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Arthur Rimbaud : vie et œuvre

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Portrait d'Arthur Rimbaud. Source : Wikimedia

Maintenant, je m’encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant. [...] Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens.

Dans cette lettre du 13 mai 1871, du jeune Arthur Rimbaud (il a 17 ans) à son professeur Georges Izambard – qui fait écho à la très renommée Lettre du voyant écrite deux jours plus tard à son ami Paul Demeny – se trouve condensée toute la vocation de « l’archange de la révolte », comme on le surnomme parfois. 

Toute sa vie durant, d’abord par le biais d’une poésie de plus en plus hallucinée, puis au cours de ses errances exploratrices et mercantiles en Afrique, Arthur Rimbaud va chercher à faire éclater les paroies entre le visible et l’invisible, le monde sensible et celui de l’inspiration, déraisonné, poussé par une soif insatiable de nouveauté, mais aussi, comme un mystique qui n’atteint jamais l’objet de sa foi, profondément torturé. 

Artur Rimbaud est un poète « absolu », comme le décrit Verlaine (« Absolus par l'imagination, absolus dans l'expression, absolus comme les Reys-Netos des meilleurs siècles », écrit-il dans son ouvrage au sujet de ses contemporains les « poètes maudits »). Héritier d’une culture classique, adulateur de l’harmonie grecque et de Racine, inspiré par Villon et Banville, parnassien à ses débuts, Rimbaud n’en est pas moins devenu un poète réformateur, zutique et insolent, et cheville cardinale entre le romantisme et le surréalisme.

Auteur incontournable d’une oeuvre poétique capitale, adolescent précoce et irrévérencieux, « petite crasse » (comme il se surnomme lui-même dans une de ses lettres à Verlaine) rêvant de Paris et de l’Europe, puis poète maudit et ami intime de Verlaine, mais aussi négociant d’Abyssinie, aventurier d’Aden et de Zanzibar – cette terre qui fut son ultime fantasme et qu’il n’attendra jamais –, Arthur Rimbaud a mené plusieurs vies à fond de train, jusqu’à finir estropié, battu, tragique. 

Celui que l’on a surnommé tour à tour « l’opéré vivant de la poésie », (Mallarmé), le « voyou », (Fondane), « l’ange de Charleville », (Claudel), « l’homme aux semelles de vent », (Verlaine), « le génie impatient », (H. Mondor),  le « surréaliste dans la pratique de la vie, et ailleurs », (Breton), « l’explorateur », « le marchand de fusils »,  ce « voyant » au tempérament enflammé, exerce toujours sur notre époque une grande fascination. 

Qui est Arthur Rimbaud ?

Dans les Ardennes, à Charleville, vit une famille de quatre enfants, élevés par une mère seule, Vitalie Rimbaud (née Cuif). Arthur est le second de la fratrie. 

Il naît le 20 octobre 1854. Son père, le capitaine Frédéric Rimbaud est rarement présent durant ses jeunes années. Après une ultime visite, à l’automne 1860, il disparaît de la vie du garçon, laissant ses enfants orphelins de père et sa femme veuve, de fait. 

Arthur est élevé par une mère catholique, autoritaire, à la dure (elle vient de la paysannerie). Il passe ses vacances dans la propriété familiale de Roche. En 1861, il est inscrit avec son frère à l’institut libre de Rossat où le jeune garçon révèle un esprit alerte et fin. 

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En 1865, Madame Rimbaud inscrit ses fils au collège de Charleville : Arthur est un élève qu’on peut qualifier de précoce (il collectionne des prix, notamment pour ses vers en latin) quoique peu docile et de caractère difficile et tapageur. En janvier 1870, il se lie d’amitié avec son professeur de rhétorique, Georges Izambard.

