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Citations sur le dans - Page 6
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Non seulement [l’auteur et le lecteur] se méfient du personnage de roman, mais, à travers lui, ils se méfient l’un de l’autre. Il était le terrain d’entente, la base solide d’où ils pouvaient d’un commun effort s’élancer vers des recherches et des découvertes nouvelles […] Quand on examine sa situation actuelle, on est tenté de se dire qu’elle illustre à merveille le mot de Stendhal : « le génie du soupçon est entré dans le monde ». Nous sommes entrés dans l’ère du soupçon.
Nathalie Sarraute — L’ère du soupçon -
Mon premier livre contenait en germe tout ce que, dans mes ouvrages suivants, je n’ai cessé de développer. Les tropismes ont continué d’être la substance vivante de tous mes livres.
Nathalie Sarraute — préface à L’Ere du soupçon -
Pour l’administration, c’était loin des yeux loin du cœur ce qu’on appelle la justice aveugle et on ne pouvait pas être plus invisible que ce pâté de maisons dans les numéros 1000 de Terrace View, un cul-de-sac qui venait finir sur un mur antibruit d’autoroute.
Elizabeth Stromme — L’écrivain public -
C’est lundi qu’il est mort. On devrait faire une loi obligeant à percer le cœur pour être tout à fait sûr ou bien à placer une sonnerie électrique ou un téléphone dans le cercueil et une espèce de conduit d’aération aussi. Signal de détresse. Trois jours. C’est un peu long pour les conserver en été. Autant s’en débarrasser dès qu’on est sûr qu’il n’y a plus. La terre tombait plus mollement. Commence à être oublié. Loin des yeux loin du cœur.
James Joyce — Ulysse -
Personne ici à part moi ne songe à ramasser les miettes. Je montais en courant vers leurs chambres, Nore encore dans mon ventre, Anne ici, Jeanne là, pas étonnant qu’elles aient fui. Pourtant personne n’est moins garde-chiourme que moi. Cacahuètes écrasées. On me prend pour la bonne ici. Ne pas perdre le fil. Loin des yeux, loin du cœur.
Marie Darrieussecq — Bref séjour chez les vivants -
Un des arguments des esclavagistes américains en faveur de l’esclavage, c’est que les Blancs du Sud étant tous déchargés des besognes serviles pouvaient entretenir entre eux les relations les plus démocratiques, les plus raffinées de même, l’existence d’une caste de « filles perdues » permet de traiter « l’honnête femme » avec le respect le plus chevaleresque. La prostituée est un bouc émissaire ; l’homme se délivre sur elle de sa turpitude et il la renie. Qu’un statut légal la mette sous une surveillance policière ou qu’elle travaille dans la clandestinité, elle est en tout cas traitée en paria.
Simone de Beauvoir — Le deuxième sexe -
Elle était fort déshabilléeEt de grands arbres indiscretsAux vitres jetaient leur feuilléeMalinement, tout près, tout près.Assise sur ma grande chaise,Mi-nue, elle joignait les mains.Sur le plancher frissonnaient d’aiseSes petits pieds si fins, si fins.– Je regardai, couleur de cireUn petit rayon buissonnierPapillonner dans son sourireEt sur son sein, – mouche au rosier.– Je baisai ses fines chevilles.Elle eut un doux rire brutalQui s’égrenait en claires trilles,Un joli rire de cristal.Les petits pieds sous la chemiseSe sauvèrent : « Veux-tu finir ! »– La première audace permise,Le rire feignait de punir !– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,Je baisai doucement ses yeux :– Elle jeta sa tête mièvreEn arrière : « Oh ! c’est encor mieux !Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »– Je lui jetai le reste au seinDans un baiser, qui la fit rireD’un bon rire qui voulait bien…– Elle était fort déshabilléeEt de grands arbres indiscretsAux vitres jetaient leur feuilléeMalinement, tout près, tout près.
Arthur Rimbaud — Cahiers de Douai -
« […] Ce que je propose, moi, c’est de prendre dans la caisse de la coopérative de quoi lui monter un trousseau minimum, pour qu’il puisse tout faire comme les autres. Ça te va, bonhomme ? » ajouta-t-il en se tournant vers Nicolas. Ça lui allait, et la maîtresse aussi approuva.
