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Raymond Queneau (1903-1973) : vie et œuvre

Raymond Queneau
Portrait de Raymond Queneau en 1937

Qui est Raymond Queneau ?

Raymond Queneau est né le 21 février 1903 au Havre. Il est le fils unique de parents merciers. Selon ses dires, il passe une enfance triste.

Pendant sa scolarité, il se passionne très tôt pour les langues anciennes et modernes (latin, grec, hébreu, anglais, arabe…), mais aussi le cinéma ou les bandes-dessinées. Il lit beaucoup et commence à écrire des poèmes et des romans. A l’âge de treize ans, il a déjà écrit une vingtaine de romans. Il tient également un journal qu’il continuera de remplir jusqu’à sa mort. En 1917, il découvre la poésie en lisant Émile Verhaeren.

Le jeune Raymond obtient son bac en 1920, et sa famille part s’installer en région parisienne pour que le jeune garçon puisse poursuivre des études de philosophie à la Sorbonne. La jeunesse parisienne de Queneau, bien que solitaire et marquée par des crises d’asthme régulières, lui permet des rencontres et découvertes de toutes sortes, comme l’ésotérisme et la philosophie orientale.

Il découvre entre autres l’auteur français René Guénon, philosophe orientaliste pour lequel il se passionne. Ce dernier fait à l’époque autorité dans le domaine de l’ésotérisme, le symbolisme, et l’étude comparée des religions. En parallèle, Raymond Queneau apprend aussi l’allemand et l’italien. 

En 1924, Raymond Queneau fait une rencontre déterminante, celle d’André Breton. Il se lie alors avec le groupe surréaliste, ainsi qu’avec Jacques Prévert. Ces deux figures exercent une influence capitale sur son parcours d’écrivain. Enfin, introduit dans les milieux littéraires de l’époque, Queneau peut vivre sa passion pour l’écriture librement et avec audace. Le surréalisme représente pour lui une sorte d’étape initiatique qui guide ses critères et ses choix d’écriture, mais aussi lui apprend l’amour et le plaisir du langage. 

En 1928, il épouse Janine Kahn, dont la soeur Simone était mariée avec André Breton, ce qui le conduit à rompre avec le groupe en 1929 pour « raisons de personnes ». En réalité, il s’agit surtout de la séparation de sa belle-soeur d’avec le chef de file des surréalistes (ce dernier avait interdit aux membres du groupe d’adresser la parole à son ex-femme, ce que refuse Queneau). 

Si cette rupture permet à Queneau de s’émanciper de l’autoritarisme littéraire d’André Breton et de trouver une certaine autonomie, elle le laisse néanmoins désemparé, et engendre une profonde crise mystique (que l’on peut qualifier d’épisode dépressif) qui durera près de dix ans et durant laquelle il se tourne vers les doctrines religieuses. Par la suite, Queneau entreprend une psychanalyse.

Les succès d’écrivain

En 1933, Raymond Queneau publie son premier roman, Le Chiendent, chez Gallimard, texte qu’il a rédigé durant son voyage en Grèce. 

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En 1936, après la naissance de son premier enfant, il s’installe à Neuilly. Il collabore à de nombreux journaux ou revues et publie, en 1938, deux romans autobiographiques. Odile, tout d’abord, puis Les Enfants du limon. Par la suite, il écrit un roman en vers, Chêne et chien (deux étymologies de son nom qui expriment la dualité entre ses aspirations spirituelles, comme le chêne dont la branche se tend vers le ciel, et la trivialité matérielle du chien).

En 1938, Raymond Queneau entre au comité de lecture de Gallimard, comme lecteur d’anglais, et il marque un intérêt particulier pour la littérature américaine. Il fonde ensuite la revue Volontés avec le romancier américain Henry Miller.

Mobilisé en 1939, il est renvoyé chez lui dès l’armistice de juin 1940. En 1941, il devient secrétaire général des éditions Gallimard et se consacre désormais à l’écriture. En 1942, paraît le roman Pierrot mon ami.  En 1943, c’est un recueil poétique qu’il publie, Les Ziaux. Pendant l’Occupation, il participe à des publications clandestines, fréquente Saint-Germain-des-Prés et fait la connaissance de Boris Vian.

