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Le roitelet, de Jean-François Beauchemin : la littérature en majesté

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Jean-François Beauchemin sait son métier d’écrivain comme peu de ceux qui l’endossent ; avec la précision et l’émotion qui permettent l’émergence du sublime, il consigne les « moments de grâce où le temps s’arrête, dirait-on, et laisse sa place à quelque chose du plus matériel, de plus humainement saisissable, et de moins cruel »

Mais l’auteur, dont la plume a déjà été récompensée de plusieurs prix littéraires, sait aussi la puissance que charrient les mots. Il sait que ce sont eux qui « donnent sa forme à l’esprit » - et manie les siens en conséquence, avec prudence et délicatesse. Frugal, il offre ainsi à son texte la forme d’une collection d’instantanés bouleversants, glanés entre les souvenirs et la quotidienneté.

Le vingt-troisième ouvrage du québécois Jean-François Beauchemin sonde la vie ordinaire d’un narrateur écrivain et la relation infiniment tendre qui l’unit à son frère souffrant. Dès l’enfance, le narrateur perçoit chez son frère cadet l’ombre d’ « une menace, d’un traumatisme naissant ». Alors que l’ « esprit morcelé » du jeune homme se charge de chagrin et menace de se perdre en chemin, le diagnostic s’impose : « schizophrénie pseudo-névrotique avec pensées obsédantes ».

Au début, ça ressemblait à de la mélancolie. Puis c’est devenu plus sérieux, et mon frère a commencé à se comporter bizarrement, comme si sa personnalité peu à peu se disloquait. Ça n’était pas la simple érosion, normale, que le passage du temps finit toujours par imposer au caractère et aux habitudes. C’était une authentique dislocation en ce sens que son esprit paraissait séparer les uns des autres ses propres éléments autrefois bien emboîtés.

C’est ainsi que ce frère qu’il ne cessera d’apprivoiser et d’accompagner se révèle alors roitelet, aussi bien « oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échapperaient par le haut de la tête » et « roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères »

Aussi raffinée que perspicace, l’écriture pudique de Jean-François Beauchemin s’émerveille et s’étonne – du temps qui passe, de la nature, de la puissance des liens qui nous unissent à celles et ceux qu’on aime.

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Les courts chapitres qui composent Le roitelet se succèdent ainsi comme tout autant de méditations sur la vieillesse, la mort, l’enfance, les liens familiaux, l’esprit, le corps. Jamais la contemplation, jamais la tendresse, jamais la beauté ne se laissent menacer par la violence – ni par celle des diagnostics ni par celle des actes.

Et, alors que se déploie la sollicitude tranquille du narrateur, Jean-François Beauchemin offre à la littérature ce qu’elle fait de plus grand ; des lignes d’une bouleversante beauté, certes, mais surtout des lignes qui consolent.

Acheter le livre :

Le roitelet, de Jean-François Beauchemin, Québec Amérique, 144 p., 16 €. En librairie le 18/01/2023. Trouver un libraire >

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Sophie Benard

Sophie Benard

De formation philosophique, Sophie Benard est désormais critique littéraire (Le Monde des livres) et journaliste (Slate, Les Inrocks).

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Sujets :  critique littéraire

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