Entretemps, son génie poétique se fait déjà jour : dès l’âge de 14 ans, en janvier 1870, il parvient à se faire publier dans La Revue pour tous, un hebdomadaire parisien populaire, avec un poème intitulé Les Étrennes des orphelins

Quelques mois plus tard, il décide d’envoyer deux poèmes à Théodore de Banville qu’il admire, dans l’espoir de les voir publiés dans Le Parnasse contemporain. Il lui écrit : « C’est que j’aime tous les poètes, tous les bons Parnassiens – épris de beauté idéale ; c’est que j’aime en vous, bien naïvement, un descendant de Ronsard, un frère de nos maîtres de 1830, un vrai romantique, un vrai poète » (lettre du 24 mai 1870). Il ne reçoit cependant pas de réponse du poète Parnassien. 

Très vite, on découvre un Arthur de plus en plus révolté, contre le milieu dans lequel il évolue, contre la ville qu’il habite, contre toute forme d’autorité, surtout. Il semble déçu. Dans une lettre à son professeur, le 25 août 1870, il se dit « dépaysé, malade, furieux, bête, renversé ». 

Depuis qu’il a découvert les écrits de Verlaine, il ne rêve plus que d’une chose : rejoindre Paris. Ce qu’il fait exactement quatre jours après l’expédition de sa lettre. Il fugue donc pour Paris, mais est arrêté à gare du Nord sans billet, puis incarcéré à la prison de Mazas dans laquelle il passe dix jours avant d'être renvoyé à Charleville. Ce qui n’empêche en rien Arthur de poursuivre ses vagabondages, tant poétiques que voyageurs (il fuit jusqu’à Bruxelles en octobre 1870).

1871 est une année charnière dans la vie du poète : il écrit ses lettre du « voyant » (terme qu’il a découvert chez Balzac et dont il fera son credo), se rend à nouveau à Paris, puis se décide à envoyer plusieurs de ses poèmes à Verlaine (dont Le Bateau Ivre). Tentative qui porte ses fruits : Verlaine lui répond, et mieux encore, l’invite à le rejoindre : « Venez chère grande âme, on vous appelle, on vous attend », lui écrit-il. 

Aux alentours du 10 septembre 1871, Arthur Rimbaud débarque chez les Mauté de Fleurville, beaux-parents de Verlaine. C’est le début de l’aventure parisienne et d’une relation bouillonnante

Rimbaud et Verlaine

« À l’époque relativement lointaine de notre intimité, Arthur Rimbaud était un enfant de seize à dix-sept ans, déjà nanti de tout le bagage poétique », écrit Verlaine dans son essai Les Poètes maudits (1884), dans lequels il classe bien évidemment Rimbaud. Il en fait un portrait rapide : « L’homme était grand, bien bâti, presque athlétique, au visage parfaitement ovale d’ange en exil, avec des cheveux châtain-clair mal en ordre et des yeux d’un bleu pâle inquiétant ».

Grâce à Verlaine, Rimbaud découvre la capitale, ses troquets, ses bouges et ses cercles littéraires. Les deux camarades arpentent le Quartier latin et le Boul’ Mich’, fréquentent les Zutiques, un rassemblement de poètes dérivés de celui des Vilains Bonshommes (qu’ils fréquentent aussi), formé autour des poètes comme Charles Cros, Léon Valade ou Ernest Cabaner. 

Ils s'appellent les « zutiques » pour la simple et bonne raison qu’ils disent « zut » à tout : à la société, à la guerre qui vient de se terminer, mais aussi et surtout au Parnasse et à sa recherche de l’art pur, à François Coppée (la poésie de Rimbaud se détache à ce moment-là du mouvement parnassien duquel il s'inspirait jusqu'alors). 

Ernest Cabaner (que Rimbaud surnomme « Tronche » et que Verlaine décrit comme « Jésus-Christ après trois ans d’absinthe ») est aussi pianiste : il loge Rimbaud un temps, et lui apprend à jouer du piano en associant les touches à des voyelles et à des couleurs, ce qui inspire à Arthur son poème synesthésique « Voyelles ».

