LEUR3, LEURS, pron. poss.
Combiné avec l'article, pronom possessif de la troisième personne (le leur, la leur, les leurs) qui s'emploie lorsqu'il y a plusieurs possesseurs au masculin ou au féminin, que l'être ou la chose possédée soit du masculin ou du féminin; leur prend un s lorsque l'être ou la chose possédée est un substantif au pluriel, soit masculin, soit féminin; l'article se contracte avec les prép. à et de : au leur, aux leurs, du leur, des leurs.
A. − Pron. poss. représentant des subst. plur. précédemment énoncés. Ce, celui, celle/ceux, celles qui est/sont à eux, à elles.
1. Le leur. [L'être ou la chose possédée est au masc. sing. (contracté en au leur, du leur)] Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien, J'en suis fâché, mais leur cœur et le mien Ont une grande ressemblance (Florian, Fables,1792, p. 43).Il voit des hommes heureux de son propre bonheur, comme il l'est du leur (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1882).Maintenant, moi, j'ai fait mon devoir; voyons si les autres feront le leur (Meilhac, Halévy, Froufrou,1869, III, 10, p. 113).− Chacun le sien/le leur (v. chacun I A 3).
2. La leur. [L'être ou la chose possédée est au fém. sing.] Bicêtre est avec sa femme, Linois et Caffin sont avec la leur, Hotot est avec Félicité, chacun sa chacune (Vidocq, Mém., t. 3, 1828-29, p. 194).Mon frère, mon frère, la malédiction de nos enfants est épouvantable; ils peuvent appeler de la nôtre , mais la leur est irrévocable (Balzac, E. Grandet,1834, p. 64):1. anne vercors : C'est cela, nous sommes trop heureux. Et les autres pas assez. la mère : Anne, ce n'est pas de notre faute. anne vercors : Ce n'est pas de la leur non plus.
Claudel, Annonce,1948, I, 1, p. 149.
3. Les leurs. [L'être ou la chose possédée est au masc. plur. ou au fém. plur. (contracté en aux leurs, des leurs)] Des ames élevées comme les leurs (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 298).Nos généraux et nos états-majors ne le cèdent en rien aux leurs (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 636).
B. − Pron. poss. à valeur de subst. (nominal)
1. Les leurs, masc. plur. (plur. de les siens). Leur famille, leurs parents, leurs amis, leurs proches, ceux qui appartiennent au même groupe social, au même parti (par exemple leurs soldats, leurs alliés, leurs compagnons), ceux qui leur sont attachés. Pour eux et pour les leurs; eux et les leurs; c'est un des leurs (cf. mien, tien, sien). La tombe où les proches vont cherchant à petits pas la pierre des leurs parmi les pierres (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 664).Sans doute les de Tanton avaient reçu du roi ces armes étonnantes depuis qu'un des leurs, portant devant le souverain l'écu de France (H. Bazin, Vipère,1948, p. 143):2. Quant à moi, je resterai en relations après la guerre avec les fermiers chez qui j'ai travaillé pendant quatre ans. Ils m'ont traité comme un des leurs.
Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 196.
− P. ext. Des leurs (avec le verbe être). Avec eux, parmi eux, chez eux, dans leur intimité. Être des leurs. Être leur(s) invité(s). Nous serons des leurs dimanche. Finalement, il demanda à Longuemare s'il voulait être des leurs. − Venez, lui dit-il, vous serez le médecin de l'établissement (France, Jocaste,1879, p. 155).Je baisais leur main quand je les rencontrais, j'étais des leurs (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1588).
2. Loc. verb., fam. Faire des leurs (plur. de faire des siennes (cf. sien); des leurs est subst. fém.). Faire de mauvais tours, de mauvaises plaisanteries ou commettre des maladresses (habituelles ou caractéristiques). Ils/elles ont encore fait des leurs. Causant, riant, faisant des leurs, Les amours suivent sur deux lignes (Béranger, Chans., t. 3, 1829, p. 126).
