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Ingratitude

Variantes Singulier Pluriel
Féminin ingratitude ingratitudes

Définitions de « ingratitude »

Trésor de la Langue Française informatisé

INGRATITUDE, subst. fém.

A. − Caractère, qualité de celui qui est ingrat; fait de se montrer ingrat.
1.
a) [Correspond à ingrat A 1 a] Vous-mêmes, les enfants, qui devriez me bénir, vous me considérez avec une circonspection toute voisine de l'ingratitude (Duhamel, Cécile,1938, p. 20):
1. On se sent honteux et vraiment coupable d'ingratitude lorsqu'on se prend à bâiller devant l'œuvre de celui sans qui Cézanne ni Renoir, ni Seurat, ni même Gauguin n'auraient existé, sous la forme qu'on leur connaît... Lhote, Peint. d'abord,1942, p. 149.
Ingratitude + déterm.
α) [Le déterm. exprime une qualité] Ingratitude apparente, involontaire, réelle, renversante; cruelle, noire, plate, sournoise ingratitude. Je croyais que vous n'aviez que les grâces et les adorables qualités de la femme. En auriez-vous aussi la féroce ingratitude et l'impudente vanité? (Sand, Lélia,1833, p. 49).V. civilisateur B, Renan, Drames philos., Caliban, 1878, V, 1, p. 433.
β) [Le déterm. exprime une relation] Ingratitude filiale, humaine, populaire, royale; ingratitudes des enfants, des foules, des grands, des hommes; (mettre le comble à) son ingratitude. L'ancien gouvernement, par son ingratitude, vous a dégagé de votre reconnaissance (Dumas père, Angèle,1834, II, 7, p. 141).J'expiai par ces larmes écrites la dureté et l'ingratitude de mon cœur de dix-huit ans (Lamart., Confid., Graziella, 1849, p. 285).Je viens de voir l'image (...) du vieux poète sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l'ingratitude publique (Baudel., Poèmes prose,1867, p. 74).
Subst. + d'ingratitude.Signe, trait d'ingratitude; audace, impudence d'ingratitude (vieilli); monstre, prodige d'ingratitude; mer, rêve d'ingratitude (littér.). Aux amis, je devais paraître un phénomène d'ingratitude et d'orgueil (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 238).Je ne veux pas même d'un semblant d'ingratitude. J'ai reçu ce service, j'en dois être reconnaissant (Hugo, Corresp.,1856, p. 252).Jeter bas les églises de France, c'est un acte monstrueux d'ingratitude et d'imprévoyance (Barrès, Cahiers, t. 2, 1912, p. 397).Cet océan d'ingratitude qu'est le monde moderne (Péguy, Argent,1913, p. 1177).
Verbe + ingratitude :
2. MmeJeannin alla voir le député et le sénateur de son département, à qui M. Jeannin avait maintes fois rendu service. Partout, elle se heurta à l'ingratitude et à l'égoïsme. Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 868.
SYNT. Encourir, recueillir l'ingratitude (de qqn); expier, réparer son ingratitude; pardonner son ingratitude à qqn; opposer l'ingratitude au dévouement; crier à l'ingratitude; se conduire avec ingratitude; faire preuve d'ingratitude; accuser, payer, taxer qqn d'ingratitude; témoigner de l'ingratitude à qqn; se plaindre de l'ingratitude de qqn; pécher par ingratitude.
Ingratitude à l'égard de, envers, pour qqn.En déplorant ce qui me manque, Dieu me garde d'ingratitude envers lui et j'apprécie ce qu'il me laisse (Lamart., Corresp.,1835, p. 125).Rivale d'Athènes, elle [la République florentine] a été jalouse de l'imiter en tout point, même dans son ingratitude pour ses plus illustres citoyens (Dumas père, Lorenzino, 1842, I, 13, p. 217):
3. Tous ceux qui, en réaction contre la légende du Racine doux et tendre, imaginent à propos de lui un félin féroce, ont tiré le plus possible de son insolence et de son ingratitude à l'égard de Port-Royal. Mauriac, Vie Racine,1928, p. 31.
Tournure impers., littér. Il y a de l'ingratitude à. Il y a vraiment de l'ingratitude à inaugurer ces magnifiques appartements sans moi (...) à mon insu! (Balzac, Début vie,1842, p. 465).
b) P. méton., au plur. Acte d'ingratitude. Quant aux injures, aux calomnies, aux noirceurs, aux ingratitudes, j'y suis habitué de longue main (Lamennais, Lettres Cottu,1837, p. 290).À Paris la plupart des bienfaits sont des spéculations, comme la moitié des ingratitudes sont des vengeances!... (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 100).La providence spéciale de Dieu sur son peuple se manifeste durant tout le séjour de celui-ci au désert, malgré ses ingratitudes et ses révoltes réitérées (Théol. cath.t. 4, 1, 1920, p. 963).
2. [Correspond à ingrat A 1 b] Vieilli. C'est qu'il lui eût tout pardonné, à cette femme : son oubli, son ingratitude, sa mort même, tout! (Dumas père, Catherine Howard,1834, IV, 3, p. 287).Je pensais à Mélanie, et, me reprochant mon ingratitude, je m'évertuais à l'aimer comme autrefois (France, Pt Pierre,1918, p. 238).
3. DR. CIVIL. ,,Violation du devoir de reconnaissance d'un donataire ou d'un légataire envers celui qui l'a gratifié, entraînant la révocation de la libéralité dans les cas spécifiés par la loi : attentat à la vie du donateur, sévices, délit ou injure grave à sa personne ou à sa mémoire, refus d'aliments (C. civ. art 955 et s.; 1046 et s.)`` (Cap. 1936).
B. − [Toujours avec déterm.] Vieilli. Caractère, qualité de ce qui est ingrat; caractère ingrat de quelque chose.
1. [Correspond à ingrat A 3] Ingratitude du péché. Aigris par l'ingratitude de leur métier (Hamp, Marée,1908, p. 48):
4. ... il parle de se faire soldat. − Ah! par amour pour l'uniforme? − Non (...). Je cherchai à le dissuader en lui représentant tous les dangers et l'ingratitude de la carrière militaire. − Que voulez-vous, me disait-il (...). Un régiment est presque une famille, et (...) je n'ai pas de parents. Nerval, Fayolle,1855, p. 122.
2.
a) [Correspond à ingrat B] Je songe à (...) la joliesse douce et vide de la Lombardie (...), à l'ingratitude des pampas des deux Amériques (Faure, Espr. formes,1927, p. 80).
b) P. méton., au plur. Fait déplaisant. Les malheurs de hasard et les ingratitudes de l'événement (Mounier, Traité caract.,1946, p. 302).
Prononc. : [ε ̃gʀatityd]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1279 [ms. xives.] « caractère de l'ingrat » (Laurent, Somme, ms. Soissons 208 [nouv. cote 222], fol. 8d ds Gdf. Compl.); fin xiiies. (J. de Meun, Testament, 82 ds Rose, éd. Méon, t. 4 : pechié d'ingratitude [envers Dieu]); 1667 spéc. « fait de celui qui ne répond pas à l'amour » (Racine, Andromaque, II, 1); 2. 1660 « acte d'ingratitude » (Corneille, Toison d'or, III, 3); 3. « caractère de ce qui ne répond pas aux efforts fournis », ingratitude d'un sol (Raynal, Hist. phil., XII, 28 ds Littré). Empr. au b. lat.ingratitudo « ingratitude ». Fréq. abs. littér. : 635. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 350, b) 992; xxes. : a) 940, b) 450.