Emmanuel Carrère — La classe de neige -
Et Blum : « Et alors … » (mais cette fois Iglésia n’était plus là : tout l’été ils le passèrent une pioche (ou, quand ils avaient de la chance, une pelle) en main à des travaux de terrassement puis au début de l’automne ils furent envoyés dans une ferme arracher les pommes de terre et les betteraves, puis Georges essaya de s’évader, fut repris (par hasard, et non par des soldats ou des gendarmes envoyés à sa recherche mais – c’était un dimanche matin – dans un bois où il avait dormi, par de paisibles chasseurs), puis il fut ramené au camp et mis en cellule, puis Blum se fit porter malade et rentra lui aussi au camp, et ils y restèrent tous les deux, travaillant pendant les mois d’hiver à décharger des wagons de charbon, maniant les larges fourches, se relevant lorsque la sentinelle s’éloignait, minables et grotesques silhouettes, avec leurs calots rabattus sur leurs oreilles, le col de leurs capotes relevé, tournant le dos au vent de pluie ou de neige et soufflant dans leurs doigts tandis qu’ils essayaient de se transporter par procuration c’est-à-dire au moyen de leur imagination, c’est-à-dire en rassemblant et combinant tout ce qu’ils pouvaient trouver dans leur mémoire en fait de connaissances vues, entendues ou lues, de façon-là, au milieu des rails mouillés et luisants, des wagons noirs, des pins détrempés et noirs, dans la froide et blafarde journée d’un hiver saxon – à faire surgir les images chatoyantes et lumineuses au moyen de l’éphémère, l’incantatoire magie du langage, des mots inventés dans l’espoir de rendre comestible – comme ces pâtes vaguement sucrées sous lesquelles on dissimule aux enfants les médicaments amers – l’innommable réalité dans cet univers futile, mystérieux et violent dans lequel, à défaut de leur corps, se mouvaient leur esprit: quelque chose peut-être sans plus de réalité qu’un songe, que les paroles sorties de leurs lèvres: des sons, du bruit pour conjurer le froid, les rails, le ciel livide, les sombres pins.
Claude Simon — La Route des Flandres -
Mardi prochain, lorsque vous trouverez Henriette en train de coudre à vous attendre, vous lui direz avant même qu’elle vous ait demandé quoi que ce soit : “Je t’ai menti, comme tu t’en es bien doutée ; ce n’est pas pour la maison Scabelli que je suis allé à Rome cette fois-ci, et c’est en effet pour cette raison que j’ai pris le train de huit heures dix et non l’autre, le plus rapide, le plus commode, qui n’a pas de troisième classe ; c’est uniquement pour Cécile que je suis allé à Rome cette fois-ci, pour lui prouver que je l’ai choisie définitivement contre toi, pour lui annoncer que j’ai enfin réussi à lui trouver une place à Paris, pour lui demander de venir afin qu’elle soit toujours avec moi, afin qu’elle me donne cette vie extraordinaire que tu n’as pas été capable de m’apporter et que moi non plus je n’ai pas su t’offrir ; je le reconnais, je suis coupable à ton égard, c’est entendu, je suis prêt à accepter, à approuver tous tes reproches, à me charger de toutes les fautes que tu voudras si cela peut t’aider le moins du monde à te consoler, à atténuer le choc, mais il est trop tard maintenant, les jeux sont faits, je n’y puis rien changer, ce voyage a eu lieu, Cécile va venir • tu sais bien que je ne suis pas une si grande perte, ce n’est pas la peine de fondre en larmes ainsi…”Mais vous savez bien qu’elle ne pleurera nullement, qu’elle se contentera de vous regarder sans proférer une parole, qu’elle vous laissera discourir sans vous interrompre, que c’est vous, tout seul, par lassitude, qui vous arrêterez, et qu’à ce moment-là vous vous apercevrez que vous êtes dans votre chambre, qu’elle est déjà couchée, qu’elle est en train de coudre, qu’il est tard, que vous êtes fatigué de ce voyage, qu’il pleut sur la place.
