut totalement bannie, lorsque Mahomet II. s’empara de Constantinople en 1453. Depuis ce tems-là la religion de Mahomet devint la religion de l’Asie : celle des chrétiens n’a plus été que tolerée, & ses patriarches ont tous été schismatiques. (D. J.)

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Étymologie de « schisme »

Provenç. scisma, sisma ; espagn. cisma ; ital. scisma ; du lat. schisma, qui vient du grec σχίσμα, schisme, séparation, de σχίζειν, fendre.

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(1549) Du latin schisma, lui-même du grec ancien σχίσμα, skhísma (« division »).
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Phonétique du mot « schisme »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
schisme ʃism

Citations contenant le mot « schisme »

  • Un hollandais, une église Deux hollandais, une secte Trois hollandais, un schisme. De Dicton néerlandais , 
  • Le propos de François est donc de mettre en garde ceux des fidèles qui, s’estimant les défenseurs de ce qu’ils pensent être la seule véritable doctrine catholique, seraient tentés de s’engager sur la pente du schisme. En soulignant qu’il s’agit de « petits groupes » et en rappelant combien, dans l’histoire de l’Église, c’est toujours « le peuple de Dieu qui a évité les schismes », il donne aussi la voix à tous ceux qui partagent son souci de réforme de l’Église et le soutiennent silencieusement. La Croix, L’Église est-elle au bord d’un nouveau schisme ?
  • Ces arguments compteront peu: comme l’écrivait l’historienne Marie-Hélène Congourdeau dans un article de 2008, les tractations de Florence laissent au peuple chrétien d’Orient «l’impression d’une union bâclée, conclue sous la menace, où l’orthodoxie a été sacrifiée à la raison d’Etat». Et de fait, si cette union fut malgré tout proclamée en décembre 1452 en la basilique Sainte-Sophie, ce ne fut pas pour très longtemps: le 29 mai 1453, le sultan Mehmet II enlève Constantinople; l’empire byzantin tombe, et le nouveau patriarche imposé par les Ottomans, Georges Scholarios, dénonce fissa le traité. Bref: retour au schisme. Le Temps, Pour Bessarion, Rome vaut bien une messe - Le Temps
  • Le saumon pyrénéen sera-t-il la sardine du port de Marseille ou le schisme politique entre le président socialiste de la Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, et les écologistes… SudOuest.fr, Saumons : l’écologiste Jean-François Blanco condamne la signature d’Alain Rousset
  • Le résultat du vote consacre, en effet, le profond schisme qui traverse la scène politique tunisienne depuis le départ du gouvernement Youssef Chahed. Il y aura désormais les 97 anti-Ennahdha et les autres. Un schisme, qui va immanquablement impacter le travail de l’ARP. Un impact qui ne va certainement pas aider le prochain gouvernement de Hichem Mechichi, ni faciliter sa gouvernance. African Manager, Il reste donc au Perchoir. Et après ? - African Manager
  • Depuis le début de son pontificat, le pape doit faire face à des résistances d’une frange conservatrice de l’Eglise catholique. La semaine dernière, François a franchi un pas en déclarant qu’il n’avait pas peur d’un schisme. Une scission au sein de l’Eglise est-elle possible ? France Culture,  François sera-t-il le Pape du schisme ?
  • Le « chemin synodal » qui se déroule actuellement en Allemagne – où doivent être discutés la révision de la morale catholique sur l’homosexualité, le célibat des prêtres, les ministères confiés aux femmes… –, obligent les observateurs les plus lucides à se poser la question d’un schisme de droit (de jure), alors qu’un schisme de fait (de facto) est déjà là.   FSSPX.Actualités / FSSPX.News, Revue de presse : schisme "de jure" ou schisme "de facto" en Allemagne ? - FSSPX.Actualités / FSSPX.News
  • Un hollandais, une église Deux hollandais, une secte Trois hollandais, un schisme. De Dicton néerlandais , 
  • En soulignant qu’il s’agit de « petits groupes » et en rappelant combien, dans l’histoire de l’Église, c’est toujours « le peuple de Dieu qui a évité les schismes », il donne aussi la voix à tous ceux qui partagent son souci de réforme de l’Église et le soutiennent silencieusement. La Croix, L’Église est-elle au bord d’un nouveau schisme ?
  • Bref: retour au schisme. Le Temps, Pour Bessarion, Rome vaut bien une messe - Le Temps
  • Le saumon pyrénéen sera-t-il la sardine du port de Marseille ou le schisme politique entre le président socialiste de la Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, et les écologistes… SudOuest.fr, Saumons : l’écologiste Jean-François Blanco condamne la signature d’Alain Rousset
  • Un schisme, qui va immanquablement impacter le travail de l’ARP. African Manager, Il reste donc au Perchoir. Et après ? - African Manager

Traductions du mot « schisme »

Langue Traduction
Anglais schism
Espagnol cisma
Italien scisma
Allemand schisma
Chinois 分裂
Arabe انشقاق
Portugais cisma
Russe схизма
Japonais 分裂
Basque schism
Corse cisma
Source : Google Translate API

Synonymes de « schisme »

Source : synonymes de schisme sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « schisme »

Combien de points fait le mot schisme au Scrabble ?

Nombre de points du mot schisme au scrabble : 14 points

Schisme

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