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Verser des larmes de crocodile : définition et origine de l’expression

Verser des larmes de crocodile ? En voilà une expression intrigante … Parle-t-on ici d’un chagrin ressenti par un animal redoutable et redouté… ? Ou d’un stratagème instauré par ce dernier pour attirer sa proie ?

Et oui, le crocodile peut pleurer comme un enfant…. Mais à vos risques et périls ! Il faut remonter assez loin pour connaître les origines d’une telle expression. Ne prenez pas peur et lisez l’article jusqu’au bout pour bien comprendre les significations de cette expression, fondée sur une légende égyptienne antique fascinante. Bonne lecture !

Définition de l'expression « verser des larmes de crocodile »

L’expression « verser des larmes de crocodile » signifie pleurer en versant des larmes hypocrites destinées à émouvoir et tromper l’entourage.

Les larmes sont bien présentes mais l’émotion qui est manifestée est fausse et non sincère. Il n'y a aucune tristesse ressentie par celui qui pleure, dont le but est d’obtenir quelque chose. 

Cette technique est souvent utilisée par les enfants capricieux qui font semblant de pleurer à chaudes larmes pour arriver à leurs fins.

Origine de l'expression « verser des larmes de crocodiles »

Apparue au milieu du XVIe siècle, l’expression était bel et bien présente autrefois sous d’anciennes formes grecques ou latines telles que « larmes de cocodrile », faisant allusion à une légende de l’Antiquité. 

Il faut donc remonter sur les bords du Nil, dans lequel les crocodiles, animaux sacrés à l’Époque, gémissaient pour attirer leurs proies. Les pauvres victimes naïves, inquiètes et troublées par ces gémissements, s’approchaient et se faisaient malheureusement dévorer par les féroces crocodiles. 

En séduisant ainsi leurs proies, les crocodiles obtenaient ce qu’ils voulaient…d’où l’expression « verser des larmes de crocodile » régulièrement utilisée aujourd’hui pour berner les personnes trop crédules.

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Le magnifique « Livre des merveilles du monde », publié en 1355 et écrit par l’explorateur Jean de Mandeville raconte un voyage de 34 ans en Égypte, Inde, Asie centrale et en Chine. Parmi les histoires et légendes contées dans cet ouvrage, on trouve celle de sa rencontre avec les crocodiles du Nil : 

En Afrique, au pays des Egyptians, proche la seconde cataracte du Nil, habitent, parmi les roseaux, d’énormes lézards de trois toises et plus de longueur, de figures difformes et de mœurs sanguinaires, dont le seul métier est, quand ils ne dorment pas étendus au soleil sur la vase chaude, de guetter les hommes et les animaux qui se hasardent sur les bords du fleuve, pour s’en saisir et les dévorer.[…] Nonobstant leur aspect farouche, leur voracité insatiable, et la dureté telle de leurs écailles que point ne sauroit la percer un robuste archer de son vireton le plus aigu, ces animaux féroces sont pourvus d’une sensibilité exquise ; à ce point que souventes fois les ai moi-même ouys geignants ou se lamentants es rozeaux, poussants des sanglots qui semblent mugissement de bœufs, et versants, ainsi qu’il m’a été assuré, larmes qui jaillissent du pertuis de leurs yeux, comme de pommes d’arrosoirs. […] Maintes foys, au dire de mes guides, gens réputés pour leur prud’homie et leur grande honnêteté, aucuns voyageurs, trompés par l’effusion de ces larmes, et s’assurant que tant de gémissements ne pouvoient provenir que de coeurs vrayment marris de tant de crimes et assassinats, s’estant voulu approchier des pélunques èsquelles se tiennent ces grands lézards, furent eux-mêmes saysis et méchamment dévorés par ces traîtres et hypocrites qui pleurent non par douleur vraye de leurs péchiés, mais par feintise pour engaigner les trop crédules, et bien et commodément se remplir le ventre en les dévorant.

Jean de Mandeville, Livre des merveilles du monde (Extrait du journal Le Courrier de Vaugelas, paru en 1874)

Cette légende n’est pas sans rappeler le mythe des sirènes, selon lequel ces créatures fantastiques mi-femmes mi poissons, divinités de la mer, charmaient les navigateurs. Ces derniers, irrésistiblement attirés par les chants élégants et envoûtants des musiciennes, étaient alors mangés par ces figures mythiques. Comme le décrit Homère dans cet extrait du chant XII de l’Odyssée :

Tu rencontreras d’abord les Sirènes qui charment tous les hommes qui les approchent ; mais il est perdu celui qui, par imprudence, écoute leur chant, et jamais sa femme et ses enfants ne le reverront dans sa demeure, et ne se réjouiront. Les Sirènes le charment par leur chant harmonieux, assises dans une prairie, autour d’un grand amas d’ossements d’hommes et de peaux en putréfaction.

Homère, L’odyssée

Exemples d'usage de l'expression « verser des larmes de crocodile »

[…] mon gars il adorait commencer une histoire par une formule imagée qu’il sortait à brûle-pourpoint, c’était pour lui une sorte de point de départ, de piste d’envol, tu comprends disait-il, puis il s’arrêtait un instant, me regardait dans les yeux et quand il voyait que j’étais mûr, il y allait de sa petite expression, des larmes de crocodile, c’écriait-il par exemple et j’avais l’impression alors que toute l’histoire qui suivait ne servait qu’à illustrer ces larmes de crocodile, à les mettre en valeur, à les faire briller de mille feux, et elles devenaient plus belles et plus précieuses que du cristal et grande était la gloire de celui qui les avait pleurées.

P. Edmond, La danse du fumiste

« Ainsi va la vie, dit Tabouret, en descendant de son banc, les chiens soufflent comme des phoques, les Bulgares sont forts comme des Turcs, tout le monde part pour la guerre comme un seul homme, et c'est à qui pleure comme un veau des larmes de crocodile, quelle vacherie, il faut que ça change, nous allons nous y employer. »

Jacques Prévert, La cinquième saison

—Non, un barrage… Vous avez le droit de pleurer, si vous êtes sincère. Pas des larmes de crocodile, de vraies larmes d’émotion ! 

Katherine Pancol, Les yeux jaunes des crocodiles

Ainsi cette reine éplorée,
Par ses larmes et par ses cris,
Ses messages et ses écrits,
Ne peut fondre ce cœur de glace :
Il persiste, quoi qu’elle fasse,
Et n’en est pas plus ébranlé
Que cet arbre dont j’ai parlé
Quelque larme à la dérobé,
Sans son consentement tombée,
Peut sa face humidifier ;
Mais il ne s’y faut pas fier :
Ce sont larmes de crocodile,
 Quoi qu’en dise messer Virgile.

Scarron, La Virgile travesti

— Malheureusement, répliqua Constant, il n’y a pas de lumière noire permettant de distinguer les larmes sincères des larmes de crocodile.

Jean-Pierre Conty, Le ciel m’est témoin.

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Natacha Lovato

Natacha Lovato

Natacha Lovato rédige pour La langue française des articles autour de la linguistique, la littérature et les expressions. Passionnée par la langue française, elle s'est aujourd'hui spécialisée dans la communication écrite afin de transmettre ses connaissances. Elle est aussi gérante d'un organisme de formation dédié à la communication écrite, et accompagne les adultes pour des remises à niveaux en français afin de perfectionner leurs écrits professionnels.

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