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Madame de La Fayette (1634-1693) : vie et œuvre

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Nicolas Mignard, Portrait de Madame de La Fayette. Source : Wikicommons

« Parmi les personnes considérables de l'un et de l'autre sexe mortes depuis peu de temps, nous nommerons dame Marguerite de la Vergne. Elle était veuve de M. le comte de la Fayette, et tellement distinguée par son esprit et son mérite qu'elle s'était acquis l'estime et la considération de tout ce qu'il y avait de plus grand en France. Lorsque sa santé ne lui a plus permis d'aller à la Cour, on peut dire que toute la Cour a été chez elle, de sorte que, sans sortir de sa chambre, elle avait partout un grand crédit dont elle ne faisait usage que pour rendre service à tout le monde. On tient qu'elle a eu part à quelques ouvrages qui ont été lus du public avec plaisir et avec admiration. »

Mercure Galant, juin 1693

Ces lignes élogieuses, écrites en juin 1693 dans le Mercure Galant, font référence à Madame de La Fayette. Avec Madame de Sévigné et Madeleine de Scudéry (pour ne citer qu’elles), cette femme originaire de la petite noblesse est devenue l’une des plus grandes auteures féminines du XVIIe siècle. Par son style épuré et concis, se dénotant de la pompe de l’écriture baroque, par la finesse de l’analyse psychologique de ses personnages et par l’efficacité des intrigues autour desquels elle a tissé ses récits, Madame de La Fayette est considérée comme l’initiatrice du roman moderne.

Femme raffinée et habituée des salons littéraires, avant de tenir le sien, elle a néanmoins toujours publié ses romans sous pseudonymes (même si la cour n’ignorait pas qu’elle en était l’auteure). « Comme elle cachait son latin, elle s'amusait aussi à cacher ses œuvres », dit d’elle le comte d’Haussonville, de l’Académie française, auteur d’une biographie sur Madame de La Fayette. 

Après la sortie de ses œuvres, il s’est dit à la cour que ses principaux romans (La Princesse de Clèves et La Princesse de Montpensier) ont été réalisés à plusieurs mains. Les critiques et analystes littéraires ont ainsi suggéré l’intervention de La Rochefoucauld dont elle était très proche. N’en reste pas moins qu’elle fit preuve de finesse, d’esprit et d’audace stylistique et que l’éloge posthume qu’en fait le Mercure Galant témoigne de son heureuse réputation et de son grand talent littéraire.

Qui est Madame de La Fayette ?

Madame de La Fayette naît le 18 mars 1634 à Paris, sous le nom de Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, au sein d’une famille de petite noblesse, proche de l’entourage du cardinal de Richelieu. Son père, écuyer du roi, meurt alors qu’elle est âgée de quinze ans. L’année suivante, en 1650, elle devient demoiselle d’honneur de la reine Anne d’Autriche, reine de France et de Navarre, épouse du roi Louis XIII (mère du roi Soleil, Louis XIV).

Toujours en 1950, la mère de Marie-Madeleine se remarie avec Renaud de Sévigné, oncle du mari de la marquise de Sévigné. Les deux femmes, que huit années séparent, entretiendront des rapports amicaux tout au long de leur vie. Le comte d’Haussonville, de l’Académie française, dit même, dans sa biographie de Madame de La Fayette (1896) de Madame de Sévigné qu’elle était « sa meilleure amie ».

Introduite à la cour, elle fait la connaissance du grammairien et historien Ménage qui complète son éducation, lui apprend l’italien et le latin et devient l’un de ses plus proches amis. Ce dernier introduit la jeune fille aux salons littéraires en vogue, ceux de Catherine de Rambouillet, de la Marquise du Plessis-Bellière et de Madeleine de Scudéry (notamment connue pour sa célèbre Carte de tendre).

A l’âge de 21 ans, en 1655, elle épouse François Motier, comte de La Fayette, un Auvergnat de trente-huit ans, veuf désargenté, dont elle aura deux fils. Ce mariage a l’avantage de donner à Marie de La Vergne un nom et un statut. Néanmoins, ce mari se fera discret dans la vie de Madame de La Fayette, au point de disparaître totalement de plusieurs sources (courriers, etc.)