Wiktionnaire

Nom commun - français

ingratitude \ɛ̃.ɡʁa.ti.tyd\ féminin

  1. Manque de reconnaissance pour un bienfait reçu.
    • Les grands une fois corrompus ne doutent de rien : devenus étrangers à la dignité d'une ame élevée, ils en attendent ce qu'ils ne balanceroient pas d'accorder; et lorsque nous ne nous avilissons pas à leur gré , ils osent nous accuser d’ingratitude. — (Denis Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron, livre 1, §. 29, dans les Œuvres de Denis Diderot, publiées par Jacques-André Naigeon, Paris : chez Desray & chez Deterville, an VI, vol. 8, p. 76)
    • Ainsi parlait le prince Jean, daignant oublier que, de tous les fils de Henri II, bien qu’ils fussent tous passibles de ce reproche, il avait été lui-même le plus incriminé pour sa rébellion et son ingratitude envers son père. — (Walter Scott, Ivanhoé, traduit de l’anglais par Alexandre Dumas, 1820)
    • Il y a dix ans que je vous connais, croyez-le, et je m'attendais à votre ingratitude. Ainsi je n'ai mérité qu'un attachement vulgaire, et il a suffi qu'une petite fille minaudière et coquette se jouât de vous pour vous détourner en un instant de celle... — (Louis Edmond Duranty, Le malheur d'Henriette Gérard, Paris: chez G. Charpentier, 1879, p. 94)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

