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Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques : Bonaparte

Méditations Poértiques Alphonse de Lamartine

Méditations poétiques est le premier recueil de poèmes d'Alphonse de Lamartine, publié en 1820. La première édition comportait 24 poèmes. D'autres éditions suivirent ; celle de 1849 comportait alors 41 poèmes. Ce recueil marque l'aboutissement d'un courant de poésie élégiaque caractérisé par de nombreuses allusions mythologiques, une tonalité exclamative, des interrogations ainsi qu'une abondance de périphrases poétiques.

Pour citer l'œuvre : Œuvres complètes de Lamartine Chez l’auteur, 1860, 1 (p. 363-369).

SEPTIÈME

MÉDITATION



BONAPARTE



Sur un écueil battu par la vague plaintive,
Le nautonier, de loin, voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé ;
Le temps n’a pas encor bruni l’étroite pierre,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre

On distingue… un sceptre brisé.


Ici gît… Point de nom ! demandez à la terre !
Ce nom, il est inscrit en sanglant caractère
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,
Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le cœur de ces troupeaux d’esclaves

Qu’il foulait tremblants sous son char.


Depuis les deux grands noms qu’un siècle au siècle annonce,
Jamais nom qu’ici-bas toute langue prononce
Sur l’aile de la foudre aussi loin ne vola ;
Jamais d’aucun mortel le pied qu’un souffle efface
N’imprima sur la terre une plus forte trace :

Et ce pied s’est arrêté là…


Il est là !… Sous trois pas un enfant le mesure !
Son ombre ne rend pas même un léger murmure :
Le pied d’un ennemi foule en paix son cercueil.
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n’entend que le bruit monotone

D’une vague contre un écueil.


Ne crains pas cependant, ombre encore inquiète,
Que je vienne outrager ta majesté muette.
Non ! La lyre aux tombeaux n’a jamais insulté :
La mort de tout temps fut l’asile de la gloire.
Rien ne doit jusqu’ici poursuivre une mémoire ;

Rien… excepté la vérité !


Ta tombe et ton berceau sont couverts d’un nuage.
Mais, pareil à l’éclair, tu sortis d’un orage ;
Tu foudroyas le monde avant d’avoir un nom :
Tel ce Nil, dont Memphis boit les vagues fécondes,
Avant d’être nommé fait bouillonner ses ondes

Aux solitudes de Memnon.


Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides :
La victoire te prit sur ses ailes rapides ;
D’un peuple de Brutus la gloire te fit roi.
Ce siècle, dont l’écume entraînait dans sa course
Les mœurs, les rois, les dieux… refoulé vers sa source,

Recula d’un pas devant toi.


Tu combattis l’erreur sans regarder le nombre ;
Pareil au fier Jacob, tu luttas contre une ombre ;
Le fantôme croula sous le poids d’un mortel ;
Et, de tous ces grands noms profanateur sublime,
Tu jouas avec eux comme la main du crime

Avec les vases de l’autel.


Ainsi, dans les accès d’un impuissant délire,
Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire
En jetant dans ses fers un cri de liberté,
Un héros tout à coup de la poudre s’élève,
Le frappe avec son sceptre… Il s’éveille, et le rêve

Tombe devant la vérité.


Ah ! si, rendant ce sceptre à ses mains légitimes,
Plaçant sur ton pavois de royales victimes,
Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l’affront !
Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même,
De quel divin parfum, de quel pur diadème

La gloire aurait sacré ton front !


Gloire, honneur, liberté, ces mots que l’homme adore,
Retentissaient pour toi comme l’airain sonore
Dont un stupide écho répète au loin le son :
De cette langue en vain ton oreille frappée
Ne comprit ici-bas que le cri de l’épée,

Et le mâle accord du clairon.


Superbe, et dédaignant ce que la terre admire,
Tu ne demandais rien au monde que l’empire.
Tu marchais… tout obstacle était ton ennemi.
Ta volonté volait comme ce trait rapide
Qui va frapper le but où le regard le guide,

Même à travers un cœur ami.


Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse,
La coupe des festins ne te versa l’ivresse ;
Tes yeux d’une autre pourpre aimaient à s’enivrer.
Comme un soldat debout qui veille sous ses armes,
Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes,

Sans sourire et sans soupirer.


Tu n’aimais que le bruit du fer, le cri d’alarmes,
L’éclat resplendissant de l’aube sur les armes ;
Et ta main ne flattait que ton léger coursier,
Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière
Sillonnaient, comme un vent, la sanglante poussière,

Et que ses pieds brisaient l’acier.


Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure.
Rien d’humain ne battait sous ton épaisse armure :
Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser.
Comme l’aigle régnant dans un ciel solitaire,
Tu n’avais qu’un regard pour mesurer la terre,

Et des serres pour l’embrasser.