Entre ses voyages en Auvergne et dans le Bourbonnais lors desquels elle accompagne son mari sur ses domaines familiaux, Madame de La Fayette mène une vie mondaine à Paris, en compagnie de la haute société de la cour de France. Après avoir fréquenté plusieurs salons littéraires, elle ouvre le sien dans son hôtel particulier de la rue de Vaugirard.

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Après avoir fait la connaissance de Jean Regnault de Segrais, poète et homme de lettres, et encouragée par Ménage (ils tiendront tous les deux les rôles de conseillers littéraires), elle prend la plume et décide de s’établir définitivement à Paris en 1659.

En 1662, elle fait paraître, sous pseudonyme, la nouvelle La Princesse de Montpensier, sa première œuvre. En 1669, elle fait publier le premier tome de Zaïde, roman hispano-mauresque dédié à La Rochefoucauld dont elle est très proche. Le deuxième tome paraît en 1671. Elle publie ces deux premières œuvres sous le nom de Segrais. En 1678, la maison d’édition d’un de ses amis fait paraître son œuvre la plus célèbre, La Princesse de Clèves, qui obtiendra un immense succès. 

En 1680, son ami La Rochefoucauld meurt. Cette perte marquera vivement au cœur Madame de La Fayette. Madame de Sévigné écrit à ce sujet : « Mme de la Fayette est tombée des nues tout se console et se consolera hormis elle ». Cette première mort est suivie par celle du compte de La Fayette, en 1683. Ces décès successifs la poussent à se retirer de la vie sociale et mondaine qu’elle mène alors dans la haute société, pour se préparer à la mort. Trois de ses ouvrages seront édités à titre posthume : La Comtesse de Tende (1724), Histoire d’Henriette d’Angleterre (1720) et Mémoires de la Cour de France pour les années 1688 et 1689 (1731).

Les salons, l’anonymat et la cour

La fréquentation des salons et la rencontre de certaines personnalités ont joué un rôle capital dans la vocation littéraire de Madame de La Fayette. Après avoir noué des liens intimes avec Madame de Sévigné et s’être rapprochée de Ménage, elle se lie d’une très forte amitié avec La Rochefoucauld (auteur des Réflexions ou sentences et maximes morales). Elle dit de lui : « Monsieur de La Rochefoucauld m’a donné de l’esprit mais j’ai réformé son cœur ». Madame de Sévigné a elle aussi commenté cette proximité constante et fidèle en affirmant que « rien ne pouvait être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié ».

C’est à La Rochefoucauld que Madame de Sévigné doit d’avoir été introduite et présentée aux esprits littéraires influents de son époque. Elle rencontre notamment Racine et Boileau. Dans son cercle de connaissances, on compte aussi Henriette d’Angleterre, future duchesse d’Orléans, dont elle deviendra la biographe, à sa demande.

L'œuvre de Madame de La Fayette

Avec La Princesse de Montpensier (qui raconte l’histoire d’amour extraconjugale de Melle de Mézière avec le duc de Guise, au beau milieu des guerres de religion, sous le règne de Charles IX) et Zaïde, Madame de La Fayette avait fait du pseudonyme Segrais un nom d’auteur à la mode. Elle porte cette réputation à son paroxysme avec son roman La Princesse de Clèves, considéré comme un chef-d'œuvre de la littérature française. Elle y relate le dilemme intérieur de Melle de Chartres, mariée au Prince de Clèves, mais secrètement amoureuse du duc de Nemours. 

« Sa simplicité réelle est dans sa conception de l’amour ; pour Mme de La Fayette, l’amour est un péril. C’est son postulat. Et ce qu’on sent dans tout son livre (La Princesse de Clèves) comme d’ailleurs dans La Princesse de Montpensier, ou La Comtesse de Tende, a une constante méfiance envers l’amour (ce qui est le contraire de l’indifférence) », affirme Albert Camus dans ses Carnets (1964).

En effet, le regard que Madame de La Fayette porte sur l’amour est nouveau dans la sphère romanesque. Le sentiment et le désir y sont montrés dans toute leur complexité, mais aussi empreints d’un certain fatalisme.