INGRATITUDE. n. f.
Manque de reconnaissance pour un bienfait reçu. L'ingratitude est la marque d'une âme basse. Il m'a payé d'ingratitude. Trait, acte d'ingratitude. C'est une noire ingratitude. Il s'est rendu coupable d'ingratitude envers son maître, envers son bienfaiteur. Reprocher à quelqu'un son ingratitude.

Littré (1872-1877)

INGRATITUDE (in-gra-ti-tu-d') s. f.
  • 1Vice des ingrats. Ce que [le silence] l'on eût tenu pour révérence, le serait maintenant pour ingratitude qu'il lui a plu [à Henri IV], me faisant du bien, m'inspirer, avec un vif désir de vertu, celui de me rendre digne de l'aspect du plus parfait et du plus victorieux monarque du monde, Régnier, Épît. dédic. À tant de perfidie et tant d'ingratitude, Corneille, Sertor. V, 4. …L'ingratitude est le plus noir des vices, Mairet, Sophon. III, 1. Hélas ! j'ai beau crier et me rendre incommode ; L'ingratitude et les abus N'en seront pas moins à la mode, La Fontaine, Fabl. XII, 16. Sous les Assyriens leur triste servitude [des Juifs] Devint le juste prix de leur ingratitude [envers Dieu], Racine, Esth. III, 4. Il vaut mieux s'exposer à l'ingratitude que de manquer aux misérables, La Bruyère, IV. Après les preuves touchantes, madame, que j'ai eues de votre amitié… il y aurait à moi de l'ingratitude de n'y pas compter toujours, Rousseau, Lett. à Mme de Boufflers, 26 août 1764.
  • 2 Au plur. Actes qui proviennent de ce vice. Repasse mes bontés et tes ingratitudes, Corneille, Tois. d'or, III, 3. Voici un trait d'ingratitude qui ne vous déplaira, et dont je veux faire mon profit, quand je ferai mon livre sur les grandes ingratitudes, Sévigné, 6 fév. 1671. [Elle] Me fait un long récit de mes ingratitudes, Racine, Brit. II, 2. Qui doit enfin terminer… toutes les ingratitudes de votre vie, Massillon, Carême, Rechute, 1.
  • 3État d'un cœur qui ne répond pas à l'amour. C'est cet amour payé de tant d'ingratitude Qui me rend en ces lieux sa présence si rude, Racine, Andr. II, 1. Mon cœur désespéré d'un an d'ingratitude, Racine, ib. III, 7.
  • 4Qualité de ce qui ne répond pas à la peine qu'on prend. L'ingratitude d'un sol qui ne lui fournit rien de ce qu'exige le besoin absolu de tous les jours, Raynal, Hist. phil. XII, 28.

HISTORIQUE

XIIIe s. Se nous voulons à Dieu prendre similitude, Nous herons [haïrons] comme lui pechié d'ingratitude, J. de Meung, Test. 81. C'est grant ingratitude de mettre en oblience…, J. de Meung, ib. 426.

XVe s. Est bien raison que je regarde, Qu'envers vous ne soie entechié De ce faulx et mauvais pechié Que l'on reprouche en toute estude, Et qui est dit ingratitude, C'est à dire mal pour bien rendre, Deschamps, Poés. mss. f° 484.