En 1947, commence la période des succès avec la parution d’Exercices de style, qui sera adapté au théâtre, puis On est toujours trop bon avec les femmes, parodie d’une saga irlandaise, sous le pseudo Sally Mara. Il publie également des recueils poétiques. Un de ses poèmes, Si tu t’imagines, a été repris par la chanteuse Juliette Gréco et mis en musique par Joseph Kosma. Le poème, reprise du Mignonne de Ronsard, revisité en néo-français, connaît un grand succès à l’époque. En voici les premiers vers : 

Si tu t’imagines si tu t’imagines fillette fillette si tu t’imagines xa va xa va xa va durer toujours la saison des za la saison des za saison des amours ce que tu te goures fillette fillette

ce que tu te goures

Si tu crois petite si tu crois ah ah que ton teint de rose ta taille de guêpe tes mignons biceps tes ongles d’émail ta cuisse de nymphe et ton pied léger si tu crois petite xa va xa va xa.

Raymond Queneau, Si tu t’imagines

Queneau écrit également de nombreux articles traitant du langage, de la philosophie, du cinéma ou des mathématiques (par exemple, Bâtons, Chiffres et Lettres, en 1950). Depuis 1930, et grâce à Prévert, il travaille aussi sur des scénarios. Son intérêt pour le cinéma influencera énormément son style romanesque (ce qui facilitera l’adaptation de Zazie dans le métro, par Louis Malle en 1960, dont il a commencé l’écriture en 1945).

En 1950, il devient membre du fantaisiste Collège de Pataphysique fondé par Alfred Jarry (sciences des solutions imaginaires et de la conciliation des contraires). 

La consécration

En 1951, l’écrivain est élu à l’académie Goncourt. Toujours proche de Boris Vian, il fonde en 1952 le Club des Savanturiers, réservé aux amateurs de science-fiction. La même année, il publie Le Dimanche de la vie.

De 1952 à 1960, Queneau écrit les dialogues de plusieurs films : Monsieur Ripois, de René Clément, La Mort en ce jardin, de Luis Buñuel… Il crée les chansons du film Gervaise de René Clément et il lui arrive aussi d’exposer des gouaches. En 1954, il devient directeur de l’Encyclopédie de la Pléiade chez Gallimard, collabore à divers journaux et revues. C’est aussi un dévoreur de livres (sa bibliothèque en cumule plus de 10 000…).

En 1959 paraît son roman le plus célèbre, Zazie dans le métro, immédiatement adapté au théâtre par l’acteur et metteur en scène Olivier Hussenot, puis au cinéma par Louis Malle en 1960. Queneau est surpris par ce succès tardif (il a 56 ans). « Le succès à 50 ans, c’est la moutarde au dessert », commente-t-il.


Sa curiosité pour le langage l’amène à fonder, en 1960, l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle) avec son ami mathématicien François le Lionnais. Le  groupe se fixe pour but l’exploration méthodique et jubilatoire des potentialités de la langue, en cherchant de nouvelles structures dans les sciences mathématiques. Voici la définition que se donne l’Oulipo : 

Ce n’est pas un mouvement littéraire
Ce n’est pas un séminaire scientifique
Ce n’est pas de la littérature aléatoire
Ses recherches sont naïves, artisanales et amusantes.

Définition de l’Oulipo

Parmi les célèbres membres de l’Oulipo, on retrouve Georges Perec (avec La Vie, mode d’emploi) et Italo Calvino (auteur de Si par une nuit d’hiver un voyageur). Ce groupe littéraire existe toujours aujourd’hui, notamment grâce à l’écrivain et mathématicien Jacques Roubaud. 

En 1964, Queneau semble vouloir rompre avec l’engouement du public en publiant Les Fleurs bleues, où les narrateurs et les périodes historiques se télescopent, un ouvrage rempli de jeux de mots et de citations, de composition arithmétique… tout concourt à déstabiliser le public. 