3. Du leur, masc. sing. à valeur de neutre
a) Vx, rare. Ce qui est à eux, à elles. Qu'ils le gardent ce qu'ils ont, je ne veux rien du leur (Ac.1878).− En partic. De leur argent ou de leur travail, de leur peine. Elles dépensaient sa maigre pension à sa nourriture [de leur père], à son entretien, en ajoutant beaucoup du leur (Zola, Fécondité,1899, p. 628).Ceux-là avaient peu reçu et beaucoup dépensé. Ils en étaient du leur et réclamaient leur paiement (France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 387).
b) Loc. verb. Y mettre du leur (plur. de y mettre du sien; v. mettre et sien). Donner, payer de leur personne, faire chacun des efforts, y mettre de la bonne volonté; en partic. faire des concessions, se montrer conciliant. Ils y ont mis du leur (Ac.1935).− Rare. Y mettre des propos de son propre cru. La Pucelle exprime ses propres sentiments. (...) il y a lieu de rechercher si les clercs qui tinrent la plume n'y mirent pas du leur (France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 289).
−
P. anal. [Le suj. désigne une chose] :
3. ... la grandeur d'un politique se mesure assez bien au mépris qu'il marque pour les pauvres mots de chacun. Mais les politiques ne sont pas si malins, ni les braves gens si naïfs : je serais étonné si les mots n'y mettaient pas du leur. Car je vois bien qu'ils me manquent à moi.
Paulhan, Fleurs Tarbes,1941, p. 23.
Prononc. et Orth. : [lœ:ʀ]. Homon.
leurre. Pas de liaison entre le pron. poss. et un mot suiv. dans ce type de phrase :
nos arbres ont grandi, les leurs/un peu moins; j'ai reçu mes livres, les leurs/arriveront demain. Att. ds
Ac. dep. 1694.
Étymol. et Hist. Poss. se référant à la 3
epers. du plur. des 2 genres, cas suj. et cas régime, déterminant un subst. sing. ou plur., v. G.
Moignet,
Gramm. de l'a. fr., Paris, Klincksieck, 1973, p. 114.
A. Art. poss. atone 1
remoitié
xes. (
Jonas, éd. G. de Poerck, 124 :
lor peccatum); 2
emoitié
xes. (
St Léger, éd. J. Linskill, 120 : Que s'ent ralgent [St Léger et Ebroïn] in
lor honors);
id. (
ibid., 117 : Vindrent parent e
lor amic [de St Léger et d'Ebroïn]);
ca 1050 (
St Alexis, éd. Chr. Storey, 604 :
Lur cumpainie fut bone ed honorethe); forme fléchie
ca 1175
lors (
Chronique ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 6161 : il tendent
lors paveillons).
B. Adj. poss. tonique, v. G.
Moignet,
op. cit., pp. 120-121;
1. ca 1050 avec détermination de l'art. déf. (
St Alexis, 585 : le
lur voil);
2. ca 1100 adj. poss. précédé de l'art. déf. et non suivi de subst., appelé d'ordinaire « pronom possessif » (
Roland, éd. J. Bédier, 2941 : L'anme del cors me seit oi departie, Entre
les lur aluee e mise);
3. ca 1100 substantivé plur.
les lor désignant les hommes d'un groupe, d'une troupe (
ibid., 1445);
ca 1165
id. sing.
le lor désignant le bien, l'avoir (
Benoît de Ste-
Maure,
Troie, 6892 ds T.-L.);
4. apr. 1170 fonction d'attribut
lor (
Wace,
Rou, éd. J. Holden, III, 7824). Du lat.
illorum, génitif masc. plur. du dém.
ille, v.
il, le art. déf.; étant donné l'existence du corresp. roum.
lor, l'aphérèse subie par la forme [ellór
] est prob. antérieure à 271,
cf. lui. En lat. vulg.
illorum, génitif poss. (qui élimine peu à peu le fém.
illarum) tend à remplacer
suus : cf. dès
Plaute,
Bacch., 545 :
illorum mores; Truc., 159 :
et nostram et illorum vicem; v.
TLL s.v. ille, 351, 31-43; v. aussi
Vään., § 284.
Fréq. abs. littér. Leur: 132 363.
Leurs : 74 132.
Fréq. rel. littér. Leur : xixes. : a) 222 213, b) 164 875;
xxes. : a) 176 142, b) 179 030.
Leurs : xixes. : a) 138 961, b) 105 026;
xxes. : a) 97 998, b) 82 244.