L’année 1872 marque l’apogée de la relation entre Verlaine et Rimbaud : à suivre de près les événements, on appréhende plus étroitement les caractères des deux hommes. Le 13 janvier, Verlaine, en proie à l’ivresse, manque d’étrangler sa femme Mathilde à l’issue d’une violente scène de ménage, cette dernière se réfugie chez ses parents à Périgueux. 

Le 2 mars, lors d’une réunion aux Vilains-Bonshommes, Rimbaud blesse Carjat (photographe et caricaturiste) avec une épée à l’issue de quoi Verlaine doit faire face à l’irritation croissante des membres du cercle qui supportent de moins en moins le comportement et les excentricités du Rimbaud. 

Le 15 mars, Mathilde rentre à Paris et reprend sa vie commune avec Verlaine. Entretemps, Rimbaud s’exile à Charleville, écume les bars en compagnie de son ami Delahaye. Le 9 mai, de retour à Paris, il taillade les cuisses et poignets de Verlaine lors d’un jeu, cruel et méchant (Charles Cros, présent, raconte la scène). 

En juin, Verlaine menace à nouveau sa femme (avec un couteau, au restaurant) et déserte régulièrement le foyer. C’est au cours du même mois que Rimbaud écrit la célèbre lettre Jumphe 1872 à Delahaye, dans laquelle il déclare : « Vive l'académie d'Absomphe, malgré la mauvaise volonté des garçons ! C'est le plus délicat et le plus tremblant des habits, que l'ivresse par la vertu de cette sauge des glaciers, l'absomphe ! Mais pour, après, se coucher dans la merde ! » – il fait ici référence à ses saouleries à « l’Académie d’absinthe », la taverne Pellorier (le néologisme « absomphe », comme celui d’Ardomphes pour les Ardennes, vient de la volonté de faire rimer des termes français avec le mot « triomphe » qui ne rime normalement avec aucun autre mot dans la langue française). 

Désormais, l’amitié exaltée entre Verlaine et Rimbaud s’est muée en relation amoureuse et passionnelle. Le 7 juillet 1872, Verlaine quitte femme (Mathilde Mauté) et enfant (son fils Georges) et s’installe avec Rimbaud à Bruxelles, puis Londres (« Leun’deun », comme il l’appelle) en septembre de la même année. Rimbaud a alors 18 ans. Verlaine, 28. 

La suite de leur relation est houleuse et faite de vagabondages, de séparations violentes et de retrouvailles. Elle atteint un point de non retour à Bruxelles, en juillet 1873. Le 10 juillet, après que Rimbaud a rejoint son amant qui l’avait fui à la suite d’une dispute, Verlaine lui tire dessus et le blesse à l’avant-bras gauche. Il sera condamné à deux ans de prison. 

Bien que les deux poètes finissent par se séparer après ce tragique épisode bruxellois, leur lien ne s’est jamais tout à fait rompu et ils ont continué à s’écrire régulièrement. Bien plus tard, en 1887, on dit Rimbaud mort. Verlaine, en apprenant la (fausse) nouvelle, compose l’un des plus beaux et vibrants hommages de la poésie française : Laeti et errabundi (1889), dont voici un extrait : 

[...] On vous dit mort, vous. Que le Diable
Emporte avec qui la colporte
La nouvelle irrémédiable
Qui vient ainsi battre ma porte !
Je n'y veux rien croire. Mort, vous,
Toi, dieu parmi les demi-dieux !
Ceux qui le disent sont des fous.
Mort, mon grand péché radieux…

Revenons à l’année 1873. Rimbaud a commencé à écrire les poèmes qu’il rassemble plus tard sous le titre Illuminations (ensemble de proses et vers libres écrits entre 1872 et 1875, mais publié seulement en 1886), mais surtout, de retour à Roche, il compose pour son autre recueil : Une saison en enfer, qu’il fait publier la même année, à compte d’auteur, à Bruxelles. 