Michel Butor — La Modification -
Fort de ses trois ans d’expérience, Franck pense qu’il existe des conducteurs sérieux, même parmi les noirs. A… est aussi de cet avis, bien entendu. Elle s’est abstenue de parler pendant la discussion sur la résistance comparée des machines, mais la question des chauffeurs motive de sa part une intervention assez longue et catégorique. Il se peut d’ailleurs qu’elle ait raison. Dans ce cas, Franck devrait avoir raison aussi. Tous les deux parlent maintenant du roman que A… est en train de lire, dont l’action se déroule en Afrique. L’héroïne ne supporte pas le climat tropical (comme Christiane). La chaleur semble même produire chez elle de véritables crises :“C’est mental, surtout, ces choses-là”, dit Franck. Il fait ensuite une allusion, peu claire pour celui qui n’a pas feuilleté le livre, à la conduite du mari. Sa phrase se termine par “savoir la prendre” ou “savoir l’apprendre”, sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude de qui il s’agit, ou de quoi. Franck regarde A…, qui regarde Franck. Elle lui adresse un sourire rapide, vite absorbé par la pénombre. Elle a compris, puisqu’elle connaît l’histoire. Non, ses traits n’ont pas bougé. Leur immobilité n’est pas si récente : les lèvres sont restées figées depuis ses dernières paroles. Le sourire fugitif ne devait être qu’un reflet de la lampe, ou l’ombre d’un papillon. Du reste, elle n’était déjà plus tournée vers Franck, à ce moment-là. Elle venait de ramener la tête dans l’axe de la table et regardait droit devant soi, en direction du mur nu, où une tache noirâtre marque l’emplacement du mille-pattes écrasé la semaine dernière, au début du mois, le mois précédent peut-être, ou plus tard. Le visage de Franck, presque à contre-jour, ne livre pas la moindre expression. Le boy fait son entrée pour ôter les assiettes. A… lui demande, comme d’habitude, de servir le café sur la terrasse. Là, l’obscurité est totale. Personne ne parle plus. Le bruit des criquets a cessé.
Alain Robbe-Grillet — La Jalousie -
Par les journées de juillet très chaudes, le mur d’en face jetait sur la petite cour humide une lumière éclatante et dure.Il y avait un grand vide sous cette chaleur, un silence, tout semblait en suspens ; on entendait seulement, agressif, strident, le grincement d’une chaise traînée sur le carreau, le claquement d’une porte. C’était dans cette chaleur, dans ce silence – un froid soudain, un déchirement.Et elle restait sans bouger sur le bord de son lit, occupant le plus petit espace possible, tendue, comme attendant que quelque chose éclate, s’abatte sur elle dans ce silence menaçant.Quelquefois le cri aigu des cigales, dans la prairie pétrifiée sous le soleil et comme morte, provoque cette sensation de froid, de solitude, d’abandon dans un univers hostile où quelque chose d’angoissant se prépare.Étendu dans l’herbe sous le soleil torride, on reste sans bouger, on épie, on attend.Elle entendait dans le silence, pénétrant jusqu’à elle le long des vieux papiers à raies bleues du couloir, le long des peintures sales, le petit bruit que faisait la clef dans la serrure de la porte d’entrée. Elle entendait se fermer la porte du bureau.Elle restait là, toujours recroquevillée, attendant, sans rien faire. La moindre action, comme d’aller dans la salle de bains se laver les mains, faire couler l’eau du robinet, paraissait une provocation, un saut brusque dans le vide, un acte plein d’audace. Ce bruit soudain de l’eau dans ce silence suspendu, ce serait comme un signal, comme un appel vers eux, ce serait comme un contact horrible, comme de toucher avec la pointe d’une baguette une méduse et puis d’attendre avec dégoût qu’elle tressaille tout à coup, se soulève et se replie.Elle les sentait ainsi, étalés, immobiles, derrière les murs, et prêts à tressaillir, à remuer.Elle ne bougeait pas. Et autour d’elle toute la maison, la rue semblaient l’encourager, semblaient considérer cette immobilité comme naturelle.Il paraissait certain, quand on ouvrait la porte et qu’on voyait l’escalier, plein d’un calme implacable, impersonnel et sans couleur, un escalier qui ne semblait pas avoir gardé la moindre trace des gens qui l’avaient parcouru, pas le moindre souvenir de leur passage, quand on se mettait derrière la fenêtre de la salle à manger et qu’on regardait les façades des maisons, les boutiques, les vieilles femmes et les petits enfants qui marchaient dans la rue, il paraissait certain qu’il fallait le plus longtemps possible – attendre, demeurer ainsi immobile, ne rien faire, ne pas bouger, que la suprême compréhension, que la véritable intelligence, c’était cela, ne rien entreprendre, remuer le moins possible, ne rien faire.Tout au plus pouvait-on, en prenant soin de n’éveiller personne, descendre sans le regarder l’escalier sombre et mort, et avancer modestement le long des trottoirs, le long des murs, juste pour respirer un peu, pour se donner un peu de mouvement, sans savoir où l’on va, sans désirer aller nulle part, et puis revenir chez soi, s’asseoir au bord du lit et de nouveau attendre, replié, immobile.
