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Le Château des Rentiers, d’Agnès Desarthe : se souvenir, imaginer, et vieillir

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Dans son lumineux et tendre Château des Rentiers, Agnès Desarthe se délecte ; aussi bien des souvenirs heureux que de la littérature elle-même, qui seule permet d’entremêler à loisir les temps, les lieux et les existences.

Dans L’éternel fiancé (L’Olivier, 2021), son dernier roman, Agnès Desarthe, s’amusait déjà des défaillances de la mémoire, dont elle comblait les manquements par l’imagination, la narration, la langue. Et de son propre aveu, la narratrice du Château des Rentiers n’a jamais eu beaucoup de mémoire non plus. Alors plutôt que de se lancer dans l’exploration linéaire du passé familial, du sien et de celui de ses grands-parents, elle choisit d’entremêler les temps et les époques. Car si la mémoire est incomplète, pourquoi ne pas lui faire traverser l’avenir aussi bien que le passé ? S’il y a des trous à colmater, des incohérences à corriger, l’imagination s’en chargera.

Et l’imagination, c’est précisément ce qui permet de transformer une tour « au cœur du secteur le plus laid du XIIIe arrondissement de Paris » en « château », et de faire des immigrés Juifs et communistes originaires d’Europe centrale que furent ses grands-parents, Boris et Tsila, des « rentiers ». Alors, depuis le souvenir du huitième étage de cette tour, Agnès se transporte — vers son enfance, vers celle de ses grands-parents, mais aussi vers sa propre vieillesse. Et s’il était possible d’imiter le phalanstère qu’avaient créé Boris et Tsila autour d’eux ? Et si elle était capable de penser une maison de retraite idéale, dans laquelle elle pourrait vieillir en communauté, entourée de ses amis ?

Parce que Boris et Tsila ont survécu au nazisme, au déracinement, à la pauvreté et aux deuils, leur souvenir apaise les craintes d’Agnès quant au grand-âge, car auprès d’eux, « vieux ne signifiait pas “bientôt mort“. Vieux signifiait “encore là“ » :

« Dans ce microcosme créé par de vieux Béssarabiens au cœur du XIIIe arrondissement de Paris, la mort était présente, c’était le limon. Mais elle n’était pas, comme elle l’est pour tout individu, l’issue inéluctable. La mort était ce à quoi ils avaient échappé. Elle était reléguée dans le passé. Quand j’allais manger du gâteau aux noix au Château des Rentiers, je croquais la génoise de l’immortalité. »

Agnès Desarthe prête ainsi sa plume malicieuse et tendre aux survivants du siècle dernier, mais aussi à nos ainés contemporains ; ces vieux et ces vieilles qui s’expriment en « chœur » au cœur de ce récit personnel. Résolument optimiste, Le château des rentiers impose l’évidence qu’on oublie souvent, autant par crainte que par ignorance : vieillir est avant tout une chance. Et loin de la solitude et du silence qui lui sont associé, la vieillesse redevient alors cet âge de la vie qu’il ne reste qu’à inventer. 

Acheter le livre :

Le Château des Rentiers, d’Agnès Desarthe, Éditions de l’Olivier, 224 p., 19,50 €. En librairie le 18/08/2023. Le trouver dans une librairie indépendante >

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Sophie Benard

Sophie Benard

De formation philosophique, Sophie Benard est désormais critique littéraire (Le Monde des livres) et journaliste (Slate, Les Inrocks).

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Sujets :  critique littéraire

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