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La Fontaine, Le Lion et le moucheron : commentaire de texte

Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre !
C’est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L’autre lui déclara la guerre :
Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie ?
Un bœuf est plus puissant que toi ;
Je le mène à ma fantaisie.
À peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l’abord il se met au large ;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu’il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;

Il rugit. On se cache, on tremble à l’environ ;
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un moucheron.
Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle ;
Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents.
L’insecte, du combat, se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,

Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une araignée ;
Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

Jean de La Fontaine, Fables, Le lion et le moucheron

Introduction

Jean de La Fontaine est connu pour ses fables, composées sous le règne de Louis XIV. Dans ses apologues, il met en scène des animaux pour illustrer les défauts des hommes et analyser les travers de la société de son époque.

À travers  « Le lion et le moucheron », le fabuliste évoque un combat inégal entre deux animaux que tout oppose. L’affrontement conduit l’écrivain à proposer une morale en deux temps, ce qui illustre la polyvalence des fables.

Comment La Fontaine se sert-il du récit apologétique pour instruire le lecteur ? C’est ce que nous examinerons en analysant tout d’abord la parodie de l’épopée dans la fable. Puis nous nous pencherons sur le retournement de situation avant de mettre en évidence le double enseignement de cet apologue.

I – Une parodie de scène épique

L’affrontement entre le lion et le moucheron se présente comme la parodie d’un récit épique. Ce combat exacerbé oppose la force à la faiblesse, la majesté puissante au harcèlement belliqueux. La Fontaine adopte volontiers le ton de l’épopée pour décrire la bataille entre le héros lion et l’improbable vainqueur, le moucheron.

Un affrontement épique entre deux guerriers aux armes inégales

Le fabuliste nous présente dans la longue première strophe de son apologue un affrontement épique opposant deux guerriers aux armes inégales. Dans la plus pure tradition de l’épopée, le combat débute par un échange d’invectives et de provocations verbales. La Fontaine s’inspire ici des duels dans les épopées d’Homère et des combats entre les héros grecs et troyens. Nous verrons plus loin en quoi ses références implicites tendent à la parodie.

Du vers 1 au vers 8, la fable présente un bref dialogue entre le lion et le moucheron. Le premier injurie son adversaire, le traitant de « chétif insecte » et « d’excrément de la terre ». Ce portrait à charge permet de mettre en avant la petitesse du moucheron, ainsi que sa faiblesse.

Pour le lion, il ne s’agit pas d’un adversaire digne de ce nom. L’insecte, quant à lui, souligne que la force du lion est relative, puisque « le bœuf est plus puissant ». De plus, le moucheron se présente comme plus fort que le bovin, qu’il « mène à [sa] fantaisie ».

Le combat lui-même, à partir du vers 9, fait référence aux combats épiques opposant un guerrier puissant à un ennemi faible ou de petite taille. L’exemple le plus connu est sans doute l’affrontement biblique de David et de Goliath.

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La dimension épique se reconnaît à l’utilisation de la majuscule, pour désigner chacun des combattants, qui sont ainsi à la fois personnifiés et identifiés comme des héros d’épopée. Au vers 11, le moucheron est d’ailleurs identifié à un héros, de même qu’à une trompette, qui annonce le combat. On aura compris que La Fontaine fait référence dans cette métaphore à la trompe du moustique. 

Le récit, quant à lui, suit les étapes traditionnelles d’un duel héroïque : il débute, comme nous l’avons vu, par les provocations et la déclaration de guerre, au vers 4, puis décrit l’affrontement, avant d’indiquer un vainqueur, au vers 30.

L’affrontement guerrier et épique

La Fontaine adopte un style épique. On peut le remarquer, en particulier, à l’utilisation des vers et au rythme de la fable. Le fabuliste alterne octosyllabes et alexandrins. Nous avons donc des vers plus courts et des vers plus longs, qui rappellent dans la forme l’opposition entre l’animal puissant qu’est le lion, et le faible insecte qu’est le moucheron.

La fable s’organise autour du champ lexical de la guerre. Le terme est employé pour la première fois au vers 4, où il donne le ton, tout en annonçant la suite de l’action. Le mot « charge », au vers 10, marque le début des hostilités. On peut relever encore « ennemi », au vers 23, « sang », au vers 25, « combat », au vers 30 et « victoire » au vers 31.

L’ensemble du récit est vivant, le rythme est soutenu, enlevé. La Fontaine a choisi d’employer le présent de narration pour évoquer le combat à proprement parler, et ce temps succède ainsi au passé simple, employé dans les premiers vers de la fable. 

