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Citations sur le dans - Page 5
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T’es pas de mon avis ? Je le regarde tandis qu’il s’embarque dans ses explications à la mords-moi-le-noeud.
Philippe Djian — Criminels -
Et sa fameuse entreprise est sans doute un squat plein d’utopistes à la mords-moi-le-nœud embrumés par le shit. Je les imagine sans peine, dix ou douze types malades entassés dans une cabane et vomissant le système.
Tristan Egolf — Jupons et violons -
Nos cœurs étaient muets à force d’être pleins ;Nous effeuillions sur l’eau des tiges dans nos mains ;Je ne sais quel attrait des yeux pour l’eau limpideNous faisait regarder et suivre chaque ride,Réfléchir, soupirer, rêver sans dire un mot,Et perdre et retrouver notre âme à chaque flot.Nul n’osait le premier rompre un si doux silence,Quand, levant par hasard un regard sur Laurence,Je vis son front rougir et ses lèvres trembler,Et deux gouttes de pleurs entre ses cils rouler,Comme ces pleurs des nuits qui ne sont pas la pluie,Qu’un pur rayon colore, et qu’un vent tiède essuie.— Que se passe-t-il donc, Laurence, aussi dans toi ?Est-ce qu’un poids secret t’oppresse ainsi que moi ?— Oh ! je sens, me dit-il, mon cœur prêt de se fendre ;Mon âme cherche en vain des mots pour se répandre :Elle voudrait créer une langue de feu,Pour crier de bonheur vers la nature et Dieu.— Dis-moi, repris-je, ami, par quelles influencesMon âme au même instant pensait ce que tu penses ?Je sentais dans mon cœur, au rayon de ce jour,Des élans de désirs, des étreintes d’amourCapables d’embrasser Dieu, le temps et l’espace ;Et pour les exprimer ma langue était de glace.Cependant la nature est un hymne incomplet,Et Dieu n’y reçoit pas l’hommage qui lui plaît,Quand l’homme, qu’il créa pour y voir son image,N’élève pas à lui la voix de son ouvrage :La nature est la scène, et notre âme est la voix.Essayons donc, ami, comme l’oiseau des bois,Comme le vent dans l’arbre ou le flot sur le sable,De verser à ses pieds le poids qui nous accable,De gazouiller notre hymne à la nature, à Dieu :Créons-nous par l’amour prêtres de ce beau lieu !Sur ces sommets brûlants son soleil le proclame,Proclamons-l’y nous-même et chantons-lui notre âme !La solitude seule entendra nos accents : Écoute ton cœur battre, et dis ce que tu sens.
Alphonse de Lamartine — Jocelyn -
C’est une nuit d’été ; nuit dont les vastes ailesFont jaillir dans l’azur des milliers d’étincelles ;Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,Permet à l’œil charmé d’en sonder l’infini ;Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,De ce livre de feu rouvre toutes les pages !Sur le dernier sommet des monts, d’où le regardDans un trouble horizon se répand au hasard,Je m’assieds en silence, et laisse ma penséeFlotter comme une mer où la lune est bercée.[…]Que le séjour de l’homme est divin, quand la nuitDe la vie orageuse étouffe ainsi le bruit !
Alphonse de Lamartine — “Une nuit d’été” -
Vivement frappés du sentiment poétique qui y domine et de la teinte originale et religieuse de cette poésie, nous avons pensé que le public les accueillerait avec intérêt. […] Nous savons aussi qu’il y a au fond de l’âme humaine un besoin imprescriptible d’échapper aux tristes réalités de ce monde et de s’élancer dans les régions supérieures de la poésie et de la religion.