LUI1, LEUR1, pron. pers.
Lui signifie « à lui, à elle », leur signifie « à eux, à elles »; pronom personnel de la troisième personne des deux genres, invariable, de forme atone; lui/leur joue le rôle d'un régime indirect et est placé avant le verbe, sauf si celui-ci est à l'impératif positif.
I.− Lui/leur en régime indir.[S'emploie pour remplacer un subst. ou un pron. précédé de la prép. à; renvoie le plus souvent à l'animé]
A.− [Compl. d'obj. indir.]
1. [Compl. d'obj. d'un verbe trans. indir.] Georges est faible, sa mère le domine, il lui obéira (Becque, Corbeaux,1882, iii, 12, p. 209).Elles vont, elles vont, celles qui sont amoureuses, et qui sont frères de leur amour, et tous leur sourient et les encouragent (Montherl., Pasiphaé,1936, p. 117):1. le pape : (...) Je m'attache cet homme; c'est tout. Et je lui fais confiance. Malatesta : Vous lui faites confiance, ou vous avez confiance en lui? le pape : Je lui fais confiance.
Montherl., Malatesta,1946, II, 5, pp. 478-479.
2. [Compl. d'obj. indir. d'un verbe à double constr., lui/ leur étant l'obj. second.]
a) [Renvoie à l'animé] Sa femme était aux écoutes... Elle lui demande qui a sonné (Goncourt, Journal,1888, p. 856).Avant de les faire cuire, elle leur ôte le gésier (Giono, Regain,1930, p. 52).Elle leur a servi le café comme les autres jours (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1462):2. Et avec ses outils ses fils hériteront, ses enfants hériteront.
Ce qu'il leur a donné, ce que nul ne pourrait leur ôter.
Péguy, Porche Myst.,1911, p. 180.
b) Plus rarement. [Renvoie à l'inanimé; représente alors, de préférence à y, une chose déterminée ou personnifiée, notamment avec des verbes comme comparer, conférer, demander, devoir, donner, préférer, prêter] S'il [le commerce] empêche quelquefois le brigandage ouvert, il lui substitue toujours les tromperies cachées (Senancour, Rêveries,1799, p. 162).Il avait eu des arbres pour amies. Il leur devait dix minutes divines (Châteaubriant, Lourdines,1911, p. 24).Ceux qui grossissent ou inventent les nouvelles qui peuvent nous désoler, en se gardant bien de leur donner une apparence de justification (Proust, Guermantes 1,1920, p. 22):3. ... j'identifie la réalité de mon corps avec ce que mon corps est pour la perception (...). Ces deux modes d'existence sont irréductivement distincts; (...) si on leur sous-tend un contenu, c'est à condition que ce contenu ne soit pas lui-même pensé comme susceptible d'être donné à une conscience dans un rapport immédiat...
G. Marcel, Journal,1914, p. 20.
Rem. 1. Le représentant peut ne pas être exprimé lorsqu'il est suffisamment suggéré par le cont. Elle a sauté sur la berge! (...) c'est prodigieux, ce qu'on leur apprend en Suisse (Meilhac, Halévy, Cigale, 1877, II, 7, p. 77). Est-il possible qu'un hameau perdu dans les bois, si loin des villes... Que leur ai-je donc fait? (Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1467). 2. Ell. de l'obj. premier. Leur ouvrir (la porte). Ce fut un valet de chambre en habit et en cravate blanche qui leur ouvrit (Zola, Page amour, 1878, p. 811). 3. Avec un pron. pers. compl. d'obj. de la 1reou de la 2epers., à lui/à elle s'emploie à la place de lui, à eux/à elles à la place de leur. Donne-toi à eux, à elles. 4. Lui + y ne se rencontre pas, leur + y est rare. Les seuls à ignorer le gala déclaré, et le rôle que Son Altesse leur y destinait (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 131). 5. Lui/leur s'emploie a) avec des choses personnifiées. Tu penses que je vais lui dire vous, à cette oreille? (Giraudoux, Ondine, 1939, I, 2, p. 28). b) lorsque les choses présentent aux yeux du locuteur un intérêt tout particulier. Le fait qu'elle [la maison] contenait un homme mort lui conférait un intérêt momentané (Régnier, Divertiss. provinc., 1925, p. 218).