XVIe s. Vice d'ingratitude et de mescognoissance, Montaigne, III, 317. Du moins, puisqu'à la fin sorti de servitude, Je cognoy ma sottise et leur ingratitude, Desportes, Œuvres chrest. Sonnets, 8.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

INGRATITUDE, s. f. (Morale.) oubli, ou plutôt méconnoissance des bienfaits reçus. Je la mettrois volontiers cette méconnoissance au rang des passions féroces ; mais du-moins on ne trouvera pas mauvais que je la nomme un vice lâche, bas, contre nature, & odieux à tout le monde. Les ingrats, suivant la remarque de Cicéron, s’attirent la haine générale, parce que leur procedé décourageant les personnes généreuses, il en résulte un mal auquel chacun ne peut s’empêcher de prendre part.

Quoique l’ingratitude ne renferme aucune injustice proprement dite, entant que celui de qui l’on a reçu quelque bienfait, n’a point droit à la rigueur d’en exiger du retour ; toutefois le nom d’ingrat désigne une sorte de caractere plus infâme que celui d’injuste ; car quelle espérance aurois-je de toucher une ame, que des bienfaits n’ont pû rendre sensible ? Et quelle infamie de se déclarer indigne par le cœur de l’opinion favorable qu’on avoit donné de soi !

Si l’on réfléchit aux principes de ce vice, on s’appercevra, qu’outre l’insensibilité dont il émane si souvent, il découle encore de l’orgueil & de l’intérêt. M. Duclos a très-bien dévoilé ces trois sources de l’ingratitude, dans son livre sur les Mœurs, dont je ne tirerai cependant que le précis.

« La premiere espece d’ingratitude, dit-il, est celle des ames foibles, légeres, & sans consistance. Affligées par le besoin présent, sans vûe sur l’avenir, elles ne gardent aucune mémoire du passé : elles demandent sans peine, reçoivent sans pudeur, & oublient sans remords. Dignes de mépris, ou tout au plus de compassion, on peut les obliger par pitié, & par grandeur d’ame.

« Mais rien ne peut sauver de l’indignation celui qui ne pouvant se dissimuler les bienfaits qu’il a reçus, cherche cependant à méconnoître son bienfaiteur. Souvent après avoir reclamé les secours avec bassesse, son orgueil se révolte contre tous les actes de reconnoissance qui peuvent lui rappeller une situation humiliante ; il rougit du malheur, & jamais du vice.

» A l’égard de ces hommes moins haïssables que ceux que l’orgueil rend injustes, & plus méprisables encore que les ames légeres & sans principes, dont nous avons parlé d’abord, ils font de la reconnoissance un commerce intéressé ; ils croient pouvoir soumettre à un calcul arithmétique, les services qu’ils ont reçus ; ils ignorent qu’il n’y a point d’équation pour les sentimens, & que l’avantage du bienfaiteur sur celui qu’il a prévenu par ses services, est en quelque maniere inappréciable ».

Telles sont les principales sources qui font germer l’ingratitude de toutes parts. Ceux qui mettent leur espoir dans la reconnoissance des gens qu’ils obligent, n’ont pas assez réfléchi sur cette matiere ; le symbole des ingrats, ce n’est point le serpent, c’est l’homme. En effet, tant de conditions sont requises pour s’acquitter dignement d’un bienfait notable, que cette considération fit dire aux Stoïciens, qu’il n’y avoit que leur seul sage qui les sût dignement remplir.

Celui qui ne rend pas la pareille à son bienfaiteur, lorsqu’il le peut, est un ingrat. Le manque de reconnoissance intérieure d’un plaisir reçu, est une branche d’ingratitude. Puisqu’on a trouvé l’ame prompte & ouverte à obliger, il faut avoir la bouche prompte à publier le bienfait, & l’ame ouverte à le sentir : c’est ainsi que le plus pauvre homme du monde peut dignement s’acquitter. Le romain qui venant d’obtenir d’Auguste la liberté de son pere, lui dit les larmes aux yeux, qu’il le réduisoit à la nécessité de vivre & de mourir ingrat vis-à-vis de lui, tenoit bien le propos d’une ame reconnoissante. On ne tombe point dans l’ingratitude, lorsque les moyens extérieurs nous manquent, si notre cœur est vraiment sensible : le cœur mesure les services qu’on rend, & le cœur en mesure aussi le ressentiment.

Je croirois que c’est une sorte de méconnoissance, quand l’on s’empresse trop de sortir d’obligation, d’effacer le plaisir reçu, & de demeurer quitte par une espece de compensation, munus munere expungendo ; car les lois de la gratitude sont différentes de celles d’une place de change.