Eugène Genoude — Avertissement au lecteur des Méditations poétiques -
Je n’imitais plus personne, je m’exprimais moi-même pour moi-même. Ce n’était pas un art, c’était un soulagement de mon propre cœur qui se berçait de ses propres sanglots. Je ne pensais à personne en écrivant çà et là ces vers, si ce n’est à une ombre et à Dieu. Ces vers étaient un gémissement ou un cri de l’âme. Je cadençais ce cri ou ce gémissement dans la solitude, dans les bois, sur la mer ; voilà tout. Je n’étais pas devenu plus poète, j’étais devenu plus sensible, plus sérieux et plus vrai. C’est là le véritable art : être touché ; oublier tout art pour atteindre le souverain art, la nature.
Alphonse de Lamartine — Des Méditations -
À moi, si peu brillante, si inculte, si rabougrie, il disait que ma conversation était un plaisir. Et si vous croyez que c’était manière de se payer ma tête, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Il était brut de décoffrage, Lulu, ça ne vous aura pas échappé, incapable de mentir même pour servir ses intérêts.
Cécile Philippe — Salut Lulu ! -
Le journaliste en tire les conclusions qu’il veut. Il se croit au Brésil avec son délire sur les « Escadrons de la mort ». A partir des mêmes éléments, le Figaro dira le contraire en dissertant de manière aussi convaincante. L’important se trouve dans l’interview. Du solide, du brut de décoffrage.
Didier Daeninckx — Lumière noire -
Où est passé le balaise avec lequel vous êtes sortis du métro? demanda-t-il. On s’est disputés. Il est parti devant, dit Agger. Il a le cul bordé de nouilles, ce mec. Il tomberait dans un égout, il en ressortirait parfumé à la rose.
Roderick Cooper — À bas les touristes ! -
En outre, ses dons en faisaient un compagnon hors pair et nous n’eussions pu concevoir de partie fine ou de scandale nocturne dont il n’eût pas été la principale figure. Musicien avant tout, il jouait en virtuose de plusieurs instruments, variant selon l’occasion le style et les effets, passant des œuvres les plus élaborées au chant populaire accompagné de guitare dans une libre improvisation.
Noël Devaulx — La Dame de Murcie -
Il allait sortir quand, soudain, il vit, dans un coin du salon, sur un piano droit, l’obscur carton à kaolin noirci à l’indian ink sur quoi, suivant Savorgnan, Voyl avait fait blanchir par un artisan hors pair un tanka japonais.
Georges Perec — La disparition -
A l’issue de ma pause-sommeil de midi, me voilà emportée par une vision qui n’a rien de commun avec un rêve ordinaire, je descends dans la grande pièce et, par ma fenêtre ouverte, j’aperçois, couché en chien de fusil sur le rebord extérieur de l’hôtel en face, un jeune homme pauvrement vêtu de rouge et de vert qui dort à poings fermés comme un enfant…
Dominique Rolin — L’Accoudoir -
À l’issue de huit heures d’errance musicale, je me couchai furieux, convaincu d’avoir été manipulé, trompé, trahi par les conseils de mes proches, jeté par leur perversité dans une cause perdue où j’avais gaspillé un temps précieux.
Benoît Duteurtre — L’amoureux malgré lui -
Ce que cherche le lecteur, dans un livre de Dumas, ce qui en fait tourner les pages, c’est le récit d’une aventure, celle de D’Artagnan et de ses amis, celle d’Edmond Dantès (comte de Monte-Cristo, ndlr) ou de Joseph Hyacinthe Boniface de Lérac de La Môle, le gentilhomme protestant de La Reine Margot. Le grand art de l’auteur est de mêler les événements d’une destinée personnelle à ceux de l’Histoire majuscule en train de se faire.
Axel Preiss — Dictionnaire des littératures de la langue française -
Ce monde nouveau, régénéré par le baptême du sang, est maintenant encore dans sa jeunesse ; et comme l’énergie des premiers temps a fortement empreint de couleurs poétiques nos deux plus belles productions, la Genèse et l’Illiade, nous ne doutons pas que notre littérature ne se ressente aussi poétiquement de cette vie nouvelle qui anime notre société. Celle-ci est devenue plus vraie ; la littérature le sera aussi.
