La mauvaise joueuse, Victor Jestin : le jeu de la fuite et de la liberté
Avec La mauvaise joueuse, Victor Jestin signe un roman haletant où l’obsession du jeu devient le moteur d’une fuite existentielle, entre thriller psychologique et confession intime. Porté par un style incisif, fait de va-et-vient entre le présent et des souvenirs d’enfance, ce texte dit la fragilité de nos vies et souligne la part d’ombre qui veille en chacun de nous.
Il fait froid, il pleut, nous sommes en novembre. Victor Jestin campe son histoire dans le Pays nantais, d’où il est originaire, du côté de Saint-Nazaire. C’est son troisième roman publié chez Flammarion à seulement 30 ans.
La mauvaise joueuse s’appelle Maud. Une trentenaire débarrassée d’une vieille addiction au jeu et qui vit désormais une vie paisible et sans histoire. Mais quand un collègue lui prête son smartphone, elle replonge soudain avec Candy Crush. Le jeu devient une obsession sur le chemin du retour à son domicile, si bien qu’elle perd le contrôle de son véhicule. Un choc emporte tout. Alors, commence la fuite honteuse.
Soudain, il y a eu un choc, un grand bruit de métal et de verre. Tout a tremblé, la ceinture m’a scié la poitrine, mon crâne a cogné contre la vitre. J’ai dévié, braqué de justesse avant le fossé. Ma voiture a calé. J’avais percuté quelque chose, je ne voyais pas quoi. Dehors, tout se confondait dans les reflets de la pluie et des phares. J’entendais des klaxons, des voix et, quelque part sous mon siège, la musique du jeu qui tournait encore.
Dans un style incisif, Victor Jestin transforme la fuite de sa protagoniste en un thriller psychologique qui remonte aux origines de son addiction. À l’aide d’habiles va-et-vient entre le présent et les souvenirs d’enfance, le lecteur progresse dans l’enquête et découvre peu à peu la fragilité du personnage principal, miné par la honte et la nostalgie des jeux de l’enfance.
J’ai tâté les fléchettes. Un souvenir m’est revenu par les doigts : la vieille cible de mon père en liège rouge et vert sombre, accrochée comme un soleil dans le salon […] cet objet dont je ne pouvais concevoir qu’il s’agisse d’une simple décoration, dont les striures géométriques et les chiffres disposés en rond servaient forcément, et qui, se refusant à moi, me fascinait au point d’occulter la totalité du salon. De cette vision datait peut-être ma plus vieille intuition de ce qu’était un jeu : un autre monde possiblement supérieur à celui que j’habitais, si j’en croyais l’ombre jetée tout autour de lui, sur les meubles, sur les couleurs et même sur les gens, un monde qui m’aspirait.
Le jeu est pour Maud un moyen d’émancipation dont l’aboutissement est la victoire sur son adversaire. C’est dans ce match à mort que l’héroïne repousse ses limites jusqu’à se mettre en danger. De la séduction au franchissement des règles de la légalité, tout devient prétexte à jouer pour éprouver cette douce sensation de la liberté. Et comme dans toute addiction, c’est la honte qui prédomine une fois le jeu terminé, et l’angoisse de rechuter.
Ce court roman de 148 pages est un bijou à dévorer d’un trait. Victor Jestin explore avec brio la singularité des joueurs invétérés et confirme son talent de narrateur et de styliste, si bien qu’on aurait aimé prolonger le jeu un peu plus longtemps. Mais pour cela, il faudra attendre son prochain roman.
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- La mauvaise joueuse, Victor Jestin, Flammarion, 2025, 148 pages
