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Pour leur bien, d’Amandine Prié : l’enfer et ses bonnes intentions

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Dans un premier roman immersif et bien mené, Amandine Prié lève le voile sur les ambiguïtés et les paradoxes des missions humanitaires. 

Inaya a huit ans. Orpheline, elle vit avec sa tante et ses cousines dans un village africain au cœur d’une région instable depuis des années. Petite fille aussi intrépide qu’attachante, elle « insiste parfois un peu trop, respecte rarement l’intimité, peut se montrer aussi tenace qu’une tique sur un chien, parle sans réserve, aime sans retenue ».

Les rebelles qui ont assassiné ses parents – et les familles de nombreux autres enfants – hantent encore la région de leurs « visages d’enfants et dégaines de soldats amateurs ». Au cœur de la terreur qu’ils font régner, Amandine Prié met l’accent sur les viols systématiques des femmes et des filles que commettent ces hommes qui « marchent vite, parlent fort, chantent faux, crachent et jurent ».

C’est dans ce contexte tumultueux qu’une association humanitaire propose au doyen du village d’Inaya de lui confier quelques enfants pour les scolariser. Le but est louable, et personne ne s’inquiète alors de la condition que posent « les Blancs » : ils ne peuvent prendre en charge que des orphelins. Que des enfants en parfaite santé, aussi ; et les plus jeunes possibles. Alors on s’organise, et on fait passer ses fils et ses filles pour des orphelins, en espérant ainsi leur offrir un avenir meilleur.

Pour leur bien est librement inspiré du scandale de l’Arche de Zoé, cette association humanitaire qui a tenté, en 2007, d’enlever des enfants tchadiens pour les faire adopter en France. La centaine d’enfants qui, avec Inaya, seront nourris, logés, instruits et soignés par l’association ne le seront donc pas sans contrepartie – loin de là. Mais loin des kidnappeurs sans scrupules qu’on pourrait imaginer, les responsables de l’association Une école, un avenir sont comme les parents qui leur ont menti : persuadés de bien faire.

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Les personnages complexes et complets d’Amandine Prié évoluent dans un monde dont l’autrice parvient avec brio à rendre la violence et les incompréhensibles compromis – mais aussi les quelques moments de répit que savent s’octroyer les enfants pour y survivre.

 Ils jouent. Ils repoussent aussi loin que possible ce dont ils ne veulent pas se saisir maintenant, la maladie, la mort et l’angoisse, la séparation et toutes les choses qu’ils sauront affronter lorsqu’ils l’auront décidé. 

Porté par une narration efficace et bien menée, Pour leur bien rend compte des multiples mécanismes de domination à l’œuvre dans les actions humanitaires : domination des adultes sur les enfants, des Blancs sur les Noirs, des hommes sur les femmes. Toujours à hauteur d’enfants, l’autrice emprunte efficacement les yeux d’Inaya pour les décrire – mais aussi pour, autant que possible, y résister.

Acheter le livre :

Pour leur bien, d’Amandine Prié, Éditions Les Pérégrines, 368 p., 20 €. En librairie depuis le 25/08/2022.

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Sophie Benard

Sophie Benard

De formation philosophique, Sophie Benard est désormais critique littéraire (Le Monde des livres) et journaliste (Slate, Les Inrocks).

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