Nathalie Sarraute — Tropismes -
Si la franchise de jeux vidéo de simulation de football change de nom, elle ne change pas de formule. EA Sports FC 24 sera dans la lignée des précédents FIFA, avec quelques améliorations en plus.
Jeuxvideo.com — Voici les 7 jeux vidéo les plus attendus sur Nintendo Switch d’ici la fin de l’année -
De plus en plus furtif, de plus en plus présent, comme une rumeur ensemencée dans un village bafoué, le beau Ali a viré sa cuti, effacé à l’esprit-de-sel ses tatouages de petit maquereau romanesque et balancé la lame qui a assuré ses premiers succès ; il ne quitte plus son cache-poussière et sa Matt 49 ; il tue avec des motifs supérieurs ceux qu’il gardait hier pour un salaire de nervi.
Boualem Sansal — Le serment des barbares -
J’entasse des vêtements dans une grande mallette bleue ; elle est trop petite parce que « là-bas » il fait très froid et je dois emporter beaucoup de choses.
Simone de Beauvoir — Tout compte fait -
Marie Sastre était montée dans le TGV pour Marseille avec une mallette du même modèle que celle trouvée sur les rails de la locomotive, en gare d’Arbois. Elle l’avait achetée le matin même dans un hypermarché de Clichy, avant de prendre le train de dix heures. Elle se disait qu’avec la mallette elle pourrait entrer plus facilement dans la tête du suspect de la gare.
Franz-Olivier Giesbert — L’abatteur -
Pour preuve les traces de dents, bien alignées sur le bout, existaient encore, dans sa tombe. Mais ça, motus et bouche cousue. Personne n’en parlait dans la famille.
Camille Guichard — Vision par une fente -
« Père Paindavoine, je vous remercie », dit Mgr Velter. Dans sa poignée de main passa une vibration de reconnaissance. « Je vous tiens informé », conclut l’archevêque. Il referma sa porte.
Laurence Cossé — Le Coin du voile -
Je ne répondais plus à aucune invitation en week-end. Ce n’était pas que ces vastes maisons à la campagne ne me faisaient pas envie, mais comme on dit, chat échaudé craint l’eau froide. Une grange, une étable même m’auraient très bien convenu, mais seule, tranquille. Je grognais toujours dans mon sommeil, une fois même je dois avouer que j’ai uriné sous moi.
Marie Darrieussecq — Truismes -
Avec mon imperméable, col relevé, foulard, pour ma gorge. Rôles à l’envers. Mec, moi, mou, une gonzesse. Elle, la dure. Vrai mec. Se déshabille, se jette dans la houle de la Manche, Normandie le soir. Chat échaudé. Ancien tubard. Craint l’eau froide. Pneumo, chaque semaine, trois ans durant, grosse aiguille, regonflé. Je me dégonfle. Maintenant, ma laryngite. Frileux.
Serge Doubrovsky — Fils -
En un sens, j’ai fait chou blanc, dit Panici. Chat échaudé craint l’eau froide et les Croates qu’on a vus hier leur ont fait peur. Cette compagnie qui fouillait les buissons cherchait la bande d’un nommé Carmine Crocco qui tient les bois dans ces parages. C’est un paysan qui s’est dit « Pourquoi pas moi ? ».
