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Le registre réaliste

Définition du registre réaliste

Le registre réaliste est un registre littéraire qui désigne les textes qui s’inspirent de la réalité. Les situations et les personnages sont authentiques, proches de l’univers du lecteur. Le but du registre est de crédibiliser le récit en lui donnant une dimension concrète, voire familière.

Ainsi, le lecteur peut facilement s’identifier aux personnages en retrouvant des éléments ordinaires qui, selon son expérience de vie, font parfois partie de son vécu ou de son quotidien.

Germinal est un roman réaliste qui fait partie de l’œuvre des Rougon-Macquart dans laquelle Émile Zola raconte « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous Second Empire ». Dans cet ouvrage qui a pour thème la lutte des classes et la révolte sociale, l’auteur décrit de manière très explicite la dureté des conditions de travail des mineurs de fond. Il dénonce la réalité de l’environnement hostile à laquelle la classe ouvrière et notamment le jeune Étienne Lantier, doit faire face.  

Nous pouvons citer ce passage réaliste et raconté avec une extrême précision, extrait du chapitre 3, au cours duquel le narrateur explique le fonctionnement de la mine quand les ouvriers descendent à plus de cinq-cents mètres de profondeur. 

Dès quatre heures, la descente des ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la main, attendant par petits groupes d'être en nombre suffisant. Sans un bruit, d'un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du noir, se calait sur les verrous, avec ses quatre étages contenant chacun deux berlines pleines de charbon. Des moulineurs, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à l'avance des bois de taille. Et c'était dans les berlines vides que s'empilaient les ouvriers, cinq par cinq, jusqu'à quarante d'un coup, lorsqu'ils tenaient toutes les cases. Un ordre partait du porte-voix, un beuglement sourd et indistinct, pendant qu'on tirait quatre fois la corde du signal d'en bas, "sonnant à la viande", pour prévenir de ce chargement de chair humaine. Puis, après un léger sursaut, la cage plongeait silencieuse, tombait comme une pierre, ne laissait derrière elle que la fuite vibrante du câble.

Émile Zola, Germinal 

Contrairement aux registres merveilleux ou fantastique, les récits appartenant au registre réaliste ne font pas appel à l’imaginaire et ne valorisent pas des héros ou des créatures divines dotés de pouvoirs surnaturels. Il s’agit simplement de retranscrire au mieux la réalité telle qu’elle est, sans forcément conclure l’histoire avec une morale.

Le registre réaliste, utilisé dans le cadre du mouvement littéraire du réalisme, est surtout représenté au XIXe siècle par des auteurs tels que Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Émile Zola et Guy de Maupassant, qui souhaitent représenter la société sous toutes ses formes. 

Quels sont les procédés d’écriture du registre réaliste utilisés par ces auteurs pour retranscrire au mieux la réalité afin que le lecteur ait une impression de vérité ?

Procédés et thèmes du registre réaliste

Au travers des personnages, tous issus d’un univers réaliste, et des sujets s’appuyant sur des faits réels, le registre réaliste permet d’aborder des sujets variés autour de la société et des individus, la représentation de la réalité humaine et sociale. On retrouve généralement des lieux et thématiques du quotidien dans lesquels le lecteur s’identifie : le travail, la famille et les évènements familiaux, les soucis domestiques, la maladie, la vieillesse…

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Le souci du détail dans le registre réaliste

Grâce à l’usage d’un lexique très explicite et un langage familier, les auteurs du registre réaliste multiplient les détails pour que leurs récits soient au plus proche de la réalité. Ils se documentent énormément sur les différents sujets pour fournir des éléments d’une extrême précision et créer une ambiance « vraie ».

Qu’il s’agisse de la description d’un lieu de vie, de travail ou d’un personnage, l’auteur apporte une attention particulière à présenter un cadre réaliste très imagé, dans un ton neutre, structuré dans l’espace et le temps. De même, les objets sont minutieusement décrits, autant sur la forme que sur le volume et la matière.

Le passage qui suit représente l’incipit du roman Thérèse Raquin d’Émile Zola. Le lecteur est aussitôt plongé dans une ambiance réaliste grâce à une description du décor de la ville mais aussi de l’époque et du milieu social dans lequel évolue le personnage principal. 

Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu’on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus ; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre ; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse. Par les beaux jours d’été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d’hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble. À gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau. Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d’enfant, des cartonniers, dont les étalages gris de poussière dorment vaguement dans l’ombre ; les vitrines, faites de petits carreaux, moirent étrangement les marchandises de reflets verdâtres ; au-delà, derrière les étalages, les boutiques pleines de ténèbres sont autant de trous lugubres dans lesquels s’agitent des formes bizarres. À droite, sur toute la longueur du passage, s’étend une muraille contre laquelle les boutiquiers d’en face ont plaqué d’étroites armoires ; des objets sans nom, des marchandises oubliées là depuis vingt ans s’y étalent le long de minces planches peintes d’une horrible couleur brune. Une marchande de bijoux faux s’est établie dans une des armoires ; elle y vend des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de velours bleu, au fond d’une boîte en acajou. Au-dessus du vitrage, la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme couverte d’une lèpre et toute couturée de cicatrices.

