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Ingénieur

Variantes Singulier Pluriel
Masculin ingénieur ingénieurs

Définitions de « ingénieur »

Trésor de la Langue Française informatisé

INGÉNIEUR, subst. masc.

A. − Vx. Celui qui construisait ou inventait des machines de guerre ou qui assurait la conception et l'exécution des ouvrages de fortification ou de siège des places fortes. Napoléon (...) [à un secrétaire] Écrivez : « Des ingénieurs seront envoyés sur les routes et dans les places du Nord. » (Dumas père, Napoléon,1831, IV, 1, p. 78).Les confédérés (...) manquaient (...) de machines de guerre et d'ingénieurs pour les sièges (Mérimée, Essai guerre soc.,1841, p. 93).
B. − Moderne
1. Personne qui assure à un très haut niveau de technique un travail de création, d'organisation, de direction dans le domaine industriel :
1. ... aujourd'hui encore de simples ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs n'avaient pas pensé. L'invention mécanique est un don naturel. Bergson, Deux sources,1932, p. 325.
SYNT. Ingénieur civil, militaire; ingénieur d'État; ingénieur en chef; ingénieur des arts et métiers, des ponts et chaussées, des services; diplôme d'ingénieur; école, formation d'ingénieurs.
[Avec ou sans trait d'union] Ingénieur chimiste, ingénieur géographe. M. Hanotaux était un ingénieur-métallurgiste ayant présidé à la construction d'une voie ferrée défectueuse (Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. 227).Ce jeune Turc, dur et soupçconneux, fort intelligent aussi, s'en laissait imposer par la réputation scientifique de l'ingénieur agronome (Tharaud, An prochain,1924, p. 253).Le nom de Meynestrel était lié aux débuts de l'aviation. À la fois pilote et ingénieur-mécanicien (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 23).
En appos. avec valeur adj. Élèves ingénieurs. Des élèves ingénieurs à titre étranger peuvent être admis sur examen spécial (Encyclop. éduc.,1960, p. 235).
P. anal. :
2. Savez-vous le nom du physicien qui a enseigné, à ce singulier ingénieur [le castor], les lois de l'hydraulique, qui l'a rendu si habile avec ses deux dents incisives et sa queue aplatie? Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 168.
P. métaph. Il y avait en lui une sorte de Duranty catholique, mais plus dogmatique et plus aigu, un manieur expérimenté de loupe, un ingénieur savant de l'âme (Huysmans, À rebours,1884, p. 205).
Spécialement
Ingénieur(-)conseil. ,,Professionnel qui donne des conseils, établit des projets, suit des travaux, assiste aux expertises dans le cadre d'activités relevant du métier d'ingénieur`` (Barr. 1974). Lui, depuis des années, n'avait qu'un rêve, être l'ingénieur conseil d'une grande maison de crédit (Zola, Argent,1891, p. 117).
CIN., RADIO, TÉLÉV. Ingénieur du son. Ingénieur électricien spécialisé dans les techniques du son et de l'enregistrement sonore (d'apr. Media 1971). Ils ont disposé le microphone dans une ambiance spéciale (...) ils ont enfin corrigé (...) au moment de l'enregistrement, les sons venus du microphone − les ingénieurs du son ont été créés à cet effet (Wicart, Chanteur,1931, p. 370).
2. Titre ou grade donné à une personne en fonction de sa qualification dans une fonction ou un emploi ou sur le vu d'un diplôme sanctionnant cette qualification. Ingénieur au C.N.R.S.
Ingénieur-docteur. Titre universitaire délivré à des ingénieurs ou à des techniciens qui ont soutenu une thèse après deux années de recherches dans un laboratoire scientifique (d'apr. Lar. Lang. fr.).
Rem. Ingénieur n'a pas de fém. Une femme ingénieur. (Dict. xxes.).
REM. 1.
Ingéniorat, subst. masc.État d'ingénieur. Il y a de très sérieux, de très authentiques parisiens dans l'industrie, l'ingéniorat ou le commerce, dans les chemins de fer ou la parfumerie (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 176).
2.
Ingénierie, subst. fém.,,Ensemble des fonctions allant de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements d'une installation technique ou industrielle (en anglais : engineering)`` (Arrêté du 12 janv. 1973 ds Lang. fr., Paris, J.O., 1980, p. 21).
3.
Ingénieurerie, subst. fém.,var. de ingénierie. (Ds Gilb. 1971).
Prononc. et Orth. : [ε ̃ ʒenjœ:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1537-40 (Comptes des bâtiments du roi, éd. L. de Laborde, t. 1, pp. 132-133 : A Jean Albo, orlogeur et ingénieur du pais de Provence, pour avoir vacqué, luy et ses compagnons, ou fait des tuyaux et engins qu'il a fait et entend faire pour servir à faire monter et descendre les eaux des puis audit lieu de Fontainebleau, pour conduire et faire aller lesdites eaux ès jardins, offices et autres endroits dudit lieu). Réfection, d'apr. ingénier*, de l'a. m. fr. engigneor « constructeur d'engins de guerre » (attesté de ca 1155, Wace, Brut, éd. I. Arnold, 329, au xives., v. Gdf. et T.-L.), dér. de engin*; cette réfection est prob. due à la volonté de séparer le mot de l'anc. verbe engignier « tromper », attesté jusqu'au début du xviies. (v. FEW t. 4, p. 686 a, et Bl.-W.1-5). Fréq. abs. littér. : 1 396. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 433, b) 5 739; xxes. : a) 1 505, b) 1 586. Bbg. Agron (P.). C'est un métier que fabriquer des mots. Leb. Spr. 1977, t. 22, pp. 3-8, passim. - Dubuc (R.). Au Dossier des métiers de l'informat. Meta. 1976, t. 21, p. 259. - Quem. DDL t. 15. - Rauhut (F.) « Ingenieur ». Germ. rom. Mon. 1942, t. 30, pp. 135-137.

