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Vouer aux gémonies : définition et origine de l’expression

Le 22 décembre de l’an 69, un homme est lapidé à mort par la foule romaine. Son corps est ensuite exposé sur le tristement célèbre escalier des Gémonies, à quelques pas du Capitole, puis traîné par un croc et jeté dans le Tibre. Cet homme n’est pas n’importe qui : il n’est autre que le huitième empereur romain, Vitellius.

Sa mort, quelque peu tragique, est racontée par Suétone dans La Vie des douze Césars (chapitre XII). Nous n’en dirons pas plus pour le moment, vous commencez déjà à comprendre le sens de l’expression « Vouer aux gémonies ». Si vous voulez en apprendre davantage, sentez-vous libre de poursuivre votre lecture. N’hésitez pas à parcourir les autres articles de cette section dédiée aux expressions francophones ! Bonne lecture !

Définition de l’expression « Vouer aux gémonies »

La locution verbale « vouer aux gémonies » est une expression qui fait partie du registre soutenu de la langue française. Elle est utilisée pour traduire l’humiliation publique et, plus généralement, le fait de mortifier quelqu’un. Cette expression qui a vocation à condamner quelqu’un, a, par extension, revêtu le sens de maudire, traîner dans la boue un individu. « Traîner » ou « vouer quelqu’un ou quelque chose aux gémonies » signifie, selon le Cnrtl : « Accabler de mépris, outrager publiquement ». Un de ses synonymes est le verbe « vilipender ».

L’expression « mettre / clouer au pilori » est équivalente, le pilori étant le poteau auquel on attachait les condamnés pour les exposer à l’indignation publique.

Origine de l’expression « Vouer aux gémonies »

Avant de revenir sur l’histoire de cette expression, dont l’existence est attestée au XIXe siècle, un peu d’étymologie. Le mot gémonies viendrait du verbe latin « gemo, gemare » qui signifie « gémie ». Pour d’autres, le terme renvoie au nom de celui qui fut l’inventeur des Gémonies (un certain Gemonius, donc).

Venons-en au fait : que sont les Gémonies ? Dans la Rome antique, l’humiliation publique ou l’exposition des corps des condamnés au grand jour était chose courante. A Rome même, un lieu appelé les « gemoniae scalae » était réservé à l’exposition des corps des suppliciés, qu’on jetait ensuite dans le Tibre après les avoir traînés avec des crocs.

Ces escaliers, aujourd’hui détruits, se situaient au flanc nord-ouest du Capitole. La coutume apparaît cruelle, mais c’est davantage l’idée de déshonneur qui s’en dégage, dans la mesure où les peuples antiques portaient un respect tout particulier au corps des morts (l’exemple d’Antigone bravant les lois pour honorer le corps mort de son frère Polynice et l’enterrer, est parlant).

Nous trouvons des traces des Gémonies dans les écrits d’auteurs latins tels que Valère, Maxime, Suétone (cité en introduction de cet article) et Tacite. Ces récits sont aussi racontés par des auteurs français plus proches de nous, comme Victor Hugo, qui narre à son tour, après Suétone, la mise à mort de l’empereur Vitellius et qui en profite pour nous dresser un agréable tableau de ce lieu redoutable :

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Le porc Vitellius roulait aux gémonies.
Escalier des grandeurs et des ignominies,
Bagne effrayant des morts, pilori des néants,
Saignant, fumant, infect, ce charnier de géants
Semblait fait pour pourrir le squelette du monde.
Des torturés râlaient sur cette rampe immonde.

Victor Hugo, La Légende des siècles

Au fil du temps, le terme gémonies (toujours au féminin, pluriel) est devenu un nom commun et, par extension, une façon de se rapporter à n’importe quel lieu de supplice ou de mort, puis, au sens figuré et par effet de métaphore, de renvoyer à l’idée d’humiliation et de condamnation publique. C’est à Alphonse de Lamartine (1790-1869), semble-t-il, qu’il revient d’avoir popularisé l’expression dans Les Méditations poétiques, publiées en 1820 :

Le vois-tu, donnant à ses vices
Les noms de toutes les vertus ;
Traîner Socrate aux gémonies,
Pour faire, en des temples impies,
L’apothéose d’Anitus ?

Alphonse de Lamartine, « Le Génie »

Exemples d’usage de l’expression « Vouer aux gémonies »

Les réputations éphémères meurent du soir au matin; grand homme la veille, on est un sot le lendemain, et tandis qu’une gazette fait votre apothéose, une autre gazette, à la même heure, vous traîne aux gémonies.

Chateaubriand, Mémoires, t. 4, 1848

Mon frère souffrit sans protestations qu’on traînât son œuvre aux gémonies.

Colette, La Maison de Claudine, 1922

L’administration Bush, qui avait balayé l’acquis de l’ère Clinton et placé la RPDC parmi les pays de l’« axe du mal », la menaçant du feu nucléaire, avait été contrainte de revenir à la case départ : en d’autres termes, le schéma de l’accord de 1994 qu’elle avait voué aux gémonies.

Philippe Pons, Corée du Nord, un État-guérilla en mutation, 2016

Elle lui avait volé, avec un sourire carnassier, un rictus de chacal, ses deux plus beaux trophées le boulimique Depardieu et l’anémique Houellebecq. Il ne s’en était jamais remis. Depuis, il vouait aux gémonies et sa puissante adversaire, et les deux vedettes qui, par intérêt, lui avaient manqué.

Jérôme Garcin, Les sœurs de Prague

Vous me condamnez à rester dans l’histoire comme un de ces personnages abjects, odieux, qui ont gravement offensé les écrivains et que la littérature voue aux gémonies

Jean-Marie Rouart, Nous ne savons pas aimer

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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