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Jacques Prévert (1900-1977) : vie et œuvre

prévert paroles portrait
Portrait de Jacques Prévert pour la couverture de Paroles, publié chez folio.

Qui ne se souvient pas avec nostalgie du Roi et l’oiseau, le dessin-animé le plus fascinant de notre enfance ? C’est à Jacques Prévert que l’on doit l’écriture de cette fable poétique, que son ami réalisateur Paul Grimault adapte avec lui à l’écran à la sortie de la guerre, en 1952.

Poète inclassable, chantre fantaisiste, scénariste fantastique et prince du réalisme poétique, Jacques Prévert incarne le Paris populaire de l’entre-deux-guerres et son œuvre contient en elle tout l’état d’esprit d’une époque qui connaît une véritable renaissance poétique. 

D’abord lié avec les surréalistes, Jacques Prévert en retient surtout une sensibilité anarchiste et une attention toute particulière pour les choses du quotidien, toutes deux revêtues d’une aspiration constante et naturelle pour la liberté.  

Qui est Jacques Prévert ?

Jacques Prévert voit le jour le 4 février 1900 à Neuilly-sur-Seine, mais passe son enfance et sa scolarité à Paris. Élevé à l’école communale autant qu’à l’école buissonnière, Jacques Prévert a hérité de son père, André Prévert, qui fréquente assidûment les théâtres et les salles de cinéma, le goût de la débrouillardise, de l’exploration sauvage et de la féérie. 

À l’âge de quinze ans, avec un certificat d’études primaire en poche, Jacques Prévert abandonne définitivement les bancs de l’école pour enchaîner les petits boulots, notamment un poste de vendeur au Bon Marché, qui lui confère l’amour des collections hétéroclites (qui lui inspira sûrement son poème « Inventaire », que nous évoquons plus loin dans cet article).  

Peu de temps après que la Première Guerre mondiale a éclaté, Jacques Prévert est mobilisé, le 15 mars 1920, et effectue son service militaire à Saint-Nicolas-de-Port, en Meurthe-et-Moselle, avant d’être affecté à Constantinople en 1921. C’est là qu’il rencontre le traducteur – et son futur éditeur – Marcel Duhamel

De retour à Paris, au début des années 1920, Jacques Prévert est abrité par Duhamel (près de Montparnasse), vit de petits métiers et rencontre des personnalités littéraires de l’époque, tels André Breton, Louis AragonLe surréalisme, qui lui inspire des idées libertaires et fantaisistes, ne peut que lui plaire. Mais, supportant mal les rigueurs stylistiques imposées par un groupe littéraire, il finit par tomber en désaccord avec Breton et quitte le groupe en 1929.  

Avec Raymond Queneau et Yves Tanguy (qu’il connaît depuis son service militaire) ils se donnent rendez-vous régulièrement chez Duhamel, rue du Château. C’est au cours d’une de ces rencontres que Prévert invente le terme « cadavre exquis ».

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Le 30 avril 1925, Prévert épouse son amie d’enfance, la violoncelliste de cinéma (elle joue pour accompagner les films muets) Simone Geneviève Dienne. Ils s’installent ensemble au pied de la butte Montmartre. Vers la fin de la décennie, Prévert publie quelques poèmes dans des revues (son premier est Les animaux ont des ennuis). 

Parmi ceux-ci, on trouve l’un de ses premiers textes marquants, publié en 1931, Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France, texte remarqué et salué dans les milieux littéraires. On y trouve déjà la plume fantasque et inventive de Prévert, faite de jeux de mots et de jeux d’esprit : 

Ceux qui pieusement…
Ceux qui copieusement…
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
[…]

Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d’autres, entraient fièrement à l’Elysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s’était fait celle qu’il voulait.
[…]

Jacques Prévert, Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France

Scénariste de génie

Mais c’est surtout par le biais du cinéma que Prévert marque sa génération et qu’il obtient une première reconnaissance de son nom. Scénariste, il travaille surtout avec Renoir et Marcel Carné, pour lequel il écrit des chefs-d’oeuvre du cinéma français de l’entre-deux-guerre et de l’Occupation :  Drôle de drame, Quai des brumes, Le jour se lève, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis.