Wiktionnaire

Nom commun - français

ingénieur \ɛ̃.ʒe.njœʁ\ masculin (pour une femme, on peut dire : ingénieure, ingénieur, ingénieuse)

  1. Personne qui conduit des ouvrages ou travaux publics, tels que la construction et l’entretien des routes, la construction des vaisseaux, l’exploitation des mines, etc., ou qui s’occupe, soit des applications industrielles et commerciales de la physique, de la mécanique, de la chimie, de l’électricité, et d’autres domaines divers et variés.
    • Le génie est représenté dans l'armée marocaine par un petit corps d’ingénieurs (mohendisîn), dont la fonction principale et à peu près unique est de précéder les corps expéditionnaires et de choisir l'emplacement des campements. — (Frédéric Weisgerber, Trois mois de campagne au Maroc : étude géographique de la région parcourue, Paris : Ernest Leroux, 1904, page 87)
    • Celle-ci, mariée à un ingénieur du P.-L.-M., vivait avec ses trois enfants, dans une maisonnette que le ménage avait fait élever, après la guerre, sur un lotissement de Brunoy. — (Francis Carco, L’Homme de minuit, Éditions Albin Michel, Paris, 1938)
    • Plus de la moitié de ces hauts salaires sont des cadres administratifs ou commerciaux : […]. Un cinquième est ingénieur, alors qu’ils représentent 39% de l’encadrement. — (INSEE, Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France, mai 2009)
    • L’appellation d’ingénieur recouvre en France deux grandes réalités, qui coexistent sans se confondre. D’une part, les ingénieurs sont des personnes exerçant une activité professionnelle demandant plutôt une compétence technique. Mais on parle aussi d’ingénieurs commerciaux, en référence au statut social de l’ingénieur, plus qu’au contenu de son activité. Ce même vocable caractérise aussi les personnes ayant obtenu un titre d’ingénieur, titre qui sanctionne (aujourd’hui) une formation à Bac + 5, dans les écoles d’ingénieurs. — (CNISF & CEFI, Observatoire de l'emploi des ingénieurs diplômés, juin 2009)
    • En juin 1918, alors que la Première Guerre mondiale n'en finit pas, le parlement local autorise la construction de la plus grande centrale à stockage du monde. Il y est encouragé par l’ingénieur Oskar von Miller, le « père » de l'hydroélectricité allemande, qui y voit une solution pour électrifier le pays. — (Ludovic Dupin, La centrale qui a électrifié la Bavière, dans L’Usine nouvelle, n° 3252, 8 septembre 2011, page 8)
    • Vous réalisez quand même que l'amour canin a poussé nos ingénieurs à créer la moto-crotte ? — (Frédéric Chauvelot, Je n’aime pas…, Éditions Edilivre, 2014)
    • Ingénieur, Julia travaille dans la florissante économie des services aux entreprises. — (Martine D’Amours, « Julia ou le travail dans trente ans », Argument, volume XXII, n° 1, automne-hiver 2019-2020, page 93)
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Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935)

