Lecture de Comme on dit chez nous de Mathieu Avanzi, avec la complicité d'Alain Rey et Aurore Vincenti
Quand on ouvre Comme on dit chez nous de Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française à la Sorbonne, on pense immédiatement à la ballade de Brassens. Car, oui, on est tous des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part ». Et qu’on habite toute sa vie sans en bouger cette région qui nous a vus naître, ou qu’on l’ait quittée depuis bien longtemps, les mots et les tournures de langage qui lui sont propres continuent de résonner à nos oreilles…
Certains de ces termes locaux se répandent dans l’ensemble de la France : c’est le cas de l’emblématique « chocolatine » qu’on a vue ces dernières années quitter son berceau toulousain et bordelais pour aller concurrencer sur ses terres le « pain au chocolat », ou de la « cagole » marseillaise, ou bien encore, en restant sous le soleil méridional, du « cagnard » qui darde depuis longtemps ses rayons bien au-delà de sa région d’origine.
Sans compter les nombreux mots ou expressions qui jouissent soudain d’un succès national - durable ou passager - à la faveur d’un film (« biloute »), d’une chanson (« tomber la chemise ») ou d’un discours d’homme politique en vue (« carabistouilles »).
Mais beaucoup d’entre eux restent cependant l’apanage de leur seule région, et pour les connaître, il faut aller à leur rencontre, comme nous invite à le faire l’auteur de ce précieux atlas linguistique, qui nous les présente en les localisant commodément sur la carte de la France. Avec un clin d’œil à Chateaubriand, auteur d’un Itinéraire de Paris à Jérusalem, Mathieu Avanzi nous embarque pour neuf "itinéraires" langagiers qui sillonneront la France. En les empruntant, on (re)découvrira l’histoire du français, on invoquera des traditions religieuses (ducasse, pardon, kilbe...), on humera des spécialités culinaires (bugne, cagouille, bouillabaisse, tourtière…), et on s’instruira à chaque page : que veut dire le mot « chtimi » ?; pourquoi les noms en -ac abondent-ils dans le Sud-Ouest (Aurillac) et ceux en -az dans les Alpes (Avoriaz) ? Mais surtout, on se régalera à satiété de mots et d’expressions délectables : ainsi, on est nareux dans le Grand Est, on s’empierge en Champagne, on se prend une bonne rabasse en Bourgogne-Franche-Comté, on écarte son linge dans le Puy-de-Dôme, on met ce dont on ne veut plus à la jaille en Bretagne, et on repère du premier coup d’œil, en Corse, un pinzutu qui débarque...
Une riche et belle occasion de prendre conscience que, à côté du français standard dispensé dans les médias avec une efficacité qui eût fait pâlir d’envie un Jules Ferry, qui rêvait d’éradiquer toutes les langues régionales (cf. l’écriteau affiché dans les écoles communales : « Défense de cracher par terre et de parler breton »), il existe une grande variété de français régionaux.