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Préposition « sur » : vers un nouveau possible de la langue ?

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Tel Rastignac dont le regard domine Paris depuis la partie élevée du cimetière où le père Goriot est enterré, il semblerait que notre vision de la ville se fasse surplombante tant il devient ordinaire de dire « je suis sur Paris », « je rentre sur Bordeaux » ou « je travaille sur Nantes » et d’enclore ainsi toute une ville dans un même geste, au moyen de la simple préposition « sur ».

Devenue récurrente dans nos discours de tous les jours, cette préposition recouvre désormais de nombreux emplois encore inconcevables il y a quelques décennies. I

l y a d’abord cet emploi que l’on pourrait dire « locatif » : la préposition est liée à un verbe d’état, statique, et peut aussi bien désigner le lieu où l’on se trouve que le lieu où l’on se rend : je passe le week-end sur Lyon. Il y a ensuite un emploi plus diffus qui se fait entendre dans des contextes divers, mais qui gravite particulièrement autour du champ lexical de la gastronomie et de l’œnologie.

La linguiste Julie Neveux dans Je parle comme je suis cite en exemple : « vous êtes sur un blanc très minéral et un produit très naturel ». Si le phénomène est loin de s’estomper, le dictionnaire Le Robert ainsi que l’Académie française n’en démordent pas : il s’agit bien là d’un emploi fautif. Mais alors, comment expliquer cette sur-abondance ?

Il faut pour ce faire revenir aux racines du français. En latin déjà, trois formes cohabitent pour signifier les sens que va par la suite synthétiser « sur ». Supra désigne surtout « la partie supérieure », sursum indique un mouvement vers le haut, tandis que, plus utilisé, super, ramasse ces sens tout en pouvant signifier « à propos de » – comme dans « je travaille sur cette préposition ».

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Jusqu’au XVIIe siècle, la préposition suit une histoire paisible, en compagnie de « sus » (« Sus aux envahisseurs ! ») qui quant à lui disparaît progressivement. Au tournant du XIXe siècle, « sur » est massivement employé.

Julie Neveux avance le nom d’un possible responsable, un certain Emile Zola qui « multiplie dans la Débâcle les constructions verbales dynamiques et militaires où « sur » suit un verbe plus ou moins conquérant, comme marcher sur Paris ». On pense également au Mémorial de Sainte-Hélène où cette expression revient à de nombreuses reprises. Mais c’est surtout dans la seconde moitié du XXe siècle qu’on date le début de l’expansion de « sur ». Ainsi dès 1951, René Georgin constatait que « le royaume de sur est en train de s’étendre », charriant avec lui des significations inédites.

En effet, à force d’être employée, la préposition s’enrichit de sens nouveaux. Ainsi, dans les emplois que nous avons qualifiés de « locatifs », « sur » pourrait représenter un espace plus vaste que la traditionnelle préposition « à » ; « j’habite sur Paris » désignerait alors l’ensemble de la région parisienne.

En ce qui concerne les usages plus diffus de la préposition, Julie Neveux parle d’une « posture d’expert » renvoyant à la « posture conquérante » que connotent des expressions comme « marcher sur ». Grâce à cette préposition, le locuteur se représente comme au-dessus de son sujet, le maîtrisant totalement. Ainsi, énoncer qu’on « travaille sur un gros dossier » permet non seulement d’insister sur l’étendue de la tâche qui nous incombe, mais aussi et surtout de se représenter en train de surmonter cette charge de travail.  

« Aujourd’hui superfétatoires, demain incontournables » pour reprendre la belle formule de Michel Francard, les emplois de « sur » illustrent toute la force polysémique dont regorgent certaines prépositions de la langue française. Neutres en apparence, elles se colorent de sens nouveaux au gré des occurrences, et seul l’usage nous dira s’il s’agit là d’un simple tic passager, ou d’un nouveau possible de la langue.

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