INGÉNIEUR. n. m.
Celui qui conduit des ouvrages ou travaux publics, tels que la construction et l'entretien des routes, la construction des vaisseaux, l'exploitation des mines, etc. Ingénieur des ponts et chaussées. Ingénieur des mines. Ingénieur de la marine ou maritime. Ingénieur des constructions navales, des constructions civiles. Ingénieur en chef. Ingénieur des Arts et Manufactures, Celui qui a obtenu le diplôme de l'École Centrale des Arts et Manufactures de Paris. Ingénieur civil, Ingénieur qui n'appartient pas aux services publics. Ingénieur-géographe, Celui qui dresse des cartes de géographie. Par extension, il se dit de Tous ceux qui s'occupent, soit théoriquement, soit pratiquement, des applications de la physique, de la mécanique, de la chimie, de l'électricité. Ingénieur constructeur. Ingénieur agronome. Ingénieur électricien.

Littré (1872-1877)

INGÉNIEUR (in-jé-ni-eur) s. m.
  • 1Celui qui invente, qui trace et qui conduit des travaux et des ouvrages, pour attaquer, défendre ou fortifier des places. Ingénieur militaire. Le maréchal de Vauban, né en 1633, le plus grand ingénieur qui ait jamais été, a fait fortifier, selon sa nouvelle manière, trois cents places anciennes, et en a bâti trente-trois, Voltaire, Henr. VII, note. Enfin il [Pierre le Grand] a eu jusqu'à une école d'ingénieurs dans un pays où personne ne savait [avant lui] les éléments de géométrie, Voltaire, Charles XII, 1.
  • 2Celui qui conduit des ouvrages ou travaux publics, tels que la construction et l'entretien des routes et des ponts, l'exploitation des mines, etc. Ingénieur des ponts et chaussées. Ingénieur des mines. Ingénieur de la marine ou ingénieur maritime. Ingénieurs des chemins de fer.

    Ingénieur civil, nom donné aux ingénieurs qui ne sortent pas de l'école polytechnique, ou qui travaillent pour l'industrie privée.

  • 3Ingénieur-constructeur de la marine, ingénieur qui s'applique à l'art des constructions navales. Les constructeurs des vaisseaux de Sa Majesté seront appelés à l'avenir ingénieurs-constructeurs de la marine, Ordonn. du 15 av. 1689. M. de Chazelles y fit les fonctions d'ingénieur, fort différentes de celles de professeur d'hydrographie, Fontenelle, Chazelles.
  • 4Ingénieur-géographe, celui qui dresse des cartes de géographie.

    Ingénieur hydrographe, voy. HYDROGRAPHE.

  • 5Ingénieur pour les instruments de mathématique, celui qui fait des instruments de mathématique.
  • 6Ingénieur opticien, celui qui fait des instruments d'optique.

HISTORIQUE

XIIe s. Il fait creuser souz terre à pic et à martel à ses angigneors, dont ot pris maint chastel, Saxons, IX.

XIIIe s. Li engignieres fut moult sage, Fl. et Bl. V. 1852. Le roy fist faire XVIII engins, dont Jocelin de Connaut estoit mestre engingneur, Joinville, 221.