Ceux-là sont encore plus blâmables, qui pour compensation, payent avec de la pâte de belles hécatombes, & qui présentent à Mercure des noyaux pour d’excellens fruits qu’ils ont reçus de sa main libérale.

Mais que penser de ces gens d’un naturel si dépravé, qu’ils rendent le mal pour le bien ; semblables à ces mauvaises herbes, qui brûlent la terre qui les nourrit. Il arrive quelquefois, dit Tacite, que lorsqu’un service est au-dessus de la récompense, l’ingratitude & la haine même prennent la place de la reconnoissance & de l’amitié, pro gratiâ rependitur odium. Séneque qui a épuisé ce sujet, va plus loin que Tacite ; il ajoute que de tels monstres sont capables de haïr à proportion qu’on les oblige. Quoi donc, ce qui doit le plus porter à la gratitude, produiroit des effets si contraires ? S’il étoit vrai que la bienfaisance pût exciter la haine, & qu’une si belle mere fût capable de mettre au jour un enfant si difforme, il ne faudroit pas s’étonner de voir des caracteres difficiles à recevoir des faveurs. Il est vrai qu’on ne doit pas prendre de toutes mains, ni donner de toutes mains ; s’il convient de recueillir des graces avec sentiment, avec jugement, il est bon de les dispenser de même ; mais d’ordinaire, nous ne savons faire ni l’un ni l’autre.

Quelques auteurs ont prétendu que les lois d’aucun peuple n’avoient porté de peines contre l’ingratitude, non plus que contre le parricide, pour ne pas présupposer des choses si détestables, & qu’une voix secrete de toute la nature semble assez condamner ; mais l’on pourroit leur nommer les Perses, les Athéniens, les Medes, ou plutôt les Macédoniens, qui ont reçu dans leurs tribunaux de justice l’action contre les ingrats. Les Romains & les Marseillois avoient autrefois des peines imposées contre les affranchis ingrats envers leurs anciens maîtres.

Ces sortes d’exemples avérés par l’histoire, ont fait souhaiter à d’honnêtes citoyens, qu’il y eût dans un siecle tel que le nôtre, une peine certaine & capitale établie contre ce vice, qui n’a plus de bornes à cause de son impunité. Hé quoi, répond M. le Vayer, voudroit-on dépeupler le monde ? Il n’y a point de prisons assez spacieuses pour resserrer la multitude de ceux qu’on accuseroit, ni beaucoup moins de places capables de recevoir le nombre de plaideurs, que cette sorte d’action feroit éclorre. Le Pnyce d’Athènes & les amphithéatres de l’ancienne Rome ne suffiroient pas au concours d’accusateurs & d’accusés.

Peut-être encore que si le nombre d’ingrats étoit reconnu aussi grand qu’il est par les poursuites judiciaires d’une action de droit reçue, on n’auroit plus de honte de se trouver en si belle & si nombreuse compagnie, composée principalement de gens du premier ordre, tous couverts de soie, d’or, & de pourpre.

Ajoutons que, comme il n’y auroit presque personne qui ne se plaignît d’avoir été payé d’ingratitude, il seroit très-difficile de peser exactement les circonstances qui augmentent ou qui diminuent le prix d’un bien fait.

Enfin, le mérite du bienfait seroit perdu, si l’on pouvoit poursuivre un ingrat comme on poursuit un débiteur, ou une personne qui s’est engagée par un contrat de louage. Le but propre d’un bienfait, c’est-à-dire d’un service, pour lequel on ne stipule point de retour, c’est d’un côté, de fournir l’occasion à celui qui le reçoit, de justifier sa libre reconnoissance par l’amour de la vertu ; & de l’autre, de montrer en n’exigeant rien de celui à qui l’on donne, qu’on lui fait du bien gratuitement, & non par des vûes d’intérêt.

Quoique rien n’oblige de fournir de beaux habits à des fous qui les déchirent, il faut toûjours compter sur l’ingratitude des humains, & plutôt s’y exposer, que de manquer aux misérables. L’injure se grave sur le métal ; une grace reçûe se trace sur le sable, & disparoît au moindre vent. Il faut moins servir les hommes pour l’amour d’eux, disoit un sage de la Grece, que pour l’amour des dieux qui le commandent, & qui récompensent eux-mêmes les bienfaits. C’est pourquoi Virgile place les ames bienfaisantes dans les champs élisées :

Quique sui memores alios fecere merendo,
Omnibus hîc niveâ cinguntur tempora vitâ.