Alexandre Guiraud — article dans La Muse française -
Nos enfants souffrent, ils rêvent de bien, d’amour et de jeux, ils les entraînent dans le mal, la haine et l’oisiveté. Ils n’ont que ce moyen pour vivre, se faire harraga, brûler la route, comme jadis on brûlait ses vaisseaux pour n’avoir pas à revenir.
Boualem Sansal — Harraga -
Peut-être Antoinette partage-t-elle cette opinion car je n’ai jamais entendu une bonne faire autant de bruit qu’elle dans la cuisine. Porte-toi bien, profite de la vie et dors.
James Joyce — Lettres -
Il s’y trouvait des métaphores aussi monstrueuses que des orchidées et aussi subtiles de couleurs. La vie des sens y était décrite dans des termes de philosophie mystique. On ne savait plus par instants si on lisait les extases spirituelles d’un saint du Moyen Âge ou les confessions morbides d’un pêcheur moderne. C’était un livre empoisonné.
Oscar Wilde — Le Portrait de Dorian Gray -
Il a eu une postérité immédiate. Mais Huysmans est quand même en retrait : il est persuadé qu’on ne le comprend pas. On prend À rebours pour un roman imaginatif et baroque, alors que lui dit avoir écrit le parcours d’un aristocrate névrosé de l’époque. Il est dans le même état d’esprit d’incompréhension à la réception de ses romans catholiques qui se vendent bien.
André Guyaux — Libération -
Ici-bas, tout est décomposé, tout est mort, mais là-haut ! Ah, je l’avoue, l’effusion de l’Esprit Saint, la venue du Divin Paraclet se fait attendre ! Mais les textes qui l’annoncent sont inspirés : l’avenir est donc crédité, l’aube sera claire ! Et, les yeux baissés, les mains jointes, ardemment il pria.Des Hernies se leva et fit quelques pas dans la pièce.– Tout cela est fort bien, grogna-t-il, mais ce siècle se fiche absolument du Christ en gloire ; il contamine le surnaturel et vomit l’au-delà. Alors comment espérer en l’avenir, comment s’imaginer qu’ils seront propres, les gosses issus des fétides bourgeois de ce sale temps ? Élevés de la sorte, je me demande ce qu’ils feront dans la vie, ceux-là ?Ils feront comme leurs pères, comme leurs mères, répondit Durtal, ils s’emplieront les tripes et se vidangeront l’âme par le bas-ventre !
Joris-Karl Huysmans — Là-bas -
J’ai trempé dans l’humanité vulgaire ; j’en ai souffert. Fuyons, rentrons dans l’artificiel.
Maurice Barrès — Un homme libre -
Son mépris de l’humanité s’accrut ; il comprit enfin que le monde est, en majeure partie, composé de sacripants et d’imbéciles. Décidément, il n’avait aucun espoir de découvrir chez autrui les mêmes aspirations et les mêmes haines, aucun espoir de s’accoupler avec une intelligence qui se complût, ainsi que la sienne, dans une studieuse décrépitude, aucun espoir d’adjoindre un esprit pointu et chantourné tel que le sien, à celui d’un écrivain ou d’un lettré.
Joris-Karl Huysmans — À Rebours -
Conservateur par tempérament, sans même avoir besoin d’étayer de principes politiques son conservatisme, vieux de la Vieille du Protocole, homme du monde fort goûté dans la bonne société de Washington, il y fit successivement deux brillants mariages, tous deux sans enfants.
Marguerite Yourcenar — Souvenirs pieux -
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masuresLes persiennes, abri des secrètes luxures,Quand le soleil cruel frappe à traits redoublésSur la ville et les champs, sur les toits et les blés,Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.Ce père nourricier, ennemi des chloroses,Eveille dans les champs les vers comme les roses ;Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquillesEt les rend gais et doux comme des jeunes filles,Et commande aux moissons de croître et de mûrirDans le coeur immortel qui toujours veut fleurir !Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,Il ennoblit le sort des choses les plus viles,Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
Baudelaire — Les Fleurs du Mal -
Papa gardait dans son bureau la photographie de sa dernière maîtresse, brillante et jolie, qui venait parfois à la maison avec son mari. Il a dit à maman, en riant, trente ans plus tard « Tu as fait disparaître sa photo. » Elle a nié, sans le convaincre.