XVe s. D'autre part il y avoit dedans Mortaigne un maistre engigneur qui avisa et considera l'engin de ceux de Valenciennes, et comment il grevoit leur forteresse, Froissart, I, I, 136. Un maître engigneur d'appertise [un homme qui fait des tours de force] avoit attaché une corde, laquelle corde comprenoit moult loin et par dessus la maison, Froissart, III, IV, 1.

XVIe s. Ce que nos plus subtils ingenieux d'aujourd'hui appellent flancsfichés, D'Aubigné, Hist. I, 313. La mechanique ou art des ingenieurs, Amyot, Marc. 21.

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Encyclopédie, 1re édition (1751)

INGÉNIEUR, s. m. (Gram.) Nous avons trois sortes d’ingénieurs ; les uns pour la guerre ; ils doivent savoir tout ce qui concerne la construction, l’attaque & la défense des places. Les seconds pour la marine, qui sont versés dans ce qui a rapport à la guerre & au service de mer ; & les troisiemes pour les ponts & chaussées, qui sont perpétuellement occupés de la perfection des grandes routes, de la construction des ponts, de l’embellissement des rues, de la conduite & réparation des canaux, &c.

Toutes ces sortes d’hommes sont élevés dans des écoles, d’où ils passent a leur service, commençant par les postes les plus bas, & s’élevant avec le tems & le mérite aux places les plus distinguées.

Ingénieur, c’est dans l’état militaire un officier chargé de la fortification, de l’attaque & de la défense des places, & des différens travaux nécessaires pour fortifier les camps & les postes qu’on veut défendre à la guerre.

« Le nom d’ingénieur marque l’adresse, l’habileté & le talent que les officiers doivent avoir pour inventer. On les appelloit autrefois engeigneurs, du mot engin qui signifie machine, parce que les machines de guerre avoient été pour la plûpart inventées par ceux qui les mettoient en œuvre dans la guerre. Or engin vient d’ingenium ; on appelloit même en mauvais latin ces machines ingenia.

Hi se clauserunt propè ripas ingeniorum, dit Guillaume le Breton dans l’histoire en vers de Philippe Auguste, en parlant du quartier où étoient les machines ».

Et Guillaume Guyart, lingigneurs engins dressent. Hist. de la milice franc. 2. 11. pag. 89.

L’emploi d’ingénieur exige beaucoup d’étude, de talens, de capacité & de génie. Les sciences fondamentales de cet état sont l’Arithmétique, la Géométrie, la Méchanique & l’Hydraulique.

Un ingénieur doit avoir quelqu’usage du dessein. La physique lui est nécessaire pour juger de la nature des matériaux qu’on emploie dans les bâtimens, de celle des eaux, & des différentes qualités de l’air des lieux qu’on veut fortifier.

Il est très-utile qu’il ait des connoissances générales & particulieres de l’Architecture civile, pour la construction des bâtimens militaires, comme casernes, magazins, arsenaux, hôpitaux, logemens de l’état-major, &c. dont les ingénieurs sont ordinairement chargés. M. Frézin recommande aux ingénieurs de s’appliquer à la coupe des pierres. « J’ai reconnu par ma propre expérience, dit ce sçavant auteur, (dans l’ouvrage qu’il a donné sur cette matiere) que cette connoissance (de la coupe des pierres) étoit aussi indispensablement nécessaire à un ingénieur qu’à un architecte, parce qu’il peut être envoyé comme moi dans des colonies éloignées, & même dans les provinces où l’on manque d’ouvriers capables d’exécuter certaines parties de la fortification, où il faut de l’intelligence dans cet art ».

Ces différentes connoissances & plusieurs autres que M. Maigret desire encore dans un ingénieur, comme celle de l’Histoire, de la Grammaire & de la Rhétorique, auxquelles on pourroit joindre celle des différentes manœuvres des troupes, ne sont que l’accessoire de ce qui constitue le véritable ingénieur. C’est la science de la fortification, de l’attaque & de la défense des places, qui le caractérise particulierement, & qui doit être l’objet le plus sérieux de ses études. « Les différentes parties du génie, dit l’auteur de l’Ingénieur de campagne, se rapportent presque toutes à la fortification. L’on ne peut douter qu’elle n’en soit la principale ; cependant à parler en général, c’est, dit-il, celle à laquelle les ingénieurs s’attachent le moins. Cette indifférence, ajoûte cet auteur, vient probablement de ce que n’ayant appris qu’une routine sans principes, qu’un maître peu éclairé rend respectable par le nom de l’auteur dont il l’emprunte ; on regarde naturellement cet objet comme borné, & comme porté au point de perfection dont il est possible ». Préface de l’Ingénieur de campagne.