Lors des deux années qui suivent, la vocation poétique de Rimbaud prend un tournant radical : ses connaissances de Paris lui tourne le dos, il erre entre Londres, Stuttgart, Milan et Livourne, et sa sœur, Vitalie, meurt le 18 décembre 1875. Rimbaud a 20 ans, il renonce à la création littéraire. 

On perçoit déjà une forme de dégoût de soi dans Une saison en enfer : « J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges » (Délires II, Alchimie du verbe). Il a soif d’une vie plus large, de se dérober à lui-même, au point que ses proches ne le reconnaissent plus. Dans une lettre à Paul Verlaine, en juillet 1878, Ernest Delahaye (l’ancien camarade de Rimbaud de l’école de Charleville) écrit : « L’homme aux semelles de vent est décidément lavé. Rien de rien. » 

Cet homme, ce « Je » devenu vraisemblablement « autre », annonçait déjà son départ dans ses derniers poèmes : « Ma journée est faite. Je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons, les climats perdus me tanneront » (Une saison en enfer). Rimbaud le poète du Boul’ Mich’ est mort, laissant la place à Rimbald le marin, (c’est ainsi que l’appelle son compère Germain Nouveau), pour lequel la littérature est chose vaine et inutile.

Les dernières années, d’Aden à Marseille

En 1876, il se rend en Italie et à Batavia (capitale des Indes néerlandaises, aujourd’hui Jakarta, capitale de l’Indonésie), il y déserte l’armée coloniale hollandaise dans laquelle il s’était engagé, puis il part à Vienne en 1877, et enfin en Suède et au Danemark. 

En août 1880, il se fixe à Aden, au sud de la péninsule arabique. Il y signe un contrat avec une compagnie de commerce de peaux. De 1881 à 1890, il est envoyé à Harar, où il se convertit en commerçant d’armes (notamment avec le roi d’Éthiopie Ménélik II, en Abyssinie). 

Le 8 mai 1891, atteint d’une tumeur cancéreuse au genou droit, il rentre en France se faire soigner à Marseille. Il doit se faire amputer la jambe droite. Après une rapide convalescence dans les Ardennes, auprès de sa sœur, il retourne à Marseille. Il ne cesse de parler de Harar. 

En août 1887, il rêvait de Zanzibar (comme Conrad, et Kessel après lui) : « Peut-être irai-je à Zanzibar, d'où l'on peut faire de longs voyages en Afrique... ». Il ne verra jamais l’île aux épices : il meurt le 10 novembre 1891 à l’hôpital de la Conception (Marseille). En 1886, son recueil Illuminations avait été publié, et sa poésie commençait à être reconnue.

L’oeuvre de Rimbaud

Le meilleur critique littéraire de Rimbaud est certainement son contemporain Verlaine, qui le connaît mieux que personne. Voici ce qu’il écrit de Rimbaud en guise d’introduction de son oeuvre dans Les Poètes maudits : 

L'œuvre de Rimbaud, remontant à la période de son extrême jeunesse, c’est-à-dire 1869, 70, 71, est assez abondante et formerait un volume respectable. Elle se compose de poèmes généralement courts, de sonnets, triolets, pièces en strophes de quatre, cinq et de six vers. Le poète n’emploie jamais la rime plate. Son vers, solidement campé, use rarement d’artifices. Peu de césures libertines, moins encore de rejets. Le choix des mots est toujours exquis, quelquefois pédant à dessein. La langue est nette et reste claire quand l’idée se fonce ou que le sens s’obscurcit. Rimes très honorables.

Verlaine en donne pour exemple le poème Voyelles (poème publié en 1883), exemple type de la déstructuration des phrases et du rythme amorcé par le jeune poète, à la recherche d’une forme libérée : « A noir, E blanc, 1 rouge, U vert, 0 bleu, voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes. » 

Les oeuvres précoces 

La première ébauche poétique de Rimbaud est une ode latine rédigée en 1868. En 1870, il écrit Les Étrennes des orphelins, premier poème en français publié (dans La Revue pour tous, un hebdomadaire parisien populaire de l’époque). Il a 16 ans. 

