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Alphonse de Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses : À l’Esprit-Saint, Cantique

Harmonies poétiques et religieuses Alphonse de Lamartine

Lamartine retrouve, dans ce recueil, rédigé en grande partie en Italie entre 1826 et 1827, la haute poésie des Méditations poétiques.

Pour citer l'œuvre : Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 273-278).

XVII


À L’ESPRIT SAINT




CANTIQUE





Tu ne dors pas, souffle de vie,
Puisque l’univers vit toujours !
Ta sainte haleine vivifie
Les premiers et les derniers jours.

C’est toi qui répondis au Verbe qui te nomme,
Quand le chaos muet tressaillit comme un homme
Que d’une voix puissante on éveille en sursaut ;
C’est toi qui t’agitas dans l’inerte matière,
Répétas dans les cieux la parole première,
Et comme un bleu tapis déroulas la lumière

Sous les pas du Très-Haut !


Tu fis aimer, tu fis comprendre
Ce que la parole avait dit ;
Tu fis monter, tu fis descendre
Le Verbe qui se répandit ;

Tu condensas les airs, tu balanças les nues,
Tu sondas des soleils les routes inconnues,
Tu fis tourner le ciel sur l’immortel essieu ;
Tel qu’un guide avancé dans une voie obscure,
Tu donnas forme et vie à toute créature,
Et, pour tracer sa route à l’aveugle nature,

Tu marchas devant Dieu !


Mais tu ne gardas pas sans cesse
Les mêmes formes à ses yeux :
Tu les pris toutes, ô Sagesse,
Afin de le glorifier mieux !

Tantôt brise et rayons, tantôt foudre et tempêtes,
Son terrible ou plaintif des harpes des prophètes,
Colonne qu’Israël voit marcher devant soi,
Parabole touchante ou sanglant sacrifice,
Sueur des Oliviers la veille du supplice,
Grâce et vertu coulant de ce divin calice,

C’est toi, c’est toujours toi !


Le genre humain n’est qu’un seul être
Formé de générations ;
Comme un seul homme on le voit naître :
Ton souffle est dans ses passions.

Jeune, son âme immense, orageuse et profonde,
Déborde à flots d’écume et ravage le monde ;
Tu sèmes ses flocons de climats en climats ;

Ton accent belliqueux a l’éclat du tonnerre,
Ton pas retentissant secoue au loin la terre,
Et le dieu qui te lance est le dieu de la guerre

Servi par le trépas !


Tu revêts la forme sanglante
D’un héros, d’un peuple, d’un roi ;
Tu foules la terre tremblante
Qui passe et se tait devant toi.

Mais quand le sang glacé dans ses veines s’arrête,
Le genre humain, qui sent que son heure s’apprête,
S’élève de la vie à l’immortalité :
Tu marches devant lui sous l’ombre d’une idée !
D’un immense désir la terre est possédée,
Et, dans les flots d’erreur dont elle est inondée,

Cherche une vérité !


Alors tu descends ; tu respires
Dans ces sages, flambeaux mortels,
Dans ces mélodieuses lyres
Qui soupirent près des autels.

La pensée est ton feu, la parole est ton glaive !
L’esprit humain flottant s’abaisse et se relève,
Comme au roulis des mers le mât des matelots.
Mais tu choisis surtout les bardes dans la foule :
Dans leurs chants immortels l’inspiration coule ;
Cette onde harmonieuse est le fleuve qui roule

Le plus d’or dans ses flots.


Où sont-ils, âme surhumaine,
Ces instruments de tes desseins ?

Où sont-ils, dès que ton haleine
A cessé d’embraser leurs seins ?

Ils meurent les premiers !… Foyer qui se consume,
Flots qui rongent la rive et fondent en écume,
Arbres brisés du vent sous qui l’herbe a ployé !
En néant avant nous ils viennent se résoudre ;
Tu jettes leur orgueil et leur nom dans la poudre,
Et ton doigt les éteint comme il éteint la foudre

Quand elle a foudroyé.