Il est certain qu’en examinant le progrès de la fortification depuis l’invention des bastions, on s’apperçoit que la disposition de l’enceinte des places a éprouvé peu de changemens ; mais doit-on en conclure qu’elle a tout le degré de perfection possible ? Non sans doute ; le peu de durée de la défense de cette enceinte, lorsque l’ennemi a pu s’en approcher, suffit pour le démontrer.

Il est donc important de chercher à rendre notre fortification plus parfaite. Il faudroit trouver le moyen de se garantir de l’effet du ricochet ; de rendre les ouvrages moins exposés à la nombreuse artillerie avec laquelle on bat les places ; de mettre les dehors plus en état d’être soutenus, & repris par l’assiégé ; de faciliter les communications, de les rendre plus sûres & plus commodes, & sur-tout de diminuer l’excessive dépense de la fortification. Ce sont les principaux objets qu’on doit avoir en vûe dans les nouveaux systèmes de fortification qu’on peut proposer. Les ingénieurs peuvent seuls donner des idées justes dans une matiere où la théorie ne peut rien, ou du moins ne peut que très-peu de chose sans la pratique des siéges. C’est cette expérience qui a produit le Traité de fortification de M. le comte de Pagan, & les vûes nouvelles que cet illustre ingénieur a données pour perfectionner la disposition de l’enceinte des places, & pour rendre la défense des flancs plus directe. Voyez Fortification.

Pour perfectionner la fortification, ou rectifier ce qu’elle a de desavantageux, il faut posséder parfaitement tout ce qui a été fait & enseigné sur cette matiere. Cette étude, lorsqu’on y fait un peu d’attention, paroît plus vaste & plus difficile qu’on ne le croyoit d’abord. Bien des gens s’imaginent savoir la fortification, parce qu’ils ont appris à tracer l’enceinte d’un plan suivant la méthode de M. de Vauban, ou celle de quelqu’autre ingénieur ; mais ceux qui ont refléchi sur cet art sentent bien quelles sont les bornes d’une pareille étude. Elle sert seulement à apprendre les termes de la Fortification ; mais si l’on n’entre point dans l’esprit des inventeurs des systèmes, si l’on ne fait pas attention aux différens objets qu’ils ont eus dans leur construction, il arrive, comme l’expérience le prouve, qu’après avoir beaucoup copié de plans, & construit beaucoup de systèmes, on ignore encore la fortification, c’est à-dire son esprit, ses regles & ses préceptes, & qu’on se trouveroit très-embarrassé s’il falloit appliquer ces regles à une situation tant-soit-peu irréguliere.

Les connoissances de la fortification, utiles à un ingénieur, sont bien différentes de celles qui conviennent à un officier ordinaire. Le premier doit non-seulement savoir disposer les ouvrages d’une place de guerre pour la mettre en état de faire une vigoureuse résistance ; mais il faut encore qu’il sache les construire, & remédier aux différens inconvéniens qui arrivent dans la construction. L’officier peut se borner au premier objet pour être en état de reconnoître le fort & le foible d’une place. Si avec cela il sait mettre un village ou un poste en état de résister à un coup de main, on peut dire qu’il possede la fortification nécessaire à son état. Mais l’habileté de l’ingénieur doit être portée à un point bien différent. Comme les idées ne se présentent que successivement, il faut, pour en trouver d’utiles, s’appliquer très-sérieusement à l’objet que l’on veut perfectionner. Ceux qui croient n’avoir plus rien à apprendre dans les choses de leur état, ne sont pas propres à trouver de nouvelles inventions. Un esprit éclairé, sage & raisonnable, n’emploie guere son tems à des |recherches particulieres, qu’autant qu’il présume que son application ne sera pas infructueuse ; il est rare qu’avec cette disposition, de l’intelligence, des connoissances & un travail assidu, on ne parvienne à la fin à quelque découverte utile.