S’élancer d’un seul bond au char de la victoire ;
Foudroyer l’univers des splendeurs de sa gloire ;
Fouler d’un même pied des tribuns et des rois ;
Forger un joug trempé dans l’amour et la haine,
Et faire frissonner sous le frein qui l’enchaîne

Un peuple échappé de ses lois ;


Être d’un siècle entier la pensée et la vie ;
Émousser le poignard, décourager l’envie,
Ébranler, raffermir l’univers incertain ;
Aux sinistres clartés de ta foudre qui gronde
Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde,

Quel rêve ! ! ! et ce fut ton destin !…


Tu tombas cependant de ce sublime faîte :
Sur ce rocher désert jeté par la tempête,
Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau ;
Et le sort, ce seul dieu qu’adora ton audace,
Pour dernière faveur t’accorda cet espace

Entre le trône et le tombeau.


Oh ! qui m’aurait donné d’y sonder ta pensée,
Lorsque le souvenir de ta grandeur passée
Venait, comme un remords, t’assaillir loin du bruit,
Et que, les bras croisés sur ta large poitrine,
Sur ton front chauve et nu que la pensée incline,

L’horreur passait comme la nuit ?


Tel qu’un pasteur debout sur la rive profonde
Voit son ombre de loin se prolonger sur l’onde,
Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours ;
Tel, du sommet désert de ta grandeur suprême,
Dans l’ombre du passé te recherchant toi-même,

Tu rappelais tes anciens jours.


Ils passaient devant toi comme des flots sublimes
Dont l’œil voit sur les mers étinceler les cimes :
Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux ;
Et, d’un reflet de gloire éclairant ton visage,
Chaque flot t’apportait une brillante image

Que tu suivais longtemps des yeux.


Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre ;
Là, du désert sacré tu réveillais la poudre ;
Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain ;
Là, tes pas abaissaient une cime escarpée ;
Là, tu changeais en sceptre une invincible épée.

Ici… Mais quel effroi soudain !


Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue ?
D’où vient cette pâleur sur ton front répandue ?
Qu’as-tu vu tout à coup dans l’horreur du passé ?
Est-ce de vingt cités la ruine fumante,
Ou du sang des humains quelque plaine écumante ?

Mais la gloire a tout effacé.


La gloire efface tout… tout, excepté le crime !
Mais son doigt me montrait le corps d’une victime,
Un jeune homme, un héros d’un sang pur inondé.
Le flot qui l’apportait passait, passait sans cesse ;
Et toujours en passant la vague vengeresse

Lui jetait le nom de Condé…


Comme pour effacer une tache livide,
On voyait sur son front passer sa main rapide ;
Mais la trace du sang sous son doigt renaissait :
Et, comme un sceau frappé par une main suprême,
La goutte ineffaçable, ainsi qu’un diadème,

Le couronnait de son forfait.


C’est pour cela, tyran, que ta gloire ternie
Fera par ton forfait douter de ton génie ;
Qu’une trace de sang suivra partout ton char,
Et que ton nom, jouet d’un éternel orage,
Sera par l’avenir ballotté d’âge en âge

Entre Marius et César.


Tu mourus cependant de la mort du vulgaire,
Ainsi qu’un moissonneur va chercher son salaire,
Et dort sur sa faucille avant d’être payé ;
Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse,
Et tu fus demander récompense ou justice

Au Dieu qui t’avait envoyé !


On dit qu’aux derniers jours de sa longue agonie,
Devant l’éternité seul avec son génie,
Son regard vers le ciel parut se soulever :
Le signe rédempteur toucha son front farouche ;
Et même on entendit commencer sur sa bouche

Un nom… qu’il n’osait achever.


Achève… C’est le Dieu qui règne et qui couronne,
C’est le Dieu qui punit, c’est le Dieu qui pardonne :
Pour les héros et nous il a des poids divers.
Parle-lui sans effroi : lui seul peut te comprendre.
L’esclave et le tyran ont tous un compte à rendre ;

L’un du sceptre, l’autre des fers.


Son cercueil est fermé : Dieu l’a jugé. Silence !
Son crime et ses exploits pèsent dans la balance :
Que des faibles mortels la main n’y touche plus !
Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie ?
Et vous, peuples, sachez le vain prix du génie

Qui ne fonde pas des vertus !




Commentaire de texte d'Alphonse de Lamartine : Bonaparte

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L'auteur : Alphonse de Lamartine

Lamartine

Alphonse de Lamartine (1790-1869) est un poète, romancier, dramaturge français, ainsi qu'une personnalité politique qui participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. Il est l'une des grandes figures du romantisme en France.

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