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Mignonne, allons voir si la rose, Ronsard

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait éclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
N'a point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.

Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Pierre de Ronsard (à Cassandre)

Cassandre Salviati n’avait pas 14 ans quand elle fit chavirer le cœur de Ronsard, alors dans sa 21e année. Issue d’une famille noble de banquiers italiens, elle le rencontre lors d’un bal donné à la cour du roi François Ier. Ronsard en fait son égérie et lui dédie tout un recueil : Les Amours de Cassandre qui paraîtra en 1552. Le poème « Mignonne » fait partie, quant à lui, du recueil Les Odes, paru en 1550.

Néanmoins, Ronsard ne put demander la main de la belle, étant devenu clerc tonsuré et ayant donc renoncé au monde. La demoiselle épouse Jean Peigné, seigneur de Pray, l’année suivante.

Ronsard, qui a rencontré du Bellay au collège de Coqueret, devient l’un des instigateurs du fameux groupe des auteurs de la Pléiade. Il défend ainsi la langue française qu’il affectionne à travers sa poésie. Au service de Madeleine de France qui a épousé le roi Jacques d’Écosse, il a eu l’occasion de voyager et de vivre également à Londres et en Flandres. Il ambitionnait alors une carrière diplomatique. Mais la maladie l’a rappelé en France où il découvre la poésie à laquelle il s’adonne.

L’auteur de « Mignonne, allons voir si la rose » livre ainsi un poème sous une forme construite selon des codes rigoureux tout en utilisant le lyrisme pour faire l’éloge de la femme aimée. L’ensemble est construit sur des bases de philosophie épicurienne et humaniste : la Renaissance a pointé son nez.

Comment Ronsard fait-il l’éloge de la femme aimée ?

I - Comment reconnaître une ode ?

Qu’est-ce qu’une ode ?

Dans l’Antiquité grecque, le mot « ode » désignait un poème mis en musique et chanté. Nous devons aujourd’hui ce mot français à Ronsard lui-même qui l’introduisit dans la langue, comme le prévoyait le projet de la Pléiade dans son manifeste : La Défense et illustration de la langue française.

Par la suite, à l’instar de Ronsard, les auteurs modernes y déclarent leurs sentiments les plus intimes dans un poème généralement court, partagé en strophes symétriques tant en nombre de vers qu’en construction des rimes.

Pour le Larousse, c’est un « poème lyrique divisé en strophes semblables entre elles par le nombre et la mesure des vers et destiné soit à célébrer de grands événements ou de hauts personnages (ode héroïque), soit à exprimer des sentiments plus familiers (ode anacréontique) ».

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Ici, le poète expose une intimité avec Cassandre qui semble ne pas concerner un éventuel lecteur. Il s’adresse à elle par le terme « Mignonne » qui lie uniquement Ronsard et sa belle, terme répété à chaque strophe.

La versification

Le poème est composé de trois strophes de six vers, appelés sizains, de huit syllabes chacun – on dit aussi qu’ils sont « octosyllabiques ».

Ces vers courts, comparés à l’alexandrin classique et noble de la poésie française, servent des descriptions rapides et précises. Chaque strophe est composée du même schéma de rimes : les deux premières rimes sont plates ou suivies, puis complétées par quatre vers aux rimes embrassées.

  • rose A
  • déclose A
  • Soleil, B
  • vêprée C
  • pourprée, C
  • pareil. B

Les rimes sont suffisantes ou riches. Chaque rime plate est féminine. Les rimes embrassées sont composées d’une rime masculine qui encadre une rime féminine : ce schéma permet de montrer la protection qu’offre le poète à sa muse.

  • Soleil, masculine
  • vêprée féminine
  • pourprée, féminine
  • pareil. masculine

Le rythme du poème

Le rythme est assez lent : une seule phrase compose les première et dernière strophes. La strophe du milieu est quant à elle marquée par les exclamations et les interjections répétées « Las ! ». L’ensemble souligne une certaine langueur.

De même, l’utilisation des mêmes phonèmes « oir », placés à la rime, exprime les mêmes idées « choir » et « soir » : la fin de la floraison et celle de la journée.

Et même si cette thématique de la fin est présente tout au long du texte, Ronsard remonte aux origines de l’ode dans ce poème avec l’expression de l’art lyrique.

II - Lyrisme et sentiments

Un éloge lyrique

L’ode est un genre poétique lyrique qui se prête particulièrement bien à l’évocation de l’amour. Il permet d’exprimer la passion et les sentiments personnels en faisant l’éloge de l’être aimé. Vous aurez noté au passage que le mot « éloge » est masculin.

Par l’utilisation de la paronomase, c’est-à-dire le rapprochement de mots tels que « rose » et « robe », le poète compare sa belle à une fleur, sa beauté à celle de la Nature. Ainsi, il personnifie la rose en l’assimilant à Cassandre.

Le lyrisme est aussi empreint de la tragédie chère aux Grecs anciens. Il apparaît avec des interjections telles que la répétition de « las » qui signifie « hélas » et montre combien Ronsard est troublé et balbutiant.

Le « ô vraiment marâtre Nature » est l’apogée de la partie tragique du poème. Si on décompose cette expression, on notera l’interjection « ô » qui traduit une douleur vive, et le nom « marâtre », composé du suffixe « âtre » servant à déprécier le nom de mère (jaune > jaunâtre, doux > douçâtre…) associé au nom allégorique « Nature », le tout, renforcé par l’adverbe d’intensité « vraiment ».

Toutefois, la fin du poème, « cueillez, cueillez », est une invitation à ne pas se laisser submerger par cette promesse de l’âge et à profiter de l’amour, comme une solution apportée contre le temps qui passe.