Nous pensons donc que la perfection de la fortification actuelle est un objet digne de l’attention & de l’application des plus savans ingénieurs. On peut tout attendre d’un corps aussi éclairé & aussi distingué que celui du génie, qui ne voit rien en Europe qui puisse lui être comparé dans l’attaque & dans la défense des places.

Il est établi en France, depuis M. le maréchal de Vauban, de ne recevoir aucun ingénieur qui n’ait été examiné sur les parties des Mathématiques nécessaires à son état, c’est-à-dire, sur l’Arithmétique, la Géométrie élémentaire & pratique, la Méchanique & l’Hydraulique. Le Roi paye pour cet effet un examinateur particulier.

L’intention de M. le maréchal de Vauban étoit, qu’après cet examen, on envoyât les jeunes gens, qui l’avoient subi, dans les places où il y avoit de grands travaux, pour les former dans le service des places, & leur faire acquérir les différentes parties de la science du Génie. Cette espece de noviciat devoit durer un an ou deux, après quoi il vouloit qu’on les examinât de nouveau pour juger de leurs talens & du progrès de leur application avant que de les admettre à l’état d’ingénieur. Ceux dont les talens auroient paru trop médiocres pour le Génie, devoient être placés dans l’infanterie, où les connoissances qu’ils avoient acquises ne pouvoient que contribuer à en faire de bons officiers.

Le Roi a établi à Mézieres, depuis quelques années, une école particuliere pour le Génie.

Quoique tous les Ingénieurs doivent être également versés dans le service des places & dans celui de campagne ; cependant comme il est difficile d’exceller en même tems dans chacun de ces deux services, peut-être seroit-il à propos de les diviser en ingénieurs de place & en ingénieurs de campagne.

Ces deux états, dont M. le maréchal de Vauban a réuni les différentes qualités dans le degré le plus éminent, supposent également la science de la fortification ; mais comme on peut posséder le détail de la construction des travaux, qui ne s’apprend point en campagne, & ignorer ou du moins ne point exceller dans ce détail, & être très-habile dans le service de campagne, qui ne donne aucune idée de celui des places, le partage de ces deux fonctions pourroit peut-être donner lieu de former des sujets plus habiles dans chacune de ces deux parties du Génie.

Le service de campagne demande beaucoup de connoissance de l’art de la guerre ; il exige d’ailleurs une grande vivacité d’esprit & d’intelligence pour imaginer & exécuter en même tems les différens travaux nécessaires en campagne, pour fortifier les camps & les postes qu’on veut défendre : « On n’étudie point cette matiere dans les places, dit M. de Clairac dans l’Ingénieur de campagne, parce que ce n’est point l’objet présent… D’ailleurs, quel que soit le rapport de la fortification de campagne avec celle des places, la science de celle-ci ne suffit pas toujours pour développer pleinement ce qui concerne l’autre ». C’est pourquoi, dès que les travaux de l’ingénieur en campagne exigent une étude particuliere, il semble qu’il seroit très-convenable de s’y appliquer aussi particulierement.

Les qualités nécessaires aux ingénieurs de guerre ou de campagne sont, suivant M. le maréchal de Vauban, « beaucoup de cœur, beaucoup d’esprit, un génie solide, & outre cela une étude perpétuelle & une expérience consommée sur les principales parties de la guerre : mais si la nature rassemble très-rarement ces trois premieres qualités dans un seul homme, il est encore plus extraordinaire d’en voir échapper à la violence de nos sieges, & qui puissent vivre assez pour pouvoir acquèrir les deux autres. Le métier est grand & noble, mais il mérite un génie fait exprès & l’application de plusieurs années ». Instruct. pour la conduite des sieges.

