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Arthur Rimbaud, Poésies (1870-1871) : Premières communions

Poésies 1870 - 1871 Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud écrit ses premiers poèmes à quinze ans. Poésies rassemble l'intégralité de ses poèmes écrits entre 1870 et 1871. Malgré son jeune âge, des poèmes fameux de ce recueil resteront dans l'Histoire de la littérature comme Voyelles ou le Bateau ivre.

Pour citer l'œuvre : Poésies complètes , avec préface de Paul Verlaine et notes de l’éditeurL. Vanier, 1895 (p. 23-30).



LES PREMIÈRES COMMUNIONS


I

Vraiment, c’est bête, ces églises de villages
Où quinze laids marmots, encrassant les piliers,
Écoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers.
Mais le soleil éveille, à travers les feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux ensoleillés,

La pierre sent toujours la terre maternelle,
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui frémit, solennelle,
Portant, près des blés lourds, dans les sentiers séreux,
Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle,
Des nœuds de mûriers noirs et de rosiers furieux.


Tous les cent ans on rend ces granges respectables
Par un badigeon d’eau bleue et de lait caillé.
Si des mysticités grotesques sont notables
Près de la Notre-Dame ou du saint empaillé,
Des mouches sentant bon l’auberge et les étables
Se gorgent de cire au plancher ensoleillé.

L’enfant se doit surtout à la maison, famille
Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants.
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Prêtre un toit ombré d’une charmille
Pour qu’il laisse au soleil tous ces fronts bruissants.

Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes
Sous le Napoléon ou le Petit Tambour,
Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et qui joindront aux jours de science deux cartes,
Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour.

Les filles vont toujours à l’église, contentes
De s’entendre appeler garces par les garçons
Qui font du genre, après messe et vêpres chantantes,

Eux, qui sont destinés au chic des garnisons,
Ils narguent au café les maisons importantes,
Blousés neuf et gueulant d’effroyables chansons.

Cependant le curé choisit, pour les enfances,
Des dessins ; dans son clos, les vêpres dites, quand
L’air s’emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en dépit des célestes défenses.
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant…
— La nuit vient, noir pirate aux ciel noir débarquant.


II

Le prêtre a distingué, parmi les catéchistes
Congrégés des faubourgs ou des riches quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers.
Au grand jour, la marquant parmi les catéchistes,
Dieu fera, sur son front, neiger ses bénitiers.

La veille du grand jour, l’enfant se fait malade
Mieux qu’à l’église haute aux funèbres rumeurs.
D’abord le frisson vient, le lit n’étant pas fade,
Un frisson surhumain qui retourne : Je meurs…


Et, comme un vol d’amour fait à ses sœurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son cœur,
Ses Anges, ses Jésus et ses Vierges nitides,
Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur.

Adonaï !… — Dans les terminaisons latines
Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils
Et tachés du sang pur des célestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils.

Pour ses virginités présentes et futures
Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission ;
Mais plus que les lys d’eau, plus que les confitures
Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion.


III

Puis la Vierge n’est plus que la Vierge du livre ;
Les mystiques élans se cassent quelquefois,
Et vient la pauvreté des images que cuivre
L’ennui, l’enluminure atroce et les vieux bois.

Des curiosités vaguement impudiques
Épouvantent le rêve aux chastes bleuités

Qui sont surpris autour des célestes tuniques
Du linge dont Jésus voile ses nudités.

Elle veut, elle veut pourtant, l’âme en détresse,
Le front dans l’oreiller creusé par les cris sourds,
Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse
Et bave… — L’ombre emplit les maisons et les cours,

Et l’enfant ne peut plus. Elle s’agite et cambre
Les reins, et d’une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu.


IV

À son réveil, — minuit, — la fenêtre était blanche
Devant le soleil bleu des rideaux illunés ;
La vision la prit des langueurs du Dimanche,
Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez,

Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse,
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit forte où s’exalte et s’abaisse
Le cœur, sous l’œil des cieux doux, en les devinant ;


De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne
Tous les jeunes émois de ses silences gris ;
Elle eut soif de la nuit forte où le cœur qui saigne
Écoute sans témoin sa révolte sans cris.

Et, faisant la victime et la petite épouse,
Son étoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour où séchait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.


V

Elle passa sa nuit Sainte dans des latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l’air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines
En deçà d’une cour voisine s’écroulant.

La lucarne faisait un cœur de lueur vive
Dans la cour où les cieux bas plaquaient d’ors vermeils
Les vitres ; les pavés puant l’eau de lessive
Souffraient l’ombre des toits bordés de noirs sommeils.



VI

Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes
Et ce qu’il lui viendra de haine, ô sales fous,
Dont le travail divin déforme encore les mondes
Quand la lèpre, à la fin, rongera ce corps doux,

Et quand, ayant rentré tous ces nœuds d’hystéries
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L’amant rêver au blanc million des Maries
Au matin de la nuit d’amour, avec douleur !


VII

Sais-tu que je t’ai fait mourir ? J’ai pris ta bouche,
Ton cœur, tout ce qu’on a, tout ce que vous avez,
Et moi je suis malade. Oh ! je veux qu’on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés !

J’étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines,
Il me bonda jusqu’à la gorge de dégoûts ;
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines,
Et je me laissais faire !… Oh ! va… c’est bon pour vous,


Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs
La plus prostituée et la plus douloureuse
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs.

Car ma communion première est bien passée !
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus.
Et mon cœur et ma chair par ta chair embrassée
Fourmillent du baiser putride de Jésus…


VIII

Alors l’âme pourrie et l’âme désolée
Sentiront ruisseler tes malédictions.
— Ils avaient couché sur ta haine inviolée,
Échappés, pour la mort, des justes passions.

Christ, ô Christ, éternel voleur des énergies,
Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, à ta pâleur,
Cloués au sol, de honte et de céphalalgies,
Ou renversés, les fronts des Femmes de douleur.


Juillet 1871.

Commentaire de texte d'Arthur Rimbaud : Premières communions

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L'auteur : Arthur Rimbaud

Rimbaud

Arthur Rimbaud est un poète français, né le 20 octobre 1854 à Charleville et mort le 10 novembre 1891 à Marseille. Bien que brève, la densité de son œuvre poétique fait d'Arthur Rimbaud une des figures premières de la littérature française.

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Sujets :  Poésies (1870-1871)

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