Différents effets de rythme sous-tendent l’évocation et contribuent à l’intensité épique de la scène. On peut noter, aux vers 15 et 16, une rupture de construction, qui fait se succéder un rythme binaire et un rythme ternaire.

Le vers 15 est construit sur le parallélisme de l’alexandrin, chaque hémistiche s’achevant sur un verbe : « le quadrupède écume, et son œil étincelle ». Les images elles-mêmes rappellent les combats mythologiques et l’épopée antique.

Le début du vers 16 (3 syllabes) rappelle la colère du lion, toujours à l’aide d’un verbe d’action, la suite évoque en deux temps les conséquences de cette colère, sur le commun des mortels désigné par « on » : « on se cache » / « on tremble ».

C’est encore une technique de mise en valeur par le rythme qu’emploie La Fontaine aux vers 20 et 21 pour décrire les actions du moucheron. La répétition de « tantôt » structure l’évocation et montre que l’insecte est en quelque sorte sur tous les fronts : « tantôt pique l’échine / et tantôt le museau / Tantôt entre au fond du naseau. »

La parodie de l’épopée

L’objectif des fables n’est pas le même que celui de l’épopée. Si La Fontaine raconte, c’est pour distraire, et par là conduire le lecteur à la réflexion. C’est donc à une parodie de l’épopée que nous avons affaire. Le style épique permet à la fois d’introduire un réseau de références littéraires, mais surtout de faire sourire. L’arrogance du lion le conduit à sa perte et La Fontaine prépare le lecteur à cette fin improbable par le biais de la dérision.

La dimension parodique transparaît tout d’abord dans le décalage constant entre la noblesse du style et les faits rapportés, d’une grande banalité. Le harcèlement par l’insecte est ainsi assimilé à une « charge » ou encore « une alarme universelle ». L’exagération est manifeste, mais elle n’a pas la même visée que dans l’épopée. La scène est sur le fond bien triviale, de sorte que les hyperboles épiques, comme « extrême » ou « à son faîte montée », soulignent le ridicule de la situation.

Il ne s’agit, après tout, que d’un lion énervé par un moucheron. La Fontaine rappelle d’ailleurs régulièrement la réalité de la situation, par exemple lorsqu’il rompt avec la personnification pour qualifier le lion de « quadrupède » ou lorsqu’il traite la mouche « d’avorton ». La fable est ainsi construite sur un réseau subtil d’antithèses, qui oppose la version littéraire et épique de l’événement à la réalité banale de la scène.

*

« Le lion et le moucheron » se présente comme une fable qui prend appui sur les codes de l’épopée. Mais La Fontaine n’introduit cette dimension que pour la parodier. En ce sens, il est fidèle à son objectif qui est de divertir le lecteur. Le divertissement n’est d’ailleurs pas un but en soi, puisqu’il s’agit avant tout de faire réfléchir en présentant une histoire plaisante qui conduit à une morale. 

II – Le retournement de situation et le double enseignement de la fable

La structure de la fable : vers le retournement de situation

« Le lion et le moucheron » accorde une place essentielle au récit, qui couvre les trente-quatre premiers vers. La double morale est développée dans les cinq vers qui constituent la deuxième strophe du texte.

Nous avons vu que la partie dialoguée, au début de la fable, s’inscrit dans la tradition épique des invectives entre les héros qui vont s’affronter. Elle rappelle aussi, plus simplement, une déclaration de guerre entre des souverains, comme le montre le « titre de Roi » du lion, au vers 5. 

Mais ce passage a surtout pour fonction de suggérer un combat inégal, dans lequel le lion a l’avantage, en apparence du moins. Le moucheron est évoqué ici comme un animal ridicule, imbu de lui-même dans toute sa petitesse, au point de déclarer la guerre à plus fort que lui.

La Fontaine décrit avec soin la stratégie de harcèlement mise en œuvre par le moucheron, à partir du vers 12. La force du moucheron est dans sa rapidité : « en cent lieux le harcelle ». Il a  la capacité à se rendre à la fois invisible et insaisissable : « l’invisible ennemi triomphe », ou encore « il n’est griffe ni dent ». Les armes du lion, tout comme ses cris, sont inefficaces.

La fable rapporte alors un premier retournement de situation : ce n’est pas le moucheron qui achève le lion, mais le quadrupède qui « se déchire lui-même » et finit par mourir de « fatigue ». Pour souligner l’issue improbable du combat, La Fontaine détache le verbe « l’abat », au milieu du vers 26. Le rythme haché du passage marche l’épuisement du lion.