Simone de Beauvoir — Une mort très douce -
Nous nous amusions comme des fous et parfois Javier intervenait, avec une dialectique fougueuse, dans ce jeu des choses cucul la praline.
Mario Vargas Llosa — La tante Julia et le scribouillard -
C’est le temps où tout ce qui me touche de près m’est étranger. J’émigre doucement vers le monde petit-bourgeois, admise dans ces surboums dont la seule condition d’accès, mais si difficile, consiste à ne pas être cucul.
Annie Ernaux — La place -
Suivait-il les études du séminaire ? Exerçait-il dans l’église un emploi rémunéré ? Ou était-ce tout simplement un cucul la praline, un bosseur bénévole qui ne pouvait pas se passer du parfum de l’encens, des flammes des cierges et de pieux rabâchages ?
Gerard Reve — Parents soucieux -
[…] « j’ai voulu suivre un pétale de rose. Il a dansé sur la cascade, puis une pie l’a emporté dans les branches d’un chêne. Il a repris sa course avec le vent et, la nuit, a rêvé parmi les colonnes de marbre. Le voici sur la table d’un poète, lequel déjà l’immortalise, non sans mentir un peu. Dans un monde meilleur que le mien, je choisirais, je crois, d’être un pétale. »
Alain Bosquet — Le tourment de Dieu -
Non seulement [l’auteur et le lecteur] se méfient du personnage de roman, mais, à travers lui, ils se méfient l’un de l’autre. Il était le terrain d’entente, la base solide d’où ils pouvaient d’un commun effort s’élancer vers des recherches et des découvertes nouvelles […] Quand on examine sa situation actuelle, on est tenté de se dire qu’elle illustre à merveille le mot de Stendhal : « le génie du soupçon est entré dans le monde ». Nous sommes entrés dans l’ère du soupçon.
Nathalie Sarraute — L’ère du soupçon -
Mon premier livre contenait en germe tout ce que, dans mes ouvrages suivants, je n’ai cessé de développer. Les tropismes ont continué d’être la substance vivante de tous mes livres.
Nathalie Sarraute — préface à L’Ere du soupçon -
Pour l’administration, c’était loin des yeux loin du cœur ce qu’on appelle la justice aveugle et on ne pouvait pas être plus invisible que ce pâté de maisons dans les numéros 1000 de Terrace View, un cul-de-sac qui venait finir sur un mur antibruit d’autoroute.
Elizabeth Stromme — L’écrivain public -
C’est lundi qu’il est mort. On devrait faire une loi obligeant à percer le cœur pour être tout à fait sûr ou bien à placer une sonnerie électrique ou un téléphone dans le cercueil et une espèce de conduit d’aération aussi. Signal de détresse. Trois jours. C’est un peu long pour les conserver en été. Autant s’en débarrasser dès qu’on est sûr qu’il n’y a plus. La terre tombait plus mollement. Commence à être oublié. Loin des yeux loin du cœur.
James Joyce — Ulysse -
Personne ici à part moi ne songe à ramasser les miettes. Je montais en courant vers leurs chambres, Nore encore dans mon ventre, Anne ici, Jeanne là, pas étonnant qu’elles aient fui. Pourtant personne n’est moins garde-chiourme que moi. Cacahuètes écrasées. On me prend pour la bonne ici. Ne pas perdre le fil. Loin des yeux, loin du cœur.
Marie Darrieussecq — Bref séjour chez les vivants -
Un des arguments des esclavagistes américains en faveur de l’esclavage, c’est que les Blancs du Sud étant tous déchargés des besognes serviles pouvaient entretenir entre eux les relations les plus démocratiques, les plus raffinées de même, l’existence d’une caste de « filles perdues » permet de traiter « l’honnête femme » avec le respect le plus chevaleresque. La prostituée est un bouc émissaire ; l’homme se délivre sur elle de sa turpitude et il la renie. Qu’un statut légal la mette sous une surveillance policière ou qu’elle travaille dans la clandestinité, elle est en tout cas traitée en paria.