Il se fait un vaste silence :
L’esprit dans ses ombres se perd,
Le doute étouffe l’espérance,
Et croit que le ciel est désert !

Puis tel qu’un chêne obscur, longtemps avant l’orage
Dont frémit tout à coup l’immobile feuillage,
Et dont l’oiseau s’enfuit sans entendre aucun son,
Le monde, où nul éclair ne te précède encore,
D’un inquiet ennui se trouble et se dévore,
Et, comme à son insu, de l’esprit qu’il ignore

Sent le divin frisson !


Et le ciel se couvre, et la terre
Croit qu’un astre s’est approché ;
Et nul ne comprend ce mystère,
Car ton maître est un Dieu caché.

Mais moi je te comprends, car je baisse la tête !
J’entends venir de loin la céleste tempête ;
Et, d’un effroi stupide impassible témoin,
Quand de l’antique jour les clartés s’affaiblissent,
Que des lois et des mœurs les colonnes fléchissent,
Que la terre se trouble et que les cieux pâlissent,

Je dis : « Il n’est pas loin ! »


Les voilà, ces heures divines !
Les voilà ! Mes yeux, ouvrez-vous !
La poussière de nos ruines
S’élève entre le jour et nous.

De quel vent soufflera l’esprit que l’homme appelle ?
L’âme avec plus de soif jamais l’attendit-elle ?
Jamais passé sur nous croula-t-il plus entier ?
Jamais l’homme vit-il à l’horizon des âges
Gronder sur l’avenir de plus sombres orages,
Et te prépara-t-il entre plus de nuages

Un plus divin sentier ?


Fends la nue, et suscite un homme,
Un homme palpitant de toi !
Que son front rayonnant le nomme
Aux regards qui cherchent ta foi !

D’un autre Sinaï fais flamboyer la cime,
Retrempe au feu du ciel la parole sublime,
Ce glaive de l’esprit émoussé par le temps !
De ce glaive vivant arme une main mortelle ;
Parais, descends, travaille, agite et renouvelle,
Et ranime de l’œil, et du vent de ton aile,

Tes derniers combattants !


Que la mer des erreurs s’amasse ;
Qu’elle soulève son limon,
Pour engloutir l’heureuse race
De ceux qui marchent en ton nom !

Sur la mer en courroux que ta droite s’étende !
Que ton souffle nous creuse une route, et suspende
Ces flots qui sous nos pas s’ouvrent comme un tombeau !
Que le gouffre trompé sur lui-même s’écroule !

Que l’écume des temps dans ses abîmes roule,
Et que le genre humain la traverse, et s’écoule

Vers un désert nouveau !


Je le vois : mon regard devance
Le pas des siècles plus heureux !
La colonne de l’espérance
Marche, et m’éclaire de ses feux !

Tu souffleras plus pur sur des plages nouvelles ;
Ton aigle pour toujours n’a pas plié ses ailes ;
La nature à son Dieu garde encor de l’encens ;
Il est encor des pleurs sous de saintes paupières,
Du ciel dans les soupirs, dans les cœurs des prières ;
Et, sur ces harpes d’or qui chantent les dernières,

Quelques divins accents !


Oh ! puissé-je, souffle suprême,
Instrument de promission,
Sous ton ombre frémir moi-même,
Comme une harpe de Sion !

Puissé-je, écho mourant des paroles de vie,
De l’hymne universel être une voix choisie,
Et quand j’aurai chanté mon cantique au Seigneur,
Plein de l’esprit divin qui fait aimer et croire,
Ne laisser ici-bas pour trace et pour mémoire
Qu’une voix dans le temple, un son qui dise : « Gloire

Au souffle créateur ! »

Commentaire de texte d'Alphonse de Lamartine : À l’Esprit-Saint, Cantique

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L'auteur : Alphonse de Lamartine

Lamartine

Alphonse de Lamartine (1790-1869) est un poète, romancier, dramaturge français, ainsi qu'une personnalité politique qui participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France.

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