Aux qualités précédentes, « il faut encore, dit M. Maigret, joindre l’activité & la vigilance absolument nécessaires dans toutes les actions de la guerre, mais sur-tout dans l’attaque des places qui esperent du secours. Il ne faut point donner le tems aux assiégés de se reconnoître ; qui y perd une heure, en perd pour le moins deux, & un seul moment perdu en ces occasions est quelquefois irréparable. C’est par l’activité & la vigilance que les ingénieurs contraignent souvent des assiégés de capituler, qui ne le feroient que long-tems après, si ces ingénieurs n’avoient pas usé d’une grande promptitude dans le progrès des attaques ». Traité de la sûreté des états par le moyen des forteresses.

Aux deux divisions précédentes d’ingénieur de place & d’ingénieur de campagne, peut-être seroit-il encore à propos de faire une troisieme classe pour la fortification des villes maritimes, qui demande une étude particuliere, & dans laquelle il est difficile d’exceller sans beaucoup de travail & d’application. Il suffit, pour s’en convaincre, d’une lecture sérieuse & réfléchie des deux derniers volumes de l’Architecture hydraulique, par M. Belidor.

Les appointemens des ingénieurs, lorsqu’on les reçoit, sont de six cens livres par an. Ils augmentent ensuite, selon le mérite & l’ancienneté. Dans les sieges & en campagne, les moindres appointemens de ceux qu’on y emploie sont de cent cinquante livres par mois.

Les ingénieurs obtiennent les mêmes grades militaires & les mêmes récompenses que les autres officiers des troupes. Ainsi ils parviennent à celui de brigadier, de maréchal de camp, de lieutenant général & même de maréchal de France, comme l’a été M. de Vauban. Ils ont aussi des pensions, des majorités, des gouvernemens de places, &c.

Le nombre des ingénieurs en France est de trois cens. Ils sont partagés dans les différentes places de guerre du royaume. En tems de guerre, on en forme des détachemens à la suite des armées. Ceux qui servent dans les siéges sont partagés en brigades, à la tête de chacune desquelles est un ancien ingénieur, auquel on donne le nom de brigadier. Ces brigades se relevent toutes les vingt-quatre heures.

Dans les places où il y a plusieurs ingénieurs, le premier est appellé ingénieur en chef. Il a la direction principale de tous les travaux ; les autres agissent sous ses ordres. Les appointemens des ingénieurs en chef sont de 1800 livres, mais ils ont outre cela des récompenses & des gratifications. Cette place demande des soins infinis, dit M. le maréchal de Vauban, « une activité perpétuelle, beaucoup de conduite, de bon-sens, d’expérience dans tous les ouvrages de terre, de bois & de pierre, avec une parfaite intelligence de toutes les différentes especes de matériaux, de leur prix, & de la capacité des ouvriers. Ces qualités sont si nécessaires dans la conduite des grands travaux, que par-tout où elles se trouvent manquer, on peut s’assûrer que le moindre mal qui en puisse arriver sera un retardement, une longue & ennuyeuse construction, quantité de mal-façons, & toujours beaucoup de dépense superflue : accidens à jamais inséparables de la médiocre intelligence de ceux qui en seront chargés ». Directeur des fortifications.

Il y a aussi des ingénieurs provinciaux ou directeurs des fortifications dans les provinces. Ce sont ceux qui sont chargés de la direction générale de tous les travaux qui se font dans les places de leur département. (Q)

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Étymologie de « ingénieur »

Provenç. enginhaire, enginhador ; du bas-lat. ingeniatorem, de ingeniari, s'ingénier (voy. ce mot). Enginhaire en provençal, engignere en français est le nominatif ; enginhador, engigneor est le régime. Ingénieur est une altération de la forme ancienne et correcte engigneur.

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(1537)[1] Dérivé de ingénier, avec le suffixe -eur[2], en ancien français engigneor (« constructeur d’engins de guerre »)[3]. Dans un sens vieilli, il représente celui qui construisait ou inventait des machines de guerre ou qui assurait la conception et l’exécution des ouvrages de fortification ou de siège des places fortes.
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Phonétique du mot « ingénieur »

Mot Phonétique (Alphabet Phonétique International) Prononciation
ingénieur ɛ̃ʒeniœr

Fréquence d'apparition du mot « ingénieur » dans le journal Le Monde

Source : Gallicagram. Créé par Benjamin Azoulay et Benoît de Courson, Gallicagram représente graphiquement l’évolution au cours du temps de la fréquence d’apparition d’un ou plusieurs syntagmes dans les corpus numérisés de Gallica et de beaucoup d’autres bibliothèques.