Simone de Beauvoir — Le deuxième sexe -
Elle était fort déshabilléeEt de grands arbres indiscretsAux vitres jetaient leur feuilléeMalinement, tout près, tout près.Assise sur ma grande chaise,Mi-nue, elle joignait les mains.Sur le plancher frissonnaient d’aiseSes petits pieds si fins, si fins.– Je regardai, couleur de cireUn petit rayon buissonnierPapillonner dans son sourireEt sur son sein, – mouche au rosier.– Je baisai ses fines chevilles.Elle eut un doux rire brutalQui s’égrenait en claires trilles,Un joli rire de cristal.Les petits pieds sous la chemiseSe sauvèrent : « Veux-tu finir ! »– La première audace permise,Le rire feignait de punir !– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,Je baisai doucement ses yeux :– Elle jeta sa tête mièvreEn arrière : « Oh ! c’est encor mieux !Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »– Je lui jetai le reste au seinDans un baiser, qui la fit rireD’un bon rire qui voulait bien…– Elle était fort déshabilléeEt de grands arbres indiscretsAux vitres jetaient leur feuilléeMalinement, tout près, tout près.
Arthur Rimbaud — Cahiers de Douai -
« […] Ce que je propose, moi, c’est de prendre dans la caisse de la coopérative de quoi lui monter un trousseau minimum, pour qu’il puisse tout faire comme les autres. Ça te va, bonhomme ? » ajouta-t-il en se tournant vers Nicolas. Ça lui allait, et la maîtresse aussi approuva.
Emmanuel Carrère — La classe de neige -
Et Blum : « Et alors … » (mais cette fois Iglésia n’était plus là : tout l’été ils le passèrent une pioche (ou, quand ils avaient de la chance, une pelle) en main à des travaux de terrassement puis au début de l’automne ils furent envoyés dans une ferme arracher les pommes de terre et les betteraves, puis Georges essaya de s’évader, fut repris (par hasard, et non par des soldats ou des gendarmes envoyés à sa recherche mais – c’était un dimanche matin – dans un bois où il avait dormi, par de paisibles chasseurs), puis il fut ramené au camp et mis en cellule, puis Blum se fit porter malade et rentra lui aussi au camp, et ils y restèrent tous les deux, travaillant pendant les mois d’hiver à décharger des wagons de charbon, maniant les larges fourches, se relevant lorsque la sentinelle s’éloignait, minables et grotesques silhouettes, avec leurs calots rabattus sur leurs oreilles, le col de leurs capotes relevé, tournant le dos au vent de pluie ou de neige et soufflant dans leurs doigts tandis qu’ils essayaient de se transporter par procuration c’est-à-dire au moyen de leur imagination, c’est-à-dire en rassemblant et combinant tout ce qu’ils pouvaient trouver dans leur mémoire en fait de connaissances vues, entendues ou lues, de façon-là, au milieu des rails mouillés et luisants, des wagons noirs, des pins détrempés et noirs, dans la froide et blafarde journée d’un hiver saxon – à faire surgir les images chatoyantes et lumineuses au moyen de l’éphémère, l’incantatoire magie du langage, des mots inventés dans l’espoir de rendre comestible – comme ces pâtes vaguement sucrées sous lesquelles on dissimule aux enfants les médicaments amers – l’innommable réalité dans cet univers futile, mystérieux et violent dans lequel, à défaut de leur corps, se mouvaient leur esprit: quelque chose peut-être sans plus de réalité qu’un songe, que les paroles sorties de leurs lèvres: des sons, du bruit pour conjurer le froid, les rails, le ciel livide, les sombres pins.