La construction du lyrisme

Dans la première strophe, l’auteur se place immédiatement en tant qu’homme séduit. Les premiers mots sont une invitation à la promenade galante : « Allons voir si la rose ». Il rappelle également le symbolisme de la rose qui est celui de l’amour qui devient d’autant plus passionné que la fleur devient rouge, effet accentué par l’utilisation du nom « pourpre » et de l’adjectif « pourprée » qui renvoie à un rouge foncé.

Dans la première moitié de la deuxième strophe, Ronsard utilise des allitérations en « s » et des assonances en « a ».

  • Las ! voyez comme en peu d’espace,
  • Mignonne, elle a dessus la place,
  • Las, las, ses beautés laissé choir !

Ces sonorités ouvertes et traînantes (avec la sifflante) allongent le vers et renforcent l’idée de langueur et de mélancolie doucereuse. Il regrette que le temps passe si vite. Cette idée est corroborée par les allitérations en « t », « d » et « k » (occlusives) et en « r » et l’assonance en « u » sur la seconde moitié de la strophe, la rendant plus difficile à supporter.

  • Ô vraiment marâtre Nature,
  • Puisqu’une telle fleur ne dure
  • Que du matin jusques au soir !

Entre les deux dernières strophes, le poète amplifie le regret. D’amoureux passionné, il devient triste en constatant la fragilité de la vie. C’est pourquoi il l’encourage à profiter de la vie, tant qu’il est encore temps.

La beauté élégiaque de Cassandre

Ronsard file la métaphore : tout au long du poème, la belle Cassandre est comparée à une rose. Les champs lexicaux utilisés sont ceux en rapport avec la floraison « desclose », « ses beautés laissées choir » rappellent l’ouverture et la perte des pétales de la fleur.

Cette beauté est associée à la jeunesse à travers le verbe « fleuronne » : rappelons que Cassandre n’a que 14 ans. Elle est encore un bourgeon si l’on compare son âge à un stade de progression dans l’ouverture d’une fleur. Ronsard, qui a 21 ans, se sent vieux et se rend compte du temps qui passe et de la beauté qui s’enfuit. Il peut comparer la jeune fille aux autres femmes présentes au bal et qui sont bien plus vieilles qu’elle. L’éloge devient élégiaque : le lyrisme tend vers la plainte et les regrets. Ronsard rejoint alors son ami du Bellay, spécialiste du genre.

III - Un poème empreint de philosophie

Ronsard, héritier de la Grèce antique et de Pétrarque

Dans sa construction de l’éloge à Cassandre, Ronsard s’inspire directement de Pétrarque qui avait écrit une ode à son aimée et muse Laure de Sade. En reprenant l’interpellation directe « À Cassandre » et en réalisant la même analogie de la femme à la beauté de la nature, le poète de la Renaissance fait état de son inspiration venant XIVe siècle. Pétrarque a étudié l’Antiquité et était admiratif des cultures grecque et latine. Ronsard reprend à son compte les topoï de la poésie humaniste et utilise la divination de l’être aimé pour tenter de le séduire. Pétrarque fut lui aussi un amoureux malheureux, Laure aux blanches mains devenant l’épouse de Hugues II de Sade.

Ronsard est un humaniste

L’Humanisme est apparu en Italie au XIVe siècle avec le poète Pétrarque. Ce mouvement place l’être humain au centre de sa philosophie avec une spécificité religieuse. Cet aspect est abordé à maints détours dans le poème. Les « vêpres » désignent l’office religieux du soir ; le mot est à l’origine de « vesprée », utilisé ici par Ronsard. C’est sa manière de diviniser la femme aimée, de lui attribuer une dimension spirituelle en utilisant un mot venant rappeler les origines grecques de l’Humanisme.

De même, Ronsard personnifie la « Nature » et le « Soleil » qui illumine la jeune fille avec son « S » majuscule au milieu du vers. Cette allégorie n’est pas sans rappeler le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, long poème médiéval (XIIe siècle) et rêve allégorique de l’amour.

Mais Ronsard est aussi un épicurien

Cette philosophie transmise par le grec Horace au Ier siècle avant Jésus-Christ a pour précepte le « Carpe Diem », locution latine signifiant « cueille le jour ». Ronsard le reprend à son compte avec « Cueillez, cueillez votre jeunesse ». Il enjoint ainsi la belle à profiter du moment présent.

C’est la raison pour laquelle il emploie des impératifs : « cueillez », « allons », « voyez ». Le poète, plus âgé, se place en précepteur qui inculque la sagesse à son élève. Sagesse épicurienne qu’il renforce avec la métaphore filée de la rose : « sa robe de pourpre » désigne les pétales rouges, « son teint » représente la fraîcheur de la fleur, « ses beautés laissé choir » rappelle les pétales qui tombent, « votre âge fleuronne », « verte nouveauté » indique la fleur naissante…

Cassandre est invitée à profiter de la vie qui est courte : « Que du matin jusques au soir ! », comme si elle se terminait en une journée.

Conclusion

Ronsard est donc un poète aux influences grecques qui utilisait la divinisation de son aimée, à l’instar du père des humanistes, Pétrarque. Mais contrairement à ce dernier, l’ode appelle ici à l’épicurisme. Il invite à prendre le temps tel qu’il se présente.

Ce poème trouve un écho en 1578 avec le texte « Quand vous serez bien vieille » :

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

Quand vous serez bien vieille, Ronsard

Il se place cette fois du point de vue de la femme aimée (Hélène pour sonnet), toujours épicurien, mais désormais rassuré sur le fait que la poésie échappe aux outrages du temps et peut porter ses auteurs à la postérité.

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