Évolution historique de l’usage du mot « ingénieur »

Source : Google Books Ngram Viewer, application linguistique permettant d’observer l’évolution au fil du temps du nombre d'occurrences d’un ou de plusieurs mots dans les textes publiés.

Citations contenant le mot « ingénieur »

  • Pour un ingénieur, rien ne distingue la plupart des gens normaux sur le plan intellectuel d’un pois sauteur mexicain avec un visage.
    Scott Adams — Le Principe de Dilbert
  • Aucun ingénieur ne regarde une télécommande sans se demander comment faire pour la transformer en un pistolet hypodermique.
    Scott Adams — Le Principe de Dilbert
  • Si j'avais dit à mon père, sévère ingénieur, que je voulais écrire, il m'aurait demandé : à qui ?
    Maurice Donnay
  • Les vêtements sont la dernière priorité d’un ingénieur, pour peu qu’ils soient adaptés à la température ambiante et ne franchissent pas le seuil de la décence.
    Scott Adams — Le Principe de Dilbert
  • Il faut se méfier des ingénieurs, ça commence par la machine à coudre, ça finit par la bombe atomique.
    Marcel Pagnol — Critique des critiques, Nagel
  • J'aime m'intituler, avec un certain orgueil, ingénieur des ponts et chansons
    Guy Béart — Le JDD, 16 juin 2013
  • Une trentaine d’universités proposent aux étudiants un parcours pour devenir ingénieur : le cursus master en ingénierie. Cette formation présente des ressemblances avec celle proposée par les écoles d'ingénieurs. Quelles sont les différences entre les deux filières et comment choisir ?
    Comment choisir entre une école d'ingénieurs et un master d'ingénierie à l'université ? - L'Etudiant
  • Au cours des trois dernières décennies, avec la mise sur un piédestal (virtuel…) de la communication interne à l'entreprise, le mode "dictatorial" des dirigeants a fait place progressivement à un mode que je qualifierais de "bonhomme". L'avènement de la qualité totale dans les années 80 a définitivement contribué à infantiliser l'ingénieur, ou plus précisément, à le considérer comme un (grand ?) enfant qu'il faut absolument materner à coup de slogans et de formations dont on se demande si les promoteurs sont conscients qu'ils s'adressent à des gens qui ont (quand même !) quelques années d'études poussées après le bac…
    usinenouvelle.com/ — L'insoutenable infantilisme de l'ingénieur - Rodolphe Krawczyk
  • L'art du pédagogue est comme l'art de l'ingénieur. L'inspiration, le génie pédagogique, l'intuition et autres vertus exaltées ne sont jamais interdits. Ils sont même, probablement, toujours nécessaires. Ils ne sont jamais suffisants.
    Pierre Gréco — Le Monde de l’Education - 19 Décembre 1968
  • Féru de mécanique et d'aviation ? Découvre vite le métier d'ingénieur concepteur moteur aéronautique et participe à l'avion de demain. Entre conception sur ordinateur et tests de faisabilité, l'ingénieur concepteur moteur est au cœur de l'innovation et de la création.
    Futura — Devenir ingénieur concepteur moteur aéronautique : formations, débouchés, salaire...
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Images d'illustration du mot « ingénieur »

⚠️ Ces images proviennent de Unsplash et n'illustrent pas toujours parfaitement le mot en question.

Traductions du mot « ingénieur »

Langue Traduction
Anglais engineer
Espagnol ingeniero
Italien ingegnere
Allemand ingenieur
Chinois 工程师
Arabe مهندس
Portugais engenheiro
Russe инженер
Japonais エンジニア
Basque ingeniaria
Corse ingegneria
Source : Google Translate API

Synonymes de « ingénieur »

Source : synonymes de ingénieur sur lebonsynonyme.fr

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Ingénieur

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