Jean Giono — Le bonheur fou -
Le 4 octobre dernier [1926], à la fin d’un de ces après-midi tout à fait désœuvrés et très mornes, comme j’ai le secret d’en passer, je me trouvais rue Lafayette : après m’être arrêté quelques minutes devant la vitrine de la librairie de L’Humanité et avoir fait l’acquisition du dernier ouvrage de Trotski, sans but je poursuivais ma route dans la direction de l’Opéra. Les bureaux, les ateliers commençaient à se vider, du haut en bas des maisons des portes se fermaient, des gens sur le trottoir se serraient la main, il commençait tout de même à y avoir plus de monde. J’observais sans le vouloir des visages, des accoutrements, des allures. Allons, ce n’étaient pas encore ceux-là qu’on trouverait prêts à faire la Révolution. Je venais de traverser ce carrefour dont j’oublie ou ignore le nom, là, devant une église. Tout à coup, alors qu’elle est peut-être encore à dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, très pauvrement vêtue, qui, elle-aussi, me voit ou m’a vu. Elle va la tête haute, contrairement à tous les autres passants. Si frêle qu’elle se pose à peine en marchant.
André Breton — Nadja -
L’attitude réaliste, inspirée du positivisme, de Saint Thomas à Anatole France, m’a bien l’air hostile à tout essor intellectuel et moral. Je l’ai en horreur, car elle est faite de médiocrité, de haine et de plate suffisance. C’est elle qui engendre aujourd’hui des livres ridicules, des pièces insultantes. Elle se fortifie sans cesse dans les journaux et fait échec à la science, à l’art, en s’appliquant à flatter l’opinion dans ses goûts les plus bas ; la clarté confinant à la sottise, la vie des chiens. […]
André Breton — Manifeste du surréalisme -
Le séjour que j’ai fait en ce lieu et l’attention soutenue que j’ai portée à ce qui s’y passait ont compté grandement dans ma vie et ont eu sans doute une influence décisive sur le déroulement de ma pensée. C’est là (…) que j’ai pu expérimenter sur les malades les procédés d’investigation de la psychanalyse, en particulier l’enregistrement (…) des rêves et des associations d’idées incontrôlées. On peut déjà observer en passant que ces rêves, ces catégories d’associations constitueront, au départ, presque tout le matériel surréaliste.
André Breton — Entretiens -
Dans la semaine, les personnes que vous croisez dans le village sont, il va de soi, presque toujours les mêmes et, vertu de l’accoutumance, ne semblent pas vieillir. Réciproquement, elles vous prêtent à vous-même un âge plus ou moins précis, mais fixe, immuable, comme le leur.
Pierre Gascar — La Friche -
Qu’ils viennent à mon secours, eux seuls peuvent me délivrer, ils le savent bien. Un signe venu d’eux, un seul petit signe de soutien, d’acquiescement suffirait pour faire pencher en ma faveur. Je tourne vers eux des regards implorants. Dans leurs yeux attentifs, dans leur silence des images, des mots défilent. Roquet aboyant aux chausses, les chiens aboient la caravane passe, le pou dans la crinière du lion, la grenouille et le bœuf.
Nathalie Sarraute — « Disent les imbéciles » -
Il restait couché toute la journée sur un lit, il fumait, il lisait des livres policiers, mes brochures. Il fermait les yeux, ça durait des heures, comme ça. Il n’écrivait pas. Ça a duré deux mois. Je commençais à m’inquiéter, je ne l’avais jamais vu écrire de ma vie. Une nuit, il s’est levé brusquement, s’est mis à la table et s’est mis à écrire. Là, son visage s’est transformé, il faisait peur. Sa bouche se crispait. Il était d’une nervosité incroyable. Il a écrit sa pièce en huit jours sans presque de ratures. J’ai compris que lorsqu’il fermait les yeux, étendu sur le lit, il faisait sa pièce dans sa tête, phrase par phrase, acte par acte. A la table, il devenait son propre secrétaire.
Jean Marais — interviewé à la radio française -
Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxe du relativisme culturel (que nous retrouverons ailleurs sous d’autres formes), c’est dans la mesure même où l’on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l’on s’identifie le plus complètement avec celles qu’on essaye de nier.
Claude Lévi-Strauss — Race et histoire -
Quand j’essaye de faire le compte de ce que je dois au côté de Méséglise, des humbles découvertes dont il fut le cadre fortuit ou le nécessaire inspirateur, je me rappelle que c’est cet automne-là, dans une de ces promenades, près du talus broussailleux qui protège Montjouvain, que je fus frappé pour la première fois de ce désaccord entre nos impressions et leur expression habituelle.
Marcel Proust — Du côté de chez Swann -
Les inclinaisons naissantes après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement.
Molière — Don Juan -
Il maintenait la ligne contre son dos et guettait l’inclinaison qu’elle gardait dans l’eau ; pendant ce temps-là, le bateau voguait à bonne allure vers le nord-ouest.