Le style rimbaldien des débuts est somme toute inspiré des classiques et des derniers romantiques ou Parnassiens : il puise chez Victor Hugo, Coppée, Villon… 

Dans sa lettre de 1871 à Paul Demeny, il écrit : « Voici de la prose sur l’avenir de la poésie -Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque ; Vie harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — moyen-âge, — il y a des lettrés, des versificateurs. D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans ! »

Ce fervent admirateur de Théodore de Banville et du Parnasse lors de son tâtonnement poétique n’en reste pas moins un éternel contestataire de l’ordre des choses. Ce qui le pousse, en arrivant à Paris, à intégrer les Zutiques et le cercle des Vilains Bonshommes.

Rimbaud l’insolent

Avec son arrivée à Paris et son introduction aux cercles littéraires que fréquentent Verlaine, Charles Cros, Albert Mérat, Rimbaud s’éloigne de l’orbite et de l’influence du Parnasse. Au point de moquer toute la clique des disciples de Théophile Gautier et de « l’art pour l’art » en prenant part à la rédaction de l’Album Zutique, assemblage de poèmes parodiques et obscènes destiné à moquer les Parnassiens. 

L’indépendance stylistique de Rimbaud, nourrie par l’opium, l’alcool et ses incessants vagabondages, déjà présente dans Une saison en enfer (1873) atteint son sommet dans les proses et vers libres du recueil Illuminations (1886). 

La révolution poétique de Rimbaud puise dans l’imaginaire et les expériences sensitives. Mallarmé, que Verlaine classe lui aussi dans le club des Poètes maudits (aux côtés de Tristan Corbière, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l'Isle-Adam et Pauvre Lélian), dit du jeune poète qu’il est « ravagé violemment par la littérature ». 

Il le décrit dans « le pire désarroi, après les lentes heures studieuses aux bibliothèques, aux bancs, cette fois maître d’une expression certaine prématurée, intense, l’excitant à des sujets inouïs, — en quête aussitôt de “sensations neuves” insistait-il “pas connues” et il se flattait de les rencontrer en le bazar d’illusion des cités, vite vulgaire ; mais, qui livre au démon adolescent, un soir, comme éclair nuptial, quelque vision grandiose et fictive continuée, ensuite, par la seule ivrognerie. » 

Le poème « Aube », publié dans Illuminations, est ainsi le récit d’une rêverie, d’un itinéraire onirique, d’une rencontre fantastique : 

 J’ai embrassé l’aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Dans Une saison en enfer, le ton est plus tourmenté, tortueux. Le projet frôle l’autobiographie, celle d’un poète qui rencontre la désillusion (« Je parvins à faire s’évanouir de mon esprit toute l’espérance humaine », dit-il dans le prologue), mais interroge aussi sur le langage et l’écriture comme moyens de se dépasser, de transcender les limites physiques de la réalité, de s’extraire de sa condition (un topos ensuite récupéré par les surréalistes, menés par André Breton). 

La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe. Je m’habituai à l’hallucination simple : je voyais très-franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d’un lac ; les monstres, les mystères ; un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi. Puis j’expliquai mes sophismes magiques avec l’hallucination des mots ! Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit.

Une saison en enfer, « Délire II, Alchimie du Verbe »

Alors Rimbaud halluciné, c’est certain. Mais Rimbaud touché par la grâce ? Rimbaud mystique ? Certains décryptent les aspirations spirituelles de Rimbaud comme un appel à l’aide à la puissance divine, un pressant besoin d’au-delà et de métaphysique. Verlaine le premier tente (sans succès) de convertir Rimbaud, lorsqu’il sort de prison en 1875 et rejoint son ancien amant à Stuttgart. Le Rimbe lui rit au nez. L’irrévérence est son unique réponse, même lorsqu’il s’agit de Dieu.

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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