−
En partic. [Compl. d'un verbe de perception ou de jugement] Je lui trouve mauvaise mine. Elle éclata d'un rire involontaire, en lui voyant une bosse au front (Zola, Nana,1880, p. 1460).On ne leur connaissait point d'ennemis, ils n'avaient pas été volés (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Parricide, 1884, p. 474):4. On me dit que je suis trop optimiste par rapport aux femmes, que je les trouve toutes jolies, ou du moins que je leur trouve à toutes quelque chose de joli.
Triolet, Prem. accroc,1945, p. 9.
♦
Plus rarement. [Renvoie à une chose déterminée ou personnifiée] :
5. ... malgré la rigidité de son architecture [d'un bâtiment], malgré la buée morne et fantastique dont il était enveloppé, je lui reconnus, tout de suite, un certain air d'hospitalité cordiale...
Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 158.
3. [Compl. indir. d'un verbe en constr. impers.] Il lui vient une idée, une idée leur vient; il lui faut..., il lui arrive de..., il lui échappe..., lui semble-t-il. Il leur est arrivé un malheur (Zola, Joie de vivre,1884, p. 807).Si elle revient, c'est qu'il lui manque quelque chose, sinon elle serait restée sur place (H. Bazin, Vipère,1948, p. 259).
B.− [Compl. d'une constr. attributive]
1. [L'attribut est un adj.] Tout leur est bon. Elle avait prononcé ce nom comme s'il lui avait été très familier (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 324):6. Le froid de la nuit les faisait s'étreindre davantage; les soupirs de leurs lèvres leur semblaient plus forts; leurs yeux, qu'ils entrevoyaient à peine, leur paraissaient plus grands...
Flaub., MmeBovary,t. 2, 1857, p. 5.
Rem. Passif d'un verbe à double constr. Tout leur est dû. Cette salle leur était exclusivement réservée (Gide, Journal, 1943, p. 206).
2. Littér. [L'attribut est un subst.] Ce lui est une joie, un plaisir, un supplice de + inf. Quitter une heure Giulia, lui semblait comme un amer poison (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 226).Il prononçait avec une émotion touchante le nom de cette enfant qui ne lui était rien, mais qu'il s'était pris à aimer comme sa fille (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p. 477).De la mort, elle n'a d'ailleurs nul souci. Elle lui paraît une chose de l'enfance, un conte de fées (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1478):7. Certains entretiennent positivement leur maladie, bien qu'à leur insu, parce qu'elle leur est un moyen de faire sensation, ou de soumettre autrui à leur service.
Mounier, Traité caract.,1946, p. 222.
Rem. Très fam. ou région, avec valeur de poss. Il lui est parent. Il est son parent. Le meunier Martin, qui lui était petit-cousin (Pourrat, Gaspard, 1930, p. 42).
C.− [Compl. d'intérêt, « datif éthique » (intérêt pris à l'action par la pers. qui parle); lui/leur = « pour lui, pour elle/ pour eux, pour elles »] La cantinière s'agitait devant lui (...). On ne faisait que tuer autour d'elle, et on n'avait encore tué personne pour elle. Elle voulait qu'on lui fusillât quelqu'un, à la fin (A. France, Servien,1882, p. 246).Elles ne voulaient pas le laisser partir sans qu'il prît quelque chose de chaud. Autrement, il leur rentrerait malade (Zola, Germinal,1885, p. 1388).
D.− [Jouant le rôle d'un poss.]
1. [Devant un subst. désignant une partie du corps ou du vêtement, ou une faculté de l'âme] Lui/leur serrer la main, lui tirer la manche. Elles avaient de jolis chapeaux à brides. Une plume blanche leur traînait dans le cou, à toutes les trois (Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p. 74).Elle aspire avec délices le vent glacé qui lui rafraîchit les idées (Ponge, Parti pris,1942, p. 9):8. Quand elle l'aperçut, elle lui sauta au cou; et ce fut comme s'il lui enfonçait un couteau dans le cœur, lorsqu'il lui dit sa volonté de ne plus la voir.
Zola, Germinal,1885, p. 1371.