Claude Simon — La Route des Flandres -
Mardi prochain, lorsque vous trouverez Henriette en train de coudre à vous attendre, vous lui direz avant même qu’elle vous ait demandé quoi que ce soit : “Je t’ai menti, comme tu t’en es bien doutée ; ce n’est pas pour la maison Scabelli que je suis allé à Rome cette fois-ci, et c’est en effet pour cette raison que j’ai pris le train de huit heures dix et non l’autre, le plus rapide, le plus commode, qui n’a pas de troisième classe ; c’est uniquement pour Cécile que je suis allé à Rome cette fois-ci, pour lui prouver que je l’ai choisie définitivement contre toi, pour lui annoncer que j’ai enfin réussi à lui trouver une place à Paris, pour lui demander de venir afin qu’elle soit toujours avec moi, afin qu’elle me donne cette vie extraordinaire que tu n’as pas été capable de m’apporter et que moi non plus je n’ai pas su t’offrir ; je le reconnais, je suis coupable à ton égard, c’est entendu, je suis prêt à accepter, à approuver tous tes reproches, à me charger de toutes les fautes que tu voudras si cela peut t’aider le moins du monde à te consoler, à atténuer le choc, mais il est trop tard maintenant, les jeux sont faits, je n’y puis rien changer, ce voyage a eu lieu, Cécile va venir • tu sais bien que je ne suis pas une si grande perte, ce n’est pas la peine de fondre en larmes ainsi…”Mais vous savez bien qu’elle ne pleurera nullement, qu’elle se contentera de vous regarder sans proférer une parole, qu’elle vous laissera discourir sans vous interrompre, que c’est vous, tout seul, par lassitude, qui vous arrêterez, et qu’à ce moment-là vous vous apercevrez que vous êtes dans votre chambre, qu’elle est déjà couchée, qu’elle est en train de coudre, qu’il est tard, que vous êtes fatigué de ce voyage, qu’il pleut sur la place.
Michel Butor — La Modification -
Fort de ses trois ans d’expérience, Franck pense qu’il existe des conducteurs sérieux, même parmi les noirs. A… est aussi de cet avis, bien entendu. Elle s’est abstenue de parler pendant la discussion sur la résistance comparée des machines, mais la question des chauffeurs motive de sa part une intervention assez longue et catégorique. Il se peut d’ailleurs qu’elle ait raison. Dans ce cas, Franck devrait avoir raison aussi. Tous les deux parlent maintenant du roman que A… est en train de lire, dont l’action se déroule en Afrique. L’héroïne ne supporte pas le climat tropical (comme Christiane). La chaleur semble même produire chez elle de véritables crises :“C’est mental, surtout, ces choses-là”, dit Franck. Il fait ensuite une allusion, peu claire pour celui qui n’a pas feuilleté le livre, à la conduite du mari. Sa phrase se termine par “savoir la prendre” ou “savoir l’apprendre”, sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude de qui il s’agit, ou de quoi. Franck regarde A…, qui regarde Franck. Elle lui adresse un sourire rapide, vite absorbé par la pénombre. Elle a compris, puisqu’elle connaît l’histoire. Non, ses traits n’ont pas bougé. Leur immobilité n’est pas si récente : les lèvres sont restées figées depuis ses dernières paroles. Le sourire fugitif ne devait être qu’un reflet de la lampe, ou l’ombre d’un papillon. Du reste, elle n’était déjà plus tournée vers Franck, à ce moment-là. Elle venait de ramener la tête dans l’axe de la table et regardait droit devant soi, en direction du mur nu, où une tache noirâtre marque l’emplacement du mille-pattes écrasé la semaine dernière, au début du mois, le mois précédent peut-être, ou plus tard. Le visage de Franck, presque à contre-jour, ne livre pas la moindre expression. Le boy fait son entrée pour ôter les assiettes. A… lui demande, comme d’habitude, de servir le café sur la terrasse. Là, l’obscurité est totale. Personne ne parle plus. Le bruit des criquets a cessé.
Alain Robbe-Grillet — La Jalousie