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Discuter sur le sexe des anges : définition et origine de l’expression

La plupart des représentations qui ont été faites des anges, ces créatures surnaturelles célestes, prennent le parti de leur attribuer un genre masculin. D’ailleurs, les archanges Saint Michel, Raphaël ou Gabriel, qui comptent parmi les plus connus, ont des prénoms masculins. A cela s’ajoute que, dans la Septante (traduction grecque de la Bible), le terme qui y fait référence, ἄγγελος (qui signifie messager), est masculin et, lorsqu’un ange prend forme humaine, il apparaît sous les traits d’un homme. Il n’est nulle part fait mention d’ange féminin dans les Ecritures saintes.

Nous pouvons donc légitimement nous demander pourquoi le sexe des anges serait sujet à discussion. C’est exactement la raison pour laquelle l’expression « discuter » ou « débattre du sexe des anges » fait désormais partie de notre vocabulaire. Mais revenons un peu sur la naissance du débat en question. Bonne lecture et n’hésitez pas à nous poser vos questions en commentaire.

Définition de l’expression « discuter sur le sexe des anges »

La locution verbale « discuter sur le sexe des anges » ou « discuter le sexe des anges » signifie que l’on perd du temps à débattre de choses futiles ou qu’on s’attarde sur des détails sans grande importance en perdant de vue les priorités du moment. Elle a comme équivalent le verbe « pinailler ». Dans une revue datant de 1871, on y trouve la comparaison suivante : « On a parlé des atomes comme du sexe des anges ». L’expression est aujourd’hui quelque peu tombée en désuétude et n’est plus utilisée que très rarement dans le langage courant.

Origine de l’expression « discuter sur le sexe des anges »

Au Moyen Âge, la scolastique (méthode d’enseignement universitaire dont le but est de concilier les principes théologiques chrétiens et la philosophie héritée des grecs, un des maîtres de la scolastique fut Saint Thomas d’Aquin) s’empara d’un sujet : le sexe des anges.

En effet, la Bible, qui fait souvent référence à eux sous l’appellation « fils de Dieu », les décrit comme de purs esprits, créatures de Dieu, supérieures aux hommes et surnaturelles. Dénuées de sexe, en principe. Cependant, comme nous le disions plus haut, les anges qui apparaissent aux êtres humains prennent systématiquement une forme d’homme (cf. Daniel, 10 : 11-21). Le sujet a ainsi donné lieu a de nombreux débats, et la question n’est toujours pas tranchée aujourd’hui par l’Eglise.

C’est dans ce contexte que l’expression est née. Mieux que cela, elle renvoie à un événement historique désormais connu de tous. Le 29 mai 1453, la ville de Constantinople est assiégée par les Turcs. La ville, « deuxième Rome », fait alors office de rempart pour la chrétienté face à l’avancée de l’Islam. On raconte qu’au palais de l’empereur, les prêtres orthodoxes et les gens de la cour étaient si occupés à discuter sur la question théologique du sexe des anges que la prise de la ville en aurait été facilitée. C’est aussi de là que vient l’expression « querelles byzantines », qui renvoie à des débats superficiels.

Pour aller plus loin : aujourd’hui, si le mot « ange » est grammaticalement masculin, il a parfois été transposé au féminin par des écrivains dans le but de louer une femme douée de qualités extraordinaires. Exemple :

Sous une pâle robe,
Son pied blanc tour à tour se montre et se dérobe,
Et son sein agité, mais à peine aperçu,
Soulève les contours du céleste tissu.
C’est une femme aussi, c’est une Ange charmante ;
Car ce peuple d’Esprits, cette famille aimante,
Qui, pour nous, près de nous, prie et veille toujours,
Unit sa pure essence en de saintes amours.

Alfred de Vigny, 1797-1863, Poèmes antiques et modernes, 1837

Nous pouvons aussi citer Henri de Montherlant (1895-1972), qui présente une théorie bien à lui pour justifier de l’utilisation du féminin : « Voilà une ange qui ne m’échappera plus. (…). (J’ai mis ange au féminin. En effet, puisque les anges sont de purs esprits, je ne vois pas pourquoi on les représente exclusivement sous la forme mâle, sinon pour satisfaire la pédérastie inavouée du genre humain.) » (Les Jeunes filles,1936)

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Exemples d’usage de l’expression « discuter sur le sexe des anges »

Douze morts sur les routes, c’est trop. Tout doit être mis en œuvre pour lutter contre ce fléau. C’est un sujet grave, pas un débat sur le sexe des anges.

Frédéric Potet, En Auvergne, les 80 km/h sur un volcan, Le Monde. Mis en ligne le 14 avril 2018

C’est ce dangereux magicien qui, pendant qu’on discute sur le sexe des anges et autres sublimes questions, s’acharnait aux réalités ; créait la chimie, la physique, les mathématiques.

Jules Michelet, La Sorcière

Autant dire qu’une nouvelle théologie est née qui ne perd plus de temps en discussions stériles sur le sexe des anges.

Stéphane Zagdanski, Les Intérêts du temps

. Amis venus de tous les horizons mais tous passionnés de littérature, car c’était l’activité noble par excellence, depuis que la politique était devenue semblable aux disputes sur le sexe des anges. Et pourtant, on y revenait sans cesse, à la « politique », tonneau des Danaïdes, irrésistible tentation de la parole inutile.

Zoé Oldenbourg, La Joie-Souffrance

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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Commentaires

Chris Forner

….“Le 29 mai 1453, la ville de Constantinople est assiégée par les Turcs. La ville, « deuxième Rome », fait alors office de rempart pour la chrétienté face à l’avancée de l’Islam. On raconte qu’au palais de l’empereur, les prêtres orthodoxes et les gens de la cour étaient si occupés à discuter sur la question théologique du sexe des anges que la prise de la ville en aurait été facilitée”….
Cette interprétation a connu un succès si fulgurant que – comme le décrit l’article – elle est devenue proverbiale. Et pourtant une autre interprétation, qui me semble très plausible, est envisageable !

Imaginez que vous êtes dans “l’assemblée des Sages” en 1453 à Constantinople (qui effectivement doit compter nombre de prêtres orthodoxes et de courtisans). Les probabilités sont fortes pour que vous soyez âgé ou que vous n’ayez reçu aucun entraînement militaire, ou les deux !
Incapable d’apporter un concours matériel aux jeunes soldats qui sont aux remparts pour défendre la ville, l’assemblée des Sages décide que la meilleure façon de soutenir leur moral sera de tenir une réunion pour montrer que ‘la vie de la cité continue malgré le siège’, une attitude qui sera aussi celle des Londoniens de 1940 pendant le Blitz.

Se pose alors le choix du sujet à débattre : l’assemblée des Sages décide que ce sera « le sexe des Anges », un sujet maintes fois débattu auparavant mais qui est choisi parce qu’il permettra de célébrer la place des femmes dans la société — on pense à l’Impératrice Irène —, et ainsi de montrer combien cette société byzantine est supérieure à celle des Turcs qui confine les femmes au foyer domestique.

Tragiquement, cette noble intention sera interprétée à l’envers par les historiens et leurs lecteurs depuis plus de 1500 ans. Vae victis ! __ .

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C'est une interprétation intéressante, merci de votre commentaire !

Nicolas

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Clarke

Intéressant

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