Souvent, on se souvient davantage de certaines répliques de Prévert, passées à la postérité, que de ses poèmes (que l’on apprend pourtant sur les bancs de l’école). Parmi les plus mythiques, on peut citer celle que prononce la très élégante et railleuse Arletty dans Les Enfants du paradis : « Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour. » 

Maître du réalisme poétique, Prévert fait le lien entre sa double fonction de scénariste et poète. À un journaliste qui l’interroge, il affirme : « Le cinéma et la poésie, c’est quelquefois la même chose. » De fait, tant dans son écriture poétique que cinématographique, Prévert use de l’humour, de la fantaisie et du lyrisme, doublé d’une critique sociale souvent bien sentie. 

Que le ton soit grave ou léger, que l’inquiétude soit incarnée par un clochard ou un colporteur, que Prévert fasse la critique des valeurs matérialistes par le biais d’une montre en or volée (« un peu d’or avec des ressorts dedans ») ou qu’il traduise le climat amer d’une veille de mobilisation (dans le Quai des brumes en 1938 ou Le Jour se lève en 1939), tous les films auxquels participe Prévert sont malgré tout baignés d’onirisme.

Enfin, il a travaillé, durant près de trente ans, sur Le Roi et l’Oiseau avec le réalisateur Paul Grimault, film qui a eu de nombreuses difficultés à voir le jour. À l’article de la mort, Prévert a continué d’écrire le scénario, et on décèle, dans la scène finale, le désir inaltérable de liberté chevillé au corps du poète (le dessin-animé se clôt sur un robot destructeur qui libère un oiseau de sa cage puis écrase la cage d’un coup de poing).

Le poète populaire

Après être passé par la case théâtre (avec la troupe Octobre, compagnie de théâtre ouvrier), Jacques Prévert profite de l’après-guerre pour ralentir ses activités de dialoguiste et se consacrer à rassembler ses poèmes, alors dispersés dans plusieurs revues.  

Durant les décennies suivantes, les recueils de Jacques Prévert se succèdent : Paroles (1946), Spectacle (1949), la Pluie et le Beau Temps (1955), Fatras (1966)… Les œuvres du poète rencontrent un succès immédiat et populaire. Ses poèmes traversent les couches sociales et s’émancipent des cercles purement littéraires pour toucher les chanteurs, comédiens ou photographes.

Qu’il s’agisse de Juliette Gréco, Yves Montand ou Robert Doisneau, des artistes du Paris d’alors contribuent à fixer l’oeuvre de Prévert dans une ambiance populiste et « rive gauche ». Enfin, Joseph Kosma, célèbre compositeur contemporain de Prévert, met en musique un grand nombre de ses poèmes, comme Les Feuilles mortes, Barbara, ou Je suis comme je suis… 


Vers la fin de sa vie, Prévert se retire en Normandie dans le nord-ouest du Cotentin, où il meurt d’un cancer des poumons en 1977 (il fumait trois paquets par jour).

Le plus célèbre hommage rendu à Prévert est celui de Serge Gainsbourg, avec La Chanson de Prévert, dans laquelle il reprend Les Feuilles mortes : « Oh je voudrais tant que tu te souviennes… / Cette chanson était la tienne. / C’était ta préférée. Je crois / Qu’elle est de Prévert et Kosma. »


L’œuvre de Jacques Prévert

Auteur d’une poésie en vers libres pour des lecteurs de 7 à 77 ans, Jacques Prévert a conservé de son passage chez les surréalistes un penchant marqué pour les trouvailles stylistiques et linguistiques (c’est aussi un grand amateur de jeux de mots), dont nous avons aujourd’hui hérité.