On sait le mot de ce bon religieux rapporté par Philippe de Comines, au sujet de Jean Galéas, duc de Milan. « Nous nommons saints, tous ceux qui nous font du bien ». Je tiens pour dieu, tout ce qui me nourrit, disoit l’ancien proverbe grec. (D. J.)

Ingratitude, (Jurisprud.) l’ingratitude du donataire envers le donateur est une juste cause pour révoquer une donation entre-vifs, quoique de sa nature elle soit irrévocable.

Le donataire est coupable d’ingratitude, lorsqu’il a fait quelque injure grave au donateur, ou qu’il l’a battu & outragé, qu’il lui a causé de dessein prémédité la perte de ses biens ; s’il a refusé des alimens au donateur tombé dans l’indigence ; s’il a attenté à sa vie, ou y a fait attenter par d’autres ; enfin, si par affectation il a persisté dans un refus opiniâtre de satisfaire aux clauses de la donation.

Ce droit de révoquer une donation pour cause d’ingratitude, ne passe pas à l’héritier du donateur, si lui-même ayant connu l’ingratitude, l’a dissimulée & n’a point agi en justice pour faire révoquer la donation. Voyez la loi derniere au code de revoc. donat.

L’ingratitude du vassal envers son seigneur dominant, donne lieu à la commise du fief au profit du seigneur.

Le vassal se rend coupable d’ingratitude, lorsqu’il y a de sa part desaveu ou félonie. Voyez Commise, Desaveu, & Félonie. (A)

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Étymologie de « ingratitude »

Provenç. ingratitut ; espagn. ingratitud ; ital. ingratitudine ; du lat. ingratitudinem, de ingratus, ingrat.

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Du latin ingratitudo.
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Phonétique du mot « ingratitude »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
ingratitude ɛ̃gratityd

Fréquence d'apparition du mot « ingratitude » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Citations contenant le mot « ingratitude »

  • Sais-tu pas bien qu'en cœur de noble dame Loger ne peut ingratitude infâme ?
    Clément Marot — Élégie, I
  • La suprême bassesse de la flatterie, c'est d'encourager l'ingratitude.
    Victor Hugo — Océan
  • L'ingratitude ne décourage pas la bienfaisance ; mais elle sert de prétexte à l'égoïsme.
    Duc de Lévis — Maximes et réflexions
  • C'est une vile ingratitude De ne rendre avec promptitude.
    Proverbe français
  • La reconnaissance a la mémoire courte.
    Benjamin Constant de Rebecque — De la doctrine politique qui peut réunir les partis en France
  • Les malheureux sont ingrats ; cela fait partie de leur malheur.
    Victor Hugo — Tas de pierres, Éditions Milieu du monde
  • Je me sens le cœur ingrat par cela seul que la reconnaissance est un devoir.
    Jean-Jacques Rousseau — Correspondance, à M. de Malesherbes
  • Souffle, souffle, vent d’hiver ; tu n’es pas si cruel que l’ingratitude de l’homme.
    William Shakespeare — Comme Il vous plaira
  • Je puis tout pardonner aux hommes, excepté l'injustice, l'ingratitude et l'inhumanité.
    Denis Diderot — La religieuse
  • Le souvenir des bienfaits reçus est fragile, comparé à l’ingratitude.
    Léonard de Vinci
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Traductions du mot « ingratitude »

Langue Traduction
Anglais ingratitude
Espagnol ingratitud
Italien ingratitudine
Allemand undankbarkeit
Chinois 不感恩
Arabe عقوق
Portugais ingratidão
Russe неблагодарность
Japonais 忘恩
Basque ingratitude
Corse ingratitudina
Source : Google Translate API

Synonymes de « ingratitude »

Source : synonymes de ingratitude sur lebonsynonyme.fr

Antonymes de « ingratitude »

Combien de points fait le mot ingratitude au Scrabble ?

Nombre de points du mot ingratitude au scrabble : 13 points

Ingratitude

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