SYNT. Un frisson lui/leur parcourt le corps; un doute lui/leur effleure l'esprit; personne ne lui arrive à la cheville; lui/leur tourner le dos, tirer la langue, fendre la poitrine/le crâne, taper sur la tête, arracher le cœur, tendre les bras, serrer le cœur, secouer les entrailles, traverser les os, fermer la bouche; qqc. lui/leur monte aux lèvres, lui/leur tourne la tête; tout ce qui lui/leur tombe sous la main, lui/leur passe par la tête, lui/leur tient à cœur.
− [La partie du corps est en position de suj.] La jambe lui fait mal; la tête lui/leur tourne. Ils regardent, une fois là, et ils respirent. Et le cœur leur bat joyeusement (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 572).
2. [Avec un substantif désignant une affection physique ou une émotion, notamment avec les verbes venir, prendre, saisir] Il lui vient une envie, une envie lui vient; il lui prend un frisson; la fièvre lui a pris; blessure qui lui/leur arrache des cris de douleur. Un baromètre « système Gay-Lussac » pour des expériences de physique, si la fantaisie leur en prenait (Flaub., Bouvard,t. 1, 1880, p. 15).Il lui montait du fond de l'âme un de ces petits mouvements de joie qui animait ses fatigues domestiques (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 74):9. Un élancement, une morsure térébrante lui venait du tréfonds de la forteresse, éveillée, ébranlée maintenant du matin au soir par des bottes lourdes.
Gracq, Syrtes,1951, p. 132.
II.− Lui/leur en fonction de régime dir.[Comme var. combinatoire de le/la/les en constr. factitive, compl. d'obj. d'un verbe princ. « sujet » d'une prop. inf. dont le verbe a un compl. d'obj. dir. (ou plus rarement un compl. d'obj. indir.)]
A.− [La prop. inf. est régie par l'auxil. factitif faire] V.
faire D 2 b et 3 c; v. aussi
faire3D et les pron. pers.
le/la/les.Faites-lui/leur, faites-le/la/les recommencer le travail. Ils avaient avec eux un troisième compagnon, bien connu de moi, qui sans doute leur avait fait faire connaissance (Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 205).Cette dame ne reviendra pas. Je lui ai fait descendre mon escalier plus vite qu'elle ne l'avait monté (Becque, Corbeaux,1882, ii, 9, p. 140).− Loc. verb. Je ne le lui fais pas dire. Il a dit cela spontanément.
Rem. 1. Dans la loc. je lui fais écrire une lettre, lui peut être interprété comme suj. de l'inf. : « il écrit » ou comme compl. d'attribution ou de destination : « il reçoit la lettre ». Elle lui fit récrire qu'elle ne lui demanderait jamais rien (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 118). 2. D'apr. Logos, quand l'inf. est suivi d'un compl. d'obj. dir., on emploie lui/leur et non pas le/la/les; quand l'inf. est suivi d'un compl. d'obj. indir., on emploie lui/leur plus fréq. que le/la/les. Cela le/lui fait penser à.
B.− [La prop. inf. est régie par l'auxil. laisser ou par un verbe de perception comme voir, entendre, sentir] Je lui ai laissé lire cette lettre; je la lui ai laissé lire; je lui ai entendu dire cela. Ces gens-là (...) jouaient un jeu d'enfer (...) je ne revenais pas de leur voir mener un pareil train (Vidocq, Mém.,t. 1, 1828-29, p. 68).Je lui laisse croire que c'est à son voisin que je parle (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 56):10. Il les a laissés s'accrocher à lui et le déchirer; ils lui ont égratigné le visage et mis ses vêtements en lambeaux, parce qu'il refusait de leur laisser conduire la chaloupe, à eux qui étaient ivres.
Loti, Mon frère Yves,1883, p. 154.