Mais l’apologue n’est pas fini et le fabuliste nous réserve une seconde surprise, puisque le moucheron, qui « sonne la victoire », tombe dans « l’embuscade d’une araignée ». Nouveau retournement de situation : le moucheron « y rencontre sa fin ». L’araignée venge le lion et La Fontaine élimine ainsi un faux héros fort peu sympathique, à la plus grande satisfaction du lecteur.

La symbolique des animaux personnifiés

Une fois encore, les faits sont d’une grande banalité : une mouche est prise au piège dans une toile d’araignée, qualifiée d’embuscade dans la logique épique et guerrière apparente de la fable. Mais la signification profonde, comme toujours dans l’apologue, réside dans les symboles.

Le lion et le moucheron sont personnifiés et dotés de caractéristiques humaines. Cette dimension intervient dès les premiers vers, dans lesquels les animaux parlent et ont des sentiments, comme le mépris ou la colère. Au vers 23, le moucheron « rit » comme pourrait le faire un homme. La personnification du lion se voit dans la comparaison avec le roi.

Mais les deux animaux incarnent aussi des valeurs ou des qualités. Ainsi le lion symbolise la puissance et la force. A l’inverse, le moucheron est physiquement faible, mais il compense ce handicap par la ruse et l’adresse, qui lui permettent de remporter le combat.

C’est la première leçon que nous pouvons tirer de la fable : la ruse est plus puissante que la force, ou comme le dit La Fontaine, les ennemis « les plus à craindre sont souvent les plus petits. » Pourtant, tout rusé qu’il soit, le moucheron fait preuve d’imprudence, grisé qu’il est par sa victoire facile qui lui fait négliger la toile d’araignée. L’orgueil et l’arrogance dont il fait preuve dès le début de la fable lui sont fatals.

Comme on peut le voir, la symbolique des animaux et leur personnification permet au fabuliste d’introduire un réseau de significations plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. De cette manière, la fable remplit sa fonction, qui est avant tout de faire réfléchir en introduisant à la complexité de la pensée.

L’enseignement de la fable

Généralement, les fables de La Fontaine comportent une seule morale. Parfois, celle-ci est d’ailleurs implicite. La particularité du « Lion et du moucheron » est de nous proposer deux enseignements. Le premier se rapporte au destin du lion, le second à celui du moucheron. En d’autres termes, les retournements de situation que nous avons mis en évidence donnent chacun lieu à l’énoncé d’une morale. 

Si le premier conseil nous invite à ne pas sous-estimer nos ennemis potentiels, le second nous met en garde contre l’arrogance et l’orgueuil. Il ne s’agit, en somme, que de deux déclinaisons d’un même enseignement

Concrètement, ce n’est pas parce qu’il a surmonté un grand danger et remporté une victoire sur le lion, que le moucheron est à l’abri des risques courants et quotidiens : il périt « pour une moindre affaire ». L’insecte meurt finalement pour la même raison que le lion, à savoir parce qu’il sous-estime le danger d’une situation. Bien que séparée en deux enseignements, la morale de la fable délivre la même mise en garde.

L’enseignement philosophique est lui aussi présent dans cet apologue qui conduit le lecteur, par le biais du divertissement, à une réflexion sur la mort. Le fabuliste met ses contemporains en garde contre un excès de confiance en leur propre puissance. Il rappelle les dangers de la guerre.

Mais surtout, il sous-entend la faiblesse et la vulnérabilité communes à tous les êtres vivants : le roi lion est mortel comme le plus petit de ses sujets et les causes du décès importent peu. Elles peuvent être inattendues, comme c’est le cas pour le lion, ou bien plus banales, comme pour le moucheron. 

Conclusion

Dans sa fable du « Lion et du moucheron », La Fontaine s’amuse à parodier les duels épiques des héros. Il égratigne au passage le mythe de David et de Goliath, faisant du moucheron un David antipathique à souhait, fortement imbu de lui-même, qui finit par succomber en raison de son propre orgueil. 

L’apologue présente plusieurs renversements de situation, qui nous font comprendre que la vie est fondamentalement dynamique et que tout peut basculer d’un instant à un autre. Le moucheron n’est pas sans rappeler la grenouille de la fable, qui voulait se faire aussi grosse qu’un bœuf. Après sa victoire sur le lion, l’insecte se croit lion et c’est ce qui cause sa perte. 

Fidèle à son projet, La Fontaine divertit son lecteur, mais il l’invite aussi, par le biais des symboles, à entrer dans un réseau complexe de réflexions sur la fragilité de la vie.

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