Thérèse Raquin, Émile Zola

Pour retranscrire au mieux la réalité, les auteurs emploient des figures d’analogie comme des comparaisons et des métaphores afin que le lecteur puisse avoir une idée très précise de chaque élément du récit, et peut-être s’identifier aux personnages.

Des personnages ordinaires dans le registre réaliste

Dans les récits réalistes figurent des personnages ordinaires issus de milieux sociaux différents et de catégories socio-professionnelles variées. Parmi les personnages qui ont marqué les récits réalistes des auteurs du XIXe siècle, on peut citer le docteur Charles Bovary ou le jeune bourgeois de très bonne éducation Frédéric Moreau, apparaissant dans les romans de Gustave Flaubert. 

D’autres personnages ont illustré les œuvres du registre réaliste : Étienne Lantier, ouvrier de Germinal engagé dans la crise industrielle ; Vautrin, un forçat évadé dont Honoré de Balzac dresse un portrait très détaillé dans l’extrait qui suit :  

Entre ces deux personnages et les autres, Vautrin, l'homme de quarante ans, à favoris peints, servait de transition. Il était un de ces gens dont le peuple dit : Voilà un fameux gaillard ! Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d'un roux ardent. Sa figure, rayée par des rides prématurées, offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes. Sa voix de basse-taille, en harmonie avec sa grosse gaieté, ne déplaisait point. Il était obligeant et rieur. Si quelque serrure allait mal, il l'avait bientôt démontée, rafistolée, huilée, limée, remontée, en disant : Ça me connaît. " Il connaissait tout d'ailleurs, les vaisseaux, la mer, la France, l'étranger, les affaires, les hommes, les événements, les lois, les hôtels et les prisons.

Honoré de Balzac, Le Père Goriot

Loin des fées et autres créatures extraordinaires des contes imaginaires, les personnages du registre réaliste sont banals et ordinaires, aspirent à un bonheur simple, ne connaissent pas que des succès et subissent des épreuves difficiles. Ils évoluent dans des lieux authentiques, représentant souvent l’univers quotidien du lecteur.

Exemples de textes issus du registre réaliste

Nous vous livrons quelques exemples complémentaires où les longues descriptions retranscrivent la réalité du récit.

L’ extrait qui suit de Madame Bovary détaille méthodiquement les pièces de la ferme des Bertaux. Le lecteur peut donc ressentir une dimension réaliste dans ce récit qui raconte la première rencontre entre Mr Bovary et la future Mme Bovary.

Charles descendit dans la salle, au rez-de-chaussée. Deux couverts, avec des timbales d’argent, y étaient mis sur une petite table, au pied d’un grand lit à baldaquin revêtu d’une indienne à personnages représentant des Turcs. On sentait une odeur d’iris et de draps humides, qui s’échappait de la haute armoire en bois de chêne, faisant face à la fenêtre. Par terre, dans les angles, étaient rangés, debout, des sacs de blé. C’était le trop-plein du grenier proche, où l’on montait par trois marches de pierre. Il y avait, pour décorer l’appartement, accrochée à un clou, au milieu du mur dont la peinture verte s’écaillait sous le salpêtre, une tête de Minerve au crayon noir, encadrée de dorure, et qui portait au bas, écrit en lettres gothiques : « À mon cher papa. »

Gustave Flaubert, Mme Bovary

La nouvelle réaliste Boule de suif de Guy de Maupassant retrace l’histoire ignoble d’une jeune fille prostituée pendant la guerre franco-prussienne au XIXe siècle, qui prend la diligence de Dieppe pour fuir l’occupation. Cette dernière subit une terrible pression de la part des neuf autres voyageurs malveillants à son égard. Ces personnages sont issus de diverses classes sociales (commerçants, nobles, bourgeois, religieuses et démocrates). 

Outre le lexique des sens, caractéristique du registre réaliste, employé par Maupassant dans cette nouvelle, de nombreuses descriptions minutieuses au court du récit présentent de manière très précise les personnages et les lieux connus bien réels.

Elle est petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses, avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait plaisir à voir. Sa figure était une pomme pivoine prêt à fleurir, et là-dedans s’ouvraient, en haut, deux yeux noirs magnifiques, ombragés de grands cils épais qui mettaient une ombre dedans ; en bas, une bouche charmante, étroite, humide pour le baiser, meublée de quenottes luisantes et microscopiques.

Guy de Maupassant, Boule de suif

Consultez notre guide complet des registres littéraires

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Natacha Lovato

Natacha Lovato

Natacha Lovato rédige pour La langue française des articles autour de la linguistique, la littérature et les expressions. Passionnée par la langue française, elle s'est aujourd'hui spécialisée dans la communication écrite afin de transmettre ses connaissances. Elle est aussi gérante d'un organisme de formation dédié à la communication écrite, et accompagne les adultes pour des remises à niveaux en français afin de perfectionner leurs écrits professionnels.

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Sujets :  registre littéraire

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Commentaires

Marguerite

Merci beaucoup de vous êtes donné la peine de rédiger ce texte, je n'avais pas encore vraiment fait d'études dans ce sens et vous expliquez bien, avec des exemples, c'est super ! Du coup, ça me donne envie de consulter votre guide complet des registres littéraires !

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La langue française Premium

Marguerite,
Merci, n'hésitez pas à lire nos autres articles de la catégorie littérature !

Nicolas

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