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Aposiopèse – Figure de style [définition et exemples]

Définition de l'aposiopèse

L'aposiopèse est une figure de style qui consiste à interrompre la construction attendue d’une phrase, d'un récit ou d'un énoncé. La syntaxe et le sens de la phrase sont alors affectés, laissant au lecteur la possibilité d'imaginer la suite.

Très employée dans les dialogues au théâtre et dans les énoncés lyriques, l’aposiopèse se caractérise la plupart du temps par des points de suspension dans le discours, qui retiennent l’attention du lecteur en entretenant le suspens. La phrase est commencée mais reste inachevée, révélant parfois une allusion.

Par exemple, le personnage Agnès de l’École des femmes, hésite à se dévoiler et laisse planer un certain mystère, à la fin de chacune de ses interventions :

Arnolphe
Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose ?
(La voyant interdite.)
Ouf !

Agnès
Eh ! il m'a…

Arnolphe
Quoi ?

Agnès
Pris…

Arnolphe
Euh ?


Agnès
Le…


Arnolphe
Plaît-il ?

Agnès
Je n'ose,

Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.

[…]

Arnolphe 
Ma foi, soit.

Agnès
Il m’a pris… Vous serez en colère

Arnolphe
Non.

Agnès
Si.

Molière, L’école des femmes

Daniel Bergez, Violaine Géraud et Jean Jacques Robrieux, dans leur Vocabulaire de l’analyse littéraire, précisent que « l'aposiopèse institue une sorte de connivence entre auteur, narrateur et lecteur, et qui s’applique souvent aux dialogues et aux monologues intérieurs. »

Aposiopèse et réticence

L'aposiopèse se rapproche de la réticence, figure de style définie comme l’interruption d’une phrase sans achever sa pensée. Le terme réticence vient du latin reticere, composé de tacere, « se taire » et désigne l’action de ne pas dire quelque chose, de le garder pour soi.

Quant au terme aposiopèse, il provient du grec ἀποσιώπησις/aposiôpêsis, signifiant « action de s'interrompre en parlant ou de cesser de parler, silence » 

Pierre Fontanier précise dans ses Figures du discours que « la Réticence consiste à s’interrompre et à s’arrêter tout-à-coup dans le cours d’une phrase, pour faire entendre par le peu qu’on a dit, et avec le secours des circonstances, ce qu’on affecte de supprimer, et même souvent beaucoup au-delà. Combien cette figure, employée à-propos, l’emporte sur tout ce que la parole pourrait avoir de plus éloquent ! En faisant naître les pensées en foule dans l’esprit, elle affecte le cœur d’une manière vive et profonde. »

La réticence permet d’exprimer des pensées et des émotions sans les prononcer et ce, volontairement. Comme par exemple, dans ces extraits de L’éducation sentimentale, où Louise, amoureuse de Frédéric, feint de cacher ses sentiments  : 

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— Votre père vous aime, pourtant !
—Oui ; mais…
Elle poussa un soupir, qui signifiait : « Cela ne suffit pas à mon bonheur » 
[…] « Catherine m’a prévenu que tu avais quelque chose … »
—«  Oui, c’est vrai ! je voulais vous dire… »
Ce vous l’étonna ; et, comme elle se taisait encore :
—« Eh bien, quoi ? »
—« Je ne sais plus. J’ai oublié ! Est-ce vrai que vous partez ? »

Gustave de Flaubert, L’éducation sentimentale

Selon Nicolas Ricalens-Piurchot, auteur du Lexique des figures de style, la réticence consiste en une phrase commencée et « brusquement interrompue et remplacée par un silence pour des raisons psychologiques (…). Après le silence, le discours reprend soit avec un jugement ou une observation sur la situation, soit avec une conclusion, mails il n’y a pas de digression comme dans l’aposiopèse. »

Exemples d'aposiopèses

À mon arrivée au logis, aux premiers mots que je balbutiai, Pauline m’interrompit en disant : — Si vous n’avez pas de monnaie… Ah ! la musique de Rossini n’était rien auprès de ces paroles. Mais revenons aux Funambules.

Balzac, La Peau de chagrin

Osez-vous, sans ma permission, ô vous, bouleverser le ciel et la terre et soulever de telles masses ? J’ai envie de vous… ! Mais il faut d’abord apaiser les flots déchaînés…

Virgile, L’énéïde

Je me dis : « Là était le bonheur peut-être ; cependant… »

Gérard de Nerval, Les filles du feu

Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J'aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J'aime…

Racine, Phèdre

Moi dont vous connaissez le trouble et le tourment
Quand vous ne me quittez que pour quelque moment,
Moi, qui mourrais le jour qu'on voudrait m'interdire
De vous…

Bérénice, Racine

Lisette :
 — Ah ! Tirez-moi d’inquiétude. En un mot, qui êtes-vous ?

Arlequin :
—Je suis… N’avez-vous jamais vu de fausse monnaie ? savez-vous ce que c’est qu’un louis d’or faux ? Eh bien, je ressemble assez à cela.

 Marivaux, Le Jeu de l’amour et du hasard

Comprenait-il donc, ce condamné, et que du fond de mon avenir... J'étouffais en criant tout ceci.

Albert Camus, L’étranger

La déclaration est tout à fait galante :
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil dessein.
Un dévot comme vous, et que partout on nomme…

Molière, Tartuffe

Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
Te… Mais du prix qu’on m’offre, il faut me contenter

Jean Racine, Athalie

On verra dans la suite qu’il n’a pas tenu à elle ni à son mari […] qu’ils n’aient renversé l’État et livré la France en proie… Que n’aurait-on pas à ajouter ?

Saint-Simon, Mémoires

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