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Beaumarchais (1732-1799) : vie et œuvre

Portrait de Beaumarchais
Portrait de Beaumarchais, Jean-Marc Nattier (1755)

Avoir été le plus grand auteur dramatique de son temps – avoir été l’homme le plus aimé et le plus haï du XVIIIe siècle – avoir été léger, narquois, rusé, mordant, avoir eu de l’esprit comme quatre et de l’audace à revendre – avoir aimé l’amour et dévoré la vie […] n’était-ce pas assez pour devenir le personnage central d’une comédie – qui ressemblerait à un roman d’aventure si notre héros n’était pas l’intelligence même ?

Sacha Guitry

C’est par ces mots que Sacha Guitry présente sa pièce de théâtre sur Beaumarchais, publiée en 1950. La suite de cette préface fait la longue liste des rebondissements dont la vie du dramaturge fut pleine. Intrigant, insolent, « aventurier en fureur » dit Goethe, toujours prêt à répondre et à rebondir, Beaumarchais a vécu dix vies en une seule. 

Tour à tour apprenti horloger, instigateur à la cour, grand libertin, agent secret du Roi, prisonnier trois fois dans sa vie et enfin commerçant, Beaumarchais est un véritable touche-à-tout infatigable. En réalité, sa carrière dramatique occupe une place de second plan si l’on considère les multiples activités dont il peupla ses jours.

Néanmoins, ses deux chefs-d’œuvres que sont Le Barbier de Séville (1775) et Le Mariage de Figaro (1784) ont eu pour mérite de redonner à la comédie ses lettres de noblesse à une époque où le drame moral tentait de remplacer la tragédie en déclin. En outre, on doit à Beaumarchais une vision critique et satirique de la société à l’aube de la Révolution. 

On peut alors aisément appliquer à la vie et à l’art de Beaumarchais ce trait qu’il a lui-même composé : « On peut s’en fier à lui pour mener une intrigue / deux, trois, quatre à la fois, bien embrouillées, qui se croisent. » (La Mariage de Figaro, Acte II, scène 2)

Qui est Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais ?

Beaumarchais naît le 24 janvier 1732 à Paris, rue Saint Denis (où son père tient une boutique d’horlogerie) sous le nom de Pierre-Augustin Caron. Il grandit au milieu de cinq sœurs – dont Julie, qui sera sa préférée. Dès l’âge de treize ans, il quitte l’école pour suivre les pas de son père et devenir apprenti horloger. Son ascension sociale est précoce et rapide : en 1753, grâce à l’invention d’un nouvel échappement, il perfectionne le mécanisme des montres et le voici horloger du roi

Deux ans plus tard, en 1755, il décide d’acheter la charge du sieur Francquet, contrôleur clerc d’office de la maison du roi et, ne s’arrêtant pas en si bon chemin, épouse sa veuve. A la cour, il brille par son esprit et ses talents d’amuseur et séduit les filles de Louis XV en leur apprenant à jouer de la harpe. 

Ensuite, il fait l’achat d’une charge de secrétaire du roi en 1761, qui a pour effet de l’anoblir. En 1763, il devient « lieutenant général des chasses aux bailliage et capitainerie de la Varenne du Louvre », il est donc chargé de juger les délits de chasse. Enfin, il adopte le nom de Beaumarchais, marquant son statut d’homme « parvenu ».

Aventures et mésaventures 

Après une courte aventure espagnole entre 1764 et 1765, durant laquelle il se rend à Madrid, d’une part pour défendre l’honneur de sa sœur Lisette, d’autre part pour des affaires, Beaumarchais s’essaie à la littérature. Sa carrière dramatique débute en 1767, avec la représentation d’Eugénie, un mélodrame du genre sérieux et moralisant, loin des comédies qu’on lui connaît aujourd’hui.

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En 1770, il écrit un nouveau drame (à l’époque, la tragédie décline, mais le comique n’a pas encore pris l’importance qu’il aura quelques années plus tard), sans grand succès : Les Deux amis ou le négociant de Lyon. On retrouve dans cette pièce les idées de Diderot (qu’il avait déjà reprises à son compte dans la préface de sa pièce Eugénie, « Essai sur le genre dramatique) et Beaumarchais s’inspire aussi de Sedaine (émouvoir et édifier le spectateur). 