Qu’il s’agisse de la Princesse de Montpensier, ou de la Princesse de Clèves, que l’une cède à certains vices ou que l’autre observe une tenue irréprochable, toutes deux connaissent une fin malheureuse

Selon d’Haussonville, cette vision de l’amour, du mariage, de la fidélité ou encore de la vertu, est dû à sa sensibilité : « Plus d'une raison, il est vrai, entretenait chez elle cette disposition à la tristesse. C'était d'abord une extrême sensibilité qui lui faisait ressentir des choses une impression parfois excessive ».

Pour compléter ce portrait, Paul Morillot, dans Le roman en France depuis 1610 jusqu'à nos jours: lectures et esquisses (1892), écrit : « Tout en elle nous attire, la rare distinction de son esprit, la ferme droiture de ses sentiments, et surtout, peut-être, ce que nous devinons au plus profond de son cœur : une souffrance cachée qui a été la source de son génie. » 

Outre la très juste peinture de l’individu et de sa morale au sein de la société, le génie de l’oeuvre tient aussi à la peinture des sentiments, de la psychologie des personnages, pourtant parfois caricaturaux (les princesses de Madame de La Fayette sont décrites de façon hyperbolique, elles sont, après les princesses de sang royal, les plus riches, les plus belles et les plus vertueuses du royaume).

Si certains disputent la vraisemblance des sentiments par lesquels La Princesse de Clèves est habitée (elle reste fidèle à son mari, même après la mort de ce dernier), le roman connaît néanmoins un succès immédiat. « Elle ne sera pas sitôt oubliée. C'est un petit livre que Barbin nous a donné depuis deux jours, qui me paroît une des plus charmantes choses que j'aie jamais lues », écrit Madame de Sévigné en 1862, dans une lettre à sa famille.

Les origines du roman moderne

Madame de La Fayette se distingue de son temps et de la mouvance littéraire en vogue à l’époque en conférant au récit amoureux une tout autre dimension. Elle s’inscrit dans le classicisme et rompt avec la mode du roman baroque, inspiré du roman pastoral grec (Daphnis et Chloé et Pseudo-Longin). Elle se détache du roman-fleuve dont le récit s’étend sur plusieurs centaines de pages (en témoigne le “Roman des romans”, L’Astrée, d’Honoré d’Urfé, publié de 1607 à 1627) et qui, dans un style souvent ampoulé et pompeux, font l’étalage de sentiments naïfs et enfantins

A rebours de cette tendance, Madame de La Fayette, d’abord avec La Princesse de Montpensier, puis avec La Princesse de Clèves, livre un récit condensé et concis, une intrigue épurée et un style simple.

Et même si sous certains aspects, son roman peut être considéré comme celui d’une précieuse (en particulier par le fait de transformer les sentiments en rhétorique), elle innove par une analyse fine et subtil des sentiments et de la psychologie des personnages, tout en respectant le contexte historique.

« Sa Princesse de Clèves et sa Zaïde furent les premiers romans où l’on vit les mœurs des honnêtes gens, et des aventures naturelles décrites avec grâce. Avant elle, on écrivait d’un style ampoulé des choses peu vraisemblables. », dit d’elle Voltaire, dans Le Siècle de Louis XIV (1751).

Ainsi, le roman de Madame de La Fayette s’impose comme précurseur du roman moderne. Aujourd’hui, comme tout au long des siècles, le roman alimente encore les débats des sphères littéraires. Les influences jansénistes de Port-Royal, la préciosité qu’on découvre dans l’usage d’un certain vocabulaire (« Je crois devoir à votre attachement la faible récompense de ne vous cacher aucun de mes sentiments et de vous les laisser voir tels qu’ils sont », peut-on lire dans la quatrième partie du roman) ou encore l’invraisemblance des sentiments, ont été des arguments avancés pour discréditer l'œuvre de Madame de La Fayette.

La romancière Marie Darrieussecq juge ainsi l’ouvrage : « Les premiers lecteurs de Mme de Lafayette, au XVIIe siècle, le jugèrent invraisemblable : quelle épouse pense devoir informer son mari de ses tentations adultères ? Au XVIIIe siècle, cet aveu, on l'a trouvé charmant. Au XIXe, immoral. Au XXe, idiot : mais qu'elle l'épouse donc, son bellâtre de cour ! Et au début du XXIe, on dit qu'il ne faut plus lire ce livre. »

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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