On doit par exemple à Jacques Prévert l’expression faire « un inventaire à la Prévert », inspiré de son poème « Inventaire », dans lequel il énumère des objets sans lien apparent entre eux :

Une pierre
deux maisons
trois ruines
quatre fossoyeurs
un jardin
des fleurs
un raton laveur
une douzaine d’huîtres un citron un pain
un rayon de soleil
une lame de fond
six musiciens
une porte avec son paillasson
un monsieur décoré de la légion d’honneur
[…]

Jacques Prévert, « Inventaire », Paroles

Mais si l’écriture de Prévert se pare souvent d’atours ludiques et légers, elle se concentre aussi sur les plus éléments les plus prosaïques de la vie quotidienne, lui conférant parfois ce ton grave de l’engagement, en deçà de la simple musicalité des choses.

Poèmes anarchistes

L’autre caractéristiques que Prévert a conservée de son expérience surréaliste est celle d’une aspiration libertaire et une dénonciation de l’absurdité de la vie moderne, notamment dans le contexte de l’entre-deux-guerre, qui affleure dans un grand nombre de ses poèmes – et dans les dialogues qu’il écrit pour les films –, même lorsque ses poèmes prennent la forme de comptines.

La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Il fait des affaires
Sa femme fait du tricot
Son fils la guerre
Lui des affaires
Il trouve ça tout naturel le père
Et le fils et le fils
Qu’est-ce qu’il trouve le fils ?
Il ne trouve rien absolument rien le fils
Le fils sa mère fait du tricot son père fait des affaires lui la guerre
Quand il aura fini la guerre
Il fera des affaires avec son père
La guerre continue la mère continue elle tricote
Le père continue il fait des affaires
Le fils est tué il ne continue plus
Le père et la mère vont au cimetière
Ils trouvent ça naturel le père et la mère
La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires
Les affaires la guerre le tricot la guerre
Les affaires les affaires et les affaires
La vie avec le cimetière.

Jacques Prévert, « Familiales », Paroles

La poésie de Jacques Prévert rejette le bonheur artificiel et matérialiste autant que les conventions sociales. Férocement indépendant d’esprit, le poète condamne la violence morale autant que l’oppression politique, souvent par le biais de discours métaphoriques où les animaux incarnent parfois une innocence liée à l’enfance (on se souvient du Roi et l’oiseau).

Poésie visuelle

Enfin, l’ultime qualité de l’œuvre de Prévert tient dans la puissance d’une écriture non plus simplement évocative, mais visuelle, qui lui permet de dépasser le cercle littéraire. Sa collaboration avec le compositeur Joseph Kosma a fait de ses poèmes des œuvres hybrides, passant à la postérité grâce aux voix de grands chanteurs et grandes chanteuses de son temps.

La plus connue de ces chansons, « Les Feuilles mortes », interprétée par Yves Montand, véhicule le sentiment de nostalgie en empruntant à l’automne un champ lexical – et visuel – dont la force tient dans la simplicité de l’évocation de l’amour perdu.

Oh, je voudrais tant que tu te souviennes,
Des jours heureux quand nous étions amis,
Dans ce temps-là, la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui.

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Tu vois je n’ai pas oublié.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,

Et le vent du nord les emporte,
Dans la nuit froide de l’oubli.
Tu vois, je n’ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais.

C’est une chanson, qui nous ressemble,
Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais.

Et la vie sépare ceux qui s’aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis.

Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m’aimais, moi qui t’aimais.
Et la vie sépare ceux qui s’aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.

Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis…

Jacques Prévert, « Les Feuilles mortes »

La poésie de Jacques Prévert, parfois sentimentale, mais jamais mièvre, s’attache à convoquer la félicité la plus simple, même lorsqu’elle est teintée de mélancolie, faisant d’elle une poésie accessible au plus grand nombre, populaire.

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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