En 1968 paraît son dernier roman, Le vol d’Icare, puis une trilogie poétique. En 1972, l’écrivain est très affecté par le décès de son épouse, et se tourne de nouveau vers la religion. En 1973 paraît son dernier recueil poétique : Morale élémentaire, inspiré de la poésie orientale. Raymond Queneau meurt à Paris, le 25 octobre 1973

L’oeuvre de Raymond Queneau 

Premier roman, Le Chiendent 

Ce roman, écrit lors d’un voyage en Grèce et publié en 1933, intègre le langage populaire et met en scène des héros modestes et pauvres. Il pose la question de l’identité en transposant le discours de la méthode en langage parlé.

Queneau puise dans le vocabulaire argotique, le « titi parisien des faubourgs ». On retrouve ainsi tout un lexique : « bathouze », « croupion », « gosse » (devenu plus populaire aujourd’hui). Le vocabulaire utilisé a pour but de rendre le monde que l’écrivain convoque comme banal, voire à la limite du vulgaire (du fait de la présence de grossièretés, comme « couillon », etc.)

Pour Raymond Queneau, cet ouvrage sera l’occasion d’affirmer une exigence romanesque : le monde est une illusion (qui rappelle l’épigraphe de Zazie dans le métro, une citation d’Aristote : « Celui qui l’avait faite, l’a fait disparaître »), en somme, l’auteur peut à tout moment intervenir… 

Zazie dans le métro

Dans ce roman qui fait le grand succès de l’écrivain (publié en 1959), Queneau mène à son paroxysme le « néo-français » qu’il avait commencé à développer dès son premier roman, Chiendent. Il s’exprime ainsi de ce style particulier qui mêle français populaire et même phonétique et tournures savantes ou parodiques. Ce néo-français a donné lieu à des termes devenus populaires : « Doukipudonktan » (premier mot du roman), « meussieu », ou encore « Skeutadittaleur »…

Ce langage va de pair avec le personnage si atypique et excentrique de Zazie. Antithèse de la petite fille modèle, cette gosse âgée de onze ans découvre la capitale avec son oncle Gabriel. Les aventures parisiennes de Zazie commencent par une déception, avec la découverte avortée du métro parisien, en grève le jour de sa visite. 

Le roman aborde par ailleurs le thème de l’homosexualité supposée de l’oncle Gabriel, et semble parfois effleurer des questions philosophiques et littéraires plus profondes :

L’être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l’homme qu’à la fin il disparaît. Un taxi l’emmène, un métro l’emporte, la tour n’y prend garde, ni le Panthéon. Paris n’est qu’un songe, Gabriel n’est qu’un rêve (charmant), Zazie le songe d’un rêve (ou d’un cauchemar) et toute cette histoire le songe d’un songe, le rêve d’un rêve, à peine plus qu’un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh ! pardon)...

Raymond Queneau, Zazie dans le métro

L’Oulipo

En 1961, Queneau publie une œuvre oulipienne, Cent mille milliards de poèmes. Il s’agit d’une machine à fabriquer des poèmes, il applique ces théories en permettant de permuter les vers de dix sonnets pour en former d’autres. Dans la préface du livre, l’auteur précise : 

[…] ce petit ouvrage permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets, tous réguliers bien entendu. C’est somme toute une sorte de machine à fabriquer des poèmes, mais en nombre limité ; il est vrai que ce nombre, quoique limité, fournit de la lecture pour près de deux cents millions d’années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre).

Raymond Queneau, Cent mille milliards de poèmes, Préface

La caractéristique fondamentale de cette forme littéraire est son caractère non-hasardeux, il s’agit en effet d’une production sous contrainte choisie (on ressent l’influence des surréalistes). C’est une démocratisation de la poésie que Raymond Queneau propose. Il explique les possibilités qui s’ouvrent au lecteur en ces termes : 

En comptant 45 secondes pour lire un sonnet et 15 secondes pour changer les volets à 8 heures par jour, 200 jours par an, on a pour plus d’un million de siècles de lecture, et en lisant toute la journée 365 jours par an, pour 190 258 751 années plus quelques plombes et broquilles (sans tenir compte des années bissextiles et autres détails).

Raymond Queneau, Cent mille milliards de poèmes, Préface
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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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