Rem. 1. Avec lui/leur, laisser signifie « abandonner à quelqu'un le soin de » tandis qu'avec le/la/les, il sert à marquer qu'on ne s'oppose pas à l'acte de quelqu'un (d'apr. Brunot Pensée 1953). V. ex. 10. 2. Dans la prop. inf. où le suj. n'est pas exprimé, lui peut être interprété comme suj. Il lui faut. Il faut qu'il. 3. Lui/leur est toujours postposé au verbe à l'impér. positif, et précédé d'un trait d'union. Dites-lui que... Parlez-leur de Dieu, plus encore par vos actes que par vos discours (Saint-Martin, Homme désir, 1790, p. 196). Dites-leur qu'ils sont beaux! Agnès : Leur dire qu'ils sont beaux, intelligents, sensibles? (Giraudoux, Apollon, 1942, 2, p. 23). 4. Lui/leur est toujours postposé au pron. pers. atone compl. d'obj. dir. le/la/les. Dites-le-lui; je le leur dirai. Les conduire jusqu'à cette porte et la leur ouvrir (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 20). On ne lui en donne pas les moyens. − Non, on ne les lui donne pas (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 252). 5. Pour l'ell. pop. de le/la/les (je leur dirai pour je le leur dirai), v. le/la/les. pron. pers. 6. Lui/leur est toujours antéposé à en. Je lui en parlerai; je leur en ai donné; donnez-lui-en. Imposez-leur-en par un ton sérieux (Lamennais, Lettres Cottu, 1820, p. 79). Il lui en coûte d'être obligé de choisir entre tant de pages qui l'ont également ravi (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 45). 7. Lui/ leur, dans des constr. de la lang. littér., peut être antéposé aux auxil. tels que falloir, pouvoir... Tina, avec espièglerie, lui venait passer ses bras au cou (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 82). Je sais bien que la logique des actes et leur rapport avec les caractères sont assez difficiles à établir rigoureusement, que la vraisemblance morale est chose un peu indéterminée et variable et qu'il lui faut laisser du jeu (Lemaitre, op. cit., p. 348). 8. Lui/leur peut être employé, comme pléonasme admis par l'usage, en corrél. avec un adj. poss. le renforçant. Voir Grev. 1975, § 427 a rem. Prends l'éloquence et tords-lui son cou! (Verlaine,
Œuvres compl., t. 1, Jadis, 1884. p. 327). Et ses trente servantes Lui peignent ses cheveux (Moréas, Cantil., 1886, p. 150). Si on pouvait leur arracher leur âme et la mettre en soi à la place de la sienne! (Montherl., Malatesta, 1946, IV, 7, p. 520). 9. Lui/ leur s'emploie dans les tournures fam. pour remplacer le pron. tonique. Leur tomber dessus (pour tomber sur eux), lui courir après (pour courir après lui). L'embuscade d'un monsieur, caché dans les pages de son journal, qui guette, pour leur tirer dessus avec une hausse repérée, ses amis, ses rivaux, ses ennemis (Romains, Hommes bonne vol., 1939, p. 8). Toujours à crier, à faire le chien de garde, à leur tourner autour avec des lainages pour qu'elles ne prennent pas froid (Anouilh, Antig., 1946, p. 141).
Prononc. : [lɥi], [lœ:ʀ]. Dans les ex. suiv., sous des notat. non orth., liaison impropre et forme tronquée, sans r : vous devez leur z'en vouloir (Vidocq, Mém., t. 1, 1828-29, p. 221), on leurzy fait tonneur [honneur] (Queneau, Loin Rueil, 1944, p. 33), à côté d'leux femmes (Leclercq, Prov. dram., Savet. et financ., 1835, 2, p. 210), je leux y dirai (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 350). Étymol. et Hist. LUI. I. Pron. pers. de la 3epers. masc. sing. tonique. A. Cas régime 1. ca 881 à la place du pron. réfl. pour renvoyer au suj. de la prop. (Ste Eulalie, éd. Henry Chrestomathie, 28 : ... et a lui nos laist venir [Christus]); cf. ca 1100 (Roland, éd. J. Bédier, 2382 : Mais lui meïsme ne volt mettre en ubli); 2. ca 881 après une prép. (Ste Eulalie, éd. citée, loc. cit.); fin xes. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 211 : De lui [Jesus] long temps mult a audit [Herodes]); mil. xies. (St Alexis, éd. Chr. Storey, 535 : Par lui [St Alexis] avrum, se Deu plaist, bone aiude); 1174-76 terme d'appel déterminé par une prop. rel. (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 1733 : Deus est en lui, fait il, ki aime verité); 3. fonction de pron. régime dir. atone [= le] a) 2emoitié xes. le pron. est séparé du verbe qu'il précède; v. note de l'éd. (St Léger, éd. J. Linskill, 12 : Que [Ewruins] lui a grand torment occist); b) fin xes. le pron. est placé en fin de prop. (Passion. éd. citée, 354 : La soa madre virgo fu Et sen peched si portet lui); c) ca 1100 en coordination avec un pron. [ou un nom] (Roland, éd. citée. 380 : Mult grant mal funt e cil duc e cil cunte A lur seignur, ki tel cunseill li dunent : Lui e altrui travaillent e cunfundent). B. Fonction de suj. a) 1160-74 en coordination (Wace, Rou, éd. J. Holden, App., 420); b) ca 1393 en prop. ell. (Ménagier, II, 289 ds T.-L. : qu'ils le voient [l'oiseau dressé à la chasse, en parlant des chiens] et luy eulx). II. Remplace le pron. pers. atone masc. correspondant, cas régime indir., li [Li : 842 (Serments, éd. Henry Chrestomathie, 22, p. 2 : in nulla aiudha contra Lodhuuuig nun li [Karlo] iu er); 1remoitié xes. (Jonas, éd. G. de Poerck, 146; 149 : por qe Deus cel edre li donat a sun souev : 2emoitié xes. (Jonas, éd. G. de Poerck, 146; 149 : por qe Deus cel edre li donat a sun souev); 2emoitié xes. (St Léger, éd. citée, 46 : Sa gratia li perdonat)] 1. 1remoitié xes. après une conj. (Jonas, éd. citée, 218 : e tels eleemosynas ent possumus facere qe lui ent possumus placere); mil. xies. (St. Alexis, éd. citée, 65 : Mais lui est tart quet il s'en seit turnet); 2. 2emoitié xes. par recherche d'expressivité (St Léger, éd. citée, 20 : Didun, l'ebisque de Peitieus, Lui l comandat ciel reis Lothiers); mil. xies. id. (St Alexis, éd. citée, 373 : Lui le consent ki de Rome esteit pape), cf. G. Moignet, Gramm. a. fr., p. 134; 3. fin xes. au début d'une prop., spéc. d'une indép. interr. (Passion, éd. citée, 497 : Lui [Satanas] que aiude?); 4. mil. xies. devant un inf. régi par une prép. (St Alexis, éd. citée, 383 : E que l'imagine Deus fist pur lui parler); 5. ca 1100 régime des verbes unipersonnels (Roland, éd. citée, 519 : ... se lui plaist). À partir du xiiies., lui remplace de plus en plus souvent, et dans tous les emplois. li masc. atone et finit par le supplanter en m. fr. (G. Moignet, op. cit., p. 39; F. de La Chaussée, Morphol. hist. a. fr., § 62). III. Remplace le pron. pers. fém. atone, cas régime indir., li [Li : ca 881 (Ste Eulalie, éd. citée, 13 : Il li enortet... Qued elle fuiet lo nom christiien); mil. xies. (St Alexis, éd. citée, 63; 64; 71 : Quant sa raison li [sa spuse] a tute mustrethe)] 1318-22 lui (Renart le Contrefait, éd. H. Lemaître et G. Raynaud, 1rebranche, 1762 : De jour le tient comme sa femme, et de nuit lui [à Cardionet] fait tel diffame). LEUR. Pron. pers. de la 3epers. du plur., masc. et fém., atone, cas régime indir. 1remoitié xes. (Jonas, éd. G. de Poerck, 125 : lor peccatum lor dimisit). Lui est issu d'un lat. vulg. illúī
(TLL signale une forme illui, peu sûre, s.v. ille, 341, 10), réfection de illi, datif sing. du dém. lat. ille (v. il et le art. déf. d'apr. cuī, datif sing. du rel. qui, v. qui; [ellυi] ne portant pas l'accent sur la 1resyll. a subi l'aphérèse, fait prob. ant. à 271, le corresp. roum. étant lui (F. de La Chaussée, op. cit., § 53). L'a. fr. li pron. atone masc. et fém. régime indir. est issu, avec aphérèse, de illi, datif sing. de ille [cf. le pron. roum. corresp. li]; v. aussi Vään., § 276. Leur est issu du lat. illorum, v. leur3. Bbg. V. lui2.