Après seulement dix mois de mariage, Beaumarchais perd sa femme et se retrouve veuf. Il se remarie en 1768, mais cette nouvelle épouse meurt à son tour en 1770. Peu de temps après, son protecteur le financier Joseph Pâris-Duverney décède aussi, après avoir signé un règlement de comptes reconnaissant à Beaumarchais une créance sur sa succession. Seulement, l’héritier de Pâris-Duverney, le comte de la Blache, attaque Beaumarchais en justice. Commence alors pour Beaumarchais une période de crise :

Un procès s’ouvre. En avril 1773, un juge rapporteur est désigné, le conseiller Goëzman. La femme de ce dernier reçoit cent louis de Beaumarchais pour favoriser une audience, mais ne lui en rend que quatre-vingt-cinq. Furieux, ce dernier la poursuit et attaque les Goëzman dans quatre Mémoires à consulter étincelants d’esprit, où il dénonce les abus judiciaires de l’époque. Tout Paris se les arrache. Goëzman est condamné, son épouse est blâmée, Beaumarchais aussi. Mais il sort moralement vainqueur de la lutte.

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A la suite de ces événements, Beaumarchais est contraint de se faire discret durant quelque temps et devient « agent secret ». Tout d’abord à Londres, où sa mission consiste à acheter le silence d’un feuilliste et empêcher la publication d’un pamphlet visant Madame du Barry, la maîtresse du vieux Louis XV. 

Enfin, un épisode plus rocambolesque encore le conduit en Allemagne : alors qu’il a fait savoir à Louis XVI, encore tout jeune, qu’un juif vénitien du nom d’Angelucci s’apprêtait à publier un libelle se moquant de la stérilité du couple royal, il se propose d’en détruire les éditions anglaise et hollandaise. Il poursuit Angelucci jusqu’en Allemagne et parvient à récupérer le fameux volume. La suite ressemble à une péripétie épique : 

Beaumarchais s’apprête à rejoindre sa voiture, quand il est attaqué par des brigands, à cinq lieues de Nuremberg. Blessé, il réussit à échapper aux bandits grâce à l’aide de son postillon. Telle est du moins la version qu’il fait immédiatement circuler. Mais cette histoire de cape et d’épée n’est qu’une belle invention de M. de Ronac pour inspirer une haute idée de son zèle, en relatant les dangers mortels qu’il avait courus pour le service du roi. Beaumarchais rejoint Vienne, a une entrevue avec l’impératrice Marie-Thérèse… et, le soir même, se voit placé sous la surveillance de huit grenadiers et de deux officiers avec interdiction absolue de quitter sa chambre. La détention dure un mois.

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Les prouesses dramatiques

Le zélé défenseur de la cause royale, une fois ses missions accomplies, s’en retourne à Paris et présente Le Barbier de Séville, en février 1775, qui fut tout d’abord une « parade » (petite pièce inspirée de la comédie italienne et jouée d’ordinaire devant un théâtre forain), puis un opéra-comique et enfin une comédie en cinq actes, qui essuie les sifflements du public lors de la première.

Après cette première représentation désastreuse, Beaumarchais retravaille avec acharnement sa pièce qui passe de cinq à quatre actes et devient ce que nous lisons aujourd’hui. À la seconde représentation, le succès est immédiat. Et Beaumarchais, infatigable, se lance dans de nouvelles affaires.

Alors que l’insurrection des colonies anglaises en Amérique éclate en 1775, Beaumarchais entreprend de créer une société de commerce et de navigation (financée à hauteur d’un million par le gouvernement français) pour ravitailler les « insurgents ». Mais l’affaire tombe à l’eau, tout comme son navire, qui sombre. Cependant, tout n’est pas perdu pour Beaumarchais, loin de là : entre-temps, il a obtenu la révision de toutes les sentences portées contre lui.

Fervent soutien du parti des philosophes, Beaumarchais entreprend tout d’abord la publication des œuvres complètes de Voltaire et fait tout pour leur éviter la censure, puis atteint le sommet de sa carrière avec le Mariage de Figaro, le 27 avril 1748. Moquant l’Ancien régime, faisant une peinture peu flatteuse de la noblesse, la pièce est censurée six fois et Louis XVI la juge « détestable et injouable ».