Ernest Hemingway — Le vieil homme et la mer -
Or, dans cette région lointaine, c’est la totalité de la terre qui est faite de telles couleurs ; bien mieux, de couleurs beaucoup plus éclatantes et plus pures que celles-ci : ici en effet elle est pourpre et d’une merveilleuse beauté, là elle est comme de l’or, ailleurs toute blanche et plus blanche que la craie ou que la neige ; et les autres couleurs dont elle est pareillement constituée sont aussi plus nombreuses encore et plus belles que toutes celles que, nous, nous avons pu voir.
Platon — Phédon -
C’était là, dans mon histoire, que s’était posé le papillon qui passe dans le ciel de tout homme une fois dans sa vie, ni plus extraordinaire, ni plus rapide que tous les autres, mais contrairement à tous ceux qu’on a pris ou laissé voler, absolument inaccessible.
Michel Braudeau — Pérou -
Et peu à peu au cours du lent pèlerinage, tandis que mon cheval boitait dans les ornières, ou tirait les rênes pour brouter l’herbe rase le long des murs, me vint le sentiment que mon chemin dans ses inflexions subtiles et ses respects et ses loisirs, et son temps perdu comme par l’effet de quelque rite ou d’une antichambre de roi, dessinait le visage d’un prince, et que tous ceux qui l’empruntaient, secoués par leurs carrioles ou balancés par leurs ânes lents, étaient, sans le savoir, exercés à l’amour.
Antoine de Saint-Exupéry — Citadelle -
Tous ceux qui s’étaient mis en descente pour atterrir sur la terrasse sont tombés comme une grêle. Vous n’avez rien entendu, là-dessous ? Moi, dans mon petit appartement près du garage, c’est bien un miracle si je n’ai pas été aplati.
René Barjavel — Ravage -
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore :Je demeurai longtemps errant dans Césarée… En général, les vers, lui… Mais celui-ci lui revenait et revenait. Pourquoi ? c’est ce qu’il ne s’expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l’histoire de Bérénice… l’autre, la vraie…
Louis Aragon — Aurélien -
On l’admet en linguistique aujourd’hui, je n’existe que dans le langage : l’homme qui ne parle pas donc ne saurait passer pour une première personne…
Louis Aragon — Blanche ou l’Oubli -
Nous sommes ravies de notre soirée qui se termine par un bombardement soigné mais qui paraît loin. Nous descendons quand même dans notre sape où nous restons une demi-heure ; ce petit intermède nous amuse beaucoup et finit ainsi dignement notre séjour à Prouilly.
Adrienne Durville — Carnets de guerre -
Il prend ma valise et mon bras en me disant « Je pourrais être votre père » et m’amène dans une chambre qu’il m’a retenue ; il apporte de la bière, des bananes, des sandwiches ; je suis ravie de cette réception, tout amusée de me trouver à 3 heures du matin dans une ville inconnue, enfermée dans une chambre d’hôtel avec un militaire inconnu; ça me paraît irréel.
Simone de Beauvoir — La force de l’âge -
Il ne croit pas, ce geôlier, que j’aie à me plaindre de lui et de ses sous-geôliers. Il a raison. Ce serait mal à moi de me plaindre ; ils ont fait leur métier, ils m’ont bien gardé ; et puis ils ont été polis à l’arrivée et au départ. Ne dois-je pas être content ? Ce bon geôlier, avec son sourire bénin, ses paroles caressantes, son œil qui flatte et qui espionne, ses grosses et larges mains, c’est la prison incarnée, c’est Bicêtre qui s’est fait homme. Tout est prison autour de moi ; je retrouve la prison sous toutes les formes, sous la forme humaine comme sous la forme de grille ou de verrou. Ce mur, c’est de la prison en pierre ; cette porte, c’est de la prison en bois ; ces guichetiers, c’est de la prison en chair et en os. La prison est une espèce d’être horrible, complet, 129 indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa proie ; elle me couve, elle m’enlace de tous ses replis. Elle m’enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse sous ses serrures de fer, et me surveille avec ses yeux de geôlier. Ah ! misérable ! que vais-je devenir ? qu’estce qu’ils vont faire de moi ?
Victor Hugo — Le dernier jour d’un condamné