Alors que la pièce est jouée dans les théâtres privés et qu’une représentation prévue à Versailles est annulée au dernier moment, la résistance du roi ne fait qu’augmenter l’intérêt porté par le public à la pièce et en décuple le potentiel satirique. La première représentation publique de la pièce est même considérée comme un signe avant-coureur de la Révolution

Mais Beaumarchais a le verbe trop haut et le triomphe trop tapageur : le dramaturge que tout Paris vénère se retrouve emprisonné pour quelques jours à Saint-Lazare (en mars 1785). Sa popularité diminue peu à peu, et la qualité de ses œuvres aussi. Il revient au drame à la fin de sa vie avec l’Autre Tartuffe ou la Mère coupable en 1792, qui connaît une réception mitigée. 

La demeure de Beaumarchais par Jean-Baptiste-François Génillion.
La demeure de Beaumarchais à la Bastille, par Jean-Baptiste-François Génillion.

A la veille de la Révolution, cet homme remuant se fait construire, près de la Bastille, une demeure luxueuse qui le rend suspect aux yeux de l’opinion populaire. Mais toujours aussi intenable, Beaumarchais s’engage dans une nouvelle affaire, à cause de laquelle il perd une grande partie de sa fortune (il achète 60 000 fusils à la Hollande pour armer les volontaires). L’affaire tournant mal, il se retire à Hambourg puis rentre à Paris le 5 juillet 1796 auprès de sa troisième femme (il a épousé Mlle Willer-Mawlas) et de sa fille. Il meurt trois ans plus tard, dans la nuit du 17 au 18 mai, d’une attaque d’apoplexie

Dans sa pièce de théâtre Beaumarchais, Sacha Guitry fait ainsi parler l’auteur dramatique en l’imaginant, après sa mort, faire le bilan de son existence devant le « tribunal de l’immortalité » : 

Je dois m’attendre à tout – ayant été l’homme le plus haï et le plus adoré du XVIIIe siècle !… Avec de la gaieté – et même de la bonhomie, j’ai eu des ennemis sans nombre – et n’ai pourtant croisé la route de personne. Or, j’ai trouvé la cause de tant d’inimitiés. Dès ma folle jeunesse, j’ai joué de tous les instruments, mais je n’appartenais à aucun corps de musiciens – les musiciens m’ont détesté. J’ai inventé quelques bonnes machines, mais je n’étais pas du corps des mécaniciens – et l’on a dit du mal de moi. Je faisais des vers et des chansons, mais qui m’eût reconnu pour poète ? – j’étais le fils d’un horloger ! N’aimant pas le jeu de loto, j’ai fait des pièces de théâtre, mais on disait : “De quoi se mêle-t-il ? Ce n’est pas un auteur, car il fait d’immenses affaires”. Faute de rencontrer qui voulût me défendre, j’ai imprimé de grands mémoires pour gagner des procès qu’on m’avait intentés. Les avocats se sont écriés : “Peut-on souffrir qu’un pareil homme prouve sans nous qu’il a raison !” J’ai traité avec les ministres de grands points de réformation dont nos finances avaient besoin, mais l’on disait encore : “De quoi se mêle-t-il, puisqu’il n’est point financier ?” Luttant contre tous les pouvoirs, j’ai relevé l’art de l’imprimerie française par les superbes éditions de Voltaire – mais je n’étais pas imprimeur et j’ai eu tous les marchands pour adversaires. J’ai fait le haut commerce dans les quatre parties du monde – mais je ne m’étais point déclaré négociant. J’ai eu quarante navires à la fois sur la mer – mais, n’étant pas un armateur, on m’a dénigré dans nos ports. Un vaisseau de guerre à moi de cinquante-deux canons a eu l’honneur de combattre en ligne avec ceux de Sa Majesté, mais regardé comme un intrus, j’y ai gagné de perdre ma flottille ! De tous les Français, quels qu’ils soient, je suis celui qui a fait le plus pour la liberté de l’Amérique – mais je n’étais point classé parmi les négociateurs…

Sacha Guitry, Beaumarchais

L’oeuvre de Beaumarchais

Les écrits de Beaumarchais sont à son image : représentatifs de l’esprit fin de siècle du XVIIIe, dans ce climat de fermentation sociale, de post-philosophie des Lumières, couplés au renouveau littéraire de l’art dramatique.

Tout dans l’intrigue

« Me livrant à mon gai caractère, j’ai tenté, dans le Barbier de Séville, de ramener au théâtre l’ancienne et franche gaîté , en l’alliant avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle », écrit Beaumarchais.

Dans Le Barbier de Séville, comme dans Le Mariage de Figaro, l’intrigue offre le plus matière à rire : sa richesse en méandres, surprises et rebondissements donnent lieu à des situations comiques. Alors que Beaumarchais emprunte ses sujets à ses prédécesseurs (Le Barbier de Séville est ainsi inspiré de l’Ecole des femmes de Molière), le dramaturge donne « un coup de jeune » à la comédie (Sainte-Beuve l’appelait le « grand rajeunisseur »). 

On doit en effet à Beaumarchais d’avoir renouvelé la comédie en exploitant d’une façon nouvelle les codes de celle-ci. Beaumarchais simplifie l’intrigue (elle peut tenir en quelques mots*), mais ne lésine pas sur les rebondissements et retournements de situation. Le dramaturge semble vouloir confronter ses personnages, et le public, à une forme d’impossible conjoncture, extrême dans ses complications, dont on ne sait comment ils vont se tirer. C’est toujours grâce à une savante élaboration que Beaumarchais conclut ses pièces.

À ce génie des incidents en cascade, s’ajoute un goût prononcé pour la fantaisie. Les pièces de Beaumarchais sont colorées et sonores, le dramaturge ayant développé un goût prononcé pour les indications scéniques précises, allant des costumes aux lieux. Cette attention apportée à la mise en scène permet à Beaumarchais de mettre sur pied des entrevues secrètes, des personnages cachés, déguisés, des quiproquos subtils, etc. 

A cela, il convient d’ajouter les types nouveaux que Beaumarchais invente pour la comédie. Qu’il s’agisse du valet rusé et charmeur, incarné par Figaro, de Rosine, amoureuse délicate et fine dans le Barbier de Séville, puis amante délaissée dans Le Mariage de Figaro, ou encore de Chérubin, le petit page du Mariage de Figaro, jeune et ingénu. 

L’art de la satire

Enfin, Beaumarchais ne se contente pas de faire dans l’intrigue rocambolesque, mais donne à ses pièces une dimension critique. Dans le contexte de l’époque (deuxième moitié du XVIIIe siècle), la vision satirique qu’il donne de la noblesse participe à la réception réussie de ses pièces. S’il plaisante sur les traditionnelles figures du médecin, des juges et des gens de lettres, le dramaturge n’a pas peur du scandale et ose pousser plus loin : 

Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?

Beaumarchais, Le Barbier de Séville, I, 2

La satire sociale constitue même le cœur de l’intrigue du Mariage de Figaro, puisqu’il s’agit finalement d’un valet qui triomphe de son maître, le tout sous les applaudissements de la salle. En outre, la satire, de sociale, devient politique lorsque l’auteur s’en prend aux institutions et aux mœurs politiques…

Un Grand fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

Beaumarchais, Le Barbier de Séville, I, 2

*Intrigue du Barbier de Séville : « Le jeune Comte Almaviva est épris de Rosine, pupille du médecin Bartholo qui la séquestre et compte bien l’épouser. Voici qu’il rencontre Figaro, qui fut jadis à son service et s’est finalement établi comme barbier à Séville. Par Bonheur, Figaro a ses entrées chez Bartholo : son esprit inventif cherche un moyen d’introduire Almaviva auprès de Rosine ». (Lagarde et Michard)

Intrigue du Mariage de Figaro : « Trois ans ont passé. Figaro, devenu concierge du château d’Aguas Frescas va épouser Suzanne, camériste de la comtesse. Mais le Comte, naguère si épris, délaisse maintenant sa femme et voudrait obtenir un rendez-vous de Suzanne, le jour même dy mariage. Chérubin, petit page de 13 ou 14 ans, charmant et précoce est épris en secret de sa marraine la Comtesse. Il raconte à Suzanne que le Comte le renvoie du château lorsqu’Almaviva apparaît : Chérubin se dissimule derrière un fauteuil. Au terme d’un amusant jeu de cache-cache, le Comte le découvre : il est furieux que le page l’ai entendu faire la cour à Suzanne. » (Lagarde et Michard)

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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